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17 juillet 2012

Pourquoi la stabilisation de la RDC est un échec ?

Le retour de la guerre dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) signe un nouveau constat d'échec des multiples programmes de "stabilisation" menés par le gouvernement congolais et la communauté internationale. Dans un rapport détaillé, l'ONG Oxfam analyse les raisons de ces "tentatives infructueuses" pour ramener la paix en RDC. Pour 80% des Congolais interrogés par Oxfam, "leur sécurité n'est pas assurée". Le rapport avance également des solutions.

Casque bleu.jpgDepuis trois mois, une nouvelle rébellion, le M23, affronte les forces gouvernementales dans le Nord-Kivu, à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Les rebelles tiennent la ville frontière de Bunagana et se trouvent désormais à une trentaine de kilomètres de la capitale provinciale, Goma, qui craint de tomber aux mains du M23.

Pourtant, depuis 10 ans, la RDC est censée être en paix. La deuxième guerre du Congo s'est achevée en 2002 avec quelques millions de morts au compteur (personne ne dispose d'ailleurs de chiffres fiables) et des accords de paix. Depuis cette date, la paix se fait toujours attendre en RDC et principalement à l'Est du pays, dans les Kivu. En 2008, puis en 2012, des rébellions ont agité la région alors que des groupes armés terrorisent quotidiennement les populations civiles. La dernière rébellion en date est partie d'une mutinerie d'éléments de l'armée, issus de l'ancienne rébellion du CNDP.

Dans le rapport d'Oxfam (téléchargeable ici), l'ONG dresse un bilan peu flatteur des deux programmes de "stabilisation" censés ramener la paix, la sécurité, le rétablissement de l'autorité de l'Etat et le retour des réfugiés. Il s'agit des programmes STAREC (stabilisation et reconstruction des zones sortant des conflits armés) et ISSSS (stratégie internationale de soutien à la sécurité et la stabilisation). L'ONG a mené plusieurs enquêtes en 2011, sur le terrain, dans les zones de conflit (Ituri, Province orientale, Nord-Kivu… ), mais aussi à Kinshasa. Selon Oxfam, "ces programmes ont eu des résultats très limités" et n'ont pas "amélioré de manière significative la sécurité de la population ou rétabli les capacités de l'État à en assurer la sécurité et à fournir d'autres services". Pour 80% des personnes interrogées par l'ONG, "leur sécurité n'est pas assurée".

A l'Est du pays, là où la situation est la plus délicate, les programmes STAREC et ISSSS ne sont "pas parvenus à des améliorations tangibles avec les groupes armés" et "n'ont pas résolu les problèmes de cohésion et de rémunération au sein de l'armée, ni les abus de celle-ci, dont le comportement varie énormément d'une zone à l'autre". L'autorité de l'Etat, quasi absente dans cette partie du territoire, n'a pas été restaurée, selon l'étude d'Oxfam. "La rémunération appropriée des forces de sécurité de l'État reste largement problématique (…) Selon les dernières informations datant du milieu de 2011, 55 % des policiers déployés le long des axes routiers identifiés comme prioritaires par l'ISSSS dans le Nord-Kivu et le Sud Kivu n'étaient pas salariés de l'État", explique l'ONG.

Quelles sont les raisons de ces échecs ? Le rapport pointe "le manque de soutien solide du Gouvernement national de la RDC, qu'il soit financier ou politique" :  "les fonds alloués au fonctionnement de STAREC en 2011 représentaient moins d'un quart du montant consacré à l'entretien de la résidence officielle du Premier ministre" (20 millions de dollars, ndlr). Oxfam dénonce également "un soutien international insuffisant" et "l'absence de position internationale forte". La Monusco (la mission de l'ONU en RDC) n'est pas en reste : "la Monusco n'a pas avancé de vision stratégique avec un plan de stabilisation plus large qui
renforcerait la cohérence de ses autres activités en soulignant en quoi elles contribuent à la stabilité".

Selon Oxfam, un "nouveau souffle est nécessaire". L'ONG note un certain "désenchantement" (le terme est diplomatique) des donateurs de la RDC, "tout à fait compréhensible". Mais "baisser les bras au Congo condamnerait des millions de Congolais à une violence et une pauvreté persistantes. Cela laisserait également libre cours à une instabilité dangereuse", explique pourtant Oxfam.

Quelques solutions sont avancées par ce rapport. Elles sont connues, mais il est toujours bon de les rappeler :
- un soutien plus fort de la part du Gouvernement de la RDC,
- un soutien international plus fort et plus coordonné,
- une plus grande implication de la population locale et de la société civile.
D'autres recommandations sont promulguées, plus techniques. Retenons tout de même la nécessité "d'organiser des réunions des comités de pilotage et de suivi du programme STAREC, décrire en quoi la mission des Nations Unies et les activités de la communauté internationale hors ISSSS contribuent à un plan de stabilisation plus large", mais aussi la réalisation des lois de décentralisation (l'autonomie des provinces, qui se trouve être l'une des revendications du M23). Concernant la communauté internationale, Oxfam demande notamment d'accroître et d'adapter les financements, mais aussi de renforcer le contrôle sur l'utilisation des fonds.

Pour l'heure, toutes ces recommandations s'apparentent à des voeux pieux. Depuis les élections de 2006, voir même depuis 2001, un bon nombre de ces avis sont restés lettres mortes… problème de "gouvernance" selon une expression pudique. Le rapport d'Oxfam donne une partie de la réponse à l'échec de la communauté internationale en RDC. Son rapport s'intitule : "Pour moi mais sans moi, c'est contre moi"… c'est exactement ce que pense une majorité de Congolais, gouvernement compris.

Christophe RIGAUD

Photo : Casque bleu de la Monusco à Kinshasa © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

15 juillet 2012

L'historien Jean-Pierre Chrétien chevalier de la Légion d’honneur

Jean-Pierre Chrétien, historien de l’Afrique des Grands Lacs, vient d’être fait chevalier de la Légion d’honneur dans la promotion du 14 juillet 2012 au titre du ministère de la Recherche.

Jean-Pierre Chrétien.jpgNé le 18 septembre 1937 à Lille, Jean-Pierre Chrétien a fait ses Études secondaires au lycée Faidherbe de Lille, puis Hypokhâgne à Lille et Khâgne à Louis-le-Grand, Paris. Titulaire d’une maîtrise d’histoire (1960) portant sur « La presse française devant la prise de pouvoir de Hitler », il est reçu 3ème à l'agrégation d'histoire en 1962.

Sa carrière d’enseignant le mène tour à tour à Rouen (lycée Fontenelle, 1962-1964), à Bujumbura (Écoles normales, 1964-1968) et à Limoges (lycée Gay-Lussac, 1968-1969),avant de retrouver sa ville natale de Lille, où il obtient un poste d’assistant, puis de maître-assistant, à l’université Lille 3 (1969-1972). Dans le cadre du service national en coopération (1964-1965) il a été nommé enseignant Burundi, d’abord à l’École normale de Bujumbura puis à École normale supérieure du Burundi (1965-1968), il y réalise ses premières enquêtes de terrain, accompagné de ses étudiants qu’il forme au recueil des sources. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, alliant son intérêt pour l’histoire contemporaine de l’Allemagne au résultat de ses collectes de sources orales, il rédige ses premiers articles sur l’histoire du Burundi, qui annoncent sa contribution plus large à l’écriture de l’histoire de l’Afrique.

Capture d’écran 2012-07-15 à 18.42.28.pngChercheur depuis 1973, puis directeur de recherche en histoire de l'Afrique au CNRS au Centre de recherches africaines (CRA), il est rattaché en 1982 au  laboratoire « Tiers-monde, Afrique », de l'Université Paris I intitulé qu’il dirige à partir de 1986, jusqu’en 2001, intitulé « Mutations africaines dans la longue durée (Mald), qui s'est ensuite fondu dans le Centre d'études des mondes africains (CEMAf). Il est l'un des fondateurs de la revue Afrique et Histoire. Durant sa carrière scientifique il a publié une vingtaine de livres et plusieurs centaines d'articles scientifiques et de vulgarisation.
 
Parmi ses ouvrages les plus importants, Rwanda, les médias du génocide (dir, avec Jean-François Dupaquier, Marcel Kabanda, Joseph Ngarambe), Ed. Karthala, 1995, revue et augmentée, 2000 ; Le défi de l'ethnisme : Rwanda et Burundi, 1990-1996, Paris, Karthala, 1997, réédition entièrement refondue, 2012 ;  L'Afrique des grands lacs - Deux Mille Ans d'histoire, éd. Aubier, 2000 ; Burundi, la fracture identitaire - Logiques de violence et certitudes "ethniques" (avec Melchior Mukuri), éd. Karthala, 2002 ; Les ethnies ont une histoire (avec Gérard Prunier), éd. Karthala, 2003 ; Burundi 1972. Au bord des génocides, Paris, Karthala, 2007, (avec J.-F. Dupaquier) ; L'Afrique de Sarkozy : un déni d'histoire (avec Jean-François Bayart, Achille Mbembe, Pierre Boilley, Ibrahima Thioub sous la dir. de Jean Pierre Chrétien) éd. Karthala, 2008 ; L’invention de l’Afrique des Grands lacs. Une histoire du XXe siècle, Paris, éd. Karthala, 2010.

Spécialiste de la région des Grands lacs qu'il a abordée initialement par le Burundi, Jean-Pierre Chrétien a été invité à  s’exprimer successivement à Bruxelles devant la Commission d’enquête  sénatoriale belge sur les événements du Rwanda (1997), à Paris face aux membres de la Mission d’information parlementaire sur les opérations militaires françaises et étrangères menées au Rwanda entre 1990 et 1994 (« Mission Quilès », 1998), et à Addis-Abeba devant le Groupe de travail de l’Organisation de l’unité africaine sur le même pays (1999). Il a été également mandaté à partir de 2001 comme témoin-expert auprès du Parquet du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à Arusha dans le « procès des médias ». Retraité, Jean-Pierre Chrétien est chercheur émérite du CNRS.

Photo : Jean-Pierre Chrétien sur le terrain en 1967 au Burundi © DR

16:58 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (2)

13 juillet 2012

RDC : Le M23 s’explique…

Depuis plus de trois mois, la rébellion du M23 tient tête à l’armée congolaise dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Les rebelles progressent actuellement vers la ville de Goma, la capitale régionale du Nord-Kivu. Dans une interview accordée à Afrikarabia, le représentant du M23 en Europe, Jean-Paul Epenge analyse les raisons du conflit et les objectifs de la rébellion. Il revient également sur le rapport de l’ONU accusant le Rwanda de soutenir la rébellion et la possible prise de Goma.

JP Epenge 2.jpgLe Nord-Kivu renoue avec ses anciens démons. Depuis le mois de mai 2012, les rebelles du M23 affrontent l’armée régulière congolaise (FARDC) dans cette province de l’Est de la République démocratique du Congo. Une douzaine de localités tombent rapidement aux mains de la rébellion, qui menace maintenant de prendre Goma, la capitale provinciale. Le M23 est constitué d’anciens combattants de la rébellion tutsie congolaise du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), intégrés dans les FARDC dans le cadre d'un accord de paix avec Kinshasa signé le 23 mars 2009. Le M23 réclame la pleine application de ces accords et a commencé à prendre le maquis en avril. Mais le conflit est plus complexe. L’étincelle qui a mis le feu au poudre a été allumée par Kinshasa, qui a décidé sous la pression de la communauté internationale, d’arrêter Bosco Ntaganda, un ex-CNDP, intégré dans l’armée régulière et nommé général depuis les accords de paix 2009. Parallèlement, le Rwanda est accusé par les Nations unies et Human Rights Watch de soutenir la rébellion dans le Kivu, ce qui sème le trouble entre les deux états voisins, jusque là alliés pour traquer les « forces négatives » dans l’Est du pays.

- Afrikarabia : Le M23 a-t-il été créé pour protéger Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale (CPI) et que Kinshasa souhaite arrêter ?

- Jean-Paul Epenge : Je vais être très direct, Bosco Ntaganda n’a rien à voir avec le M23. Le sort personnel de Bosco Ntaganda ne nous concerne pas. Bosco n’est pas avec nous, le M23. C’est Kinshasa qui utilise ce prétexte pour nous attaquer. Je vais être clair. Je n’ai jamais entendu dire le président Kabila : « je vais arrêter Ntaganda ». Et de toute façon, ce sont des choses qui ne se disent pas. Si on veut arrêter quelqu’un, on fait comme avec Thomas Lubanga, Germain Katanga ou Mathieu Ngudjolo (détenus actuellement à la CPI, ndlr)… on les arrête sans prévenir personne. Si le gouvernement avait réglé le problème de Bosco Ntaganda « normalement », comme il avait réglé les cas de Bemba ou de Lubanga, il n’y aurait pas eu toutes ces histoires. Une chose me paraît étrange : Bosco Ntaganda se trouvait à Goma, au Nord-Kivu. Si Kabila voulait arrêter Ntaganda, pourquoi attaquer Sultani Makenga (le chef du M23, ndlr) qui se trouvait dans le Sud-Kivu ? Makenga n’a rien à voir avec l’affaire Ntaganda. En fait, la création du M23, c’est un sursaut tout simplement. Nous nous sommes dit, pourquoi le gouvernement nous attaque, alors que nous avions signé un accord avec eux en mars 2009 ? Ce sont les autorités congolaises qui ont rompu l’accord. Nous avons donc décidé de réoccuper militairement nos anciennes positions, celles que nous occupions du temps du CNDP, avant l’accord. Notre but est donc simplement de renégocier avec Kinshasa.
Le M23 n’est pas une nouvelle rébellion ou un nouveau mouvement, notre objectif est tout simplement de pousser le gouvernement à appliquer cet accord du 23 mars 2009. On ne demande pas le départ de Kabila, ni un nouvel accord. Nous n’avons pas de nouvelles exigences,  nous demandons juste le respect des textes.

- Afrikarabia : Justement, que trouve-t-on dans cet accord de 2009 (1), quels sont les points qui n’ont pas été respectés ?

- Jean-Paul Epenge : Nous demandons d’abord l’éradication des FDLR et des « forces négatives » (des rebelles hutus rwandais, mais aussi des milices d’auto-défense congolaises qui sèment la terreur dans l’Est du Congo, ndlr). Chaque jour, il y a des morts, on assassine, le Kivu a été décrété « capitale du viol »… Donnez-nous les moyens de combattre les FDLR. Nous avons fait 4 mémorandums au président Kabila pour avoir plus de moyens. Nous savons où sont les FDLR. Nous n’avons jamais eu les moyens financiers, humains et matériels de pouvoir lutter contre les « forces négatives » à l’Est de la RDC. Et pendant 3 longues années, malgré ce manque de moyen, nous sommes restés fidèles aux autorités congolaises… jusqu’à cette histoire de Bosco.

- Afrikarabia : Le M23 n’est donc pas là pour protéger Bosco Ntaganda ?

- Jean-Paul Epenge : Cela n’a jamais été le but de notre mouvement. Mettons nous un instant à la place de Kinshasa. Le gouvernement n’a pas respecté les accords. Il lui faut donc trouver un prétexte. Le prétexte est le suivant : ces gens (les ex-CNDP, ndlr) sont recherchés par la Cour pénale internationale et leur chef s’appelle Bosco Ntaganda. Cette histoire a été inventée pour cacher le non respect des accords de 2009 entre le CNDP et le gouvernement congolais. Autre chose : Kinshasa n’a aucun argument pour expliquer l’échec des accords.

- Afrikarabia : Quels sont les autres points de l’accord que vous revendiquez ?

- Jean-Paul Epenge : Il y avait premièrement, l’éradication des « forces négatives ». Deuxièmement, le retour des réfugiés. Il y a au moins 200.000 réfugiés congolais dans les pays frontaliers, en Tanzanie, en Angola, au Rwanda, au Burundi… Et il n’y a que la « bonne gouvernance » du pays qui pourrait faire revenir nos frères au pays. Troisièmement, la reconnaissance des grades des militaires intégrés dans l’armée congolaise (FARDC). Si certains grades ont été reconnus, tous n’ont pas touché la solde en conséquence. Nos militaires doivent être correctement payés. Quatrièmement, nous demandons l’application de la loi de décentralisation, prévue dans la constitution. La décentralisation prévoit une certaine autonomie aux provinces, avec une compensation financière du pouvoir central. Cela n’a jamais été fait. Kinshasa n’a en fait pas l’air très concerné par tous ces problèmes, ils sont tranquilles dans leurs salons feutrés…

- Afrikarabia : Un récent rapport de l’ONU accuse le Rwanda de soutenir votre rébellion, en hommes, en armes et en logistique. De nombreuses preuves qui jettent le trouble sur le rôle que joue le Rwanda dans ce conflit. Vous niez toujours toute implication des autorités rwandaises ?

- Jean-Paul Epenge : Comment expliquer que ce rapport soit sorti, comme par hasard, quelques jours seulement avant le renouvellement du mandat de la Monusco (la mission des Nations unies en RDC, ndlr) ?

- Afrikarabia : Ce serait un prétexte pour que la Monusco reste en République démocratique du Congo ?

- Jean-Paul Epenge : Entre autre, oui.

- Afrikarabia : Revenons au rapport de l’ONU…

- Jean-Paul Epenge : Il y a beaucoup d’incohérences dans ce rapport. Il y a notamment une note des renseignements congolais de janvier 2012 sur l’aide de l’armée rwandaise à Ntaganda… en janvier 2012 ! Alors que « l’affaire » Ntaganda n’a commencé qu’en avril… étonnant ! Car il faut rappeler que jusqu’en avril 2012, Bosco était encore l’allié et le partenaire de Kinshasa depuis les accords de 2009 !

- Afrikarabia : Vous dites toujours que le Rwanda ne vous soutient pas ?

- Jean-Paul Epenge : Non, le Rwanda ne nous soutient pas. La semaine dernière, nous en avons apporté une preuve. Quand Kinshasa a voulu nous contrer et nous prendre en tenaille pour créer deux fronts : un à Bunagana et l’autre à Rutshuru, notre puissance de feu les a repoussé et ils ont pu voir qu’il n’y avait pas de Rwandais. L’armée congolaise s’est retrouvée en Ouganda, en débandade générale, sans avoir croisé de Rwandais. Kinshasa n’a donc plus d’argument : il n’y a pas de soldats rwandais chez nous. Mais pour Kinshasa, chaque tutsi et chaque rwandophone est Rwandais, alors…

- Afrikarabia : Est-ce que vous ne craignez pas que la création de votre mouvement, la reprise de la guerre à l’Est et le rapport de l’ONU sur l’aide du Rwanda, ne ravivent pas le fort sentiment anti-tutsi en RDC ?

- Jean-Paul Epenge : C’est le but de Kinshasa et c’est ce qu’il fait. En 1998, j’étais à Kinshasa, aux commandes avec Laurent-Désiré Kabila. J’ai vu dans ma propre famille un oncle qui avait, selon les Congolais, une morphologie nilotique (tutsi, ndlr) se faire assassiné. Il n’était même pas du Kivu. Je pense tout simplement que si nous avions des bons dirigeants, rassembleurs, on pourrait tous vivre dans une même république unie. Mais lorsque l’on voit les derniers communiqués de Kinshasa sur les Rwandais qu’il faut « dégager »… je pense que tout cela peut très mal finir.

- Afrikarabia : Militairement, vos soldats occupent la ville frontière de Bunagana. Vous avez fait tomber la ville de Rutshuru, avant de la remettre entre les mains de la police congolaise. Vous êtes désormais à quelques dizaines de kilomètres de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu. La prise de la ville de Goma constitue-t-elle un objectif pour le M23 ?

- Jean-Paul Epenge : Nous avons même la force d’aller jusqu’à Kinshasa ! Cela peut vous paraître étonnant. Mais je peux vous tenir ce discours parce que je sais qu’en face (l’armée congolaise, ndlr)… il n’y a rien, il y a zéro ! Kabila a formé une brigade, une unité d’élite, avec des instructeurs belges, américains, à Lokando, Kindu… Au front, le M23 les a « dégommé », ils se sont retrouvés en Ouganda, réfugiés et désarmés. La porte est donc « ouverte » pour nous. On peut aller jusqu’à Goma, Kisangani, Kinshasa… mais là n’est pas notre but. Le président Kabila doit comprendre qu’il faut signer et appliquer les accords de 2009. Alors, on épargnera beaucoup de vies humaines.

- Afrikarabia : Beaucoup de Congolais craignent une « balkanisation » du Congo et pensent que vous souhaitez faire sécession et créer un Kivu « indépendant » ?

- Jean-Paul Epenge : C’est un mythe. Ce genre de discours démontre l’impuissance de Kinshasa. Quand les médias à Kinshasa parlent de « dépecer » le Congo, de « balkaniser » le Congo… On n’a pas besoin de « balkaniser » le Congo. Ce n’est pas le but, il n’y a pas d’agenda caché, je vous le jure, il n’y en a pas. Notre but c’est l’autonomie, comme la constitution le prévoit.

- Afrikarabia : L’épreuve de force entre le M23 et Kinshasa peut-elle durer encore longtemps ?

- Jean-Paul Epenge : Nous, nous pouvons tenir. Nous sommes préparés à toutes les éventualités. Nous avons voulu la paix en 2006, puis en 2009. Notre chef Laurent Nkunda (le patron du CNDP, ndlr) a été arrêté, mais il nous a demandé de faire confiance aux accords de paix de 2009. Les accords n’ont pas été respectés. Alors cette fois, on ne doit pas nous berner une nouvelle fois.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

(1) Le document des accords de paix du 23 mars 2009 sont à télécharcher ici.

Photo : Jean-Paul Epenge en région parisienne, juillet 2012 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

11 juillet 2012

RDC : Les aveux de la CENI

Entre auto-satisfaction et constat d'échec, le rapport de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) présenté au parlement a suscité l'ire des députés congolais. La CENI reconnait une dérive des coûts, une dette de 75 millions de dollars et la conduite du processus électoral "dans l'urgence". Pas un mot sur les fraudes et les violences. Les députés ont exigé la révision de la loi électorale, la suspension des prochains scrutins et un audit des comptes de la CENI.

Logo CENI.pngLe feuilleton électoral n'est pas prêt de s'achever en République démocratique du Congo (RDC). Après la présentation du rapport annuel de la Commission électorale (CENI) devant les députés, le parlement a adopté une série de recommandations, dont la révision de la loi électorale, l'audit des comptes et le gel du calendrier jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi. Déjà prévues cet hiver, les élections provinciales avaient été décalées en janvier 2013. Autant dire que la suspension du calendrier proposée par les député reporte ces scrutins... aux calendes grecques.

A l'origine de cette levée de bouclier des députés, le rapport de la CENI, présenté à l'Assemblée par son président, Daniel Ngoy Mulunda. Si le document élude consciencieusement les fraudes massives et les violences pendant les élections chaotiques et contestées de novembre 2011, le rapport dresse un bilan assez sévère de la gestion financière du processus électoral. Sur les 447 millions de dollars prévus pour les élections, 258 millions ont été décaissés, 335 ou 334 millions (il y a deux chiffres différents dans le rapport !) ont été dépensés, laissant 75 millions de dette aux différents fournisseurs et prestataires du scrutin. Autant dire que les caisses de la CENI sont aujourd'hui vides. La Commission demande donc que le coût des prochaines élections provinciales soit pris en charge à 100%.

Toujours côté finance, le rapport note le manque de 50,2 millions de dollars (censés provenir du gouvernement), pour expliquer l'absence de sensibilisation (éducation civique), ainsi que de dispositifs pour le contentieux et la sécurisation du scrutin. Remarque étonnante au regard du manque de transparence des élections, comme l'ont noté les observateurs internationaux (Centre carter et Union européenne). La "dérive" des coûts est expliquée par la CENI du fait de l'augmentation du nombre de centres de vote (passant de 12.000 à 15.000).

Concernant la fraude, que l'opposition estime "massive", la CENI avoue tout de même "la falsification de procès verbaux au niveau des postes de dépouillement et le changement des chiffres au poste de compilation". Rien sur les nombreuses violences pré et post-électorales. Toutefois, la CENI reconnait "la conduite du processus dans l’urgence" ainsi que la "modification de la constitution et de la loi électorale sans consensus de la classe politique et sans consultation de la société civile". Satisfaction tout de même : l'organisation des élections "dans les délais constitutionnels" pour éviter "le chaos du vide juridique". Une question tout de même : faut-il à tout prix respecter le calendrier électoral à défaut d'être prêt ?

En conclusion de son rapport, la CENI réaffirme son engagement à organiser les prochaines élections provinciales et locales, mais demande une prise en charge à 100% des coûts des scrutins (169 millions de dollars pour les provinciales, 226,5 millions pour les locales).

Face à ce rapport, les députés sont montés aux créneaux. Il faut dire que l'image de la CENI a été sérieusement écornée tout au long du processus électoral. Accusée de partialité par l'opposition (son président est un proche de Kabila) la CENI a accumulé toutes les erreurs dans le déroulement du scrutin : organisation chaotique, fichier électoral biaisé, absence de la société civile dans ses instances, procès verbaux perdus, accusations de fraudes… Aux yeux de tous, la CENI se trouve dans l'obligation d'évoluer pour gagner en crédibilité et en partialité.

Devant la présentation des chiffres du rapport de la CENI, les députés ont estimé qu'un audit de la Commission était nécessaire, les prochaines élections provinciales n'étant visiblement  pas financées. L'Assemblée nationale demande une révision générale de la loi électorale (nombres de sièges, recensement crédible de la population… ) et un gel du calendrier électoral jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi.

Après les élections contestées de novembre 2011, les recommandations des députés sont les bienvenues dans ce contexte de crise politique et résonnent désormais comme un préalable indispensable à l'organisation de tout nouveau scrutin en RDC. La CENI possède déjà le triste record des élections les plus coûteuses de la planète… un nouveau report des provinciales, risque d'en faire le cycle électoral le plus long de l'histoire. Le temps presse.

Christophe RIGAUD

RDC : Objectif Goma ?

Les rebelles du M23 se sont retirés progressivement des principales villes qu'ils occupaient, comme Rutshuru, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), pour les remettre aux mains de la police. La ville de Goma, plus au Sud,  risque d'être la prochaine cible du M23. L'armée congolaise et l'ONU viennent de dépêcher des renforts pour protéger la capitale provinciale du Nord-Kivu où la panique gagne la population.

carte RDC Afrikarabia MODELE.jpgLa prise de la ville de Goma par les rebelles du M23... voilà le scénario catastrophe que souhaitent éviter les autorités congolaises et les Nations unies. Sur le terrain militaire, les mutins du M23 ont quitté la ville de Rushuru après la prise d'une douzaine de localités aux troupes gouvernementales. La ville est désormais sous contrôle d'unités de la police congolaise, constituées d'anciens membres du CNDP, dont se revendique le M23. Le mouvement rebelle restera toutefois présent dans la ville stratégique de Bunagana, à la frontière de l'Ouganda. Militairement, le M23 n'avait d'ailleurs pas d'autres choix que de se retirer des villes occupées. Avec seulement quelques centaines d'hommes (on parle de 300 à 500 hommes), la rébellion n'avait pas les moyens humains de "tenir" autant de positions.

Après Rutshuru, quel sera le prochain objectif des rebelles du M23 ? Pour de nombreux observateurs, la ville de Goma se trouve désormais en ligne de mire de la rébellion. Le M23 affirme pourtant ne pas vouloir conquérir de territoires. Le mouvement souhaite obliger le gouvernement congolais à négocier afin de respecter l'application des accords de paix de 2009 entre le CNDP et les autorités congolaises. L'accord prévoyait l'intégration politique et militaire des ex-rebelles dans l'armée et les institutions du pays.

Pour faire plier Kinshasa, le M23 a choisi la manière forte : occuper militairement les anciennes positions de l'ex-CNDP, dont ils se réclament, afin de forcer le gouvernement à s'asseoir à la table des négociations. Pour l'instant, le régime de Joseph Kabila reste droit dans ses bottes : pas question de négocier avec des rebelles.

La ville de Goma, comme en 2008 avec la rébellion de Laurent Nkunda, constitue donc un enjeu majeur dans le rapport de force entre le M23 et gouvernement. La prise de la ville par les rebelles serait très mal vécue par les autorités congolaises et les Congolais eux-mêmes. Le président Joseph Kabila y joue également sa crédibilité, fortement écornée depuis les élections contestées de novembre 2011. Mais  devant l'absence de réponse du gouvernement à leur revendication, le M23 est tenté de continuer son avancée militaire vers le sud et la capitale du Nord-Kivu pour accentuer la pression. Les troupes du colonel Makenga se trouverait maintenant à une petite cinquantaine de kilomètres de Goma.

Côté gouvernemental, l'armée congolaise, consciente de l'enjeu de la bataille de Goma, vient de rappeler un bataillon, stationné dans le Nord du pays et formé, selon le journal Le Monde, par des instructeurs américains. Les casques bleus de la Monusco vont également envoyés des troupes supplémentaires dans le secteur. Pour l'ONU, la prise de Goma constituerait un sérieux revers pour sa mission en RDC, il y a plus de 18.000 casques bleus dans le pays (un record pour une opération de maintien de la paix).

Goma se retrouve maintenant sous pression et la panique commence à gagner la population De jeunes Congolais sont descendus dans les rues ce lundi pour demander des armes et ont appeler à combattre le M23. Des rumeurs d'exactions contre la communauté tutsie de la ville ont été relevés et dénoncés par le M23. Le mouvement rebelle parle de "chasse à l'homme" dans les rues de Goma et de "blessés". Il faut dire que les Rwandais de Goma sont accusés de soutenir les mutins. Un rapport des Nations unies a récemment dénoncé l'aide du Rwanda voisin à la rébellion, en homme et en armes. Le M23 a toujours fortement démenti tout soutien rwandais dans ses opérations et appelle même la presse internationale et les ONG à venir vérifier sur le terrain ces "allégations infondées".

Pendant ce temps, l'organigrame du mouvement rebelle s'est doté d'une coordination politique, confiée à Bishop Jean-Marie Runiga. Le colonel Sultani Makenga, qui dirige les opérations du M23 depuis sa création, devient président du Haut Commandement militaire et tiendra une conférence de presse ce mercredi à Bunagana.

Christophe RIGAUD

08 juillet 2012

RDC : Rutshuru aux mains du M23

A l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), la ville de Rutshuru est occupée depuis dimanche 8 juillet 2012 par les rebelles du M23. L'armée congolaise (FARDC) avait quitté la ville dans la matinée, sans combattre.

carte RDC Afrikarabia Rutshuru.jpgAprès la chute de Bunagana, vendredi, les rebelles du M23 occupent désormais la ville de Rutshuru. La route menant à Goma, la capitale régionale du Nord-Kivu, est coupée. Le M23 a également pris les villes de Ntamugenga et de Rubare. Les casques bleus de la Monusco, présents sur place, se sont retirés sur Kiwanja, située à quelques kilomètres au Nord de Rutshuru. Hier, le M23 précisait pourtant qu'ils n'avaient aucunement l'intention de prendre Rutshuru et Goma.

A Kinshasa, le président Kabila, convoquait une réunion interinstitutionnelle sur la situation sécuritaire au Nord-Kivu. Objectif affiché : "envisager urgemment des mécanismes efficaces et nécessaires en vue de mettre définitivement fin à la situation préoccupante qui prévaut dans cette partie orientale du pays".

Christophe RIGAUD

07 juillet 2012

RDC : Le M23 progresse vers Rutshuru

Jusqu'où iront les rebelles du M23 ? Les événements s'accélèrent à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) : la ville de Bunagana est tombée aux mains des rebelles vendredi et plus de 600 militaires congolais ont fui les combats en Ouganda. Le M23 encercle actuellement Rutshuru, dernier verrou avant Goma la capitale régionale du Nord-Kivu. Un scénario déjà vécu en 2008 avec la rébellion de Laurent Nkunda.

Capture d’écran 2012-07-08 à 11.05.12.pngDepuis vendredi 6 juillet 2012, la ville de Bunagana, à la frontière avec l'Ouganda se trouve aux mains des rebelles du M23. Après de violents combats, la population et plus de 600 soldats de l'armée congolaise (FARDC) se sont réfugiés en Ouganda. La rébellion indique avoir  récupéré un important stock de matériels et d'armes laissé par les forces gouvernementales.

Après la prise de Bunagana, le M23 occupe maintenant Rangira et Rwanguba et se dirige vers la ville de Rutshuru, le chef lieu du territoire. La ville serait déjà encerclée par la rébellion du colonel Mukenga, à une soixantaine de kilomètres seulement de Goma, la capitale du Nord-Kivu.

Les événements de ces dernières heures à l' Est de la République démocratique du Congo, ne sont pas sans rappeler ceux de 2008. «On a le sentiment désagréable que l’histoire se répète, avec des ex-CNDP (dont est issue le M23, ndlr) qui parviennent à prendre le contrôle de plusieurs axes stratégiques comme ils l’avaient fait en 2008», souligne Paule Rigaud, directrice adjointe d’Amnesty International pour l’Afrique. «Il y a cinq ans, une situation similaire avait donné lieu à des atrocités, dont le massacre de Kiwanja au cours duquel au moins 150 civils avaient été tué par le CNDP.»

Amnesty international s'inquiète «de la montée en puissance du M23, qui s’apprêterait selon certaines informations à prendre des villes importantes, en particulier dans le territoire de Masisi, ancien fief du CNDP.» Lors le la rébellion menée par Laurent Nkunda fin 2008, le CNDP avait fini par contrôler la plupart des territoires du Masisi et de Rutshuru et menaçait de faire tomber Goma. Finalement, les accords de paix, signés en 2009 entre le gouvernement congolais et les rebelles du CNDP, ont stoppé l'avancée rebelle et ont permis l'intégration des ex-miliciens dans l'armée régulière congolaise (FARDC). Mais l'intégration politique du mouvement n'a jamais eu lieu et le CNDP est toujours resté en marge des institutions congolaises.

Le respect des accords du 23 mars 2009 constitue la principale revendication avancée par le M23. Mais les autorités de Kinshasa considèrent qu'il s'agit là d'un prétexte, la vraie raison de la mutinerie étant la possible arrestation de Bosco Ntaganda, ancien numéro 2 du CNDP, recherché par la Cour pénale internationale (CPI).

Pour Thierry Vircoulon, responsable de l'Afrique centrale à l'International Crisis Group, la mutinerie du M23 constitue «une redite de 2008.» «Le but du M23 est de forcer Kinshasa à négocier. Comme en 2008 les rebelles dominent la situation sur le terrain, même si sur le plan diplomatique Kinshasa garde l'avantage» explique ce spécialiste de la région.

Installés aux portes de la ville de Rutshuru, les rebelles du M23 ont réitéré leur appel à la négociation avec Kinshasa et continuent d'affirmer que leur intention «n'est pas de conquérir des espaces», mais d'exiger «le respect des engagements pris par le gouvernement  à travers l'accord du 23 mars 2009». Sans réponse positive des autorités congolaises, il est fort à penser que les prises de Rutshuru et Goma constituent les deux prochains objectifs du M23 pour faire plier Kinshasa.

DERNIERES NOUVELLES :  Depuis ce dimanche 3 heures du matin, le M23 se trouve désormais aux abords de Rutshuru-centre. L'armée congolaise (FARDC) a battu en retraite vers Kiwanja.

Christophe RIGAUD

06 juillet 2012

Rwanda : Dominique Decherf, "Hutu et Tutsi, ce sont des définitions de Blancs. La “race” est un mythe"

L’ancien ambassadeur de France au Rwanda publie un ouvrage décapant sur son expérience de diplomate en Afrique.

derechef.jpgA la lecture du livre de Dominique Decherf, "Couleurs, Mémoires d’un ambassadeur de France en Afrique", (Ed Pascal Galodé), j’ai éprouvé comme journaliste de lourds regrets. Car mon métier consiste entre autres à repérer des acteurs d’exception dans le train-train quotidien, et ensuite à les faire connaître. Mais jusqu’alors, je n’avais pas pris la mesure de l’homme...

J'avais aperçu de loin l'ambassadeur de France au Rwanda à la réception du 14 juillet 2006 à Kigali. A cette occasion, dans le jardin de la résidence décoré de lampions et de drapeaux tricolores, il avait provoqué l’enthousiasme des Rwandais en commençant son discours en kinyarwanda. Mais je dois reconnaître avoir surtout été ébloui par la beauté et l'allure de sa femme, une styliste  burkinabé. J’ai ce soir-là raté l’homme d'exception. La photo date du 14 juillet 2006, je l’ai prise alors que l’ambassadeur venait d’évoquer l’affaire Dreyfus et se dirigeait vers ses invités. Personne n’imaginait que quatre mois plus tard, en raison de neuf mandats d’arrêt internationaux délivrés par le juge Bruguière contre des proches du président du Rwanda Paul Kagame, l’ambassadeur Decherf serait expulsé et les relations diplomatiques avec la France rompues pour trois longues années.

Le dernier livre de Dominique Decherf est fascinant d'intelligence, de culture et de courage, ce qui n’est pas si courant d’un diplomate. Ses vérités iconoclastes sont avancées avec une concision et une élégance non moins rares. Il faut aussi remercier Pascal Galodé, éditeur de Saint-Malo, d’une publication remarquable. Dominique Decherf a accepté de répondre à nos questions.

Jean-François DUPAQUIER : -   Pourquoi ce livre aujourd’hui ?

Dominique DECHERF : - Je ne pouvais le faire plus tôt : l’ambassadeur est tenu à un devoir de réserve. Aujourd’hui, un an s’était écoulé depuis mon admission à la retraite. En outre, le dernier président de la République sous lequel j’aurai servi, Nicolas Sarkozy, a quitté ses fonctions.

Jean-François DUPAQUIER : -  Mais on voit bien que vous en avez commencé la rédaction depuis plusieurs années ?

Dominique DECHERF : - Je ne voulais pas qu’il vienne trop tard. Les leçons de cette expérience ne devaient pas être perdues pour la nouvelle génération. Beaucoup des acteurs que j’ai rencontrés sont morts : l’angolais Neto, le tanzanien Nyerere, le général ivoirien Gueï, mais d’autres sont encore au pouvoir, l’angolais Dos Santos auquel j’avais présenté les condoléances du gouvernement français à la mort de Neto en 1979, le burkinabé Blaise Compaoré auquel je fus présenté dès 1989…Pour ce qui concerne les hommes ce n’est qu’anecdotique. Le vrai danger est que la mémoire du génocide de 1994 ne s’efface progressivement, ne soit relativisée par la seule distance temporelle, ne devienne un événement parmi d’autres, et non comme je le propose dans ce livre, le tournant à partir duquel il est impératif de revisiter toute l’histoire précédente, en bref depuis 1957, le début des indépendances africaines (Ghana), et la pierre de touche qui doit devenir la pierre angulaire pour rebâtir nos relations avec ce continent.

Jean-François DUPAQUIER : -  Vous soulignez dans les premières pages les ravages du fantasme de la race, dans la relation de l’Occident avec l’Afrique noire, comme ailleurs. Concernant le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, on a vu que les opinions publiques occidentales restent perméables à la raciologie du XIXe siècle, à l’idée de “haines ataviques”, etc.  Peut-on convaincre l’opinion que « les races » sont un mythe ?

Dominique DECHERF : - La « race », ainsi que « l’origine » et la « religion », auxquelles le terme est justement et pertinemment associé dans la constitution française, dont on voudrait l’extirper, appartient à la catégorie des « représentations ». Contrairement aux autres facteurs de discrimination, la couleur en tête, le genre, le handicap, qui sont des phénomènes « observables », ces « représentations » sont des constructions, des « mythes » mais ce mot doit être pris au sens de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, c’est-à-dire des structures de pensée achevées, complètes, intégrales. Conçus comme des hypothèses, ces « mythes » ne sont pas vérifiables scientifiquement, mais il faut les supposer pour rendre compte du « racisme » qui, lui, pour le compte, est réel. Il est d’autant plus réel que, comme on le dit du diable, il fait croire – « on » fait croire – qu’il n’existe pas ou plus. En paraphrasant François Furet sur la révolution française, pour « passer » la « race » il faut d’abord la « penser ».

Sur l’évolution de l’opinion face à ce problème, je dirai ceci : dans la mesure où, comme le disait W. Du Bois, défenseur des esclaves aux Etats-Unis, « le problème noir est un problème de Blancs », le problème est en train de changer radicalement : désormais le Blanc a un problème avec sa propre « blancheur ». Jamais auparavant, un « Blanc » ne se représentait comme tel, une « race » parmi d’autres. Le blanc n’est pas une couleur. Il y avait l’Universel d’un côté, ou La Civilisation, ou l’Humanité, et de l’autre côté les « races » ou les « autres ». Ces grandes catégories n’étaient pas pensées par les « Blancs » au sens large comme « blanches », alors que tous les autres les considèrent comme telles, même si elles sont incarnées par des hommes (ou des femmes) noir(e)s, comme Obama le gouvernement des Etats-Unis ou la procureur Mme Bensouda à la Cour Pénale Internationale et même Kofi Annan les Nations Unies. Pour la première fois, les « Blancs » commencent à devoir se penser comme « Blancs ».

A l’échelle de l’Histoire, sauf à vouloir donner raison à Gobineau, la réaction des « Blancs » ne peut pas être de se laisser disparaître. Le « nativisme » n’a pas d’avenir.

Jean-François DUPAQUIER : -  Mais quelles sont les alternatives ? Le métissage ?

Dominique DECHERF : -Je montre que d’abord c’est en effet une réaction de « Blancs » européens (pour être plus nombreux en s’adjoignant les métis, qu’ils soient biologiques ou simplement culturels, ce qui est une révolution mentale pour un Américain – des deux hémisphères – habitué à ce qu’une goutte de sang noir fasse le noir et non l’inverse), ensuite qu’elle est mathématiquement vouée à l’impasse, car les Blancs sont de moins en moins nombreux sur les autres continents, et notamment en Afrique noire. Le problème ne peut donc se gérer qu’au niveau politique des relations internationales, de nation à nation, de nations « noires » ou « autres » à nations « blanches » (même si ces dernières sont, elles, de plus en plus métissées).

Vous avez reconnu, derrière cette problématique, celle qu’a vécue dans sa chair l’Afrique du Sud, les Sud-africains autant blancs que noirs ou « coloured » (métis), ce qui me permet d’affirmer que l’Apartheid s’est aujourd’hui généralisé à l’échelle du globe. Mais c’est aussi pourquoi je dis qu’au moment où le Rwanda nous montrait le fond du gouffre, l’Afrique du Sud nous offrait la solution, la même année, le même mois d’avril 1994. Et le même commencement en 1990 (libération de Mandela, entrée du FPR au Rwanda). Or l’Afrique dans son ensemble qui, hier, disait qu’elle ne serait pas libre tant que les noirs sud-africains seraient dans les chaînes, aujourd’hui refuse, rejette cette nouvelle Afrique du Sud. Encore dernièrement pour la présidence de la Commission de l’Union africaine (Jean Ping préféré à Mme Dlamini-Zuma).

La solution vaut ici pour les Blancs autant que pour les Noirs. Les Blancs étaient prisonniers de l’Apartheid et se sont sentis mentalement libérés par son démantèlement comme les Noirs l’étaient physiquement et juridiquement. Les post-colonialistes, dans la ligne de Frantz Fanon, avaient bien vu que l’impact des relations raciales aussi inégalitaires transformait et pénalisait les Blancs ainsi que les Noirs.

Jean-François DUPAQUIER : - Dans ce livre paradoxalement dédié au président du Rwanda Paul Kagame, vous notez qu’il vous a traité « d’employé » après vous avoir chassé du Rwanda sous 24 heures en novembre 2006, dans la cadre de la rupture des relations diplomatiques avec la France. Comment avez-vous perçu ce qualificatif « d’employé » ? Comme une excuse concernant votre personne ou comme un camouflet supplémentaire ?

Dominique DECHERF : - La phrase exacte de son entretien avec le journaliste américain Stephen Kinzer se lit ainsi : « Nous avons renvoyé l’ambassadeur non pas parce qu’il avait fait quelque chose de mal. C’était un employé (employee). Nous n’avons pas le pouvoir de renvoyer le président français ou son ministre des affaires étrangères ou les chefs militaires ou les services de renseignement. Tout est dans le symbole. » (A Thousand Hills : Rwanda’s rebirth and the man who dreamed it, New York, 2008).

Il n’y a donc rien de personnel entre nous. Nous avons toujours parlé franchement et en confiance. Je dois ajouter que j’ai reçu de nombreux témoignages de sympathie de la part des dirigeants rwandais comme de simples citoyens. Je n’en veux à personne au Rwanda, ni au Quai d’Orsay. Suivez mon regard…

Jean-François DUPAQUIER : - Précisément, un diplomate est l’employé de son pays, chargé de faire passer une politique et de transmettre des informations à son gouvernement. Mais vous notez dans votre livre le résultat d’expériences personnelles : concernant les pays où vous avez travaillé, où vous avez une expertise, le Quai d’Orsay était généralement très mal informé des réalités du terrain, très crispé sur des préjugés. Et ça doit être pareil ailleurs. Comment avez-vous géré cette frustration ?

Dominique DECHERF : - Il y a trois niveaux : l’information, généralement celle du Quai est la meilleure, l’analyse, c’est-à-dire le traitement de l’information, où apparaissent les grilles de lecture subjectives, de plus en plus importantes à mesure que la taille de la note diminue (au ministre, au président), enfin l’action, qui, elle, tire certes, en principe, parti des informations, mais se fonde sur des volontés, des politiques, et peuvent donc – légitimement – aller à l’encontre des faits. Mais, rassurez-vous, la plupart du temps, « on ne fait rien ». Pour qu’il y ait action, il faut des concours de circonstance plutôt exceptionnels, et souvent très à la marge. La frustration serait plutôt dirigée à l’encontre des impuissances que des abus de pouvoir. Pourquoi ? Parce que nous sommes un vieux pays, repu, conservateur de l’ordre établi international dont il est l’un des principaux bénéficiaires, consensuel, respectable, qui parle et pense plus qu’il n’agit, ou qui croit que parler ou écrire c’est agir (« la voix de la France »)…Ce n’est pas tellement une critique qu’un constat, la loi du genre.

Jean-François DUPAQUIER : - Si vous le voulez bien, nous allons revenir sur le Rwanda et le génocide contre les Tutsi, bien que votre livre touche à bien d’autres pays et d’autres débats. Vous laissez entendre que les accusations contre la France ne sont pas forcément pertinentes lorsqu’elles accablent surtout les militaires français, et moins les politiques. Pourquoi ?

Dominique DECHERF : - Le Rwanda constitue en effet un chapitre sur huit mais il détermine tout le livre. Le 14 juillet 2006, dans les jardins de la résidence de France à Kigali, pour le discours traditionnel pour la fête nationale, j’avais fait écho au centenaire de la réhabilitation du capitaine Dreyfus qui venait d’être commémoré en France. C’était un clin d’œil. Le cas rwandais prend dans notre pays les allures d’une seconde affaire Dreyfus. L’opinion, au-delà des simples initiés, se divisait, toutes tendances confondues, en dreyfusards et antidreyfusards.

Biographe de Jacques Bainville, je suis instinctivement sur une ligne qui consiste à croire en l’innocence du capitaine tout en refusant de m’associer aux excès du « parti dreyfusard », c’est-à-dire de l’hostilité à l’institution militaire et à ses représentants. J’ai souvent dit à mes interlocuteurs rwandais : gardez-vous d’attaquer l’armée française en bloc ! L’institution comme telle a été suffisamment ébranlée par le drame.

Jean-François DUPAQUIER : - Ebranlée, mais apparemment soudée dans le déni !

Dominique DECHERF : - Elle n’en est pas sortie intacte. Laissez la faire son processus d’évaluation. Si vous l’attaquez en bloc, elle se refermera comme une huître. D’autre part le drame a servi à reformater les interventions militaires extérieures, la coopération militaire et la coopération tout court qui a disparu corps et biens moins de quatre ans plus tard (suppression du ministère de la Coopération en 1998 !).

En outre, les attaques contre l’armée sont autant d’excuses pour les politiques qui ainsi peuvent échapper à leurs responsabilités. Dans une démocratie comme celle de la France, la responsabilité politique ne se divise pas. Autour de l’armée, droite et gauche feront bloc. Le vrai drame du Rwanda est que la France vivait, au moment du dénouement, en régime de cohabitation où, précisément, les responsabilités étaient diluées. On l’avait vu lors de la première cohabitation Mitterrand/Chirac sur le Tchad. La cohabitation Mitterrand/Balladur lors du génocide fut caricaturale (mais pas plus et sinon moins que dans tous les autres pays ou organisations): on évita le pire, une guerre de reconquête d’un côté, une inaction totale de l’autre. « Turquoise » fut un compromis avec les avantages et les inconvénients du genre. Politiquement ce fut un handicap pour la droite qui dût assumer un héritage qui n’était pas de son fait, et tout bénéfice pour la gauche qui faisait oublier la vraie guerre de la période 90/93. Entre les deux, avec des idées aussi contradictoires, et le plus souvent sans instructions, comment les militaires pouvaient-ils s’y retrouver ? Les meilleurs, ou les moins cyniques, en furent les plus meurtris. J’en ai rencontrés. Et, pour les politiques, personnellement, je peux témoigner de l’innocence d’Alain Juppé.

Jean-François DUPAQUIER : - Vous écrivez que le discours de la Baule de juin 1990 a été en quelque sorte « arraché » à un président français dubitatif, et qu’il a constitué la trame du soutien aveugle au régime Habyarimana, avec les conséquences que l’on sait. Pourquoi ?

Dominique DECHERF : - Mitterrand savait que la démocratie formelle qu’il se voyait contraint d’exiger de certains chefs d’Etat africains était suicidaire, le Rwanda étant sans doute le cas limite. Il se sentait donc moralement obligé de l’aider autant que possible. La Baule qui se voulait un désengagement se traduisait par un réengagement militaire en Afrique ! Comment Mitterrand déjà dubitatif sur la nouvelle Russie, l’unification de l’Allemagne, l’implosion de la Yougoslavie, n’aurait-il pas été encore plus méfiant vis-à-vis des conséquences en Afrique de la chute du mur ? Le problème est qu’il ne sut pas apporter à La Baule la réponse qui pourtant était à portée de main mais encore trop nouvelle, trop imprévue pour faire fond sur elle : l’Afrique du Sud.

Jean-François DUPAQUIER : - Le rôle personnel de François Mitterrand a été montré du doigt dans la catastrophe de 1994 au Rwanda, mais était-il encore vraiment aux commandes de la France ? Un Hubert Védrine n’était-il pas le véritable patron caché de la diplomatie, du « pré carré » et des services spéciaux ?

Dominique DECHERF : - Mitterrand était sans doute à son époque le meilleur connaisseur de la politique africaine qui soit, du fait de son parcours sous la IVe République. La preuve en est que son meilleur guide fut jusqu’au bout du bout Félix Houphouet-Boigny qu’il rallia à son parti de l’époque, l’UDSR, et fut plusieurs fois ministre (contrairement à Senghor).

Pour Houphouet, Mitterrand tint bon sur le franc CFA jusqu’à la mort de celui-ci en décembre 1993, un contre tous, le Trésor, la Banque mondiale etc.

En 1994, Mitterrand n’aura plus en Afrique personne de sa valeur à qui se référer. Il était encore trop tôt pour Mandela qui d’ailleurs occulta le drame rwandais. C’était le grand vide (hélas Boutros-Ghali !)

Il faudra certes bien un jour « dédouaner » Mitterrand pour que le parti socialiste (j’ignore ce qu’il en est du président Hollande) puisse « passer » le drame rwandais. Faire de Védrine, à l’époque « simple » secrétaire général de l’Elysée, même pas ministre, le bouc émissaire n’est pas à la hauteur de l’effort historique requis.

Jean-François DUPAQUIER : - Avant votre prise de fonction en 2004, Bruno Joubert, le « Monsieur Afrique » de l’Elysée  vous demande d’essayer de comprendre ce qu’est un Hutu et un Tutsi. Comment analysez-vous ce genre de questionnement dix ans après le génocide ?

Dominique DECHERF : - Le mot est de Michel de Bonnecorse, alors conseiller Afrique de Chirac (et non Bruno Joubert qui ne le deviendra que sous Sarkozy). On peut l’interpréter comme une manière de marquer une distance avec un événement survenu lorsque Chirac n’était pas aux affaires et même le plus loin possible. Dominique de Villepin, qui était responsable de cette volonté de rapprochement pour laquelle on m’avait choisi en 2004, avait voulu se « débarrasser » du problème en renouant les relations franco-rwandaises dès 1995. La bêtise à l’époque avait été, comme je l’ai signalé, de convaincre le ministre des affaires étrangères Alain Juppé, devenu premier ministre, qu’il était « solidairement responsable » de la politique vis-à-vis du Rwanda qu’il ne partageait pas, que ce soit celle de Mitterrand ou celle de Balladur !

L’autre interprétation est que le conseiller Afrique n’avait encore trouvé personne parmi ses collègues pour lui fournir une réponse satisfaisante. Ce qui traduit bien la confusion ambiante dans les milieux dirigeants, hauts fonctionnaires, comme les milieux universitaires, dix ans après et aujourd’hui dix-huit ans après. C’est pourquoi cette question me paraît aussi centrale qu’elle est incongrue.

Jean-François DUPAQUIER : - Hutu et Tutsi, ce sont des définitions de Blancs ?

Dominique DECHERF : - Bien sûr, Hutu et Tutsi, ce sont des définitions de Blancs, car sinon pourquoi poser la question ? Les Rwandais ne se la posent pas, car comme on dit, chacun se connaît. Il y a que nous à se la poser, parce qu’aucune de nos clés de lecture ne fonctionne : ni ethnie, ni classe, ni caste, ni religion, donc race ?…Et pourquoi se la poser sinon pour classifier, comme de savoir qui est juif, pour gérer, et ultimement pour « tuer ». La résurgence de la « race » en effet ne sert qu’à cela : désigner l’ennemi en temps de paix (Michel Foucault). Quand j’étais ambassadeur, j’avais banni ces appellations des télégrammes diplomatiques, forçant mes collaborateurs à aller plus loin dans la description de telle ou telle personnalité : anglophone ou francophone, réfugié d’Ouganda, ou du Burundi, ou du Zaïre, survivant, ou originaire de telle ou telle région, cela ne trompait personne mais obligeait à se déprendre de ces termes connotés.

Jean-François DUPAQUIER : - Vous écrivez que « la reconnaissance par le président Chirac en 1995 de la participation de l’Etat français à la déportation du Vel d’Hiv en 1942 ne serait peut-être pas intervenue sans le génocide rwandais de 1992 ». Pouvez-vous nous expliquer le sens de cette formulation ?

Dominique DECHERF : - Comment en effet imaginer reconnaître le rôle de la France au Rwanda si on n’a pas encore été capable après 53 ans de reconnaître la participation de « l’Etat français » dans la déportation des juifs du Vel d’Hiv ? Et comment y penser soudain en 1995 sans que la récente actualité n’ait fait se ressouvenir de la réalité contemporaine du génocide ? La polémique qui s’en est suivie sur la nature des responsabilités : que voulait dire ici l’expression « Etat français » ? Le régime de Vichy dans son ensemble, l’institution, les hommes, où était « la France » en 1942, était aussi un écho à la nature de la « part de responsabilité morale » dont nous accablait, un ton largement en-dessous, le président Kagame.

Jean-François DUPAQUIER : - Vous laissez aussi entendre que les Tutsi du Rwanda ayant été assimilés à des Blancs, leur extermination était, d’une certaine façon, celle des colonisateurs. Pourquoi ?

Dominique DECHERF : - Le racisme, dis-je, n’était pas originellement entre Hutu et Tutsi mais dans le regard des Blancs sur le génocide noir. Comme je l’ai mentionné à propos de l’Afrique du Sud, le Blanc est lié au Noir dans le rapport de forces qu’il a instauré entre eux.  Dans son esprit, ce rapport ne laisse d’autre alternative que le renversement par la force. Personne n’a imaginé que le pouvoir des uns pouvait reposer sur une nouvelle forme de légitimité. C’est en ce sens que les thèses du « pouvoir hutu » seront justifiées au nom de l’idéologie anticolonialiste, totalement anachronique en 1990, est-il besoin de souligner.

Jean-François DUPAQUIER : - Vous évoquez le rêve d’un Hutuland et d’un Tutsiland chez Hubert Vedrine et Bernard Debré. Pourquoi ces deux hommes aux antipodes politiques font-ils le même rêve que Staline d’un « Etat juif » en URSS ou que Hitler de les déporter en bloc à Madagascar – avant d’opter pour l’extermination ?

Dominique DECHERF : - Il ne faut pas oublier que le génocide survient en plein siège de Sarajevo. Bernard-Henri Lévy n’ira pas au Rwanda car il conduit une liste pour Sarajevo aux élections européennes de juin 1994, quelle coïncidence ! La balkanisation sur une base ethnique est dans toutes les têtes. CQFD pour le problème Hutu/Tutsi. Chez Bernard Debré, c’est un surinvestissement d’expertise « africaniste », chez Hubert Védrine, une transposition indifférenciée de l’Est au Sud.

Jean-François DUPAQUIER : - Assimiler Tutsi et Juif est-il pertinent ?

Dominique DECHERF : - Un « dialogue des mémoires » veut faire apparaître les points communs aux victimes de génocide et à la volonté de survie des communautés menacées (cela inclut aussi les Arméniens). Mais il faut faire attention au sens du mot « race » selon qu’il s’applique aux Juifs ou d’une manière générale aux Noirs. Racisme et antisémitisme sont justement associés dans la lutte contre toute discrimination, mais ils ont aussi trop souvent prêté à amalgame comme on l’a vu lors de la conférence des Nations Unies à Durban en 2001 puis à Genève en 2011. Cela risque de ressurgir si l’on prétend supprimer le mot « race » dans la constitution : en 1946, cette disposition visait à protéger les Juifs – on considérait qu’il n’y avait pas de problème de couleur en France, alors qu’aux Amériques (nos Antilles comprises), « race » est toujours employé en référence à l’esclavage des Noirs.

Jean-François DUPAQUIER : - Selon vous, le Quai d’Orsay et les réseaux de la Françafrique ne cherchaient qu’à défendre Mobutu en tentant de contenir la rébellion du FPR dès 1990. Pourtant, Mobutu était d’abord l’instrument des Américains et de la CIA ?

Dominique DECHERF : - Giscard d’Estaing est le premier à avoir engagé la France – et son armée – lourdement aux côtés de Mobutu. Il s’en est défendu lors de la commémoration du saut de la Légion sur Kolwezi (1978). A Calvi en 2008, il a révélé avoir refusé la requête du chef de l’Etat zaïrois que l’armée française demeure d’une manière permanente en protection (les Marocains resteront quelques mois). C’est alors qu’un sommet francophone se tint à Kigali en 1979 où Senghor fit adopter son projet de Commonwealth à la française. Il est remarquable que les plus fidèles soutiens au pouvoir hutu viendront (jusqu’à aujourd’hui) du Sénégal et de l’ex-Afrique équatoriale française (Centrafrique, Congo-Brazzaville, Gabon, Cameroun) dont Giscard était le plus proche (au détriment de Houphouet).

Jean-François DUPAQUIER : - Vous écrivez aussi que l’actuel président du Rwanda Paul Kagame ne peut se défaire de ses ambitions sur la RDC. A votre avis, est-il dans le fantasme du chef de guerre ou dans une logique de pillage des richesses ?

Dominique DECHERF : - Je n’ai pas écrit exactement cela. Je dis par contre que géographiquement l’Est congolais débouche plus naturellement sur l’Océan indien que sur l’Atlantique ; d’autre part le Rwanda, situé en Afrique de l’Est (il faisait partie de l’Afrique orientale allemande avant d’être accidentellement – et comme pays sous mandat - rattaché à la colonie belge du Congo), est un cul-de-sac s’il ne met pas en communication l’Afrique de l’Est et le Congo.

Jean-François DUPAQUIER : - En 2009, Nicolas Sarkozy avait déclaré publiquement qu’il approuvait le partage des richesses du Kivu entre la RDC et le Rwanda.  Il a visiblement charmé Kagame par ces propos. S’agit-il à votre avis d’une base politique solide pour la diplomatie française vis-à-vis de la RDC ?

Dominique DECHERF : - C’est la solution qui s’impose sur le papier. J’ai longtemps mis en avant le modèle de la Communauté charbon-acier avant de me rendre compte que pour que le concept de la CECA triomphe, il avait fallu une guerre mondiale où l’un des pays, l’Allemagne, avait été totalement vaincu. Il s’en est fallu de peu pour le Zaïre, mais le peuple congolais, s’il « tolère » la dynastie Kabila (originaire du Nord-Katanga), n’est pas prêt à des accords jugés léonins avec le petit Rwanda. Le président Sarkozy avait en effet désigné un ambassadeur itinérant chargé de pousser l’idée mais n’est pas Robert Schuman ou Jean Monnet qui veut. Le préalable à tout progrès, ce qui se vérifie un peu partout en Afrique, est de rééquilibrer les Etats hypercentralisés d’origine postcoloniale sur des perspectives transfrontalières.

Jean-François DUPAQUIER : - A votre avis, les tentatives de déstabilisation de Kagame, notamment par les Services spéciaux français à travers l’enquête Bruguière, ont-ils encore cours aujourd’hui ?

Dominique DECHERF : - L’opération Bruguière a fait long feu. Je ne vois pas par quoi elle serait remplacée. Il reste un déficit de confiance, l’impossibilité d’accepter Kagame comme « légitime » sans parler de l’admettre au « club ». « On fait avec ». C’est déjà pas mal si l’on considère de là où l’on est parti. La transformation, que je qualifierai de « spectaculaire », des esprits et des cœurs entre 2004 et 2006 à laquelle j’ai assisté est là pour en témoigner.

Jean-François DUPAQUIER : - Quelle doit être la diplomatie française vis-à-vis du Rwanda ? L’endiguement, ou au contraire l’aide au désenclavement ?

Dominique DECHERF : - L’alternative récente me paraît plutôt avoir été entre l’hagiographie – certains diraient l’agenouillement – et le dénigrement systématique. Je regrette ma ligne que je continue de considérer ouverte et compréhensive. Il nous faudrait développer une diplomatie régionale élargie non seulement aux Grands Lacs, mais à l’Afrique de l’Est et à la Corne de l’Afrique, le champ, disons, du Comesa au plan économique, de l’Easbrig au plan militaire. Somalie, Soudan, sud et nord, impliquent aussi un partenariat stratégique avec le Rwanda, devenu spécialiste en conflits terminaux. C’est cette reconnaissance internationale qui nous fera dépasser les huis clos, rwando-français, rwando-congolais ou rwando-rwandais.

Jean-François DUPAQUIER : - Le Rwanda est accusé de soutenir le mouvement mutin du M 23 au Kivu, sans qu’on comprenne clairement le but poursuivi. Comment analysez-vous, dans la durée, cette nouvelle crise entre le Rwanda et la RDC ?

Dominique DECHERF : - A nouveau et toujours une question de politique intérieure congolaise. Les Congolais ont grand tort de vouloir régler leurs problèmes internes sur le dos des Rwandais.

Jean-François DUPAQUIER : - Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault affiche sa volonté de restaurer la francophonie. Que faire au Rwanda où parmi les conséquences du génocide de 1994, il y a eu l’effondrement du français et la fermeture du Centre culturel franco-rwandais, le seul équipement culturel digne de ce nom à Kigali ?

Dominique DECHERF : - La défense de la francophonie était un axe majeur de mon plan d’action comme ambassadeur de 2004 à 2006 : le centre culturel avait été remis au centre de toute la vie culturelle rwandaise; rfi avait été admis à rouvrir ses émissions en FM ; Cyangugu, province frontalière avec le Burundi et la RDC, avait été privilégiée comme zone de développement prioritaire ; les francophones, dont une forte minorité d’ex-réfugiés au Zaïre et au Burundi, qui dominaient le secteur des affaires, avaient repris confiance ; le bilinguisme des élites triomphait au plan panafricain avec l’élection de Kaberuka à la tête de la Banque Africaine de Développement avec notre soutien. Etc etc. Que veut la mariée ? Le Rwanda a toute sa place dans la francophonie sans exclusive.

Jean-François DUPAQUIER : - Certains acteurs français comme Hubert Védrine, Bernard Debré ou Marcel Debarge - lorsqu’il était ministre de la coopération -, ont estimé qu’au Rwanda majorité démocratique signifie majorité ethnique. Qu’en pensez-vous ?

Dominique DECHERF : - On l’a dit : rien n’est plus étranger au modèle arc-en-ciel sud-africain. Mais même si la démocratie africaine traditionnelle est avant tout recherche du consensus, voire de l’unanimité au niveau de la famille élargie ou du village, au niveau des nations modernes, sauf exception, jamais une unique ethnie n’est capable de s’imposer seule. La recherche d’alliances est une condition nécessaire de l’exercice du pouvoir. Exemple : Houphouet-Boigny qui avait fondé la stabilité de la Côte d’ivoire sur l’alliance entre Baoulé du centre et Senoufo du Nord. Son successeur, Bédié, plus Akan que Baoulé, ne saura pas bâtir de nouvelles alliances. L’ivoirité c’est l’endogamie, le contraire de l’alliance. Le Kenya est actuellement –et péniblement - à la recherche de ce type de transactions trans-régionales qui a lamentablement – ce qui était à prévoir - échoué aux dernières élections de décembre 2007.

Par ailleurs, l’objet de toute démocratie est de dégager des « leaders » capables de transcender les clivages. Ce sont ceux-là qui font aujourd’hui le plus défaut à l’Afrique.

Jean-François DUPAQUIER : - Nous savons que certains au Quai d’Orsay, notamment l’ancien ambassadeur Marlaud (à travers le récent rapport d’inspection de l’ambassade de France à Kigali) prêchent pour que le France prenne ses distances avec Kagame et favorise le retour d’un certain « pouvoir hutu », quelles qu’en soient les conséquences intérieures. Quelle doit être la position de la diplomatie française ?

Dominique DECHERF : - La diplomatie française s’est évertuée à décourager, dans l’esprit des dirigeants actuels, l’idée que nous apportions quelque soutien que ce soit aux réfugiés rwandais au Congo, les FDLR (Front de Libération du Rwanda), ni à aucune forme de « divisionnisme » à l’intérieur ou de « révisionnisme » ou « négationnisme » à l’extérieur. Il nous faut sans doute être plus offensifs et faire comprendre définitivement aux militants de quelque pouvoir majoritaire hutu qu’il n’y aura jamais aucun retour en arrière à la situation ante 1993. Certains d’entre eux peuvent penser jusqu’à aujourd’hui que nous les avons abandonnés à leurs démons intérieurs. Autant que les ex-« Tutsi de l’intérieur » survivants, les Hutu peuvent nous dire comme la sœur de Lazare à Jésus : « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ». Mais il faut que chacun sache que nous n’avons pas le pouvoir de ressusciter les morts. Seulement de permettre de faire le deuil.

Jean-François DUPAQUIER : - Depuis le rappel en France par Alain Juppé de l’ambassadeur Contini, et le refus de Kagame d’accréditer Hélène le Gall (devenue depuis conseillère Afrique du président François Hollande), la France n’a plus d’ambassadeur au Rwanda. Accepteriez-vous de reprendre du service si on vous le demandait ?

Dominique DECHERF : - Le refus d’accréditation d’Hélène Le Gal est un parfait malentendu. Sous-directrice d’Afrique de l’Est lorsque j’étais ambassadeur à Kigali, elle a toujours activement soutenu la ligne du rapprochement.

On ne me demandera pas de reprendre du service, car étant en retraite, ma nomination ne serait plus diplomatique mais « politique ». On changerait de registre. Outre qu’il n’est jamais bon de retourner sur le lieu de ses crimes. Nécessairement on compare…Il faut un œil neuf.

Toutefois je continuerai à défendre ce qui a été fait entre 2004 et2006, « socle » de ce qui a été réalisé depuis et le sera par les ambassadeurs à venir. Je suis fier de mon bilan.

Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER

Capture d’écran 2012-07-06 à 19.17.55.pngDominique Decherf, "Couleurs, Mémoires d’un ambassadeur de France en Afrique", Ed Pascal Galodé, Saint-Malo, France.

19:20 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (4)

04 juillet 2012

RDC : Le rapport qui "accable" le Rwanda

Les experts de l'ONU viennent de rendre public leur rapport sur les violations de l'embargo sur les armes. Le document accuse ouvertement Kigali d'appuyer la rébellion du M23 qui se bat contre l'armée congolaise dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). L'annexe de 43 pages du rapport, que nous nous sommes procurés, sonne comme un véritable réquisitoire contre l'ingérence du Rwanda en RDC. Changera-t-elle la donne au Nord-Kivu ? Pas dans l'immédiat.

Capture d’écran 2012-07-03 à 21.29.43.pngLe doute n'est plus permis. L'implication rwandaise auprès des rebelles du M23 en RDC était encore, il y a encore quelques mois, un secret de polichinelle. Aujourd'hui les preuves sont couchées noir sur blanc et signées des Nations unies. Le rapport de l'ONU révèle les relations ambiguës entre le Rwanda et la République démocratique du Congo autour de la mutinerie lancée il y a deux mois par le général rebelle Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale (CPI). Au coeur des révélations du groupe d'experts : le soutien matériel, financier et humain aux rebelles du M23 qui affrontent l'armée régulière congolaise (FARDC) au Nord-Kivu depuis mai 2012.

"Assistance directe au M23"

Le rapport, dont vous pouvez consulter l'annexe en français (à télécharger ici), détaille par le menu de nombreuses preuves du soutien du Rwanda au M23. Les experts ont collecté un ensemble impressionnant des documents officiels, d'interceptions de communications radio, des rapports internes de l'armée congolaise, de photos, de cartes, mais également de plus de 80 témoignages directs de déserteurs du M23. Les experts de l'ONU dénoncent :
"- l'assistance directe à la création du M23 en facilitant le transport des armes et des troupes à travers le territoire rwandais,
- le recrutement de jeunes rwandais,
- la fourniture d‟armes et de munitions au M23,
- les interventions directes des Forces rwandaises de défense (FRD) sur le territoire congolais afin de renforcer le M23,
- l'appui à plusieurs autres groupes armés".

Makenga à Gisenyi ?

Capture d’écran 2012-07-04 à 23.35.35.pngLe rapport retrace chronologiquement l'assistance rwandaise au M23 : "le 4 mai, Makenga (le chef rebelle du M23) a traversé la frontière de Goma pour Gisenyi, au Rwanda, et a attendu que ses soldats à Goma et à Bukavu le rejoignent (…) Le commandant de la Division de l'ouest des FDR (armée rwandaise), le général Emmanuel Ruvusha, a accueilli Makenga lors de son arrivée à Gisenyi. Les mêmes sources ont indiqué que durant les jours qui ont suivi, Ruvusha a tenu une série de réunions de coordination à Gisenyi et à Ruhengeri, avec des officiers du FDR et avec Makenga (…) Toujours le 4 mai, les colonels Kazarama, Munyakazi, et Masozera, et près de 30 soldats fidèles à Makenga ont quitté Goma et ont traversé la frontière vers le Rwanda à travers les champs proches de la frontière Kanyamuyagha".

Les experts de l'ONU détaillent également les différents points de transit et de recrutement des rebelles du M23. Et c'est au Rwanda qu'ils en trouvent les traces, à Kinigi, situé à 5 petits kilomètres de la frontière congolaise. "Certaines recrues déclarent avoir reçu un repas à l'Hôtel Bishokoro, qui appartient au général Bosco Ntaganda et son frère à Kinigi. Ensuite, les soldats des FRD (armée rwandaise) escortent des groupes importants de nouvelles recrues à la frontière et les envoient en RDC", note le rapport.

Kabarebe et Nkunda à la manoeuvre

Capture d’écran 2012-07-04 à 23.35.19.pngRévélations plus embarrassantes pour Kigali, 5 officiers de l'armée rwandaise dont le ministre de la Défense James Kabarebe, le chef d'état-major Charles Kayonga, l'ancien chef des renseignements militaires Jacques Nziza, et Célestin Sendoko (l'assistant personnel de Kabarebe) sont accusés d'être les principaux responsables de l'appui rwandais aux rebelles de l'Est congolais. Le 23 mai 2012, Sendoko, le bras droit de Kabarebe, a "organisé une réunion, avec la participation d‟officiers du FRD (armée rwandaise) et 32 chefs de communauté, principalement des cadres CNDP, à Gisenyi à la résidence du membre du CNDP Gafishi Ngoboka. Senkoko s'est présenté comme un représentant de Kabarebe et a relayé le message que le gouvernement rwandais soutient le M23, dont la nouvelle guerre a pour objectif d'obtenir la sécession des deux Kivus. Après avoir montré le territoire qui devait être libéré sur une carte, il a donné l'instruction aux hommes politiques de convaincre tous les officiers rwandophones dans l'armée et opérant dans les Kivus de rejoindre le M23". Le rapport de l'ONU note que pendant que les combats font rages au Nord-Kivu, "Ntaganda et Makenga ont régulièrement traversé la frontière avec le Rwanda pour participer à des réunions avec chacun des hauts officiers FRD (armée rwandaise) à Kinigi afin de coordonner les opérations et le ravitaillement". Autre découverte pour le moins étonnante des experts de l'ONU, la présence le Laurent Nkunda : "l'ancien président du CNDP, le général Laurent Nkunda, officiellement en résidence surveillée par le gouvernement rwandais depuis janvier 2009, vient souvent de Kigali pour participer à ces réunions".

Les points faibles du rapport

Si les preuves sont accablantes et irréfutables, trois petites zones d'ombres viennent tempérer le rapport de l'ONU : la fragilité des témoignages, tous anonymes (et on comprend pourquoi) ; le manque de traçabilité du trafic d'armes et de preuves des flux financiers pour soutenir le M23. Toutefois, les documents avancés dans ce rapport sont assez nombreux et solides pour démontrer l'ingérence au plus haut niveau de l'Etat du Rwanda en République démocratique du Congo.

Les accusations de l'ONU changeront-elles la donne ?

Sur le plan diplomatique, Kinshasa compte déposer une requête devant le Conseil de sécurité de l'ONU, mais elle a peu de chance d'aboutir, selon un diplomate, interrogé par RFI. Sur le terrain, au Nord-Kivu, le rapport des experts ne changera vraisemblablement rien dans l'immédiat. Les positions des belligérants sont figées, soldats et rebelles sont retranchés dans une guerre de position qui peut durer des mois. Quant à Kinshasa, elle se retrouve dans une position inédite, qu'elle n'avait pas anticipé : son allié rwandais (depuis 2009) est désormais un "Etat ennemi". Le scénario de la rébellion du M23 constitue donc une "surprise" pour Kinshasa. Et Joseph Kabila n'a ni les moyens militaires, ni l'envie d'en découdre avec Kigali. C'est d'ailleurs l'un des principaux reproches qui collent à la peau du chef de l'Etat congolais : sa "proximité" avec le Rwanda. Pour comprendre  le "réveil tardif" des autorités congolaises aux ingérences rwandaises à l'Est, il faut lire le communiqué de presse de la Voix des sans voix (VSV), une ONG congolaise des droits de l'homme : "la VSV ne s’explique pas que ce soit la Monusco et Human Rights Watch qui soient les premières à dénoncer l’appui du Rwanda aux mutins alors que notre pays, la RDC, dispose de nombreux services de sécurité civils et militaires auxquels un budget conséquent est toujours alloué chaque année. Elle pense que le manque, par la RDC, de maîtrise du contrôle des questions de sécurité à ses frontière repose avec acuité la problématique de l’échec depuis plusieurs années de la restauration de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire congolais en général et à l’Est de la RDC en particulier"… oui pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Christophe RIGAUD

Photos extraites du rapport de l'ONU © DR

01 juillet 2012

RDC : Quand Julien Paluku joue les intermédiaires avec les FDLR

Kigali accuse le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, de coopérer avec les rebelles FDLR, en vue de reprendre des "attaques terroristes" contre le Rwanda. Dans une lettre que nous publions, Julien Paluku demandait le 19 juin l'aide de la Monusco, pour deux responsables FDLR. Pour Kinshasa, ces accusations sont "un non-sens" et visent à "détourner l'opinion" suite au rapport de l'ONU sur l'implication du Rwanda dans une mutinerie à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC).

lettre paluku.pngLa contre-attaque du Rwanda n'a pas tardé. Accusé de soutenir la rébellion du M23 au Nord-Kivu, en guerre contre Kinshasa, Kigali accuse à son tour la RDC de vouloir relancer sa coopération entre son armée et les rebelles hutus FDLR. Pour preuve, cette lettre datée du 19 juin 2012 (voir ci-contre), du gouverneur de la province du Nord-Kivu, Julien Paluku, au chef de bureau de la Monusco à Goma. Le gouverneur "recommande" une liste de plusieurs personnes pour embarquer à bord d'un avion des Nations unies à destination de Mutongo en territoire de Walikale. Sur cette liste, deux responsables FDLR, une milice hutue, qui menace Kigali : Faustin Murego, coordinateur des FDLR à Liège en Belgique et Joseph Nzabonimpa un ex-FAR. Si la demande a été refusée par la Monusco, cette lettre prouve pour Kigali, la connivence entre les autorités congolaises et les FDLR.

Selon Kigali, Julien Paluku aurait été chargé par le président Joseph Kabila, via son conseiller sécurité Pierre Lumbi, "d'identifier des personnalités ayant des contacts avec les FDLR". Toujours selon le Rwanda, les deux membres des FDLR, qui voyagent avec des passeports belges, auraient remis plus de 100.000 dollars à un responsable militaire du groupe à Mudacumura.

Cette lettre tombe à point nommé pour Kigali, très embarrassée par les accusations des experts de l'ONU qui viennent de démontrer l'implication du Rwanda dans les mutineries qui agitent l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Pour Kinshasa, il s'agit d'une pure diversion. Selon Lambert Mende, porte-parole du gouvernement congolais, ces accusations sont un "non-sens",  l'armée congolaise menant une "lutte sans merci contre les FDLR" (avec jusqu'à peu, l'aide du Rwanda !). Quant à Julien Paluku, il affirme que "le gouvernement rwandais est aux abois face toute la pression internationale qui pèse sur lui".

Après deux mois d'affrontements à l'Est de la RDC, les deux voisins s'accusent désormais mutuellement de soutenir leur propre rébellion : le Rwanda soutenant le M23, le Congo, les FDLR. Une guerre entre Kinshasa et Kigali qui ne dit pas son nom, par rebelles interposés.

Christophe RIGAUD

29 juin 2012

RDC : Mystérieuse disparition d'un opposant congolais

Depuis mercredi 27 juin, l'opposant Eugène Diomi Ndongala, président de la Démocratie chrétienne est introuvable. Accusé de viol sur mineures par la police, ses proches affirment qu'il a été enlevé par des hommes armés, alors que les autorités congolaises le considèrent en cavale. Son parti dénonce une "cabale" politique (…) "pour le faire taire définitivement".

Capture d’écran 2012-06-29 à 09.47.53.pngL'affaire fait grand bruit à Kinshasa. Mardi 26 juin dans la soirée, la police a investi massivement le siège du parti de la Démocratie chrétienne (DC). Une quarantaine "d'éléments armés" sont venus surprendre Eugène Diomi Ndongala, accusé d'avoir violé deux filles mineures sur dénonciation du père des enfants. Le président de la DC n'est pas sur place.

La nouvelle se retrouve immédiatement en "une" du site internet Direct.cd, "présent sur les lieux au moment de l'événement" (hasard ou coïncidence ? l'article ne le dit pas). Le papier de Direct.cd est très circonstancié et le journaliste, vraisemblablement prévenu par les autorités congolaises, affirme que le président de la Démocratie chrétienne "a été surpris par les éléments de la police avec deux jeunes filles âgées à peine de 14 ans dans sa domicile de la Gombe".

Le lendemain, mercredi 27 juin, la Démocratie chrétienne affirme que son président se rend à la cathédrale Notre dame du Congo où il doit tenir un meeting en faveur d'Etienne Tshisekedi avec plus de 40 partis politiques d'opposition. Le parti d'Eugène Diomi explique ensuite qu'après la perquisition du siège de la Démocratie chrétienne par la police, les forces de sécurité investissent la cathédrale Notre Dame du Congo. Les policiers auraient "menacé" les curés du lieux, leur "intimant l'ordre de ne pas permettre la tenue de la manifestation de l'opposition". C'est pendant le trajet pour se rendre à la cathédrale Notre Dame, que les proches d'Eugène Diomi affirment avoir perdu sa trace.

Selon la Démocratie chrétienne : "tout est faux". Son communiqué dénonce une "cabale" politique et un "lynchage médiatique (…) pour salir l'honorabilité du président Diomi Ndongala". Les membres du parti réfutent en bloc les accusations divulguées dans la presse et affirment "qu'il est complètement faux que le Président Diomi ait été appréhendé avec des filles, car il n’était même pas présent au siège du parti au moment de la descente massive des policiers aux ordres du Colonel Kanyama". Pour la Démocratie chrétienne, le régime veut tout simplement faire payer le soutien d'Eugène Diomi à Etienne Tshisekedi, l'opposant au président Kabila et candidat malheureux à la dernière élection présidentielle.

Du côté du Procureur général de la République, la version est tout autre. L'accusation de "relations sexuelles avec deux filles mineures de 15 et 16 ans" est maintenue et la justice affirme que "les victimes ont avoué les faits". Le Procureur considère donc Eugène Diomi "en cavale" et rappelle qu'il encourt une peine de 7 à 20 ans de prison et d'une amende de 800.000 à 1 million de Francs congolais.

Pour l'instant, difficile d'y voir clair dans cette disparition. Mais l'affaire Diomi intervient dans une ambiance particulièrement tendue en République démocratique du Congo (RDC). La reprise de la guerre à l'Est du pays a fragilisé un peu plus le pouvoir du président Joseph Kabila qui peine à asseoir son autorité depuis les élections. Les résultats très contestées de la présidentielle et des législatives de novembre 2011 ont laissé place à un climat politique exécrable à Kinshasa. L'Asadho, une ONG congolaise des droits de l'homme avait dénoncé (la veille de l'affaire Diomi Ndongala !) les arrestations des membres de l'opposition, proches de l'UDPS d'Etienne Tshisekedi. L'Asadho s'inquiétait des arrestations multiples d'opposants politiques et des détentions illégales c'est derniers mois. Les services de renseignements congolais (ANR) sont souvent cités comme les principaux responsables de ces actes. Ce sont ces mêmes services qu'accuse la Démocratie chrétienne, de détenir Eugène Diomi Ndongala. Une plainte a été déposée à l'encontre du colonel Kanyama.

Christophe RIGAUD

27 juin 2012

RDC: Kabila dans le piège rwandais

Depuis deux mois, l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) est le théâtre de violents affrontements entre rébellions et armée régulière. Un nouveau conflit qui révèle les multiples contradictions entre les différents protagonistes. Le Rwanda, allié de Kinshasa, est accusé de soutenir la rébellion du M23, alors que Joseph Kabila a utilisé les services des actuels rebelles (qu'il combat aujourd'hui) pendant les élections de novembre. Un jeu de dupe entre la RDC et le Rwanda qui dure depuis plus de 15 ans.

IMG_3592filtre.jpgLa guerre qui secoue une nouvelle fois la région du Kivu, à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), constitue un énième soubresaut des relations tumultueuses qui agitent la RDC et le Rwanda depuis le génocide de 1994. La polémique actuelle sur un possible soutien de Kigali aux rebelles du M23 n'étonne personne à Kinshasa. Pour de nombreux observateurs de l'arène politique congolaise, "le problème n'est pas tant de savoir si le Rwanda aide en sous-main les rébellions de l'Est, mais d'en connaître l'importance".

16 ans de relations tumultueuses

De 1996 à 2012, le Rwanda est intervenu plusieurs fois en RDC, à des degrés plus ou moins élevés. Entre 1996 et 1997, le Rwanda franchit une première fois la frontière, pour traquer les génocidaires hutus, renverser le maréchal Mobutu et mettre au pouvoir son allié congolais de l'AFDL, Laurent-Désiré Kabila. En 1997, une fois aux commandes, Kabila nomme un rwandais, James Kabarebe, comme chef d'état-major de l'armée congolaise. En 1998, Kabila se brouille avec son protecteur rwandais, devenu "trop encombrant". Le Rwanda tente de le déloger par les armes, sans succès, le "Mzee" ayant trouvé d'autres protecteurs comme le Zimbabwe et l'Angola. En 2001, Laurent-Désiré Kabila est finalement assassiné. Le Rwanda sera accusé en 2001 et 2002 par l'ONU de "pillage des ressources naturelles" en RDC. L'armée rwandaise quittera enfin le pays en 2003, mais Kigali se fera fort de soutenir les rébellions censées protéger la communauté tutsi congolaise des attaques des hutus rwandais des FDLR. Le Rwanda soutiendra d'abord le général dissident Laurent Nkunda, avant de le laisser tomber et d'aider Bosco Ntaganda, fraîchement allié avec Kinshasa. Lâché par Kabila, Ntaganda prendra le maquis avec un autre groupe, le M23, qui défie aujourd'hui l'armée congolaise dans l'Est du pays, à quelques encablures… du Rwanda. Depuis 16 ans, de près ou de loin, le Rwanda gardera toujours "une main" sur les Kivu.

Rien d'étonnant donc, lorsque Human Rights Watch (HRW), l'ONU ou le gouvernement congolais dénoncent ensemble l'aide de Kigali à la nouvelle rébellion née il y a deux mois dans les Kivu, le fameux M23. Selon Reuters, qui a pu se procurer un rapport de l'ONU (qui ne sera pas publié), James Kabarebe, maintenant ministre de la défense du Rwanda serait personnellement impliqué dans le soutien aux rebelles du M23. Kigali a bien sûr fermement démenti ces allégations.

A quoi joue le Rwanda ?

Officiellement, le Rwanda cherche à venir à bout des rebelles hutus des FDLR, réfugiés en RDC depuis la fin du génocide de 1994. Les FDLR ont toujours constitué une menace aux yeux de Kigali. A Kinshasa, certains relativisent le danger que représente réellement, en 2012, cette rébellion qui n'a pas lancé d'attaques d'envergures contre le territoire rwandais depuis plusieurs années. Car officieusement, les Congolais affirment que les opérations anti-FDLR ne sont qu'un prétexte du Rwanda pour contrôler la région, très riche en minerais divers (cassitérite, or, coltan…). A Kinshasa, ce qui est appelée "l'occupation rwandaise" de l'Est du pays possède également des vertus démographiques pour le petit Rwanda voisin et surpeuplé. Comme le dit dans son éditorial, le magazine Congo Actualités du mois de juin. : "Kigali crée des groupes armées pour fomenter des guerres qui obligent la population autochtone à abandonner ses villages et ses terres, pour les remplacer avec d’autres populations provenant d’autres pays et du Rwanda, en particulier".

Liaisons dangereuses

En conflit ouvert avec le Rwanda depuis 1998, le Congo de Joseph Kabila s'est subitement rapproché de son encombrant voisin en 2009. Il faut dire que la rébellion de Laurent Nkunda (soutenu par Kigali) a fait vacillé Kinshasa pendant plusieurs semaines. Les troupes de Nkunda étaient en effet aux portes de Goma, la capitale de l'Est congolais et menaçaient de faire tomber le régime de Joseph Kabila. Le président congolais décide donc de s'allier à Kigali (contre la majorité de son opinion publique) pour se débarrasser de Laurent Nkunda. Le général rebelle est en effet arrêté par Kigali et placé en résidence surveillée au Rwanda en attendant une hypothétique extradition vers la RDC. Aujourd'hui, le "nouveau Nkunda" s'appelle Bosco Ntaganda. Soutenu également par Kigali, le général ex-bras droit de Nkunda a fait allégeance à Joseph Kabila jusqu'au mois d'avril 2012. A ce moment, Kinshasa, poussée par la communauté internationale après des élections très contestées, prend la décision de capturer Ntaganda, recherché depuis plusieurs années par la Cour pénale internationale (CPI). Kinshasa souhaite donner des gages à la communauté internationale en cessant de protéger Ntaganda. Le général, sentant son arrestation proche, fait défection avec quelques centaines d'hommes et prend le maquis dans les montagnes du Kivu. En parallèle, une nouvelle rébellion voit le jour : le M23, issu de la mouvance Nkunda.

Kabila prisonnier de Kigali ?

Rapidement, tout le monde se rend compte que les mutins bénéficient du soutien du Rwanda voisin. Human Rights Watch estime que le M23 est alimenté en armes et en vivres depuis les montagnes rwandaises. L'ONU affirme que les rebelles ont été formés au Rwanda et Reuters dévoile un document de l'ONU révélant que des personnalités rwandaises de premiers plans, dont le ministre James Kabarebe, aident le M23. Kinshasa se contente de dénoncer la "passivité" de Kigali. Mais face à son "allié" de circonstance, Joseph Kabila n'est pas le mieux placé pour lui donner des leçons. Le président congolais est en effet redevable de nombreux "services" à la communauté rwandophone des Kivu. Aux élections de 2006 tout d'abord, le candidat Kabila a réalisé d'excellents scores dans la région (jusqu'à 90% des voix dans le Masisi). Un vote qui ne sera d'ailleurs pas récompensé puisque les tutsis ne seront pas représentés à l'assemblée provinciale (d'où les frustrations et l'émergence de Laurent Nkunda). Aux élections de 2011 ensuite, pendant lesquelles Joseph Kabila a demandé au CNDP de Ntaganda de "sécuriser" le scrutin dans l'Est. Le candidat y réalisera de très bons scores (dès fois plus de 100% des voix !). Ntaganda n'en sera pas gratifié puisqu'il sera très vite transformé en "ennemi public numéro 1" par l'armée congolaise pour être livré à la CPI. Dernier point à mettre dans la balance des relations entre le Rwanda et la RDC : le lien très fort du président Kabila avec le ministre rwandais de la défense, James Kabarebe. Le militaire rwandais a en effet formé le jeune Joseph Kabila "aux arts de la guerre" pendant la chute du régime Mobutu en 1997. Kabila doit tout à Kabarebe... et Kabarebe connaît tout de Kabila.

Sortie de crise ?

Dans cet imbroglio où tout le monde ment à tout le monde, difficile de savoir comment Joseph Kabila pourra s'affranchir de son "allié" rwandais. Pour l'heure, le président congolais n'a pas les moyens de tenir tête à Kigali. L'armée congolaise est en pleine reconstruction et n'a pas la possibilité de s'imposer sur le terrain. Deux solutions s'offrent pourtant à Joseph Kabila : compter sur la communauté internationale pour faire plier Kigali et retrouver un peu de souveraineté à l'Est ou négocier avec les rebelles et Ntaganda pour trouver ensemble une porte de sortie acceptable pour tous. Un seul atout pour Joseph Kabila : les dissensions très fortes entre le M23 et Bosco Ntaganda… le premier étant prêt à lâcher le second pour voir aboutir ses revendications : l'application des accords de Goma de 2009. Jusqu'à ce jour le gourvernement congolais n'était pas disposé à nouer des négociations avec les rebelles.

Christophe RIGAUD

Photo © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

21 juin 2012

Corruption : La RDC toujours dans le rouge

Rien n'y fait. Malgré les différents dispositifs de lutte, la corruption s'est aggravée en République démocratique du Congo (RDC), selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime. Le conseiller anti-corruption des Nations unies, en visite à Kinshasa, pointe "le manque de volonté politique (…) au plus haut niveau de l'Etat". Difficile à chiffrer, la corruption coûterait entre 400 et 800 millions de dollars à la RDC.

DSC03927filtre.jpgAvec un score de 2 sur 10 sur l'échelle de perception de la corruption, l'ONG Transparency international place la République démocratique du Congo (RDC) au 168ème rang sur 182, des pays les plus corrompus de la planète. La corruption y est même qualifiée "d'endémique". En RDC, les surcoûts associés à la corruption se chiffrent entre 30 à 40% de la valeur de la transaction, alors qu'ils ne sont que de 10 à 30% dans le reste de l'Afrique (1). Dans le pays, 90% de l'économie est dite "informelle" et seulement 400.000 comptes bancaires sont ouverts pour pratiquement 70 millions d'habitants.

Selon l'économiste congolais, Oasis Kodila Tedika, la corruption est inscrite dans les moeurs du Congo et touche toutes les strates de la société. L'économiste s'est penché sur le phénomène, en analysant l'impact de la corruption sur les transports en RDC. Les chauffeurs de taxi payent régulièrement différentes "taxes", "droits de passages" ou "pourboires" aux forces de sécurité congolaises. Ces pertes peuvent aller jusqu'à 60% des revenus moyens des chauffeurs de taxi.

Au niveau de l'Etat, Oasis Kodila Tedika, estime que 55% des recettes échappent au Trésor congolais à cause de la fraude fiscale liée à la corruption. Le manque à gagner serait estimé à 800 millions de dollars, soit environ 12% du PIB du pays.

La corruption fait aussi des ravages au plus haut sommet de l'Etat. En 2009, un rapport de l'Assemblée nationale congolaise avait épinglé le gouvernement d'Adolphe Muzito en dénonçant la "dilapidation des finances publiques". 23, 7 millions de dollars s'étaient évaporés lors de la signature d'un contrat avec un consortium chinois pour avoir accès aux gisements de cuivre et de cobalt appartenant à l'entreprise d'Etat, la Gécamines. La commission demandait aussi le remboursement de 68 millions de dollars de créances douteuses à une banque privée et 25 autres millions à une société qui avait livré du matériel "inadéquat" à la MIBA, pour l'extraction du diamant.

En 2010, le gouvernement congolais a décidé de mettre en oeuvre pas moins de 45 mesures pour lutter contre la corruption (codes miniers et forestiers, processus de Kimberley… ). La "tolérance zéro" est ensuite proclamée par le président Joseph Kabila pour lutter contre l'impunité… visiblement sans effet.

Le rapport du conseiller anti-corruption des Nations unies, en visite à Kinshasa, ne laisse entrevoir aucun progrès en matière de lutte anti-corruption. « Les résultats ont été mitigés. L’une des raisons majeures est le manque de volonté politique pour lutter contre la corruption, même au plus haut niveau de l’Etat », a affirmé le professeur Muzong sur Radio Okapi.

Le fonctionnaire onusien dénonce également « le dysfonctionnement du secteur judiciaire qui a fait que même les gens qui sont attrapés la main dans le sac peuvent s’en tirer à très peu de frais ». Le dernier rapport "Doing Business" 2012 sur le climat des affaires dans le monde, place la RDC 181ème sur 183. Le pays a perdu 2 places cette année.

Christophe RIGAUD

Photo : Entrée d'une administration à Kinshasa © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

18 juin 2012

RDC : Une loi pour réformer la CENI ?

Après les élections contestées de novembre 2011 en République démocratique du Congo (RDC), la Commission électorale (CENI) se trouve toujours sous pression internationale. L'Union européenne (UE) vient de conditionner son aide financière aux réformes pour rendre cette institution plus indépendante, crédible et transparente. Un député de l'opposition vient de déposer une proposition de loi en ce sens. "Des améliorations bienvenues" estime International Crisis Group, mais il faut aller plus loin.

ceni filtre.jpgDepuis le 5 juin, l'Assemblée nationale congolaise dispose d'une proposition de loi visant à modifier la Commission électorale (CENI). Très décriée pendant l'épisode électoral de novembre 2011, la CENI se trouve dans l'obligation d'évoluer. Après les nombreux dysfonctionnements, les irrégularités et les soupçons de fraudes massives qui pèsent sur les élections présidentielle et législatives, la Commission électorale souffre surtout d'un manque cruel d'indépendance. L'opposition accuse l'institution d'être au ordre du président (réélu) Joseph Kabila et surtout de ne pas être en mesure d'organiser un scrutin impartial correspondant aux normes internationales.

Depuis les élections contestées, la pression de la communauté internationale se fait de plus en plus appuyée. L'Union européenne (UE) vient dernièrement de conditionner son aide au processus électoral (49,5 millions d'euros pour les élections de novembre) à un renforcement des institutions et de l'état de droit en RDC. L'UE demande des réformes de fond concernant la CENI et le CSAC, ainsi que la création d'une Cour constitutionnelle.

Dans ce contexte, la proposition de loi d'Emery Okundji Ndjovu, député de l'opposition (indépendant) du Kasai Oriental tombe à point nommé. Emery Okundji propose tout d'abord une CENI "plus représentative". La nouvelle Commission électorale passerait de 7 à 22 membres, avec une égalité entre majorité et opposition (ce qui n'est pas le cas actuellement) et verrait le retour de la société civile, écartée de l'institution depuis 2010.

La proposition de loi souhaite également une CENI "plus redevable". Les partis politiques, la société civile et les bailleurs de fonds doivent être en mesure de superviser son travail. Les instances de la Commission seront élargies avec un bureau, une assemblée plénière et des commissions techniques (contre un simple bureau aujourd'hui).

Dernière amélioration de la proposition de loi : la lutte contre la corruption. La CENI devra respecter la loi sur les marchés publics et le patrimoine exhaustif de ses membres sera publié devant l'Assemblée nationale. La Cour des comptes devra enfin rendre son audit 6 mois après le dépôt du rapport général de la Commission.

Pour l'ONG, International Crisis Group (ICG), "cette proposition de loi comporte plusieurs améliorations bienvenues par rapport à la CENI en vigueur, notamment en termes de représentativité et d’équilibre politique, mais plusieurs faiblesses demeurent". ICG regrette que "les innovations en matière de contrôle financier semblent faibles (le délai de l'audit devrait être plus court)". "La proposition de loi ne devrait pas faire référence à une institution judiciaire qui n’existe pas en RDC, en l’occurrence la cour de cassation" rélève ICG et "la représentativité des femmes n’est pas précisée". Si "cette proposition de loi constitue une base de discussion intéressante, elle devrait être complétée par une réforme de la cour suprême de justice qui a joué un rôle majeur dans le processus électoral en démontrant ses lacunes et sa partialité ainsi que des garanties d’impartialité et d’incorruptibilité pour les cours d’appel qui gèreront le contentieux électoral provincial" estime International Crisis Group

Enfin, le nouveau calendrier électoral est "trop irréaliste, trop tardif et vague en ce qui concerne les scrutins locaux" selon l'ONG. En effet, "les résultats définitifs des provinciales sont prévus pour fin juin 2013, les gouverneurs pour début 2013 et les sénatoriales pour mi-août 2013. A cette date, aussi bien les assemblées provinciales que le Sénat seront inconstitutionnelles et certaines provinces s’agitent déjà (le gouverneur du Kasaï occidental vient d’être déchu par l’assemblée provinciale)".

Dernier élément, sans doute le plus important : cette proposition de loi émane de l'opposition, minoritaire à l'Assemblée. On voit donc mal comme ce projet pourrait aboutir. Pendant ce temps, la CENI, qui a promis de tenir compte des "erreurs" du scrutin de novembre, a présenté "trois nouveaux outils de gestion interne : l’organigramme, le règlement administratif et financier et le manuel de procédure de gestion du patrimoine et des ressources humaines et financières de cette institution". Des "outils" qui figuraient dans les recommandations formulées à la CENI… une goutte d'eau tant la réforme doit être profonde.

Christophe RIGAUD

RDC : Confusion à l'UDPS après l'accord avec l'APARECO et l'ARP

Nouvelle cacophonie à l'UDPS. Après la signature d'une déclaration commune à Paris entre l'UDPS, l'APARECO et l'ARP, le secrétaire général du parti d'Etienne Tshisekedi, Jacquemain Shabani, "dément toute autorisation" de son mouvement "à une telle initiative". Félix Tshisekedi a pourtant certifié sur RFI que son père "a bien donné son quitus" à cet accord, tout comme Albert Moleka, conseiller d'Etienne Tshisekedi, qui a confirmé sur France24 le rapprochement UDPS-APARECO-ARP. Qui croire ?

Edo Olito filtre.jpgTout semblait pourtant bien parti ce jeudi 14 juin. Dans un grand hôtel parisien, l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), d’Etienne Tshisekedi, l’Alliance des patriotes pour la refondation du Congo (Apareco) de l'ancien mobutiste Honoré Ngbanda et l'Armée de résistance populaire (ARP) du général Faustin Munéné, ont tenu pour la première fois une conférence de presse commune. L'appel des trois mouvements d'opposition visait à mobiliser les Congolais contre le régime de Joseph Kabila. "Ce ne sont plus les élections qui vont libérer le pays aujourd'hui, alors nous devons créer une synergie pour la libération du Congo" déclarait Candide Okéké, représentante de l'APARECO.

Pourtant, plusieurs signaux laissaient entrevoir un flottement dans la position de l'UDPS. Tout d'abord l'absence de Félix Tshisekedi, un temps annoncé à la conférence de presse et remplacé par Edo Olito, le représentant de l'UDPS en France. Ensuite, la gêne à peine dissimulée d'Edo Olito sur les divergences entre les différents mouvements et notamment le recours à la force prônée par l'ARP qui ne se présentait d'ailleurs pas comme mouvement politique, mais comme un groupe militaire (dixit son secrétaire général Fanfan Longa Fuamba). Enfin, le premier document remis aux journalistes présents était signé Etienne Tshisekidi, alors que la déclaration commune diffusée ensuite sur internet était signée pour l'UDPS par Félix Tshisekedi.

Ensuite tout s'emballe. Un communiqué de l'UDPS en provenance de Kinshasa désapprouve le lendemain l'initiative. Le communiqué de presse, signé du secrétaire général du parti, Jacquemain Shabani, explique que "le président de l’UDPS (Etienne Tshisekedi, ndlr) n’a ni négocié ni signé et encore moins délégué cette prérogative à quiconque et le protocole d’alliance signé à Paris n’engage donc pas le Parti". Et de conclure : "le représentant de l’UDPS dans la fédération de France (Edo Olito, ndlr) est rappelé d’urgence en consultation à Kinshasa".

Pendant ce temps sur France24, Albert Moleka, conseiller d'Etienne Tshisekedi (et présent à la conférence commune de Paris) confirme l'accord signé entre l'UDPS, l'APARECO et l'ARP. Et Félix Tshisekedi, contacté par RFI, assure que "son père a bien donné son quitus pour cette initiative qui émane de l'extérieur" et qu'il s'agit "d'un problème communication". Qui dit vrai ?

Cela devient une habitude à l'UPDS. Le cafouillage médiatique est presque devenu la marque de fabrique du parti d'opposition congolais. On se souvient de l'épisode rocambolesque de l'avion affrété en Afrique du sud pendant la campagne électorale qui s'était vu refuser ou  non (on ne saura jamais), l'autorisation d'atterrir à Kisangani. Etienne Tshisekedi réagit de manière confuse… et tardivement. Rapidement, plus personne ne comprend rien. La même confusion interviendra lors de l'exclusion des députés UDPS qui souhaitaient siéger à l'Assemblée nationale malgré le boycott décidé par Etienne Tshisekedi.

Avec la déclaration commune de Paris, on se retrouve un peu dans la même configuration. Plusieurs membres de l'UDPS donnent des versions divergentes… Etienne Tshisekedi ne dit rien et donne l'impression de ne pas trancher. Alors qu'une simple déclaration du président de l'UDPS  suffirait à clarifier la situation.

Dernière élément qui pourrait expliquer le flottement qui règne à la tête de l'UDPS : la rumeur persistante de tensions entre Thsisekedi et Shabani au sujet d'un éventuel détournement d'argent sur la vente de cartes de membres du parti. Pour l'heure, tout le monde un signe du "patron"… qui se fait attendre.

Christophe RIGAUD

Photo : Edo Olito de l'UDPS France, Candide Okéké de l'Apareco et Fanfan Longa Fuamba de l'ARP le 14 juin 2012 à Paris (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

14 juin 2012

RDC : L'UDPS, l'APARECO et l'ARP s'unissent à Paris

Le front anti-Kabila s'organise depuis la capitale parisienne. L'UDPS d'Etienne Tshisekedi, l'APARECO d'Honoré Nbganda et l'ARP du général Faustin Munene ont tenu pour la première fois une conférence de presse commune jeudi 14 juin 2012. Ces mouvements d'opposition, politiques et militaires, ont lancé un appel à la "libération du pays de l'occupation étrangère" et à "l'instauration d'une véritable démocratie" en RDC. Objectif annoncé : mobiliser les Congolais de l'intérieur.

Conf de presse udps apareco arp filtre.jpgCandide Okeke, la représentante de l'APARECO, prévient : "l'heure est grave". Après le "fiasco électoral" et "les fraudes massives" de novembre 2011, le constat est sans appel : "ce ne sont plus les élections qui vont libérer le pays aujourd'hui, alors nous devons créer une synergie pour la libération du Congo". Autour de l'APARECO, on trouve un représentant de l'UDPS France, le premier parti politique d'opposition en RDC et l'ARP, un mouvement armé insurrectionnel, dirigé par le général Faustin Munene qui a pris le maquis depuis 2010. A première vue, cette coalition peut paraître hétéroclite. Entre l'UDPS, le parti politique historique de l'opposition congolaise, plutôt "pacifique" et "fédéraliste" et l'APARECO tenu par l'ancien "monsieur sécurité" du Maréchal Mobutu (Honoré Nbganda), qui prône un Congo "fort et unitaire" et un général rebelle, ancien allié de Kabila père et de l'Angola… l'attelage peut surprendre.

Très rapidement, Candide Okeke met les choses au clair : "nous ne représentons pas l'opposition, nous représentons la Résistance. Nous sommes en dehors du système. Nous menons un combat de libération". Et de préciser : "nous avons des différences entre nous, mais nous n'avons qu'un seul pays !". Selon le secrétaire Général de l’ARP, Fanfan Longa Fuamba, "cette déclaration commune est un signal fort pour harmoniser nos différences". Les divergences balayées, la nouvelle coalition se focalise ensuite sur les convergences, avec un seul mot d'ordre : haro sur Joseph Kabila.

En trois points, la déclaration conjointe de l'UDPS, de l'APARECO et de l'ARP dénonce le "holdup électoral" de novembre 2011 et les élections "entachées de fraudes massives", de nombreuses irrégularités et "de multiples violation des droits de l'homme". L'alliance pointe ensuite l'insécurité à l'Est et les guerres à répétition au Nord et Sud Kivu et accuse l'ingérence rwandaise et "le projet secret de balkanisation et d'annexion" de la région. Troisième sujet de préoccupation : la tenue du Sommet de la Francophonie en RDC du 12 au 14 octobre 2012. Dans leur déclaration commune, l'UDPS l'APARECO et l'ARP demandent "l'annulation ou la délocalisation du Sommet" comme cela a été le cas en 1994 avec le Sommet de la Baule. Si le Sommet de tenait tout de même, le "groupe des trois" appellera "les forces vives de la RDC à se mobiliser pour empêcher par tous les moyens le déroulement paisible" du Sommet à Kinshasa. Candide Okeke espère que François Hollande ne se rendra pas à Kinshasa en octobre. Le président français vient d'ailleurs d'annuler sa présence en Ukraine lors de l'Euro de football pour dénoncer les violations des droits de l'homme dans le pays.


Conférence de presse commune UDPS-APARECO-ARP... par ChristopheRigaud

Les participants la conférence de presse commune UDPS, APARECO, ARP, ont tout fait pour axer leur discours sur les atouts de l'alliance : à l'UDPS le rôle politique et la mobilisation populaire, à l'APARECO la résistance, le renseignement et la diaspora, à l'ARP le rôle militaire… ils seraient donc complémentaires. Si la coalition APARECO/ARP semble naturelle, la présence de l'UDPS l'est moins. L'absence du propre fils d'Etienne Tshisekedi, Félix, pourtant annoncé à la conférence de presse, et l'embarras du représentant de l'UDPS aux questions liées à la l'utilisation de la force par l'ARP laissaient une drôle d'impression. Nouveau grand écart politique de l'UDPS ? Stratégie de la dernière chance ? Seule une prise de position d'Etienne Tshisekedi lui-même pourra dissiper tout ambiguité.

Christophe RIGAUD

Regardez les interviews de Candide Okeke de l'APARECO, Fanfan Longa Fuamba de l'ARP et d'Edouard Olito Maludji de l'UDPS France.


L'UDPS, l'APARECO et l'ARP s'unissent à Paris 14... par ChristopheRigaud

13 juin 2012

RDC : Kivu, une guerre qui va durer

Depuis plus de deux mois, de violents combats opposent l'armée congolaise aux mutins du général Bosco Ntaganda et au groupe rebelle du M23 à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). L'ONU, Human Rights Watch et les autorités congolaises accusent le Rwanda de venir en aide aux rebelles. Alphonse Maindo, professeur en Sciences politiques à l'université de Kisangani, revient d'une mission de recherche à Bukavu et Goma. Pour ce spécialiste de la région, "le Rwanda est en quête d'un nouvel homme fort dans les Kivu" et ni l'armée congolaise, ni la mission des Nations unies n'arrivent à ramener la paix, "le conflit dans les Kivu va durer encore longtemps". Explications.

Alphonse Maindo filtre1.jpg- Afrikarabia : Avez-vous été surpris par les rapports de la Monusco et de Human Rights Watch qui accusent le Rwanda de soutenir les rebelles congolais de Bosco Ntaganda et du M23 ?

- Alphonse Maindo : Je n'ai pas de tout été étonné par ces rapports. Cela ne fait que confirmer tout ce qui se dit déjà au Nord et au Sud-Kivu.

- Afrikarabia : Quel est l'objectif du Rwanda en aidant les mutins ?

- Alphonse Maindo : On peut trouver derrière ce soutien du Rwanda aux rebelles du M23 la quête d'un nouvel homme fort, comme cela a été le cas avec Laurent Nkunda (hors-jeu depuis son arrestation en 2009 par le Rwanda, ndlr) et maintenant Bosco Ntaganda. Aujourd'hui Bosco Ntaganda est devenu infréquentable (il est recherché par la Cour pénale internationale, ndlr). Il a perdu la protection du gouvernement congolais, sous la pression internationale à la suite de la contestation des élections, et maintenant Kinshasa est obligé de faire un geste envers la communauté internationale. Le Rwanda doit maintenant trouver un autre homme fort pour remplacer Bosco Ntaganda. C'est la raison de l'émergence de la rébellion du M23, avec à sa tête le colonel Makenga, qui devrait prendre la place de Ntaganda. Le Rwanda se doit de garder des alliés dans la région (pour des raison sécuritaire mais aussi économique, ndlr), alors d'un côté il allume le feu et en même temps il se présente comme le pompier qui va tout arranger. Ce n'est malheureusement pas le premier à le faire dans la région, Mobutu l'a déjà fait par le passé.

- Afrikarabia : Pourquoi l'armée régulière congolaise (FARDC) n'arrive pas à venir à bout de ces quelques centaines hommes (on parle de 500 mutins) retranchés dans les collines du Nord-Kivu ?

- Alphonse Maindo : Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord des raisons techniques. Nous avons au Nord-Kivu, des soldats congolais qui ne maîtrisent pas bien le terrain qui est très difficile d'accès. Face aux FARDC, on trouve des mutins qui connaissent très bien la région, ce sont des enfants du coin, ils sont nés ici. En plus, ils ont eu le temps de se préparer au conflit. Les mutins occupent des collines et il est très difficile de les déloger. Ils bénéficient également des soutiens de leurs proches qui sont dans la région. Le M23 a également trouvé réfuge "à cheval" sur les frontières entre la RDC, le Rwanda et l'Ouganda, ce qui lui permet de trouver facilement de l'aide, des armes et des vivres.
Du côté de l'armée régulière congolaise, les troupes proviennent de Kindu, dans la province du Maniema (à plusieurs centaines de kilomètres des zones de combats, ndlr). Ils ne connaissent donc pas le terrain. Lors de ma mission à Goma le mois dernier, j'ai appris que les soldats congolais auraient refusé d'aller se battre sur le front. Une des raisons serait la suivante : il y a plusieurs semaines, ces soldats avaient encerclé la ferme de Bosco Ntaganda dans le Masisi et attendaient l'ordre de leur hiérarchie pour lancer l'assaut final et capturer le général rebelle. Et visiblement, on leur a demandé de stopper l'offensive, ce qui expliquerait leur mécontentement. Selon ces soldats, ce n'est pas la première fois que ce genre de contre-ordre est donné, y compris au moment de la rébellion de Laurent Nkunda (en 2008, ndlr).

- Afrikarabia : Pourquoi les casques bleus de la Monusco, pourtant très présents dans la région, n'arrivent pas à ramener la paix ?

- Alphonse Maindo : Pour la Monusco, les raisons sont différentes. Contrairement aux FARDC, les casques bleus ont les moyens de combattre. Les soldats de la Monusco sont bien équipés, bien payés, ce qui n'est pas le cas de l'armée congolaise. La Monusco devrait faire la différence sur le terrain. Pourquoi n'y arrivent-ils pas ? Tout d'abord, les règles d'engagement sont trop complexes à appliquer. Comme toutes les opérations de maintien de la paix, il faut de nombreuses autorisations pour ouvrir le feu. Ces autorisations viennent de New-York, puis des commandements des pays qui sont engagés sur le terrain... c'est trop complexe. Ensuite, il ne faut pas oublier que ce sont des troupes qui viennent de pays en voie de développement. Les soldats de ces pays viennent là pour gagner un peu d'argent et pour en profiter, il vaut mieux revenir de sa mission vivant plutôt que mort... ce qui est normal ! Cette notion joue sur l'engagement des troupes sur le terrain. Les Etats-majors veulent également minimiser les pertes humaines dans leurs rangs et cela explique que la Monusco s'engage le moins possible face aux groupes armés. Alors évidemment on peut changer le mandat de la Monusco, mais je ne vois pas ce que l'on pourrait donner de plus à ce mandat. Ils ont déjà tout. Les brigades de la Monusco qui sont au Kivu et en Ituri ont les outils juridiques qui permettent un réel engagement militaire pour imposer la paix.

- Afrikarabia : Est-ce que ce conflit peut durer longtemps ?

- Alphonse Maindo : Je crains que cela dure très longtemps. Il sera difficile de déloger ces rebelles des collines du Nord-Kivu. La stratégie du M23 et de Bosco Ntaganda est de tenir le plus longtemps possible. Je pense également qu'il sont en train de s'organiser aujourd'hui pour passer à l'offensive pour récupérer du matériel et des armes. Et comme ils sont adosser à la frontière rwandaise, où il y a du trafic d'armes de toutes sortes... ils tiendront longtemps.

- Afrikarabia : Qu'est-ce-qui peut faire évoluer la situation et apaiser les tensions à l'Est de la RDC ?

- Alphonse Maindo : Deux éléments pourraient faire évoluer la situation. Tout d'abord une forte pression de la communauté internationale. Et il faut frapper là où ça fait mal. Les deux principaux acteurs de ce conflit, le Rwanda et la RDC, vivent pour plus de 50% de l'aide internationale. Si on donne un signal clair pour dire : "stop ! sinon on coupe les vivres", je crois que les gouvernements vont y réfléchir à deux fois avant de laisser pourrir la situation. Deuxième élément : il faut susciter l'intérêt de cette communauté internationale et seuls les Congolais eux-mêmes peuvent le faire. Ils doivent se mobiliser massivement pour dire : "on veut la paix !". Je pense que cela peut éveiller la conscience de la communauté internationale.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

Photo : Alphonse Maindo à Paris en juin 2012 (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

Alphonse Maindo est l'auteur de :
"L"état à l'épreuve de la guerre en Afrique centrale"
Ed. Universitaire européennes
Avril 2012 - 580 pages - 98 euros

12 juin 2012

RDC : "La Monusco a perdu sa crédibilité" selon Louise Arbour

Alors que l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) est toujours en proie à de violents combats entre rebelles et forces gouvernementales, le mandat de la Monusco arrive à son terme le 30 juin 2012. Dans une lettre ouverte au Conseil de sécurité, la présidente d'International Crisis Group (ICG), Louise Arbour, dénonce les échecs de la mission des casques bleus en RDC et demande de "réorienter les efforts de la Monusco" sur le terrain.

Capture d’écran 2012-06-12 à 12.33.06.pngLa région des Kivus, à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) est à nouveau le théâtre de violents affrontements depuis la défection, début avril, de centaines de soldats qui ont rejoint le général mutin en fuite Bosco Ntaganda, recherché depuis 2006 par la Cour pénale internationale (CPI). Selon Louise Arbour, la présidente d'International Crisis Group (ICG), l'histoire à tendance "à se répéter" dans cette zone. En 2008, déjà, un autre général rebelle, Laurent Nkunda (dont Ntaganda était l'adjoint) défiait par les armes Kinshasa, au Nord-Kivu. En 2012, les combats entre les mutins de Ntaganda et du M23, un mouvement rebelle associé, ont provoqué la fuite de plus de 200.00 Congolais au cours des deux derniers mois. Le plus étonnant, c'est que ce drame se déroule devant la plus importante mission de casques bleus dans le monde, la Monusco, qui semble assister impuissante à la lente descente aux enfers des populations civiles.

Dans une lettre ouverte au Conseil de sécurité des Nations-Unies, Louise Arbour tire la sonnette d'alarme : "la Monusco a perdu sa crédibilité et a un besoin urgent de réorienter ses efforts". "Sans approche nouvelle, la Monuco risque de devenir une coquille vide… à 1,5 milliard de dollars" explique la présidente d'ICG. Si Louise Arbour reconnait des progrès, notamment, dans la lutte contre la milice d'origine rwandaise des FDLR, la stratégie de la Monusco n'est pas la bonne. Selon elle, la Monusco a surestimé "le rapprochement entre la RDC et le Rwanda de 2009 pour contenir le conflit dans les Kivus". La mutinerie en cours est la preuve pour Louise Arbour, que "peu de progrès ont été accompli dans la stabilisation" de la région.

La présidente d'International Crisis Group (ICG) dénonce également "le soutien technique et logistique" de la Monusco dans l'organisation des "élections truquées en 2011 et l'incapacité à promouvoir avec succès le dialogue entre les parties". ICG demande des améliorations importante à la Commission électorale congolaise (CENI) et notamment la transparence dans la logistique du processus électoral.

Côté sécuritaire, Louise Arbour pointe "le manque de clarté quant à la stratégie militaire globale" de la mission de la Monusco. La réforme du secteur de la sécurité (RSS) est "vitale pour la stabilité de la RDC" et "sans engagement clair du président Kabila et de son gouvernement", cette réforme continuera à rester au point mort, estime Louise Arbour. Afin, la présidente d'ICG,  demande "l'arrestation de Bosco Ntaganda et son transfert à la Cour pénale internationale (CPI)" et souhaite que le gouvernement remette en chantier "la décentralisation et la lutte contre la corruption".

Louise Arbour compte donc sur le prochain renouvellement du mandat de la mission des Nations unies, qui arrive à son terme le 30 juin 2012, pour forcer le Conseil de sécurité à repenser complètement sa stratégie en RDC. Nous l'avons vu récemment avec les dernières élections contestées de novembre ou le conflit à l'Est, la Monusco n'a jamais été mesure de peser sur le cours des événements au Congo, simplement cantonnée à un simple rôle d'observateur. Rappelons que 20.000 casques bleus sont stationnés en RDC.

Christophe RIGAUD

Photo : Casque bleu en patrouille à Kinshasa (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

08 juin 2012

Rwanda : Décision le 4 juillet sur la demande d'extradition de Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki

La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris se prononcera dans un mois sur la demande d'extradition présentée par les autorités du Rwanda contre un de eurs  ressortissants, Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki, accusé de génocide, complicité de génocide, crimes de guerre, crimes contre l'humanité.

logo afkrb.pngHyacinthe Nsengiyumva Rafiki est un homme imposant, presque un colosse sanglé dans un beau costume bleu-nuit légèrement cintré, une chemise impeccable et une cravate à damier bleu clair visiblement neuve. Le visage graisseux encadré de lunettes à fine montures façon écaille, il se tient bien droit, les jambes légèrement écartées sur ses mocassins noirs, devant la présidente Édith Boizette. On comprend que cet homme politique s'est longuement préparé à cette épreuve et qu'il veut faire bonne impression. Il n’en a pas moins été ministre du gouvernement intérimaire qui, en 1994, a organisé le génocide des Tutsi du Rwanda.

Cet après-midi du mercredi 6 juin 2012, le tribunal a éclusé toutes sortes d'affaires de demande d'extradition assez banales pour pouvoir réserver la fin de l'audience au cas de Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki. Présidente, assesseurs, greffière, avocat général, avocats, tous savent que l'affaire va prendre du temps. Édith Boizette saisit, d’un geste un peu las, une liasse de papiers : la demande d'extradition.

« Je n'ai pas eu le temps de lire très en détail le mémoire de la défense déposé ce matin, néanmoins la cour considère ce mémoire comme valable », commence-t-elle.

Une singularité du droit français

C'est une singularité du droit français et même un anachronisme que la procédure de recours contre un mandat d'arrêt international avec demande d'extradition. Le gouvernement étranger qui est à l'origine de la demande n'est pas légalement représenté à l'audience. Une anomalie que ne manque pas de relever Me Gilles Paruelle, représentant du gouvernement rwandais en la cause. Il ne peut s’exprimer que par la mansuétude de la présidente et de l'avocat général. Du coup, son confrère, l'avocat de Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki ne s'est pas donné la peine de lui adresser ses conclusions. « Madame la présidente, je vais donc devoir plaider à l'aveugle, sans connaître les arguments de mon confrère et sans connaître le point de vue du parquet », regrettera Me Gilles Paruelle. « Il s'agit d'une procédure qui ne respecte pas le principe du contradictoire. La partie demanderesse n'est pas partie au procès. Il s'agit d'un défaut de notre procédure dont je n'ai pas trouvé d'explication dans les débats parlementaires qui avaient précédé le vote de cet article 696-16 du code de procédure pénale. Je ne puis même pas saisir la Cour de Cassation. »
La présidente : - Vous avez pensé à une question préalable de constitutionnalité ? Me Paruelle : - J'y ai songé. Ce serait très intéressant. encore que je ne suis pas partie au procès...

Question préalable de constitutionnalité ?

Mais nous n'en sommes pas encore là. Edith Boizette lit la demande d'extradition et explique les pièces jointes. La présidente de la chambre de l'instruction est une femme élégante, distinguée, courtoise, expérimentée. Elle-même ancienne juge d'instruction, elle connaît sur le bout des doigts la procédure et ne cache pas un léger agacement devant la montagne de documents fournis par le gouvernement rwandais. Ils ont dû transiter, comme c'est la règle, par l'ambassade de France, puis le Quai d'Orsay, puis le ministère de la Justice et enfin le tribunal de Grande instance de Paris. Ces documents se sont accumulés car l'ancien ministre du gouvernement du génocide n'a pas été facile à localiser.

Le premier dossier avait été destiné à la République Démocratique du Congo (RDC) où l'on croyait Nsengiyumva Rafiki caché. Lorsqu'il a été identifié à Paris en 2008, son avocat a multiplié les demandes de références juridiques et alourdi d’autant les éditions successives du dossier d'extradition. Le Rwanda a ainsi fourni toute une série de copies d'articles du Code pénal, de lois organiques modifiant le Code, la Constitution, la loi abolissant la peine de mort en 2007, l'acte d'accusation à l'appui du mandat d'arrêt international, etc. Il y a eu un ratage dans lequel la défense de Nsengiyumva Rafiki s'est engouffrée : un acte d'accusation postérieur à la demande d'extradition.

«  Je sais qu'on va me reprocher encore une pièce qui manque : la preuve que les juridictions Gaçaça ont terminé leurs travaux, puisqu'on agite régulièrement la menace que le suspect serait soumis au Rwanda à une juridiction populaire, explique Me Gilles Paruelle. Il suffit au tribunal d'aller sur Internet pour constater que le 16 juin prochain a lieu une cérémonie marquant la fin de cette juridiction, je n'ai rien d'autre à offrir au tribunal que cette évidence. »

« On va me reprocher encore une pièce qui manque ! »

Ce n'est pas la première fois que l'avocat français qui représente le Rwanda dans les procédures d'extradition s’exprime devant la chambre de l'Instruction de la cour d'appel de Paris. Il en connaît les exigences et les chausse-trapes. « Le tribunal peut s'étonner que les autorités rwandaises aient adressé certains document en double exemplaire. Il ne faut cependant pas oublier que le dossier contre M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki a été égaré durant plusieurs mois ici, au greffe du tribunal de grande instance, ce qui n'a pas manqué d'inquiéter au Rwanda. » Sourires entendus. On ne va pas chagriner le greffier en allant plus loin dans les remarques.

Me Paruelle revient sur les faits qui sont reprochés à Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki : sa contribution à la formation d'une milice armée de jeunes gens du Parti social démocrate (PSD) ; la fourniture de munitions et d'armes à ces jeunes, appelés abakumbozi ; l'incitation à installer des barrières sur les routes où les Tutsi était abattus ; le transport de miliciens notamment vers le camp de Gisenyi.

Fin avril 1994, Nsengiyumva Rafiki aurait aussi visité des Tutsi réfugiés à la paroisse de Nyundo, au nord-ouest du Rwanda, pour les rassurer alors que, peu après, ils ont été massacrés. À plusieurs reprises il aurait procédé de même : endormir la méfiance des Tutsi pour les inciter à rester rassemblés dans des endroits où les miliciens et militaires avaient moins de mal à les exterminer. On lui reproche aussi une réunion publique à Gisenyi le 8 mai 1994 où il aurait incité la foule à traquer les Tutsi qui se cachaient encore et aurait incité les miliciens à coordonner leurs efforts avec le groupe des miliciens interahamwe de Bernard Munyagishari, le principal chef milicien de Gisenyi, connu pour sa férocité. Une partie de ces faits est mentionnée dans le livre d’Alison DesForges, historienne du Rwanda et activiste des droit de l’Homme, « Aucun témoin ne doit survivre » (Ed. Karthala).

Endormir la méfiance des Tutsi pour faciliter leur massacre ?

Après avoir cité un passage du livre, l'avocat du gouvernement rwandais souligne la responsabilité des ministres qui, à partir du 9 avril 1994 et jusqu'à leur fuite au Zaïre, ont agi sous l'autorité du premier ministre Jean Kambanda pour exterminer les Tutsi du Rwanda. Me Gilles Paruelle rappelle que Kambanda a plaidé coupable devant le Tribunal pénal international qui l’a néanmoins condamné à la réclusion à perpétuité. A cette occasion, l'accusé a signé une longue confession où il reconnaissait son écrasante responsabilité dans le génocide. « M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki faisait partie des vingt ministres de ce gouvernement qui n'a rien fait d'autre qu'exterminer les Tutsi », accuse l'avocat. L'homme qui comparaît devant vous ne fait pas partie de ce qu'on pourrait appeler le menu fretin des acteurs du génocide. C'est un homme politique qui avait de l'autorité, une capacité de contrôle et d'organisation. Il a mis cette capacité au service du génocide, des tueries. »

« Il a mis son autorité de ministre au service du génocide »

Me Gilles Paruelle revient sur le génocide contre les Tutsis du Rwanda en 1994. Il raconte le mémorial de Murambi, ou environ 40 000 tutsi avaient été assassinés. « Nous sommes dans le cadre de faits particulièrement grave : environ un million de personnes ont été massacrées en 100 jours, c'est-à-dire 10 000 personnes par jour, hommes, femmes, enfants, bébé, vieillards. Lors d'une précédente audience je vous avais dit que cela représentait environ 20 morts par minute, les tueurs ne « travaillant » que durant la journée. Depuis tout à l’heure que nous examinons  cette affaire devant votre cour, le temps écoulé aurait représenté presque 1000 morts, assassiné à coups de fusil-mitrailleurss, de grenades, de machettes, de gourdins, de lances et d'arcs, dans des conditions que vous pouvez imaginer. »

L’avocat élève à peine la voix : « Dans des nations civilisées, nul ne peut accepter que des personnes soupçonnées d'avoir organisé de tels massacres ne puissent être déférées devant un tribunal. Je sais bien que l'on va m'objecter tel ou tel problème de la justice au Rwanda. Mais j'ai vu comment ce pays a été ravagé, avec des survivants apeurés, un administration anéantie, des magistrats assassinés ou en fuite, des tribunaux dévastés dont les dossiers servaient de combustible aux rescapé pour cuire leurs aliments. Quand on a vu comment, à partir de presque rien, a été reconstruit le Rwanda d'aujourd'hui, il serait plus pertinent d'admirer les efforts accomplis y compris en matière de Droit.

Je sais qu'on va critiquer des lois successives sur la procédure pénale, sur la sanction du génocide et des crimes contre l'humanité. Mais cette succession de textes montre au contraire les efforts réalisés au Rwanda pour améliorer constamment l’arsenal répressif. »

« Que la France ne soit pas une terre d'impunité »

Me Paruelle poursuit : Je vous demande de faire en sorte que la France ne soit pas une terre d'impunité en faisant droit à la demande d'extradition contre M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki qui bénéficiera au Rwanda des garanties de la défense qui doivent vous rassurer. Il a été a déjà assez difficile de le retrouver alors qu'il a multiplié les fausses identités lors de sa fuite en République démocratique du Congo et au Kenya notamment. Vous ne devez pas laisser se soustraire à ses obligations. »
La présidente : - il y a un point important, c'est celui de la non rétroactivité de la loi pénale, vous le savez…
Me Paruelle : il existe à ce sujet des principes de droit international qui s'imposent en France comme ailleurs. L’avocat les cite longuement.

La parole est à l'avocat général. Il explique qu'il a procédé à un réexamen de l'affaire et qu'il « a relevé des documents successifs dans trois enveloppes, contenant un certain nombre d'informations, de textes. » Il relève qu'un document d'extradition avec mandat d'arrêt était postérieur à la date d'interpellation de Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki. Il se plaint que certains documents ne soient que des copié-collé et fait la leçon au Rwanda : « Rien ne justifie cette substitution de pièces. Ces faits de génocide sont malheureusement classiques. On reproche à M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki des généralités, des faits pas suffisamment précis. » L'avocat général parle d'une voix faible et presque confuse. On entendra à la fin de ses réquisitions seulement des bribes de phrases : « je me rendrai à votre avis (...) Avis conforme. » On croit comprendre que l'avocat général est finalement plutôt favorable à la demande d'extradition sans l'exprimer aussi clairement.

L’avocat général plutôt favorable à la demande d'extradition ?

Me Courcelle-Labrousse, avocat de M. Nsengiyumva Rafiki, se lève : « La personne qui vous demande d'extradition de M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki, c'est Martin Ngoga, procureur général du Rwanda. Il a fait une conférence de presse à Arusha en Tanzanie contre les enquêteurs français au Rwanda dont vous pourrez apprécier la nature de pression politique : « La dernière équipe, nous les avons chassés, nous leur avons dit " retournez chez vous". Si vous n’êtes pas prêts pour ces affaires, nous pourrions suspendre vos enquêtes, ne continuez pas à nous faire perdre notre temps, ne continuez pas à effectuer des visites innombrables au Rwanda sans résultats”

Me Courcelle-Labrousse lit la suite de la dépêche d’agence relatant les propos de Martin Ngoga : “La France nous a très déçus  avec la façon dont elle traite les affaires liées au génocide. Selon nos statistiques, la France a envoyé plus de missions rogatoires au Rwanda que tout autre pays européen. Pourtant en France, on accorde plus d’importance à un délit routier qu’à un dossier de génocide ». L’avocat poursuit : “ La cible de M. Ngoga ce jour là, c'étaient les gendarmes français qui essayaient d'exécuter au Rwanda des commissions rogatoires dans des conditions difficiles. Car chaque fois, il y a une sorte de commissaire politique qui vient contrôler que les témoins entendus par les gendarmes français disent ..."

« Mon client a été arrêté en vertu de documents inacceptables »

Me Courcelle Labrousse assène : «  M. Ngoga, qui est un homme politique, nous a présenté des éléments qui ne constituent pas une demande d'extradition. Mon confrère nous a parlé de l'école de Murambi. Murambi, ce n'est pas du droit. Le premier acte d'accusation qui vous a été présenté contre mon client est postérieur de plusieurs années au mandat d'arrêt. En vertu de ces documents inacceptables mon client a été arrêté en août 2011 et remis en liberté le 28 septembre 2011. M. Ngoga n'est pas une autorité judiciaire indépendante.  En outre, les documents fournis sont extrêmement confus. Si M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki était extradé, pour quel acte d'accusation et devant quelle justice comparaîtrait-il ? Rien ne nous garantit que les juridictions gaçaça ne seraient pas recréées spécialement pour lui. Mais la question principale c'est la fiabilité des documents présentés. Le mandat d'arrêt du 24 juin 2008 était rédigé en anglais et la traduction a été tardive.  Par ailleurs sur le mandat d'arrêt rédigé en anglais du 24 juin 2008, on accuse M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki d'avoir participé à une réunion sans dire où, alors que dans la traduction en français on précise " à l'Hôtel des Diplomates". Pour résumer, je vais être "cash" : il n'y a pas d'acte d'accusation valable dans la précipitation, et la procédure est définitivement viciée lorsqu'on vous communique un acte d'accusation postéreiur à une arrestation puis un acte d'accusation du 14 juillet 2008 qui n'existait pas à l'époque. En outre, le procureur Ngoga ne peut pas délivrer de mandat d'arrêt. Bien plus qu'un procureur général, c'est un homme du pouvoir en place comme en témoignent ses déclarations publiques contre les enquêteurs français. »

« M. Ngoga, c'est un homme du pouvoir en place »

Me Courcelle-Labrousse évoque ensuite la personnalité de son client : « C'est un personnage politique important, un homme connu. S'il avait commis les actes qu'on lui reproche, on n'aurait pas attendu 15 ans pour le rechercher.
La présidente : - Faisons du droit…_

Me Courcelle Labrousse: - Justement. Mon client a écrit au procureur du Tribunal international pour savoir s'il faisait l'objet de poursuites. Le procureur lui a répondu que non. Mon confrère a accusé l'ensemble des ministres du gouvernement intérimaire d'être coresponsables du génocide dont le Premier ministre s'est accusé. Mais ce n'est pas exact.Quatre ministres du gouvernement intérimaire ont été acquittés par le Tribunal pénal international.

Concernant les faits qui se sont produits à la paroisse de Nyundo, à aucun moment mon client M. Nsengiyumva Rafiki n'a été mis en cause par des témoins. Il ne faut pas faire appel à l'émotion en évoquant le génocide comme l'a fait l'avocat du gouvernement rwandais. Nous sommes sur le terrain de l'enquête et les attestations jointes au dossier n'ont aucune valeur devant le TPIR. Quant aux témoignages produits par le procureur général du Rwanda, ils sont postérieurs à l'accusation de mon client puisqu'ils datent des 18 et 20 août 2011. »

« Les attestations jointes au dossier n'ont aucune valeur »

Me Courcelle Labrousse développe enfin la thèse d’une machination politique : «  Cette procédure de demande d'extradition n'a qu'un but : détruire Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki qui est un acteur politique de haut niveau, aujourd'hui encore membres du Parti social-démocrate dont certains membres participent actuellement au gouvernement au Rwanda. La violence politique n'a pas cessé avec le génocide. Après la victoire du Front patriotique, les anciennes forces armées se sont réfugiées au Zaïre avec armes et bagages. La guerre a continué entre le gouvernement rwandais et les ex-FAR soutenues par grande majorité des Hutu exilés. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki fait partie d'un processus qui vise aujourd'hui à rapatrier des militaires rwandais encore présents en Ituri et au Kivu. Il joue un rôle important dans ce processus de démilitarisation des anciens militaires pour qu'ils puissent être rapatriés au Rwanda, et ceci ne plaît pas au gouvernement de Kigali. Il participe à la conférence de San Elgidio financée par la Norvège. Mon client redevient gênant politiquement à partir de 2008, provoquant cette persécution. Comment imaginer qu'un homme de cette ampleur ait distribué des armes à des barrages, et que personne ne s'en soit aperçu avant 2008 ? »

L'avocat ajoute que l'État rwandais vient d'être condamné par la Cour des états d'Afrique de l'Est le 11 décembre dernier pour enlèvement, et séquestration d'un membre important de l'armée rwandaise. Enfin, il fait circuler auprès des magistrats une grande photographie prise, dit-il,  à la prison de Gitarama pour dénoncer les conditions de détention au Rwanda.

Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki : « au Rwanda, la justice, c'est n'importe quoi !

La présidente invite alors M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki à s'exprimer. Il semble avoir été ulcéré de l'accusation de fausses identités pendant sa fuite : « J'ai une pièce d'identité et une seule. J'ai remis mon ancien passeport rwandais, vous pouvez vérifier que le nom elle-même. J'ai un titre de séjour en France à mon nom, après avoir obtenu un visa sous mon nom. Mais évidemment, si les Rwandais mettent une barrière, comme je sais qu'ils me recherchent, si je révèle mon identité, ils vont attaquer. Le reste, les accusations contre moi, ce sont des mensonges, des généralités. Je suis très content de me trouver devant une justice en qui j'aurai confiance. Si je suis jugé ici, je serai soulagé, mais au Rwanda, la justice, c'est n'importe quoi ! »
La présidente : - Vous n'avez pas demandé le statut de réfugié en France ?
Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki : - Non.

Me Courcelle Labrousse : - Mon client n'est pas mis en examen même s'il y a une commission rogatoire et que des gendarmes français enquêtent au Rwanda sur son cas. Mais vous le savez, madame la présidente, c'est chaque fois la même chose : dès qu'une extradition est refusée, il y a une plainte du Collectif des parties civiles en France.

La présidente Édith Boizette Boizette fait un petit geste de lassitude. Il est plus de 19 heures. Mais malgré ses déclarations, Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki ne semble pas plus pressé de rendre des comptes devant la justice française que devant celle du Rwanda.

La chambre de l'instruction a mis sa décision en délibéré au 4 juillet prochain.

Jean-François DUPAQUIER

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06 juin 2012

RDC : Provinciales et Sénatoriales fixées en février et juin 2013

Les dates des prochaines élections locales sont désormais fixées en République démocratique du Congo (RDC). Les élections provinciales se dérouleront le 25 février 2013, alors que les Congolais éliront leurs sénateurs le 5 juin 2013. Prévues en 2012, ces élections ont été reportées à la suite des nombreuses irrégularités des élections présidentielle et législatives de novembre 2011.

Logo CENI.pngLe long cycle électoral entamé fin 2011 par les élections présidentielles et législatives, prendra fin en juin 2013, avec une année de retard sur le calendrier fixé par la Commission électorale (CENI).

Les députés des onze provinces de République démocratique du Congo se feront élire le 25 février 2013, les résultats provisoires seront publiés le 12 avril et les définitifs le 20 juin. Les élections sénatoriales se dérouleront le 5 juin 2013, les résultats provisoires seront donnés le jour même et les définitifs le 13 août. L'élection des gouverneurs et vice-gouverneurs des provinces, prévue le 22 juin 2013, se fera avant les scrutins locaux pour les conseillers urbains (5 février 2014), les chefs de secteurs et bourgmestres (30 mars) et les maires (31 mars 2014).

Après les nombreux dysfonctionnements et les irrégularités des élections présidentielle et législatives de novembre 2011, la Commission électorale (CENI) avait décidé, sous la pression internationale, de reporter les autres scrutins. Les missions d'observations de l'Union européenne et du Centre Carter avaient sévèrement critiqué l'organisation des élections de novembre, remettant en cause la crédibilité du scrutin. L'opposition congolaise, qui conteste  a réélection du président Joseph Kabila demande la démission de la CENI qu'elle juge partiale.

05 juin 2012

RDC : La veuve de Fidèle Bazana toujours en quête de justice

Deux ans après l'assassinat du militant des droits de l’homme, Floribert Chebeya, et de son assistant Fidèle Bazana, sa veuve peine à faire son deuil. Après un premier procès qui n'avait satisfait personne, des ONG réclament un nouveau procès en appel afin de faire comparaître John Numbi, le chef de la police avec lequel Chebeya et Bazana avaient rendez-vous le jour des faits.

filtre IMG_7390.jpgLe 2 juin 2010, le corps de Floribert Chebeya, directeur de la Voix des sans voix, une ONG des Droits de l'homme, a été découvert dans sa voiture à la périphérie de Kinshasa. Son assistant et chauffeur, Fidèle Bazana, est porté disparu. Son corps n’a jamais été retrouvé.

Deux ans après les faits, l'émotion et l'indignation sont encore intacts à Kinshasa. Ce double assassinat avait suscité les vives protestations de la communauté internationale et avait fortement embarrassé le président Joseph Kabila. Quatre personnes ont été condamnées à la peine capitale au terme d'un procès et trois des huit policiers poursuivis dans cette affaire ont été acquittés. Mais ce verdict n'a pas contenté les partie civiles, persuadées que les vrais commanditaires n'étaient pas dans le box des accusés.

Les avocats des familles Chebeya et Bazana avait notamment regretté que celui qu’ils considèrent comme le "suspect numéro un", le général John Numbi, le chef de la police, n’ait pas été inculpé mais seulement entendu comme témoin. Chebeya et Bazana avait en effet rendez-vous chez John Numbi le soir des faits.

Pour continuer à mettre la pression sur Kinshasa, des organisations des Droits de l'homme réclament un procès en appel. Pour les parties civiles, ce nouveau procès devant une juridiction militaire permettrait de faire comparaître le Général John Numbi, le chef de la police à l’époque et personnage-clé de l'affaire.

Pour Marie-Josée Bazana, la veuve de l'assistant de Floribert Chebeya, le deuil est impossible à faire. Le corps de son mari n'a toujours pas été restitué et le premier procès résonne comme "une mascarade". Marie-Josée Bazana estime que le premier procès s'était tenu "grâce à la pression internationale" et souhaite donc à nouveau une pression maximale de la communauté internationale sur Kinshasa pour un procès en appel. Nous avons rencontré Marie-Josée Bazana devant le siège de l'Organisation Internationale de la Francophonie lors de la manifestation contre la tenue du 14ème Sommet à Kinshasa en octobre 2012... une bonne occasion pour la veuve de Fidèle Bazana de demander que justice soit enfin rendue. Regardez son interview.


La veuve de Fidèle Bazana toujours en quête de... par ChristopheRigaud

Christophe RIGAUD

Photo : Marie-Josée Bazana à Paris le 2 juin 2012 (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

03 juin 2012

RDC : "Hollande ne doit pas aller à Kinshasa" selon l'opposition à Paris

Une centaine d'opposants congolais ont manifesté samedi 2 juin devant le siège de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) à Paris contre la tenue du 14ème Sommet de la Francophonie à Kinshasa. L'Apareco qui organisait le sit-in, a demandé à François Hollande "de ne pas se rendre à Kinshasa" et promet des manifestions dans la capitale congolaise pendant le Sommet.

filtre IMG_7302.jpg"Kabila dégage ! Ingeta (c'est d'accord)", "Hollande tiens tes promesses !" tels étaient les slogans scandés ce samedi devant le siège parisien de l'Organisation Internationale de la Francophonie. La manifestation était organisée par l'Apareco, d'Honoré Ngbanda, l'ancien conseiller sécurité de Mobutu et par le Mouvement des Patriotes Résistants Combattants de la diaspora congolaise. Dans la foule, des sympathisants de l'UDPS d'Etienne Tshisekedi, du MLC de Jean-PIerre Bemba ou du RCK.

A moins de 5 mois du 14ème Sommet de la Francophonie de Kinshasa, les manifestants souhaitaient se rappeler au bon souvenir du nouveau président français, François Hollande. Pendant la campagne, le député de Corrèze avait suscité un réel espoir chez les opposants au président congolais Joseph Kabila. François Hollande avait annoncé "une rupture (…) nécessaire par rapport à des usages qui n'ont rien d'acceptable ni de légaux" et estimait que "sur les régimes eux-mêmes, les règles doivent être celles de la démocratie". Et pour l'opposition congolaise, "la démocratie n'est pas respectée en RDC".

filtre IMG_7227.jpgAprès un épisode électoral entaché de nombreuses irrégularités et "peu crédible, suite à des fraudes massives et des cas de violences et d'assassinats", l'Apareco estime "ne pas comprendre que les mêmes chefs d’États et de gouvernement qui avaient tous boycotter la cérémonie d’investiture de Joseph Kabila le 20 décembre 2011", participent à ce sommet. Les manifestants ont donc clairement demandé à François Hollande de renoncer à se rendre à Kinshasa afin de ne pas "cautionner" le pouvoir en place qu'ils jugent "illégitime". Pour l'opposition, c'est en effet le leader de l'UDPS Etienne Tshisekedi (dont le portrait était largement brandi à Paris), qui aurait remporté les élections.

Pour l'instant, Paris et Kinshasa maintiennent les préparatifs du Sommet, prévu en octobre prochain dans la capitale congolaise. L'ambassadeur de France en RDC, Luc Hallade, a même estimé sur RFI "qu'il n'y a pas de mise en cause à ce stade, de quelque participation que ce soit"… d'où la colère des manifestants congolais. "Hollande nous a trahi, nous avons voté pour lui et il va serré la main de Kabila, c'est une honte !" nous explique un manifestant désabusé, qui ne croit guère au boycott de Hollande.

La conseillère spéciale de président de l'Apareco, Candide Okeke, s'est longuement entretenue avec les conseillers d'Abdou Diouf, le patron de l'Organisation Internationale de la Francophonie. Et elle prévient : "si rien n'est fait, les 12, 13 et 14 octobre, nous manifesteront dans les rues de Kinshasa. La dernière fois que la population est sortie dans la rue, elle a été accueillie par des chars. On verra bien ce que fera Kabila". Reste à savoir si l'UDPS, le principal parti d'opposition à Kinshasa, appellera les Kinois à descendre dans la rue.

Christophe RIGAUD

Regardez les interviews accordées à Afrikarabia par Rolain Ména, président Europe de l'Apareco et Candide Okeke, directrice de cabinet du président de l'Apareco.


RDC : Manifestation contre le Sommet de la... par ChristopheRigaud

01 juin 2012

Rwanda : Des missiles français auraient pu abattre l’avion du président Habyarimana

Selon un document de l’ONU de 1994 révélé par le quotidien français Libération, les Forces armées rwandaises disposaient de quinze missiles Mistral, une arme récente et de haute technologie alors interdite d’exportation.

Capture d’écran 2012-06-01 à 09.04.17.pngLe 6 avril 1994, le Falcon 50 du président du Rwanda Juvénal Habyarimana était abattu par deux missiles alors qu’il venait de se résigner à partager le pouvoir avec la rébellion majoritairement tutsie du Front patriotique rwandais (FPR) et l’opposition hutue démocratique. L’attentat devait donner le signal du génocide, les extrémistes hutus pointant du doigt successivement les Casques bleus belges de la Mission des Nations unies pour le Rwanda (MINUAR), qui gardaient l’aéroport, puis les Hutus de l’opposition et les Tutsis dans leur ensemble. Le génocide des Tutsis et le massacre politique des hutus démocrates allaient faire en cent jours environ un million de morts, jusqu’à la prise du pouvoir par le FPR.

 Avant même l’attentat, une série de manipulations visaient à en attribuer la paternité au Front patriotique rwandais, comme relaté dans l’ouvrage « L’Agenda du génocide »*. Par la suite, un certain nombre de militaires et de politiciens français ont tenté d’accréditer les thèses répétées par les extrémistes hutus poursuivis devant le tribunal pénal international d’Arusha : pour les uns et les autres, le Front patriotique était forcément l’auteur de l’attentat, car il aurait introduit un commando derrière les lignes des FAR sur la colline de Masaka, à 3 km environ de l’aéroport. D’ailleurs deux lance-missiles de type soviétique SAM 16 avaient été mystérieusement « retrouvés » par des « paysans » deux semaines après l’attentat. Et justement  sur cette colline qui aurait pu constituer, il est vrai, le meilleur emplacement de tir.

 Les Services spéciaux français se sont adjoint un nombre impressionnant de faux témoins rwandais, de journalistes « africanistes » français et d’universitaires de renom (Français ou Belge), pour accréditer cette thèse et manipuler l’enquête confiée au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière. Non sans avoir convaincu ce dernier que sa vie serait en danger s’il lui prenait la mauvaise idée d’aller enquêter sur le terrain.

 L’enquête reprise par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux  a conduit précisément à faire effectuer cette enquête balistique et technique sur le terrain. En janvier 2012, les conclusions des experts ont éclaté comme un coup de tonnerre : les missiles ont été tirés depuis le camp Kanombe, tenu par les éléments les plus durs des FAR : le bataillon anti-aérien, la Garde Présidentielle, les para-commandos. La thèse défendue par les détenus d’Arusha (la prison des Nations Unies) et leurs amis français s’effondrait.

 Le Services spéciaux ont aussitôt mobilisé leurs « idiots utiles » pour répéter dans les médias français que le FPR avait « forcément » introduit un commando de tireurs de missiles au cœur du camp militaire de ses adversaires, avant de s’éclipser aussi discrètement. Le ridicule le disputant au deshonneur, la désinformation a fait long feu.

 Le quotidien français Libération révèle aujourd’hui 1er juin un document troublant des Nations unies :  les Casques bleus de la MINUAR, qui avaient fait consigner les armes lourdes dans les camps militaires du Rwanda en 1994, effectuaient des inspections régulières. L’une de leurs sections aurait ainsi identifié le 6 avril au matin dans le stock du camp militaire Kanombe un nombre indéterminé de missiles soviétiques SAM 7 et surtout 15 missiles Mistral, un bijou de technologie française que l’armée française venait tout juste de recevoir en dotation et qui a été interdit d’exportation jusqu’en 1996.

 Rien ne permet de dire que ce sont des missiles Mistral qui ont abattu l’avion d’Habyarimana, mais cette possibilité ne peut plus être exclue. Dans ce cas, il est utile de noter que seuls les militaires français savaient s’en servir.

 En toute hypothèse, ce document, retrouvé par hasard (?) est déjà remis au  juge Trévidic qui devra l’authentifier. Il ne peut qui ruiner plus encore la thèse de ceux qui affirment que les FAR ne disposaient pas de missiles et ne pouvaient donc aucunement avoir commis l’attentat, prétexte au génocide des Tutsi.

 Jean-François DUPAQUIER

* L’Agenda du génocide, le témoignage de Richard Mugenzi, ex-espion rwandais, Ed. Karthala, Paris.

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31 mai 2012

RDC : Manifestation à Paris contre le sommet de la Francophonie

L'opposition congolaise manifestera samedi 2 juin à Paris contre la tenue du prochain sommet de la Francophonie organisé en République démocratique du Congo (RDC). L'Apareco et le mouvement des Patriotes Résistants Combattants demandent à l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) de "renoncer au maintien du sommet à Kinshasa dans le contexte actuel". L'opposition dénonce "les fraudes massives", "les violences et les assassinats" durant les dernières élections de novembre 2011.

Capture d’écran 2012-05-31 à 21.14.10.pngLa diaspora congolaise, opposée au régime de Kinshasa, manifestera ce samedi devant le siège de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) à Paris. Les organisateurs de ce sit-in, l'Apareco (d'Honoré Ngbanda) et la mouvance Patriotes Résistants Combattants, souhaitent protester contre "le projet indécent et scandaleux de la tenue du prochain Sommet de la Francophonie" en République démocratique du Congo du 12 au 14 octobre 2012 à Kinshasa.

L'opposition dénonce le climat politique délétère qui règne à Kinshasa, après un scrutin électoral "chaotique" et "peu crédible suite à des fraudes massives, des cas de violences et d'assassinats". L'Apareco estime "ne pas comprendre que les mêmes chefs d’États et de gouvernement qui avaient tous boycotter la cérémonie d’investiture de Joseph Kabila le 20 décembre 2011", participent à ce sommet. Les manifestants demanderont donc à l'OIF à "renoncer au maintien de ce sommet (…)et appelle le chef de l’État français, François Hollande, à faire preuve de fermeté en ne cédant pas au gouvernement d’occupation présidé par Joseph Kabila".

Pour l'heure, Kinshasa continue activement les préparations du sommet en collaboration avec l'Organisation Internationale de la Francophonie. Du côté de l'Elysée, rien n'a encore filtré sur la présence ou non de François Hollande dans la capitale congolaise. L'ambassadeur de France en RDC, Luc Hallade, estime sur RFI "qu'il n'y a pas de mise en cause à ce stade, de quelque participation que ce soit". L'ambassadeur a consulté le cabinet du président français qui lui a répondu que "la ligne était la même que celle que je défends, c'est-à-dire de soutenir effectivement une participation au plus haut niveau, de notre Etat, comme des autres Etats".

Avec ou sans François Hollande, une chose est sûre, le sommet de Kinshasa sera sans doute la dernière "fenêtre de visibilité médiatique" de l'opposition congolaise pour faire pression sur le président Kabila.

Christophe RIGAUD

28 mai 2012

RDC : Kamerhe à la conquête de l'opposition

C'est un secret de polichinelle. Vital Kamerhe se verrait bien endosser les habits de nouveau patron de l'opposition en République démocratique du Congo (RDC). Arrivé troisième à l'élection présidentielle contestée de novembre, juste derrière "l'opposant naturel" Etienne Tshisekedi, Vital Kamerhe affiche désormais son ambition de leadership sur l'opposition congolaise, avec nombreux atouts… mais aussi de sérieux handicaps.

Capture d’écran 2012-05-26 à 21.52.57.pngDans une conférence donnée à Kinshasa les 23 et 24 mai dernier, Vital Kamerhe a défendu l'idée d'une opposition "solide" et "unie" après les défaites successives des dernières élections présidentielle et législatives de 2011. Le patron de l'UNC se pose en potentiel recours d'une opposition, qui n'a pas su s'unir avant le scrutin pour faire barrage au président Kabila et qui n'a pas su tirer profit des nombreuses irrégularités du vote pour imposer sa victoire ou faire une pression suffisante sur la communauté internationale.

Après ces élections "calamiteuses" selon l'opposition, Vital Kamerhe, est sans doute le seul candidat à sortir renforcer de ce long processus électoral. Le président Kabila, même réélu, a vu sa légitimité écornée, son pouvoir affaibli et sa réputation ternie par les nombreuses irrégularités du scrutin. L'opposant Etienne Tshisekedi, avec son très bon score (malgré les forts soupçons de fraudes massives) s'est enfermé dans une contestation stérile des résultats, sans aucune porte de sortie. L'opposant historique s'est isolé dans un irrédentisme politique basé uniquement sur la non-reconnaissance de la réélection de Joseph Kabila et sur l'exclusion des quelques voix dissonantes de son propre parti (notamment les députés UDPS qui ont accepté de siéger à l'Assemblée en dépit du boycott imposé par le parti).

Vital Kamerhe a donc gagné son pari : réussir sa mue politique et s'imposer comme l'un des 3 leaders de l'opposition, avec Etienne Tshisekedi et dans une moindre mesure, Léon Kengo. Le challenge était de taille : passer de la majorité "pro-Kabila" à l'opposition en moins de 2 ans et créer son propre parti politique. Car, avant d'être un opposant reconnu sur l'échiquier politique congolaise, Vital Kamerhe a passé la majorité de sa carrière politique dans le clan présidentiel, auprès de Joseph Kabila lui-même. Directeur de campagne du président en 2006, co-fondateur du parti majoritaire (PPRD) et président de l'Assemblée nationale jusqu'en 2009, Vital Kamerhe faisait partie du premier cercle des proches de Kabila, avant de démissionner brutalement. La cause du divorce : l'opération militaire conjointe avec le Rwanda dont il n'avait pas été informé. Depuis cette date, il s'est construit patiemment l'image d'un opposant modèle. Certains l'accusent de faire le "grand écart" et d'être passé un peu trop vite dans l'opposition. D'autres lui reprochent son ancienne proximité avec Joseph Kabila, avec qui, il n'aurait pas coupé complètement les ponts (ce qui reste à prouver).

Côté positif, Vital Kamerhe a démontré un dynamisme politique hors pair. En moins de 6 mois, il a en effet réussi le tour de force : de créer son propre parti (UNC), de se présenter à la présidentielle et d'arriver en troisième position (7,74%) et de faire élire 18 députés à ses couleurs à l'Assemblée (lors d'un scrutin plus que douteux). Kamerhe a donc gagné en légitimité et a surtout obtenu son "passeport d'opposant" aux yeux des Congolais. Avec la mise hors-jeu (provisoire ?) d'Etienne Tshisekedi, sa jeunesse, son charisme et son intelligence politique, Vital Kamerhe a également séduit les nombreux déçus de l'UDPS, venus gonfler les troupes de l'UNC.

Mais attention, le leader de l'UNC n'a pas que des atouts. Son passé "pro-Kabila" reste encore son principal handicap. Les nombreuses années passées aux côtés de l'actuel président lui collent à la peau et seul le temps pourra les atténuer. Pendant les élections, il a longtemps été accusé d'être "une taupe de Kabila" pour faire perdre Tshisekedi. Beaucoup n'ont pas vraiment compris son revirement à 180° de mars 2009 et sa démission du perchoir de l'Assemblée nationale. Officiellement Kamerhe n'avait pas apprécié, "l'affairisme" de la majorité, les contrats Chinois de 2007 et l'opération conjointe avec le Rwanda de 2009. De façon plus prosaïque, son ambition personnelle l'aurait emporté sur sa fidélité politique à Joseph Kabila. A 52 ans, Vital Kamerhe estimait sans doute que le seul moyen d'arriver à la magistrature suprême (une ambition clairement affichée) était de basculer dans le camp de l'opposition (encore embryonnaire à l'époque). Pour cela, il fallait rapidement franchir le rubicon et se positionner sur la ligne de départ de la présidentielle de novembre 2011. Avec pour objectif de gagner… peut-être en 2016.

Autre handicap, sa région d'origine. Né dans l'Est de la RDC, le kivutien cultive son encrage local depuis de nombreuses années. Il a d'ailleurs beaucoup contribué à la première élection de Joseph Kabila en 2006, qui a réalisé d'excellents scores dans les Kivu. En 2011, Kamerhe devra sa troisième place aux bons résultats obtenus à l'Est. Revers de la médaille, Vital Kamerhe peine à mobiliser dans les autres régions congolaises et notamment à l'Ouest. Il lui faudra donc trouver la "bonne équation régionale" dans son équipe pour pouvoir s'imposer en dehors de ses terres. En clair, il devra nouer de nombreuses alliances locales, comme il l'a fait avec Ne Muanda Nsemi (ex-Bundu Dia Kongo) dans la province du Bas-Congo. Ce qui nous amène à la dernière faiblesse de Vital Kamerhe : la structure très hétéroclite de son mouvement, composée, comme le disent certains observateurs, d'opportunistes et d'aventuriers politiques sans idéologies claires… dont le pouvoir constitue la seule ambition.

Reste que Vital Kamerhe possède actuellement une opportune fenêtre de tir pour s'imposer. La reprise du conflit à l'Est, ankylose quelque peu le pouvoir en place et l'UDPS peine à trouver la bonne stratégie, suspendue au mutisme de son leader.

Christophe RIGAUD

Photo : Affiche de propagande du candidat Vital Kamerhe lors de la présidentielle de novembre 2011.