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11 février 2013

Rwanda : Manifestation contre l’acquittement des 2 ministres du "gouvernement génocidaire"

Lundi 11 février, les averses n’ont pas découragé les manifestants de Kigali, indignés par l’acquittement de deux anciens ministres rwandais en appel par le Tribunal Pénal International de La Haye.

manif rwanda 3.pngJustin Mugenzi était ministre du Commerce pendant le génocide. Son collègue Prosper Mugiraneza, licencié en droit de l’Université nationale du Rwanda (UNR) de Butare, occupait le poste de ministre de la Fonction publique. Les deux hommes n’étaient pas accusés d’avoir dirigé sur le terrain des bandes de tueurs, mais d’avoir participé au limogeage du préfet de Butare, dans la ville universitaire de Sud du Rwanda, le 17 avril 1994.  Ce préfet, Jean-Baptiste Habyarimana (aucun lien de parenté avec le président Juvénal Habyarimana tué le 6 avril précédent) était le seul préfet tutsi du Rwanda. Le seul à résister obstinément à l’entreprise de destruction des Tutsi engagée le 6 avril au soir, et qui aboutira à l’extermination d’environ les trois quarts des Tutsi du Rwanda. Les génocidaires enrageaient de ne pas parvenir à leurs fins dans le sud du Rwanda.

Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza ont participé le 17 avril à Gitarama, dans le centre du Rwanda, au conseil des ministres qui a décidé de limoger le préfet « rebelle ». Sa révocation fut annoncée le surlendemain dans un stade de Butare, en présence des membres du gouvernement (dont Justin Mugenzi  et Prosper Mugiraneza ) et d’autres responsables tant civils que militaires. Peu après, le préfet Habyarimana fut tué avec toute sa famille et les massacres dans sa préfecture se généralisèrent.

Une révocation pour « des raisons politiques et administratives » ?

En première instance, le 30 septembre 2011, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) siégeant à Arusha, en Tanzanie, avait estimé que les preuves contre les deux ministres étaient accablantes.  Ils avaient été déclarés coupables d’entente en vue de commettre et d’incitation directe et publique à commettre le génocide. Outre le conseil des ministres convoqué pour limoger le préfet tutsi, on leur reprochait leur présence lors du discours incendiaire prononcé le 19 avril 1994 à Butare par le président intérimaire Théodore Sindikubwabo, appelant explicitement à l’anéantissement des Tutsi.

Mais le lundi 4 février 2013 à la surprise générale, la chambre d’appel à La Haye, paye (Pays Bas)résidée par le juge américain Theodor Meron, a « infirmé leur condamnation » au titre des deux chefs d’accusation et « ordonné leur libération immédiate ». Selon le jugement d’appel, le limogeage du préfet Habyarimana a certes contribué à la généralisation des massacres mais la décision du gouvernement pourrait avoir été prise pour « des raisons politiques et administratives » et non pas nécessairement pour laisser le champ libre aux tueurs.

Le gouvernement s’était en effet plaint de l’absence du préfet à certaines réunions d’autres responsables de son rang. Les juges ont également suivi le raisonnement des appelants selon lesquels ils ne savaient que le président intérimaire allait prononcer un discours incendiaire.

Pourtant dans son plaidoyer de culpabilité, le Premier ministre intérimaire, Jean Kambanda, condamné à la réclusion à vie, avait reconnu que son gouvernement avait piloté le génocide.

Quatre juges sur cinq

Sur les cinq membres de la chambre d’appel présidée par le juge américain Theodor Meron, quatre ont voté l’acquittement. L'opinion dissidente du Juge Liu a été actée dans l’arrêt d’appel.

Le Procureur général du Rwanda Martin Ngoga a jugé « extrêmement décevant » l’arrêt de la chambre d’appel qui a remis en liberté les deux anciens membres du gouvernement. « C’est une décision extrêmement décevante de la part de la chambre d’appel du TPIR », s’est indigné Martin Ngoga. Les effroyables divergences entre les décisions de première instance et les décisions d’appels dans nombre d’affaires, dont celle-ci, posent de sérieuses questions (…). Les plus récentes décisions de la chambre d’appel tendent à adopter un traitement simpliste des faits et créent une tendance à exonérer les dirigeants politiques ».

De son côté, Jean-Pierre Dusingizemungu, président d’Ibuka, la principale organisation de survivants du génocide des Tutsis, s’est dit « très attristé » par le jugement. Pour lui, cet arrêt « apporte de l’eau au moulin des négationnistes du génocide » des Tutsis.

 Lundi, malgré les averses de la petite saison des pluies, une foule de manifestants a parcouru Kigali pour protester contre le jugement d’appel.

Certains manifestants appelaient à la fermeture immédiate du TPIR. Mais le Conseil de sécurité a déjà voté la fin du TPIR  en 2014. A Arusha, une « structure résiduelle » est chargée des affaires courantes. Il ne reste que la Chambre d'appel du TPIR qui fermera ses portes à son tour le 31 décembre 2014.

La raison de telles incohérences

Reste à expliquer les incohérences fréquentes entre les jugements de première instance et d’appel. Selon un ancien collaborateur du Tribunal Pénal international de La Haye, « les Juges font, à tous niveaux, ce qu'ils veulent, la Chambre d'appel ayant toujours refusé de jouer un rôle harmonisateur, tant sur le fond des jugements que sur le montant des peines ».

Selon un membre du Parquet s’exprimant sous couvert d’anonymat, « ce sont des professeurs de droit très âgés et complètement déconnectés des réalités ». Les incohérentes concernent aussi bien les affaires judiciaires de l’ex-Yougoslavie que celles du Rwanda. S’exprimant aussi sous couvert d’anonymat, l’expert ajoute :  « Leur approche est exclusivement inspirée de la rhétorique juridique et complètement détachée des réalités factuelles, politiques, sociales ou psychologiques : ils sont dans leur bulle, et personne ne peut leur dire qu'il faudrait en sortir afin de ne pas être à côté de la plaque. »

« A côté de la plaque » ?

Cet expert nous livre une anecdote significative : « Je me souviens avoir suggéré, une fois, de façon informelle, que le quantum des peines soit soumis préalablement à leur prononcé à l'appréciation, pour avis, à des connaisseurs du contexte ex-yougoslave, afin de les aider à ajuster voire à prendre en considération l'impact possible qu'aurait leur décision. Le Président du TPIY (Claude Jorda) à qui je suggérais cette approche disons "psycho-sociale" m'a regardé comme si je blasphémais leur sacro-sainte 'indépendance'. »

Le président de chambre d’appel qui a prononcé la relaxe des deux ministre du « gouvernement génocidaire, l’Américain Théodor Meron, est né le 28 avril 1930. Ce rescapé de la Shoah « est en parfaite forme physique et mentale » nous indique un de ses proches. Il s’apprête néanmoins à fêter son 83e anniversaire, et on peut légitimement se demander si l’ONU ne devrait pas fixer une limite d’âge raisonnable au mandat des juge sinternationaux. Son collègue Patrick Robinson, né en 1944, approche les 70 ans. Théodor Meron et Patrick Robinson ne sont pas des exceptions. A La Haye, le Juge du TPIY Arpad Prandler (qui doit partir en juin prochain) a également 82 ans. Dans ce groupe de vieillards, il faut aussi citer Mhemet Güney, de Turquie, qui n’a « que » 76 ans, mais en paraît au moins dix de plus. Il est aussi membre d’une prestigieuse mais contestée chambre d'appel....

Des magistrats hors d’âge ?

Theodor Meron, - qui s’est rendu à la 10e commémoration du massacre de Srebrenica -, ne connaît à peu près rien du Rwanda, ce qui n’est pas forcément un avantage.

L’affaire des deux acquittement a provoqué un vent de colère à Kigali et aggrave le contentieux judiciaire relatif au génocide des Tutsi en 1994. Kigali accuse le Tribunal pénal international pour le Rwanda de pratiquer « la politique de deux poids, deux mesures », et menacé de chasser les observateurs désignés par cette institution pour faire le monitoring d’une affaire renvoyée devant la justice rwandaise.

Le Rwanda exige aussi que la France, à laquelle le TPIR a confié deux affaires fin 2007, fasse également l’objet d’une surveillance de la part du tribunal international.

Fin 2007, le TPIR s’est dessaisi au profit de la France, des dossiers de l’abbé Wenceslas Munyeshyaka, ancien vicaire d’une paroisse de Kigali, et de Laurent Bucyibaruta, ancien préfet de Gikongoro (sud). Mais l’instruction avance à pas comptés en France.

Jean-François DUPAQUIER (avec Agence Hirondelle)

Photo © JF. Dupaquier DR

22:32 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

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