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18 septembre 2013

Rwanda : Racisme et génocide, l’idéologie hamitique

Les historiens Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, spécialistes de la région des Grands Lacs, décryptent dans un livre le processus de l’idéologie raciste qui a abouti en 1994 au génocide des Tutsi du Rwanda.
 
004860.jpgDans l’Europe de la fin du XIXe siècle, le racisme légitimait l’expansion coloniale, cette guerre ouverte, ou sournoise menées par les grandes puissances contre l’Afrique noire. On prétendait “sauver” de la sauvagerie des “peuples inférieurs”. En France, Paul Broca (1824-1880), fondateur de la  Société d’Anthropologie de Paris, affirmait que jamais un peuple « à la peau noire, aux cheveux laineux et au visage prognathe n’a pu s’élever spontanément jusqu’à la civilisation[1] ». En 1872, également obsédé par les classements humains, Louis Figuier publia « Les Races humaines », un gros volume plusieurs fois réédité qui véhiculait à son tour les archétypes racialistes : « L’infériorité intellectuelle du Nègre se lit sur sa physionomie sans expression ni mobilité. Le Nègre est un enfant. Les peuples de race nègre qui existent à l’état de liberté, à l’intérieur de l’Afrique, ne peuvent guère dépasser le niveau de vie de tribu. D’un autre côté, on a tant de peine, dans beaucoup de colonies, à tirer un bon parti des nègres, la tutelle des Européens leur est tellement indispensable, pour maintenir chez eux les bienfaits de la civilisation, que l’infériorité de leur intelligence, comparée à celle du reste des hommes, et un fait incontestable ».

Ces « penseurs » en chambre furent relayés sur le terrain par des « Blancs sauveurs », aventuriers et missionnaires. Il est difficile d’imaginer l’épaisseur des préjugés qu’ils véhiculaient. Dans nos sociétés européennes laïcisées, on moque aujourd’hui les rétrogrades « créationnistes » américains qui luttent pour faire interdire l’enseignement de l’évolutionnisme. Mais dans l’Europe de Paul Broca, Louis Figuier (pour ne citer que des Français) et bien d’autres, l’opinion publique façonnée par le christianisme était « naturellement » créationniste. On pensait que toute l’histoire de l’Humanité se trouvait contenue dans l’Ancien Testament. En Afrique centrale, les « découvreurs » s’avançaient la Bible en poche. Au fil de leur découverte des Grands lacs africains entre 1857 et 1863, les Britanniques Richard Francis Burton (1821-1890) et John Haning Speke (1827-1864) s’efforçaient de retrouver dans l’Ancien Testament l’origine des peuples et des royaumes qu’ils traversaient. Les récits de Livingstone, Stanley, Burton, Garnier, Brazza, Shackleton, Scott, Amundsen et bien d’autres circulaient dans des revues populaires comme « Le Tour du monde », diffusées à des centaines de milliers d’exemplaires. Ces récits étaient lus et commentés avec passion. Ils imprégneront durablement l’inconscient collectif occidental.

Selon l’idéologie du temps, tous les peuplements humains et toutes les catégories animales étaient issus de l’Arche de Noé, sauvés du Déluge. Dans un mouvement de colère, le patriarche Noé aurait ensuite maudit son fils Cham (ou Ham), qui prit la fuite avec femme et enfants vers on ne sait trop où. Cet asile mystérieux ne serait-il pas le « Pays des monts de la Lune », où le grand géographe de l’Antiquité Ptolémée situait la source du Nil, fleuve mythique ?  C’était la conviction de Richard Burton et de John Speke, et aussi leur intérêt « médiatique ». Inspirés des racialistes de l’époque, eux aussi se persuadèrent que les « Nègres ordinaires » n’étaient pas vraiment des hommes, qu’ils n’étaient sont pas sortis de l’Arche de Noé et constituaient une composante inférieure, quelque part entre le primate et l’homme. Mais confrontés à d’autres « Nègres » à la morphologie différente, plus grands, aux traits fins, et qui dirigeaient des empires sophistiqués dans la région des Grands Lacs, Burton et Speke - surtout ce denier - clamèrent à leur retour que non seulement ils avaient trouvé La source du Nil blanc, mais également la tribu perdue d’Israël (après le Déluge, la malédiction de Noé leur aurait foncé la peau). Sinon, comment ces "Nègres" seraient-ils parvenus à  « s’élever spontanément jusqu’à la civilisation » ? Ces peuples « supérieurs » étaient, selon John Speke, des « Hamites », ou « Chamites », selon la façon dont on orthographiait le nom du fils maudit. Les « Hamites » (la terminologie retenue par la postérité) étaient dispersés au milieu des autres Nègres, ils s’appelaient eux-mêmes Hima, Tutsi, etc. Dans le récit de John Speke de sa découverte des sources du Nil[2], on trouve un pittoresque passage où l’explorateur s’efforce de convaincre un roi d’Ankole de son ascendance juive/hamite.

Ces délires « ethnographiques » auraient pu rester surannés et ridicules, sans l’instrumentalisation de l’idéologie hamitique comme corpus de domination ou de conquête du pouvoir par des colons, des missionnaires, puis des élites de la « décolonisation ». Nous ne dévoilerons pas ici la lumineuse démonstration des historiens Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda sur les ravages politiques de cette idéologie jusqu’au génocide des Tutsi du Rwanda et au massacre des Hutu démocrates - qui dénonçaient cette idéologie -, en 1994. La raciologie européenne a produit le nazisme. L’histoire  du Rwanda pouvait être autre que le réceptacle d’un « nazisme tropical ». Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, qui sont aussi des humanistes, le rappellent fort à propos au terme d’une impeccable démonstration.
 
Jean-François DUPAQUIER
 
Jean-Pierre Chrétien, Marcel Kabanda, Rwanda, Racisme et génocide, l’idéologie hamitique, Ed. Belin, Paris, septembre 2013, 380 pages, 22 €.
 
[1] Paul Broca, « Anthropologie. Dictionnaire anthropologique des sciences », Paris, 1866. Cf. Gérald Gaillard, Dictionnaire des ethnologues et des anthropologues, Armand Colin, 1997.
 
[2] Journal of the Discovery of the Source of the Nile (1863). Nombreuses éditions et rééditions en français depuis 1865 sous les titres “La découverte des sources du Nil”, “Aux sources du Nil”, Le Mystère des sources du Nil”, etc. Parmi les dernières éditions disponibles, “Aux sources du Nil , La découverte des grands lacs africains 1857-1863”, traduction Chantal Edel et Jean-Pierre Sicre Ed. Phoebus, Paris, 1991.

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30 août 2013

RDC : "Le spectre d'une guerre régionale est planté" selon Roger Lumbala

L'ancien député d'opposition congolais, Roger Lumbala, désormais membre de la rébellion du M23, s'inquiète des risques d'extension du conflit à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Roger Lumbala estime que l'ONU a commis l'erreur en "transformant une mission de paix en mission de guerre" et redoute "un bain de sang" dans les Kivus. Dans l'interview qu'il a accordé à Afrikarabia, Roger Lumbala se déclare également "candidat à la prochaine présidentielle de 2016" si Etienne Tshisekedi ne se présente pas.

Roger Lumbala filtre 222.jpg- Afrikarabia : Selon vous, pour quelles raisons les combats ont repris entre l'armée congolaise et le M23 à la mi-juillet 2013 ?

- Roger Lumbala : Comme Kinshasa avait obtenu la résolution 2098,  ils attendaient le déploiement de la Brigade d'intervention de l'ONU (FIB). C’est ainsi que dans son double jeu, le gouvernement a attaqué les positions du M23 pour pousser la Brigade à s’engager au combat. Sachant que les FARDC ne sont pas en mesure militairement de déloger les éléments du M23 de leurs positions. En fait, Joseph Kabila veut s’attirer la sympathie des Congolais naïfs et se rapprocher de certains pays qui ont des relations difficiles avec le Rwanda. Après s’être imposé à la tête de la RDC, il veut sortir de son isolement diplomatique et faire oublier sa gestion calamiteuse de la chose publique.

- Afrikarabia : Depuis la reprise des affrontements avez-vous encore un espoir d'une solution politique aux négociations de Kampala que l'on dit au point mort ?
 
- Roger Lumbala : Bien sûr que oui ! Malgré les affrontements, la diplomatie fonctionne. Les émissaires discutent les uns avec les autres. Il y a même Monsieur Martin Kobler (représentant de l'ONU en RDC) qui fait office de président de la RD Congo. Il visite les blessés de guerre, il enterre les morts, il fait de la diplomatie... Il y a  l'espoir d’une solution politique. Il vient de demander au M23 de se replier sur ses positions initiales prévues dans le cadre de la CIRGL. Le M23, comme bon élève, vient d’accepter cette demande. C’est la voie proposée par le Secrétaire général des Nations-unies, par Madame Mary Robinson, ainsi que dernièrement par Monsieur Martin Kobler lui-même. Pour celui qui ne connait pas l’Est de la RDC, il peut vite tomber dans "l’option militariste" mais je crois que c’est évidemment la solution politique qu’il faut privilégier. Dans le cas contraire les conséquences seront incommensurables. Nous tendrons vers une guerre régionale qui va se solder par un nouveau génocide. Qui en seront les responsables? Il y a certains pays qui soufflent sur les braises. Les "pêcheurs en eaux troubles" profitent de la position de faiblesse de Joseph Kabila pour exploiter en désordre les matières premières de notre pays. Je pense qu’ils ont tord.

- Afrikarabia : La participation de casques bleus aux combats, aux côtés de l'armée congolaise contre la rébellion du M23 est une première dans l'histoire de l'ONU. Qu'est-ce que cela change pour le M23 ?
 
- Roger Lumbala : L’engagement des casques bleus n’a rien changé à la détermination du M23 à revendiquer ses droits. Vous savez que la RDC a toujours servi de cobaye dans "les laboratoires du monde". Le pays, potentiellement riche, attire les convoitises de toutes les puissances. Et chacun pense y tirer un quelconque avantage dans cette période de crise financière mondiale. Je crois que c’est une erreur de transformer une mission de la paix en mission de guerre. La situation en RDC est-elle pire que celle de l'Afghanistan, de l‘Irak, de la Syrie, de la Libye ? Les casques bleus deviennent par la résolution 2098 des "casques rouges", donc des ennemis d’une partie de la population congolaise qui revendique leurs droits. Pourquoi existe-il tant de groupes armés en RDC ? Sont-ils tous l’émanation du Rwanda ? Sont-ils tous composés d'éléments rwandophones? Leurs revendications ne sont-elles pas légitimes ? Pourquoi Kabila n’écoutait-il pas les revendications légitimes exprimées pacifiquement par l’opposition politique? Pourquoi depuis plus de 10 années de règne de Joseph Kabila la situation sociale des citoyens ne s’améliore pas? Le problème du Congo c’est Joseph Kabila. Son incapacité a gérer le pays. Mais toutes les puissances reconnaissent que le Congo connait une crise de légitimité. Joseph Kabila n’a pas été élu. Il arrête des membres de l’opposition politique. Le Congo est le premier sur la liste des pays les plus corrompus.  Pour l’indice humain de développement le Congo est le dernier pays.
 
- Afrikarabia :  Kigali accuse Kinshasa d'avoir bombardé son territoire alors que l'ONU vient d'affirmer jeudi 29 août que les obus qui sont tombés provenaient des zones sous contrôle du M23. Le Rwanda peut-il être tenté d'entrer dans le conflit et de traverser la frontière congolaise ?
 
- Roger Lumbala : L’ONU est-elle encore impartiale dans ce conflit en choisissant le camp de l’oppresseur de notre peuple ? Chaque lecteur a sa réponse. A mon humble avis, avec tous les respects que je dois à cette institution, je vois que l’ONU est devenue juge et partie. Ses rapports ne sont plus objectifs. Il y a des bombes qui tombent à Gisenyi. Ces bombes sont  tirées à partir de la RDC. En plus, le monde entier connait les objectifs des FDLR. Nous avons tous établi la coopération entre des éléments FDLR, ADF-NALU et Maï-Maï avec le pouvoir de Kinshasa. Joseph Kabila les organise et les équipe. Ces groupes sont qualifiés de "forces négatives à neutraliser" par la Brigade d’intervention de l'ONU. Mais comment la Brigade fera-t-elle? Un rapport de la Monusco signale la présence de ces éléments aux côtés des FARDC ! Je crois que le spectre d'une guerre régionale est planté. La redistribution des cartes va se faire dans le bain de sang.
 
- Après avoir pris la ville de Goma en novembre 2012, la rébellion du M23 n'a visiblement pas capitalisé sa victoire militaire en victoire politique. Les Congolais sont toujours majoritairement très opposés au M23, qu'ils accusent d'être la marionnette de Kigali. Pour quelles raisons ?
 
- Roger Lumbala : Le M23 n’a pas besoin d’être aimé par tous Congolais, mais il est là pour donner son avis sur la gestion de la chose publique. Le M23 a transformé sa victoire militaire en victoire politique et diplomatique. Il est passé d’un "groupe terroriste", d’une "force négative", en une force avec laquelle il faut discuter et même  céder l’administration d'un territoire... rappelez-vous du retrait des FARDC du territoire de Rutshuru. Cette étape était d’une importance capitale. Dans toutes les réunions régionales la situation de la RDC est traitée en fonction du M23. Kabila organise les concertations nationales aujourd’hui avec l’opposition et les forces vives qu’il avait autrefois méprisées. C’est grâce à la lutte armée menée par le M23. Pour ce qui concerne mes frères Congolais, ils ne savent pas ce qu’ils veulent. La majorité soutient Etienne Tshisekedi. Ils organisent des manifestations pacifiques qui se butent à la répression sanglante des hommes de Kabila. Ils sont incapable de se mobiliser en masse dans la ville de Kinshasa pour chasser Joseph Kabila. Leur haine envers les rwandophones est pour moi inacceptable. Quand les rwandophones, militaires et civils, sont avec Kabila, ils sont Congolais mais quand ils s’opposent à lui, ils deviennent Rwandais. Je suis Luba et j’en sais quelque chose. Joseph Kabila distille à travers ces médias cette haine dans le mental collectif des Congolais. Les puissances occidentales observent, mais se taisent. J’espère que le peuple juif comprends ce danger. Par contre, moi, je serai candidat à la présidence de la République aux prochaines élections de 2016, dans le cas où le Président Etienne Tshisekedi ne se présente pas. Parce que la RDC mérite mieux. Je mettrai toutes mes forces pour réconcilier le peuple Congolais avec lui-même et aussi et surtout la RDC avec ses pays voisins de l’Est, relancer l’économie de notre pays et offrir le bien être social au peuple Congolais. La RDC reprendra alors sa place dans le concert des nations.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Roger Lumbala à Paris en novembre 2012 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

03 juillet 2013

Rwanda : Dieulefit inaugure une stèle en souvenir du génocide des Tutsi

Samedi 29 juin 2013, la maire socialiste de cette  petite commune de la Drôme a inauguré une stèle « à la mémoire du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 » et une plaque en souvenir de Jean Carbonare (1926-2009), qui habitait dans la commune. C’est la seconde stèle posée en France après celle de Cluny (Saône-et-Loire), en avril 2011. D’autres monuments sont prévus dans diverses villes de France.

Capture d’écran 2013-07-03 à 09.29.05.pngLa scène s’est produite le 28 janvier 1993 devant des millions de téléspectateurs. Invité de Bruno Mazure dans le « 20 heures » de France 2, Jean Carbonare, Dieulefitois depuis 1970, tire la sonnette d’alarme. Il rentre d’une mission internationale d’enquête menée au Rwanda par d’importantes ONG, dont la Fédération internationale des associations de défense des Droits de l’Homme (FIDH) et Human Rights Watch (HRW). Ses membres ont constaté des massacres et violations des droits de l’Homme massifs. Ces exactions sont commises en totale impunité par les Forces armées rwandaises (FAR), les milices du régime et des organisations présidentielles secrètes dont un « escadron de la mort » qui liquide nuitamment les « ennemis ». Les cibles : des Hutu démocrates et surtout l’ensemble de la population tutsi, stigmatisée comme « complice » (Ibyitso) de la rébellion du Front Patriotique Rwandais. Ce mouvement armé réclame à la fois le partage du pouvoir et le retour des quelque 500 000 Tutsi chassés du Rwanda à la suite d’une succession de pogroms.
Comme les Juifs en France sous l’Occupation, les Tutsi sont supposés identifiables à leur morphologie différente, à commencer par leur « nez tutsi » (sic), et plus encore par la mention « ethnique » de leur carte d’identité. Le Rwanda est alors le seul pays avec l’Afrique du Sud, où la carte d’identité mentionne la « race » de son porteur : ici, Hutu, Tutsi, Pygmée (« Twa », 1% de la population) et même… « naturalisé », ce qui signifie sans race !
Les enquêteurs des Droits de l’Homme ont notamment découvert qu’au Rwanda des militaires français aux barrages routiers se vantent de reconnaître les Tutsi au premier coup d’œil et les font descendre des autobus pour les livrer aux Forces armées rwandaises (FAR). Certains disparaissent. Femmes et jeunes filles sont généralement violées.  Par ailleurs, des rebelles capturés ont été « interrogés » devant des officiers français, une situation inattendue pour qui connaît les méthodes d’interrogatoire des FAR : les prisonniers sont généralement battus à mort.
Les experts de la FIDH et de HRW ont été révulsés par leurs découvertes. Ils discutent pour savoir s’il faut appliquer le terme de « génocide » aux pogroms anti-tutsi qui n’ont encore fait « que » 2000 à 3000 morts entre 1990 et décembre 1992. L’ambassadeur de France à Kigali Georges Martres minimise et parle de « rumeurs ». Face au journaliste Bruno Mazure, Jean Carbonare prend son courage à deux mains. Il adjure le gouvernement français de peser de tout son poids pour obliger le régime Habyarimana à mettre fin  aux atrocités. Les larmes aux yeux, il parle du risque de « génocide ». A l’Elysée, on ricane. C’était quinze mois avant le génocide des Tutsi.

A Dieulefit aussi, Jean Carbonare a longtemps prêché dans le désert.  Après 1994, dévasté par le souvenir de cette occasion manquée d’épargner un million de vies, il a mis toutes ses compétences au service du nouveau chef de l’Etat rwandais, Pasteur Bizimungu. Lorsque ses problèmes cardiaques l’ont empêché de continuer à résider à Kigali (1 600 mètres d’altitude), il est revenu à Dieulefit avec son épouse Marguerite parler et reparler de sa passion du Rwanda. Il était toujours à contre-courant. Il s’est installé à Dieulefit,  ce pays de toutes les résistances. Après la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685, la population de Dieulefit, protestante, a été victime des « dragonnades » ces blancs-seings donnés aux cavaliers militaires (« Dragons ») pour violer, tuer, terroriser les habitants afin qu’ils abjurent leur « erreur ». Mais comme Jean Carbonare plus tard, Dieulefit est resté intimement protestant, rebelle aux manipulations. Issue d’une ancienne famille protestante de Dieulefit, Marguerite Soubeyran (1894-1980) y créa en 1929 avec Catherine Krafft (1899-1982)  l’École nouvelle de Beauvallon à Dieulefit. Elles y accueillirent et cachèrent des centaines d’enfants juifs jusqu’en 1944. Marguerite Soubeyran et Catherine Krafft furent désignées  « Justes parmi les nations » en 1969.
Dans ce pays « où personne n’est étranger », les villageois ont protégé plus de 1 500 Juifs et autres persécutés durant l’Occupation (Lire Anne Vallaeys, Dieulefit ou le miracle du silence, Ed. Fayard, Paris, 2008). Pas une seule lettre de dénonciation, pas une trahison. Le terreau était donc propice pour comprendre l’indignation et la révolte de Jean Carbonare devant l’épouvante : l’implication de l’Etat français dans un génocide contemporain.
Deux ans avant son décès, Jean Carbonare a fait se rencontrer son médecin, le Dr Anne-Marie Truc, et un ami rwandais, le Dr Ezéchias Rwabuhihi. « Il m’a parlé du Rwanda, de ce que les Tutsi avaient subi, raconte Anne Marie Truc. Tout ce sur quoi je fondais ma vie, mes valeurs, tout ça se fissurait. J’ai éprouvé un terrible besoin de comprendre, j’ai lu quantité de livres sur le Rwanda. Je me suis demandé ce que je pouvais faire ».
De cette rencontre est née une association : Intore za Dieulefit ( l’homme accompli). Un  premier voyage est organisé au Rwanda, sur les collines de Bisesero. Ce n’est pas un choix de hasard. En avril 1994, 50 000 Tutsi se sont regroupés sur ces collines au sud-Ouest du Rwanda pour résister collectivement aux tueurs. Mitraillés, harcelés, machettés, ils ne sont plus qu’environ 2 000 lorsqu’un petit détachement français de l’opération « militaro-humanitaire » Turquoise les découvre le 27 juin 1994. Le colonel rend compte à sa hiérarchie et promet que des renforts vont venir d’ici deux jours. Bizarrement, son compte-rendu se perd (lire « Complices de l’inavouable » de Patrick de Saint-Exupéry, Ed. Les Arènes). Lorsque les rescapés sont « redécouverts » par un autre détachement français et des journalistes le 30 juin, les tueurs ont mis à profit ce délai pour liquider la moitié des Tutsi encore vivants.
Bisesero est donc pour les rescapés un site particulièrement lourd de souffrances et de ressentiment. « Lorsque nous sommes arrivés en février 2009, nous faisions profil bas. Aux survivants et habitants réunis j’ai dit “Nous avons appris ce que vous avez vécu ici et ensuite comment les soldats français vous ont laissé encore 3 jours sans défense face aux miliciens. Nous avons été tellement malheureux  que nous avons voulu venir de France pour vous demander pardon et vous offrir notre amitié et notre soutien. Nous comprendrions que vous refusiez. Acceptez-vous notre amitié ?” », raconte Anne-Marie Truc. Ezéchias Rwabuhihi est présent ainsi que le maire Bernard Kayumba,lui-même rescapé de Bisesero, et qui a été témoin de l’arrivée des soldats Français.  Ils expliquent la démarche des visiteurs. « Il y  a eu un grand silence, puis des applaudissements », raconte encore Anne-Marie. Nous nous étions renseignés sur ce que nous pourrions faire et l’association avait acheté une douzaine de vaches qui attendaient dans le champ voisin. Ces vaches seront données à des veufs et veuves du génocide pour leur procurer une petite aisance financière. La vache est le cadeau par excellence au Rwanda. Elle ne remplace pas les morts, mais sa présence à la maison constitue une consolation appréciable. Les membres de « Intore za Dieulefit » sont dorénavant reçus comme des frères et sœurs à Bisesero.

Depuis le premier voyage en  2008, l’association n’a cessé de recruter dans la petite commune de la Drôme. Ses membres sont revenus au Rwanda, toujours plus nombreux et plus motivés. A ce jour, ils ont distribué près de 250 vaches et financé la construction d’une école primaire. Ils sont soutenus depuis le début par l’association des Amis de Beauvallon, et l’école de Beauvallon qui permet que des séminaires de réflexion  et d’information se tiennent dans ses murs. Tolérance, citoyenneté, esprit de résistance, compassion, ne sont pas des slogans à Dieulefit, mais une pratique quotidienne de voisinage. Bien loin des intrigues et des petits calculs politiques de Paris où on a cyniquement affirmé que l’action  de la France au Rwanda avait été « admirable ».

A Dieulefit, Anne-Marie Truc et ses amis ont réussi à faire venir des conférenciers, à organiser des séminaires, à projeter des films sur le Rwanda. Dans ce pays protestant, on n’a pas hésité à s’interroger sur le rôle des églises pendant le génocide des Tutsi et le massacre politique des Hutu démocrates. Beaucoup de Dieulefitois suivent de près l’application du « pacte d’amitié » signé par la mairie de Dieulefit et le district de Karongi, dont dépend Bisesero. Au point que la maire socialiste de Dieulefit, Christine Priotto,  a décidé de se rendre, elle aussi, au Rwanda et à Bisesero lors de l’inauguration de la nouvelle école primaire en novembre 2011.
Tous les Français meurtris par le génocide de 1994 et l’implication d’une poignée de personnages peu recommandables, installés aussi bien à l’Elysée que dans les hautes sphères de l’armée française, n’espèrent pas à brève échéance une « déclaration de repentance » de l’Etat. Il a fallu un demi-siècle pour qu’un président de la République reconnaisse la responsabilité de la France dans les rafles et la déportation de presque 100 000 Juifs sur le territoire français pendant l’Occupation. Les Tutsi du Rwanda, à 8 000 kilomètres, pèsent encore moins que les Juifs de France…
Par contre, l’érection de lieux de mémoire en France est considérée comme un impératif qui ne saurait plus attendre. Aussi la décision  de la maire de Dieulefit Christine Priotto d’inaugurer une stèle a-t-elle attiré samedi 29 juin dans ce village reculé de la Drôme une cinquantaine de Rwandais venus d’un peu partout de France et de Suisse. La stèle est érigée place Marguerite Soubeyran et Catherine Krafft, en centre-ville, à côté de la Poste.  Elle comporte deux plaques, l’une « à la mémoire du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 », la seconde  en souvenir de Jean Carbonare ainsi libellée : « Jean, Ibuka se souvient de toi, Jean Carbonare, 1926-2009) ».
La cérémonie était placée sous l’égide de la municipalité de Deulefit, de l’association Intore za Dieulefit, de Marcel Kabanda, président de l’association Ibuka-France (« Souviens-toi »).

Invités d’honneur, Jacques Kabale, ambassadeur du Rwanda à Paris, Ezéchias Rwabuhihi, député rwandais et ancien ministre, Bernard Kayumba, maire du district de Karongi (dont dépend Bisesero), Alain David, représentant le président de la LICRA. Autour de leur présidente Anne-Marie Truc, les membres de l’association  Intore Za Dieulefit et une centaine d’habitants de la commune parmi lesquels une petite fille de Catherine Krafft.
Entourée de ses enfants et petits enfants, Marguerite, veuve de Jean Carbonare a levé le voile de la stèle en compagnie de Christine Priotto. Une soirée de témoignages de rescapés a suivi, marquant la fin de la XIXe commémoration du génocide en France.
Les participants espèrent se retrouver autour d’autres stèles jusqu’aujourd’hui en projet. À présent, la perspective de la XXe commémoration mobilise les esprits et les énergies.

Jean-François DUPAQUIER

09:35 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

26 juin 2013

Rwanda : Premier procès d’un "génocidaire" à Paris prévu en février-mars 2014

Arrêté en octobre 2008 à Mayotte pour trafic de faux papiers, l’ex capitaine Pascal Simbikangwa sera jugé du 4 février au 28 mars 2014 par la cour d’assises.

Afrikarabia logo V2.pngDepuis le génocide des Tutsi en 1994, la France est, de tous les pays occidentaux, celui qui a accueilli le plus grand nombre de réfugiés rwandais suspects d’actes de torture, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Pourtant aucun procès n’y a encore été organisé à la différence d’une dizaine de pays occidentaux, la Belgique, l’Allemagne, la Suisse, etc..  Alain Gauthier, président du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda[i] (CPCR) estime à plus d’une centaine le nombre de « génocidaires » résidant légalement dans notre pays. Aussi le premier procès audiencé à la veille de la XXe commémoration du génocide des tutsi du Rwanda fera date.

Pascal Simbikangwa a été une douteuse célébrité dans son pays avant sa fuite en 1994. On l’appelait « Le tortionnaire » à cause du plaisir sadique qu’il trouvait à animer, depuis son fauteuil roulant (séquelle d’un accident de la circulation), des séances de tortures dont peu de Rwandais sont sortis vivants. La salle de torture du « fichier central » était située à moins de 30 mètres du bureau du président Juvénal Habyarimana, dans le centre de Kigali, et sans doute le chef de l’Etat pouvait-il deviner, aux cris des supliciés, que le travail était bien fait…

Le capitaine Pascal Simbikangwa avait le pouvoir de déclarer « suspect » n’importe quel Rwandais accusé du seul «crime» d’avoir critiqué son patron, le général Habyarimana ou pire encore, d’avoir la mention ethnique «Tutsi» sur sa carte d’identité et de s’être trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Les tortures infligées par Simbikangwa au journaliste Boniface Ntawuyirushintege ont fait l’objet de caricatures acerbes dans la presse démocratique de l’époque, avant d’être confirmées par le Père blanc Guy Theunis, à l’époque un ami et correspondant à Kigali de Robert Ménard, le fondateur de Reporters sans Frontières…

Les témoins des exaction de Pascal Simbikangwa sont légion. L’ancien directeur de l’Office rwandais d’informations (ORINFOR) Christophe Mfizi a écrit dans son rapport « Le réseau zéro, fossoyeur de la démocratie et de la république au Rwanda (1975-1994) », comment le capitaine Pascal Simbikangwa l’avait menaçé. Le juriste belge Filip Reyntjens dans une note déposée comme preuve dans l’affaire Rutaganda (au TPIR) le présente comme un membre des « escadrons de la mort » . Il était connu en particulier pour exécuter les ordres de son beau-frère, le colonel Elie Sagatwa membre éminent de l'Akazu, la « maisonnée présidentielle ».

Le 27 mars 1992, l’ambassadeur de Belgique au Rwanda, Johan Swinnen le désigna, dans un télex adressé à son ministre de tutelle Willy Claes, comme étant membre d’un « état-major secret chargé de l’extermination des Tutsis du Rwanda afin de résoudre définitivement, à leur manière, le problème ethnique au Rwanda et d’écraser l’opposition hutue intérieure» (Commission d'enquête parlementaire concernant les évènements du Rwand-Sénat de Belgique). Le « Rapport de la commission internationale d'enquête sur les violations des droits de l'homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990 (7-21 janvier 1993)» évoque le capitaine Simbikangwa comme un tortionnaire. L’ONG américaine Human Right Watch rapporte dans son bilan de l’année 1993 au Rwanda que Monique Mujawamariya, une militante rwandaise des droits de l’homme « a été menacée de mort par le Capt. Pascal Simbikangwa connu pour avoir torturé plusieurs personnes détenues par les services secrets ». Les auteurs de l’excellent ouvrage « Les médias du génocide » nous racontent l’épisode de la création du journal « L’indomptable Ikinani».

Le 23 mars 1994, Joseph Kavaruganda, président de la cour de cassation, alertait le président Habyarimana sur les menaces de mort du capitaine Pascal Simbikangwa à son encontre. Joseph Kavaruganda sera assassiné 18 jours plus tard, le 7 avril 1994, par des membres de la garde présidentielle. Simbikangwa a été très actif dans le génocide contre les Tutsi et dans le massacre des Hutu démocrates, distribuant des armes et encouragent les tueurs.

« Le tortionnaire » s’est livré dans deux livres « L’homme et sa croix » (1989) et « La guerre d’octobre » (1991). Il écrit notamment : « Un pistolet 9mm dont j’allais bientôt maîtriser les secrets, une mitraillette Uzi qui commençait à me devenir un compagnon de choix, débarquer ou embarquer dans une voiture roulant à grande vitesse avec possibilité de me recueillir et me défendre aisément, et ma volonté farouche des VIP, tout cela me faisait revivre les temps héroïques de mes ancêtres.» […] « Je suis né guerrier et je devrais le rester tant que je vivrais, car cette lutte, ce combat sans merci que la survie (sic), je la mène avec détermination et dans un idéal de toujours chercher à mieux faire. Je suis donc guerrier et je ne le suis d’ailleurs que trop car dans l’acceptation de ma vie où je dois faire preuve de mon sang froid, de courage exceptionnel aux yeux de l’environnement qui ne cesse de s’en étonner malgré ce terrible 28 juillet 1986 [jour de son accident qui l’a laissé à demi-paralysé]»

Dans son acte d’accusation publié le 3 mars 2008, le procureur général du Rwanda l’accuse de « génocide, complicité de génocide, complot de génocide, assassinat et extermination », pour des actes qu’il aurait commis à Kigali et à Gisenyi à partir d’avril 1994.

« L'inarrrêtable » capitaine Pascal Simbikangwa a été arrêté le 28 octobre 2008 à Mayotte sous une fausse identité : Safari Sedinawara. Condamné pour....trafic de faux papiers, il fallait le renvoyer devant la cour d’assises pour génocide, crime contre l'humanité, torture, viol, meurtre, avant qu’il achève la peine qui sanctionnait son simple délit. Ce premier procès d’un génocidaire réfugié en France est le résultat de la création en 2011 d’un pôle « génocides et crimes contre l'humanité » au Tribunal de grande instance (TGI) de Paris.

« Patrie des droits de l'Homme, la France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité » promettaient Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice et Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères. Christiane Taubira, qui est depuis longtemps sensibilisée au génocide de 1994 et à ses conséquences, a poursuivi cette action. La promesse sera bientôt tenue concernant le « Tortionnaire », mais la file d’attente sera longue à résorber pour les autres « clients » rwandais du pôle génocide.

Jean-François DUPAQUIER

[i] Le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR) a été créé en novembre 2001. Voir son site :
www.collectifpartiescivilesrwanda.fr

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Rwanda : Une plainte contre Paul Barril pour complicité de génocide

La Fédération internationale des associations de défense des droits de l’Homme (FIDH), et d’autres associations ont déposé déposé plainte auprès du Tribunal de grande instance de Paris contre l’ancien “gendarme de l’Elysée” Paul Barril pour complicité de génocide au Rwanda.

Capture d’écran 2013-06-26 à 16.15.06.pngLa FIDH, la Ligue française des droits de l’homme (LDH) et l’association Survie ont déposé lundi 24 juin 2013 une plainte contre Paul Barril  du chef de complicité de génocide. L’ancien chef adjoint de la « cellule des gendarmes de l’Elysée » de triste mémoire est notamment convaincu d’avoir contracté le 28 mai 1994 un accord d’assistance de fourniture d’armes et de munitions et de formation et d’encadrement, avec Jean Kambanda, Premier ministre du Gouvernement intermédiaire rwandais (GIR). Le Conseil de sécurité des Nations Unies, par la résolution n°918 du 17 mai 1994, avait notamment adopté un embargo sur les armes interdisant la vente et la livraison « d’armements et de matériels connexes de tous types, y compris les armes et les munitions ». Paul Barril ne pouvait ignorer qu’il violait ainsi l’embargo sur les armes décrété par l’ONU, et surtout qu’il favorisait les crimes de guerre et crimes contre l’humanité - imprescriptibles - du “gouvernement génocidaire”. Sous l’autorité de Jean Kambanda, environ un million de Tutsi et Hutu démocrates rwandais ont été exterminés en cent jours.

 Chassé de l’Elysée à la demande de François Mitterrand pour divers “dérapages”, le capitaine de gendarmerie honoraire Paul Barril s’était reconverti dans le domaine de la sécurité “haut de gamme”.  Il a soutenu durant près de deux années l’armée de Saddam Hussein dans la guerre Irak/Iran, période où il a appris à se servir de missiles anti-aériens d’origine soviétique. Paul Barril a ensuite conseillé différents chefs d’Etats africains, et plus particulièrement Juvénal Habyarimana au Rwanda. Il avait été appuyé auprès du président rwandais par Fabien Singaye, un maître-espion rwandais basé à Berne (Confédératon helvétique), gendre et fondé de pouvoir de Félicien Kabuga, le “financier du génocide”, toujours en fuite.
Paul Barril renverra l’ascenseur à Singaye en le faisant embaucher par le juge “antiterroriste” Jean-Louis Bruguière comme interprète assermenté dans le dossier de l’attentat du 6 avril 1994.

Barril avait fondé plusieurs sociétés, dont SECRETS ainsi que le groupe GPB – Groupe Privé Barril. C’est dans ce cadre que Paul Barril a conclu, le 28 mai 1994, le contrat d’assistance qui porte sa signature ainsi que celle du Premier ministre du Gouvernement intermédiaire rwandais de l’époque. La FIDH, la LDH et Survie dénoncent la conclusion et l’exécution partielle par Paul Barril de ce contrat de fourniture d’armes et de munitions, et de formation et d'encadrement, alors même que le Rwanda était en plein génocide et que la communauté internationale dénonçait ouvertement les crimes massifs commises dans le pays.

« Paul Barril, qui entretenait des relations privilégiées et de longue date avec les autorités rwandaises, était un fin connaisseur du contexte géopolitique rwandais de l’époque. Il ne pouvait dès lors ignorer les conséquences d’un tel accord permettant d’alimenter les crimes perpétrés au Rwanda durant cette période », précisent les auteurs de la plainte dans un communiqué. Ils ajoutent que « l’Instruction devrait permettre de savoir si Paul Barril est seul en cause ou si d’autres responsables français ou d’une autre nationalité doivent être mis en cause ».

Bien d’autres questions sont posées sur le rôle de Paul Barril et de son équipe de mercenaires français embauchés par le “gouvernement génocidaire” et présents au Rwanda durant le génocide.  Plusieurs d’entre-eux semblent s’être trouvés sur les collines de Bisesero à la mi-mai 1994 pour conseiller l’extermination des Tutsi qui s’y étaient rassemblés au nombre d’environ 50 000  et qui menaient une défense désespérée. Un des mercenaires de l’équipe, peut-être révolté par le “travail” qui lui était assigné, a été tué par un milicien interahamwe le 20 ou 21 juin 1994. Le milicien a été convoqué par le Premier ministre Jean Kambanda, peut-être moins pour le sermonner que pour lui imposer le silence sur cet “accident professionnel”. Les sites français de mercenaires qui prétendent “rendre hommage aux nôtres tués au combat” se sont bien gardés de citer son nom et les circonstances de son décès.

Dans son livre “Guerres secrètes à l’Elysée”, Paul Barril affirme avoir été présent au Rwanda le 7 avril, juste après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana (attentat qui a servi de détonateur au génocide organisé de longue date). Interrogé par le juge Marc Trévidic (qui a succédé au juge Bruguière) sur ce point, il a prétendu avoir menti et présenta un passeport qui attestait de sa présence à Washington de la fin mars à la mi-avril 1994. Mais son alibi a fait long feu. L’enquête de police a démontré qu’il possédait au moins deux passeports à la date du 6 avril 1994, ce qu’il s’était bien gardé de dire au juge.

La plainte de la FIDH, de la LDH et de l’ONG Survie devrait permettre d’ouvrir plus grande  encore la boîte de Pandore du déroulé de l’attentat et du génocide des Tutsi du Rwanda.

Jean-François DUPAQUIER

Voir aussi l’excellent article du journaliste Mehdi BA sur Jeune Afrique

16:21 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

21 mai 2013

FRANCE-RWANDA : Ndagijimana perd une nouvelle fois son procès pour diffamation

L'historien Jean-Pierre Chrétien et l’écrivain-journaliste Jean-François Dupaquier, étaient poursuivis depuis 2010 pour diffamation et injures par l’ancien ambassadeur du Rwanda en France Jean-Marie Vianney Ndagijimana. Tous deux avaient critiqué, dans un courrier privé, ses propos et écrits sur le génocide des Tutsi en 1994, en particulier sa thèse d’un « double génocide ».  Leur relaxe devant le tribunal correctionnel de Rouen (France) le 14 février 2012 vient d’être confirmée par la Cour d’Appel le 2 mai 2013 (1).

Logo Afkrb.pngJean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier avaient été mis en examen à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile pour diffamation et injure déposée par  Jean-Marie Vianney Ndagijimana, ancien ambassadeur du Rwanda à Paris (ayant acquis par la suite la nationalité française). Rappelons que l’ambassadeur avait été démis de ses fonctions le 27 avril 1994 pour des motifs qui n’ont jamais été éclaircis. Il avait quelques jours plus tard dénoncé le génocide en cours.

En cause dans sa plainte : une lettre adressée par l’historien et le journaliste au pasteur adventiste Jean-Guy Presles, président d’un Collectif organisateur de conférences qui s’étaient tenues en septembre 2009 à Rouen sur "le dialogue et la réconciliation entre Rwandais" où le mot « génocide » était significativement absent de l’intitulé des quatre conférences.

Dans ce courrier, ils estimaient que les organisateurs avait été trompés et que les quatre orateurs, dont l'ancien ambassadeur Jean-Marie Vianney Ndagijimana, défendaient tous la même thèse, celle du "double génocide" dont auraient été victimes simultanément les Hutus et les Tutsis. Ils soutenaient que les orateurs avaient rejoint ainsi "les réseaux européens des négationnistes du génocide des Tutsis".

Débouté devant le tribunal correctionnel, Jean-Marie Vianney Ndagijimana ayant fait appel, la Cour d’Appel de Rouen vient de confirmer le premier jugement « en toutes ses dispositions ».

Lors de l’audience en appel le 9  janvier 2013, Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier avec leurs avocats, Me Antoine Comte et Me Gilles Paruelle, avaient  une nouvelle fois souligné la légitimité du courrier qu’ils avaient adressé à l’époque aux organisateurs de la série de conférences, dont ils estimaient que leur bonne foi avait été abusée.

Lors de l'audience, l'ancien diplomate avait rejeté avec force l'accusation de négationnisme. « Je refuse cette équation diffamatoire », avait-il dit en affirmant « qu'il appartenait aux deux communautés, étant tutsi par sa mère et hutu par son père. »

Dans l’intervention que la Cour lui demanda à la fin du procès,  l’historien Jean-Pierre Chrétien rappela fortement que le génocide de 1994 n’a pas été une guerre interethnique avec des victimes réparties également entre deux camps « naturellement » antagonistes, mais la perpétration d’un projet d’extermination raciste qui a littéralement déchiré la société rwandaise, jusqu’au niveau le plus intime, à tel point que des familles peuvent compter en leur sein à la fois des victimes et des bourreaux.

De son côté Jean-François Dupaquier a demandé au Tribunal de rappeler le droit à la liberté d’expression. Aucune « loi mémorielle » ne sanctionnant la négation du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, qualifier de « négationnistes » des propos provocateurs s’inscrivant dans la phraséologie par laquelle  des responsables du génocide cherchent à minimiser leur responsabilité, n’est ni une injure ni une diffamation, mais bien au contraire un devoir de vérité et une incitation à la réflexion critique.. Il a noté que Jean-Marie Vianney Ndagijimana refuse de dire par quel moyen il s’est procuré un courrier confidentiel et que ce refus pose la question d’une violation de correspondance.

Interrogé, Jean-Pierre Chrétien « observe que la Cour d’appel, avec la même sagesse que le tribunal de première instance, a refusé de s’engager dans la réécriture de l’Histoire qui lui était demandée, mais qu’elle a fait respecter la liberté d’expression et de recherche dans notre pays ». Il rappelle à nouveau que « la réconciliation nationale nécessaire au Rwanda ne sera possible que sur la base d’une reconnaissance claire de la réalité du génocide des Tutsi et de la responsabilité de la politique raciste qui y a conduit. »

Lui-même et Jean-François Dupaquier remercient les soutiens qu’ils ont trouvés dans une épreuve qui leur a été ainsi indûment infligée. Notamment auprès de la Ligue des Droits de l’Homme, du Comité de vigilance sur les usages publics de l’histoire (CVUH), de l’Association des chercheurs de Politique africaine (ACPA) et auprès de centaines de chercheurs, d’intellectuels et de défenseurs de la liberté de pensée et d’expression.

(1) L'arrêt de la Cour d'appel de Rouen est consultable ici

Afrikarabia

11:28 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

04 avril 2013

Rwanda : L’enquête Bruguière, une imposture française

Journaliste belge, Philippe Brewaeys démonte l’une des plus extraordinaires machinations judiciaires de l’histoire de France : l’enquête biaisée menée par le juge Jean-Louis Bruguière sur l’attentat du 6 avril 1994 au Rwanda, attentat qui fut l’élément déclencheur du génocide des Tutsi.

Capture d’écran 2013-04-04 à 08.56.41.pngLe 6 avril 1994 à 20 h 23, deux missiles sont tirés contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana. L’appareil en phase d’atterrissage explose, ses occupants sont tués sur le coup. Parmi eux, les trois Français qui composent l’équipage et le président de la République du Burundi, Cyprien Ntaryamira.  Presque aussitôt, les extrémistes hutu accusent les Casques bleus belges de la Mission des Nations unies pour le Rwanda (MINUAR). Au même moment, ils dressent partout des barrages, tuent les Tutsi qui passent, assassinent les personnalités modérées du gouvernement. Dix militaires belges de la MINUAR sont abattus. Le génocide commence. En cent jours, environ un million de personnes seront exterminées : les trois-quarts des Tutsi du Rwanda et aussi des Hutu démocrates ou qui ont le malheur de présenter “la morphologie tutsi”.

Aussi longtemps qu’ils contrôleront l’épave de l’avion présidentiel, les extrémistes hutu interdiront son accès. Et après le génocide, tous les protagonistes de la tragédie auront d’autres priorités que d’enquêter sur l’attentat. Tous ? Corrigeons : le mercenaire français Paul Barril, capitaine de gendarmerie en disponibilité, a été missionné par Agathe Habyarimana - la veuve du président rwandais -  pour incriminer le Front patriotique rwandais dans l’attentat. Dès le mois de juillet 1994, Barril tente de déposer une première plainte en son nom et se répand dans les médias. Le quotidien Le Monde publie ses élucubrations. La plainte n’est pas considérée comme recevable.

Quatre ans plus tard, Barril est à la peine. Dans Le Figaro, le journaliste Patrick de Saint-Exupéry a produit une série de révélations sur l’implication de l’Etat français dans le génocide. Les parlementaires s’apprêtent à créer une mission d’information qui, inévitablement, convoquera le mercenaire. Astucieusement, Barril pousse Sylvie Minaberry, la fille du copilote du Falcon du président Habyarimana à porter plainte. Cette fois, un juge d’instruction est nommé : Jean-Louis Bruguière. Les parlementaires français n’ont pas le droit d’interférer dans le cours d’une procédure judiciaire : ils n’oseront pas interroger Paul Barril et se garderont de conclure sur l’identité des auteurs de l’attentat du 6 avril 1994.

Le responsable de cet attentat ? Le juge Jean-Louis Bruguière en est vite convaincu par Paul Baril et ses amis :  c’est le Front patriotique rwandais et son chef militaire, Paul Kagame. En 2006, le juge français lance une série de mandats d’arrêt. Peu importe si l’une des personnes visées n’existe pas… Le Rwanda rompt ses relations diplomatiques avec la France.

Dans « Rwanda 1994. Noirs et Blancs menteurs » , le journaliste d’investigation Philippe Brewaeys démêle les fils de cette instruction biaisée, manipulée, qui visait à accuser Paul Kagame d’avoir délibérément voulu le génocide pour reprendre la guerre au Rwanda... et la gagner contre une armée mieux équipée et deux fois plus nombreuse. La vraisemblance et la mesure n’embarrassaient pas le juge Bruguière qui instruit ici “à la hussarde” avec des policiers orientés, des témoins manipulés, des journalistes et des universitaires stipendiés par certains services de renseignement, un “interprète assermenté” lui-même ancien espion d’Habyarimana et qui a des liens familiaux avec sa veuve, Agathe. Autant de « Noirs et blancs menteurs », un clin d’œil à l’ouvrage polémique de Pierre Péan qui faisait l’éloge de l’enquête Bruguière, « Noires fureurs, blancs menteurs ».

Philippe Brewaeys a eu accès à des milliers de documents judiciaires, à des dizaines d’interviews et des centaines de coupures de presse. Ce journaliste méticuleux et pragmatique démonte une enquête délirante. Ne dévoilons pas cet ouvrage qu’il faut lire par le menu : achetez-le. Sans aller au delà de ce que témoins et documents expliquent, Philippe Brewaeys permet de deviner que l’implication de l’Etat français dans le génocide des Tutsi a pour significatif reflet la manipulation de l’enquête Bruguière, pour continuer à dissimuler l’inavouable. On devine ainsi l’agitation dans l’ombre de personnages qui tirent les ficelles de Barril et qu’au XVIIIe siècle on appelait des “roués”. Des admirateurs de Talleyrand qui mériteraient le jugement que Napoléon Bonaparte portait sur ce dernier : “De la merde dans un bas de soie”.

Bien des vices rédhibitoires de l’instruction Bruguière ont été relevés ces dernières années. L’expertise balistique de l’attentat, décidée par les successeurs de Bruguière, les juges Nathalie Poux et Marc Trévidic, a démontré  que les tireurs des missiles se trouvaient dans le camp militaire Kanombe, tenu par les extrémistes hutu, ou à sa proximité immédiate. La thèse négationniste accusant Paul Kagame et transformant les victimes en bourreaux a volé en éclats. Mais Philippe Brewaeys apporte beaucoup plus. Ayant eu accès aux archives judiciaires belges et à des témoins que le juge Bruguière s’était bien gardé d’interroger, il démontre mieux que personne à quel point le juge français a failli, sans qu’on sache la part de bêtise ou d’arrogance à l’origine de ce naufrage.

Autre grande qualité de son livre à la démonstration impeccable : il est court (160 pages), clair, très accessible. Inutile d’être un « spécialiste du Rwanda » pour comprendre toute l’affaire. Il faut aussi préciser que l’enquête de Philippe Brewaeys a été menée conjointement avec sa consoeur Catherine Lorsignol, de la télévision francophone belge (RTBF) qui diffusera un documentaire sur le même sujet, “Rwanda. Une intoxication française” sur Canal+ le 8 avril à 22 h 40 dans Spécial investigation, diffusé ensuite sur la RTBF le 10 avril à 20 h 15 dans Devoir d’enquête.

Jean-François DUPAQUIER

Philippe Brewaeys, Rwanda 1994. Noirs et Blancs menteurs (avec RTBF), Ed. Racine, Bruxelles. 19,95 €.

Voir aussi le dossier que le magazine Jeune Afrique consacre à cette affaire, édition internationale n° 2725 du 31 mars au 6 avril 2013. 3,50 €.

09:01 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

02 avril 2013

Rwanda : Un agent de la DGSE raconte sa mission durant le génocide

Officier des Services secrets français, Thierry Jouan avait infiltré l’ONG Médecins du Monde pour informer jour après jour sa hiérarchie de la perpétration du génocide des Tutsi. Il initia l’opération d’exfiltration menée dans la grande ville de Butare par les militaires français de Turquoise.

Capture d’écran 2013-04-02 à 21.11.53.pngC’est le témoignage qu’on n’espérait pas : la confession de la “sonnette” de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) - l’équivalent français de la CIA - pendant le génocide des Tutsi entre avril et juillet 1994 au Rwanda. Thierry Jouan - qui a quitté l’armée en 2006 avec le grade de colonel - a été durant treize ans un des agents du mystérieux “Service action” de la DGSE. Cet officier pesait lourd au sein des services secrets et avait son franc-parler. S’il finit par quitter la caserne du boulevard Mortier à Paris (siège de la DGSE familièrement appelée “La Piscine”), ce fut surtout parce qu’on lui refusait le commandement du camp de Cercottes, dans le Loiret, où sont formés les agents “Action” et les commandos du 11e Choc. Une promotion qu’il estimait méritée. Au vu des états de service de cet officier parachutiste bardé de médailles et citations, on peut comprendre son point de vue. Au moins l’inconséquence ou l’ingratitude de sa hiérarchie nous vaut-elle cette confession d’une plongée dans le génocide des Tutsi et le massacre des Hutu démocrates en 1994 au Rwanda.

Avant de se lancer, Thierry Jouan a attentivement lu les livres de témoignages précédant le sien, et compris qu’il pouvait beaucoup dire. Mais avec une prudence qui confine à la naïveté, il croit éviter d’énerver son ancienne hiérarchie en changeant les noms de pays, de villes, de “races”, d’intelocuteurs. Ainsi le Rwanda devient la “Zuwanie”, le Burundi le “Boulanga”, la Tanzanie est transformée en  “Manzabie”. Il appelle Kigali “Matobo”, la catégorie hutu les “piwa”, celle des Tutsi les “ara”, etc. De ce fait, les pages 178 à 238 de son livre sont un peu une “prise de tête” pour qui veut comprendre le fil de sa mission. Heureusement, de temps en temps l’auteur s’oublie et, par exemple, la ville de Gisenyi devient... Gisenyi. Finalement,  un décryptage à la portée de toute personne qui connaît tant soit peu l’histoire et la géographie du Rwanda.

Thierry Jouan est envoyé au Rwanda par le Service action fin avril ou début mai 1994. On croit comprendre qu’à cette date un des responsables nationaux de MDM  est un “honorable correspondant” de la DGSE qui impose son recrutement  au  responsable de la base logistique de médecins du Monde à Nairobi (Kenya). Facile de faire passer l’espion pour un logisticien de son ONG (un scénario très fréquent). L’espion français a une double mission : vérifier les rapports de situation d’un précédent agent qui a quitté le Rwanda, et s’assurer que la machine à crypter les messages diplomatiques de l’ambassade de France de Kigali a bien été sabotée lors de sa fermeture. Un souci qui en dit long sur le degré de confiance de la DGSE envers les militaires français de l’opération Amaryllis (d’exfiltration des diplomates et expatriés au début du génocide) dirigée par le colonel Poncet.

Thierry Jouan ne dit rien des informations de la précédente “sonnette” qu’il était si important de vérifier. Mais on sait que la DGSE a toujours soutenu que l’avion du président Habyarimana avait été abattu par les extrémistes hutu, à la différence de la Direction du renseignement militaire (DRM), dont l’un des agents était l’époustouflant capitaine Paul Barril. Il n’est donc pas impossible que la mission au Rwanda de Thierry Jouan fut également motivée par les différences d’analyse entre la DGSE et la DRM. divergences sur lesquelles, croit-on savoir, la DGSE avait été sommée de s’expliquer par l’Elysée.

On est impressionné par l’aptitude du lieutenant Thierry Jouan à  comprendre la situation alors qu’il ne connaissait rien du Rwanda. Le génocide, il a le nez dessus avec sa “couverture” d’humanitaire. Il voit les Tutsi se faire tuer “grâce aux cartes d’identité instaurées à l’époque coloniale mentionnant l’appartenance ethnique”. La “colère populaire spontanée”, thème récurrent des négationnistes, il n’y  croit pas, bien au contraire : “La simultanéité, la violence et l’ampleur des massacres attestent de leur planification de longue date” (page 187). Il discerne la structure criminelle : “Généralement les autorités locales, parfois sous la pression de hiérarchies parallèles,  prétextent la mise en sécurité des Aras [Tutsi] pour les regrouper dans des lieux publics comme les stades, les bâtiments communaux, les écoles et les églises. Ensuite, des groupes de miliciens achèvent les personnes, parfois précédés par les F.A.Z [FAR] qui commencent le “travail” avec des armements adaptés, des grenades, notamment” (page 188).

A la lecture de cette autobiographie où le génocide n’occupe qu’une place presque modeste, on comprend vite que Thierry Jouan est un écorché vif, et que la descente en enfer au Rwanda de 1994 n’améliora pas son équilibre psychologique. Alors qu’il campe depuis près d’un mois et demi à côté de l’Ecole française de Kigali , sa “couverture” d’humanitaire commence à l’obnubiler. Sa mission d’espion  qui devrait le carapaçonner d’indifférence aux malheurs du temps et des hommes craque de toutes parts. Le voici à Butare, installé dans la Maison du Loiret, aux prises avec Soeur Bernadette, une religieuse têtue qui veut à tout prix exfiltrer ses cinq cents orphelins. C’est le temps de l’Opération Turquoise et l’une des scènes les plus insolites du livre : Thierry Jouan accompagne la soeur vers Cyangugu à la rencontre des militaires français. Les voilà enfin devant le colonel Didier Tauzin, alias Thibault, qui commande le détachement du 1er RPIMa. Thierry Jouan, dont le grade est à peine inférieur, lui fait sous couvert du logisticien de Médecins du Monde un point de situation militaire. Le colonel de la « Coloniale » ne se doute et ne doute de rien. Avec son arrogance habituelle, Tauzin le “renvoie aux pelotes” : “Laissez tomber tout ça, jeune homme. J’ai déjà tous ces renseignements, bien sûr, et de toute façon, j’ai des ordres”.

Pas découragé, l’espion de la DGSE alerte sa hiérarchie, qui l’appuie à Paris. L’Etat-major finit par ordonner à Tauzin d’aller exfiltrer les orphelins de Butare et d’autres personnes. Vu sous ce nouvel angle, le récit de cet épisode livré par Didier Tauzin dans son livre “Je demande justice pour la France et ses soldats” (Ed. Jacob-Duvernet), ne manque pas d’effets comiques involontaires.

“Une vie dans l’ombre” est le livre touchant et vrai d’un homme déchiré par le caractère absurde de ses missions, qui espère trouver ici une forme de rédemption. Qu’il en soit remercié et encouragé.

Jean-François DUPAQUIER

Colonel Thierry Jouan, Une vie dans l'ombre, éditions du Rocher, 317 pages, 18,90€.

DROIT DE REPONSE. A la suite de la publication de cet article, Thierry Jouan nous a adressé cette mise au point que nous reproduisons dans son intégralité :

« Votre article paru sur le blog AFRIKARABIA le 2 avril 2013 intitulé « Rwanda : un agent de la DGSE raconte sa mission durant le génocide », contient de très nombreuses inexactitudes s’agissant de mon expérience militaire et de mon ouvrage « Une vie dans l’Ombre » :

Tout d’abord, il est indiqué à plusieurs reprises que j’aurai infiltré l’ONG MEDECINS DU MONDE, notamment via un de ses responsables à qui aurait été imposé mon recrutement, ce qui est absolument faux.

L’auteur de l’article insinue par ailleurs que mon témoignage serait le fruit d’une rancœur issue de l’ « inconséquence ou de l’ingratitude de [ma] hiérarchie », laquelle m’aurait refusé une promotion. Ici encore, il ne s’agit que d’une interprétation personnelle, erronée, et qui ne saurait être déduite de mon récit.

De la même manière, est présenté comme acquis le fait que j’aurai modifié les noms de pays, villes, personnes et autres groupes de population aux fins d’« éviter d’énerver [mon] ancienne hiérarchie », alors qu’il ne s’agit que de l’opinion de l’auteur de l’article, de surcroit fausse puisque mon intention était de respecter un degré suffisant de confidentialité et de protéger mes proches.

En outre, l’insertion selon laquelle ma première mission aurait consisté à vérifier les rapports de situation d’un précédent agent est encore inexacte.

Enfin, je m’inscris catégoriquement en faux de la conclusion dudit article me présentant comme « un homme déchiré par le caractère absurde de ses missions ». Si j’ai effectivement été atteint, c’est par le caractère « absurde » de la guerre, et non de mes missions, et c’est de l’horreur telle que j’ai pu la constater dont j’ai souhaité témoigner dans ce livre ».

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22 mars 2013

De l’air frais du Québec au Forum mondial des femmes francophones

Le Forum mondial des femmes francophones organisé par  Yamina Benguigui, ministre déléguée à la Francophonie, aurait ronronné mercredi 20 mars au musée du Quai Branly à Paris sans un peu d’air frais venu du Québec...

Capture d’écran 2013-03-22 à 08.34.10.pngYamina Benguigui et son équipe avaient vu grand. La “représentante personnelle du président de la République” invitait quelque 400 femmes issues des 77 pays francophones au premier “Forum mondial des femmes francophones” mercredi 20 mars 2013 à Paris. Une réunion, selon elle “dans l’urgence”, “née du constat de la régression du droit des femmes dans le monde et notamment dans l’espace francophone”. En réalité, Yamina Benguigui continue à “ramer” pour définir sa mission  après l’échec du Sommet de la Francophonie à Kinshasa et alors que se profile le Sommet suivant à Dakar.

Faute de moyens financiers réels, la Francophonie se réduit comme peau de chagrin à un “Plan Com”. La bouée de sauvetage s’appelle “défense des femmes dans le monde” au détriment de la défense de l’influence du français dans le monde. Un exercice politiquement acrobatique puisqu’il amène Yamina Benguigui. à souligner que la situation des femmes est particulièrement mauvaise dans l’espace francophone. Ce qui est vrai, mais incline à observer que depuis des dizaines d’années, le gouvernement français n’a pas fait son travail dans sa sphère d’influence en matière de droits de l’Homme - au sens le plus large - et notamment de “politique du genre”. Notamment au Rwanda jusqu’en 1994 et en RDC par la suite.

Yamina Benguigui semble consciente de ce écueil. Elle a enfourché depuis quelques mois un cheval de cheval de bataille original : dénoncer les viols et actes de barbarie commis en RDC selon elle par le M23 “soutenu par Kigali”. Une tribune dans Le Monde, signée notamment par la Première dame Valérie Trierweiler, a donné le signal de ce “programme du genre” vu de Paris (voir la genèse de cette affaire dans Afrikarabia).

Depuis, la ministre déléguée à la Francophonie a légèrement corrigé le tir. Pour conserver un minimum de crédibilité, le Rwanda n’est plus voué aux gémonies. Mais les thèmes égrenés au premier Forum mondial des femmes francophones restent les mêmes. « Nous vivons aussi un moment où les femmes sont niées, abîmées et détruites dans leur intégrité. Elles subissent au quotidien des exactions, des violences de toutes sortes. Elles n’ont aucune protection juridique et sanitaire et sont le plus souvent exclues des systèmes scolaires », a regretté Yamina Benguigui avant d'appeler à lutter au quotidien pour faire reconnaître les droits les plus élémentaires des femmes : « Car c’est bien dans l’espace francophone, c’est bien en langue française que cette tragédie se déroule ». Yamina Benguigui propose donc de créer « un réseau actif dans l’espace francophone » et veut en saisir l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et le président François Hollande.

Denis Mukwege, gynécologue obstétricien à l’hôpital de Panzi en RDC, était l’invité vedette de la réunion du 20 mars. Ce médecin au courage extraordinaire (voir Afrikarabia) mais à la perspicacité politique sujette à caution a répété que « Le corps de la femme devient le champ de bataille. C’est détruire la vie à son origine ». Un  message qui semble de plus en plus instrumentalisé par Yamina Benguigui pour incarner sa ligne politique confuse. Si la ministre française s’intéressait vraiment à la mission de ce nobélisable, elle lui transférerait son propre budget de gardes du corps, tant la vie du docteur Denis Mukweg est menacée en RDC.

Dans ce nouveau sommet de confusion compassionnelle sinon de tartufferie, la délégation de femmes chefs d’entreprises invitées à l’initiative du Québec a fait souffler un peu d’air frais et de sincérité. Les Offices jeunesse internationaux du Québec ont permis à 40 jeunes femmes d’y porter leurs voix. Toutes ont été choisies pour leur investissement professionnel positifs, démontrant que la Femme n’est pas seulement une victime emblématique. La promotion de femmes chefs d’entreprises est leur crédo.  Leur porte-parole (photo) a fini par obtenir un micro pour donner un point de vue décapant : “Je m'appelle Lydie Hakizimana et je suis de nationalité rwandaise. Je suis la présidente de la Chambre des jeunes entrepreneurs et cheffes d'entreprises depuis sept ans dans le domaine de l'édition et publication de livres scolaires. Pendant une semaine, nous avons travaillé sur un livre blanc avec des constats et recommandations sur l'axe entreprenariat.

Premièrement, l'argent c'est le nerf de  la guerre- faciliter l'accès au crédit et au capital financier pour les femmes entrepreneures en créant des fonds de garantie gouvernementaux.

Deuxièmement, l'éducation est très importante - mais tout se joue des le plus jeune âge - s'assurer que chaque jeune fille avant l'age adulte ait rencontre un/une entrepreneure pour un partage d'expérience.

Troisièmement, le savoir c'est le pouvoir : créer des formations spéciales femmes entrepreneures qui permettraient l'affirmation de soi et l'apprentissage de la prise de parole.

Quatrièmement, on a tous besoin de modèles et d'être inspirées - identifiées et promouvoir les femmes entrepreneures en créant un annuaire papier électronique.

Cinquièmement, le réseau est primordial- l'union fait la force. Créer des lieux où  les femmes entrepreneures profiteront de la mutualisation des expertises.

En conclusion, Les gouvernements sont censés créer un environnement favorable à un développement dont la pierre de lance est le secteur privé, les petites et moyennes entreprises, l'entrepreunariat féminin...

La pauvreté engendre la guerre et la guerre promeut la pauvreté. Faisons la guerre chers frères, chères soeurs... pas entre nous; contre la pauvreté car, c'est elle notre seule vraie ennemie.”

Au milieu des sifflets et quolibets d’autres femmes francophones, Lydie Hakizimana a indiqué que son entreprise fait aujourd’hui travailler 150 personnes et elle a rendu hommage à son gouvernement qui conduit l’une des politiques du genre les plus audacieuses dans le monde. Bien loin de l’image que Yamina Benguigui véhicule du Rwanda...

Jean-François DUPAQUIER

Photo : Lydie Hakizimana © JF. Dupaquier

19 mars 2013

Attentat du 6 avril 1994 (Rwanda) : Barril lâché par Agathe Habyarimana

Sale temps pour le mercenaire et capitaine de gendarmerie honoraire Paul Barril : l’expertise de l’attentat  contre le président du Rwanda Juvénal Habyarimana, qui pointe la responsabilité d’extrémistes hutus, est validée par  la chambre de l’instruction de la Cour d’Appel de Paris. Et Agathe Habyarimana se désolidarise du mercenaire à son service...

Afrikarabia logo V2.pngIl avait pourtant fait des pieds et des mains pour “prouver” que l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Habyarimana était l’oeuvre du Front patriotique rwandais. Au point qu’un livre ne suffirait pas pour raconter toutes les intrigues du mercenaire et capitaine de gendarmerie honoraire Paul Barril afin de conduire le peu perspicace juge Jean-Louis Bruguière sur de fausses pistes. Alors mandaté par Agathe Habyarimana, veuve du chef de l’Etat Rwandais, Barril s’est révélé un spécialiste de haut vol en désinformation et enfumage tous azimuts. Il avait même rallié à sa cause un universitaire français, André Guichaoua, qui a couvert de son autorité le ”témoignage” sur l’attentat écrit par un imposteur, le “lieutenant” Abdul Ruzibiza (« Rwanda, l’histoire secrète », Ed. Panama, 2005). Et convaincu le polémiste Pierre Péan, aujourd’hui hagiographe de Jean-Marie Le Pen, d’écrire lui aussi un livre en ce sens, « Noires fureurs, blancs menteurs » (Ed. Fayard). Succédant au juge Bruguière, les juges Nathalie Poux et Marc Trévidic ont fait voler ce château de cartes.

La cause de Barril semble aujourd’hui si mauvaise que l’avocat d’Agathe Habyarimana, Me Meilhac, a fait savoir au juge Trévidic que sa cliente se désolidarisait de Paul Barril. Une noire fureur née de l’annonce du résultat des perquisitions aux différents domiciles de Paul Barril et de la fragilité de son alibi pour le soir du 6 avril 1994. Le coup de grâce a été donné mardi 19 mars : le travail des experts désignés par les juges Nathalie Poux et Marc Trévidic est confirmé par la chambre de l’instruction de la Cour d’Appel de Paris. Les avocats des officiers du FPR suspectés de l’attentat ont rappelé le film des événements dans un communiqué. Un rappel plus qu’utile.

Les deux juges d’instruction avaient désigné un collège d’experts chargés de vérifier les hypothèses des sites de lancement qui pouvaient servir au départ des missiles ayant abattu le 6 avril 1994 en soirée le Falcon ayant à son bord les présidents rwandais et burundais – et donné le signal du génocide des Tutsis du Rwanda, un million de morts en cent jours.. Le collège d’experts s’était rendu au Rwanda en 2010 et le 10 janvier 2012, avait conclu que le site le plus vraisemblable pour le tir des missiles était situé au camp militaire Kanombe, tenu par les militaires hutus les plus extrémistes, écartant du même coup l’hypothèse d’un tir provenant de Masaka, contrairement à l’ordonnance des mandats d’arrêt internationaux de Jean-Louis Bruguière.

Certaines parties civiles essentiellement liées à Madame Agathe Habyarimana, ont tenté, et pour cause, écarter ce rapport qui était totalement défavorable à leur thèse. Elles ont essayé de provoquer la nullité de la mesure d’expertise voire d’obtenir une nouvelle et seconde expertise ou encore des compléments d’enquêtes. Toutes ces demandes avaient été rejetées par ordonnance des juges Trevidic et Poux prononcée en  juin 2012. Les juges avaient cependant prescrit aux experts de fournir des éclaircissements sur un point technique concernant l’impact de la trajectoire des avions sur le tir des missiles, ce que la défense avait accepté. La majorité des parties civiles avait aussi accepté l’ordonnance du juge. Seul le même groupe minoritaire proche d’Agathe Habyarimana avait interjeté appel devant la chambre d’instruction de la Cour d’Appel de Paris.

Les parties ont longuement plaidé le  29 janvier 2013. La défense avait demandé à la Cour de confirmer l’ordonnance des juges d’instruction Nathalie Poux et Marc Trevidic et de rejeter l’appel interjeté. Telle était également la position de l’Avocat général qui avait clairement pris position pour le respect du travail des experts et des juges d’instruction.

Ce 19 mars 2013, la Cour d’Appel de Paris a suivi la position de l’Avocat général et de la défense. Elle a déclaré non fondé l’appel d’Agathe Habyarimana et de ses proches.

Pour Me Lef Forster, avocat au Barreau de Paris et Me Bernard Maingain, avocat au Barreau de Bruxelles, “cet arrêt s’inscrit dans la continuité de l’instruction qui a mis en évidence le caractère fantaisiste des accusations formulées à l’encontre des militaires du Front patriotique  rwandais”. Ils pointent du doigt à cette occasion “l’absence de preuve fiable et des manipulations graves de la justice française. Les développements récents montrent en outre que désormais les recherches doivent s’orienter vers les extrémistes hutus voire dans certains cercles en France, proches de ceux-ci.”

Pour les personnes visées visiblement à tort par l’ordonnance du magistrat Jean-Louis Bruguière, cette décision doit faciliter le prononcé d’un non-lieu, espèrent les deux avocats. Cette issue prévisible pourrait être retardée par un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris soutenu par l’Avocat général. Un tel pourvoi démontrerait qu’Agathe Habyarimana et sa famille ne chercheraient plus qu’à retarder  la réorientation de l’enquête en direction de leurs amis des milieux extrémistes hutus.

Jean-François DUPAQUIER

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18 mars 2013

RDC : Ntaganda réfugié à l'ambassade US de Kigali

Logo Afkrb.pngComme un coup de tonnerre, la nouvelle a été annoncée lundi 13 mars à 16h15 sur le compte Twitter d'Afrikarabia (@afrikarabia). Un membre du M23 avait alors indiqué à notre site que "Bosco Ntaganda était au Rwanda" et se trouvait dans les locaux de l'ambassade des Etats-unis à Kigali, "en attente de son transfert pour la Cour pénale internationale (CPI"). L'information a mis plus de deux heures à être confirmée. D'abord sur Twitter, via le compte de la ministre des Affaires étrangères rwandaise, Louise Mushikiwabo, qui a révélé que Bosco Ntaganda "s'était présenté à l'ambassade américaine de Kigali, tôt dans la matinée". Après avoir démenti un temps les faits, le Département d'Etat a fini par confirmer à son tour en fin de journée la présence du rebelle congolais "à la représentation américaine dans la capitale rwandaise". Les Etats-unis ont également affirmé que Bosco Ntaganda "avait demandé son transfert à la CPI à la Haye", où il était recherché pour crimes de guerre.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

13 février 2013

Exclusif - Paul Kagame : "le Rwanda n'est pas à l'origine des problèmes du Congo"

Afrikarabia a interrogé le président rwandais, Paul Kagame, sur les nombreuses critiques congolaises à propos du rôle du Rwanda dans  le conflit à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Kinshasa accuse le Rwanda de soutenir la rébellion du M23, ce que Kigali a toujours nié.

Image 1.png- Jean-François DUPAQUIER (Afrikarabia) : Monsieur le Président, en RDC, l’opinion publique semble très hostile au Rwanda et vous-même êtes parfois caricaturé dans les médias comme un nouveau Hitler. Pensez-vous que cette hostilité pourra disparaître dans un avenir prévisible, ou au contraire avez-vous l’impression que cette haine du Rwanda risque de s’enraciner dans l’identité congolaise ?

 - Paul KAGAME : Je pourrais commencer par dire qu’Hitler n’est pas connu pour avoir posé des problèmes  au Congo. Si ces gens avaient un peu de suite dans les idées, on s’attendrait à ce qu’ils me caricaturent en Léopold II. Mais ces gens cherchent des références ailleurs pour raconter l’histoire à leur façon.

Second point, revenons à la réalité. Les problèmes du Congo sont associés à une prétendue responsabilité rwandaise ou du chef de l’Etat rwandais. C’est trop facile d’accuser sans cesse la gouvernance du Rwanda de tous leurs maux. Les Congolais, les leaders du Congo, nous ne leur souhaitons aucun mal. Un bon Congo, un Congo fort, à la bonne gouvernance, voilà la voie que devraient prendre les Congolais pour améliorer leur vie. Sincèrement, le Rwanda rêve de vivre avec un voisin prospère, florissant, nous serions heureux si le Congo faisait des progrès, parce que la traduction du progrès au Congo serait aussi un progrès pour nous, il n’y a aucun doute là-dessus. C’est aussi simple que cela.

Nous souhaitons que les Congolais trouvent  la voie de la bonne gouvernance avec leurs leaders, au lieu de pointer du doigt à  tout moment le Rwanda.

S’ils ont décidé de dire « le Rwanda est notre problème, nous n’avons pas d’autre problème », à eux de voir si c’est vrai ou pas. Franchement, si les problèmes du Congo sont le Rwanda et les leaders du Rwanda, à vous d’en juger. Mais aussi ceci masque les plus graves problèmes du Congo, et alors les problèmes vont durer longtemps. Peu importe ce qu’ils ont à l’esprit, mais plus ils se persuadent que le Rwanda est le problème, plus ils vivront avec leurs problèmes.

Malheureusement, ça les affecte dans leur jugement. Ca devient pathétique de renvoyer les problèmes à leurs voisins. Un autre problème est que des étrangers supposés les aider ne jugent la situation au Congo qu’à l’aune de ce que les Congolais disent : que les problèmes du Congo viennent de l’extérieur, qu’ils n’auraient pas de problèmes intérieurs. Encore une fois, permettez-moi de revenir un peu en arrière sur les Congolais. Je crois comprendre qu’ils sont cinquante ou soixante millions. Est-ce que tous ces Congolais parlent d’une seule voix pour dire que le Rwanda est le problème du Congo et qu’il faut regarder du côté de Kagame… est-ce une opinion ?

Si l’on croit ça, c’est une erreur. Je suis certain que vous avez des gens qui pensent ça, peut-être même qu’ils sont nombreux, mais sont-ils les représentants de l’opinion publique congolaise, accréditant une opinion erronée ? Est-ce vraiment la réalité ? Pour être aussi clair que possible, cette question est intéressante pour apporter une réponse. La question aide-t-elle le Rwanda ou aide-t-elle le Congo ?  Je ne sais pas, mais c’est quelque chose dont les gens peuvent [doivent] parler [C’est un problème qui mérite d’être débattu]. Si la réponse reste la même, le Rwanda restera ce qu’il est : nous faisons des progrès ou nous échouons à faire des progrès, quoi qu’il se passe au Congo, et les problèmes du Congo  resteront ce qu’ils sont.

[NDLR : interrogé par autre journaliste, Paul Kagame a répondu en substance que l’intérêt du Rwanda et l’intérêt du Congo vont de pair. Si la RDC connaît de vrais progrès en matière de gouvernance, en matière économique etc., ce sera bon aussi pour le progrès du Rwanda. Tout le monde sait que le progrès économique passe par la sécurisation des acteurs économiques et par l’ordre public. Il déclare en avoir administré une nouvelle preuve au Rwanda où les investisseurs sont protégés, où la corruption a été éradiquée. Ce n’est pas un hasard si l’augmentation de notre PNB se situe entre 7 et 8% par an depuis longtemps.  Aux Congolais de comprendre si leurs problèmes viennent de ce que des règles de bonne gouvernance sont appliquées au Rwanda. Paul Kagame ajoute n’être pas responsable de l’ordre public en RDC. Si les Congolais comprennent cela, à eux de régler leur problème. C’est simple : les problèmes de la RDC doivent être résolus en RDC. Plus les Congolais auront à l’esprit que l’animosité à l’égard du Rwanda tient lieu de solution, plus leurs problèmes dureront. Leurs problèmes vont rester et même continuer à les affaiblir. ]

- Paul KAGAME : J’entends différentes personnes parler en boucle « des problèmes de l’Est du Congo ». On me pose souvent la question sur « l’Est du Congo ». Ca donne l’impression que dans leur esprit l’Est du Congo serait un pays en soi. Que les problèmes de l’Est du Congo ne sont pas les problèmes du Congo. Je pense qu’ils font une erreur d’analyse. Croient-ils qu’ailleurs au Congo il n’y a pas aussi des gens qui souffrent ? Ne comprennent-ils pas que pas que ce qui arrive dans l’Est du Congo reflète ce qui se passe ailleurs dans cet immense pays ? Parce que le Congo à mes yeux est un seul pays, un seul gouvernement, les mêmes institutions, et ainsi de suite…

La question est : les acteurs voient-ils les choses de la bonne façon, la façon adéquate, alors la réponse est là. Laissez-moi résumer tout ceci : Le Rwanda n’est pas l’origine des problèmes du Congo, c’est plutôt le Congo qui doit prendre en main ses problèmes. La meilleure façon de voir le Rwanda est de comprendre qu’avec le Congo, nous sommes des Africains, des voisins, nous pouvons travailler ensemble pour régler nos problèmes plutôt que de voir l’autre en ennemi. En dépit de ce qui est dit et écrit ici où là, au Rwanda nous percevons la RDC comme un bon voisin, comme des Africains avec qui nous devons entretenir des bonnes relations d’une façon plus positive que ce qui apparaît trop souvent.

Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER pour Afrikarabia

NDLR : Cette version destinée au public francophone de la  déclaration en anglais du Président de la République du Rwanda à Afrikarabia n’est pas une traduction mot à mot, mais une adaptation en français. Pour plus de précision nous invitons les lecteurs à se référer à la version anglaise, seule certifiée conforme au script de l’interview. (cliquez ici)

11:24 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

Paul Kagame : "Understand Rwanda is not the creator of the problems in Congo"

EXCLUSIVE COVERAGE - Afrikarabia asks Rwandese President Paul Kagame his answer to congolese criticisms these lasts months.

Image 1.png- Jean Francois Dupaquier : Mr. President, in DRC the public opinion seems very unfriendly to Rwanda and yourself sometimes cartooned as a new Hitler. Do you think this hostility may disappear in a foreseeable future or do you feel  it may seem a basic part of  Congolese identity?

- Paul Kagame:  Well, I may start with the fact that Hitler is not known for creating problems in the Congo, maybe they should have talked of King Leopold but they prefer to look for problems somewhere else that tells the story.

The second point is, I wish the reality was that actually Congo’s problems were anyway related closely with Rwanda or with the leader of Rwanda. That would have been the easiest way to deal with, to resolve, we would have resolved this problem long time ago because we don’t wish Congo, the Congolese, the leaders of Congo  any bad luck at all, we don’t wish them any of that. In fact a good Congo, Congo that is strong, that is well governed, whose people are dealing with their problems the way they should and improving their lives, all these are in the interest of Rwanda as well. Rwanda would wish to live with a neighbor that is thriving especially Congo, we would be happy if Congo was making good progress because this translates in good progress for us as well there is no doubt about it, it is as simple as that.

As for the public opinion in Congo, I’m not responsible for what happens in Congo with the public opinion there. If they have decided to say that Rwanda is our problem, we have no other problems, it’s up to you to decide whether this is true or not. Really if Congo’s problems are Rwanda and the leader of Rwanda, it’s up to you to make that judgment but also that also masks the bigger problem of Congo that is not being addressed, the problems will remain for a long time, it doesn’t matter whether they have in their mind, but the more they have it in their mind that Rwanda is the problem, the more the problem will stay with them. So a different problem that is real and is affecting them will remain and therefore they remain where they are and that would be more pathetic but of course the problem, even additional problem is for outsiders who would have been helpful to address the problem to see it also that way, or judge the situation in Congo from what Congolese are saying in this regards; that Congo’s  problems originate from outside and that they don’t have problems inside,  but again let me take you back a little bit, do the Congolese; I’m told now they are about fifty to sixty million people, are all these people united over this problem, that Rwanda is the problem Congo and Kagame is to be seen … is it an opinion?

Again this one is misleading, I’m sure you have people who think like that, maybe they are even many but are they the representative of the Congolese opinion of this population putting aside how erroneous the thinking is, is it really what it is? But for being even a little clear, this question which I think is good in a way to bring that you brought up is the answer to it supposes to help Rwanda or to help Congo? I don’t know but this is something people can talk about. If I answered it and it stays, Rwanda remain what it is; we make progress or we fail to make progress, irrespective of what goes on in Congo and Congo’s problems will remain the way they are.

The other big problem people talk about ; the Eastern Congo, all the time and this is the wrong way of looking at things. Many times I have confronted questions, they ask me about Eastern Congo, actually in their mind and they give this impression widely as if Eastern Congo has turned into another country on its own.   The problems in eastern Congo are not the problems of the whole Congo. But I think and this is the mistake people are making, they don’t know one, they don’t know that people in other parts of that very huge country are suffering, secondly they don’t understand that how and what happens in Eastern Congo carries an image of what happens elsewhere in the country because this is supposed to be one country, you know one government, same institutions and so on and so forth.

Again it goes back to whether people see things the right way, the way they should, there goes the answer. Let me just summarize to say, Rwanda is not the creator of the problems in the Congo, in fact is not the problem, Congo should be looking at their problems, the best way to look at Rwanda as sharing with Congo in addressing that we all face as Africans as neighbors, we can all work together to deal with these problems instead of looking at each other as enemies. Despite what Congo says that you raised their opinion, the opinion of Congolese, we still see Congo as our good neighbors, people as Africans that we need to relate with in a more positive way than the impression that is always given.

Jean-François DUPAQUIER - Afrikarabia

A French version of the interview with Paul Kagame is available here.

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11 février 2013

Rwanda : Manifestation contre l’acquittement des 2 ministres du "gouvernement génocidaire"

Lundi 11 février, les averses n’ont pas découragé les manifestants de Kigali, indignés par l’acquittement de deux anciens ministres rwandais en appel par le Tribunal Pénal International de La Haye.

manif rwanda 3.pngJustin Mugenzi était ministre du Commerce pendant le génocide. Son collègue Prosper Mugiraneza, licencié en droit de l’Université nationale du Rwanda (UNR) de Butare, occupait le poste de ministre de la Fonction publique. Les deux hommes n’étaient pas accusés d’avoir dirigé sur le terrain des bandes de tueurs, mais d’avoir participé au limogeage du préfet de Butare, dans la ville universitaire de Sud du Rwanda, le 17 avril 1994.  Ce préfet, Jean-Baptiste Habyarimana (aucun lien de parenté avec le président Juvénal Habyarimana tué le 6 avril précédent) était le seul préfet tutsi du Rwanda. Le seul à résister obstinément à l’entreprise de destruction des Tutsi engagée le 6 avril au soir, et qui aboutira à l’extermination d’environ les trois quarts des Tutsi du Rwanda. Les génocidaires enrageaient de ne pas parvenir à leurs fins dans le sud du Rwanda.

Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza ont participé le 17 avril à Gitarama, dans le centre du Rwanda, au conseil des ministres qui a décidé de limoger le préfet « rebelle ». Sa révocation fut annoncée le surlendemain dans un stade de Butare, en présence des membres du gouvernement (dont Justin Mugenzi  et Prosper Mugiraneza ) et d’autres responsables tant civils que militaires. Peu après, le préfet Habyarimana fut tué avec toute sa famille et les massacres dans sa préfecture se généralisèrent.

Une révocation pour « des raisons politiques et administratives » ?

En première instance, le 30 septembre 2011, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) siégeant à Arusha, en Tanzanie, avait estimé que les preuves contre les deux ministres étaient accablantes.  Ils avaient été déclarés coupables d’entente en vue de commettre et d’incitation directe et publique à commettre le génocide. Outre le conseil des ministres convoqué pour limoger le préfet tutsi, on leur reprochait leur présence lors du discours incendiaire prononcé le 19 avril 1994 à Butare par le président intérimaire Théodore Sindikubwabo, appelant explicitement à l’anéantissement des Tutsi.

Mais le lundi 4 février 2013 à la surprise générale, la chambre d’appel à La Haye, paye (Pays Bas)résidée par le juge américain Theodor Meron, a « infirmé leur condamnation » au titre des deux chefs d’accusation et « ordonné leur libération immédiate ». Selon le jugement d’appel, le limogeage du préfet Habyarimana a certes contribué à la généralisation des massacres mais la décision du gouvernement pourrait avoir été prise pour « des raisons politiques et administratives » et non pas nécessairement pour laisser le champ libre aux tueurs.

Le gouvernement s’était en effet plaint de l’absence du préfet à certaines réunions d’autres responsables de son rang. Les juges ont également suivi le raisonnement des appelants selon lesquels ils ne savaient que le président intérimaire allait prononcer un discours incendiaire.

Pourtant dans son plaidoyer de culpabilité, le Premier ministre intérimaire, Jean Kambanda, condamné à la réclusion à vie, avait reconnu que son gouvernement avait piloté le génocide.

Quatre juges sur cinq

Sur les cinq membres de la chambre d’appel présidée par le juge américain Theodor Meron, quatre ont voté l’acquittement. L'opinion dissidente du Juge Liu a été actée dans l’arrêt d’appel.

Le Procureur général du Rwanda Martin Ngoga a jugé « extrêmement décevant » l’arrêt de la chambre d’appel qui a remis en liberté les deux anciens membres du gouvernement. « C’est une décision extrêmement décevante de la part de la chambre d’appel du TPIR », s’est indigné Martin Ngoga. Les effroyables divergences entre les décisions de première instance et les décisions d’appels dans nombre d’affaires, dont celle-ci, posent de sérieuses questions (…). Les plus récentes décisions de la chambre d’appel tendent à adopter un traitement simpliste des faits et créent une tendance à exonérer les dirigeants politiques ».

De son côté, Jean-Pierre Dusingizemungu, président d’Ibuka, la principale organisation de survivants du génocide des Tutsis, s’est dit « très attristé » par le jugement. Pour lui, cet arrêt « apporte de l’eau au moulin des négationnistes du génocide » des Tutsis.

 Lundi, malgré les averses de la petite saison des pluies, une foule de manifestants a parcouru Kigali pour protester contre le jugement d’appel.

Certains manifestants appelaient à la fermeture immédiate du TPIR. Mais le Conseil de sécurité a déjà voté la fin du TPIR  en 2014. A Arusha, une « structure résiduelle » est chargée des affaires courantes. Il ne reste que la Chambre d'appel du TPIR qui fermera ses portes à son tour le 31 décembre 2014.

La raison de telles incohérences

Reste à expliquer les incohérences fréquentes entre les jugements de première instance et d’appel. Selon un ancien collaborateur du Tribunal Pénal international de La Haye, « les Juges font, à tous niveaux, ce qu'ils veulent, la Chambre d'appel ayant toujours refusé de jouer un rôle harmonisateur, tant sur le fond des jugements que sur le montant des peines ».

Selon un membre du Parquet s’exprimant sous couvert d’anonymat, « ce sont des professeurs de droit très âgés et complètement déconnectés des réalités ». Les incohérentes concernent aussi bien les affaires judiciaires de l’ex-Yougoslavie que celles du Rwanda. S’exprimant aussi sous couvert d’anonymat, l’expert ajoute :  « Leur approche est exclusivement inspirée de la rhétorique juridique et complètement détachée des réalités factuelles, politiques, sociales ou psychologiques : ils sont dans leur bulle, et personne ne peut leur dire qu'il faudrait en sortir afin de ne pas être à côté de la plaque. »

« A côté de la plaque » ?

Cet expert nous livre une anecdote significative : « Je me souviens avoir suggéré, une fois, de façon informelle, que le quantum des peines soit soumis préalablement à leur prononcé à l'appréciation, pour avis, à des connaisseurs du contexte ex-yougoslave, afin de les aider à ajuster voire à prendre en considération l'impact possible qu'aurait leur décision. Le Président du TPIY (Claude Jorda) à qui je suggérais cette approche disons "psycho-sociale" m'a regardé comme si je blasphémais leur sacro-sainte 'indépendance'. »

Le président de chambre d’appel qui a prononcé la relaxe des deux ministre du « gouvernement génocidaire, l’Américain Théodor Meron, est né le 28 avril 1930. Ce rescapé de la Shoah « est en parfaite forme physique et mentale » nous indique un de ses proches. Il s’apprête néanmoins à fêter son 83e anniversaire, et on peut légitimement se demander si l’ONU ne devrait pas fixer une limite d’âge raisonnable au mandat des juge sinternationaux. Son collègue Patrick Robinson, né en 1944, approche les 70 ans. Théodor Meron et Patrick Robinson ne sont pas des exceptions. A La Haye, le Juge du TPIY Arpad Prandler (qui doit partir en juin prochain) a également 82 ans. Dans ce groupe de vieillards, il faut aussi citer Mhemet Güney, de Turquie, qui n’a « que » 76 ans, mais en paraît au moins dix de plus. Il est aussi membre d’une prestigieuse mais contestée chambre d'appel....

Des magistrats hors d’âge ?

Theodor Meron, - qui s’est rendu à la 10e commémoration du massacre de Srebrenica -, ne connaît à peu près rien du Rwanda, ce qui n’est pas forcément un avantage.

L’affaire des deux acquittement a provoqué un vent de colère à Kigali et aggrave le contentieux judiciaire relatif au génocide des Tutsi en 1994. Kigali accuse le Tribunal pénal international pour le Rwanda de pratiquer « la politique de deux poids, deux mesures », et menacé de chasser les observateurs désignés par cette institution pour faire le monitoring d’une affaire renvoyée devant la justice rwandaise.

Le Rwanda exige aussi que la France, à laquelle le TPIR a confié deux affaires fin 2007, fasse également l’objet d’une surveillance de la part du tribunal international.

Fin 2007, le TPIR s’est dessaisi au profit de la France, des dossiers de l’abbé Wenceslas Munyeshyaka, ancien vicaire d’une paroisse de Kigali, et de Laurent Bucyibaruta, ancien préfet de Gikongoro (sud). Mais l’instruction avance à pas comptés en France.

Jean-François DUPAQUIER (avec Agence Hirondelle)

Photo © JF. Dupaquier DR

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25 janvier 2013

Rwanda-EXCLUSIF : Un autre document implique Paris dans le génocide des Tutsis

Après les révélations du Parisien, Afrikarabia apporte un autre document accablant contre le capitaine de gendarmerie français Paul Barril. Il apparaît plus que jamais comme l’homme de main de Paris dans le génocide contre les Tutsis du Rwanda en 1994.

Document Barril confid déf.jpgLe « Contrat d’assistance » retrouvé dans les archives de l’ancien gouvernement génocidaire à Kigali, capitale du Rwanda, est daté du 28 mai 1994. Il est signé du « Capitaine Barril », élisant domicile à sa société SECRETS, 12, avenue de la Grande Armée, dans le XVe arrondissement de Paris, et porte une seconde signature : « Son Excellence Monsieur le Premier Ministre » Jean Kambanda. Ce dernier n’était pas une oie blanche : il purge aujourd’hui une peine de prison à perpétuité pour son rôle dans le génocide des Tutsis et le massacre des Hutus démocrates en 1994.

Bagatelle pour un massacre.

La date n’est pas insignifiante. Au 28 mai 1994, deux mois après le début du génocide, le Rwanda était un charnier à ciel ouvert. Dans ce pays grand comme la Belgique, plus de 900 000 personnes avaient déjà été assassinées, hommes, femmes, enfants, bébés, vieillards. Les tueurs fanatisés avaient souvent précédé de sévices atroces l’exécution de tous ces civils sans défense, uniquement coupables d’être nés tutsis. Mais l’horreur, ou la simple morale, ne semblaient pas la préoccupation majeure de capitaine en disponibilité Paul Barril. Il « s’engage à fournir une aide sur le plan humain et matériel au Rwanda ». Sur le plan humain, « 20 hommes spécialisés », c’est-à-dire 20 mercenaires. Sur le plan matériel, l’équipement sophistiqué de ces mercenaires, et surtout des cartouches de Kalachnikov et de mitrailleuses, par millions, des obus, des grenades par milliers… A ce niveau, on arrondit la facture : il y en a pour 3 millions de dollars, la moitié payable d’avance. Compte tenu de l’inflation, ça représente en valeur d’aujourd’hui entre 5 et 6 millions d’euros.

Objectif : tuer Paul Kagame

Pour l’occasion, le capitaine de la Gendarmerie française se fait aussi payer le solde d’une précédente facture : 130 000 dollars pour « l’Opération insecticide » engagée par le président rwandais Juvénal Habyarimana un an plus tôt, en 1993. Insecticide est un nom de code que les Rwandais comprennent bien : on qualifie d’insectes (plus précisément de cafards, de blattes), les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), pour la plupart des Tutsis de la diaspora qui veulent forcer le régime à leur retour au pays.
Selon nos informations, « l’Opération insecticide » visait à assassiner Paul Kagame, le leader de la rébellion, dans son QG de Mulindi, une usine à thé abandonnée à l’est du Rwanda.

La question récurrente du rôle de la France dans le génocide

Ce « contrat d’assistance » n’était pas connu de la mission d’information parlementaire française dite « Mission Quilès », du nom de son  président, qui voulait documenter le rôle de la France au Rwanda depuis 1990, date du début de la guerre civile. En 1998, Paul Quilès n’avait même pas osé interroger Paul Barril, considéré comme intouchable et trop dangereux.
Le « Rapport Quilès » n’a, en conséquence, livré qu’une analyse édulcorée de l’implication de l’Elysée et du corps expéditionnaire français dans la guerre civile au Rwanda, qui devait aboutir au génocide.  
Aussi, depuis 1994, l’implication de hauts responsables politiques et militaires français dans la préparation du génocide des Tutsis est une question qui continue à tarauder les médias et l’opinion publique. Non seulement en France, mais aussi au Rwanda, en Europe, en Afrique. Ainsi que les intellectuels du monde entier. Et le rôle du capitaine Paul Barril semble central.

Revenons au signal déclencheur de ce génocide et du massacre des Hutu démocrates : l’attentat du 6 avril 1994 contre le Mystère-Falcon du président Habyarimana, qui a aussi coûté la vie à l’équipage composé de trois Français. C’est le capitaine Paul Barril qui fut l’instigateur de  la plainte de la veuve du copilote français et provoqua ainsi l’enquête confiée en 1998 au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière pour identifier les responsables de l’attentat. Au passage, Barril fournit aux enquêteurs - visiblement sous sa coupe - un ex-espion rwandais avec qui il entretenait des relations d’affaires, Fabien Singaye, qu’il fait promouvoir interprète assermenté. Par le jeu des alliances matrimoniales, Fabien Singaye est lié à la famille Habyarimana, partie civile à l’instruction. Une « curiosité » que les avocats de la famille Habyarimana se sont bien gardés de signaler au juge. Ce ne fut pas la moindre anomalie de la procédure.

Boomerang judiciaire

Reprise et mieux documentée par le juge Marc Trévidic, cette enquête revient en boomerang contre le capitaine de gendarmerie honoraire, qui semble avoir été la cheville ouvrière des autorités française dans le soutien aux forces génocidaires.
Il a fallu beaucoup d’énergie et de temps au juge Marc Trévidic pour progresser. Les documents sont rares, les témoins souvent manipulés. Les archives de l’Elysée furent, selon toute vraisemblance, largement « purgées » avant leur dépôt à la Fondation François Mitterrand, celles de l’ambassade du Rwanda à Paris ont également été « triées » à l’été 1994 avec l’aide de « Services » français. Celles du Quai d’Orsay, de la DGSE et de la DRM restent couvertes par le « Secret Défense ». Bien des hommes qui savaient la vérité sur le rôle de la France et de Barril sont morts. Le lieutenant colonel Ephrem Rwabalinda,  correspondant des Français au sein des anciennes Forces armées rwandaises, a été liquidé par ses compagnons d’armes en juillet 1994 au moment où il s’apprêtait à fuir en Europe pour faire des révélations. Le lieutenant colonel Ntahobari, attaché militaire de l’ambassade du Rwanda à Paris durant le génocide, est par malchance (?) décédé en région parisienne au moment où il promettait au juge Bruguière des éléments nouveaux, etc.,
Il faut donc s’en remettre à des fragments de documentation ayant échappé aux « nettoyeurs » pour se faire une idée encore générale de l’implication de Paris dans un génocide qui a provoqué environ un million de morts en trois mois.

Des morts suspectes juste avant repentance

Paul Barril semble avoir joué le rôle d’interface entre l’Elysée et le groupe d’exterminateurs de Tutsi au Rwanda. L’homme est lui-même décrit comme un individu peu contrôlable devenu, après avoir quitté la Gendarmerie nationale, un tueur à sang froid mû uniquement par l’appât du gain. Né le 13 avril 1946 à Vinay, en Isère, lui-même fils d’un gendarme à la carrière honorable, il atteint la notoriété en devenant co-fondateur puis commandant du prestigieux Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) pendant deux ans avant de participer à la création de la cellule antiterroriste de l'Élysée sous le premier septennat de François Mitterrand. Le GIGN lui a permis de cotôyer les services de renseignement français, notamment comme nageur de combat à la base secrète de la DGSE d’Aspretto, en Corse,  il fréquente aussi les nationalistes du FLNC. Dans le milieu interlope du renseignement, du trafic d’armes et du terrorisme, le gendarme perd vite ses bases éthiques. Le président de la République a une petite manie qu’exploitent ses courtisans : il adore les ragots, surtout ceux d’alcôve. Il se régale des comptes-rendus d’écoutes téléphoniques, d’apprendre qui couche avec qui dans le Tout-Paris. A la cellule de l’Elysée, véritable police politique du régime Mitterrand, Paul Barril fait merveille : écoutes téléphoniques hors normes, notamment de journalistes, filatures, opérations de désinformation…

Les exploits de « l’enfumeur »

Barril est surnommé « l’enfumeur »  par ses collègues gendarmes. Il n’a pas son pareil pour mêler le vrai et le faux, et surtout pour se mettre en scène. Son maître en la matière est François de Groussouvre, conseiller spécial de François Mitterrand pour les affaires de Renseignement… et les affaires de cœur du Président.  De Grossouvre est son rabatteur de jolies femmes, surtout il a la haute main sur les services d’espionnage et contre-espionnage. Il protège particulièrement Mazarine, la fille cachée de François Mitterrand, et sa mère Anne Pingeot. Paul Barril deviendra à la fois homme de confiance, confident, occasionnellement garde du corps aussi bien de François de Grosssouvre que de Mazarine et sa mère.

Patatras, François Miterrand le force à quitter la cellule de l’Elysée à la suite d’un retentissant scandale : une affaire de « terroristes irlandais » montée de toutes pièces par Barril et d’autres gendarmes dévoyés. Mais le flamboyant capitaine reste proche de Groussouvre quil l’a introduit auprès du président du Rwanda Juvénal Habyarimana. Pour commencer, Barril lui vend un portique de sécurité et un écran anti-balles. Ensuite, avec l’aide de Fabien Singaye, il s’introduit dans le système de Renseignement rwandais et obtient de juteux contrats.

De juteux contrats

Notre consoeur du Parisien Elisabeth Fleury vient de révéler l’un d’entre eux. Dans le milieu mercenaire, on ne s’embarrasse pas de papier à en-tête. Comme le « Contrat d’assistance » du 28 mai 1994,  c’est une lettre de quelques lignes, tapée à la machine, signée par Augustin Bizimana, le ministre de la Défense rwandais. S’adressant « au Capitaine Paul Barril ». Augustin Bizimana (aujourd’hui encore recherché par le Tribunal Pénal International) lui écrit : « Monsieur,… la situation dans mon pays devient de plus en plus critique… Vu l’évolution actuelle du conflit, je vous confirme mon accord pour recruter, pour le gouvernement rwandais, 1000 hommes devant combattre aux côtés des Forces Armées Rwandaises. » La missive est datée du 27 avril 1994, un mois avant le « Contrat d’assistance ». Les soldats des FAR sont plus occupés à tuer et à piller qu’à combattre les troupes du FPR, aussi ils reculent sur tous les fronts.

« Paul Barril, à cette époque, c’est la France »

Le Parisien écrit : « Lorsqu’il est sollicité par le ministre de la Défense rwandais, le capitaine Barril n’est pas n’importe qui. « Paul Barril, à cette époque, c’est la France, résume une source judiciaire. Officiellement, Barril est d’abord chargé d’« une mission d’infiltration » au service du gouvernement rwandais, avant d’être sollicité par la veuve Habyarimana pour enquêter sur les auteurs de l’attentat. Officieusement, son rôle est nettement plus discutable ».

Un vieillard agité de tremblements

Capture d’écran 2013-01-25 à 08.31.11.pngInterrogé à trois reprises par l’équipe singulièrement peu performante de la Division nationale antiterroriste, Paul Barril s’était tiré de questions à peine gênants par des pirouettes.
Réinterrogé en juillet dernier par les gendarmes du juge Trévidic, l’homme a perdu de sa superbe. Celui qui se plaisait à faire circuler des photos le représentant un énorme revolver 357 Magnum en mains (une arme dont la balle peut couper un homme en deux), qui se targuait d’être le meilleur tireur d’élite de la Gendarmerie française, apparaît un sexagénaire prématurément vieilli, agité de tremblements, souffrant sans doute de la maladie de Parkinson. Lui qui a si longtemps et si impunément manipulé les journalistes se  plaint des médias qui le présentent « injustement » comme un homme impliqué dans l’attentat du 6 avril 1994.  Il affirme qu’il ne s’est jamais rendu au Rwanda plus de deux ou trois jours de suite. Il confirme qu’il a été présenté à Habyarimana par Grossouvre « avant 1990 » et qu’il était chargé d’infiltrer « les Tutsi du FPR » pour les retourner. Il reconnaît avoir agi d’abord avec Groussouvre puis avec Fabien Singaye. Il prétend à présent qu’il effectuait des missions ponctuelles au Rwanda sans recevoir d’argent, seulement des billets d’avion et le remboursement de ses frais.

Mais parfois le naturel de « l’enfumeur » reprend le dessus. Paul Barril joue les diplomates de haute volée. Il affirme que c’est à son instigation que Paul Kagame « et quatre personnes dont je ne me rappelle plus les noms » sont venus à Paris en septembre 1991 pour négocier « les accords d’Arusha ». Il se présente comme agissant pour François Mitterrand afin d’aider Habyarimana à assurer la paix. Mais à d’autre moments il présente la guerre au Rwanda comme opposant « les Hutu et les Tutsi » et bien sûr il était dans le camp des Hutu.

Un alibi pour le 6 avril ?

Le plus intéressant est qu’il présente un alibi pour le 6 avril 1994. Curieusement, il s’agit d’une sorte d’attestation d’huissier à qui il aurait montré son visa et les tampons d’entrée et de sortie des Etats-Unis, où il aurait passé une quinzaine de jours missionné par la Garantie Mutelle des Fonctionnaires (GMF). Mais il s’avère aujourd’hui qu’il possédait à l’époque deux passeports français à son nom.

Paul Barril aurait été appelé par Agathe Habyarimana qu’il aurait rencontrée « complètement désemparée » par la mort de son mari pour faire une enquête sur l’attentat. On lui demande s’il ne travaille pas plutôt pour Mobutu. Il esquive en disant qu’il est allé voir aussi Mobutu en venant par Goma, et qu’un hélicoptère Gazelle l’a ensuite emmené au nord du Rwanda près de la frontière, puis à Kigali. Il insiste sur le fait qu’il était seul.
On lui présente ses précédentes dépositions et ses contradictions. Paul Barril élude encore, il ne se souvent plus. Notamment pour les lance-missiles qu’il n’aurait pas eu vraiment dans ses mains. On lui rappelle ses déclarations dans « Guerres secrètes à l’Elysée », un livre de souvenirs où il règle ses comptes après le suicide de Grossouvre, intervenu curieusement le 7 avril 1994, 24 heures après l’attentat.

Une citation accablante

Paul Barril y écrit page 176 : « J'ai appris le décès de celui que je considérais comme le général en chef d'une nouvelle armée de l'ombre, apte à rétablir la France [François de Grossouvre], sur une colline perdue au centre de l'Afrique, au moment où les officiers tutsis du Front patriotique rwandais (FPR), formés et conseillés par la C. I. A., préparaient les premiers mouvements de l'offensive qui devait leur assurer le pouvoir à Kigali, capitale du Rwanda, ainsi que le contrôle de toute la région des Grands Lacs. François Durand de Grossouvre est mort le 7 avril 1994, peu avant 20 heures. Exactement 24 heures avant, le 6 avril à la même heure, l'avion du président rwandais Habyarimana a explosé en plein vol, au-dessus du palais présidentiel de Kigali, frappé traîtreusement par deux missiles soviétiques sol air SAM 16. Leurs numéros de série indiquent qu'ils ont appartenu à l'armée irakienne. Peut-être ont-ils été récupérés par les soldats américains après la guerre du Golfe. Dans ce cas devrait-on y voir une manipulation de la C. I. A. ? Mais pourquoi ? Ou plutôt, afin de ménager les intérêts de qui, à Kigali, et au Rwanda en général ? »

Que faisait Paul Barril à Kigali le 6 ou le 7 avril, selon son propre aveu ? Il répond que le livre était en partie un roman, un « roman-enquête » et que tout n’était pas vrai. Il dit que c’était « pour faire bouger les choses ».

« Des témoignages à l’africaine »

On lui rappelle les « 80 enregistrements de témoins ayant assisté à l’attentat » dont il avait fait grand cas en 1994 dans la presse, notamment le quotidien Le Monde. Non, il n’a pas ces enregistrements, il avait simplement pris des notes », et puis c’était des témoignages « à l’africaine » (?) dont il ne se souvient pas clairement.
On lui demande ses liens avec Singaye. Il dit que c’est lui qui l’a présenté aux enquêteurs du juge Bruguière. Il reconnaît savoir que Singaye était un agent des services de renseignement. Il dit qu’il était très bien renseigné et qu’il l’aidait à enquêter sur l’attentat, « pour la défense des familles des trois militaires français de l’équipage ». On lui demande à quel titre il enquêtait. Il bafouille une vague réponse.
Barril explique que l’avion a  été abattu sur ordres de Kagame dont les hommes suivaient l’arrivée par des lunettes infra rouge. Et que les deux tirs sont partis du même endroit du camp militaire des FAR à Kanombe (il avait présenté auparavant une version bien différente, visiblement il a intégré l’expertise balistique communiquée au juge Trévidic en janvier 2012, et qui semble innocenter le FPR).

Des déclarations à géométrie variable

Pressé par ses anciens collègues gendarmes qui « connaissent la musique » , Paul Barril s’énerve progressivement. A la fin, un enquêteur lui indique qu’on va perquisitionner ses différents domiciles (trois résidences en France, dont une en montagne). Il répond qu’il ne peut assister aux perquisitions vu son état de santé. Paul Barril ironise sur l’idée qu’on pourrait demander à perquisitionner sa résidence au Qatar, et que ça n’arrangerait pas les relations entre le Qatar et la France. Humilié et mortifié d’être traité en témoin ordinaire, cet homme qui a fait trembler tant de politiciens français n’est plus que l’ombre de lui-même mais voudrait se donner de l’importance. Il ajoute que puisque c’est comme ça, il ne donnera pas les documents qu’il avait apportés. Et il refuse de signer le procès-verbal d’audition, ce qui est acté.

Récompensé par la République française pour quels services ?

Les perquisitions engagées n’ont pas été sans résultat car si Barril a souvent fait le ménage chez les autres, il avait négligé bureaux et demeures personnels. Les gendarmes ont mis la main sur quelque 800 pages de pièces accablantes, une sorte de « best of » des turpitudes de la Françafrique. L’inusable Barril était de tous les trafics d’armes, de bien des magouilles…On a ainsi découvert la demande de 1000 mercenaires pour aider au génocide contre les Tutsi, et une copie du « contrat d’assistance » passé entre Barril et le gouvernement rwandais daté du 28 mai 1994, dont le premier exemplaire avait été trouvé à Kigali. Selon Le Parisien, le juge Trévidic a réinterrogé le capitaine Barril sur ces documents le 20 décembre dernier. Ce contrat d’assistance « n’a jamais existé », prétend l’intéressé. Les factures? « Cela ne s’est jamais fait. » Il prétend que tout ça tout cela « c’est de la mayonnaise africaine. »
« Une mayonnaise de près d’un million de morts » observe notre consoeur Elisabeth Fleury. En juin 1994, juste après le génocide, Paul Barril a été promu capitaine honoraire de la Gendarmerie française. Pour quels services rendus ?

Jean-François DUPAQUIER

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23 janvier 2013

FRANCE-RWANDA : Les "infractions d'Innocent Musabyimana

Innocent Musabyimana, un Rwandais de 40 ans recherché pour génocide et crimes contre l'humanité, a été interpellé en Côte d'Or. Il y suivait une formation de chauffeur-livreur à Longvic, près de Dijon.

Logo Afkrb.pngInnocent Musabyimana "a été arrêté sur demande du parquet général", a déclaré le porte-parole du parquet général de Kigali, Alain-Bernard Mukuralinda, dans l'attente que la justice française se prononce sur la demande d'extradition de Kigali. "Il est accusé d'un certain nombre d'infractions”, selon le procureur général de Dijon, Jean-Marie Beney. Jean-François Dupaquier, journaliste et écrivain, spécialiste du Rwanda, nous livre ici son commentaire.

« Viols, génocide, extermination »… les incriminations ne sont pas anodines contre M. Innocent Musabyimana, un Rwandais de 40 ans qui vivait des jours tranquilles à Longvic, près de Dijon. Même si la présomption d’innocence doit d’office lui être reconnue, les habitants de la région sont en droit de se poser bien des questions. A commencer par celle-ci : le procureur général de Dijon, M. Jean-Marie Beney a déclaré que M. Innocent Musabyimana « est accusé d'un certain nombre d'infractions » C’est la première fois qu’un magistrat qualifie d’infractions des crimes tels que génocide, complicité de génocide, meurtres, viols, adhésion et participation dans un groupe criminel. Infraction est un mot banal. Selon un dictionnaire juridique de référence, il signifie : « Action ou comportement interdit par la loi et passible de sanctions pénales prévues par la loi : amende, peine d'emprisonnement, peines complémentaires ». Ces « infractions » sont qualifiées de crimes, via Interpol, sur le un mandat d’arrêt international qui a été émis.

Un commerçant interrogé par Le Bien Public qui trouve une analogie avec l’Argentine me semble bien plus proche de la vérité historique et morale : après la chute du nazisme, des perpétrateurs de la Shoah ont trouvé refuge en Argentine. Ils savaient que le régime fasciste de Peron refuserait de les livrer. Pour juger Adolf Eichmann, l’un des principaux artisans de la « Solution finale » contre les Juifs, Israël a dû l’enlever clandestinement en mai 1960, pratiquement quinze ans jour pour jour après la capitulation nazie. La honte en a été sur le régime Argentin, pas sur celui d’Israël qui avait incontestablement commis une infraction au droit international.

La France abrite depuis 1994 plus de vingt Rwandais « suspects de génocide ». Ce chiffre ne concerne que des suspects nommément identifiés, car en réalité, plusieurs centaines de criminels rwandais « présumés innocents » se cacheraient en France, la plupart sous de faux noms. Malgré les charges accablantes documentées contre la vingtaine de « présumés innocents » connus, la justice française a toujours refusé les mandats d’extradition émis par le Parquet général du Rwanda. De jugement en arrêt, on nous répète que l’accusation est « politique ».

« Accusation politique » : c’était l’argument récurrent des autorités argentines pour refuser de livrer les criminels nazis, évidemment « présumés innocents ». La justice française n’est pas, elle, l’émanation d’un « régime fasciste » comme le Parquet péroniste. C’est simplement une institution démocratique trop humaine, avec ses faiblesses et ses vertus. Faut-il suggérer de sanctionner le « certain nombre d’infractions » reprochées à Innocent Musabyimana d’une contravention pour stationnement irrégulier en France, la fameuse amende à 17 euros ? Le génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994 a causé un million de
 victimes en cent jours. Les tueries furent souvent précédées d’actes d’une cruauté  inouie. Ce troisième génocide du XXe siècle mérite de la considération, et en particulier de bien peser ses mots. Puis agir. Ne pas extrader ou ne pas juger dans un délai raisonnable ces suspects identifiés en France serait une forme de complicité avec le crime des crimes que constitue un génocide.

Jean-François Dupaquier,
Ecrivain, journaliste

15:19 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)