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04 octobre 2013

RDC : Le Kivu doit être déclaré "zone sinistrée" selon René Abandi

Chef de la délégation du M23 aux négociations de Kampala, René Abandi fait le point sur les contacts avec Kinshasa.
 
René Abandi.jpgAFRIKARABIA : - René Abandi, alors que les négociations reprennent ce week-end à Kampala, votre passage à Paris est pour nous une surprise. Vous aviez rendez-vous avec des représentants du gouvernement français ?
 
René ABANDI : - Je suis à Paris parce que nous avons de bons contacts avec le peuple français, pas nécessairement avec le pouvoir. Une rencontre avec un représentant du gouvernement français serait bienvenue, mais ce n’est pas encore programmé.
 
AFRIKARABIA : - Vous le regrettez ?
 
René ABANDI : - La France est un pays important. Nous, Congolais, parlons français, le Congo est le premier pays francophone du monde après la France. La France peut contribuer à des solutions pacifiques au Kivu et à faire l’économie de vies humaines et de bien des souffrances.
 
AFRIKARABIA : - Vous êtes conscient de la mauvaise réputation du M23 ?
 
René ABANDI : - Pas auprès du peuple de France, mais auprès de personnes qui influencent l’opinion dans le sens des hostilités, oui.
 
AFRIKARABIA : - Le gouvernement des Etats-Unis vient d’annoncer qu’il supprime son assistance militaire au Rwanda parce qu’il soutient le M23, lequel enrôle des enfants-soldats… ?
 
René ABANDI : - Il s’agit d’une extraordinaire désinformation. A ma connaissance, le gouvernement rwandais a interdit le recrutement d’enfants soldats depuis de très nombreuse années, et le M23 ne pratique pas davantage ce genre d’enrôlement. Nos avons demandé une enquête internationale pour vérifier que nos n’avons pas d’enfants soldats. Nos sommes prêts à accueillir tous les journalistes qui voudront enquêter également. Mais pas de réponse en ce sens. Nos sommes confrontés à une machination, à des informations fabriquées.
 
AFRIKARABIA : - On reproche au Rwanda de vous soutenir ?
 
René ABANDI : - Demandez aux autorités rwandaises de répondre sur ce point. Mais je peux vous dire pour le M23 que le Rwanda ne nous soutient pas. Il est neutre.
 
AFRIKARABIA : - Pourquoi alors ces accusations, répétées de mois en mois ?
 
René ABANDI : - C’est ridicule. On a proclamé que 600 militaires rwandais combattaient dans nos rangs. Lorsque ces hommes de Bosco Ntaganda se sont réfugiés au Rwanda, tout la monde a vu que c’étaient des Congolais comme nous. Personne n’a pu établir la présence d’un seul Rwandais parmi ces réfugiés. C’étaient encore des accusations forgées à partir de rien.
 
AFRIKARABIA : - Pourtant ces accusations ne cessent pas… ?
 
René ABANDI : - Récemment, les FARDC (l’armée gouvernementale congolaise) a tiré des obus sur le Rwanda pour inciter l’armée rwandaise à entrer dans le conflit. Les gens qui ont ordonné ces tirs veulent provoquer le Rwanda, l’inciter à entrer en RDC.
 
AFRIKARABIA : - Votre mouvement, le M23, est la cible de toutes les critiques depuis que vous avez occupé la ville de Goma. Vous regrettez aujourd’hui cet épisode ?
 
René ABANDI : - Occuper Goma, c’était nous assurer un gage territorial pour nous permettre d’ouvrir un dialogue avec Kinshasa, afin de traiter les causes du conflit et les solutions à apporter.
 
AFRIKARABIA : - Ca n’a abouti qu’à vous marginaliser !
 
René ABANDI : - La négociation que nous voulions engager a été sabotée à New York. Avez-vous entendu cette déclaration selon laquelle "le M23 lèche ses plaies ?"  Comme si nous étions assimilés à des chiens. Cette façon émotionnelle de nous diaboliser, de nous animaliser, est complètement contre-productive. Nous attendons mieux d’un pays comme la France : l’encouragement au dialogue. Si nous nous sommes révoltés, il y avait des raisons. Je ne connais pas une mission de l’ONU qui coûte aussi cher que la MONUSCO, en soutien au régime le plus corrompu du globe.  Nous avons droit à un gouvernement plus responsable, l’ONU devait le comprendre.
 
AFRIKARABIA : - Est-ce vraiment votre base de négociations ? Vous voulez que Kabila se jette par la fenêtre du 10e étage ?
 
René ABANDI : - Nous ne demandons pas l’impossible. Notre tort, c’est d’avoir une faible voix. Les Etats membres de l’ONU ont les moyens d’imposer la voie de la paix à un régime corrompu et corrupteur. Face à cet appareil étatique gravement défaillant, personne n’accepte que nous élevions la voix. Nous sommes jugés sans débat.
 
AFRIKARABIA : - Concernant la justice, revendiquez-vous l’impunité pour tous ceux qui pourraient constituer des cibles de la justice internationale ?
 
René ABANDI : - Croyez-vous que les plus coupables soient chez nous ? Nous voulons une justice juste, pas une justice idéologique. Les criminels sont dans le camp du gouvernement.
 
AFRIKARABIA : - Et Bosco Ntaganda ?
 
René ABANDI : - Nous l’avons isolé. C’était déjà beaucoup. Mais après cette mesure, ils se sont dit « le M 23 et maintenant fragile, profitons-en pour les attaquer ».
 
AFRIKARABIA : - Vous réfutez avoir commis des atteintes graves aux droits de l’Homme ?
 
René ABANDI : - Le concept de droits de l’Homme est devenu un instrument de manipulation. On voit que ce droit est appliqué au cas par cas, en fonction d’intérêts diplomatiques ou autres de grandes puissances. Les milices gouvernementales et les armées étrangères comme les FDLR sont un problème sérieux de justice.
 
AFRIKARABIA : - Vous n’incluez pas dans la négociation un droit d’amnistie ou d’oubli  en faveur du M23?
 
René ABANDI : - Non.
 
AFRIKARABIA : - Et vous ne revendiquez plus l’intégration du M23 dans les FARDC ?
 
René ABANDI : - Nous ne négocions que pour résoudre les causes profondes du conflit : la discrimination érigée en politique, la non-administration de notre peuple, pris en otage par un pouvoir corrompu qui refuse d’appliquer la décentralisation. Nos voulons aussi qu’on parle de la citoyenneté, du retour des réfugiés, de la reconstitution des villages au profit de tous ceux qui ont été obligés de les fuir. C’est ce que nous appelons promouvoir des « pôles d’attraction citoyenne ». Pour cela, il faut désarmer les milices et les armées étrangères.
 
AFRIKARABIA : - Ne craignez-vous pas de placer la barre trop haut, à la veille de la reprise des négociations ?
 
René ABANDI : - Il y a déjà des avancées de contexte. La délégation de Kinshasa s’est engagée à revenir à la table des négociations, de façon permanente et non plus à l’occasion… Conserver Kampala comme lieu de négociation semble acquis. S’il faut nous réunir à Goma, pourquoi pas ? Nous voulons sincèrement avancer.  Les questions les plus sensibles ne seront pas abordées en public, elles vont se discuter en aparté. Il y a des questions pratiques à aborder comme la transformation du M23 en parti politique, la libération des prisonniers des uns et des autres.
 
AFRIKARABIA : - L’agenda des négociations comporte d’autres chapitres ?
 
René ABANDI : - Effectivement. Par exemple, nous souhaitons que le Kivu soit déclaré zone sinistrée, pour attirer l’attention de la communauté internationale et mobiliser les moyens d’un redressement économique et social, d’une reconstruction.
 
AFRIKARABIA : - On peut s’attendre à de bonnes nouvelles ?
 
René ABANDI : - Il y a eu un petit progrès depuis le communiqué du 23 septembre. Dans l’esprit de ce communiqué, la négociation peut s’accélérer. Il faut aussi éviter les manœuvres de certains. Le ministre des Affaires étrangères d’Ouganda a dénoncé le fait que, chaque fois que la négociation avance, la France et la Belgique nous tirent vers la boue. Mais nous avons confiance.
 
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER - Afrikarabia

Photo : René Abandi à Paris le 4 octobre 2013 © JF. Dupaquier

03 octobre 2013

RDC : Visite sous pression du Conseil de sécurité de l'ONU

Une délégation du Conseil de sécurité de l'ONU se rendra en République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda les 4, 5 et 6 octobre prochain. L'ONG Human Rights Watch (HRW) demande aux membres du Conseil de sécurité de profiter de leur visite "pour presser les gouvernements de la région de cesser d'apporter le moindre soutien aux groupes armés".

Casque bleu 1.pngLe temps presse pour Human Rights Watch. "Les civils vivant dans l'est de la RD Congo subissent des atrocités qui ne prennent pas fin, mais il est très rare que les individus responsables soient traduits en justice", explique Daniel Bekele, directeur de la division Afrique de l'ONG. Les 4, 5 et 6 octobre, une délégation du Conseil de sécurité sera à Kinshasa, Goma, la capitale du Nord-Kivu, en proie à l'instabilité chronique, avant continuer sa visite vers Kigali. Un déplacement sous pression, alors que le gouvernement congolais et le M23 ont entamé depuis en décembre 2012 de laborieuses négociations de paix à Kampala.

M23 et Rwanda

Human Rights Watch profite de cette visite annuelle du Conseil de sécurité pour tirer la sonnette d'alarme. L'ONG estime que "les membres du Conseil de sécurité devraient profiter de leur visite pour presser les gouvernements de la région de cesser d'apporter le moindre soutien aux groupes armés qui commettent des exactions, et d’arrêter les individus soupçonnés de crimes de guerre". Selon l'organisation, "le Conseil de sécurité devrait adopter une résolution exigeant que le Rwanda cesse tout soutien au M23, un groupe armé responsable de multiples atrocités dans l'est de la RD Congo, et imposant des sanctions aux dirigeants rwandais de haut rang qui ont orchestré ce soutien".

Milices Maï-Maï et FARDC

Dans la ligne de mire de l'organisation des droits de l'homme : les rebelles du M23, mais aussi les nombreux groupes armés qui pullulent à l'Est de la RDC. Selon HRW, l'ONU devrait porter une attention particulière à la milice Maï-Maï de Ntabo Ntaberi Sheka, dont les membres ont tué, violé et mutilé des dizaines de civils depuis mai 2013. "Le 27 septembre, ils ont attaqué plusieurs villages dans le territoire de Masisi, tuant plusieurs enfants, violant des femmes et incendiant des habitations", dénonce l'ONG. Human Rights Watch pointe également l'armée régulière, les FARDC. L'armée congolaise commet aussi de nombreuses exactions "y compris les viols d'au moins 76 femmes et filles dans et aux alentours de la ville de Minova, dans la province du Sud-Kivu, en novembre 2012", souligne HRW. Si les crimes des groupes armés ne doivent pas restés impunis, les exactions de l'armée nationale non plus. L'ONG demande au Conseil de sécurité de "pousser le gouvernement congolais à soumettre à des enquêtes, arrêter et, s'il y a lieu, poursuivre en justice les membres des forces de sécurité qui se sont rendus responsables de crimes de guerre et d'autres graves violations des droits humains".

Kampala

Cette "piqûre de rappel" d'Human Rights Watch intervient alors que les pourparlers de Kampala butent sur l'amnistie que pourraient accorder les autorités congolaises aux rebelles du M23, en échange de l'arrêt des hostilités et de son désarmement. HRW explique que "les accords conclus dans le passé entre le gouvernement congolais et d'autres groupes armés ont permis à des commandants rebelles responsables de graves violations des droits humains d'être récompensés en étant intégrés dans l'armée congolaise". "Par la suite, beaucoup d'entre eux ont commis de nouvelles atrocités contre la population civile en tant qu'officiers de l'armée congolaise, avant de faire défection et de créer de nouveaux mouvements rebelles", conclut Human Rights Watch. L'ONG appelle donc la communauté internationale à rester vigilante.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Casque bleu à Kinshasa © Ch. Rigaud www.afrikarabia

02 octobre 2013

RDC : L'audit désastreux de l'aide européenne au Congo

Un rapport de la Cour des comptes épingle l'Union européenne (UE) pour la mauvaise gestion de son aide à la République démocratique du Congo. Sur les 1,9 milliards d'euros versés en 8 ans, l'audit dénonce une "évaporation des fonds" et des résultats "limités" sur le terrain.

Kinshasa.jpgCe qui pourrait paraître une évidence ne l'est visiblement pas. L'évidence : le contrôle et la traçabilité des sommes versées par l'Union européenne (UE) à la République démocratique du Congo (RDC). Selon un rapport d'audit de la Cour des comptes européenne, l'Union européenne n'est pas très regardante sur le suivi des fonds d'aide à la RDC. Les conclusions sont cinglantes : "évaporation des aides financières" et "des progrès lents, variables et globalement limités". La Cour des comptes demande donc à l'UE de se montrer "plus exigeante envers la République démocratique du Congo" (l'audit est téléchargeable ici)

No control ?

Pendant 3 semaines les "auditeurs" de la Cour des comptes se sont rendus sur place, à Kinshasa, dans le Bas-Congo et à l'Est du pays. L'objectif était de vérifier sur le terrain les effets de l'aide européenne dans un pays "fragile", en guerre permanente depuis bientôt 20 ans. Une enquête un peu tardive lorsque l'on sait qu'entre 2003 et 2011, l'UE a versé 1,9 milliard d'euros... visiblement sans réel contrôle de la bonne utilisation des fonds. Si le rapport note la réussite de certains programmes, comme par exemple le premier recensement national de la police congolaise, il dénonce en revanche les résultats mitigés des autres aides à la RDC.

Des policiers évaporés !
 
La Cour des comptes s'est penchée sur l'aide financière aux deux processus électoraux de 2006 et 2011 : organisation de la présidentielle et des législatives, réforme de la police, de la justice, décentralisation... Sur ces soutiens financiers débloqués par l'Union européenne, l'audit est sans appel : "moins de la moitié des programmes examinés ont produit, ou sont susceptibles de produire la plupart des résultats escomptés". Plus inquiétant encore : "dans la plupart des cas, il est illusoire de penser que la durabilité sera assurée", remarque l'audit. En clair : l'aide ne s'inscrit pas dans la durée, ce qui rend inefficaces les sommes déjà dépensées… des aides à perte donc ! A titre d'exemple, l'audit pointe un programme de formation de 1.000 policiers, avant l'élection présidentielle de 2006. Après le scrutin, l'UE ne trouve "plus aucune trace" des policiers formés ! Pour les "auditeurs" de la Cour des comptes européennes, les causes sont multiples : mauvaise évaluation des risques, objectifs trop ambitieux, manque de coordination et surtout de "conditionnalité de l'aide" que l'Europe a attribué à la RDC.

Elections non crédibles

Ce qui étonne le plus dans l'audit de la Cour des comptes, c'est le manque de suivi des fonds engagés. Apparemment, entre 2003 et 2011, aucun  mécanisme de contrôle n'a tiré la sonnette d'alarme pour rectifier le tir. L'UE peut donc financer 1,9 milliard d'euros d'aide pendant 8 ans sans en mesurer l'efficacité ? Rappelons que l'UE a également soutenu financièrement les élections chaotiques de 2011, jugées "non crédibles" et "entachées d'irrégularités" par une mission de l'Union européenne elle-même ! Etrange pour une institution aussi sérieuse. Pourquoi ne pas avoir conditionner son aide ?

Mieux vaut un peu, que pas du tout

Pour en comprendre les raisons, il faut lire les déclarations du commissaire à l'aide au développement, Andris Piebalgs, que le rapport égratigne. Pour lui, les "obstacles étaient sérieux" en RDC et "la mise en place d'une gouvernance dans ce pays était largement partie de zéro". Il y avait donc, selon le commissaire européen, des circonstance atténuantes. Quant au "conditionnement" du soutien financier conseillé par la Cour des comptes, Andris Piebalgs est plus clair : "la conditionnalité systématique pourrait être inefficace, voire contre-productive". On a donc compris que l'UE devait "composer" avec les autorités congolaises, dont le mode de gouvernance laisse encore à désirer. Une position singulière pour l'Europe qui défend la démocratie et les droits de l'homme, dans un pays qui peine à respecter l'une et l'autre. Le commissaire européen prône donc une politique des "petits pas" où il vaut mieux des élections "à moitié démocratique" que pas d'élections du tout. Alors, lorsque la Cour des comptes demande à l'UE "d'améliorer sa stratégie de coopération avec la RDC et de renforcer le recours à la conditionnalité et au dialogue politique"… on peut penser qu'il y a peu de chance que ses recommandations soient suivies. L'audit de la Cour des comptes européenne n'aura alors servi à rien.
 
Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Kinshasa 2013 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com