03 novembre 2013
RDC : Kamerhe "ne laissera pas Kabila tranquille" jusqu'en 2016
La victoire militaire de l'armée congolaise sur les rebelles du M23 redonne une nouvelle légitimité à Joseph Kabila, jusque là affaibli par la guerre à l'Est et les élections contestées de 2011. Une nouvelle donne pour l'opposant Vital Kamerhe qui soupçonne le président congolais de vouloir jouer les prolongations après 2016.
Si Vital Kamerhe se réjouit des victoires militaires de l'armée nationale (FARDC) sur la rébellion du M23, l'opposant au président Joseph Kabila n'est jamais très loin. Rencontré lors de son passage à Paris, Vital Kamerhe estime que "la victoire militaire sur le M23 ne suffit pas". "Il ne faut pas recommencer les erreurs du passé, notamment avec une signature avec les seuls rebelles à Kampala", explique le président de l'UNC. "La solution au conflit est politique et se situe à un niveau beaucoup plus élevé. Il faut que les chefs d'Etat de la région impliqués dans cette guerre, Kabila, Kagame et Museveni, prennent l'engagement ensemble de se transformer en partenaires pour la consolidation de la paix et du développement". Une manière de souligner l'apathie du président congolais dans ce conflit. "Il a fallu la pression de la communauté internationale et l'appui militaire de la Brigade de la l'ONU pour arriver à ce résultat. On attend toujours la présence du chef des Armées, Joseph Kabila, sur place".
Gouvernent d'union nationale : "c'est non"
Vital Kamerhe ne nie pas que la séquence de la victoire militaire sur le M23 est plutôt favorable à Joseph Kabila. Le président congolais pourrait en retirer des bénéfices politiques et un peu de sa légitimité perdue après sa réélection contestées de novembre 2011. Mais le temps politique ne se joue pas à court terme et Vital Kamerhe n'a qu'un objectif dans le viseur : 2016 et la prochaine présidentielle. Trois ans pour peaufiner son image d'opposant numéro au président Kabila. Pour Vital Kamerhe, les (tardives) réussites militaires de Joseph Kabila ne doivent pas masquer un bilan politique désastreux. "Ce n'est pas moi qui le dit", note le président de l'UNC, "ce sont les 700 recommandations des Concertations nationales. Après 12 ans de pouvoir, les concertateurs viennent de lui démontrer que dans tous les domaines de la société, rien ne va au Congo ! Il faut tout de même féliciter le président Kabila d'avoir accepté dans ces Concertations, une forme d'auto-critique !". Quant au gouvernement d'union nationale proposé à l'issu des Concertations : "C'est non. Nous sommes très clair et cohérent sur la question. Avec tous les partenaires de l'UNC nous avons dit que laisserions ceux qui ont triché en 2011, gouverner jusqu'en 2016".
"Kabila pourra dire qu'il n'y a plus d'argent pour organiser les élections"
2016, date de l'alternance politique ? C'est ce qu'aimerait bien croire Vital Kamerhe. Mais l'ancien directeur de campagne de Joseph Kabila a de sérieux doutes sur le calendrier. "Normalement, Joseph Kabila doit gouverner jusqu'au 19 décembre 2016 à minuit" précise Kamerhe. Dans son discours devant le Congrès, Joseph Kabila a rappelé qu'il allait respecter "l'esprit et la lettre de la Constitution" qui l'empêche de se représenter en 2016. Mais Vital Kamerhe ne croit pas à cette promesse. "Aubin Minaku, le président de l'Assemblée, a affirmé que Joseph Kabila ne briguerait pas un troisième mandat. Il a été très clair. Mais c'était essentiellement pour calmer les Congolais et la communauté internationale. Après la présidentielle et les législatives de 2011, on nous a demandé d'attendre pour les élections provinciales. Maintenant on nous dit que l'on va en fait commencé par les élections locales, municipales et urbaines, avant les provinciales. Or, pour ces élections locales, il y a une difficulté de taille, qui risque de nous prendre beaucoup de temps : il y a 7.000 circonscriptions électorales, alors qu'il n'y en a que 200 pour les élections provinciales. Je connais bien le président et j'ai le sentiment qu'il veut jouer les prolongations". Vital Kamerhe explique cette "subtilité du pouvoir" : "En organisant les élections locales d'abord, cela risque de prendre plus de temps que prévu et surtout, le président Kabila pourra dire qu'il n'y a plus d'argent pour organiser les autres élections. On met alors en sourdine la Constitution sans la modifier et on organise une période de transition de 2 ans avec une année renouvelable. Nous sommes déjà en 2020 ! Le temps de préparer de nouvelles élections nous serons en 2021 ou 2022 ! Joseph Kabila pourra alors tranquillement se représenter puisqu'il aura remis les compteurs à zéro en partageant le pouvoir pendant la transition". Des affirmations que ne vient pas vraiment contredire Lambert Mende, le porte-parole du gouvernement, lorsqu'il a affirmé que "les dates sont moins importantes que la crédibilité des élections, c'est-à-dire, leur bonne organisation". Comme pour prendre à témoin la communauté internationale de ce "tripatouillage" du président Kabila pour rester au pouvoir, Vital Kamerhe explique que "Kabila se trompe, puisque nous ferons tout pour ne pas le laisser tranquille jusqu'en 2016".
Porte-parole de l'opposition ?
En attendant, l'ancien candidat à la présidentielle de 2011, arrivé à la troisième place, prépare son prochain objectif politique : obtenir le poste de porte-parole de l'opposition congolaise. Reconnue par la Constitution, cette fonction consacre une personnalité politique d'opposition comme l'interlocuteur principal avec le pouvoir en place. Un poste qui ferait de Vital Kamerhe le leader naturel de l'opposition pour les prochaines échéantes électorales. Si Kamerhe refuse d'entrer au gouvernement, il ne demande qu'une seule chose à Joseph Kabila : "laisser les présidents des deux chambres convoquer une plénière des députés-sénateurs de l'opposition pour qu'ils se choisissent leur porte-parole et qu'ils mettent en place les structures de l'opposition". Pour l'heure, Joseph Kabila ne s'est pas montré très pressé pour accélérer la nomination de cette personnalité… surtout s'il s'agit de couronner son ancien bras droit et désormais ennemi Kamerhe. Mais Vital Kamerhe est patient. Trois ans le sépare de la présidentielle de 2016… sauf prolongation. Dans cette hypothèse, Vital Kamerhe nous a affirmé avoir déjà "un plan B".
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo : Vital Kamerhe à Paris le 30 octobre 2013 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
23:47 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (15)
30 octobre 2013
RDC : Joseph Kabila reprend la main
Après sa victoire militaire sur les rebelles du M23 et l'annonce de la création d'un gouvernement d'union nationale, le président Joseph Kabila a réussi à se replacer au centre du jeu politique congolais. De quoi prolonger sa survie politique.
Qui l'eût cru ? Il y a encore quelques mois, le président congolais pataugeait sur deux fronts : politique et militaire. Affaibli politiquement par les élections contestées de novembre 2011, Joseph Kabila était englué dans l'organisation chaotique des Concertations nationales boycottées par les grands partis d'opposition. Militairement, le président congolais s'enlisait également au Nord-Kivu face aux rebelles du M23 que rien ne semblait arrêter. Deux fronts problématiques qui remettaient fortement en cause sa légitimité politique. Mais en quelques jours, la donne semble avoir changé à Kinshasa.
Incontournable
Le 23 octobre dernier, devant les deux assemblées, le président Kabila a annoncé une série de mesures censées renforcer la cohésion nationale. Un catalogue de bonnes intentions, qui allait du rapatriement des dépouilles de Tshombe et Mobutu, à la mise en place de la décentralisation, en passant par la libération de prisonniers, la nomination d'un monsieur "anti-corruption" ou la création d'un quota de 30% de femmes en politique. De belles promesses dont on attendra avec impatience la mise en application. Mais l'annonce phare du discours du Chef de l'Etat tenait dans la nomination "imminente" d'un nouveau gouvernement d'union nationale. Un gouvernement de "demie-ouverture" avec l'opposition et la société civile, mais vraisemblablement avec le même Premier ministre et sans les grands partis d'opposition. Avec cette ouverture politique en trompe l'oeil et très contrôlée (voir notre article), Joseph Kabila a réussi à se replacer au centre de l'échiquier politique congolais en jouant de nouveau son rôle de grand "redistributeur de cartes"... et de portefeuilles ministériels. Les multiples annonces du président permettent enfin à Joseph Kabila d'en étaler leur mise oeuvre (si tant est quelles voient toutes le jour) et ainsi de rallonger, sans concéder une once de pouvoir, sa survie politique. L'opposition craint en effet que le président ne prolonge son mandat au-delà de 2016.
Nouvelle légitimité ?
Sur le plan militaire, les victoires des forces armées congolaises (FARDC) sonnent comme une divine surprise pour Kinshasa. Longtemps taxée "d'armée fantôme" pour son peu d'efficacité sur le terrain, les FARDC ont enchaîné les succès depuis la première offensive du vendredi 25 octobre. Devant l'avancée des troupes gouvernementales, les rebelles se sont retirés de toutes leurs bases arrières : Kibumba, Rumangabo, Rutshuru, Kiwanja et Bunagana à la frontière ougandaise. C'est la première fois que l'armée congolaise, avec l'aide non négligeable de la Brigade de l'ONU, fait plier la rébellion aussi rapidement. Cette victoire militaire est sans nul doute l'un des succès politiques les plus marquants de Joseph Kabila depuis son arrivée au pouvoir en 2001. La déroute du M23 rebat les cartes des négociations de Kampala entre le gouvernement congolais et les rebelles. Peu enclin à céder à la rébellion, Kinshasa a cherché à jouer le "KO militaire", qui lui permet d'échapper ainsi à d'humiliantes concessions à la table des négociations. Sur ce point, Kinshasa revient en position de force à Kampala, ou seule la reddition du M23 peut être signée.
Assurance-vie
Mais attention, victoire militaire ne rime pas toujours avec victoire politique. Si le M23 a quitté les zones qu'il contrôlait au Nord-Kivu, on parle de 700 km2, le mouvement n'est pas "annéanti" comme le clame Kinshasa. Réfugiées en Ouganda ou au Rwanda, les troupes rebelles ont subit peu de perte durant les assauts FARDC. La présence du M23 aux frontières du Congo continuerait donc de faire peser une sérieuse menace sur les Kivus, sans parler d'une possible (mais pu probable) contre-offensive rebelle sur l'armée. Pour transformer son succès militaire, en victoire politique, Joseph Kabila devra s'atteler à régler le problème avec ses voisins rwandais et ougandais. Une explication et une négociation politique entre chefs d'Etat seront donc indispensables pour établir une paix durable à l'Est de la RDC. Pour le moment, Joseph Kabila peut goûter aux bénéfices immédiats de sa victoire sur le M23 : une "légitimité" presque retrouvée auprès de la population et un soutien sans faille de la communauté internationale... bref, une assurance pour sa survie politique. Mais les braises sont encore chaudes autour des bastions rebelles reconquis par l'armée régulière. Et le plus dur reste à venir : maintenir la paix.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo : Joseph Kabila © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
17:07 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (14)