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13 février 2013

Exclusif - Paul Kagame : "le Rwanda n'est pas à l'origine des problèmes du Congo"

Afrikarabia a interrogé le président rwandais, Paul Kagame, sur les nombreuses critiques congolaises à propos du rôle du Rwanda dans  le conflit à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Kinshasa accuse le Rwanda de soutenir la rébellion du M23, ce que Kigali a toujours nié.

Image 1.png- Jean-François DUPAQUIER (Afrikarabia) : Monsieur le Président, en RDC, l’opinion publique semble très hostile au Rwanda et vous-même êtes parfois caricaturé dans les médias comme un nouveau Hitler. Pensez-vous que cette hostilité pourra disparaître dans un avenir prévisible, ou au contraire avez-vous l’impression que cette haine du Rwanda risque de s’enraciner dans l’identité congolaise ?

 - Paul KAGAME : Je pourrais commencer par dire qu’Hitler n’est pas connu pour avoir posé des problèmes  au Congo. Si ces gens avaient un peu de suite dans les idées, on s’attendrait à ce qu’ils me caricaturent en Léopold II. Mais ces gens cherchent des références ailleurs pour raconter l’histoire à leur façon.

Second point, revenons à la réalité. Les problèmes du Congo sont associés à une prétendue responsabilité rwandaise ou du chef de l’Etat rwandais. C’est trop facile d’accuser sans cesse la gouvernance du Rwanda de tous leurs maux. Les Congolais, les leaders du Congo, nous ne leur souhaitons aucun mal. Un bon Congo, un Congo fort, à la bonne gouvernance, voilà la voie que devraient prendre les Congolais pour améliorer leur vie. Sincèrement, le Rwanda rêve de vivre avec un voisin prospère, florissant, nous serions heureux si le Congo faisait des progrès, parce que la traduction du progrès au Congo serait aussi un progrès pour nous, il n’y a aucun doute là-dessus. C’est aussi simple que cela.

Nous souhaitons que les Congolais trouvent  la voie de la bonne gouvernance avec leurs leaders, au lieu de pointer du doigt à  tout moment le Rwanda.

S’ils ont décidé de dire « le Rwanda est notre problème, nous n’avons pas d’autre problème », à eux de voir si c’est vrai ou pas. Franchement, si les problèmes du Congo sont le Rwanda et les leaders du Rwanda, à vous d’en juger. Mais aussi ceci masque les plus graves problèmes du Congo, et alors les problèmes vont durer longtemps. Peu importe ce qu’ils ont à l’esprit, mais plus ils se persuadent que le Rwanda est le problème, plus ils vivront avec leurs problèmes.

Malheureusement, ça les affecte dans leur jugement. Ca devient pathétique de renvoyer les problèmes à leurs voisins. Un autre problème est que des étrangers supposés les aider ne jugent la situation au Congo qu’à l’aune de ce que les Congolais disent : que les problèmes du Congo viennent de l’extérieur, qu’ils n’auraient pas de problèmes intérieurs. Encore une fois, permettez-moi de revenir un peu en arrière sur les Congolais. Je crois comprendre qu’ils sont cinquante ou soixante millions. Est-ce que tous ces Congolais parlent d’une seule voix pour dire que le Rwanda est le problème du Congo et qu’il faut regarder du côté de Kagame… est-ce une opinion ?

Si l’on croit ça, c’est une erreur. Je suis certain que vous avez des gens qui pensent ça, peut-être même qu’ils sont nombreux, mais sont-ils les représentants de l’opinion publique congolaise, accréditant une opinion erronée ? Est-ce vraiment la réalité ? Pour être aussi clair que possible, cette question est intéressante pour apporter une réponse. La question aide-t-elle le Rwanda ou aide-t-elle le Congo ?  Je ne sais pas, mais c’est quelque chose dont les gens peuvent [doivent] parler [C’est un problème qui mérite d’être débattu]. Si la réponse reste la même, le Rwanda restera ce qu’il est : nous faisons des progrès ou nous échouons à faire des progrès, quoi qu’il se passe au Congo, et les problèmes du Congo  resteront ce qu’ils sont.

[NDLR : interrogé par autre journaliste, Paul Kagame a répondu en substance que l’intérêt du Rwanda et l’intérêt du Congo vont de pair. Si la RDC connaît de vrais progrès en matière de gouvernance, en matière économique etc., ce sera bon aussi pour le progrès du Rwanda. Tout le monde sait que le progrès économique passe par la sécurisation des acteurs économiques et par l’ordre public. Il déclare en avoir administré une nouvelle preuve au Rwanda où les investisseurs sont protégés, où la corruption a été éradiquée. Ce n’est pas un hasard si l’augmentation de notre PNB se situe entre 7 et 8% par an depuis longtemps.  Aux Congolais de comprendre si leurs problèmes viennent de ce que des règles de bonne gouvernance sont appliquées au Rwanda. Paul Kagame ajoute n’être pas responsable de l’ordre public en RDC. Si les Congolais comprennent cela, à eux de régler leur problème. C’est simple : les problèmes de la RDC doivent être résolus en RDC. Plus les Congolais auront à l’esprit que l’animosité à l’égard du Rwanda tient lieu de solution, plus leurs problèmes dureront. Leurs problèmes vont rester et même continuer à les affaiblir. ]

- Paul KAGAME : J’entends différentes personnes parler en boucle « des problèmes de l’Est du Congo ». On me pose souvent la question sur « l’Est du Congo ». Ca donne l’impression que dans leur esprit l’Est du Congo serait un pays en soi. Que les problèmes de l’Est du Congo ne sont pas les problèmes du Congo. Je pense qu’ils font une erreur d’analyse. Croient-ils qu’ailleurs au Congo il n’y a pas aussi des gens qui souffrent ? Ne comprennent-ils pas que pas que ce qui arrive dans l’Est du Congo reflète ce qui se passe ailleurs dans cet immense pays ? Parce que le Congo à mes yeux est un seul pays, un seul gouvernement, les mêmes institutions, et ainsi de suite…

La question est : les acteurs voient-ils les choses de la bonne façon, la façon adéquate, alors la réponse est là. Laissez-moi résumer tout ceci : Le Rwanda n’est pas l’origine des problèmes du Congo, c’est plutôt le Congo qui doit prendre en main ses problèmes. La meilleure façon de voir le Rwanda est de comprendre qu’avec le Congo, nous sommes des Africains, des voisins, nous pouvons travailler ensemble pour régler nos problèmes plutôt que de voir l’autre en ennemi. En dépit de ce qui est dit et écrit ici où là, au Rwanda nous percevons la RDC comme un bon voisin, comme des Africains avec qui nous devons entretenir des bonnes relations d’une façon plus positive que ce qui apparaît trop souvent.

Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER pour Afrikarabia

NDLR : Cette version destinée au public francophone de la  déclaration en anglais du Président de la République du Rwanda à Afrikarabia n’est pas une traduction mot à mot, mais une adaptation en français. Pour plus de précision nous invitons les lecteurs à se référer à la version anglaise, seule certifiée conforme au script de l’interview. (cliquez ici)

11:24 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

Paul Kagame : "Understand Rwanda is not the creator of the problems in Congo"

EXCLUSIVE COVERAGE - Afrikarabia asks Rwandese President Paul Kagame his answer to congolese criticisms these lasts months.

Image 1.png- Jean Francois Dupaquier : Mr. President, in DRC the public opinion seems very unfriendly to Rwanda and yourself sometimes cartooned as a new Hitler. Do you think this hostility may disappear in a foreseeable future or do you feel  it may seem a basic part of  Congolese identity?

- Paul Kagame:  Well, I may start with the fact that Hitler is not known for creating problems in the Congo, maybe they should have talked of King Leopold but they prefer to look for problems somewhere else that tells the story.

The second point is, I wish the reality was that actually Congo’s problems were anyway related closely with Rwanda or with the leader of Rwanda. That would have been the easiest way to deal with, to resolve, we would have resolved this problem long time ago because we don’t wish Congo, the Congolese, the leaders of Congo  any bad luck at all, we don’t wish them any of that. In fact a good Congo, Congo that is strong, that is well governed, whose people are dealing with their problems the way they should and improving their lives, all these are in the interest of Rwanda as well. Rwanda would wish to live with a neighbor that is thriving especially Congo, we would be happy if Congo was making good progress because this translates in good progress for us as well there is no doubt about it, it is as simple as that.

As for the public opinion in Congo, I’m not responsible for what happens in Congo with the public opinion there. If they have decided to say that Rwanda is our problem, we have no other problems, it’s up to you to decide whether this is true or not. Really if Congo’s problems are Rwanda and the leader of Rwanda, it’s up to you to make that judgment but also that also masks the bigger problem of Congo that is not being addressed, the problems will remain for a long time, it doesn’t matter whether they have in their mind, but the more they have it in their mind that Rwanda is the problem, the more the problem will stay with them. So a different problem that is real and is affecting them will remain and therefore they remain where they are and that would be more pathetic but of course the problem, even additional problem is for outsiders who would have been helpful to address the problem to see it also that way, or judge the situation in Congo from what Congolese are saying in this regards; that Congo’s  problems originate from outside and that they don’t have problems inside,  but again let me take you back a little bit, do the Congolese; I’m told now they are about fifty to sixty million people, are all these people united over this problem, that Rwanda is the problem Congo and Kagame is to be seen … is it an opinion?

Again this one is misleading, I’m sure you have people who think like that, maybe they are even many but are they the representative of the Congolese opinion of this population putting aside how erroneous the thinking is, is it really what it is? But for being even a little clear, this question which I think is good in a way to bring that you brought up is the answer to it supposes to help Rwanda or to help Congo? I don’t know but this is something people can talk about. If I answered it and it stays, Rwanda remain what it is; we make progress or we fail to make progress, irrespective of what goes on in Congo and Congo’s problems will remain the way they are.

The other big problem people talk about ; the Eastern Congo, all the time and this is the wrong way of looking at things. Many times I have confronted questions, they ask me about Eastern Congo, actually in their mind and they give this impression widely as if Eastern Congo has turned into another country on its own.   The problems in eastern Congo are not the problems of the whole Congo. But I think and this is the mistake people are making, they don’t know one, they don’t know that people in other parts of that very huge country are suffering, secondly they don’t understand that how and what happens in Eastern Congo carries an image of what happens elsewhere in the country because this is supposed to be one country, you know one government, same institutions and so on and so forth.

Again it goes back to whether people see things the right way, the way they should, there goes the answer. Let me just summarize to say, Rwanda is not the creator of the problems in the Congo, in fact is not the problem, Congo should be looking at their problems, the best way to look at Rwanda as sharing with Congo in addressing that we all face as Africans as neighbors, we can all work together to deal with these problems instead of looking at each other as enemies. Despite what Congo says that you raised their opinion, the opinion of Congolese, we still see Congo as our good neighbors, people as Africans that we need to relate with in a more positive way than the impression that is always given.

Jean-François DUPAQUIER - Afrikarabia

A French version of the interview with Paul Kagame is available here.

10:20 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

11 février 2013

Rwanda : Manifestation contre l’acquittement des 2 ministres du "gouvernement génocidaire"

Lundi 11 février, les averses n’ont pas découragé les manifestants de Kigali, indignés par l’acquittement de deux anciens ministres rwandais en appel par le Tribunal Pénal International de La Haye.

manif rwanda 3.pngJustin Mugenzi était ministre du Commerce pendant le génocide. Son collègue Prosper Mugiraneza, licencié en droit de l’Université nationale du Rwanda (UNR) de Butare, occupait le poste de ministre de la Fonction publique. Les deux hommes n’étaient pas accusés d’avoir dirigé sur le terrain des bandes de tueurs, mais d’avoir participé au limogeage du préfet de Butare, dans la ville universitaire de Sud du Rwanda, le 17 avril 1994.  Ce préfet, Jean-Baptiste Habyarimana (aucun lien de parenté avec le président Juvénal Habyarimana tué le 6 avril précédent) était le seul préfet tutsi du Rwanda. Le seul à résister obstinément à l’entreprise de destruction des Tutsi engagée le 6 avril au soir, et qui aboutira à l’extermination d’environ les trois quarts des Tutsi du Rwanda. Les génocidaires enrageaient de ne pas parvenir à leurs fins dans le sud du Rwanda.

Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza ont participé le 17 avril à Gitarama, dans le centre du Rwanda, au conseil des ministres qui a décidé de limoger le préfet « rebelle ». Sa révocation fut annoncée le surlendemain dans un stade de Butare, en présence des membres du gouvernement (dont Justin Mugenzi  et Prosper Mugiraneza ) et d’autres responsables tant civils que militaires. Peu après, le préfet Habyarimana fut tué avec toute sa famille et les massacres dans sa préfecture se généralisèrent.

Une révocation pour « des raisons politiques et administratives » ?

En première instance, le 30 septembre 2011, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) siégeant à Arusha, en Tanzanie, avait estimé que les preuves contre les deux ministres étaient accablantes.  Ils avaient été déclarés coupables d’entente en vue de commettre et d’incitation directe et publique à commettre le génocide. Outre le conseil des ministres convoqué pour limoger le préfet tutsi, on leur reprochait leur présence lors du discours incendiaire prononcé le 19 avril 1994 à Butare par le président intérimaire Théodore Sindikubwabo, appelant explicitement à l’anéantissement des Tutsi.

Mais le lundi 4 février 2013 à la surprise générale, la chambre d’appel à La Haye, paye (Pays Bas)résidée par le juge américain Theodor Meron, a « infirmé leur condamnation » au titre des deux chefs d’accusation et « ordonné leur libération immédiate ». Selon le jugement d’appel, le limogeage du préfet Habyarimana a certes contribué à la généralisation des massacres mais la décision du gouvernement pourrait avoir été prise pour « des raisons politiques et administratives » et non pas nécessairement pour laisser le champ libre aux tueurs.

Le gouvernement s’était en effet plaint de l’absence du préfet à certaines réunions d’autres responsables de son rang. Les juges ont également suivi le raisonnement des appelants selon lesquels ils ne savaient que le président intérimaire allait prononcer un discours incendiaire.

Pourtant dans son plaidoyer de culpabilité, le Premier ministre intérimaire, Jean Kambanda, condamné à la réclusion à vie, avait reconnu que son gouvernement avait piloté le génocide.

Quatre juges sur cinq

Sur les cinq membres de la chambre d’appel présidée par le juge américain Theodor Meron, quatre ont voté l’acquittement. L'opinion dissidente du Juge Liu a été actée dans l’arrêt d’appel.

Le Procureur général du Rwanda Martin Ngoga a jugé « extrêmement décevant » l’arrêt de la chambre d’appel qui a remis en liberté les deux anciens membres du gouvernement. « C’est une décision extrêmement décevante de la part de la chambre d’appel du TPIR », s’est indigné Martin Ngoga. Les effroyables divergences entre les décisions de première instance et les décisions d’appels dans nombre d’affaires, dont celle-ci, posent de sérieuses questions (…). Les plus récentes décisions de la chambre d’appel tendent à adopter un traitement simpliste des faits et créent une tendance à exonérer les dirigeants politiques ».

De son côté, Jean-Pierre Dusingizemungu, président d’Ibuka, la principale organisation de survivants du génocide des Tutsis, s’est dit « très attristé » par le jugement. Pour lui, cet arrêt « apporte de l’eau au moulin des négationnistes du génocide » des Tutsis.

 Lundi, malgré les averses de la petite saison des pluies, une foule de manifestants a parcouru Kigali pour protester contre le jugement d’appel.

Certains manifestants appelaient à la fermeture immédiate du TPIR. Mais le Conseil de sécurité a déjà voté la fin du TPIR  en 2014. A Arusha, une « structure résiduelle » est chargée des affaires courantes. Il ne reste que la Chambre d'appel du TPIR qui fermera ses portes à son tour le 31 décembre 2014.

La raison de telles incohérences

Reste à expliquer les incohérences fréquentes entre les jugements de première instance et d’appel. Selon un ancien collaborateur du Tribunal Pénal international de La Haye, « les Juges font, à tous niveaux, ce qu'ils veulent, la Chambre d'appel ayant toujours refusé de jouer un rôle harmonisateur, tant sur le fond des jugements que sur le montant des peines ».

Selon un membre du Parquet s’exprimant sous couvert d’anonymat, « ce sont des professeurs de droit très âgés et complètement déconnectés des réalités ». Les incohérentes concernent aussi bien les affaires judiciaires de l’ex-Yougoslavie que celles du Rwanda. S’exprimant aussi sous couvert d’anonymat, l’expert ajoute :  « Leur approche est exclusivement inspirée de la rhétorique juridique et complètement détachée des réalités factuelles, politiques, sociales ou psychologiques : ils sont dans leur bulle, et personne ne peut leur dire qu'il faudrait en sortir afin de ne pas être à côté de la plaque. »

« A côté de la plaque » ?

Cet expert nous livre une anecdote significative : « Je me souviens avoir suggéré, une fois, de façon informelle, que le quantum des peines soit soumis préalablement à leur prononcé à l'appréciation, pour avis, à des connaisseurs du contexte ex-yougoslave, afin de les aider à ajuster voire à prendre en considération l'impact possible qu'aurait leur décision. Le Président du TPIY (Claude Jorda) à qui je suggérais cette approche disons "psycho-sociale" m'a regardé comme si je blasphémais leur sacro-sainte 'indépendance'. »

Le président de chambre d’appel qui a prononcé la relaxe des deux ministre du « gouvernement génocidaire, l’Américain Théodor Meron, est né le 28 avril 1930. Ce rescapé de la Shoah « est en parfaite forme physique et mentale » nous indique un de ses proches. Il s’apprête néanmoins à fêter son 83e anniversaire, et on peut légitimement se demander si l’ONU ne devrait pas fixer une limite d’âge raisonnable au mandat des juge sinternationaux. Son collègue Patrick Robinson, né en 1944, approche les 70 ans. Théodor Meron et Patrick Robinson ne sont pas des exceptions. A La Haye, le Juge du TPIY Arpad Prandler (qui doit partir en juin prochain) a également 82 ans. Dans ce groupe de vieillards, il faut aussi citer Mhemet Güney, de Turquie, qui n’a « que » 76 ans, mais en paraît au moins dix de plus. Il est aussi membre d’une prestigieuse mais contestée chambre d'appel....

Des magistrats hors d’âge ?

Theodor Meron, - qui s’est rendu à la 10e commémoration du massacre de Srebrenica -, ne connaît à peu près rien du Rwanda, ce qui n’est pas forcément un avantage.

L’affaire des deux acquittement a provoqué un vent de colère à Kigali et aggrave le contentieux judiciaire relatif au génocide des Tutsi en 1994. Kigali accuse le Tribunal pénal international pour le Rwanda de pratiquer « la politique de deux poids, deux mesures », et menacé de chasser les observateurs désignés par cette institution pour faire le monitoring d’une affaire renvoyée devant la justice rwandaise.

Le Rwanda exige aussi que la France, à laquelle le TPIR a confié deux affaires fin 2007, fasse également l’objet d’une surveillance de la part du tribunal international.

Fin 2007, le TPIR s’est dessaisi au profit de la France, des dossiers de l’abbé Wenceslas Munyeshyaka, ancien vicaire d’une paroisse de Kigali, et de Laurent Bucyibaruta, ancien préfet de Gikongoro (sud). Mais l’instruction avance à pas comptés en France.

Jean-François DUPAQUIER (avec Agence Hirondelle)

Photo © JF. Dupaquier DR

22:32 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

RDC - M23 : Accord sur les désaccords

Les impressions peuvent paraître trompeuses à Kampala, où la rébellion du M23 négocie avec le gouvernement congolais. Un texte vient en effet d'être signé entre les deux belligérants, mais les désaccords restent entiers.

Carte Zone M23 HRW 2012.jpgAprès deux mois de laborieuses discussions, un premier texte a été signé entre les rebelles du M23 et le gouvernement congolais. Les deux parties reconnaissent que l'accord de paix du 23 mars 2009 n'a pas été intégralement respecté. Le document paraphé fait partie de la première phase de négociation : le fameux accord du 23 mars 2009 entre la rébellion et le gouvernement congolais, dont le M23 réclame la totale application. Le texte signé à Kampala reconnaît que sur les 35 points de l'accord de 2009, 23 dispositions ont été "pleinement mises en oeuvre" et 12 ont été exécutées "de manière inadéquate ou n’ont pas été exécutées du tout". Chacun des camps fait mine d'avoir remporté une victoire : le M23 parce que le gouvernement reconnaît que l'accord n'a pas été intégralement appliqué et le gouvernement parce qu'au contraire une  partie des dispositions de l'accord à tout de même été mise en oeuvre.

Accord du 23 mars bis ?

Dans le document signé à Kampala en fin de semaine dernière (consultable ici en anglais), plusieurs éléments font craindre que certains points seront difficilement applicables. A commencer par l'intégration des soldats du M23 dans l'armée régulière. Selon le texte, tous les soldats rebelles devront être intégrés avec le grade de major dans l'armée nationale, puis être redéployés sur l'ensemble du territoire. Ce point constituait déjà le principal blocage des accords de 2009 : les rebelles refusaient de s'éloigner des Kivus où ils affirmaient défendre leur communauté menacée (rwandophone). Un accord du 23 mars "réchauffé", selon l'expression d'un membre du M23, serait inacceptable.

Mini-accord sans consistance ?

Autre point d'accroche : les chefs rebelles. Alors que l'on imagine mal Sultani Makenga revenir tranquillement au sein de l'armée régulière après 10 mois de rébellion, les autorités congolaises proposent tout simplement d'arrêter les commandants recherchés par des mandats nationaux ou internationaux. Une solution qui résout certes le problème du retour des chefs rebelles dans l'armée, mais qui sera (on n'en doute pas) rejetée par les principaux intéressés. On imagine difficilement Bosco Ntaganda, Sultani Makenga, Innocent Zimurinda ou Baudouin Ngaruye se rendre pour être jugés par la justice congolaise. Il semble donc peu probable qu'il y ait des avancées sur les accords du 23 mars. Quant aux trois autres points : les problématiques sécuritaires, politiques et sociales, le gouvernement estime depuis le début des négociations, que ces revendications sont illégitimes pour un groupe armé. Le M23 a en effet "élargi" ses revendications et demande aujourd'hui le départ du président Kabila, élu dans des conditions contestables en novembre 2011. Au mieux, les deux parties signeront à Kampala un mini-accord sans consistance, qui sera enterré au premier accrochage militaire sur le terrain. Au pire, rien ne sera signé et les armes parleront prochainement autour de Goma.

A contre-coeur

Depuis le début des pourparlers, il y a maintenant deux mois, la volonté de négocier ne s'est jamais vraiment manifestée, autant du côté gouvernemental, que du côté rebelle. Pressés par les chefs d'Etat de la région des Grands Lacs (CIRGL) de se mettre autour de la table, le M23 et le gouvernement congolais se sont sentis obligés de faire bonne figure et de tenter de s'accorder… en vain. Il a d'ailleurs fallu plus d'un mois pour se mettre s'accord sur le seul contenu des discussions… chacun y allant à contre-coeur, croyant embarrasser l'autre avec ses propres exigences. Pourtant, les deux camps croient pouvoir sortir gagnant des pourparlers de Kampala : le M23 pour s'être retiré de Goma et avoir "prouver sa bonne volonté de dialoguer" et Kinshasa pour avoir gagner un temps précieux en attend la force neutre de 4.000 homme qu'a décidé de mettre en place la SADC, les pays d'Afrique australe. En attendant, le M23 continue de préparer une possible reprise de Goma. Ses hommes sont à quelques kilomètres du centre de la capitale du Nord-Kivu, prêts à bondir de nouveau sur la ville.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : carte de la zone sous contrôle des rebelles du M23 © HRW

05 février 2013

RDC : Les vérités sur le M23 de Joseph Kitenge Mulongoy

Dans une tribune publiée par Afrikarabia le 15 janvier 2013, intitulée "Pourquoi accuser le seul M23 ?", des intellectuels dénoncaient la "lecture partiale" et "réductrice" du conflit qui sévit actuellement dans l'Est de la République démocratique du Congo. Les signataires de la tribune considéraient que "s'acharner contre une seule rébellion" (le M23) ne fait qu'occulter le rôle des dizaines d'autres groupes armés. Le député congolais Joseph Kitenge Mulongoy a souhaité répondre à ce texte "erronné", selon lui, et "rétablir la vérité". Voici ses explications.

Afrikarabia logo V2.pngJe viens de lire, via le blog Afrikarabia, la correspondance que vous avez adressée à Son Excellence Monsieur le Secrétaire Général de l’ONU en rapport avec la situation qui prévaut à l’Est de la RDC, correspondance dans laquelle vous fustigez la mise en accusation de la seule rébellion du M23 par le rapport des experts de l’ONU (le texte de la tribune est accessible ici). Selon vous, il y a « acharnement contre une seule rébellion » alors qu’il y en a plusieurs (que vous énumérez) qui sont même plus anciennes que le M23. Vous mettez ainsi en cause l’impartialité des experts.

                                 Dans le souci de rétablir la vérité, permettez-moi de vous dire que votre lecture de la situation est erronée dans une bonne mesure.  Lorsque vous dites, je cite : « L’irruption du M23 sur la scène du drame congolais est postérieure à la présence de la Monusco et des groupes armés au Congo. Cela veut dire que le M23 est moins la cause qu’une simple conséquence d’une crise régionale aux multiples facettes » vous êtes tout à fait à coté de la plaque. La vérité, en effet, c’est que le M23 est une rébellion vieille de 14 ans révolus qui a commencé depuis 1998 ! En 1998 on l’appelait RCD, ensuite elle est devenue CNDP et aujourd’hui M23. Il vous suffit d’ailleurs de reconsidérer son appellation « M23 » qui se réfère aux accords du 23 mars 2009 entre le Gouvernement et la rébellion du CNDP pour comprendre sans équivoque que le M23 c’est bien le CNDP. Rien que par là il est erroné de parler aujourd’hui d’une « irruption » comme si le M23 venait de nulle part, alors qu’il est le CNDP rebaptisé.
Cela étant clarifié, il ne reste qu’à vous démontrer que le CNDP est lui-même le relais du RCD (rébellion née en 1998) et ensuite que le RCD est une création du Rwanda, pour vous amener à comprendre par déduction logique que le M23 c’est bien le RCD et que, de ce fait, il est une création du Rwanda. Vous comprendrez alors la pertinence du rapport des experts de l’ONU qui n’a pas mis les groupes armés que vous citez dans le même sac que le M23. Ces autres groupes armés, à l’exception du FDLR, LRA et ADF, ne sont que des mouvements de résistance nés en réponse aux exactions de ces rébellions pro rwandaises contre des civiles sans défense. Que le M23 soit considéré comme une organisation criminelle, cela est juste au regard des dégâts humains que cette rébellion engendre depuis 1998.

                                  Pour mieux appréhender cette situation qui, avouons-le, est très complexe, il faut remonter à 1996 lorsque, deux ans après le génocide rwandais de 1994, l’armée rwandaise escorte Monsieur Laurent Désiré Kabila au pouvoir à Kinshasa. A cette occasion, l’armée rwandaise s’est livrée à la chasse aux génocidaires dont la présence parmi les réfugiés rwandais dans les Kivus constituait une menace. Il s’est fait que dans leur traque des génocidaires hutus les soldats rwandais (presqu’exclusivement tutsis) ont commis des graves erreurs en tuant aussi des hutus congolais (morphologiquement semblables aux génocidaires). Puisque les soldats rwandais étaient seuls maîtres sur le terrain en sorte que personne ne pouvait venir en aide aux populations civiles des Kivus, celles-ci se sont constituées en groupes de résistances sous l’appellation commune de « Mayi-mayi ». Ce ne fut qu’à partir de ce moment que ce mot « Mayi-mayi » commença à être entendu et ce fut aussi le début du désordre dans les Kivus.
 
Ensuite, lorsqu’en 1998 le Président Laurent Désiré Kabila divorce brutalement d’avec l’armée rwandaise en l’accusant de (je cite) « vouloir dominer tout le monde », celle-ci se replie à Goma et commence une rébellion sous l’appellation de « RCD ». Profitant du fait qu’il existe en RDC des tutsis autochtones du Nord-Kivu, ces soldats rwandais devinrent tout simplement des rebelles congolais pour le compte du RCD. Cela radicalisa encore les Mayi-mayi si bien que, pour asseoir sa domination, la rébellion du RCD fut obligée de commettre des graves exactions contre la population civile que vous êtes sensés ne pas ignorer (le massacre de Kiwanja, le massacre de Makobola où plusieurs femmes furent enterrées vivantes, etc.).

A la faveur des accords inter congolais de Lusaka, puis ceux de Sun City, le RCD devint un parti politique et son chef politique devint un des 4 vice-présidents de la République. Il fut convenu que toutes les rebellions (RCD ainsi que le MLC qui opérait à l’Ouest du pays) déversent leurs armées au sein de l’armée nationale et, chose significative, que le commandement de l’armée de terre soit confié au RCD. Il y eut un semblant de paix qui nous a permis d’organiser un référendum constitutionnel et de mettre en place des institutions démocratiques à l’issue des élections générales de 2006. Nous étions alors engagés dans un grand chantier de reconstruction nationale, y compris celle de l’armée. Mais premier bémol : les soldats rwandophones (donc issus du RCD) refusent d’être brassés pour aller servir sous le drapeau dans d’autres provinces de la RDC !  Puisque les rebelles devaient intégrer l’armée et la police nationales avec leurs grades respectifs, la chaîne de commandement dans les Kivus se retrouva presqu’exclusivement sous contrôle des officiers issus du RCD. Dès cet instant, parler de l’armée et de la police nationales dans les Kivus c’est designer les « ex-rebelles » du RCD et donc, c’est designer en réalité l’armée rwandaise. Ce sont donc une FARDC et une PNC qui étaient loin de rassurer les populations civiles qui ne comprenaient pas comment les mêmes soldats étrangers qui les ont massacrées hier peuvent devenir des nationaux protecteurs du jour au lendemain. De l’autre coté « l’armée » et « la police » (hier RCD) demeurent sur le qui-vive face à une population dont ils sont certains qu’elle ne les porte pas, redoutant une attaque dans tout ce qui bouge. Dans ce climat de méfiance proche de la paranoïa de deux cotés, des soldats (ex-RCD) commettront encore beaucoup d’exactions. Ils se mutineront par la suite pour créer une deuxième  rébellion baptisée CNDP toujours sous le parrainage du Rwanda. En conséquence, les groupes Mayi-mayi reprendront aussi de plus belle, considérant les rebelles comme des « occupants ».

Si donc vous appelez ces groupes Mayi-mayi comme étant des rebellions c’est parce que vous êtes piégés par la stratégie de leurs adversaires. En effet, jusqu’aux accords de Sun City les Mayi-mayi combattaient l’occupant et oppresseur rwandais déguisé en « RCD ». Après Sun City ils combattent le même RCD mais qui devient l’Armée et la Police Nationales, et du coup ce sont eux qui passent pour des rebelles ! Lorsque plusieurs fois on a dit : « les Mayi-mayi ont attaqué les positions des FARDC » il faut bien comprendre que les Mayi-mayi ne voyaient pas les FARDC quoique arborant l’insigne du drapeau national ; ils voyaient plutôt (et à juste titre) les occupants RCD (ou CNDP). Car ceux que l’on voit aujourd’hui sous le label « FARDC » ce sont les mêmes qu’on voyait hier sous le label « RCD » ou « CNDP ».

L’autre astuce de Kigali qui piège vos éminences c’est que, depuis la première mutinerie des soldats pro rwandais (CNDP) un bon nombre d’entre eux restent systématiquement dans le camp du Gouvernement (FARDC). C’est encore le cas aujourd’hui avec le M23 où seule une partie de l’ex-CNDP s’est mutinée. Cela fait que lorsque le Gouvernement veut mener une offensive c’est avec les officiers et soldats de la « rébellion » qu’il concocte des plans pour combattre la rébellion. Vous comprenez à présent pourquoi le Gouvernement ne gagne pas de bataille contre les rebellions de l’Est et pourquoi, pour les groupes de résistance à l’Est, entre les rebelles (CNDP ou M23) d’une part et l’armée gouvernementale de l’autre, c’est comme « bonnet blanc » et « blanc bonnet ».

Il suffit que le Rwanda arrête de militariser l’Est de la RDC et que par conséquent le cycle des rébellions s’arrête, que les soldats congolais d’expression rwandophone acceptent de servir sous le drapeau sur l’ensemble de la RDC (2.345.000 km²), et le résultat sera la restauration de l’autorité de l’Etat. Aujourd’hui, du fait de ces yoyos des Kivus et de la tactique d’infiltration du corps de l’armée et de la police par des éléments à la vocation contraire au bienêtre des congolais, cette autorité de l’Etat est très érodée. Pour un pays doté d’aussi importantes ressources minières que la RDC, l’absence de cette autorité laisse un champ libre à la manifestation des convoitises affairistes dans un climat de chao et au mépris des lois.

S’il est légitime pour le Rwanda de se protéger contre les menaces des FDLR, les dirigeants rwandais devraient savoir que c’est avec une RDC stable et militairement efficace qu’ils pourront y parvenir ; pas seuls. En déstabilisant l’Est de la RDC tel que c’est le cas actuellement, le Rwanda ne fait que pérenniser et rendre plus insaisissable  le FDLR. La communauté internationale doit s’y impliquer très rapidement de peur que cette partie de notre pays ne devienne un espace vitale pour les terroristes que personne ne saura plus contrôler, même pas le Rwanda lui-même.

                                  Chers Messieurs et Dames,

                                  Après cette mise au point j’espère que vous adopterez dorénavant une attitude idoine. Personne ne menace les congolais d’expression rwandophone, contrairement à ce que vous prétextez dans votre correspondance. Dans l’histoire de notre pays certains de ces compatriotes ont occupé des très hautes fonctions comme celles du Directeur de Cabinet du Président de la République, d’autres des Sénateurs ou mandataires publics, sans que cela dérange qui que ce soit. Ce n’est pas parce qu’il y a eu génocide des tutsis au Rwanda que les tutsis de la RDC devraient revêtir un statut spécial. Ils sont citoyens au même titre que ceux des autres ethnies, et tous nous devons par conséquent être protégés par les mêmes lois et au même pied d’égalité.

Lorsque vous dites dans votre correspondance qu’une partie des terres rwandaises s’était retrouvée annexée au Congo à la faveur de la conférence de Berlin en 1885, nous comprenons que vous faites une introduction au plaidoyer du Rwanda qui a besoin de récupérer « son morceau ». Nous ne sommes pas dupes ; nous avons commencé à le comprendre dès l’instant où leurs marionnettes du CNDP avaient fait inscrire le découpage de la province du Nord Kivu en deux morceaux parmi leurs revendications du 23 mars 2009. C’est là la stratégie du Rwanda qui consiste à semer la terreur pour décourager nos esprits, à occuper le morceau convoité et à y infiltrer massivement les citoyens rwandais. En martelant sur les soi-disant messages de haine du Gouverneur du Nord-Kivu (sans faire aucunement allusion aux atrocités infligées aux civiles), nous vous voyons préparer l’opinion internationale à légitimer la demande du référendum d’autodétermination qui est la prochaine étape à venir.

Nous exigeons du respect de la part du Rwanda. Les lois internationales doivent être respectées aussi. Il n’y a pas qu’au Rwanda et en RDC où, à l’issue de la Conférence de Berlin de 1885, des ethnies se sont retrouvées à cheval sur deux frontières. Du reste, rien n’indique dans notre cas que c’est un morceau du Rwanda annexé au Congo et pas un morceau du Congo annexé au Rwanda. Tant qu’il y aura des tueries barbares à l’encontre de populations bantoues de l’Est, tant que leurs femmes et leurs filles seront impunément violées, c’est très injuste de leur dénier le droit de se défendre et de dénoncer leurs bourreaux. Il faut donc que les soldats rwandais retournent au Rwanda et que les soldats et policiers tutsis de la RDC acceptent de quitter l’Est pour aller servir le pays ailleurs (s’ils sont réellement congolais) afin de permettre que d’autres viennent assurer la sécurité des biens et des personnes, y compris des tutsis civiles comme ce fut le cas depuis toujours jusqu’en 1996.

Tout en vous remerciant de votre attention, je vous adresse mes salutations distinguées.

Pasteur KITENGE MULONGOY Joseph,
Député National de la RDC

03 février 2013

RDC : Les nouveaux rebelles du Sud-Kivu

Une nouvelle rébellion a vu le jour à Bukavu, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). L'Union des Forces Révolutionnaires du Congo (UFRC) se présente comme une coalition de 12 groupes rebelles avec pour objectif "le départ de  Joseph Kabila" et "la défense du territoire national". Qui sont-ils ? Portrait.

Capture d’écran 2013-02-03 à 22.04.49.pngLe retour de la guerre dans l'Est de la République démocratique du Congo, depuis l'apparition du M23 en avril 2012, a provoqué la multiplication de nombreux groupes rebelles ou d'auto-défense. Le dernier en date vient de se créer à Bukavu (Sud-Kivu) sous le nom  d'Union des Forces Révolutionnaires du Congo (UFRC). Il ne s'agit pas d'un mouvement armé supplémentaire, mais d'une coalition d'une douzaine de groupes déjà constituée.

Renverser Joseph Kabila

Les revendications de l'UFRC sont clairement orientées contre le régime de Joseph Kabila dont la réélection en novembre 2011 est toujours contestées. La coalition demande le départ du président Kabila, l'organisation "d'élections démocratiques", la création "d'organes nationaux de transition" et enfin "la réforme du système de défense et de sécurité". Ce mouvement assure être soutenu "par la Société civile" ainsi que "par d'autres formations politiques". (Voir la déclaration de l'UFRC envoyée aux Nations unies).

Contre la "balkanisation"

Dans la ligne de mire de cette coalition, il a bien sûr le conflit qui oppose la rébellion du M23 (soutenu par le Rwanda) et les autorités congolaises. Mais il y a surtout le rôle du voisin rwandais, une "puissance étrangère" accusée de vouloir "balkaniser" les deux Kivus (Nord et Sud) riches en minerais. Contacté par Afrikarabia, le colonel Maké Silubwe, un des responsables de la coalition, estime que l'UFRC "n'est pas un allié du M23". D'ailleurs une des raisons de la création de cette rébellion, est le nombre "trop important de rwandais" dans les FARDC, l'armée régulière congolaise. Selon Maké Silubwe, il y a "une trentaine d'officiers rwandais au sein des FARDC". On a donc bien compris que si l'UFRC est "anti-Kabila" comme le M23, la comparaison s'arrête là avec les rebelles du mouvement du 23 mars. Maké Silubwe prend la peine de préciser : "il n'y a aucun étranger dans notre mouvement… à la différence du M23".

En contact avec "Gédéon"

A la tête de l'UFRC, on trouve Gustave Bagayamukwe Tadji, le président du comité de coordination. Candidat malheureux à la députation, en novembre 2011 dans la ville de Bukavu, il avait fortement dénoncé la "non-conformité du scrutin". Le colonel Silubwe n'a pas souhaité nous donner un chiffre sur le nombre d'hommes que représente les 12 groupes armés membres de l'UFRC. Selon lui, l'ensemble des groupes armés de la province du Sud- Kivu serait désormais sous commandement de l'UFRC. La coalition regroupe les Raïa Mutomboki dans les territoires de Shabunda, Mwenga et Kalehe ainsi que les Maï-Maï de Bunyakiri, Kalehe, Walikale, Masisi et Lubero. Maké Silubwe nous a ensuite affirmé que son mouvement était en connexion avec le groupe de Kyunga Mutanga, alias Gédéon, un chef rebelle qui sévit au Nord du Katanga, la province voisine. "Gédéon ne fait pas partie de l'UFRC, mais nous sommes en contact et poursuivons le même objectif, le départ de Joseph Kabila" a précisé le colonel Silubwe. Toujours selon ce responsable de l'UFRC, "si on regroupe notre coalition avec les autres groupes rebelles du Nord-Kivu (M23 excepté, ndlr), on arriverait à un chiffre total de 20.000 hommes". Un chiffre bien sûr invérifiable.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Gustave Bagayamukwe Tadji en campagne électorale en 2011 © DR

2012 : Année noire en RDC

Dans son rapport mondial annuel, Human Rights Watch (HRW) revient sur les faits marquants de l'année 2012 en République démocratique du Congo (RDC). Elections truquées, atteintes aux droits de l'homme, exactions, crimes de guerre, viols de masse, justice sélective… le constat est accablant.

Capture d’écran 2013-02-03 à 15.55.44.pngLe portrait de la République démocratique du Congo dressé par l'ONG Human Rights Watch dans son rapport sur l'année 2012 est particulièrement sombre. Les élections frauduleuses, fin 2011, suivies de violences post-électorales, ainsi que la reprise de la guerre à l'Est du pays entre le M23 et l'armée régulière, ont profondément dégradé la situation des droits de l'homme au Congo.

Violences électorales

Les élections présidentielles et législatives de novembre 2011 ont été entachées de nombreuses irrégularités et des soupçons de fraudes massives. Si le président Kabila a été déclaré vainqueur du scrutin, les observateurs internationaux ont dénoncé "le manque de transparence et de crédibilité" du processus électoral.

Human Rights Watch affirme que "les pires violences liées se sont produites dans la capitale, Kinshasa, où au moins 57 partisans ou sympathisants présumés de l'opposition ont été tués par les forces de sécurité, en grande partie par la Garde républicaine de Kabila". L'ONG a recueilli des informations crédibles faisant état "de près de 150 personnes tuées pendant cette période, dont les corps auraient été jetés dans le fleuve Congo, dans des fosses communes dans les banlieues de Kinshasa, ou dans des morgues loin du centre-ville. Des dizaines de personnes accusées de s'opposer à Kabila ont été arrêtées arbitrairement par les soldats de la Garde républicaine et la police. Un grand nombre ont été placées dans des centres de détention illégaux où elles ont été maltraitées et certaines ont été tuées".

Le M23 au banc des accusés

Les rebelles du M23, en lutte contre les autorités congolaises et l'armée régulière (FARDC), sont également la cible de l'ONG. Human Rights Watch dénonce le recrutement forcé "d'au moins 149 personnes, dont au moins 48 enfants, dans le territoire de Masisi, province du Nord-Kivu, en avril et mai 2012" par les troupes du rebelles Bosco Ntaganda. HRW accuse également le Rwanda voisin pour son aide au M23, "notamment dans la planification et le commandement des opérations militaires et la fourniture d'armes et de munitions". Et de préciser : "au moins 600 jeunes hommes et garçons ont été recrutés de force ou sous de faux prétextes au Rwanda pour rejoindre la rébellion". Le Rwanda a toujours nié ces accusations et le M23 s'est également défendu des attaques d'Human Rights Watch en remettant en cause les conditions dans lesquelles ont été recueillis ces témoignages. La rébellion a plusieurs fois demandé à la communauté internationale et aux ONG de venir contrôler la situation des droits de l'homme dans les zones qu'elle administre... en vain.

Human Rights Watch persiste et signe en rappelant que lors de la prise des villes de Goma et Sake par les rebelles, "les combattants du M23 ont commis des crimes de guerre généralisés, notamment des exécutions sommaires, des viols et le recrutement d'enfants : au moins 33 nouvelles recrues et d'autres combattants du M23 ont été exécutés alors qu'ils tentaient de fuir". Toujours selon HRW, des journalistes et des militants des droits de l'homme qui ont rendu compte des exactions du M23 "ont reçu des menaces de mort". "Des combattants du M23 ont tenté de violer une militante des droits humains dans le territoire de Rutshuru et lui ont dit qu'ils l’avaient prise pour cible en raison de son travail. Quand elle a essayé de s'enfuir, ils lui ont tiré dans la jambe", accuse l'ONG.

FDLR, Maï-Maï, LRA… and Co

Le M23 n'a pas le monopole des exactions en République démocratique du Congo. Les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), un groupe rebelle en majorité hutu rwandais dont certains membres ont pris part au génocide de 1994 au Rwanda, ainsi que d'autres groupes armés congolais, "ont augmenté leurs activités militaires, en profitant de la montée des tensions ethniques et du vide sécuritaire créé par la focalisation de l'armée sur le M23", souligne Human Rights Watch. Les groupes d'auto-défense congolais Maï-Maï ont également commis de nombreuses exactions, comme les Raï Mutomboki. "Des centaines de civils ont été tués dans les territoires de Masisi, Walikale, Kalehe et Shabunda dans le Nord et Sud-Kivu", dans des combats entre Raïa Mutomboki, FDLR et alliés congolais. HRW précise que "le M23 a cherché à s'allier avec certains des autres groupes armés, en leur fournissant un soutien périodique ou continu".

L’Armée de résistance du Seigneur (LRA), de l'ougandais Joseph Kony,  continue de semer la terreur dans le Nord-Est de la République démocratique du Congo. Human Rights Watch signale "273 attaques de la LRA entre octobre 2011 et octobre 2012, au cours desquelles au moins 52 civils ont été tués et 741 autres enlevés".

Justice fantôme

L'ONG pointe également le manque d'impartialité de la justice congolaise, accusée d'être une simple courroie de transmission du régime de Kinshasa. Le procès des assassins du militant des droits de l'homme, Floribert Chebeya et de son chauffeur Fidèle Bazana, est emblématique des carences de la justice congolaise. Si quatre policiers ont été condamnés à mort et un autre à la réclusion à perpétuité, le général John Numbi, ancien chef de police et impliqué dans l'assassinat, "n'a pas été arrêté et n’a apparemment pas fait l’objet d’une véritable enquête", dénonce le rapport d'HRW. Mais l'affaire Chebeya n'est pas la seule. Le 2 décembre 2011, les autorités judiciaires ont ouvert une enquête sur les violences électorales du 26 et du 28 novembre 2011. Un an plus tard, l'enquête n'a toujours pas avancé.

Human Rights Watch revient aussi sur le cas de Bosco Ntaganda, un des chefs rebelles du M23, accusé d'utiliser des enfants-soldats dans ses troupes. La Cour pénale internationale (CPI) est toujours à sa recherche, et la RDC ne l'a toujours pas arrêté.

Pressions américaines

La dernière partie de l'état des lieux d'Human Rights Watch en RDC est consacré à la communauté internationale. L'ONG rappelle le déploiement américain, en 2011, de 100 membres des forces spéciales dans la région pour lutter contre la LRA. Mais également la mise en place de la loi Dodd-Frank pour endiguer le commerce de minerais de guerre, en provenance de la RDC. Deux initiatives louables, mais qui peinent à prouver leur efficacité. HRW rappelle que les Etats-unis "suspendaient pour la deuxième année le financement militaire étranger, en raison de la continuation par l'armée du recrutement et de l'utilisation d'enfants soldats". Et d'annoncer que  l'administration américaine avait également annoncé qu'elle "ne formerait pas un second bataillon de l'armée jusqu'à ce que la RD Congo ait signé un plan d'action de l'ONU pour mettre fin à l'utilisation d'enfants soldats".

Un acteur essentiel n'est pas mentionné dans ce rapport d'HRW. Il s'agit de la Monusco, la mission des Nations unies au Congo. Sous le feu des critiques pour son inaction, la Monusco, forte de 17.000 hommes (dont un peu plus de 5.000 dans les Kivus), peine à trouver sa place dans le conflit. Accusée de suppléer une armée congolaise défaillante et qui n'est pas exempt d'exactions sur la population civile, l'ONU est en quête de solutions pour reprendre la main sur le terrain. Une force d'intervention rapide est à l'étude. Mais ils sont peu nombreux à croire à son efficacité… voir à sa réalité.

Avenir sombre

2013 sera-t-elle une meilleure année pour les Congolais ? Pas si sûr. Les premières ébauches de négociations à Kampala, entre le M23 et le gouvernement, sont au point mort. La majorité des observateurs doutent d'un quelconque accord en Ouganda et misent plutôt sur une reprise des hostilités autour de Goma, où plus au Sud, vers Bukavu, où la tension s'est brusquement accrue. Un nouveau mouvement rebelle a d'ailleurs vu le jour au Sud-Kivu : l'UFRC (Union des Forces Révolutionnaires du Congo). Cette coalition, présidée par Gustave Bagayamukwe Tadji, souhaite l'organisation d'"élections démocratiques" et promet qu'elle va "diriger prochainement" la province "en attendant la démission effective du régime actuel". 2013 commence bien mal.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Kinshasa © Ch. Rigaud - www.afrikarabia.com

01 février 2013

RDC : "La violence se déplace" vers le Sud-Kivu, selon le CICR

Depuis le retrait des rebelles du M23 de la ville de Goma, fin novembre 2012, un calme précaire règne autour de la capitale du Nord-Kivu. Selon le Comité international de la Croix Rouge (CICR), «plusieurs dizaines de milliers familles déplacées continuent de souffrir» et «la violence s'est propagée» pour gagner Bukavu et le Katanga.

filtre DSC02375.jpgPendant que la rébellion du M23 et le gouvernement congolais tentent de négocier à Kampala, la situation sécuritaire reste fragile dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Selon le CICR la population civile continue de payer un lourd tribut au conflit qui oppose les multiples groupes armés et l'armée régulière. «Que ce soit dans la région du Masisi au Nord-Kivu, où les affrontements entre militaires et groupes armés ont continué, ou dans le Katanga où la violence est toujours présente, de nombreuses personnes, craignant pour leur sécurité, ont été forcées de se déplacer. Des actes de violence à l’égard de la population, pillages, rackets, etc., ont également été commis», explique Franz Rauchenstein, le chef de la délégation du CICR en République démocratique du Congo.

Si la situation reste calme autour de la ville de Goma, depuis le retrait des rebelles du M23, l'insécurité s'est déplacée et gagne désormais le Sud-Kivu, relativement épargné jusque là. Selon Laetitia Courtois, chef de la sous-délégation du CICR de la province, «on observe aujourd'hui un regain d'hostilités entre groupes armés. Les combats se rapprochent de plus en plus de la ville de Bukavu, et des zones très reculées, comme les territoires de Kalehe, au nord de Bukavu, et de Walungu / Shabunda, au sud-ouest, sont également touchées par les affrontements.»

Au Katanga, un peu plus au Sud, la situation «se dégrade», selon le CICR. La violence augmente et les déplacements de populations aussi. Dans la localité de Bunkeya au nord de Likasi, la Croix-Rouge de la RDC «a distribué des articles de première nécessité (casseroles, houes, bâches, habits) à plus de 850 personnes déplacées par les violences plus au nord, dans le territoire de Mitwaba. Mais ces familles ont dû fuir à nouveau en raison d'affrontements à Bunkeya.»

Alors que les négociations de Kampala entre M23 et gouvernement congolais sont toujours dans l'impasse, de nombreux observateurs internationaux craignent le retour des combats à l'Est, avec un risque d'embrasement au Sud-Kivu, au Katanga, mais aussi au plus au Nord, dans le Masisi et en Ituri. Une crainte qui correspond aux inquiétudes du CICR dans ces zones.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo © Ch. Rigaud - www.afrikarabia.com

RDC : Le M23 cherche de nouveaux alliés

Alors que la possibilité d'un accord s'éloigne entre les rebelles du M23 et le gouvernement congolais, de nouveaux acteurs font leur entrée dans le conflit du Kivu : l'Afrique du Sud, la Tanzanie et le Congo-Brazzaville. Le M23 compte sur ces  pays pour contraindre Kinshasa au compromis politique.

filtre DSC04014.jpgLes deux discours sont toujours irréconciliables. La rébellion du M23 demande un changement de régime à Kinshasa, assorti du départ du président Joseph Kabila, alors que le gouvernement congolais refuse toute "négociation politique" et attend l'arrivée d'une hypothétique force internationale neutre (FIN). Mais au mini-sommet de l'Union africaine ce week-end à Addis-Abeba, la création d'une force neutre s'est peu à peu éloignée… Aucun accord n'a été signé. "Questions de procédures",  selon Ban Ki-moon, le patron de l'ONU. En cause : les contours de la force neutre. L'ONU veut l'intégrer au sein de la Monusco, la mission des Nations unies en RDC. Mais la Tanzanie et l'Afrique du sud, susceptibles d'alimenter cette force, refusent. Selon la SADC, l'organisation régionale, dont l'Afrique du Sud et la Tanzanie sont membres, ces pays préféreraient avoir "les mains libres" et "piloter seuls" la force neutre. Résultats : Kinshasa n'est pas prêt de voir une telle force venir s'interposer à l'Est de la RDC entre l'armée congolaise et les rebelles du M23.

L'option sud africaine

Un projet de force neutre qui s'éloigne… et le M23 qui reprend confiance. L'abandon provisoire de cette force est un coup dur pour les autorités congolaises, mais constitue une occasion en or pour la rébellion de se chercher de nouveaux alliés. Une délégation rebelle, avec le député congolais Roger Lumbala à sa tête, aurait décidé de se rendre dans la capitale sud africaine. Accompagné d'Antipas Mbuasa Nyamwisi, ancien ministre des affaires étrangères et de Deogracias Bugera, ancien proche de Laurent Désiré Kabila, Roger Lumbala serait venu défendre la cause du M23 auprès des autorités sud africaines. Prétoria n'a pas été choisie au hasard par les rebelles congolais. L'Afrique du Sud est l'un des poids lourds du continent et a joué, par le passé, plusieurs fois le rôle de médiateur. L'accord de 2002, signé à Sun City, institua le fameux "1+4" (1 président et 4 vices présidents) et a permis d'amorcer une période de transition politique. L'Afrique du sud pourrait constituer un "allié" important du M23 pour les mois suivants, qui s'annoncent délicats… surtout si les événements venaient à mal tourner du côté du Goma. La capitale provinciale du Nord-Kivu est toujours à portée de fusils des rebelles, qui campent à Munigi… à moins de 5 km du centre-ville.

Sassou à la manoeuvre

Après l'Afrique du Sud, la Tanzanie, absente un temps sur le plan régional, chercherait  à revenir sur le devant de la scène. Le conflit congolais constituerait une excellente "opportunité" de jouer un rôle régional majeur dans la crise des Grands Lacs. Mais la surprise pourrait venir du Congo-Brazzavile, qui se verrait bien "indispensable" dans un certain nombre de crises, comme la Centrafrique, où Sassou Nguesso à joué les facilitateurs "à poigne" entre Bozizé et la Séléka. L'arrivée de Sassou Nguesso dans le dossier congolais est intervenue en deux temps. Très "distant" avec le président Kabila, il s'est d'abord rapproché de Paul Kagame, le président rwandais, accusé de soutenir les rebelles du M23. En août 2012, alors que le Kivu s'enflammait de nouveau, avec l'offensive du M23 sur l'armée régulière, Sassou et Kagame mettaient en place des "axes de coopérations prioritaires" dans le tourisme, le transport (lignes aériennes), l'environnement et l'habitat. Du côté de Kinshasa, les commentateurs trouvaient cette manoeuvre diplomatique "un peu suspecte" en des temps si troublés. Après une brève rencontre avec le président Kabila, le 19 janvier dernier, Sassou Nguesso, laissé entendre qu'il pourrait organiser "une rencontre à trois", avec Paul Kagame, Joseph Kabila et lui-même, pour "résoudre efficacement la crise sécuritaire" en RDC. Sassou souhaite une sortie de crise "négociée" entre les deux parties et il est fort à parier qu'après l'Afrique du Sud et la Tanzanie, une délégation du M23 débarque à Brazzaville pour plaider sa cause.

L'échec annoncé de Kampala risque donc de donné lieu à un scénario en deux actes : tout d'abord une reprise des affrontements autour de Goma et Bukavu et ensuite, un second round de négociations, où, en plus du Rwanda et de l'Ouganda, on risque de retrouver l'Afrique du Sud, la Tanzanie et le Congo-Brazzaville à la manoeuvre. Mais attention, il n'y aura pas de place pour tout le monde.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo © Ch. Rigaud - www.afrikarabia.com

29 janvier 2013

RDC : Décentralisation à haut risque au Katanga

Adoptée en 2006 dans la constitution, la décentralisation tarde toujours à se concrétiser en République démocratique du Congo. En visite dans la bouillonnante province du Katanga, le ministre le l'intérieur a affirmé que la décentralisation se fera "au rythme de chaque province". Une formule "à la carte" pour tenter de rassurer les Katangais, partagés entre l'envie d'autonomie et la crainte d'éclatement de leur riche province.

filtre Katanga DSC02227.jpgAu Katanga, Richard Muyej, le ministre de l'intérieur congolais, marche sur des oeufs. Ici, certains Katangais voient d'un très mauvais oeil le redécoupage provinciale proposé par la constitution de 2006… et toujours pas en vigueur. Le texte prévoit le passage de 11 à 26 provinces. Ce nouveau découpage territorial permettrait aux provinces d'acquérir "une autonomie de gestion en conservant 40 % de leurs recettes" afin de gérer une fonction publique provinciale, des programmes miniers et forestiers et des investissements en infrastructures. L’article 2 de la constitution stipule également que les 26 provinces pourraient être "redécoupées et réunifiées, selon la volonté du peuple"... d'où une certaine inquiétude chez certains Katangais.

Le "Katanga utile"

Le sujet de la décentralisation est particulièrement sensible au Katanga, partagé entre zones minières riches au Sud et agricoles pauvres au Nord. L'actuel Katanga pourrait être morcelé en 4 territoires distincts :  le Haut-Katanga, le Haut-Lomami, le Tanganyika et le Lualaba. Les Katangais du Nord craignent d'être les laissés pour compte du Sud, le "Katanga utile". A la tête de l'Assemblée provinciale, le turbulent Gabriel Kyungu, plaide lui pour un fédéralisme "assumé". Avec son parti, l'Unafec, le patron de la province prône un Katanga "fort" et plus "autonome". Ses opposants  l'accusent de vouloir renouveler les velléités sécessionnistes de 1960 et de vouloir "balkaniser" la RDC. Pour seule réponse, Gabriel Kyungu a lancé un pétition en faveur du fédéralisme depuis l'été 2012. Son objectif : 100.000 signatures pour faire bouger le pouvoir central. Il en aurait recueilli pour le moment 53.000.

Indépendantistes en embuscade

Véritable serpent de mer en République démocratique du Congo, la décentralisation constitue pourtant l'une des solutions pour sortir le pays des crises à répétition : Nord et Sud-Kivu, Ituri, Equateur, Bas-Congo et… Katanga. Comme pour marquer le passage du ministre de l'intérieur à Lubumbashi, la capitale katangaise, un groupe de miliciens Maï-Maï nommé "Bakata Katanga" a réclamer mardi 29 janvier "l'indépendance de la province". Cette milice sème la terreur depuis plusieurs semaines parmi l'ethnie luba et s'en prend également aux forces de sécurité congolaises. Dimanche 27 janvier, la chefferie de Kikondja situé dans le territoire de Bukama a été le théâtre de violences provoquées par les "indépendantistes" katangais. Bilan : 4 morts côté Maï-Maï et un policier blessé.

D'autres milices sont également actives depuis plusieurs mois au Katanga. Début 2012, le retour de Kyunga Mutanga, alias Gédéon, a sèmé la peur au Katanga. Ce seigneur de guerre avait été condamné à la peine capitale pour crimes contre l’humanité par la justice congolaise. Emprisonné depuis 2006, Gédéon s'est évadé en septembre 2011 de la prison de Lubumbashi… en plein jour. Depuis, l'enquête est au point mort et un vent de panique souffle au Nord-Katanga... On comprend donc pourquoi Kinshasa tarde à mettre en place son nouveau redécoupage provinciale, de peur qu'une partie de son territoire ne lui échappe. Au Nord-Kivu, la rébellion du M23, le lui rappelle tous les jours.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Lubumbashi © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

26 janvier 2013

RDC : Exit la Monusco ?

La création d'une force internationale neutre signifiera-t-elle la fin de la mission des casques bleus dans l'Est de la République démocratique du Congo ? Les pays de la région, réunis au sein de la SADC et de la CIRGL, viennent de demander le remplacement de la Monusco par une force africaine. Une proposition qui pourrait sonner le glas des casques bleus en RDC.

ONU filtre1.jpgCoup dur pour la Monusco. Critiquée pour son inefficacité, la mission de l'ONU au Congo est depuis quelques semaines la cible des pays africains de la région. Les ministres de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), proposent à l'Union africaine (UA), de remplacer la Monusco par des troupes africaines. La raison avancée :  l'échec de la mission de l'ONU dans l'Est de la RDC, en proie à des conflits chroniques et son incapacité  à protéger les populations civile.

La Monusco sur la sellette

La charge anti-Monusco est signée par le général Aronda Nyakairima, le ministre ougandais de la Défense. "Nous recommandons que l'Afrique prenne le relais de la Monusco", a précisé le général à  une agence de presse chinoise. Selon lui, "les forces africaines peuvent mieux faire que les forces internationales qui viennent de l'extérieur et qui ne ne savent pas ce qu'elles font". Une critique qui tombe après que certains membres de l'ONU se déclarent "contre l'idée de déployer une force internationale neutre pour combattre les forces négatives" en République démocratique du Congo. Ces membres proposaient une "simple" intégration de la force neutre à la Monusco. Proposition inacceptable pour le général ougandais Nyakairima.

1,5 milliards de dollars… pour rien !

Depuis plusieurs mois, pour ne pas dire plusieurs années, les casques bleus sont l'objet de nombreuses critiques. La récente prise de la ville Goma par les rebelles du M23 constitue "la goutte d'eau qui a fait déborder le vase". Pour Godefroid Kä Mana, du pole Institut, sur le site radiozones.com, la mission des Nations unies est coûteuse (1,5 milliard de dollars) pour un résultat inexistant. "Quand le M23 est entré dans la ville de Goma", raconte-t-il, "j'ai beaucoup aimé la justification de l'inertie de la Monusco. Un responsable de l'ONU expliquait qu'ils étaient à Goma pour protéger la population et il n'a pas vu le M23 s'attaquer à la population ! Le deuxième argument était de dire que la Monusco est une force de soutien et d'appui à l'armée congolaise, mais le problème était que l'armée congolaise avait disparu ! ".

Des casques bleus "bunkerisés"

La demande de la SADC et de la CIRGL de remplacer la Monusco par des troupes africaines s'explique par 2 raisons.  La première est strictement militaire. Les pays africains estiment, à juste titre, que les troupes "asiatiques" basées à l'Est, venant du Pakistan, de l'Inde ou du Bangladesh, sont inefficaces… et le seront toujours. "Peu impliqués", "refusant de prendre le moindre risque", ces troupes, bunkerisées dans leurs bases du Kivu, n'interviennent que rarement et sont accusés par la population de laisser commettre des exactions "sous leurs propres yeux" et "sans bouger". Si ce constat n'est pas "politiquement correct", la majorité des observateurs le partage. Godefroid Kä Mana, du pole Institut, explique qu'il comprend ces soldats qui souhaitent avant tout "revenir vivants" de leur mission au Congo. La SADC affirme pouvoir venir dans les Kivus avec des troupes plus "motivées" (parce qu'africaines ?) et donc plus "offensives" face aux groupes armés.

Problème africain : solutions africaines ?

La deuxième raison qui justifierai le remplacement de la Monusco par des troupes africaines est "historique". Depuis une dizaine d'année, on assiste en Afrique, à un désengagement progressif de l'ONU et plus largement des troupes occidentales sur le terrain militaire (le Mali étant l'exception qui confirme la règle). Le "sens de l'histoire" voudrait que, petit à petit, les conflits africains soient réglés par les institutions africaines (Union africaine et institutions régionales, CEDEO, SADC, CIRGL… ). A ce propos, le responsable d'International Crisis Group en Afrique centrale, Thierry Vircoulon, nous l'avait expliqué sur Afrikarabia, en précisant que ce "scénario" avait été mis en place il y a 10 ans, "lorsque l'Organisation de l'union africaine est devenue l'Union africaine (UA)" (voir son interview).

Pas de "zone franche" dans les Kivus

La constitution d'une force neutre dans la région des Kivus n'est cependant pas sans risque. Comme le souligne, l'essayiste Gaspard-Hubert Lonsi Koko, "il ne faudrait surtout pas tomber dans le piège qui consiste à installer, à travers cette force internationale neutre, une « zone franche », laquelle préfigurera à court terme la mise en place d’un futur État autonome". Les Congolais, toujours très inquiets sur le risque de "balkanisation" de l'Est du pays par le M23 et leurs alliés rwandais et ougandais, restent donc plutôt septiques sur la mise en place d'une telle force. Quand aux rebelles du M23, la création, très "hypothétique", de cette force, reste pour le moment "une fiction". Car, si le contours de cette force neutre commence à se dessiner, son financement et sa mise en place sera longue. Un spécialiste militaire de la région, nous confiait : "il faudrait 2 ans pour constituer une force efficace dans la région !".

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : L'ONU en RDC © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

25 janvier 2013

Rwanda-EXCLUSIF : Un autre document implique Paris dans le génocide des Tutsis

Après les révélations du Parisien, Afrikarabia apporte un autre document accablant contre le capitaine de gendarmerie français Paul Barril. Il apparaît plus que jamais comme l’homme de main de Paris dans le génocide contre les Tutsis du Rwanda en 1994.

Document Barril confid déf.jpgLe « Contrat d’assistance » retrouvé dans les archives de l’ancien gouvernement génocidaire à Kigali, capitale du Rwanda, est daté du 28 mai 1994. Il est signé du « Capitaine Barril », élisant domicile à sa société SECRETS, 12, avenue de la Grande Armée, dans le XVe arrondissement de Paris, et porte une seconde signature : « Son Excellence Monsieur le Premier Ministre » Jean Kambanda. Ce dernier n’était pas une oie blanche : il purge aujourd’hui une peine de prison à perpétuité pour son rôle dans le génocide des Tutsis et le massacre des Hutus démocrates en 1994.

Bagatelle pour un massacre.

La date n’est pas insignifiante. Au 28 mai 1994, deux mois après le début du génocide, le Rwanda était un charnier à ciel ouvert. Dans ce pays grand comme la Belgique, plus de 900 000 personnes avaient déjà été assassinées, hommes, femmes, enfants, bébés, vieillards. Les tueurs fanatisés avaient souvent précédé de sévices atroces l’exécution de tous ces civils sans défense, uniquement coupables d’être nés tutsis. Mais l’horreur, ou la simple morale, ne semblaient pas la préoccupation majeure de capitaine en disponibilité Paul Barril. Il « s’engage à fournir une aide sur le plan humain et matériel au Rwanda ». Sur le plan humain, « 20 hommes spécialisés », c’est-à-dire 20 mercenaires. Sur le plan matériel, l’équipement sophistiqué de ces mercenaires, et surtout des cartouches de Kalachnikov et de mitrailleuses, par millions, des obus, des grenades par milliers… A ce niveau, on arrondit la facture : il y en a pour 3 millions de dollars, la moitié payable d’avance. Compte tenu de l’inflation, ça représente en valeur d’aujourd’hui entre 5 et 6 millions d’euros.

Objectif : tuer Paul Kagame

Pour l’occasion, le capitaine de la Gendarmerie française se fait aussi payer le solde d’une précédente facture : 130 000 dollars pour « l’Opération insecticide » engagée par le président rwandais Juvénal Habyarimana un an plus tôt, en 1993. Insecticide est un nom de code que les Rwandais comprennent bien : on qualifie d’insectes (plus précisément de cafards, de blattes), les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), pour la plupart des Tutsis de la diaspora qui veulent forcer le régime à leur retour au pays.
Selon nos informations, « l’Opération insecticide » visait à assassiner Paul Kagame, le leader de la rébellion, dans son QG de Mulindi, une usine à thé abandonnée à l’est du Rwanda.

La question récurrente du rôle de la France dans le génocide

Ce « contrat d’assistance » n’était pas connu de la mission d’information parlementaire française dite « Mission Quilès », du nom de son  président, qui voulait documenter le rôle de la France au Rwanda depuis 1990, date du début de la guerre civile. En 1998, Paul Quilès n’avait même pas osé interroger Paul Barril, considéré comme intouchable et trop dangereux.
Le « Rapport Quilès » n’a, en conséquence, livré qu’une analyse édulcorée de l’implication de l’Elysée et du corps expéditionnaire français dans la guerre civile au Rwanda, qui devait aboutir au génocide.  
Aussi, depuis 1994, l’implication de hauts responsables politiques et militaires français dans la préparation du génocide des Tutsis est une question qui continue à tarauder les médias et l’opinion publique. Non seulement en France, mais aussi au Rwanda, en Europe, en Afrique. Ainsi que les intellectuels du monde entier. Et le rôle du capitaine Paul Barril semble central.

Revenons au signal déclencheur de ce génocide et du massacre des Hutu démocrates : l’attentat du 6 avril 1994 contre le Mystère-Falcon du président Habyarimana, qui a aussi coûté la vie à l’équipage composé de trois Français. C’est le capitaine Paul Barril qui fut l’instigateur de  la plainte de la veuve du copilote français et provoqua ainsi l’enquête confiée en 1998 au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière pour identifier les responsables de l’attentat. Au passage, Barril fournit aux enquêteurs - visiblement sous sa coupe - un ex-espion rwandais avec qui il entretenait des relations d’affaires, Fabien Singaye, qu’il fait promouvoir interprète assermenté. Par le jeu des alliances matrimoniales, Fabien Singaye est lié à la famille Habyarimana, partie civile à l’instruction. Une « curiosité » que les avocats de la famille Habyarimana se sont bien gardés de signaler au juge. Ce ne fut pas la moindre anomalie de la procédure.

Boomerang judiciaire

Reprise et mieux documentée par le juge Marc Trévidic, cette enquête revient en boomerang contre le capitaine de gendarmerie honoraire, qui semble avoir été la cheville ouvrière des autorités française dans le soutien aux forces génocidaires.
Il a fallu beaucoup d’énergie et de temps au juge Marc Trévidic pour progresser. Les documents sont rares, les témoins souvent manipulés. Les archives de l’Elysée furent, selon toute vraisemblance, largement « purgées » avant leur dépôt à la Fondation François Mitterrand, celles de l’ambassade du Rwanda à Paris ont également été « triées » à l’été 1994 avec l’aide de « Services » français. Celles du Quai d’Orsay, de la DGSE et de la DRM restent couvertes par le « Secret Défense ». Bien des hommes qui savaient la vérité sur le rôle de la France et de Barril sont morts. Le lieutenant colonel Ephrem Rwabalinda,  correspondant des Français au sein des anciennes Forces armées rwandaises, a été liquidé par ses compagnons d’armes en juillet 1994 au moment où il s’apprêtait à fuir en Europe pour faire des révélations. Le lieutenant colonel Ntahobari, attaché militaire de l’ambassade du Rwanda à Paris durant le génocide, est par malchance (?) décédé en région parisienne au moment où il promettait au juge Bruguière des éléments nouveaux, etc.,
Il faut donc s’en remettre à des fragments de documentation ayant échappé aux « nettoyeurs » pour se faire une idée encore générale de l’implication de Paris dans un génocide qui a provoqué environ un million de morts en trois mois.

Des morts suspectes juste avant repentance

Paul Barril semble avoir joué le rôle d’interface entre l’Elysée et le groupe d’exterminateurs de Tutsi au Rwanda. L’homme est lui-même décrit comme un individu peu contrôlable devenu, après avoir quitté la Gendarmerie nationale, un tueur à sang froid mû uniquement par l’appât du gain. Né le 13 avril 1946 à Vinay, en Isère, lui-même fils d’un gendarme à la carrière honorable, il atteint la notoriété en devenant co-fondateur puis commandant du prestigieux Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) pendant deux ans avant de participer à la création de la cellule antiterroriste de l'Élysée sous le premier septennat de François Mitterrand. Le GIGN lui a permis de cotôyer les services de renseignement français, notamment comme nageur de combat à la base secrète de la DGSE d’Aspretto, en Corse,  il fréquente aussi les nationalistes du FLNC. Dans le milieu interlope du renseignement, du trafic d’armes et du terrorisme, le gendarme perd vite ses bases éthiques. Le président de la République a une petite manie qu’exploitent ses courtisans : il adore les ragots, surtout ceux d’alcôve. Il se régale des comptes-rendus d’écoutes téléphoniques, d’apprendre qui couche avec qui dans le Tout-Paris. A la cellule de l’Elysée, véritable police politique du régime Mitterrand, Paul Barril fait merveille : écoutes téléphoniques hors normes, notamment de journalistes, filatures, opérations de désinformation…

Les exploits de « l’enfumeur »

Barril est surnommé « l’enfumeur »  par ses collègues gendarmes. Il n’a pas son pareil pour mêler le vrai et le faux, et surtout pour se mettre en scène. Son maître en la matière est François de Groussouvre, conseiller spécial de François Mitterrand pour les affaires de Renseignement… et les affaires de cœur du Président.  De Grossouvre est son rabatteur de jolies femmes, surtout il a la haute main sur les services d’espionnage et contre-espionnage. Il protège particulièrement Mazarine, la fille cachée de François Mitterrand, et sa mère Anne Pingeot. Paul Barril deviendra à la fois homme de confiance, confident, occasionnellement garde du corps aussi bien de François de Grosssouvre que de Mazarine et sa mère.

Patatras, François Miterrand le force à quitter la cellule de l’Elysée à la suite d’un retentissant scandale : une affaire de « terroristes irlandais » montée de toutes pièces par Barril et d’autres gendarmes dévoyés. Mais le flamboyant capitaine reste proche de Groussouvre quil l’a introduit auprès du président du Rwanda Juvénal Habyarimana. Pour commencer, Barril lui vend un portique de sécurité et un écran anti-balles. Ensuite, avec l’aide de Fabien Singaye, il s’introduit dans le système de Renseignement rwandais et obtient de juteux contrats.

De juteux contrats

Notre consoeur du Parisien Elisabeth Fleury vient de révéler l’un d’entre eux. Dans le milieu mercenaire, on ne s’embarrasse pas de papier à en-tête. Comme le « Contrat d’assistance » du 28 mai 1994,  c’est une lettre de quelques lignes, tapée à la machine, signée par Augustin Bizimana, le ministre de la Défense rwandais. S’adressant « au Capitaine Paul Barril ». Augustin Bizimana (aujourd’hui encore recherché par le Tribunal Pénal International) lui écrit : « Monsieur,… la situation dans mon pays devient de plus en plus critique… Vu l’évolution actuelle du conflit, je vous confirme mon accord pour recruter, pour le gouvernement rwandais, 1000 hommes devant combattre aux côtés des Forces Armées Rwandaises. » La missive est datée du 27 avril 1994, un mois avant le « Contrat d’assistance ». Les soldats des FAR sont plus occupés à tuer et à piller qu’à combattre les troupes du FPR, aussi ils reculent sur tous les fronts.

« Paul Barril, à cette époque, c’est la France »

Le Parisien écrit : « Lorsqu’il est sollicité par le ministre de la Défense rwandais, le capitaine Barril n’est pas n’importe qui. « Paul Barril, à cette époque, c’est la France, résume une source judiciaire. Officiellement, Barril est d’abord chargé d’« une mission d’infiltration » au service du gouvernement rwandais, avant d’être sollicité par la veuve Habyarimana pour enquêter sur les auteurs de l’attentat. Officieusement, son rôle est nettement plus discutable ».

Un vieillard agité de tremblements

Capture d’écran 2013-01-25 à 08.31.11.pngInterrogé à trois reprises par l’équipe singulièrement peu performante de la Division nationale antiterroriste, Paul Barril s’était tiré de questions à peine gênants par des pirouettes.
Réinterrogé en juillet dernier par les gendarmes du juge Trévidic, l’homme a perdu de sa superbe. Celui qui se plaisait à faire circuler des photos le représentant un énorme revolver 357 Magnum en mains (une arme dont la balle peut couper un homme en deux), qui se targuait d’être le meilleur tireur d’élite de la Gendarmerie française, apparaît un sexagénaire prématurément vieilli, agité de tremblements, souffrant sans doute de la maladie de Parkinson. Lui qui a si longtemps et si impunément manipulé les journalistes se  plaint des médias qui le présentent « injustement » comme un homme impliqué dans l’attentat du 6 avril 1994.  Il affirme qu’il ne s’est jamais rendu au Rwanda plus de deux ou trois jours de suite. Il confirme qu’il a été présenté à Habyarimana par Grossouvre « avant 1990 » et qu’il était chargé d’infiltrer « les Tutsi du FPR » pour les retourner. Il reconnaît avoir agi d’abord avec Groussouvre puis avec Fabien Singaye. Il prétend à présent qu’il effectuait des missions ponctuelles au Rwanda sans recevoir d’argent, seulement des billets d’avion et le remboursement de ses frais.

Mais parfois le naturel de « l’enfumeur » reprend le dessus. Paul Barril joue les diplomates de haute volée. Il affirme que c’est à son instigation que Paul Kagame « et quatre personnes dont je ne me rappelle plus les noms » sont venus à Paris en septembre 1991 pour négocier « les accords d’Arusha ». Il se présente comme agissant pour François Mitterrand afin d’aider Habyarimana à assurer la paix. Mais à d’autre moments il présente la guerre au Rwanda comme opposant « les Hutu et les Tutsi » et bien sûr il était dans le camp des Hutu.

Un alibi pour le 6 avril ?

Le plus intéressant est qu’il présente un alibi pour le 6 avril 1994. Curieusement, il s’agit d’une sorte d’attestation d’huissier à qui il aurait montré son visa et les tampons d’entrée et de sortie des Etats-Unis, où il aurait passé une quinzaine de jours missionné par la Garantie Mutelle des Fonctionnaires (GMF). Mais il s’avère aujourd’hui qu’il possédait à l’époque deux passeports français à son nom.

Paul Barril aurait été appelé par Agathe Habyarimana qu’il aurait rencontrée « complètement désemparée » par la mort de son mari pour faire une enquête sur l’attentat. On lui demande s’il ne travaille pas plutôt pour Mobutu. Il esquive en disant qu’il est allé voir aussi Mobutu en venant par Goma, et qu’un hélicoptère Gazelle l’a ensuite emmené au nord du Rwanda près de la frontière, puis à Kigali. Il insiste sur le fait qu’il était seul.
On lui présente ses précédentes dépositions et ses contradictions. Paul Barril élude encore, il ne se souvent plus. Notamment pour les lance-missiles qu’il n’aurait pas eu vraiment dans ses mains. On lui rappelle ses déclarations dans « Guerres secrètes à l’Elysée », un livre de souvenirs où il règle ses comptes après le suicide de Grossouvre, intervenu curieusement le 7 avril 1994, 24 heures après l’attentat.

Une citation accablante

Paul Barril y écrit page 176 : « J'ai appris le décès de celui que je considérais comme le général en chef d'une nouvelle armée de l'ombre, apte à rétablir la France [François de Grossouvre], sur une colline perdue au centre de l'Afrique, au moment où les officiers tutsis du Front patriotique rwandais (FPR), formés et conseillés par la C. I. A., préparaient les premiers mouvements de l'offensive qui devait leur assurer le pouvoir à Kigali, capitale du Rwanda, ainsi que le contrôle de toute la région des Grands Lacs. François Durand de Grossouvre est mort le 7 avril 1994, peu avant 20 heures. Exactement 24 heures avant, le 6 avril à la même heure, l'avion du président rwandais Habyarimana a explosé en plein vol, au-dessus du palais présidentiel de Kigali, frappé traîtreusement par deux missiles soviétiques sol air SAM 16. Leurs numéros de série indiquent qu'ils ont appartenu à l'armée irakienne. Peut-être ont-ils été récupérés par les soldats américains après la guerre du Golfe. Dans ce cas devrait-on y voir une manipulation de la C. I. A. ? Mais pourquoi ? Ou plutôt, afin de ménager les intérêts de qui, à Kigali, et au Rwanda en général ? »

Que faisait Paul Barril à Kigali le 6 ou le 7 avril, selon son propre aveu ? Il répond que le livre était en partie un roman, un « roman-enquête » et que tout n’était pas vrai. Il dit que c’était « pour faire bouger les choses ».

« Des témoignages à l’africaine »

On lui rappelle les « 80 enregistrements de témoins ayant assisté à l’attentat » dont il avait fait grand cas en 1994 dans la presse, notamment le quotidien Le Monde. Non, il n’a pas ces enregistrements, il avait simplement pris des notes », et puis c’était des témoignages « à l’africaine » (?) dont il ne se souvient pas clairement.
On lui demande ses liens avec Singaye. Il dit que c’est lui qui l’a présenté aux enquêteurs du juge Bruguière. Il reconnaît savoir que Singaye était un agent des services de renseignement. Il dit qu’il était très bien renseigné et qu’il l’aidait à enquêter sur l’attentat, « pour la défense des familles des trois militaires français de l’équipage ». On lui demande à quel titre il enquêtait. Il bafouille une vague réponse.
Barril explique que l’avion a  été abattu sur ordres de Kagame dont les hommes suivaient l’arrivée par des lunettes infra rouge. Et que les deux tirs sont partis du même endroit du camp militaire des FAR à Kanombe (il avait présenté auparavant une version bien différente, visiblement il a intégré l’expertise balistique communiquée au juge Trévidic en janvier 2012, et qui semble innocenter le FPR).

Des déclarations à géométrie variable

Pressé par ses anciens collègues gendarmes qui « connaissent la musique » , Paul Barril s’énerve progressivement. A la fin, un enquêteur lui indique qu’on va perquisitionner ses différents domiciles (trois résidences en France, dont une en montagne). Il répond qu’il ne peut assister aux perquisitions vu son état de santé. Paul Barril ironise sur l’idée qu’on pourrait demander à perquisitionner sa résidence au Qatar, et que ça n’arrangerait pas les relations entre le Qatar et la France. Humilié et mortifié d’être traité en témoin ordinaire, cet homme qui a fait trembler tant de politiciens français n’est plus que l’ombre de lui-même mais voudrait se donner de l’importance. Il ajoute que puisque c’est comme ça, il ne donnera pas les documents qu’il avait apportés. Et il refuse de signer le procès-verbal d’audition, ce qui est acté.

Récompensé par la République française pour quels services ?

Les perquisitions engagées n’ont pas été sans résultat car si Barril a souvent fait le ménage chez les autres, il avait négligé bureaux et demeures personnels. Les gendarmes ont mis la main sur quelque 800 pages de pièces accablantes, une sorte de « best of » des turpitudes de la Françafrique. L’inusable Barril était de tous les trafics d’armes, de bien des magouilles…On a ainsi découvert la demande de 1000 mercenaires pour aider au génocide contre les Tutsi, et une copie du « contrat d’assistance » passé entre Barril et le gouvernement rwandais daté du 28 mai 1994, dont le premier exemplaire avait été trouvé à Kigali. Selon Le Parisien, le juge Trévidic a réinterrogé le capitaine Barril sur ces documents le 20 décembre dernier. Ce contrat d’assistance « n’a jamais existé », prétend l’intéressé. Les factures? « Cela ne s’est jamais fait. » Il prétend que tout ça tout cela « c’est de la mayonnaise africaine. »
« Une mayonnaise de près d’un million de morts » observe notre consoeur Elisabeth Fleury. En juin 1994, juste après le génocide, Paul Barril a été promu capitaine honoraire de la Gendarmerie française. Pour quels services rendus ?

Jean-François DUPAQUIER

09:05 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (1)

24 janvier 2013

RDC-M23 : "Un compromis est possible" pour Rucogoza

Le chef de la délégation du M23 calme le jeu à Kampala. Dans une interview exclusive accordée à Afrikarabia, François Rucogoza espère signer un accord avec le gouvernement congolais. Malgré les blocages sur les questions politiques, la rébellion souhaite pouvoir aborder toutes ses revendications avec Kinshasa. Le M23 vient de demander au président ougandais Museveni de jouer les arbitres.

Capture d’écran 2013-01-24 à 00.20.00.png- Afrikarabia : Les tensions sont vives à Kampala entre le M23 et le gouvernement congolais. Les désaccords sont nombreux, notamment sur les questions de politique intérieur. Le facilitateur ougandais, Crispus Kiyonga, a refusé que ces négociations remettent en cause la légitimité du président Kabila. Vous souhaitez le récuser ?

- François Rucogoza : Le récuser ? Non, je ne crois pas. Il y a eu une petite contradiction sur un point de l'ordre du jour (les questions politiques, ndlr), mais je ne crois pas qu'on va le récuser. Nous avons demandé à la facilitation d'informer notre médiateur, le président Museveni, pour que l'on puisse faire quelques précisions. Nous avons sollicité une audience au président ougandais.

- Afrikarabia : On sait que ce sont les revendications politiques et constitutionnelles qui bloquent pour le moment.

- François Rucogoza : C'est vraiment très contradictoire, puisque nous avons déjà signé ces points à l'ordre du jour avec le gouvernement et la facilitation. Le premier point était les accords du 23 mars 2009, le deuxième point, les questions de sécurité et le troisième point  concerne les questions politiques. Nous devons donc "vider" les questions politiques, sociales et économiques avec le gouvernement congolais. Personne ne peut donc nous empêcher de dire ce que nous pensons des problèmes du Congo. Nous devons trouver des pistes de solutions à tous les problèmes du Congo.

- Afrikarabia : Lorsqu'un membre de la délégation du M23, Roger Lumbala, déclare sur RFI, qu'il souhaite le départ de Joseph Kabila, vous le suivez sur cette revendication ?

- François Rucogoza : Nous sommes dans des négociations, il y a donc des revendications. Nous devons discuter de cela avec la partie gouvernementale. Mais c'est évident qu'il y a des souhaits et des questions politiques qui se posent. Nous devons examiner le problème des élections contestées de novembre 2011, la "vérité des urnes"…. Si le président doit partir, il partira, si le président doit rester, il restera, mais nous devons examiner la question et trouver un compromis.

- Afrikarabia : Lorsque vous parlez de compromis, est-ce qu'un gouvernement de transition, à l'image de ce qui s'est passé en Centrafrique, est envisageable ?

- François Rucogoza : Oui, toutes les solutions sont possibles. Mais nous devons déjà respecter ce que nous avons signer dans l'ordre du jour. On va ensuite débattre et essayer de trouver un compromis. Mais attention, si nous ne pouvons discuter des questions politiques… cela n'ira pas. Toutes les questions doivent être abordés.

- Afrikarabia : On parle de dissensions au sein du M23 entre les politiques et les militaires, qui sont de plus en plus impatients.

- François Rucogoza : Non pas du tout. Nous sommes un mouvement qui est extrêmement bien organisé et structuré. Si des gens croient à cela... ils se trompent beaucoup.

- Afrikarabia : Si le blocage continue. Si le gouvernement congolais ne veut pas discuter des problèmes de politiques intérieurs avec vous, êtes-vous prêts à reprendre les armes et pourquoi pas la ville de Goma ?

- François Rucogoza : Ce n'est pas notre souhait. Nous avons toujours dit, même avant la prise de Goma, que nous voulions un compromis  pacifique. Nous avons toujours voulu discuter avec le gouvernement. Si le gouvernement refuse les voix pacifiques de la négociation… alors les mêmes causes produiront les mêmes effets. Vous avez bien vu que nous avons décrété un cessez-le-feu unilatéral pour laisser une place au dialogue.

- Afrikarabia : On attend dans la région la mise en place une force internationale neutre de 3.000 hommes à l'Est de la RDC. Vous redoutez son arrivée ?

- François Rucogoza : Pas du tout ! C'est une force neutre par rapport à quoi ? Nous sommes avec nos frères congolais en train de dialoguer. Nous avons privilégié ce processus pacifique. Si d'autres choisissent une voix belliqueuse, nous serons en droit de répondre et de se défendre. Mais je ne vois pas comment une force étrangère peut venir traquer une organisation qui est en train de discuter avec un gouvernement.

- Afrikarabia : Vous savez que beaucoup de Congolais redoutent une "balkanisation" de l'Est de la RDC. L'autonomie des Kivus est-il l'un de vos objectifs ?

- François Rucogoza : La "Balkanisation" par rapport à quoi ? Roger Lumbala, qui est avec nous, vient du Kasaï (une province du centre du pays, ndlr). Notre organisation est Congolaise et notre mouvement est national. Tout cela, c'est de la manipulation politique qui n'a pas de sens.

- Afrikarabia : Vous souhaitez toujours que l'opposition politique congolaise vous rejoignent ?

- François Rucogoza : Ce n'est pas seulement l'opposition, mais c'est aussi la diaspora. Nous devons résoudre les problèmes ensemble. Toutes les forces vives de la RDC doivent se retrouver autour de la table.

- Afrikarabia : Vous avez des contacts avec l'UDPS d'Etienne Tshisekedi ou l'UNC de Vital Kamerhe ?

- François Rucogoza : Pas seulement eux… avec tout le monde ! Les problèmes du Congo doivent être résolus avec tous les Congolais.

- Afrikarabia : Vous pensez pouvoir signer un accord à Kampala avec les autorités congolaises ?

- François Rucogoza : Oui, nous devons signer un accord à Kampala avec le gouvernement congolais. Mais pas uniquement par rapport au seul conflit du Nord-Kivu, par rapport aussi aux problèmes nationaux.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : François Rucogoza à Kampala © DR

23 janvier 2013

FRANCE-RWANDA : Les "infractions d'Innocent Musabyimana

Innocent Musabyimana, un Rwandais de 40 ans recherché pour génocide et crimes contre l'humanité, a été interpellé en Côte d'Or. Il y suivait une formation de chauffeur-livreur à Longvic, près de Dijon.

Logo Afkrb.pngInnocent Musabyimana "a été arrêté sur demande du parquet général", a déclaré le porte-parole du parquet général de Kigali, Alain-Bernard Mukuralinda, dans l'attente que la justice française se prononce sur la demande d'extradition de Kigali. "Il est accusé d'un certain nombre d'infractions”, selon le procureur général de Dijon, Jean-Marie Beney. Jean-François Dupaquier, journaliste et écrivain, spécialiste du Rwanda, nous livre ici son commentaire.

« Viols, génocide, extermination »… les incriminations ne sont pas anodines contre M. Innocent Musabyimana, un Rwandais de 40 ans qui vivait des jours tranquilles à Longvic, près de Dijon. Même si la présomption d’innocence doit d’office lui être reconnue, les habitants de la région sont en droit de se poser bien des questions. A commencer par celle-ci : le procureur général de Dijon, M. Jean-Marie Beney a déclaré que M. Innocent Musabyimana « est accusé d'un certain nombre d'infractions » C’est la première fois qu’un magistrat qualifie d’infractions des crimes tels que génocide, complicité de génocide, meurtres, viols, adhésion et participation dans un groupe criminel. Infraction est un mot banal. Selon un dictionnaire juridique de référence, il signifie : « Action ou comportement interdit par la loi et passible de sanctions pénales prévues par la loi : amende, peine d'emprisonnement, peines complémentaires ». Ces « infractions » sont qualifiées de crimes, via Interpol, sur le un mandat d’arrêt international qui a été émis.

Un commerçant interrogé par Le Bien Public qui trouve une analogie avec l’Argentine me semble bien plus proche de la vérité historique et morale : après la chute du nazisme, des perpétrateurs de la Shoah ont trouvé refuge en Argentine. Ils savaient que le régime fasciste de Peron refuserait de les livrer. Pour juger Adolf Eichmann, l’un des principaux artisans de la « Solution finale » contre les Juifs, Israël a dû l’enlever clandestinement en mai 1960, pratiquement quinze ans jour pour jour après la capitulation nazie. La honte en a été sur le régime Argentin, pas sur celui d’Israël qui avait incontestablement commis une infraction au droit international.

La France abrite depuis 1994 plus de vingt Rwandais « suspects de génocide ». Ce chiffre ne concerne que des suspects nommément identifiés, car en réalité, plusieurs centaines de criminels rwandais « présumés innocents » se cacheraient en France, la plupart sous de faux noms. Malgré les charges accablantes documentées contre la vingtaine de « présumés innocents » connus, la justice française a toujours refusé les mandats d’extradition émis par le Parquet général du Rwanda. De jugement en arrêt, on nous répète que l’accusation est « politique ».

« Accusation politique » : c’était l’argument récurrent des autorités argentines pour refuser de livrer les criminels nazis, évidemment « présumés innocents ». La justice française n’est pas, elle, l’émanation d’un « régime fasciste » comme le Parquet péroniste. C’est simplement une institution démocratique trop humaine, avec ses faiblesses et ses vertus. Faut-il suggérer de sanctionner le « certain nombre d’infractions » reprochées à Innocent Musabyimana d’une contravention pour stationnement irrégulier en France, la fameuse amende à 17 euros ? Le génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994 a causé un million de
 victimes en cent jours. Les tueries furent souvent précédées d’actes d’une cruauté  inouie. Ce troisième génocide du XXe siècle mérite de la considération, et en particulier de bien peser ses mots. Puis agir. Ne pas extrader ou ne pas juger dans un délai raisonnable ces suspects identifiés en France serait une forme de complicité avec le crime des crimes que constitue un génocide.

Jean-François Dupaquier,
Ecrivain, journaliste

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20 janvier 2013

RDC : "Deux opposants enlevés" selon la Démocratie Chrétienne

Un parti d'opposition de République démocratique du Congo dénonce l'enlèvement de deux membres de la Démocratie Chrétienne (DC), dans la nuit du 17 au 18 janvier 2013. Verdict Nkoba Mituntia et Stallone Katumba François auraient été embarqués par des hommes en armes et conduits "vers une destination inconnue", selon le mouvement politique. Ces deux opposants  préparaient une manifestation du parti, prévue ce samedi à Kinshasa.

220px-Logo-Démocratie_Chrétienne_2006.GIFUn communiqué de la Démocratie Chrétienne (DC), le parti de l'opposant Diomi Ndongala, a annoncé ce samedi, l'arrestation de deux de ses membres. Selon Marc Mawete, le porte-parole du mouvement, Verdict Nkoba Mituntia et Stallone Katumba François auraient été arrêtés en pleine nuit, à leurs domiciles, par des hommes en armes. Toujours selon le parti d'opposition, Verdict Nkoba Mituntia, responsable de la communication du parti, aurait été enlevé dans la nuit du 17 au 18 janvier 2013 par des hommes de la Police militaire et d'autres hommes en civil, dans sa résidence de l'avenue Buta à Kinshasa.

Le second, Stallone Katumba François, responsable de la jeunesse de la DC et de la Majorité présidentielle populaire (MPP) aurait été enlevé la même nuit. Les deux hommes préparaient pour le lendemain, samedi 19 janvier, une manifestation du parti. La Démocratie Chrétienne rappelle que depuis le 27 juin 2012, les membres ce parti font l'objet "d'arrestations arbitraires de la part des services de sécurité". A cette date, plusieurs militants du mouvement de Diomi Ndongala, "avaient été arrêtés et conduits au camp Lufungula", puis "enfermés pendant une semaine".

Le même jour, c'était au tour du leader du mouvement, Diomi Ndongala, d'être "enlevé et tenu au secret pendant 100 jours" par différents services de sécurité congolais. Les autorités congolaises avait maintenu pendant toute l'affaire que Diomi Ndongala s'était enfui "pour échapper à une accusation de viol sur mineure". Diomi Ndongala avait toujours démenti ces allégations et accusait le régime de Kinshasa de vouloir "se débarrasser d'un opposant politique".

En octobre 2012, trois membres de la Démocratie Chrétienne avaient également été enlevés à proximité du siège du parti, sur la commune de la Gombe, à Kinshasa. Héritier Kazadi, Jean-Paul Mabondo et Jean-Claude Yongo Kasele sont restés "30 jours au secret, dans les cellules de l'ANR", les services de renseignements congolais.

Le parti, qui s'estime la cible d'attaques politiques, dénonce une véritable "chasse aux sorcières" de la part du régime du président Joseph Kabila et la volonté d'éliminer les "tshisekedistes", les partisans d'Etienne Tshisekedi. La DC accuse enfoin le pouvoir de détenir une "liste noire" des opposants à museler. Notamment des personnalités comme José Makila ou Joseph Olenghakoy. Les autorités congolaises ont toujours fermement récusé ces allégations.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

RDC : Menaces sur 2 avocats de l'affaire Chebeya

L'association des droits de l'homme congolaise, la Voix des Sans Voix (VSV), s'inquiète des menaces et des intimidations qui pèsent sur Jean-Marie Kabengela Ilunga et Peter Ngomo Milambo. Ces deux avocats représentent les parties civiles dans le  très "politique" procès de l'assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana.

Capture d’écran 2013-01-19 à 17.42.21.pngLa Voix des Sans Voix lance un appel à l'aide. Selon cette ONG congolaise, deux avocats faisant partie du collectif qui assistent les parties civiles dans le procès sur l’assassinat des défenseurs des droits humains, Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, seraient en danger. Les deux avocats feraient l'objet de menaces, d'intimidations et de harcèlements. La Voix des Sans Voix se dit très préoccupée pour leur sécurité… et leur vie.

Pour l'association congolaise, Me Jean-Marie Kabengela Ilunga a fait l’objet "d’une attaque verbale par le Ministère public représenté par le Colonel Likulia, lors d’une audience du procès sur l’assassinat des défenseurs des droits de l’homme Floribert Chebeya Bahizire et Fidèle Bazana Edadi". La Voix des Sans Voix (VSV) explique que cette "attaque fait suite à la demande adressée par ce dernier à la Haute  Cour Militaire (HCM) de prendre en compte le témoignage du major Paul Milambwe, fugitif et témoin oculaire qui a assisté" au meurtre de Floribert Chebeya. Me Jean Marie Kabengela Ilunga reçoit depuis octobre 2012, sur son téléphone des appels de menaces de mort avec des numéros téléphoniques "difficiles à rappeler, des messages sans texte, des appels sans que l’émetteur parle…".
 
Autre menace, une lettre envoyée par le premier président de la Cour Militaire de Kinshasa-Gombe, le colonel Masungi, le 20 décembre 2012, au bâtonnier de Me Jean Marie Kabengela Ilunga pour "une action disciplinaire contre lui". Le motif est "d’avoir été absent à une audience des affaires des militaires de l’Equateur". Motifs non fondés, selon l'avocat.
 
Pour Me Peter Ngomo Milambo, les menaces sont semblables, d'après la VSV. Cet avocat défend Me Firmin Yangambi, Président de l’ONG « Paix sur Terre » et deux autres co-détenus, accusés depuis 2009, de tentative d’organisation du mouvement insurrectionnel et détention illégale d’armes. Peter Ngomo Milambo a reçu le 9 janvier 2013 un appel téléphonique émis par un numéro masqué d’une personne refusant de s’identifier. L’avocat a été "menacé de mort" et on lui a signifié que son habitation "était bien connue pour mise en exécution de ces menaces". L'ONG explique qu'il est reproché à Me Peter Ngomo "d’avoir accordé une interview sur les antennes de Radio France Internationale (RFI)". Il lui a été demandé "d’arrêter d’exposer le pays sur RFI". Ces deux avocats défendent également d'autres personnes poursuivies pour "motifs politiques", notamment "des opposants et les personnes accusées d’insurrection".

La Voix des Sans Voix s'inquiète de ces menaces répétées et demandent aux autorités congolaises "de garantir la sécurité, l’intégrité physique et la liberté de ces avocats pour leur permettre d’exercer librement leur profession".

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

19 janvier 2013

RDC : M23 et gouvernement d'accords... sur rien

Les désaccords apparaissent au grand jour entre les rebelles du M23 et le gouvernement congolais. La rébellion a avancé mercredi une longue liste de  revendications... immédiatement rejetées par la délégation congolaise. Plusieurs analystes craignent que l'échec prévisible de tout accord ne fasse reparler les armes au Kivu.

2Image 1.pngLes premières phases de négociations ont démarré péniblement mercredi 16 janvier entre le M23 et Kinshasa. Après plus d'un mois de discussions sur l'ordre du jour des pourparlers, les deux parties ont pu exposer enfin  leurs points de vue sur la crise dans l'Est de la RDC. Pour l'instant, les négociations tournent au dialogue de sourds.

Une amnistie des faits de guerre
 
Dans le "cahier des charges" présenté par le M23, les rebelles insistent tout d'abord sur les concessions qu'ils ont accordé aux chefs d'Etat de la région (CIRGL) en stoppant leur avancée, en se retirant de la ville de Goma et en acceptant le "dialogue avec le gouvernement". Le premier point d'achoppement concerne l'accord que 23 mars, signé par l'ancienne rébellion du CNDP avec Kinshasa. Le M23 estime qu'il n'a pas été respecté et demande entre autre : "la reconnaissance des grades" de ses troupes au sein de l'armée régulière, "l'ouverture de la frontière de Bunagana", "l'amnistie générale pour faits de guerre", "la libération des détenus politiques", "la création d'une police de proximité" et "l'organisation d'une commission d'enquête sur les biens mal acquis par les officiers militaires". La rébellion exige enfin, une rémunération "régulière et décente des militaires, policiers et agents de l'Etat".

Un gouvernement de transition

Sur le plan politique, le M23 dénonce "la volonté délibérée du régime de Kinshasa de ne pas organiser les élections aux niveaux local", la "non-effectivité de la décentralisation" et la "xénophobie et la discrimination ethnique". Concernant les élections contestées de novembre 2011, les rebelles accusent le pouvoir en place de "fraudes massives" et d'avoir créé une Commission électorale non-indépendante (CENI), trop proche du parti présidentiel, alors que la Constitution recommandait une "personnalité apolitique". Le M23 souhaite donc "l'annulation des élections", "la dissolution du Sénat" et des "assemblées provinciales" et la mise en place d'un "Conseil National de Transition Congolais (CNTC)". Selon les rebelles, un nouveau gouvernement de transition devra être nommé.

Concernant l'économie, le M23 demande "la création d’une commission mixte pour évaluer tous les contrats (miniers, forestiers et pétroliers) et le cas échéant les revisiter", ainsi que "l’annulation de l’ordonnance-loi interdisant l’exploitation et l’exportation de matières précieuses à l’Est de la RDC".

Pas de Conférence Nationale Souveraine bis

Si les revendications catégorielles des militaires du M23 peuvent trouver "un certain écho" côté gouvernemental, il est clair que le reste des exigences politiques de la rébellion semblent "difficiles à satisfaire" pour Kinshasa. La réponse des autorités congolaises faite aux rebelles souligne le fossé qui s'est désormais creusé entre les deux parties. Le gouvernement rappelle tout d'abord que les preuves de bonne volonté du M23 restent limitées. Les rebelles devaient en effet se retirer "à au moins 20 km au Nord de Goma", "ce qu'il n'a toujours pas fait", souligne le texte. Le gouvernement observe une fin de non recevoir sur les revendications politiques du M23. Pour Kinshasa, "ce dialogue ne peut pas se transformer en une Conférence Nationale Souveraine ou en un Dialogue Inter-congolais bis". Et de préciser :  "il ne peut pas non plus aspirer à devenir un forum pour aborder et résoudre tous les problèmes du pays". Kinshasa ferme également la porte au "Conseil National de Transition" proposé par les rebelles.

Des FDLR au sein du M23 ?

Sur les accords du 23 mars, le gouvernement se demande en quoi ces revendications "sont suffisantes pour justifier une rébellion armée" et accuse "certains membres du CNDP" d'avoir violés les accords. Kinshasa accuse également les rebelles d'avoir maintenus "des administrations parallèles dans le territoire de Masisi et (des) commandements parallèles dans l’armée". Le gouvernement dénonce aussi "la présence dans les rangs du M23 (...) d'éléments FDLR démobilisés" et des combattants de l'aile Mandefu du même groupe. Concernant l'intégration des milices dans l'armée "avec des grades actualisés", les autorités congolaise estime ce procédé "destructurant". Et de conclure : "on ne peut vouloir une chose et son contraire. Le M23 ne peut donc en appeler à une réforme de l’armée et demander en même temps que lui soient appliquées des mesures exceptionnelles à l’efficacité à tous égards douteuses".

Sur les revendications politiques, "la quasi-totalité des missions d’observation avaient noté que ces irrégularités n’étaient pas de nature à compromettre les résultats de l’élection présidentielle" précise le gouvernement. Un argument pas tout à fait juste, puisque le Centre Carter avait déclaré les résultats "non crédibles". Concernant la réforme de la CENI, Kinshasa affirme qu'elle est "en cours de réalisation". Là encore, on peut ajouter un bémol sur cette affirmation : le "ripolinage" de la Commission est encore très "limité".

Irréconciliables

On le voit à la lecture des deux documents, les désaccords sont nombreux entre le M23 et le gouvernement congolais. Certains connaisseurs du dossier congolais n'hésitent pas à qualifier les deux parties "d'irréconciliables". Les revendications des rebelles se sont fortement élargies au cours du conflit, qui a débuté en avril 2012. Les exigences de la rébellion se multipliaient à mesure que le M23 progressait sur le terrain militaire. Il y a donc peu de chance que Kinshasa accepte, ce qui lui semble inacceptable pour l'instant : "partager le pouvoir avec les rebelles". Côté rébellion, on voit mal comment le M23 pourrait se contenter de simples accords "corporatistes" concernant ses troupes. Un connaisseur de la région me confiait qu'il voyait mal Sultani Makenga, le chef militaire du M23, réintégrer "comme si de rien n'était" l'armée régulière après la signature d'hypothétiques accords.

Pas de "2009 réchauffé"

Le temps est aujourd'hui à la méfiance. Le M23 craint que Kinshasa ne cherche qu'à gagner un peu temps, en attendant les "renforts" militaires de la force internationale neutre, qui doit se mettre en place prochainement. Un membre du M23 me confiait son pessimisme concernant la possibilité d'un accord et craignait simplement du "2009 réchauffé". Les rebelles ne se font guère d'illusion et un expert prévoit un inévitable retour au "rapport de force". Entendez : le retour de la guerre au Kivu et une possible reprise de Goma par les rebelles.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Le complexe hôtelier ougandais où se tiennent les négociations à Kampala © DR

15 janvier 2013

Kivu (RDC) : "Pourquoi accuser le seul M23 ?"

Des écrivains, artistes, chercheurs et professeurs des universités interpellent le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki Moon sur la situation dans l'Est du Congo. Dans une lettre ouverte que nous publions, ces intellectuels dénoncent une "lecture partiale" et "réductrice" du conflit qui sévit dans les Kivus. S'ils reconnaissent "la nécessité d'une attitude ferme vis à vis du M23" et du Rwanda, accusé de soutenir les rebelles, ils considèrent que "s'acharner contre une seule rébellion" ne fait qu'occulter le rôle des dizaines d'autres groupes armés.

Capture d’écran 2013-01-15 à 21.03.13.pngMonsieur le Secrétaire général,

Nous, écrivains, artistes, chercheurs et professeurs des universités, qui suivons de près la situation dans l’Est du Congo, avons décidé, par la présente, de nous adresser directement à vous sur une question dont dépendent la sécurité et le mieux-être de millions d’hommes et de femmes mais aussi la stabilité de toute la région des Grands Lacs et, plus largement, du continent africain.

Nous souhaitons avant tout, par notre geste, attirer votre attention sur une lecture que nous jugeons partiale et réductrice de la situation actuelle dans cette partie de l'Afrique. Une telle lecture est aujourd’hui imposée par les rapports de certains experts internationaux adeptes du « single-issue », consistant à faire fi de la complexité d’un phénomène pour en donner une explication unique et forcément simpliste. L’enquêteur principal Steve Hege et son équipe, que vous avez nommés, ont ainsi choisi d’accabler dans leurs conclusions le seul M23, pendant que d’autres mouvements rebelles opérationnels depuis 1994 et extrêmement nuisibles sont soit oubliés, soit passés sous silence pour des raisons qui nous inquiètent et nous interpellent. Cette interprétation orientée, porteuse de tous les dangers, est condamnée à être contre-productive en l’absence d’une vision globale du problème congolais, prenant en compte toutes ses ramifications politiques, économiques et socioculturelles. Nous ne comprenons pas que ces enquêteurs aient choisi d’ignorer l’existence des groupes armés- en particulier, et de manière très significative, des FDLR - responsables d’un chaos sanglant à l’Est du Congo. Nous vous invitons aussi à prendre au sérieux, à la différence de vos prédécesseurs jusqu’en 1994,les signes avant-coureurs d’un embrasement général de la région et, chose tout aussi troublante, les incitations publiques à la haine et au massacre des populations congolaises d’expression kinyarwanda.

Monsieur le Secrétaire général,
Nous apprécions à sa juste valeur le choix de l’ONU de s’investir dans la stabilité du Congo à travers plusieurs missions. Il ne fait aucun doute que ses différentes opérations ont été d’une grande aide pour les populations congolaises sans défense. Nous n’en pensons pas moins qu’il ne sert à rien de traiter les effets d’une politique au lieu de s’attaquer aux causes réelles du mal. Il est temps que ce peuple, victime hier d’une exploitation coloniale féroce et, depuis l’indépendance, de la voracité des compagnies occidentales, chinoises et sud-africaines et de régimes tyranniques et prédateurs, puisse jouir des droits que seul peut lui garantir un Etat digne de ce nom. En effet si le Congo, ce pays aussi étendu que toute l’Europe occidentale et aux ressources naturelles quasi inépuisables, est aujourd’hui sans armée ni Etat, ce n’est pas la faute du Rwanda encore profondément traumatisé par un des pires génocides du vingtième siècle et faisant toujours face à la menace que font peser sur sa sécurité des génocidaires bien décidés à « finir le travail » entamé en avril 1994. Notre conviction est que si le Congo, qui aurait dû être le géant de l’Afrique en est le ventre mou, c’est aussi parce qu’il ne s’est jamais résolu à faire l’inventaire d’expériences coloniale et néocoloniale particulièrement dévastatrices. Il est impérieux pour ce grand peuple de méditer un moment-clé de son histoire, le meurtre de Patrice Lumumba qu’il n’en finit pas d’expier puisqu’il a balisé le chemin du pouvoir à Mobutu Sese Seko. Et chacun sait avec quelle rapacité ce dernier a mis son pays à genoux pendant trente-deux longues années, en complicité avec des puissances étrangères, avant de le laisser complètement exsangue à sa chute.

Monsieur le Secrétaire général,
Nous reconnaissons la nécessité d’une attitude ferme vis-à-vis du M23, et d’une mise en garde responsable de tous les pays frontaliers du Congo, dont le Rwanda, pour qu’ils s’abstiennent de tout appui à cette nouvelle rébellion qui risque d’embraser, une fois de plus, la région et de plonger ses habitants dans d’effroyables souffrances. Nous avons toutefois du mal à accepter la logique sélective de ceux qui s’acharnent contre une rébellion récente pour mieux occulter le rôle dans le conflit de plusieurs groupes criminels, bien plus anciens et actifs, qui ont recours à une violence ouverte et massive. Ce silence témoigne à notre avis d’un choix délibéré d’induire l’opinion internationale en erreur. Voilà pourquoi nous tenons à rappeler que plusieurs rébellions opèrent dans le Sud-Kivu, le Nord-Kivu et le Maniema. Oxfam et 41 ONG congolaises en ont dressé la liste dans un récent rapport. Il s’agit de :
ADF : Alliance des Forces Démocratiques;
APCLS : Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain;
FRPI : Force des Résistances Patriotiques en Ituri;
FDLR : Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda;
LRA : Armée de résistance du Seigneur;
M23 : Mouvement du 23 mars;
Nyatura, rébellion Hutu ;
Sheka, rébellion Nyange ;
Mayi-Mayi Yakutumba, rébellion Bembe contre la communauté Banyamulenge;
Raïa Mutomboki, rébellion Rega et Tembo
UPCP : Union des Patriotes Congolais pour la Paix;
(Source: « 164 OXFAM briefing paper, November 2012. Commodities of war.
Communities speak out on the true cost of conflict in Eastern DRC, p.22»)

En plus des violences commises par les soldats gouvernementaux et les groupes armés cités plus haut contre les populations congolaises, « les preuves récemment recueillies par Oxfam, dans le cadre d’une enquête impliquant plus de 1300 personnes, dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, et dans la province orientale, montrent que les soldats de l’armée nationale et les autorités civiles y compris la police, ainsi que les groupes rebelles, se battent pour le monopole de l’extorsion des biens et de l’argent des communautés locales». Il est fondamental de souligner qu’à l’exception probable du M23, tous les groupes armés opérant dans les trois régions du Kivu sont hostiles au Rwanda et aux Congolais rwandophones. Ils constituent aussi un danger certain pour la stabilité du Congo. En outre, certaines de ces rebellions menacent d’autres pays de la région. C'est le cas notamment du FNL (Front national de Libération), rébellion burundaise active dans la plaine de la Ruzizi et de deux groupes ougandais, la LRA et l’ADF, ciblant particulièrement le régime de Kampala. Aucun de ces faits pourtant lourds de sens n’est mentionné dans ces rapports très contestés et qui ont surtout contribué à jeter de l’huile sur le feu. Ce faisant, ils se sont étrangement éloignés de toute possibilité de solution concertée. Bref, ils ont découragé le dialogue initié par des pays africains de la région des Grands Lacs et alimenté la méfiance entre communautés congolaises de l’Est et entre le Congo et le Rwanda. Cette lecture tronquée, relayée par la presse internationale et locale congolaise ainsi
que par les organisations des droits de l’homme, pourrait elle-même très vite générer de nouvelles violences.

Il est difficile pour un esprit rationnel de se faire à l’idée que le destin de millions d’humains puisse à ce point être tributaire des états d’âme d’un expert qui, aussi talentueux soit-il, n’est pas à l’abri de ses propres passions, voire de ses a priori idéologiques. Il apparaît très clairement que dans ce cas précis on a instrumentalisé l’appareil des Nations-Unies pour régler des comptes avec le gouvernement rwandais. Il est surprenant et inacceptable que l’ONU ait placé à la tête d’un groupe d’enquêteurs un homme qui s’est toujours montré en fin de compte si « compréhensif » à l’égard des Forces démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) Ce mouvement rebelle, constitué des vestiges de l'armée et des milices Interahamwe qui ont commis le génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994, s’est enrichi de nouvelles recrues dans les régions congolaises qu’il occupe depuis plusieurs années. Il continue à y commettre impunément des atrocités inouïes et, pour financer ses opérations militaires, en exploite les minerais en toute illégalité. Il les revend sur le marché international et il serait intéressant de savoir qui sont ses clients.

Monsieur le Secrétaire général,
L’ONU savait-elle au moment de la nomination de Steve Hege qu’il est l’auteur de
« Understanding the FDLR in DR Congo », texte dans lequel il s’employait déjà à réhabiliter cette organisation génocidaire, présentée comme l’émanation d’un groupe de réfugiés aux revendications légitimes ? Agacé et attristé par plusieurs tentatives de rapprochement entre les gouvernements du Congo et du Rwanda, il avouait craindre que ce processus ne marginalise le FDLR qui, écrivait-il, « se sent profondément trahi par les Congolais ».

Il s’exprimait ainsi au moment même où le président Barack Obama, alors sénateur, adressait une lettre de protestation à Condoleezza Rice, la Secrétaire d’Etat de l’époque à propos des violences sexuelles contre les femmes congolaises. Permettez-nous d’en reprendre à votre intention le passage que voici : “ Les criminels – constitués de militaires congolais sans foi ni loi, de milices locales et d’anciens miliciens Hutu ayant trouvé refuge dans les forêts du Congo après avoir participé au génocide rwandais de 1994 – ont réussi à financer et entretenir des conflits armés en exploitant les ressources naturelles du pays et en s’attaquant aux villages où ils commettent d’inqualifiables atrocités.”

Voilà en quels termes le président Obama exprimait son indignation contre les génocidaires repliés au Congo.

Mais ce n’est pas tout.

En 2010, dans un document intitulé « Independent Oversight for Mining In The Eastern Congo : A proposal for a third party Monitoring and Enforcement Mechanism», Steve Hege et son associé Jason Stearns, lui-même curieusement ancien investigateur des Nations-Unies sur la violence au Congo, réclamaient le droit exclusif de s’occuper de la vente des minerais de l’Est du Congo pour le compte de leur organisation non gouvernementale dénommée CIC (« Center on
International Cooperation »), d’un budget annuel évalué entre 3 et 5 millions de dollars.

Ces deux hommes, à travers le projet évoqué ci-dessus ont fait état, publiquement et par écrit, de leur souhait de commercialiser les minerais de l’Est du Congo. Il est dès lors étonnant que l’ONU ait mis l’un d’eux en position d’arbitre sur une crise aux forts relents miniers dans la même région. Le pire c’est que nous ne savons même plus s’il faut s’étonner de conflits d’intérêt aussi manifestes que scandaleux ou au contraire les juger en parfaite cohérence avec une politique de spoliation du Congo qui ne date hélas pas d’aujourd’hui. Pour s’approprier le marché, Hege et Stearns affirment, avec condescendance, que « (les institutions locales congolaises) sont essentiellement faibles et facilement exposées à la manipulation politique, au conflit des intérêts, à la corruption et, plus important, à l’intimidation de la part des gouvernants et des militaires eux mêmes.» Le mépris à l’égard du peuple congolais, que ces deux personnes prétendent pourtant défendre, est aussi patent que leur désir de se substituer aux autorités de ce pays. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conditions n’étaient pas réunies pour l’élaboration d’un rapport objectif. Il nous est dès lors absolument impossible de comprendre le choix fait par le Conseil de Sécurité de reprendre à son compte les conclusions du Groupe d’Experts sans débat ni mise à l’épreuve préalable.

En tant que chercheurs, nous nous interrogeons sur l’impartialité et la rigueur d’une approche qui s’appuie largement et dans les termes les plus vagues sur une des parties, à savoir les officiels congolais et des opposants au régime de Kigali.

Nous notons au demeurant sans surprise que ce rapport-ci, comme les précédents, a fait l’objet d’une « fuite » bien opportune, destinée à distiller dans les medias et dans l’opinion internationale le message suivant : le monstrueux M23 est une création du Rwanda. Sauf votre respect, nous ne voyons pas ce que l’appui, fantasmé ou réel, du Rwanda à un tel mouvement, peut bien changer au fond de l’affaire. L’irruption du M23 sur la scène du drame congolais est postérieure à la présence de la Monusco et des groupes armés au Congo. Cela veut dire que le M23 est moins la cause qu’une simple conséquence d’une crise régionale aux multiples facettes. Certains choisissent d’ignorer cette évidence car il est plus commode pour eux d’instruire le procès de ces mutins que de parler des maux, connus de tous, qui gangrènent la société congolaise et dont le moindre n’est pas une corruption généralisée. Les rapports du Groupe d’experts de l’ONU ainsi que la couverture médiatique dont ils ont bénéficié aident à faire oublier les sociétés minières étrangères qui ont littéralement fait main basse sur le Congo. Oserons-nous vous suggérer de diligenter une enquête sur ce pillage ? C’est ce que le monde, l’Afrique, et en particulier le peuple congolais, attendent du Conseil de sécurité.

Monsieur le Secrétaire général,
Les Nations-Unies ont tort, à notre avis, de penser que la mise hors jeu du M23 et la suspension paradoxale de l’aide au développement du Rwanda - un pays salué pour la gestion rigoureuse, saine et transparente de son budget national - vont suffire pour ramener la paix à l’Est du Congo. L’expérience a également montré les limites de la solution militaire consistant à faire appuyer les forces gouvernementales congolaises par la Monusco. Sur le terrain, une telle option a pour principal résultat d’entretenir la guerre à laquelle on prétend par ailleurs mettre fin. C’est ainsi qu’au cours de la prise de Goma, le M23 a récupéré plus de 4 tonnes d’armes que l’on pourrait retrouver à un moment ou à un autre entre les mains de différents groupes rebelles.

Selon nous, la meilleure façon de contribuer à la paix et à la sécurité dans la région des Grands Lacs consisterait, entre autres,

- à décourager tout appui du Rwanda au M23 afin de permettre aux communautés
congolaises d’initier des discussions de fond sur leurs problèmes nationaux ;

- à décourager toute association du Congo avec le FDLR et tout soutien du
gouvernement congolais aux groupes armés qui sévissent actuellement sur son
territoire ;

- à s’attaquer à tous ces groupes armés et aux logiques qui en alimentent l’esprit
destructeur ;

- à prendre au sérieux les légitimes revendications sécuritaires du Rwanda.

- à oeuvrer sans relâche pour un rapprochement entre les gouvernements du Congo et du Rwanda ;

- à favoriser un échange franc et respectueux entre les forces intellectuelles, éthiques et spirituelles rwandaises et congolaises pour qu’elles initient et promeuvent un « vivre ensemble » fertile entre les communautés ;

- à initier des solutions qui intègrent les différents paramètres de la crise à l’Est du
Congo

- à réexaminer les accords occultes entre le gouvernement congolais et les
compagnies minières opérant sur son sol,

- à exiger une gestion saine des ressources du Congo par l’Etat congolais,

- à diligenter une enquête sur le clientélisme et l’enrichissement illicite de la classe
dirigeante congolaise actuelle, afin d’impulser une dynamique de gouvernance saine en RDC ;

- à privilégier la voie du dialogue initiée par la conférence des Grands Lacs et non
les menées bellicistes qui risquent de provoquer une grande guerre africaine aux
conséquences incalculables ;

- à protéger des communautés marginalisées prêtes à s’enrôler par désespoir dans des rébellions sans lendemain ;

- à défendre l’intangibilité des frontières congolaises, conformément aux voeux du
peuple congolais convaincu de la communauté de destin de toutes ses composantes ethniques ;

- à lier la notion d’intangibilité des frontières aux droits des communautés
propriétaires de leurs terres à vivre tranquillement et en toute sécurité dans leur pays en tant que citoyens congolais de plein droit ;

- à améliorer les méthodes de recrutement des enquêteurs de l’ONU dont les rapports ont une si grande influence sur le cours des évènements. Il est hautement souhaitable de veiller à ce qu’ils ne soient engagés qu’à l’issue de procédures transparentes et contradictoires, de nature à écarter tout risque ou soupçon de partialité de leur part.

Monsieur le Secrétaire général,
L’impératif de l’heure est la défense résolue par les Nations-Unies du principe de l’intangibilité des frontières congolaises. Elle est toutefois vouée à un échec certain si elle fait l’impasse sur les discriminations envers les citoyens congolais d’expression kinyarwanda, propriétaires de plein droit des terres congolaises où ils vivent de génération en génération depuis des siècles.

Pour bien comprendre la vulnérabilité d’une communauté marginalisée et indexée dans l’imaginaire congolais actuel comme la source de tous les maux du pays, il faut remonter aux origines du problème, à l’époque où, dans la dynamique de la Conférence de Berlin, des territoires rwandais sont devenus congolais ou encore lorsque, dans les années 30, des populations rwandophones ont été transplantées au Congo. Il n’y a pas longtemps, plus précisément dans les années 80, ces citoyens de seconde zone, privés de leurs doits civiques, étaient électeurs, mais pas éligibles. Au cours de la même période, durant « l’Opération Herbe », des étudiants Tutsi ont été battus et renvoyés des universités zaïroises. Du reste, afin que les objectifs visés par ces campagnes meurtrières soient bien clairs pour tous, un document a circulé en ce temps-là sous le titre révélateur : « Vive la nation zaïroise et à mort les usurpateurs de notre nationalité ». Ce texte appelait à « frapper ensemble et partout ces serpents (les étudiants Tutsi) qui veulent nous mordre ». Une décennie plus tard, au début des années 90, les Congolais Tutsi étaient tous interdits de participation à la « Conférence nationale souveraine », toujours sous prétexte qu’ils n’étaient pas « Zaïrois ». La chute de Mobutu, qui avait pourtant fait naître l’espoir de lendemains meilleurs grâce aux liens forgés dans la lutte contre la dictature, n’a fait qu’accentuer l’hostilité envers les Congolais rwandophones. De dérive en dérive, on en est arrivé aujourd’hui à ce qu’il faut bien appeler un désir ardent, quoique diffus, d’en finir une fois pour toutes avec ce que d’aucuns se permettent d’appeler « la question tutsi. » Certains milieux, ignorant les leçons de l’histoire, s’imaginent qu’il suffirait de se débarrasser de la communauté d’expression kinyarwanda du Congo pour améliorer les conditions d’existence du reste de la population.

Monsieur le Secrétaire Général,
Nous pensons qu’il est urgent de procéder à une analyse moins tendancieuse et étriquée de la situation du Kivu, préalable nécessaire à toute solution durable. Nous ne saurions trop insister sur le fait que la focalisation exclusive sur le M23 et le Rwanda est suspecte et encourage les discours venimeux chez les extrémistes de plus en plus hardis qui n’hésitent plus à appeler dans les media sociaux à l’extermination des Tutsi. Le gouverneur du Nord Kivu, Julien Paluku, des membres du gouvernement congolais, une certaine presse locale congolaise, des hommes d’Eglise comme Bishop Élisée, un musicien comme Boketsu 1er incitent, ouvertement ou insidieusement, à la haine contre les populations Tutsi du Congo. Il est temps que vous-même preniez, à l’inverse de celui qui occupait vos fonctions en 1994, la mesure des périls qui menacent des populations civiles sans défense et dont le seul tort est d’être ce qu’elles sont. Une grande partie de la population congolaise, chauffée à blanc par son gouvernement et par les accusations de Hege et d’une certaine presse, est aujourd’hui prête pour un meurtrier passage à l’acte. Les alliances entre les militaires de l’armée congolaise et les milices génocidaires sont un autre signe qui ne devrait tromper personne, et surtout pas vous qui avez une responsabilité particulière dans la préservation de la paix mondiale.

Monsieur le Secrétaire Général,
Nous demandons aux Nations-Unies de tout mettre en oeuvre pour qu’à l’absurde guerre de l’Est de la RDC se substitue enfin une paix durable. Cette paix est un rêve et nous avons voulu vous dire, à travers cette lettre, à quelles conditions il peut, selon nous, devenir une réalité. Pour préserver les chances de cette paix à venir, nous, écrivains, professeurs des Universités, chercheurs et artistes d’horizon divers, dénonçons la mutinerie du M23. Nous nous élevons également contre tout appui, d’où qu’il vienne, à ce mouvement armé. Mais nous estimons aussi qu’il est de notre devoir d’appeler la communauté internationale à traiter avec plus de sérieux et de rigueur la question de la présence de génocidaires lourdement armés sur le sol congolais, grave source d’inquiétude pour le Rwanda. Nous condamnons également avec fermeté la tentative de militarisation à outrance du Kivu par le gouvernement congolais.

Monsieur le Secrétaire général,
Nous vous invitons à prendre vos responsabilités face aux menaces sur lesquelles nous avons voulu attirer votre attention. Il n’en va pas seulement du destin des populations et de leur besoin de sécurité dans les pays des Grands Lacs ; il en va aussi de la crédibilité des Nations-Unies et de l’honneur de l’humanité. En souhaitant que 2013 soit l’année du dialogue et de la paix pour tous les peuples de la terre, nous vous prions d’accepter Monsieur le Secrétaire général, les assurances de nos meilleurs sentiments.

Signataires :

Boubacar Boris Diop, Sénégal, romancier, essayiste et enseignant, Université Gaston Berger, Saint-Louis- Senegal.

Godefroid Kä Mana, RDCongo, philosophe, analyste politique et théologien, Professeur, Université évangélique du Cameroun, Institut catholique de Goma-RDCongo.

Jean-Pierre Karegeye, Rwanda, Directeur du Centre d'études pluridisciplinaires sur le génocide, Professeur assistant, Macalester College, Minnesota-USA.

Margee Ensign, USA, Présidente de l’Universite américaine du Nigeria.

Koulsy Lamko, Tchad, Romancier, dramaturge, directeur de la Casa Hankili Africa, Centro Historico in Mexico.

Wandia Njoya, Kenya, Professeure assistante, Daystar University, Nairobi-Kenya.

Aminata Dramane Traoré, Mali, écrivaine, sociologue, ancienne ministre de la Culture.

Susan Allen, USA, Professeure, Emory University, Atlanta.

Jean-Claude Djereke, Côte d'Ivoire, Centre de Recherches Pluridisciplinaires sur les Communautés d'Afrique Noire et des Diasporas, Ottawa, Canada.

Jean-François Dupaquier, France, écrivain , Journaliste

Erik Ehn, USA, Directeur de programme, Writing for Performance, Brown University.

Mireille Fanon Mendes-France, France, Présidente, Fondation Frantz Fanon.

Gerise Herndon, USA, professeure, directrice de Gender Studies, Nebraska Wesleyan University.

Timothy Horner, USA, Professeur associé, Center for Peace and Justice Education, Villanova University.

Jean-Baptiste Kakoma, RDCongo, Médecin, Professeur, ancien doyen de la faculté de médecine, Ancien recteur de l'université de Lubumbashi en RDCongo, Directeur de l'école de Santé publique, Université nationale du Rwanda.

Aloys Mahwa, chercheur , centre d'etudes pluridisciplinaires sur le génocide, Kigali-Rwanda.

Yolande Mukagasana, Rwanda, écrivaine, Survivante du génocide, Lauréate du prix la colombe d'or, lauréate du prix Unesco de l'éducation pour la paix.

Timothée Ngakoutou, Tchad/France, professeur, ancien recteur de l'université du Tchad, ancien haut fonctionnaire de l'UNESCO chargé de mission pour l'éducation.

Moukoko Priso, Cameroun, Professeur, Université évangélique du Cameroon.
François Wokouache, Cameroun, cineaste, Directeur de KEMIT.

Photo : Ch. Rigaud © www.afrikarabia.com

13 janvier 2013

Centrafrique : Accord précipité à Libreville

L'accord qui fâche tout le monde… ou presque. Si l'on en croit certaines voix au sein du Séléka, Michel Djotodia, le chef de la délégation rebelle, aurait signé "un peu vite"  avec François Bozizé et surtout sans l'accord des chefs militaires. Sur le terrain, les commandants de la rébellion jugeraient le texte "inapplicable", donnant la part belle à l'opposition politique.

libreville--1-.jpgAprès un mois de conflit armé et trois jours de difficiles négociations, un accord a finalement été signé entre François Bozizé, la rébellion Séléka et l'opposition politique. Le texte prévoit l'organisation d'élections législatives dans 12 mois et la nomination d'un nouveau Premier ministre "issu de l'opposition politique". Le président centrafricain, François Bozizé sauve donc son fauteuil jusqu'au 2016 et ne pourra pas de représenter, tout comme il lui sera interdit de révoquer son Premier ministre pendant la période de transition. L'accord prévoit également "le retrait de toutes les forces militaires étrangères du pays" (on pense bien sûr aux mercenaires sud-africains), à l'exception des Forces africaines de la FOMAC. Le nouveau Premier ministre devrait être désigné très rapidement, puisque l'opposition politique a déjà désigné l'avocat Nicolas Tiangaye comme son candidat.

Une opposition politique archi-gagnante

Côté rebelle, l'ambiance est nettement moins euphorique. Très rapidement après la signature de l'accord, des voix dissonantes se sont faites entendre. La Séléka est en effet la grande perdante du texte de Libreville. La rébellion espérait au moins la primature, qui revient en fait à l'opposition politique, et une reconnaissance des grades militaires pour les rebelles. Au final : rien de tout cela ne figure dans l'accord de Libreville. Un membre du Séléka, très remonté, se demande quelle mouche a piqué son chef de délégation, Michel Djotodia, de signer aussi rapidement avec François Bozizé un tel texte. Quelque peu déboussolé, il nous affirme que "ces accords n'engagent pas les chefs militaires du mouvement… Ils sont tout simplement inapplicables !". Ce membre du Séléka trouve également que l'opposition politique sort archi-gagnante de Libreville, alors "qu'elle n'a rien fait". "C'est un peu comme si elle avait gagné au Loto !" conclut-il.

Un accord "mort né"

Depuis vendredi, jour de la signature de l'accord, ça tangue sévèrement au sein de la rébellion. Certains craignent même l'implosion du mouvement. Une autre composante du Séléka a ouvertement critiqué l'accord de Libreville ce dimanche sur internet. Il s'agit de l'Alliance pour la renaissance et la refondation (A2R). Cette faction, très nouvelle dans la "galaxie Séléka", est principalement constituée d'officiers des FACA, l'armée régulière centrafricaine, hostiles au régime Bozizé. L'A2R n'a rejoint la coalition Séléka que fin décembre 2012. Dans un communiqué rédigé à Bimbo, le 12 janvier dernier, l'A2R estime que "le rendez-vous de Libreville n’aura été qu’un bal macabre de fossoyeurs car les questions de fonds n’auront pas été abordées et tranchées". Et de conclure : "l’accord politique de Libreville est mort né".

Bozizé seul...mais toujours président

A Bangui, dans l'entourage de François Bozizé, l'accord de Libreville fait grincer quelques dents. On accuse en effet le président centrafricain d'avoir sauvé son poste, au détriment de son gouvernement et d'avoir "tout donné". Seul François Bozizé peut savourer les bénéfices de l'accord de Libreville : une présidence assurée jusqu'en 2016, une rébellion stoppée militairement, désorganisée politiquement et une opposition moribonde qui se querellera sans doute autour des postes gouvernementaux à se partager. Une seule interrogation ? Qu'a gagné Michel Djotodia a signer dans la précipitation cet accord ? On peut supposer avoir la réponse dans quelques jours, une fois le gouvernement de transition composé.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Conférence de Libreville © DR

RDC : L'opposition extra-parlementaire s'allie à la société civile

Une plateforme politique regroupe pour la première fois l'opposition extra-parlementaire et la société civile. L'Action pour une autre voie (AV) rassemble une vingtaine de partis politiques et des associations des droits de l'homme comme l'Asadho, les Toges Noires ou la Ligue des Electeurs. Cette plateforme citoyenne et non partisane prône "la cohésion nationale" et appelle au "dialogue politique".

139682_DK11475u.jpgUne nouvelle plateforme politique est née. L'Action pour une autre voie (AV) se propose de rassembler politiques et société civile autour de "la cohésion nationale et du retour du dialogue politique". En plus d'une vingtaine de partis politiques, l'AV regroupe également des associations de la société civile, comme les Toges Noires, l'Asadho, le Codhod, l'Acaj ou la Ligue des Electeurs.

Le Coordonnateur de la plateforme, Auguste Mampuya, dénonce "le climat politique et sécuritaire qui aboutit à une véritable impasse politique : panne de débat, panne d’initiatives, panne de gouvernance, panne des institutions…". L'objectif affiché : "sortir l’Etat du blocage actuel" dans un esprit citoyen et non partisan. Auguste Mampuya rappelle que "depuis les élections (entachées de nombreuses irrégularités, ndlr), c’est une évidence incontestable que notre pays et l’Etat connaissent une sorte d’impasse politique (…) exacerbée par l’insécurité et la guerre qui nous sont imposées par le Rwanda et l’Ouganda et leurs complices".

L'Action pour une autre voie (AV) propose au président Kabila "la convocation d’un dialogue politique franc et ouvert entre tous : pouvoir, opposition parlementaire, opposition extra-parlementaire, groupes armés, société civile et diaspora…" afin de "s'accorder sur une vision indérogeable de la maison commune Congo". L'appel de cette nouvelle plateforme répond ainsi positivement au "dialogue intercongolais" proposé début janvier par le président Joseph Kabila. Si les principaux partis d'opposition congolais (UDPS, MLC… ) ont tous rejeté la "main tendue" du président congolais, "un rassemblement national" est  "salutaire", argumente Auguste Mampuya.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

RDC : L'UE s'inquiète du sort de Pierre-Jacques Chalupa

L'affaire Chalupa préoccupe la délégation de l'Union européenne (UE) en République démocratique du Congo (RDC). L'opposant politique Pierre-Jacques Chalupa avait été condamné en octobre dernier à 4 ans de prison pour fausse attestation de nationalité congolaise. Selon l'UE, l'état de santé "préoccupant de l'ancien député nécessite une prise en charge médicale urgente".

EU-Flag-French-Moments-02.jpgDans un communiqué, la délégation de l'Union européenne a manifesté "sa profonde  préoccupation sur la situation de Pierre-Jacques Chalupa". Le président de l’ADD avait été condamné en octobre dernier à quatre ans d’emprisonnement pour détention d’une fausse attestation d’acquisition de la nationalité congolaise, d’une fausse carte d’électeur et d’un faux passeport congolais. Mais plusieurs ONG des droits de l'homme y voyaient un "acharnement" du pouvoir en place à Kinshasa pour "déstabiliser les opposants politiques" au président Joseph Kabila.

La délégation de l'Union européenne a rappelé qu'elle suivait "avec beaucoup d'attention le procès en appel le concernant devant la Cour Suprême de Justice". L'Union européenne s'inquiète "en particulier du fait que la Cour n'a toujours pas statué sur la requête de mise en liberté provisoire de M. Chalupa, motivée par sa situation médicale". La santé de l'ancien député congolais est en effet "préoccupante et nécessite une prise en charge médicale urgente qui ne peut être assurée en détention", poursuit le communiqué. Concernant le procès en appel de Pierre-Jacques Chalupa, l'UE souhaite que son cas "soit traité rapidement, de manière indépendante et équitable".

Commerçant né dans l’Est du Congo avant l’indépendance, de parents portugais et grecs, Pierre-Jacques Chalupa avait entamé il y a vingt ans sa naturalisation. Pour cela il avait d'ailleurs renoncé à la nationalité portugaise. L'opposant politique a toujours plaidé non coupable, qualifiant de non fondées les accusations du ministère public.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

12 janvier 2013

RDC : Lumumba en débat à Paris

Patrice Lumumba est toujours d'actualité. 52 ans après son assassinat, cet homme politique congolais continue de susciter un réel intérêt. Une conférence se tiendra à Paris, dimanche 20 janvier 2013 autour du nationaliste panafricain.

_39298996_lumumba300.jpgAlors qu'une énième enquête vient de s'ouvrir en Belgique sur les conditions de l'assassinat de Patrice Lumumba, le leader congolais continue de faire débat. En 2013, 52 ans après sa disparition, de nombreux congolais se revendiquent encore du "lumumbisme". A Paris, une conférence sera organisée à la Maison de l'Afrique, dimanche 20 janvier 2013. Une bonne occasion de se demander ce qui reste aujourd'hui de l'héritage de Patrice Lumumba.

Pour évoquer cette figure marquante du Congo : Anicet MOBE, sociologue et Historien congolais et le Professeur Jean Omasombo Tshonda, Historien, biographe de Patrice Lumumba et ancien membre de la Commission Lumumba à Bruxelles. Ces spécialistes retraceront la vie et le combat du premier Premier Ministre élu de la République du Congo. Un film sera également projeté, avant la conférence : "Assassinat de Lumumba: Une mort de style colonial", un documentaire de Thomas Giefer (2001). Des personnalités viendront également témoigner de "l'appui, réel ou supposé, proposé ou reçu des pays étrangers pour lutter contre l'éclatement du pays".

Dimanche 20 janvier 2013
de 15h00 à 18h00
Maison de l'Afrique
7, rue des carmes 75005 PARIS

10 janvier 2013

RDC : "Les milices ont remplacé l'armée"

Critiquée pour son inefficacité , accusée des pires exactions sur les populations civiles, l'armée congolaise doit se réformer. Dans un ouvrage retraçant l'histoire des armées en République démocratique du Congo, Jean-Jacques Wondo pointe les nombreux dysfonctionnements des forces de sécurité : manque de leadership politique, soldes insuffisantes, carence de formation, intégration ratée des rebelles, règne des milices… Jean-Jacques Wondo analyse pour Afrikarabia l'échec du secteur de la sécurité et ébauche des solutions.

Capture d’écran 2013-01-10 à 22.24.10.png- Afrikarabia : Quelle a été l'évolution des différentes armées congolaises depuis son indépendance en 1960 ?

- Jean-Jacques Wondo : Depuis le départ, ce pays n'a jamais disposé d'une armée comme nous l'entendons, c'est à dire d'une armée censée défendre le territoire national. Cet ouvrage propose une analyse synoptique qui montre que, dès la Force publique, jusqu'aux FARDC, cette armée a toujours été rongée par cette maladie que je qualifie d'intraversion (1), de perversion et de subversion.

- Afrikarabia : Aujourd'hui, l'armée congolaise est critiquée de toutes parts. Quels sont ses principaux travers ?

- Jean-Jacques Wondo : Une armée est avant une question politique. Donc le mal est d'abord politique. Il y a clairement un manque de volonté politique par que cette armée soit républicaine et nationale. De ce fait, on laisse les milices remplacer l'armée et faire n'importe quoi. Cette armée est une armée de milices. Elle n'obéit pas au principe de défense territoriale, mais aux intérêt de leurs chefs.

- Afrikarabia : En comparant l'armée congolaise de la période Mobutu à celle actuelle de Joseph Kabila, on s'aperçoit que l'on est passé d'un régime autoritaire fort à un régime autoritaire faible, avec des rébellions plus fortes que l'armée régulière.

- Jean-Jacques Wondo : Du temps de Mobutu, nous avions un pouvoir autoritaire sous une dictature et aujourd'hui, nous avons ce que je qualifie dans mon livre de "dictocratie". A la différence de Mobutu, nous avons actuellement en RDC un leadership faible. Il n'y a pas de leadership capable de mettre en place une réelle armée. Si vous comparez deux périodes : 1961-64 et la période 1998-2003. A quelques variantes près nous avons dans ces deux époques un Congo morcelé. Mais à l'époque, en 64-65, il y avait un leadership fort de Mobutu pour mettre fin au désordre.

- Afrikarabia : L'une des raisons avancées pour expliquer la faiblesse l'armée congolaise est d'ordre financière. Les soldes des soldats sont extrêmement modiques : 82$ pour un général quatre étoiles et 60$ pour un soldat de seconde classe.

- Jean-Jacques Wondo : Dans mon livre, je compare l'évolution des soldes de 2006 à 2010, complétée par des informations de 2012, où le salaire moyen d'un soldat des FARDC est passée de 10$ à 60$. Il y a donc eu une faible augmentation. Mais avec 60$, on est incapable de motiver une armée. J'ai été en contact avec un jeune officier l'année passée. Il a été témoin d'une mission assignée à un bataillon à l'Est du pays, comprenant environ 1.000 personnes. Ils ont reçu pour ces 1.000 personnes la somme de… 6.000$ ! Avec femmes et enfants ! Ces problèmes ne datent pas d'aujourd'hui, dès 1895, on a connu la première mutinerie au sein de la Force publique à Luluabourg. Mais c'est aussi la conception de l'armée qui est mal assimilée par nos politiciens, où l'on conçoit l'armée comme un danger pour le pouvoir politique. C'est aussi pour cette raison que l'armée régulière est "laissée pour compte" par les régimes.

- Afrikarabia : On parle aussi d'une autre problématique : celle du "brassage", c'est à dire de l'intégration de rebelles dans l'armée régulière après la signature d'accords de paix.

- Jean-Jacques Wondo : Le "brassage" est une des pistes de solution, mais pas la solution miracle. Le "brassage" a réussi en Sierra Leone. Au Libéria, il a plus ou moins bien marché. Chez nous en RDC, le "brassage" a été un échec. Le rapport de l'Union européenne, qui supervisait le "brassage", affirme qu'il y a eu des "ratés"… mais on ne peut pas accuser tout le monde. Le "brassage" a souffert au départ d'un défaut de conceptualisation. Au moment des derniers accords de paix (en 2009, ndlr), il fallait satisfaire tout le monde, rebelles et gouvernement. A un moment, le gouvernement est sorti de la logique du "brassage" pour passer à la "logique de régiments". Le CNDP (les rebelles de l'époque, ndlr) n'a pas voulu être mélangé avec les autres unités.

- Afrikarabia : Quelles sont les pistes à explorer pour reconstruire cette armée congolaise ?

- Jean-Jacques Wondo : La première piste est d'abord politique. L'armée, comme le dit von Clausewitz, "ce n'est que la continuation de la politique par d'autres moyens". Cela signifie que la puissance d'une armée est une option politique que l'Etat doit décider. Deuxième piste : la formation. Depuis 2001,  cela fait environ plus de 10 ans que le Congo n'a pas formé d'officiers sur son territoire ! Il y a eu quelques tentatives pour former des officiers à l'étranger, mais cela n'a pas vraiment marché. On peut déjà, entre des cycles de formation de 18 mois à 6 ans, commencer à former la base d'une armée efficace sur une période de 10 ans… il y a là aussi un problème de volonté politique et pourquoi pas "d'agendas cachés". Qu'est-ce qui nous empêche de créer des centres d'entraînement et de formation pour nos militaires dans la région du Bandundu par exemple, pendant qu'on tente de pacifier et sécuriser l'est du pays ? On parle beaucoup de la responsabilité de la communauté internationale, mais je veux dire aux Congolais que nous devons apprendre à assumer nos propres responsabilités. Il est tant que les Congolais développent ce que j'appelle la "résilience politique". Ce n'est pas le déploiement d'une force neutre à l'Est ou la construction d'un mur entre la RDC et le Rwanda qui vont faire que le Congo ait une Armée forte!

Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia

"Les armées du Congo-Kinshasa, radioscopie de la Force publique aux FARDC" de Jean-Jacques Wondo aux éditions Monde nouveau / Afrique nouvelle

(1) Intraversion : "qui vit centré sur lui-même, se détourne du monde extérieur"

07 janvier 2013

Centrafrique : Bozizé joue la carte sud-africaine

Le renfort de près de 400 soldats sud-africains à Bangui peut-il sauver le régime de François Bozizé ? Le président centrafricain semble le croire et pourrait miser sur un règlement militaire du conflit. Pour preuve : sa possible absence aux négociations prévues mardi à Libreville. Sur le terrain militaire, la rébellion accentue sa pression autour de Damara, dernier verrou avant Bangui.

carte RDC Afrikarabia Centrafrique Damara.jpgJacob Zuma sauvera-t-il François Bozizé ? L'Afrique du sud vient d'autoriser le déploiement providentiel de 400 soldats sur le sol centrafricain avec pour mission de "sécuriser la capitale", autant dire… le régime en place à Bangui. Si à Prétoria, la nouvelle a quelque peu fait tousser l'opposition au parlement sud-africain, à Bangui, le président Bozizé reprend confiance. Après la débandade de l'armée régulière face aux rebelles du Séléka, le président centrafricain ne devait son salut qu'au bon vouloir des troupes tchadiennes de la Fomac, basées à Damara, la porte d'entrée pour Bangui. Avec l'arrivée des sud-africains, François Bozizé change de mains protectrices et passe du Tchad (plutôt versatile c'est dernier temps) à l'Afrique du sud et peut de nouveau croire à un règlement militaire du conflit. Du coup, François Bozizé n'est plus vraiment disposé à se rendre à Libreville pour négocier avec des rebelles, qu'il pense désormais pouvoir dominer sur le terrain militaire. Le nom du président centrafricain, ne figure toujours pas dans la composition de la délégation de Bangui.

Les rebelles remettent la pression

Les rebelles ont rapidement compris le changement de stratégie de François Bozizé. Depuis l'arrivée en catimini, le 31 janvier dernier, de 3 gros porteurs sud-africains (voir Afrikarabia), le Séléka sentait bien que le vent avait tourné et qu'une contre-offensive gouvernementale se préparait, appuyée par les soldats sud-africains. Samedi 5 janvier, la rébellion a donc décidé de remettre la pression sur Bangui en prenant deux nouvelles villes autour de Bambari, Alindao et Kouango. Ce dimanche, de sources gouvernementales, on apprenait que les rebelles se tenaient à seulement 12 km de Damara, la fameuse "ligne rouge" et surtout, dernier verrou avant la capitale centrafricaine.

Bozizé absent à Libreville ?

Côté rebelle, on affirme être sûr que "Bozizé veut maintenant aller à la guerre". On regrette également "le temps perdu" par la CEEAC, l'instance régionale en charge du dossier, "qui nous a fait croire que François Bozizé voulait négocier, ce qui n'était visiblement pas le cas". Les négociations prévues à Libreville ce mardi sont donc bien mal engagées. L'absence possible de François Bozizé risque d'être très remarquée à la table des négociations, alors que les rebelles estiment que son départ du pouvoir "n'est pas négociable". Pour la coalition Séléka, la composition de sa délégation n'est pas encore effective et doit faire consensus entre toutes les composantes de l'alliance. La présence d'Eric Massi, notamment, n'était pas encore acquise.

Enfants-soldats ?

Une polémique est venue s'immiscer dans le conflit centrafricain : la présence d'enfants-soldats dans les rangs de la rébellion, mais aussi des milices pro-gouvernementales. Selon l'UNICEF, environ 2 500 enfants se trouveraient enrôlés dans différents groupes armés en Centrafrique. Des garçons et des filles séparés de leurs familles, qui peuvent être obligés de combattre, de transporter des fournitures ou risquent d'être abusés sexuellement, selon le représentant de l'UNICEF en Centrafrique, Souleymane Diabate. Seule la coalition Séléka a, pour le moment, démentie formellement avoir des enfants-soldats dans ses troupes. Les rebelles affirment même être disposés à recevoir les responsables de l'UNICEF dans les régions qu'ils contrôlent. Le Séléka se déclare également prêt à ouvrir un corridor humanitaire aux ONG pour venir en aide à la population.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

06 janvier 2013

RDC-Centrafrique : Conflits jumeaux ?

La République démocratique du Congo (RDC) et la Centrafrique font face à des rébellions capables de faire tomber les régimes en place. Le M23 s'est emparé pendant quelques jours de la ville de Goma et les rebelles du Séléka se trouvent aujourd'hui à une centaine de kilomètres de Bangui. Thierry Vicoulon, directeur du programme Afrique centrale d'International Crisis Group (ICG) analyse pour Afrikarabia les similitudes, mais aussi les différences entre ces deux conflits.

Thierry Vircoulon filtre 3.jpg- Afrikarabia : Quels sont les points communs entre la crise Centrafricaine et ce qui se passe actuellement en République démocratique du Congo ?

- Thierry Vircoulon : Dans les deux cas, nous avons une rébellion qui est plus forte que l'armée nationale et qui force le gouvernement à négocier, ce qu'il n'a évidemment pas envie de faire. Tout cela se passe sous l'égide d'une organisation régionale africaine, la CEEAC (1) dans le cas centrafricain et la CIRGL (2), pour la République démocratique du Congo. Dans ces deux conflits, nous voyons qu'il y a une demande d'intervention militaire extérieure. La CEEAC avait déjà une mission en Centrafrique qu'elle est en train de transformer en mission d'interposition et qui constitue le dernier rempart entre le pouvoir et les rebelles. En République démocratique du Congo, c'est la SADC (3) qui a été appelée à l'aide et est censée déployer des troupes dans les Kivus. Ces deux pouvoirs, Bangui et Kinshasa, se retrouvent donc dans une sorte de dépendance sécuritaire, faute d'avoir construit une armée suffisamment robuste pour résister à leurs rébellions.

- Afrikarabia : Dans ces deux pays, le point de départ de ces rébellions repose également sur un processus électoral raté et contesté ?

- Thierry Vircoulon : Les deux élections présidentielles, en RDC et en Centrafrique, ont eu lieu en même temps, en 2011 et ont montré aux forces politiques de ces pays que le pouvoir se resserrait. Les gouvernements congolais et centrafricains signifiaient alors qu'ils sortaient des logiques de partage des pouvoirs, négociées après les conflits et qu'ils souhaitaient monopoliser un peu plus le pouvoir pour leur deuxième mandat. Un monopole qui laissait penser aux oppositions congolaises et centrafricaines que ces pouvoirs comptaient effectuer une réforme constitutionnelle pour se représenter une troisième fois, ce qui est impossible dans les deux pays.

- Afrikarabia : Ce sont aussi des régimes qui ne peuvent plus compter sur leurs armées ?

- Thierry Vircoulon : Dans ces deux pays, il n'y a pas eu de réformes de l'armée, malgré les appels répétés de la communauté internationale, mais aussi des voix nationales. Ces appels n'ont pas été écoutés par ces deux régimes et ils se retrouvent aujourd'hui avec des forces armées qui sont, in fine, en situation d'infériorité par rapport aux rébellions.

- Afrikarabia : Est-ce que l'épilogue de ces deux "aventures rebelles" pourrait être le même à Bangui et à Kinshasa ?

- Thierry Vircoulon : La différence fondamentale entre les deux scénarios est d'ordre géographique. On voit que les rebelles centrafricains sont arrivés en 3 semaines aux portes de Bangui, alors que le M23 se trouve à quelques milliers de kilomètres de Kinshasa, sans aucune route. C'est la raison pour laquelle la configuration est différente. Mais la logique est la même. S'il y avait des routes qui traversaient la RDC et si le pays était moins grand, le M23, comme il le disait à une époque, aurait pu arriver aux portes de Kinshasa.

- Afrikarabia : N'est-ce pas dans ces conflits, la faillite de ce que nous appelons la communauté internationale ?

- Thierry Vircoulon : Il y a un désengagement politico-militaire très clair des européens et de Paris en Afrique, qui a comme contre-partie de soutenir des solutions africaines au crises africaines. C'est la CEEAC qui, dans le cadre d'une architecture de paix et de sécurité, doit gérer la crise centrafricaine et c'est la CIRGL qui est censée gérer les problèmes de paix et de sécurité dans les Grands Lacs. Dans la mesure où les européens sont maintenant en retraits, nous sommes là dans un système qui est logique. Ce sont désormais les instances africaines qui doivent gérer les problèmes de sécurité. Les Nations-unies, se retrouvent dans une situation un peu intermédiaire, où, elles sont là, mais n'ont plus une grande capacité d'initiative dans ces conflits et ont l'air de piétiner.

- Afrikarabia : Ce désengagement de la communauté internationale vous semble un phénomène durable ?

- Thierry Vircoulon : C'est le scénario qui a été mis en place il y a 10 ans lorsque l'Organisation de l'union africaine est devenue l'Union africaine (UA). Les crises africaines doivent être gérées par les africains et cette politique ne va pas changer. A moins d'une grande catastrophe, je ne vois pas cette politique changer. Au contraire, on va aller de plus en plus dans ce schéma. On le voit d'ailleurs dans le cas du Mali, où il faut des troupes de la CEDEAO pour intervenir, les occidentaux restants en deuxième ligne.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia

(1) CEEAC : Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale.
(2) CIRGL : Conférence internationale sur la région des Grands Lacs.
(3) SADC : Communauté de développement d'Afrique australe

Photo : Thierry Vircoulon à Paris © Ch; Rigaud www.afrikarabia.com