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21 septembre 2013

RDC : Vers un partage du pouvoir à l'issu des concertations ?

La "Coalition pour le vrai dialogue en RD Congo" (CVD), une plateforme pilotée par l'UNC de Vital Kamerhe, affirme qu'un projet de partage du pouvoir serait proposé aux concertations nationales. Selon la CVD, une formule "1+2" pourrait voir le jour : 1 président et 2 vices présidents. Un "partage" qui instaurerait "une présidence à vie" pour Joseph Kabila.

Palais du peuple 2.jpgDans un communiqué, la Coalition pour le vrai dialogue en RD Congo (CVD), une plateforme dans laquelle on retrouve l'UNC de Vital Kamerhe, le RCD-KML, l'UPC ou l'UDEMO, dénonce des manoeuvres à l'étude lors des concertations nationales. Selon cette coalition d'opposition, "une réunion se serait tenue loin de Kinshasa" au cours de laquelle "un schéma de partage du pouvoir" aurait été mis en place en vue de le soumettre aux délégués des concertations nationales. Il s'agirait d'une formule "1+2" : 1 président et 2 vices présidents. La CVD s'inquiète des conséquences qu'auraient une telle décision : "violations de la Constitution du 18 février 2006, dissolution de l' Assemblée nationale et du Sénat" et la possibilité pour le président Joseph Kabila, "au pouvoir depuis 12 ans d'instaurer une présidence à vie".

Pour le moment, aucune autre source ne nous indique qu'un tel projet est à l'étude à Kinshasa. Peu d'éléments filtrent des concertations nationales ouvertes depuis le 7 septembre dernier. Les principaux partis d'opposition, sauf le MLC, ont décidé de boycotter ces assises censées "favoriser l'émergence d'une cohésion nationale". La participation des groupes armés à longtemps été débattue avant d'être rejetée par le gouvernement. Seule "avancée" pour le moment, les délégués du groupe thématique «décentralisation» ont recommandé au président Joseph Kabila de "rapatrier la dépouille mortelle du feu président Joseph Désiré Mobutu et celle de feu Moïse Tshombe"… une demande dont on ne voit pas très bien le rapport avec la crise politique que traverse le pays.

La Coalition pour le vrai dialogue en RD Congo demande dans son communiqué "la suspension sans délai" des concertations et la "clôture immédiate des pourparlers de Kampala" entre la rébellion du M23 et le gouvernement congolais. Les organisateurs ont annoncé samedi la prolongation des concertations jusqu'au 28 septembre.

Christophe RIGAUD - AFRIKARABIA

Photo : Palais du peuple de Kinshasa © www.afrikarabia.com

18 septembre 2013

Rwanda : Racisme et génocide, l’idéologie hamitique

Les historiens Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, spécialistes de la région des Grands Lacs, décryptent dans un livre le processus de l’idéologie raciste qui a abouti en 1994 au génocide des Tutsi du Rwanda.
 
004860.jpgDans l’Europe de la fin du XIXe siècle, le racisme légitimait l’expansion coloniale, cette guerre ouverte, ou sournoise menées par les grandes puissances contre l’Afrique noire. On prétendait “sauver” de la sauvagerie des “peuples inférieurs”. En France, Paul Broca (1824-1880), fondateur de la  Société d’Anthropologie de Paris, affirmait que jamais un peuple « à la peau noire, aux cheveux laineux et au visage prognathe n’a pu s’élever spontanément jusqu’à la civilisation[1] ». En 1872, également obsédé par les classements humains, Louis Figuier publia « Les Races humaines », un gros volume plusieurs fois réédité qui véhiculait à son tour les archétypes racialistes : « L’infériorité intellectuelle du Nègre se lit sur sa physionomie sans expression ni mobilité. Le Nègre est un enfant. Les peuples de race nègre qui existent à l’état de liberté, à l’intérieur de l’Afrique, ne peuvent guère dépasser le niveau de vie de tribu. D’un autre côté, on a tant de peine, dans beaucoup de colonies, à tirer un bon parti des nègres, la tutelle des Européens leur est tellement indispensable, pour maintenir chez eux les bienfaits de la civilisation, que l’infériorité de leur intelligence, comparée à celle du reste des hommes, et un fait incontestable ».

Ces « penseurs » en chambre furent relayés sur le terrain par des « Blancs sauveurs », aventuriers et missionnaires. Il est difficile d’imaginer l’épaisseur des préjugés qu’ils véhiculaient. Dans nos sociétés européennes laïcisées, on moque aujourd’hui les rétrogrades « créationnistes » américains qui luttent pour faire interdire l’enseignement de l’évolutionnisme. Mais dans l’Europe de Paul Broca, Louis Figuier (pour ne citer que des Français) et bien d’autres, l’opinion publique façonnée par le christianisme était « naturellement » créationniste. On pensait que toute l’histoire de l’Humanité se trouvait contenue dans l’Ancien Testament. En Afrique centrale, les « découvreurs » s’avançaient la Bible en poche. Au fil de leur découverte des Grands lacs africains entre 1857 et 1863, les Britanniques Richard Francis Burton (1821-1890) et John Haning Speke (1827-1864) s’efforçaient de retrouver dans l’Ancien Testament l’origine des peuples et des royaumes qu’ils traversaient. Les récits de Livingstone, Stanley, Burton, Garnier, Brazza, Shackleton, Scott, Amundsen et bien d’autres circulaient dans des revues populaires comme « Le Tour du monde », diffusées à des centaines de milliers d’exemplaires. Ces récits étaient lus et commentés avec passion. Ils imprégneront durablement l’inconscient collectif occidental.

Selon l’idéologie du temps, tous les peuplements humains et toutes les catégories animales étaient issus de l’Arche de Noé, sauvés du Déluge. Dans un mouvement de colère, le patriarche Noé aurait ensuite maudit son fils Cham (ou Ham), qui prit la fuite avec femme et enfants vers on ne sait trop où. Cet asile mystérieux ne serait-il pas le « Pays des monts de la Lune », où le grand géographe de l’Antiquité Ptolémée situait la source du Nil, fleuve mythique ?  C’était la conviction de Richard Burton et de John Speke, et aussi leur intérêt « médiatique ». Inspirés des racialistes de l’époque, eux aussi se persuadèrent que les « Nègres ordinaires » n’étaient pas vraiment des hommes, qu’ils n’étaient sont pas sortis de l’Arche de Noé et constituaient une composante inférieure, quelque part entre le primate et l’homme. Mais confrontés à d’autres « Nègres » à la morphologie différente, plus grands, aux traits fins, et qui dirigeaient des empires sophistiqués dans la région des Grands Lacs, Burton et Speke - surtout ce denier - clamèrent à leur retour que non seulement ils avaient trouvé La source du Nil blanc, mais également la tribu perdue d’Israël (après le Déluge, la malédiction de Noé leur aurait foncé la peau). Sinon, comment ces "Nègres" seraient-ils parvenus à  « s’élever spontanément jusqu’à la civilisation » ? Ces peuples « supérieurs » étaient, selon John Speke, des « Hamites », ou « Chamites », selon la façon dont on orthographiait le nom du fils maudit. Les « Hamites » (la terminologie retenue par la postérité) étaient dispersés au milieu des autres Nègres, ils s’appelaient eux-mêmes Hima, Tutsi, etc. Dans le récit de John Speke de sa découverte des sources du Nil[2], on trouve un pittoresque passage où l’explorateur s’efforce de convaincre un roi d’Ankole de son ascendance juive/hamite.

Ces délires « ethnographiques » auraient pu rester surannés et ridicules, sans l’instrumentalisation de l’idéologie hamitique comme corpus de domination ou de conquête du pouvoir par des colons, des missionnaires, puis des élites de la « décolonisation ». Nous ne dévoilerons pas ici la lumineuse démonstration des historiens Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda sur les ravages politiques de cette idéologie jusqu’au génocide des Tutsi du Rwanda et au massacre des Hutu démocrates - qui dénonçaient cette idéologie -, en 1994. La raciologie européenne a produit le nazisme. L’histoire  du Rwanda pouvait être autre que le réceptacle d’un « nazisme tropical ». Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, qui sont aussi des humanistes, le rappellent fort à propos au terme d’une impeccable démonstration.
 
Jean-François DUPAQUIER
 
Jean-Pierre Chrétien, Marcel Kabanda, Rwanda, Racisme et génocide, l’idéologie hamitique, Ed. Belin, Paris, septembre 2013, 380 pages, 22 €.
 
[1] Paul Broca, « Anthropologie. Dictionnaire anthropologique des sciences », Paris, 1866. Cf. Gérald Gaillard, Dictionnaire des ethnologues et des anthropologues, Armand Colin, 1997.
 
[2] Journal of the Discovery of the Source of the Nile (1863). Nombreuses éditions et rééditions en français depuis 1865 sous les titres “La découverte des sources du Nil”, “Aux sources du Nil”, Le Mystère des sources du Nil”, etc. Parmi les dernières éditions disponibles, “Aux sources du Nil , La découverte des grands lacs africains 1857-1863”, traduction Chantal Edel et Jean-Pierre Sicre Ed. Phoebus, Paris, 1991.

21:38 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

16 septembre 2013

RDC : Les "lignes rouges" infranchissables de Kampala

Après plusieurs semaines de combats au Nord-Kivu, le gouvernement congolais et les rebelles du M23 sont revenus à la table des négociations à Kampala. Mais la route est encore longue avant un possible accord. Les conditions posées par la rébellion et Kinshasa sont difficilement conciliables et font craindre une reprise des hostilités.

Capture d’écran 2013-09-16 à 21.46.04.jpgA chacun ses conditions. Le M23 et les autorités congolaises, de retour la semaine dernière aux pourparlers de paix de Kampala, ont fixé leurs exigences à la possible signature d'un accord. Le M23 conditionne son désarmement à la "neutralisation des Forces démocratiques de libération du Rwanda(FDLR) et le rapatriement des réfugiés congolais". Le gouvernement congolais fixe, lui, deux lignes rouges : pas d'amnistie pour les rebelles et surtout pas de réintégration dans l'armée nationale. Une semaine après la reprise des pourparlers, le 9 septembre, "aucune avancée n'a été enregistrée" à Kampala a fait remarquer François Muamba, négociateur du gouvernement congolais et coordonnateur du Mécanisme national de suivi de l’Accord d’Addis-Abeba sur Radio Okapi. 

Les FDLR sur la table des négociations

Principal blocage de ce énième round de négociations : les "lignes rouges" fixées par les deux belligérants. Côté rébellion, le M23 fait désormais tourner la problématique autour des FDLR, un groupe armé composé d'anciens génocidaires hutus rwandais, en lutte contre le régime de Kigali. Le président du M23, Bertrand Bisimwa explique que la rébellion veut bien "déposer les armes",  mais pose ses conditions : "neutraliser les FDLR et rapatrier les réfugiés congolais tutsis". La présence des rebelles rwandais en RDC représente en effet l'un des principaux facteurs de violence à l'Est du pays et ce, depuis… 1996 ! Le M23 s'est toujours affiché en défenseur de la communauté tutsie et leur revendication est bien évidemment légitime. Une question se pose pourtant : pourquoi faire cette revendication maintenant ? Depuis la création du M23 en mai 2012, la neutralisation des FDLR n'a jamais fait partie des exigences de la rébellion. Dans un premier temps, les revendications du M23 tournaient autour des accords du 23 mars, de leur réintégration dans l'armée et de la reconnaissance des grades militaires. Des revendications "catégorielles", bien éloignées de la présence des rebelles FDLR à l'Est du Congo. Dans un deuxième temps, les succès militaires s'enchaînant, le M23 a élargi ses revendications en réclamant la remise en cause des élections contestées de novembre 2011 et le départ du président Joseph Kabila. Aujourd'hui, les revendications changent de nature : plus de réintégration dans l'armée, plus  de départ de Joseph Kabila... l'objectif du M23 se concentre désormais sur les FDLR. Voici quelques explications.

FDLR : Menace ou prétexte ?

Les FDLR sont-ils toujours une menace en RDC ? Oui ! répond Jean-Paul Epenge, un cadre du M23. "Les FDLR constituent le principal facteur d'insécurité au Nord et au Sud-Kivu",  estime-t-il. "Ce sont les FDLR qui ont apporté la violence chez nous après le génocide de 1994. Il faut les désarmer, les cantonner et alors les réfugiés congolais pourront revenir vivre tranquillement à l'Est". Pourtant, selon Christoph Vogel, un chercheur (1) spécialiste de la région, "les effectifs des FDLR ont considérablement diminué" au Nord et Sud-Kivu. De 10.000 hommes, il y a une dizaine d'année, "les FDLR ne seraient plus que 2.500 dans la région" précise-t-il. Mais pour Christoph Vogel, "si la rébellion rwandaise ne constitue pas un danger sérieux pour le régime de Kigali, ce sont avant surtout les populations congolaises qui souffrent de ses exactions". Alors pourquoi le M23 conditionne-t-il son désarmement à la neutralisations des FDLR ? Selon Christoph Vogel, cette demande est logique, les FDLR étant "l'ennemi naturel du M23". Mais le chercheur pointe une autre raison à cette condition posée par le M23. Depuis le milieu de l'été, le M23 a subi une forte pression militaire de Kinshasa au Nord de Goma. L'armée congolaise, souvent décrite comme une "armée fantôme", n'a pas combattu seule le M23. Les FARDC ont reçu l'aide providentielle (et décisive) de la Brigade d'intervention de l'ONU (FIB), venue "désarmer les groupes rebelles à l'Est de la RDC". Après les attaques répétées des FARDC et de la Brigade, le M23 a dû se replier à 30 km de la capitale provinciale du Nord-Kivu... un revers diplomatique pour la rébellion, qui a dû reprendre le chemin des négociations en position de faiblesse. En demandant la "neutralisation" des FDLR, le M23 demande à la Brigade de s'attaquer maintenant aux rebelles rwandais et implicitement d'arrêter de se focaliser uniquement sur leur propre groupe. La technique est habile, puisque l'ONU avait clairement indiqué qu'elle était là pour s'attaquer à tous les groupes armés et pas seulement au M23.

En demandant à l'ONU et à Kinshasa de désarmer les FDLR, le M23 n'opère pas qu'une tentative de diversion, il repousse également tout  règlement rapide du conflit. Neutraliser les FDLR ne se fera pas en quelques semaines ou quelques mois, mais cela prendra sans doute plusieurs années. De nombreuses opérations militaires conjointes avait d'ailleurs été montées, notamment avec le Rwanda et la RDC, du temps où les deux pays collaboraient, rappelle le chercheur Christoph Vogel. Mais les opérations Kimia II ou Umoja Wetu n'ont pas permis d'aboutir "à la l'éradication de la milice". Pour ce spécialiste, seul un règlement politique entre les deux Etats, RDC et Rwanda, permettrait de mettre fin au problème de la milice hutue.

Négociations en trompe l'oeil

A lire ces lignes, on pourrait croire que seul le M23 fait blocage à Kampala. Mais côté gouvernemental, les "lignes de rouges" posées par Kinshasa mènent également dans l'impasse. Les autorités congolaises ont déclaré vouloir refuser toute amnistie aux membres de la rébellion et toute réintégration dans l'armée nationale. Autant dire que Kinshasa ne propose d'autre porte de sortie au M23 que sa propre disparition… difficilement acceptable pour des rebelles qui continuent de tenir et d'administrer une partie du Nord-Kivu. Mais Kinshasa n'a pas envie de négocier et cherche le K.O. Les dernières offensives militaires de la fin de l'été, présentées comme des victoires par le gouvernement, ne sont en fait que des succès de la Brigade de l'ONU. La communauté internationale a ainsi pu forcer Kinshasa à revenir à la table des négociations. Sommées de retourner à Kampala, les autorités congolaises auraient bien continué l'offensive sur le M23, pour mettre à genou la rébellion et stopper ainsi des négociations humiliantes pour Joseph Kabila. Mais comme l'armée congolaise est toujours aussi faible et a besoin de l'appui militaire de l'ONU, Kinshasa n'a pu que s'en remettre au bon vouloir de la communauté internationale, qui "ne souhaitait pas faire la guerre à la place des Congolais", comme nous l'a expliqué un expert militaire. Sans aide de la Brigade de l'ONU, les FARDC ont donc été obligés d'arrêter l'offensive. La situation militaire se retrouve alors gelée : le M23 campe au Nord de Goma, de Kibumba à Rutshuru, alors que les FARDC et l'ONU protège Goma de toute offensive rebelle.

Mécontent d'être à Kampala, le gouvernement congolais, qui a par ailleurs lancé des concertations politiques avec une partie de son opposition et de la société civile, se retrouve coincé. Conséquence : à la table des négociations, les autorités congolaises ferment toutes les portes de sortie à la rébellion. Devant un tel blocage, on peut se demander ce que l'on peut attendre de Kampala. "Pas grand chose", note un expert militaire, qui pense qu'à part une rencontre au sommet entre les 3 chefs d'Etats de la région (RDC, Rwanda, Ouganda) pour trouver une solution, seule une reprise des hostilités est à attendre au Nord-Kivu. Seule interrogation : la Brigade de l'ONU continuera-t-elle à appuyer l'armée congolaise dans une guerre totale contre le M23 ? Pas si sûr.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

(1) le blog de Christoph Vogel, "Mercator follow" et chercheur, est à consulter ici.

Photo : Munyonyo Resort à Kampala, lieu des négociations © DR