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26 mai 2012

France-Rwanda : Le parquet de Paris pour la première fois favorable à l’extradition d’un suspect de génocide

Réfugié en France, Vénuste Nyombayire est accusé par Kigali d’avoir fait assassiner une vingtaine d’orphelins tutsi pendant le génocide de 1994

Afrikarabia logo.pngDroit dans ses bottes, l’accusé a un air bonhomme. Il se présente en honnête citoyen récemment naturalisé français. Mais sa réponse, bafouillée, incompréhensible, ressemble à un borborygme lorsqu'un conseiller lui demande « Mais enfin, pourquoi avoir quitté votre pays, le Rwanda ? » Son avocat, Me Bidanda, vole à son secours : « De toute façon, mon client réfute toutes les accusations portées contre lui ». 

Le dossier déposé par Kigali pour réclamer à la France son extradition est, il est vrai, du genre lourd. En 1994, Vénuste Nyombayire était directeur-adjoint  de « SOS-Maison », une sorte d’orphelinat aménagé à Gikongoro, dans le centre du Rwanda. Il le reconnaît. Ce qu’il réfute, c’est la suite : lorsque le génocide a débuté, dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, il aurait commencé par tenté de faire disparaître le directeur, qui a pris la fuite. Un mois plus tard, son ONG a cru pouvoir lui confier une vingtaine d’enfants tutsi qui avaient été protégés à Kigali. Les miliciens interahamwe sont arrivés peu après.

« Ils ont tué les enfants aussitôt à coups de gourdin, résume Me Gilles Paruelle, avocat de la République du  Rwanda. Vous savez comment ça se passe, Madame la présidente ? Un gourdin est un gros bâton hérissé de clous. Dans le groupe une fillette plus âgée, a cru sauver sa vie en suivant sans résistance un milicien qui l’a violée. Ca ne lui a servi à rien, car aussitôt après elle a été tuée, elle aussi. Et c’est M. Vénuste Nyombayire, le sous-directeur de l’orphelinat, qui aurait appelé les miliciens pour exterminer tous ces enfants. »

Un ange passe dans la salle d’audience pratiquement vide, celle de la 5e chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris, présidée par Mme Edith Boizette. Me Paruelle raconte sa découverte du Rwanda juste après le génocide des Tutsi, des églises transformées en charniers comme à Nyamata, à Ntarama… L’horreur des crimes, l’indiscible souffrance des rescapés. Il rappelle que les suspects de génocide ont obtenu en France avec une trop grande facilité  le statut de réfugiés, et pour certains d’entre eux, dans la foulée, la naturalisation. Au terme d’un itinéraire peu clair qui l’a conduit d’abord au Zaïre, puis au Kenya, Vénuste Nyombayire est arrivé en Europe. Puis en France. « Seuls se retrouvent face à leur responsabilité, ceux qui n'ont pu fuir le Rwanda et qui n'en étaient pas les organisateurs; ceux-là sont à l'étranger coulant des jours tranquilles, accuse Me Paruelle. Ils vivent en parfaite impunité ! Notamment en France , certains depuis près de dix sept ans…»

 La présidente Edith Boizette : - Quand même, il y a des procédure judiciaires en France…

Me Paruelle : - Quelles procédures ? L’un des dossiers dont je suis en charge pour une victime a été ouvert en 1995, voici bien dix-sept ans. Depuis, rien ! ou presque rien.

Maître Paruelle insiste pour que les véritables responsables puissent être jugés, d'autant plus qu'au Rwanda , ils ne le seront pas devant les juridictions populaires gacaca comme on a trop l'habitude de le soutenir mais devant la Haute Cour de Justice.

Sur interrogation de la Présidente Maître Paruelle ajoute : « Tout le monde sait que les gacaca sont terminées. Il y a d’ailleurs une cérémonie de clôture prévue le 16 juin prochain à Kigali. Outre que les gacaca n’ont pas été les procédures arbitraires que certains prétendent, il ne faudrait pas qu’un excès de formalisme soit opposé à toutes les demandes d’extradition. Ce n’est pas facile d’obtenir des pièces par la voie diplomatique. Et à Paris aussi, on égare parfois des dossiers (une allusion à la perte du dossier de Yacinthe Nsengiyumva Rafiki par le greffe de Paris, dans une affaire similaire).

 La présidente sourit.

 Me Paruelle invoque la jurisprudence du Tribunal pénal international qui a renvoyé un accusé au Rwanda, les extraditions accordées par d’autres pays européens, celle toute récente du Canada concernant le théoricien du génocide des tutsi, Léon Mugesera, la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’Homme.

 Il sait sa tâche difficile : jusqu’ici, la 5e Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris présidée par Edith Boizette a toujours refusé les demandes d’extradition.

 Mais cette fois, il a trouvé un allié de taille : l’avocat général, M. Lecompte, a requis l’extradition.

Il rappelle les progrès effectués par le Rwanda dans le cadre de sa législation pour faire en sorte que les garanties du procès équitable soient respectés, il rappelle les décisions rendues par les instances internationales , il rappelle la charte européenne des droits fondamentaux.

C’est la première fois que le Parquet soutient clairement une demande d’extradition vers le Rwanda.

Le revirement du Parquet dans l’affaire Vénuste Nyombayire semble la première manifestation de la nouvelle politique du gouvernement français vis-à-vis du Rwanda. Le jugement a été mis en délibéré au 27 juin prochain..

 Jean-François DUPAQUIER

PLus d'infos sur www.afrikarabia.com

14:04 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (0)

20 mai 2012

RDC : "Elections tronquées"… et après ?

6 mois après des élections émaillées de nombreuses irrégularités, la crise politique couve toujours en République démocratique du Congo (RDC), alors que les combats ont repris à l'Est entre milices et l'armée régulière. Pour Afrikarabia, Paul Nsapu, le président de la Ligue des électeurs, revient sur les "élections tronquées" de novembre 2011. Pour ce défenseur des droits de l'homme, "il faut pousser les acteurs politiques au dialogue" et ne pas décevoir les électeurs congolais qui risquent de se détourner des prochains scrutins locaux, fixés début 2013.

Paul Nsapu filtre 1 copie.jpgEn mars 2012, la Ligue des électeurs de République démocratique du Congo, avec l'aide de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), dont Paul Nsapu est le secrétaire général, a publié un rapport complet sur les nombreux dysfonctionnements du processus électoral de novembre 2011. Intitulé : "Elections tronquées en RDC", ce rapport dénonce les irrégularités du scrutin, tout comme l'Union européenne ou le Centre Carter.

- Afrikarabia : Six mois après les élections contestées de novembre 2011, on a l'impression que la RDC est entrée dans une période de normalisation. Faut-il tourner définitivement la page de la contestation électorale ?

- Paul Nsapu : La République démocratique du Congo est actuellement dans une situation de "ni guerre, ni paix". Après l'organisation calamiteuse des élections de novembre dernier, les personnes qui sont aux manettes du pouvoir en sortent très diminuées. Le président Kabila sait pertinemment qu'il n'a pas été élu correctement et a donc perdu sa légitimité populaire. Aujourd'hui, il ne faut pas se voiler la face, il y a bel et bien une crise politique au Congo. Avant, pendant et après les élections, la société civile a démontré toutes les irrégularités du scrutin, mais nous n'avons pas été écoutés. Nous avions tiré la sonnette d'alarme dès la révision du fichier électoral qui s'avérait être biaisé. Il n'y avait plus d'espace pour les mécanismes de contre-pouvoir, notamment avec la CENI (la Commission électorale très controversée, ndlr). A chaque étape, nous avons crié haut et fort, mais les acteurs nationaux ne nous ont pas suivi.

- Afrikarabia : Six mois après que comptez-vous faire ?

- Paul Nsapu : Ce qu'il faut faire maintenant, c'est pousser les acteurs politiques à un dialogue pour "décrisper" la situation. La question est celle-ci : jusqu'où va continuer le pouvoir en bâillonnant comme cela les défenseurs des droits de l'homme ? Nous avons donc besoin d'un climat décrispé et d'un dialogue franc pour remettre en confiance la population, avant les prochaines élections à venir, locales et provinciales (prévues fin janvier 2013, ndlr). Aujourd'hui, nous avons des électeurs déçus et qui nous disent ne pas vouloir aller voter aux prochaines élections. On risque donc de les voir boycotter les élections locales et de conforter la population vers d'autres voix moins "démocratiques".

- Afrikarabia : Sur qui pouvez-vous vous appuyer pour appaiser le climat politique ?

- Paul Nsapu : Nous devons nous appuyer sur nos collègues de la société civile pour produire un plaidoyer fort, notamment sur la restructuration de la CENI (la Commission électorale jugée partiale par l'opposition, ndlr). Si nous n'insistons pas, nous risquons d'être vraiment déçus puisque le pouvoir en place fera tout pour avoir une commission organisatrice des élections à sa solde ! Sur cette question, tous les rapports sont là et la société civile reviendra à la charge. Ensuite, il y aura d'autres actions. Nous publierons un prochain rapport sur les violations des droits de l'homme en RDC, avec non seulement le nom des victimes, mais aussi le nom des auteurs des crimes et des violations ! Il faut à tout prix lutter contre l'impunité.

- Afrikarabia : Est-ce que vous comptez encore sur la communauté internationale pour vous aider dans votre combat ? 

- Paul Nsapu : Les alliés les plus fidèles dans ce combat, ce sont avant tout nos collègues de la société civile en occident (les ONG internationales, ndlr). Ce sont avec eux que nous pourrons aller plaider notre cause dans les enceintes où siègent les décideurs internationaux. La société civile occidentale constitue un levier important pour nous et nous pouvons battre campagne ensemble contre ces politiques que nous condamnons.

- Afrikarabia : Vous n'attendez plus grand chose de la communauté internationale ?

- Paul Nsapu : Je crois qu'il y a toujours des milieux ou des dirigeants internationaux qui comprennent les problèmes de la RDC. Mais ils aimeraient peut-être qu'on leur apportent aussi des propositions efficaces et des solutions. Par exemple pour assainir le secteur de la sécurité et de l'armée, comme un récent rapport le préconise, mais la même chose est possible dans le secteur des élections avec notre rapport de la Ligue des électeurs. Nous avons des propositions concrètes.

- Afrikarabia : Quelle leçon tirez-vous de ce processus électoral ?

- Paul Nsapu : Un énorme gâchis. Ces élections ont démontré qu'il n'y a pas de volonté politique en RDC pour mettre en place un réel processus de démocratisation... et tout cela avec l'argent du contribuable occidental ! Qui, en plus, n'est pas informé de ce qu'on a fait de sa contribution. Voilà des choses que l'on ne peut plus admettre, puisque déjà en 2006, on nous avait promis d'organiser des élections avec un minimum de crédibilité et de transparence. Or, il n'y en a pas eu... ni en 2006, ni en 2011 !

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

Photo : Paul Nsapu à Paris - Avril 2012 (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

16 mai 2012

RDC : Les 12 travaux de Matata Ponyo

Les défis à relever du nouveau premier ministre de République démocratique du Congo (RDC) sont à la mesure des difficultés que traversent le pays : colossaux. Matata Ponyo le reconnaît lui-même, "plusieurs indicateurs sont au rouge" et  "beaucoup reste à faire". Infrastructures, santé, éducation, accès à l'eau ou à l'électricité, corruption... ce ne sont plus les 5 chantiers, mais les 12 travaux d'Hercule qui attendent le chef du gouvernement congolais, avec en prime une nouvelle guerre qui se profile à l'Est.

Image 4.png5 mois après des élections présidentielle et législatives chaotiques et des résultats contestés, le nouveau gouvernement congolais est enfin au travail. Augustin Matata Ponyo a présenté le programme de son gouvernement le 7 mai dernier à l'Assemblée nationale. Et les dossiers urgents ne manquent pas. Au menu : remettre de l'ordre dans le pays, restaurer la paix et relancer l'économie. Car si Matata Ponyo est reconnu pour avoir tenu le cadre macro-économique de la RDC dans les clous des institutions internationales (Banque mondiale, FMI... ), il n'a pas réussi à améliorer un tant soit peu les conditions de vie des Congolais. L'ancien ministre des finances du précédent gouvernement Muzito, aujourd'hui chef du gouvernement a donc du pain sur la planche.

Pour redynamiser l'économie, Matata Ponyo compte s'appuyer sur les "opportunités de développement du secteur agricole", longtemps oublié à la faveur de la rente minière. Son programme vise un taux de croissance de 7% à 15% par an et souhaite voir "éclore le secteur industriel". Matata Ponyo veut également élever la RDC "au rang de pays à revenu moyen" (entre 976 et 11.906 dollars comme l'Afrique du Sud, le Brésil ou l'Argentine) d'ici la fin 2016 et assainir le milieux des affaires. Sur ce point, le chemin à parcourir est titanesque puisque le récent classement "Doing Business" place la RDC au dernier rang des pays concernant le climat des affaires.

Le programme du nouveau premier ministre congolais ressemble mots pour mots aux voeux pieux déjà formulés en 2003 (lors de la transition), en 2006 (lors du premier mandat Kabila) et enfin en 2012 (lors du second mandat Kabila)... sans résultats concrets depuis 9 ans. En 2012, 71% de la population congolaise vit encore avec moins de 1 000 francs (1 USD) par jour.

Pour être crédible, le programme de Matata Ponyo devra être financé. Or, pas un mot sur les recettes escomptées et encore moins sur le budget pour l'année à venir. Avec un peu plus de 6 milliards de dollars de budget (en 2011), l'Etat congolais n'a pas vraiment les moyens de financer ses ambitions. La corruption gangrène toujours le pays, au point de la rendre "endémique", comme le décrit le dernier rapport de l'ONG Transparency International. Ce que l'on appelle la "bonne gouvernance" jouit toujours d'un sérieux déficit en RDC.

Dernier point noir du programme gouvernemental : l'insécurité à l'Est et le risque d'embrasement du conflit au Nord-Kivu. Depuis presque 10 ans, Joseph Kabila promet la paix, sans réussir à l'imposer. De manière récurrente, l'Est de la RDC s'enflamme et une dizaine de groupes armées sèment toujours la terreur dans la zone. Le conflit s'est récemment tendu et les combats ont repris avec la fuite et la traque de Bosco Ntaganda et l'apparition du M23 du colonel Makenga. Sans sécurité en RDC, aucun programme économique ne pourra avoir un quelconque effet sur les conditions de vie de la population. Matata Ponyo le sait bien et a fait du retour au calme au Nord-Kivu sa priorité. Pourra-t-il faire mieux que ses prédécesseurs ? Pas sûr, la sécurité en RDC ne dépend malheureusement pas du seul gouvernement congolais.

Christophe RIGAUD

Photo : Kinshasa (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

RDC : Ntaganda continue d'enrôler des enfants soldats, selon HRW

En fuite depuis 2 semaines et traqué par l'armée congolaise (FARDC), le général Bosco Ntaganda "a enrôlé au moins 149 garçons depuis le 19 avril" dans sa rébellion, dénonce Human Rights Watch (HRW). Bosco Ntaganda est  recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre, mais aussi pour avoir recruté et utilisé des enfants soldats. HRW estime qu'il est "urgent d’arrêter le général renégat".

Image 2.pngDans un communiqué publié à Goma, à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), l'ONG, Human Rights Watch affirme que « Bosco Ntaganda a recommencé à commettre contre des enfants des crimes identiques à ceux pour lesquels la Cour pénale internationale a déjà émis à son encontre un mandat d’arrêt », selon Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior pour la division Afrique à Human Rights Watch. « Tant que Bosco Ntaganda sera en liberté, les enfants et les civils vivant dans l’est du Congo seront exposés à un risque sérieux pour leur sécurité. »

D’après les conclusions de Human Rights Watch tirées d’entretiens avec des témoins et des victimes, les troupes de Ntaganda – estimées entre 300 et 600 soldats qui l’ont suivi dans sa mutinerie – ont recruté de force au moins 149 garçons et jeunes hommes dans les environs de Kilolirwe, de Kingi, de Kabati et d’autres localités sur la route de Kitchanga, dans le territoire de Masisi, dans la province du Nord-Kivu, entre le 19 avril et le 4 mai. Au moins sept garçons sont morts dans les combats. Les garçons et jeunes hommes enrôlés de force étaient âgés de 12 à 20 ans et appartenaient pour la plupart aux groupes ethniques tutsi et hutu. Au moins 48 d’entre eux avaient moins de 18 ans, et 17 avaient moins de 15 ans. D’après les schémas de recrutement documentés, Human Rights Watch pense que l’activité réelle de recrutement pendant cette période peut avoir été considérablement plus importante.

Selon Human Rights Watch, «le gouvernement congolais doit mettre fin au cycle destructeur de protection des auteurs d’atteintes graves aux droits humains et doit, au lieu de cela, les arrêter ». « Le moment est venu d’arrêter Ntaganda, et les Casques bleus de l’ONU doivent tout faire pour soutenir les efforts du gouvernement congolais en la matière », a conclu Anneke Van Woudenberg.

13 mai 2012

RDC : Le M23 revendique le leadership de l'ex-CNDP

Depuis deux semaines, le Nord-Kivu est en proie à d'intenses combats entre des mouvements rebelles et l'armée congolaise. Deux groupes, maintenant distincts, affrontent les soldats de Joseph Kabila : le M23 du colonel Sultani Makenga et les éléments fidèles au général en fuite Bosco Ntaganda, que Kinshasa veut capturer. Au-delà de la guerre entre forces loyalistes et rebelles, une autre bataille a commencé, celle de la lutte d'influence au sein de l'ex-CNDP.

carte RDC Afrikarabia Virunga.jpgDepuis le 29 avril, deux rébellions défient l'armée congolaise (FARDC) dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Il y a tout d'abord les éléments armés fidèles au général Bosco Ntaganda, un ex-rebelle du CNDP, intégré dans l'armé régulière depuis les accords de paix de 2009 et désormais recherché par Kinshasa et par la Cour pénale internationale (CPI). En fuite, dans son fief du Masisi, Bosco Ntaganda a gagné la zone frontalière entre le Rwanda et l'Ouganda, puis le parc des Virunga. Selon Kinshasa, Ntaganda se serait aujourd'hui réfugié dans la région de Mikeno et Karisimbi.

Il y a une semaine, un nouveau courant au sein du CNDP a opportunément vu le jour. Il s'agit du M23 (Mouvement du 23 mars), qui revendique l'application des accords de 2009 entre la rébellion du CNDP et les autorités congolaises. Cet accord prévoyait, entre autre, la transformation du CNDP en formation politique. Dans un premier temps, cette "nouvelle rébellion", a été présentée par les médias internationaux comme étant proche de Bosco Ntaganda. Certains sites internet affirmaient même que le M23 protégeaient Ntaganda dans sa fuite. En fait, ce "courant" a été créé par des membres du CNDP "historique", encore fidèles à son fondateur Laurent Nkunda. Le M23 est donc tout, sauf "proche" de Bosco Ntaganda, qu'il considère comme un traitre. En effet, en 2009 un renversement d'alliance surprise faisait imploser le CNDP. Bosco Ntaganda rejoignait camp de Kinshasa et Laurent Nkunda était arrêté par l'ancien allié rwandais. Pour les membres du M23, il s'agissait d'une trahison pure et simple.

Ala tête du M23, on retrouve aujourd'hui le colonel Sultani Makenga, qui a déserté l'armée avec plusieurs dizaines d'hommes pour se réfugier avec sa troupe d'insurgés dans le territoire de Rutshuru, à la frontière du Rwanda et de l'Ouganda, puis dans la région de Runyoni. Samedi, l'armée congolaise a lancé ses hélicoptères de combats contre le colonel Makenga, sans succès.

Ces deux rébellions font désormais face à l'armée régulière congolaise avec deux objectifs distincts : les pro-Ntaganda veulent sauver leur chef d'une probable arrestation et le M23, plus politique, souhaite recréer un rapport de force avec Kinshasa, pour défendre les intérêts de la communauté tutsi du Nord-Kivu et notamment dans les institutions politiques locales et nationales.

Selon Jean-Paul Epenge, le numéro 2 du mouvement M23, cette confusion entre ex-CNDP, M23 et pro-Ntaganda "a été volontairement entretenue par Kinshasa pour nous diaboliser", nous a-t-il déclaré. "Il n'y a pas de création d'un autre CNDP ou d'un autre mouvement rebelle", explique-t-il. "Bosco Ntaganda n'a jamais été fondateur ou président du CNDP. Il a profité de son alliance avec Kinshasa pour imposer son faux CNDP, par traîtrise. Le M23 réactive l'aile militaire pour corriger les erreurs des uns et des autres afin de redémarrer les négociations sur des bonnes bases entre le CNDP et le gouvernement congolais, c'est à dire celles de Nairobi."

Au Nord-Kivu, deux fronts se sont donc ouverts face aux soldats de Kinshasa. Pour l'instant, les forces armées congolaises (FARDC) semblent contrôler la situation. Mais 3 jours après leur ultimatum, les soldats du président Kabila n'ont toujours pas réussi à mettre la main sur Ntaganda ou à stopper les insurgés du M23. Si pour l'heure, les rebelles ne sont pas en mesure de menacer l'autorité de Kinshasa au Nord-Kivu, ce climat d'insécurité ne peut s'éterniser, au risque de provoquer l'intervention des armées voisines, rwandaises ou ougandaises.

Christophe RIGAUD

10 mai 2012

RDC : "Au Kivu, la solution est politique" selon Thierry Vircoulon (ICG)

Au Nord-Kivu, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), les combats déclenchés par la traque du général Bosco Ntaganda, que Kinshasa cherche à capturer ont provoqué un regain de violence. Pour Thierry Vircoulon, responsable de l'Afrique centrale d'International Crisis Group (ICG), la crise qui secoue les Kivu n'est pas uniquement militaire, elle est aussi politique et la tentative d'arrestation de Ntaganda retarde son règlement.

Vircoulon filtre 1.jpgDepuis le 29 avril, de violents combats ont opposé, dans la province du Masisi, l'armée régulière de République démocratique du Congo (FARDC) aux hommes de Bosco Ntangada. Ce général Congolais, ex-rebelle du CNDP (groupe militaire défendant les intérêts des Tutsi de la région) est recherché par la Cour Pénale Internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Longtemps protégé par le régime de Joseph Kabila, qui l'avait intégré au sein de l'armée, Ntaganda est devenu en quelques semaines persona non grata en RDC pour la communauté internationale. Sous pression de ses principaux bailleurs, Joseph Kabila décide de l'arrêter en lançant une vaste opération militaire dans l'Est du pays pour le dénicher. Ntaganda se réfugie avec ses hommes dans ses terres du Masisi, puis dans le parc des Virunga, à la frontière du Rwanda.

En moins de deux semaines, les combats ont provoqué l'exode de plusieurs milliers de personnes dans le Masisi. Cette traque constitue un nouveau cour dur pour la population civile du Nord-Kivu, cruellement touchée par une guerre larvée qui secoue la région depuis plus de 15 ans.

- Afrikarabia : L'arrestation probable de Bosco Ntaganda peut-elle résoudre l'insécurité qui règne à l'Est de la RDC ?

- Thierry Vircoulon : Tout d'abord, le CNDP, ce mouvement politico-militaire dont Bosco Ntganda est le leader, survivra à l'arrestation éventuelle de son chef. Deuxième problématique : cette tentative d'arrestation a télescopé le résultat des élections ratées de novembre 2011, puisqu'au Nord-Kivu, les élections législatives ont été annulées dans le Masisi, qui s'avère être le fief de la communauté tutsi, là où est actuellement réfugié Bosco Ntaganda. Ce qui est en jeu pour les Tutsi congolais, avec ces élections, c'est bien sûr le contrôle des institutions politiques du Nord-Kivu. Et en observant cette intervention militaire contre Ntaganda, un certain nombre de Tutsi se sont dit qu'il y avait une volonté de Kinshasa de désarmer la communauté tutsi et de réduire son poids politique au Nord-Kivu. D'autant que les élections provinciales sont repoussées… en 2013 ! On se retrouve donc dans une situation d'incertitude politique complète sur l'avenir de la province.

- Afrikarabia : Alors que Kinshasa semble vouloir régler la question militairement, vous pensez que la situation ne peut se régler que politiquement ?

- Thierry Vircoulon : Il est clair qu'il y a un fond de vérité dans la revendication du CNDP sur la mise en place de l'accord politique de 2009 (qui prévoyait l'intégration du CNDP dans la vie politique congolaise, ndlr). Le CNDP était rentré dans l'armée régulière, au point de contrôler une bonne partie de l'armée dans l'Est de la RDC, mais n'avait pas encore fait sa mue politique. Cette mue devait se faire à travers les élections de novembre 2011, aussi bien sur le plan national que provincial, or cela n'est pas encore fait. Donc le CNDP reste plus un mouvement armé, qu'un parti politique : sa transformation reste à faire. On peut d'ailleurs comparer le CNDP avec l'UPC, un autre mouvement rebelle d'Ituri, qui lui, a désormais des représentants politiques depuis 2006 et en aura encore dans les prochaines assemblées. Le problème réside dans la mue politique du CNDP. Il faut que les conditions soient réunies pour qu'elles se fassent, cela apaisera certainement les tensions.
Autre phénomène inquiétant, ce sont les autres groupes rebelles comme les Maï-Maï ou les FDLR qui ont senti qu'il y avait une fenêtre d'opportunité avec la mutinerie de Bosco Ntaganda pour se positionner et rebattre un peu les cartes avec les élections. Cette situation actuelle dans les Kivu est vraiment le reflet de tout ce qui n'a pas été achevé et réalisé lors du dernier mandat de Joseph Kabila, à savoir la fin des groupes armés dans l'Est du pays.

- Afrikarabia : Pourquoi l'accord de paix de 2009 n'a pas été respecté ? Pourquoi le CNDP n'a pas eu accès aux institutions politiques congolaises ?

- Thierry Vircoulon : Essentiellement à cause de l'opposition des nombreuses communautés du Nord-Kivu, comme les Nande, les Hunde... qui ne veulent pas que les Tutsi du Nord-Kivu occupent une place trop grande. La composante militaire de l'accord 2009 a été mise en place (l'intégration des rebelles du CNDP dans l'armée régulière, ndlr). Cette composante militaire a alors provoqué de nombreuses controverses  et de nombreuses oppositions au Nord-Kivu et j'ai le sentiment que le gouvernement de Kinshasa n'a pas voulu aller trop loin dans l'application du volet politique de l'accord. Il y avait une sorte de modus vivendi avec le CNDP : le mouvement continuait de contrôler 90% de l'armée dans le Nord-Kivu et la question politique devait être réglée avec ces élections. Ils ont pu vivre comme cela pendant 2 ans, mais aujourd'hui, on est arrivé à terme.

- Afrikarabia : Quelle est la position du Rwanda voisin sur le "cas Ntaganda" et a-t-elle évolué ?

- Thierry Vircoulon : Je crois que Kigali n'avait pas l'intention d'apparaître comme soutenant quelqu'un qui était recherché par la Cour pénale internationale (CPI). C'était très mauvais en terme d'image. Par contre, Kigali est toujours très sensible à l'argument de la sécurité des Tutsi congolais et souhaite toujours garder la main sur la situation militaire au Nord-Kivu. Par conséquent, certaines voix se sont élevées à Kigali pour dire que, finalement, cette tentative d'arrestation était un peu "téméraire" et que Bosco Ntaganda jouait un rôle important dans l'équation de paix au Nord-Kivu et qu'il fallait faire très attention à un possible retour des FDLR (milice commandée par d'anciens génocidaires hutu, ndlr). On voit de nouveau l'argument sécuritaire agité par Kigali qui ne verrait pas d'un très bon oeil le désarmement des Tutsi au Nord-Kivu.

- Afrikarabia : L'arrestation de Bosco Ntaganda, aussi légitime soit-elle, ne résoudrait donc aucun des problèmes qui secouent l'Est de la RDC ?

- Thierry Vircoulon : L'arrestation de Ntaganda ne résout aucun des problèmes parce qu'il s'agit  essentiellement de problèmes structurels et non pas de problèmes individuels qui dépendent d'une ou deux personnes. Ce sont des problèmes de relations intercommunautaires, de représentativités politiques… et ce n'est pas en fraudant les élections qu'on les règle. La tentative d'arrestation de Bosco Ntaganda a ainsi réouvert la compétition pour le pouvoir au Nord-Kivu.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

Photo : Th. Vircoulon à Paris en mai 2012 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

08 mai 2012

RDC : Le CNDP se recompose

Le bras de fer entre l'armée congolaise et l'ex-rebelle du CNDP, Bosco Ntaganda provoque la création d'un nouveau mouvement baptisé : Armée Nationale Congolaise/CNDP (ANC/CNDP). Cette "clarification" au sein de la rébellion intervient à quelques jours d'un ultimatum fixé par les autorités congolaises demandant aux mutins de se rendre. Le Colonel Sultani Makenga prend la tête de ce mouvement.

Capture d’écran 2012-05-08 à 12.39.12.pngDans un récent communiqué, des membres du CNDP "historique", proches de l'ancien général rebelle Laurent Nkunda prennent leur distance avec les mutineries dans l'armée congolaises provoquées par la volonté de Kinshasa d'arrêter leur chef, Bosco Ntaganda. Depuis plus d'une semaine l'armée congolaise traque le général ex-CNDP Bosco Ntaganda dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). L'bbjectif annoncé par Kinshasa est clair : l'arrestation de Ntaganda demandée par la communauté internationale et la Cour pénale internationale (CPI). Le général Ntaganda s'est d'abord réfugié dans le Masisi avec se retrancher dans le Rutshuru, à la frontière du Rwanda et de l'Ouganda. Le gouvernement congolais a donné jusqu'au jeudi 10 mai aux mutins pour se rendre.

Ce nouveau mouvement affirme vouloir faire respecter l'accord de paix de 2009 qui devait transformer le CNDP en formation politique. L'ANC/CNDP se trouve désormais sous le commandement du Colonel Sultani Makenga. Ce militaire venu du Sud-Kivu avait récemment fait défection et pris le maquis avec 80 de ses hommes. L'épreuve de force se trouve donc relancée entre Kinshasa et la rébellion tutsi. Ce nouveau mouvement arrive à point nommé et prépare sans doute "l'après Ntaganda", lorsque Kinshasa cherchera un nouvel interlocuteur au sein des tutsi du Kivu.

Christophe RIGAUD

06 mai 2012

RDC : Le degré zéro de la politique ?

Candidat aux dernières élections législatives, Gaspard-Hubert Lonsi Koko analyse dans son dernier ouvrage le processus électoral chaotique de novembre 2011 et l'incurie de la classe politique congolaise. Dans "Congo-Kinshasa : le degré zéro de la politique" (*) Lonsi Koko appelle à une recomposition de l'opposition et trace les contours d'une nouvelle classe politique congolaise qui a "urgemment besoin d'inventeurs d'avenir". Afrikarabia l'a rencontré à Paris.

GH Lonsi Koko filtre 3.jpg- Afrikarabia : Vous êtes retourné en République démocratique du Congo pour vous présenter aux élections législatives de novembre 2011 à Madimba, dans le Bas-Congo. Dans votre ouvrage vous écrivez avoir reçu "un choc" en retournant à Madimba ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Ce qui m'a choqué c'est la condition sociale et le niveau de vie de la population. Madimba est la terre d'origine de mes parents et j'y passais toute mes vacances. J'ai des souvenirs de Madimba hier, meilleurs qu'aujourd'hui. Tout ce que j'ai connu enfant s'est dégradé : les routes, la déforestation, il faut aller puiser l'eau potable un peu plus loin, il faut maintenant aller chercher sa nourriture à Kinshasa alors que par le passé c'était Madimba qui pourvoyait Kinshasa en nourriture… Si on souffre comme cela dans les campagnes, c'est qu'il y a un vrai problème politique en RDC, un pays immensément riche. Voilà la principale motivation de ma candidature aux législatives.

- Afrikarabia : Dans votre livre vous racontez le déroulement chaotique des élections de novembre. Comment voyez-vous la pratique de l'exercice politique au Congo-Kinshasa ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Un élément m'a surpris positivement, c'est l'envie des Congolais d'aller aux élections. Cela montre que, malgré les imperfections du scrutin, on ne peut plus aspirer à un mandat politique sans passer par des élections. Il y a désormais cette volonté d'aller systématiquement aux élections et j'ai trouvé cela intéressant. Au-delà de ce phénomène, beaucoup de choses m'ont déçu, d'où le titre du livre "Congo-Kinshasa, le degré zéro de la politique". Comment peut-on se présenter à une élection présidentielle sans avoir un programme et un projet de société digne de ce pays ? J'ai vu pendant les débats télévisés, certains candidats et non des moindres, qui ne se sont même pas déplacés pour dire pourquoi ils sollicitaient les suffrages du peuple congolais ! Ils n'ont envoyé que des émissaires ! Il n'y a eu que messieurs Kamerhe et Kashala qui ont essayé de parler d'un projet de société, qui pour moi étaient d'ailleurs très légers. Je n'ai pas vu le projet du candidat Kabila, ni le projet du candidat Tshisekedi. Ces deux personnes ne sont même pas venus à la télévision pour s'adresser aux Congolais. D'un autre côté, la population est encore immature politiquement… on dit d'ailleurs que l'on a les responsables politiques que l'on mérite. Faire de la politique en RDC ne constitue pas un engagement idéologique. C'est une activité professionnelle qui permet de se "remplir le ventre". La campagne ne se conçoit pas sur un projet politique mais uniquement sur des promesses électorales, moyennant des tee-shirts, des bouteilles de bière et quelques promesses d'embauche.

- Afrikarabia : On craignait une vague de contestation importante et des manifestations violentes après les irrégularités et les soupçons de fraudes massives pendant le scrutin. Il n'en a rien été ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Les Congolais ont élu Etienne Tshisekedi. Mais là où je peux faire des reproches à la population, c'est d'être restée les bras croisés pendant qu'on lui a volé sa victoire ! Les Congolais doivent avoir à l'esprit qu'ils sont souverains. Il fallait que la population descende dans la rue. Peu importe la violence, aucune révolution ne s'est faite sans effusion de sang.

- Afrikarabia : Quel rôle a joué la diaspora ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Malgré des imperfections, les Congolais vivants à l'étranger ont joué un rôle déterminant dans ce qui s'est passé au Congo. Aussi bien en terme de pression qu'en terme de conscientisation de la population restée au pays. Mais elle n'a pas eu droit de s'exprimer (la diaspora n'a pas le droit de vote, ndlr) et son plus grand tort est de ne pas avoir défendu, dès le départ, son droit à être candidat et électeur. Il faut que la diaspora puisse demain obtenir ses droits civiques.

- Afrikarabia : Vous dites qu'il n' y a pas d'idée, que les partis politique sont vidés de leur substance, que les "militants" ne sont souvent que des "figurants" payés pour participer aux meetings…

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : … pour 90% des politiciens congolais, ce sont des professionnels…

- Afrikarabia : … en France ou en Belgique aussi…

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : … même en étant professionnels, les hommes politiques travaillent ici en priorité pour l'intérêt général, plus que pour leurs intérêts personnels. Au Congo, c'est le contraire. Il n'y a pas véritablement d'hommes et de femmes d'Etat en RDC.

- Afrikarabia : Comment pensez-vous faire évoluer cette classe politique ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Il faut que le peuple congolais pousse sa classe politique à tendre vers l'excellence. Les Congolais doivent avoir la culture de la sanction. Il faut également que l'opposition ne soit pas uniquement destructrice. L'opposition doit être intelligente et doit être en mesure de proposer une alternative. Pour cela, les Congolais de l'extérieur doivent commencer à retourner au pays pour notamment faire de la politique autrement.

- Afrikarabia : Vous êtes proche de l'opposition, comment voyez-vous sa recomposition après ces élections ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Ces élections ont constitué un moment déterminant pour l'avenir et le devenir de la République démocratique du Congo. Il faut maintenant qu'une relève mette en place une nouvelle opposition, une opposition plus cohérente capable de se concerter pour l'intérêt général. Notre objectif est clair : il doit y avoir un changement de régime à Kinshasa. J'appelle tous les démocrates congolais, toute la jeunesse congolaise qui souhaite le changement à se rassembler et à se concerter. Il ne faut pas non plus cracher sur les anciens, si nous existons aujourd'hui c'est parce qu'il y a eu des personnalités comme Etienne Tshisekedi et d'autres qui ont mené de nombreux combats. C'est à  nous de prendre la relève avec la vision et les méthodes d'aujourd'hui.

- Afrikarabia : Vous dites à la fin de votre ouvrage, après votre défaite aux élections législatives, que "ce n'est pas un échec" et que "ce n'est que partie remise" ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko :  Il y a des défaites qui préparent des victoires. C'est sûrement le meilleur moment de ma vie politique.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

(*) "Congo-Kinshasa : le degré zéro de la politique" de Gaspard-Hubert Lonsi Koko
Editions L'Harmattan - avril 2012 • 152 pages - 15,50 euros

Photo : GH Lonsi Koko à Paris - Avril 2012 (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

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05 mai 2012

Afrique : "Le mirage démocratique" de Vincent Hugeux

Dans un court essai, le journaliste Vincent Hugeux, dresse un portrait sans concession du continent africain et de ses pseudos "progrès démocratiques". Pour ce spécialiste de l'Afrique, il s'agit d'une "mascarade" :  "les caïmans du marigot ont appris à manier le lexique du pluralisme, de la transparence et de la "bonne gouvernance"… pour mieux s'affranchir de ses effets". L'analyse est imparable, notamment au regard des dernières élections en République démocratique du Congo (RDC). Un essai revigorant.

6557-1409-Couverture.jpgAfro-optimiste s'abstenir. Le court essai de Vincent Hugeux, "Afrique : le mirage démocratique", risque de vous ébranler dans vos dernières certitudes. Non, la démocratie ne progresse pas en Afrique subsaharienne. Dans ce livre d'une soixantaine de pages, le journaliste de l'Express et auteur des excellents "Sorciers blancs" et "L'Afrique en face" estime que "les simulacres électoraux auxquels on assiste suffisent à relativiser la démocratisation réelle du continent africain". Et de citer la Côte d'Ivoire, le Zimbabwe, le Gabon ou la RDC. L'auteur y dénonce les tripatouillages électoraux et les "bricolages constitutionnels permettant à des chefs d’État d’être réélus indéfiniment".

Nous apporterons une mention particulière pour les passages concernant la République démocratique du Congo qui occupent spécialement Afrikarabia. Vincent Hugeux est particulièrement pertinent sur la question. L'auteur dénonce le "tour de passe-passe" que constitue les modifications constitutionnelles avant les scrutins. Des modifications qui "ont l'apparence de la légalité, mais constituent autant de forfaitures sur le plan éthique et politique" (on pense bien sûr aux élections de novembre 2011 en RDC). "Dans leur panoplie" continue Vincent Hugeux, "figure aussi la pince-monseigneur du monte-en-l'air électoral : le scrutin unique. Rien de tel pour valoriser la prime au sortant (…). L'Oscar revient cette fois à Joseph Kabila commanditaire d'une révision (…) un trimestre avant la remise en jeu de son titre". Et de continuer : "la présidentielle congolaise (…) offre un éloquent condensé des travers énoncés ici. Rien n'aura manqué à ce funeste festival. Ni le fichier électoral fantaisiste, ni la Commission électorale prétendument "indépendante" mais gravement vassalisée, ni le recours massif, par le sortant, à l'appareil étatique et à ses instruments, ni le harcèlement policier des opposants, ni la fraude, souvent grossière, ni la violence, parfois meurtrière. Ni bien sûr, les verdicts alambiqués de "missions d'observations" frileuses qui se bornent pour la plupart à observer un silence gêné et complice". Tout est dit. Fermez le banc. "Afrique : le mirage démocratique" (*) de Vincent Hugeux est à lire de toute urgence.

Christophe RIGAUD

(*) "Afrique : le mirage démocratique" - Vincent Hugeux
CNRS Editions, Paris, 2012, 64 pages, 4 euros.

23:59 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (3)

03 mai 2012

RDC : Pourquoi le Nord-Kivu s'enflamme de nouveau

Depuis plusieurs semaines, l'armée congolaise affronte les mutins proches de Bosco Ntaganda, un ex-rebelle recherché par la Cour pénale internationale (CPI). Après avoir longtemps protégé Ntaganda, Joseph Kabila semble maintenant décidé à l'arrêter, au risque de relancer la guerre dans les Kivu. Pierre Jacquemot, chercheur associé à l'IRIS, nous explique pourquoi la violence persiste dans la région et pourquoi Joseph Kabila et Paul Kagame ont décidé de "lâcher" Bosco Ntaganda.

carte RDC Afrikarabia Nord Kivu.jpg- Afrikarabia : Etes-vous étonné de la reprise de la violence ces dernières semaines à l'Est de la République démocratique du Congo ?

- Pierre Jacquemot : La violence est endémique dans cette zone depuis une quinzaine d'années, même si elle se déplace d'une ville à l'autre entre le Nord et le Sud Kivu, Cette violence est liée à plusieurs facteurs qui s'amplifient à certaines périodes. Tout d'abord la présence d'une communauté d'origine rwandaise qui s'est installée après le génocide de 1994 dans des camps de réfugiés, puis plus durablement et qui a ensuite mené des actions armées contre gouvernement rwandais de Paul Kagame. Ce premier groupe se retrouve autour des FDLR (rébellion d'origine hutu, ndlr) et constitue un facteur permanent d'insécurité. D'autant que les FDLR sont également attaqués par des groupes d'origine tutsi - les rebelles du CNDP - qui ont abandonné la rébellion en 2009 après l'arrestation de leur chef Laurent Nkunda et l'allégeance de leur responsable militaire, Bosco Ntaganda, au gouvernement de Joseph Kabila. Vous pouvez ajouter à cela l'existence de groupes armés locaux, que l'on appelle les Maï-Maï, qui passent régulièrement des alliances de circonstance avec telle ou telle rébellion. Il y a également un facteur économique, un besoin important de terres dans la région et les terres des deux Kivu sont particulièrement riches et convoitées. On peut enfin ajouter à cela, la présence de minerais, comme la cassitérite, le coltan ou l'or et vous obtenez tous les ingrédients d'une économie de guerre, depuis que les cours de ces minerais se sont envolés. Certaines mines font l'objet de combats très réguliers entre l'armée congolaise, les FDLR ou le CNDP. Voila le contexte qui permet de comprendre pourquoi il y a en permanence une situation de conflit dans l'Est de la RDC.

- Afrikarabia : La situation échappe complètement à l'armée ?

- Pierre Jacquemot : L'armée est impuissante à remettre de l'ordre car elle est traversée par ses propres contradictions, notamment avec le problème de l'intégration des troupes rebelles en son sein. La Monusco ensuite, bien que forte de 20.000 hommes, le plus fort contingent de casques bleus au monde, est incapable de garantir durablement la sécurité des populations.

- Afrikarabia : Ces dernières semaines, la violence est montée d'un cran dans  les Kivu, avec  l'annonce de la possible arrestation de Bosco Ntaganda ?

- Pierre Jacquemot : Il y a aujourd'hui un enjeu nouveau qui est l'arrestation de Bosco Ntaganda. C'est un individu d'une violence rare que l'on appelait à une époque "Terminator", qui n'a pas hésité à enrôler des enfants soldats et à commettre des délits extrêmement graves. Ntaganda a eu longtemps le soutien du Rwanda, qui maintenant prend ses distances. C'est du moins ce qu'a déclaré Paul Kagame la semaine dernière. Bosco Ntaganda avait lâché son chef, Laurent Nkunda, en 2009, pour rejoindre l'armée régulière congolaise avec 3.000 de ses hommes. En contre-partie, on lui a donné un titre de général et des prérogatives sur une partie du Nord-Kivu. En fait, cette ex-milice du CNDP ne s'est jamais vraiment intégrée dans l'armée. Elle a toujours constitué "une armée dans l'armée" et continuait les trafics de minerais, notamment de Cassitérite et les trafics d'armes. Bosco Ntaganda devrait être déféré auprès de la Cour pénale internationale de La Haye (CPI), mais on tourne autour du pot depuis au moins 18 mois. Il y a d'un côté Human Rights Watch (HRW) qui demande son arrestation en mettant en avant le volet juridique de l'affaire et d'un autre côté, il y a ceux qui pensent qu'il faut prendre un certain nombre de précautions pour éviter les "répercussions négatives" des soldats du CNDP qui défendent encore Ntaganda et qui risqueraient de s'en prendre à la population civile. Et c'est un peu ce qui se passe depuis que la pression s'est accentuée autour de son arrestation. On assiste à des désertions d'officiers du CNDP qui rejoignent des groupes Maï-Maï et c'est bien sûr une source importante d'inquiétude.

- Afrikarabia : Après avoir longtemps protégé son allié Bosco Ntaganda, Joseph Kabila se retrouve face à un dilemme : satisfaire la communauté internationale en arrêtant Ntaganda et prendre le risque de rallumer la guerre à l'Est ou continuer de la protéger et s'isoler sur la scène internationale ?

- Pierre Jacquemot : Il semble que Joseph Kabila a tranché. Visiblement il a évolué dans son attitude puisqu'au départ il était très réticent à l'arrestation de Ntaganda. Je lui ai directement posé la question plusieurs fois. Il était assez évasif, mais il était convaincu que l'individu commettait des exactions et était complètement incontrôlable au sein de l'armée. Kabila a changé de position puisque dernièrement, 14 militaires ex-CNDP ont été transférés à Bukavu pour y être jugés. Il faut également rappeler que Joseph Kabila souhaite retrouver un peu de crédibilité et un peu de "virginité" après des élections qui se sont mal passées en novembre dernier.

- Afrikarabia : Joseph Kabila a-t-il les moyens d'arrêter Ntaganda ?

- Pierre Jacquemot : C'est une opération pas facile à mener. Il faut d'abord l'attraper. Ntaganda est actuellement retranché dans son fief du Nord-Kivu (dans le Masisi, ndlr) qui constitue une sorte de "sanctuaire" dont il sera difficile de le sortir. Je pense qu'il faudra des moyens supplémentaires et je pense aux hélicoptères de la Monusco qui devront l'emmener immédiatement sur Kinshasa et ensuite vers La Haye. Tout doit se passer très vite. A noter qu'il faudra également trouver un autre "chef" à mettre à la tête du CNDP, qui soit loyal à Kinshasa, intègre… et ces conditions ne sont pas faciles à trouver. Sinon nous aurons des ex-miliciens qui vont se retrouver dans la nature sans chef et c'est extrêmement dangereux.

- Afrikarabia : Ntaganda est-il toujours soutenu par le Rwanda ?

- Pierre Jacquemot : Le Rwanda a compris que Ntaganda est une carte qu'il ne peut plus jouer. Le Rwanda n'a plus vraiment besoin de s'occuper des deux Kivu. Les réseaux mafieux sont parfaitement huilés et ils n'ont plus besoin de ces miliciens.

- Afrikarabia : Selon vous, le Rwanda peut-il lâcher Ntaganda ?

- Pierre Jacquemot : Oui je le pense. Soutenir Ntaganda coûte trop cher en terme d'image au Rwanda. En plus, Ntaganda n'est plus vraiment utile en terme économique. Pour gérer les réseaux mafieux à leur bénéfice, ils n'ont pas besoin de Bosco. Il faut également savoir que le coltan et la cassitérite ne rapportent plus autant d'argent qu'il y a encore 2 ans.

- Afrikarabia : Pour quelles raisons ?

- Pierre Jacquemot : Essentiellement à cause de la loi Dodd Franck qui contraint les entreprises américaines à prouver l'origine de la cassitérite et du coltan qu'elles utilisent. Les marchés se sont donc déplacés vers l'Australie et l'Amérique latine. Il y a donc moins d'intérêt économique pour le Rwanda. En plus, ces groupes CNDP sont devenus, avec le temps, des électrons libres et je ne crois pas que Kagame y trouve beaucoup d'intérêts. On peut donc penser que Kabila est assurer d'une certaine neutralité du Rwanda s'il souhaite procéder à l'arrestation de Ntaganda.

- Afrikarabia : Joseph Kabila peut-il être tenté de juger Ntaganda à Kinshasa et de ne pas l'envoyer devant la Cour pénale internationale ?

- Pierre Jacquemot : Je n'ai pas vraiment la réponse. Joseph Kabila peut en effet être tenté de jouer la carte de la fierté nationale, comme les ivoiriens aurait pu refaire avec Laurent Gbagbo. Kabila pourrait effectivement dire : "on est assez grand pour le juger à Kinshasa". C'est un procès qui aurait une grande valeur symbolique et qui, s'il était mené dans de bonnes conditions, pourrait corriger l'impact négatif du procès de l'affaire Chebeya. Ce n'est pas exclu.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

29 avril 2012

RDC : Quelle armée pour le Congo ?

L'armée congolaise est à reconstruire. Après 15 années d'une guerre sans fin, l'armée régulière est toujours incapable d'assurer la sécurité de la population. Pire, elle se rend également coupable de nombreuses exactions sur les civils. Selon un collectif de 13 ONG locales et internationales, réorganiser le secteur militaire et de la sécurité est une priorité absolue pour le pays. Afrikarabia a rencontré Emmanuel Kabengele, membre de la société civile, pour qui, "une vraie réforme de l'armée est une question de volonté politique".

Emmanuel Kagengele 1 filtre.jpgEn République démocratique du Congo (RDC), la réforme du secteur de la sécurité fait toujours office de véritable serpent de mer. Tout le monde en parle, tout le monde promet la réforme, mais rien ne bouge… ou presque. Depuis plus de 15 ans, le pays est ravagé par des conflits successifs. Encore aujourd'hui, une dizaine de groupes armés terrorisent les populations du Nord et de l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Désorganisés, mal formés, mal payés, les militaires congolais (FARDC) sont dans l'incapacité de rétablir la sécurité dans ces zones. Ces troupes vieillissantes et non-formées à 70% se retrouvent également accusées des pires atrocités : pillages, viols, meurtres… Résultat : 1,7 million de Congolais sont déplacés dans leur propre pays et 500.000 se sont réfugiés dans les pays voisins.

Un collectif de 13 ONG congolaises, mais aussi internationales, vient de publier un rapport très complet sur la nécessité d'une réforme du secteur de la sécurité. De maigres efforts ont été réalisés par les autorités congolaises, appuyés par la communauté internationale. Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. Dans ce rapport, ces ONG demandent "un nouvel accord" et un "nouvel engagement du gouvernement congolais" en la matière. Des solutions sont possibles. Mais pour accélérer le mouvement, ces ONG souhaitent que les bailleurs et les pays donateurs de la RDC fassent preuve "d’exigence quant à l’utilisation des montants de l’aide dédiée à la RDC", soit plus de 14 milliards de dollars US entre 2006 et 2010 et conditionnent leur aide, par exemple, au respect des Droits de l'homme au sein de l'armée congolaise.

Ce rapport tombe à point nommé. L'Est du pays menace une nouvelle fois de s'enflammer sous la pression de groupe rebelle et le Président Kabila est toujours en quête de légitimité internationale après les élections très contestées de novembre 2011. La communauté internationale bénéficie donc d'une "fenêtre de tir" idéale pour activer cette réforme de l'armée.

Afrikarabia a rencontré Emmanuel Kabengele, coordinateur national du Réseau de la société civile congolaise pour la Réforme du Secteur de la Sécurité et de la Justice (RRSSJ). Ce membre de la société civile a participé au rapport : "RDC : Prendre position sur la réforme du secteur de la sécurité".

- Afrikarabia : Pour quelles raisons l'armée congolaise est-elle incapable d'assurer la sécurité des populations civils et de contrôler son territoire ?

- Emmanuel Kabengele : Il y a des problèmes essentiellement structurels, d'organisation mais il y a surtout un problème d'éthique de responsabilité. Il y a pourtant eu des efforts faits pour une réforme du secteur de la sécurité, notamment sous l'impulsion de la communauté internationale. Le programme de l'Union européenne, EUSEC, est intervenu sur le recensement en réalisant un fichier pratiquement complet des effectifs et un suivi de la chaîne de paiement des salaires et de commandement. Mais ces efforts se sont révélés limités car il n'y avait pas de plan stratégique, ni de vision globale de la réforme de l'armée. Le processus de "brassage" et de "mixage" (la réintégration des mouvements rebelles dans les troupes régulières) pour obtenir une armée réellement unifiée, n'a pas pu aboutir. Sur les 18 brigades qui devraient être réintégrer dans les FARDC, seules 14 ont pu le faire et il y a régulièrement des défections.

- Afrikarabia : Lorsque vous parlez d'éthique, de quoi parlez-vous exactement ?

- Emmanuel Kabengele : Nous parlons d'éthique parce qu'il y a des choses qui se passent en dessous de table. Il y a notamment un certain nombre d'officiers qui tirent profit du contrôle des régions qu'ils dirigent. Un rapport des Nations-Unies a fait état de l'exploitation illégale des richesses dans ces régions. C'est d'ailleurs pour cela qu'il y a une persistance de l'insécurité dans ces territoires.

- Afrikarabia : Le faible salaire des militaires congolais, voire l'absence totale de solde dans certains cas n'explique-t-il pas le pillage des ressources naturelles (minerais, or, diamant) par l'armée régulière ?

- Emmanuel Kabengele : C'est pour cela que je vous ai parlé d'éthique de responsabilité. Le plus souvent, Kinshasa est doté d'un budget, mais pour que cet argent arrive au soldat en bas de l'échelle, il y a des problèmes. C'est ce qu'on appelle des "décaissements frauduleux". Certains officiers garde une partie de la solde qui devait revenir aux soldats. La solde est déjà modique (59$ pour un soldat et 89$ pour un général, ndlr), mais souvent le problème se situe dans l'acheminement de la solde.

- Afrikarabia : Le manque d'argent n'est pas le principal problème ?

- Emmanuel Kabengele : C'est plutôt la redistribution qui pose un réel problème dans la gouvernance sécuritaire. L'argent n'est pas en soi le vrai problème. Le problème, ce sont les détournements. Il faut que la redistribution s'améliore. Des officiers se font construire de gros immeubles et là je me dis : oh mon dieu qu'est-ce que arrive !

- Afrikarabia : Des experts militaires estiment que les effectifs de l'armée congolaise sont trop nombreux par rapport au budget dont dispose l'Etat. Il y a 130.000 hommes au sein des FARDC, certains spécialistes pensent qu'avec 70.000 hommes mieux payés, la situation serait meilleure ?

- Emmanuel Kabengele : Le nombre de soldats n'est pas le problème pour moi. Le problème est d'ordre organisationnel. La RDC est un véritable sous-continent, le pays est immense (5 fois la France, 80 fois la Belgique, ndlr) et il y a plus de 60 millions de Congolais. Pour moi, le nombre des militaires est même un peu petit !

- Afrikarabia : Que faut-il faire ?

- Emmanuel Kabengele : Faire une vraie réforme. Pour moi la réforme n'a pas encore commencé. La preuve : l'insécurité est encore persistante à l'Est du pays. Pour moi, faire un recensement des effectifs, ce n'est pas une réforme. Donner une carte aux militaires, ce n'est pas une réforme…

- Afrikarabia : … cela peut y contribuer ?

- Emmanuel Kabengele : Bien sûr, cela peut y contribuer. Mais pour nous société civile, une réforme c'est un processus de transformation profonde des institutions d'une société. Pour que ces institutions redeviennent crédibles, il faut un réel toilettage, il faut enlever quelques brebis galeuses.

- Afrikarabia : Par quelle mesure cette réforme devrait débuter pour prendre le problème par le bon bout ?

- Emmanuel Kabengele : Il faut d'abord commencer par créer un cadre stratégique global de la réforme de l'armée. Il faut prendre exemple sur la réforme de la police, avec différentes étapes qui doivent être respectées. Cet exemple, qui est pour nous un "demi succès", pourrait avoir un effet d'entraînement sur la réforme de l'armée. La création d'une police de proximité et d'un code de bonne conduite ont amélioré la situation. Concernant l'armée, il faudrait débuter par une réelle démilitarisation progressive de l'Est du pays en élimant les "forces négatives" (les différents groupes rebelles, ndlr). Et si l'armée congolaise n'y arrive pas pour le moment, c'est qu'il y a un vrai problème stratégique à résoudre et un manque de volonté politique. Il n'y a pas de problème insoluble.

- Afrikarabia : Le problème est politique selon vous ?

- Emmanuel Kabengele : Nous avons eu beaucoup de discours. En 2006, les programmes politiques faisaient déjà de la réforme du secteur de la sécurité une priorité et la société civile l'avait salué. En 2011, on a encore fait de la réforme de l'armée une priorité. Et c'est seulement fin 2011 que le parlement adopte une loi sur cette priorité ! Nous, nous disons qu'il y a déficit de volonté politique. Et dans la mise en oeuvre, il y a un retard exagéré ! Ce rapport est là pour que tous ensemble, gouvernement et communauté internationale, on se coordonne selon une logique un peu plus cohérente. C'est une urgence et une nécessité.

Christophe RIGAUD

Photo : Emmanuel Kabengele en avril 2012 à Paris (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

RDC : Kabila "dépolitise" son nouveau gouvernement

Après de longues semaines d'atermoiements, la République démocratique du Congo (RDC) s'est enfin dotée d'un nouveau gouvernement. A défaut d'une ouverture vers l'opposition, le président Kabila a préféré éloigner les caciques du PPRD et nommer une petite équipe de 36 ministres, composée de "techniciens" peu connus du grand public.

Drapeau RDC.gifAvec la nomination de ce nouveau gouvernement "peu coloré politiquement" et très "technique", le président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila, espère tourner la page d'une longue séquence post-électorale très embarrassante pour sa propre légitimité. Les élections présidentielle et législatives de novembre 2011ont été fortement contestées par l'opposition, mais aussi par la communauté internationale. Le processus électoral a été entaché de nombreuses irrégularités et de forts soupçons de fraudes massives.

Sous pression internationale et à 5 mois du XIVe sommet de la francophonie à Kisnhasa, Joseph Kabila tente une nouvelle fois de calmer la crise politique qui couve en "dépolitisant" son action gouvernementale. Première étape : la nomination d'un nouveau Premier ministre, Augustin Matata Ponyo, économiste de formation, rompu aux institutions internationales et  spécialiste en "stabilisation du cadre macro-économique"… En bref, l'homme idéal pour rassurer les (nombreux) bailleurs de la RDC. Deuxième étape : la nomination d'un gouvernement "resserré" et "technique", débarrassé des "barons" du parti présidentiel. Objectif : calmer le débat avec l'opposition et mettre en place une équipe "moins politique" et censée être plus "efficace" dans les dossiers (seul l'avenir nous le dira).

Dans la nouvelle équipe gouvernementale, le Premier ministre, Augustin Matata Ponyo, garde la haute main sur l'Economie et les Finances avec l'aide d'un ministre délégué, Patrice Kitebi. Deux personnalités peu connus font également leur entrée au gouvernement : il s'agit de Daniel Mukoko Samba, ancien directeur de cabinet adjoint de Matata Ponyo, qui s'occupera du Budget en tant que vice-Premier ministre, et d'Alexandre Lubal Tamu, le nouveau ministre de la Défense.

Six ministres sortants restent tout de même dans la nouvelle équipe : l'inamovible Lambert Mende (Médias), Martin Kabwelulu (Mines), Raymond Tshibanda, (Affaires étrangères), Richard Muyej (Intérieur), Fridolin Kasweshi (Aménagement du territoire) et Justin Kalumba (Transports).

Seule nouveauté à destination de la communauté internationale : la nomination d'une femme, l’avocate Wivine Mumba Matipa, au poste de la Justice et des Droits humains (une première). Les grands absents du nouveau gouvernement sont "les ténors" du PPRD et de la majorité présidentielle, priés de se faire discrets et l'opposition qui ne s'est vu offrir aucun poste. Joseph Kabila n'a donc pas cherché à débaucher des membres de l'opposition en signe d'ouverture et d'apaisement, comme le lui avait demandé la communauté internationale. Joseph Kabila a préféré surprendre avec "du neuf" et renouveler son casting gouvernemental avec des personnalités plus "transparentes" et moins "polémiques".

Christophe RIGAUD

Consultez la liste complète du gouvernement d'Augustin Matata Ponyo ICI.

22 avril 2012

RDC : Elections provinciales reportées en janvier 2013

Après plusieurs reports, la Commission électorale de République démocratique du Congo (CENI) a annoncé la tenue des élections provinciales pour la fin janvier 2013. Ces élections doivent clorent un long cycle électoral entaché de graves irrégularités et de violences dénoncées par la communauté internationale. Les Congolais devront désigner 690 députés provinciaux.

Logo CENI.pngFixées au printemps 2012, les élections "provinciales, urbaines, municipales et locales" devraient se dérouler avec 9 mois de retard. En cause, la gestion "anarchique" et  "calamiteuse" des élections présidentielle et législatives de novembre 2011. Les multiples irrégularités du scrutin ont fait planer de sérieux doutes sur la crédibilité des résultats. Le régime de Joseph Kabila est sorti affaibli de ces élections, même si le président congolais possède encore une majorité confortable à l'Assemblée nationale.

Fortement remise en cause par les nombreux rapports internationaux sur ses dysfonctionnements, la CENI a été sommée de résoudre ses problèmes logistiques et d'afficher un minimum de transparence dans la publication de ses résultats. Un atelier d'évaluation a été créé afin de prendre en compte les fichiers électoraux, la cartographie et la gestion des résultats. Un "toilettage homéopathique" insuffisant par l'opposition et bons nombres d'organisations congolaises des Droits de l'homme.

En attendant le (probable) scrutin de janvier 2013, les institutions de RDC doivent composer avec ce décalage du calendrier électoral. Interrogé par Radio Okapi, le sénateur d'opposition, Moise Nyarugabo parle de "crise de légitimé". "Comment faire fonctionner une nouvelle Assemblée nationale avec un ancien Sénat ?" se demande Nyarugabo. Certaines situations sont en effet cocasses, comme celle de l’ancien gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, élu député national et qui continue d’être gouverneur "puisse qu’aucune élection n’a été organisée pour désigner son remplaçant".

Christophe RIGAUD

RDC : Débat à Paris sur le "Processus de démocratisation" le 24 avril

Une conférence sur la situation politique en République démocratique du Congo (RDC) est organisée par Avenir du Congo-Devoir de Mémoire. Ce débat se posera la question : "Etat de droit au Congo : où en sommes nous ?". Le rôle et l'avenir de diaspora congolaise sera également évoquée, notamment autour de la problématique de la double-nationalité.

10x15_manif_verso.jpg24 avril 1990 - 24 avril 2012 : 22 ans après "l'ouverture de l'espace politique congolais " par le président Mobutu, le processus de démocratisation sera au centre d'une conférence organisée ce mardi 24 avril, à Saint-Denis, en banlieue parisienne. Plusieurs personnalités sont invitées à ce débat public :

- Professeur Julien CIAKUDIA, Panafricaniste et Lobbyste international, Théologien et Sociologue formé à l'Université de Montréal au Canada,
- Gaspard-Hubert LONSI KOKO, Essayiste, Ecrivain et Homme politique. Candidat député aux élections de 2011 à Madimba au Bas-Congo,
- BABI BALUKUNA, Journaliste, Homme politique, emprisonné par la police avant les élections pour ses idées. Candidat député aux élections de /2011 à Kinshasa.
- Yves MAKABI MUNGWAMA. Ambassadeur des jeunes et candidat aux élections législatives de 2011à Kinshasa,
- Pasteur Philippe KABONGO-MBAYA, Docteur en Théologie, Sociologue, Pasteur de l'Eglise reformée de France. Expert, il a été chargé de mission à l'Alliance réformée mondiale pour les Eglises de l'Afrique francophone en 1992 et il est le représentant de l’Alliance réformée mondiale pour la République démocratique du Congo.

Autour de la question : "Etat de droit au Congo : où en sommes nous ?", d'autres thématiques seront abordées :

-QUE FAUT-IL POUR REMETTRE LA DIASPORA DANS SES DROITS AU CONGO?
-LE DEGRE DE CULTURE POLITIQUE DE L'ELITE CONGOLAISE
-LA PROBLEMATIQUE DE LA DOUBLE NATIONALITE. COMMENT LA RESOUDRE?

Le débat sera modéré par Christelle KAVOKA et Alain NDONGISILA.

Cette conférence se tiendra le mardi 24 avril 2012 de 17h45 à 21h30, 2 boulevard de la Libération, 93200 Saint-Denis. Contacts : rdc.devoirdememoire@gmail.com

20 avril 2012

RDC : Kivu, retour en zone grise

Les élections contestées de novembre 2011 ont masqué la dégradation de la situation sécuritaire à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). La tension dans les Kivu a redoublé d'intensité avec les défections de l'armée régulière d'ex-rebelles du CNDP de Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale (CPI). Le régime de Kinshasa se retrouve une nouvelle fois face à une situation qui lui échappe dans un territoire qu'il ne contrôle plus vraiment.

carte RDC Afrikarabia Nord Kivu.jpgZone grise : territoire géographique dont l'Etat a perdu le contrôle. Depuis plus de 15 ans, le Nord et le Sud Kivu répondent à ce concept décrit par Gaïdz Minassian dans un récent essai (1). Des guerres sans fin se sont succédées dans ces deux provinces de l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). A l'origine des conflits : des tensions ethniques et foncières conjuguées aux soubressauts du génocide rwandais de 1994. Les milices des mouvements impliqués dans le génocide des tutsi traversent la frontière et s'installent dans les Kivu. Deux guerres plus tard et le régime Mobutu renversé, la situation sécuritaire s'améliore peu à l'Est. Un dizaine de milices, congolaises, rwandaises ou ougandaises continuent de semer la terreur au sein de la population civile. Le bilan de ces conflits à répétition est très controversé, mais on parle de 2 à 4 millions de morts. Actuellement, 1,7 millions de réfugiés errent dans l'Est de la RDC en attendant un hypothétique retour dans leurs villages. En toile de fond de ces 15 années de guerre, on trouve toujours cette constante : l'absence de l'Etat et l'incapacité de l'armée congolaise à rétablir la sécurité dans les Kivu.

En 2008, un mouvement politico-militaire, le CNDP de Laurent Nkunda, défendant les intérêts des Tutsi dans la région, lance une opération armée au Nord-Kivu et menace de prendre la ville Goma. Le régime de Joseph Kabila vacille pendant quelques jours. Pour ne pas avoir à partager le pouvoir avec ses opposants, Kabila cherche la victoire militaire, sans y parvenir. Finalement, la paix signée en 2009 ne sera qu'un compromis politique puisqu'elle prévoit l'intégration des rebelles dans l'armée régulière et la mue du CNDP en parti politique en vue de participer à la vie politique congolaise. Mais l'intégration des troupes du CNDP dans l'armée s'opère difficilement et les membres du CNDP sont toujours bloqués aux portes du gouvernement. Depuis Kinshasa, Kabila voit le contrôle des Kivu toujours lui échapper et veut donc à tout prix se débarrasser de Nkunda. Le président Congolais passe alors un accord avec son voisin rwandais. La RDC autorise l'armée de Paul Kagame à venir traquer les rebelles FDLR sur son territoire et en contre-partie le Rwanda "arrête" Laurent Nkunda. Joseph Kabila soutient le "putsch" de Bosco Ntaganda au sein du CNDP. Laurent Nkunda est effectivement interpellé par le Rwanda et Ntaganda est propulsé général dans l'armée régulière congolaise (FARDC). Désormais, le nouvel homme fort des Kivu ne s'appelle plus Laurent Nkunda, mais Bosco Ntaganda. Au cours de l'intégration des soldats du CNDP dans l'armée, certains prétendent que c'est l’armée congolaise qui est intégrée au CNDP et non l'inverse… c'est tout dire.

A cette période (après l'arrestation de Nkunda en 2009), le tour de passe-passe réalisé par Joseph Kabila donne l'impression de porter ses fruits. La situation sécuritaire s'améliore (légèrement) dans l'Est de la RDC et les ex-CNDP de Ntaganda (maintenant intégrés dans l'armée régulière) se font discrets. Pourtant, la rébellion tutsi contrôle toujours la région et ses nombreuses zones minières. En 2011, Joseph Kabila croit même pouvoir se servir de l'ex-rébellion pour "sécuriser" et "pousser" sa réélection à la présidence en novembre. Et ça marche. Même si quelques éléments du CNDP grincent des dents à devoir "servir" Kabila, l'ennemi d'hier, il semble que contre monnaie sonnante et trébuchante, les ex-rebelles soutiennent la candidature du "raïs" dans l'Est (Kabila y réalisera d'ailleurs "d'excellents" score).

Enter 2009 et 2012, la carte Ntaganda s'avère payante pour le leader congolais. Kabila peut afficher une (toute) relative stabilité à l'Est et se targuer de ses bonnes relations avec son voisin rwandais. Un accord avec son encombrant voisin, qui cache mal la faiblesse politique et militaire de l'Etat congolais dirigé par Kabila. Mais le mariage de raison entre Kabila et Kagame passe par Ntaganda et Bosco va alors se révéler un allié très embarrassant.

Début 2012, la Cour pénale internationale (CPI) prononce la culpabilité du chef de guerre congolais Thomas Lubanga.  Cet ancien "collègue" de Bosco Ntaganda est accusé de crimes de guerre et d'enrôlement d'enfants de moins de quinze ans. Dans la foulée de la condamnation de Lubanga, la CPI demande l'arrestation immédiate de Ntaganda, accusé du même chef d'inculpation. Jusque là, Joseph Kabila avait toujours refusé de livrer Ntaganda à la CPI. Pour le chef de l'Etat congolais, Ntaganda a toujours garanti "la paix dans les Kivu" et son arrestation risquerait de relancer la guerre à l'Est. Mais après sa réélection douteuse, Joseph Kabila est impatient de donner des gages de bonnes volonté à la communauté internationale. L'arrestation de Ntaganda est donc devenu "chose possible" pour Joseph Kabila, même si le président congolais ne le livrera pas à la CPI, mais souhaite le juger au Congo (il faut dire que Ntaganda connaît de nombreux secrets sur les accords en la RDC le Rwanda).

Après ce retournement de situation de Joseph Kabila, Bosco Ntaganda décide de montrer ses muscles en demandant à ses soldats (environ 3.000 hommes) de quitter l'armée régulière et en menaçant de reprendre la rébellion. Au risque d'embraser de nouveau les Kivu. Pour Joseph Kabila, c'est "retour à la case départ", comme en 2008. L'Est rebascule en "zone grise" et le problème ne s'appelle plus Nkunda, mais Ntaganda.

Dans une analyse très complète sur la situation à l'Est, le chercheur Thierry Vircoulon, d'International Crisis Group (ICG) relève les effets pervers des accords de 2009 et note que "l'intégration du CNDP dans l'armée a ouvert la voie à une prise de contrôle silencieuse d’une grande partie des Kivus, aussi bien militaire (commandement parallèle, refus d’être déployé en dehors des Kivus) qu’économique (prédation sur les populations, contrebande de matières premières et accaparement de terres)". Thierry Vircoulon remarque également que la disparition de l'éminence grise de Kabila, Katumba Mwanke, a profondément ébranlé le régime de Kinshasa, en créant "un vide du pouvoir". Pour ce chercheur, "au-delà du cas personnel de Ntaganda", c'est "la représentation politique du CNDP et des Tutsi congolais qui est en jeu". On notera l'absence de membres du CNDP dans les différents gouvernements, depuis l'accord de 2009, mais aussi lors des élections législatives de novembre 2011. Thierry Vircoulon souligne l'annulation des élections législatives dans le Masisi (le fief du CNDP) pour cause de fraude. Une annulation qui remet en cause le fragile équilibre des communautés au Nord-Kivu. Pour le chercheur d'ICG, "seules de nouvelles élections peuvent permettre de trancher la question du contrôle politique dans cette province."

La situation est donc extrêmement préoccupante dans l'Est de la RDC et le risque de voir ressurgir les vieux démons de la guerre sont bien réelles. Comme souvent, l'avenir de la région passe par Kigali. Pour le moment, rien ne filtre sur l'attitude que le président rwandais adoptera avec son voisin congolais. Ntaganda est une pièce importante pour Kagame sur l'échiquier congolais. Arrêter Ntaganda ferait ressurgir les anciens du "CNDP-Historique", fidèles à Laurent Nkunda… et pourquoi pas Laurent Nkunda lui-même Et cela, ni Kinshasa, ni Kigali ne le souhaite.

Christophe RIGAUD

(1) "Zone grise : quand les états perdent le contrôle" de Gaïdz Minassian. Ed. Autrement 2011.

(2) L'article de Thierry Vircoulon est accessible ICI.

19 avril 2012

RDC : Matata Ponyo, un techno à la primature

Joseph Kabila joue la normalisation avec la nomination d'Augustin Matata Ponyo comme nouveau Premier ministre de la République démocratique du Congo (RDC). 5 mois après des élections contestées, l'arrivée de Matata Ponyo à la primature vise avant tout à rassurer les bailleurs de la RDC. Ce technocrate de 47 ans constitue le nouvel atout économique de Joseph Kabila et disposera d'une importante marge de manoeuvre à la tête de son gouvernement.

Capture d’écran 2012-04-19 à 18.06.45.pngLe "survivant" Augustin Matata Ponyo revient de loin. Le 12 février 2012, Matata Ponyo était ministre des finances de RDCet se trouvait à bord de l'avion Katanga Express qui s'est brisé dans un ravin sur la piste de l'aéroport de Bukavu. L'accident fait 6 morts, dont l'éminence grise de Joseph Kabila, Augutin Katumba Mwanke. Depuis ce jour, son nom était de plus en plus souvent cité au Palais pour la primature. Car, au-delà de sa nouvel aura de "survivant", Matata Ponyo possède plusieurs atouts pour la président Kabila.

Après un cycle électorale calamiteux, entaché de nombreuses irrégularités, Joseph Kabila se devait de rassurer la communauté internationale et principalement les multiples bailleurs de la RDC. Le pays vit en effet depuis plus de 15 ans sous perfusion de l'aide internationale. Augustin Matata Ponyo a l'avantage de connaître parfaitement les grands équilibres macroéconomiques, ainsi que les principales institutions internationales. Formé en économie monétaire et internationale à l'Université de Kinshasa, où il a été professeur assistant, il a ensuite suivi une carrière au sein de la Banque Centrale du Congo (BCC) et a été plusieurs fois conseiller économique du ministère des finances.

Arrivé au poste de Ministre de finances en 2010, Matata Ponyo stabilise l'économie nationale et obtient une réduction de la dette de la RDC de 12,3 milliards de dollars. Un tour de force dont les Congolais ne verront pas vraiment les effets : les prix augmentent, les salaires stagnent et 80% de la population vit toujours avec moins de 2 dollars par jour.

Sur le plan politique, le choix d'Augustin Matata Ponyo à la primature constitue un compromis intéressant pour le président Kabila. Entre les "purs et durs" du PPRD (le parti présidentiel) et "l'ouverture" à l'opposition (dont Kabila ne voulait pas), le choix d'un "techno" s'imposait. Avec Matata Ponyo, Kabila joue l'apaisement avec la communauté internationale et pourra toujours "débaucher" quelques personnalités issues de l'opposition dans le nouveau gouvernement pour afficher une "ouverture" de façade. Dernier élément concernant le nouveau premier ministre congolais : Matata Ponyo sera sûrement le premier à ce poste à disposer d'une marge de manoeuvre aussi importante à la tête du gouvernement congolais (depuis Gizenga et Muzito)… encore faudra-il qu'il en fasse quelque chose ?

Christophe RIGAUD

16 avril 2012

RDC : L'urgence d'une réforme militaire

Un rapport mené par 13 ONG internationales et congolaises demandent de toute urgence "un nouvel accord sur la réforme du secteur militaire" en République démocratique du Congo 'RDC). Alors qu'à l'Est du pays, les bruits de bottes se font de nouveau entendre sous la menace des soldats de Bosco Ntaganda, l'absence d'une réforme du secteur de la sécurité "mettrait en péril non seulement l'impact des millions de dollars d’aide internationale accordée à la RDC, mais aussi la stabilité du pays".

Capture d’écran 2012-04-15 à 21.35.45.pngDans un rapport intitulé, "Prendre position sur la réforme du secteur de la sécurité", 13 organisations internationales, mais aussi congolaises, s'inquiètent de l'absence d'une armée et d'une police congolaises efficaces, qui "n'assurent plus la sécurité" et qui "s'en prend activement à la population". Selon Emmanuel Kabengele, coordinateur national du Réseau de la société civile congolaise pour la Réforme du Secteur de la Sécurité et de la Justice (RRSSJ), "de nombreux problèmes liés au conflit en RDC, qui demeuraient apparemment insolubles, peuvent être imputés à des dysfonctionnements l’armée, de la police et des tribunaux. Le gouvernement congolais n’a toujours pas entrepris d’action concrète pour réformer ces institutions cruciales".

Le rapport dénonce également la passivité de la communauté internationale. Pour Emmanuel Kabengele, "la communauté internationale a continué de soutenir le gouvernement en investissant des montants et des efforts importants, sans pour autant obtenir de résultats. Il est grand temps que les donateurs exigent du gouvernement congolais qu’il lance une véritable réforme de l’armée". Les auteurs du rapports estiment que "la principale raison de l’échec de la réforme de l’armée en RDC est le manque de volonté politique de certains membres du gouvernement congolais – notamment ceux qui profitent de la corruption endémique".

Le rapport souligne enfin "le rôle essentiel que la communauté internationale doit jouer". "En cinq ans, les pays donateurs ont à eux seuls investi plus de 14 milliards de dollars US en RDC. Pourtant, seul un pour cent de cette somme, soit 140 millions de dollars US, a été consacré à la réforme du secteur de la sécurité. L’aide internationale représente désormais près de la moitié du budget annuel de l’Etat congolais. Les donateurs peuvent donc avoir une influence considérable sur le pays. Or, malgré cet investissement colossal, la RDC a régressé : le pays occupe actuellement la dernière place du classement de l’ONU en termes de développement humain". Aux premiers rangs des donateurs internationaux en RDC, on trouve les États-Unis, l'Union européenne, le Royaume-Uni, la France et la Belgique, mais aussi la Chine, l’Afrique du Sud ou l’Angola.

"Le nouveau gouvernement doit saisir l'opportunité de recentrer son action sur la mise en œuvre d’une réforme de la sécurité effective et durable", note Pascal Kambale de l’Open Society Initiative for Southern Africa (OSISA). "Il est temps pour la communauté internationale et le gouvernement congolais d’œuvrer à une réforme de la police et de l’armée qui permette au Congo de protéger ses propres civils".

 Le rapport propose un certain nombre de recommandations, comme :
- "exclure des postes à responsabilités les individus qui entravent cette réforme, et au besoin les traduire en justice",
- "instaurer un organe de coordination efficace dédié à la réforme de l’armée",
- "lancer un forum de haut niveau sur la réforme du secteur de la sécurité (RSS) en RDC",
- "élargir l’actuel Groupe de contact pour les Grands Lacs afin qu’il intègre d’autres partenaires clés, tels que l’Angola, l’Afrique du Sud et la Chine",
- "élaborer des critères permettant de mesurer les progrès réalisés en matière de RSS, par exemple s’agissant du respect des droits humains par l’armée".
Et enfin le plus important : "faire du respect de ces critères l’une des conditions à l’octroi d’un soutien financier", ce qui n'a jamais été le cas en RDC.

RDC : "Ntaganda doit être arrêté"

L'ONG américaine Human Rights Watch (HWR) demande au président Joseph Kabila "d'ordonner immédiatement l'arrestation du général Bosco Ntaganda et de le transférer sans tarder à La Haye pour qu'il soit jugé". Bosco Ntaganda est recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre. Allié au régime de Kinshasa, Ntaganda est désormais persona non grata pour le président Kabila, qui souhaite son arrestation, mais son jugement en RDC et non par la CPI.

Capture d’écran 2012-04-15 à 22.24.23.pngDans une déclaration publique prononcée dans l'Est de la RDC le 11 avril 2012, le président Kabila a indiqué qu'il envisageait de faire arrêter Ntaganda. La visite éclair de Joseph Kabila dans cette région survenait dans le contexte d'un retour de l'insécurité dans le Nord Kivu et le Sud Kivu, après que des soldats fidèles à Ntaganda eurent tenté de se mutiner. La déclaration du président a paru signaler un revirement important dans l'attitude du gouvernement congolais vis-à-vis du général Ntaganda, qu'il considérait auparavant comme indispensable à la poursuite du processus de paix dans le pays.

« Le président Kabila a mis clairement l'arrestation de Ntaganda à l'ordre du jour, ce qui constitue un pas très important vers la justice au Congo », selon Anneke Van Woudenberg, chercheuse de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les propos du président Kabila devraient être suivis rapidement d'une arrestation menée en bonne et due forme, d'une manière qui garantisse le transfert immédiat de Ntaganda à La Haye et qui soit sans danger pour les civils. »

La CPI a émis un mandat d'arrêt sous scellés contre Bosco Ntaganda en 2006, l'accusant de crimes de guerre pour avoir recruté des enfants soldats et les avoir fait participer à des combats en 2002-2003 dans le district de l'Ituri, dans le nord-est de la RDC. A l'époque, il était le chef des opérations militaires de l'Union des patriotes congolais (UPC), une milice armée congolaise. Les scellés du mandat d'arrêt ont été levés en avril 2008.

En dépit de ce mandat d'arrêt de la CPI, Bosco Ntaganda a été intégré dans l'armée gouvernementale congolaise et promu général en 2009. Il a pu se déplacer librement dans l'est du Congo sous les yeux de responsables du gouvernement congolais, de Casques bleus des Nations Unies et de diplomates étrangers. Le gouvernement congolais a affirmé que Ntaganda était un partenaire important pour la paix et que l'arrêter ne ferait que compromettre le processus de pacification. Les organisations de la société civile congolaises ont à plusieurs reprises dénoncé sa promotion et réclamé son arrestation.

Au cours de la dernière décennie, Human Rights Watch a fréquemment documenté le rôle qu'a continué à jouer Bosco Ntaganda dans d'atroces violations des droits humains, dont des massacres ethniques, des meurtres, des viols, des actes de torture, ainsi que le recrutement d'enfants soldats. La politique du gouvernement consistant à récompenser des commandants impliqués dans des violations, comme Ntaganda, en les nommant à des postes hiérarchiques dans l'armée, démontre un mépris cruel pour les victimes de leurs atrocités, a affirmé Human Rights Watch.

« Ntaganda s'est promené effrontément dans les restaurants et sur les terrains de tennis de Goma, arborant son impunité comme une médaille tout en se livrant à d'impitoyables violations des droits humains », a ajouté Anneke Van Woudenberg. « Les Nations Unies et d'autres devraient prêter leur concours à son arrestation en bonne et due forme, qui n'a que trop tardé, et ainsi apporter un peu de soulagement à ses nombreuses victimes. »

En mars, la CPI a déclaré Thomas Lubanga, le co-accusé de Ntaganda, coupable de crime de guerre pour avoir recruté et utilisé des enfants soldats, dans un jugement qui constituait son premier verdict. A la suite de ce verdict, le procureur de la CPI a annoncé qu'il allait ajouter les chefs d'accusation de viol et de meurtre dans le dossier à charge ouvert à l'encontre de Ntaganda, en rapport avec ses activités en Ituri.

Le verdict de la CPI à l'encontre de Lubanga a mis en lumière l'impunité dont continuait à bénéficier Ntaganda et a accru les pressions en faveur de son arrestation, a souligné Human Rights Watch. Craignant l'imminence d'une action contre lui, Bosco Ntaganda a encouragé ses troupes à quitter les rangs de l'armée congolaise. Mais sa manœuvre s'est retournée contre lui car quelques centaines d'hommes seulement se sont ralliés à lui, dont beaucoup ont par la suite de nouveau rejoint l'armée régulière ou ont été arrêtés quelques jours plus tard.

Dans son discours de Goma, Joseph Kabila a dénoncé ces défections et l'indiscipline dans l'armée et a déclaré: « Cela nous donne des raisons d'arrêter n'importe quel officier, à commencer par Bosco Ntaganda. »

Joseph Kabila a également évoqué la possibilité que Ntaganda soit jugé en RD Congo, plutôt que transféré devant la CPI après son arrestation.

« Nous n'avons pas besoin d'arrêter Bosco pour le livrer à la CPI », a-t-il dit. « Nous pouvons l'arrêter nous-mêmes, et nous avons plus d'une centaine de raisons pour le faire, et le juger ici, et si ce n'est pas possible, ailleurs, par exemple à Kinshasa [la capitale], ou encore ailleurs. Nous ne manquons pas de raisons. »

Cependant, le gouvernement congolais a lui-même saisi la CPI de la situation dans le pays, en 2004. En tant qu'État partie au traité ayant constitué la CPI, la RD Congo est légalement tenue de coopérer avec la Cour et de suivre ses procédures, y compris d'exécuter le mandat d'arrêt lancé contre Ntaganda.

Si le gouvernement congolais souhaitait juger Ntaganda en RD Congo, il devrait déposer un recours devant les juges de la CPI, contestant l'admissibilité du dossier et démontrant que le système de justice congolais est réellement désireux et capable de poursuivre Ntaganda pour les mêmes crimes, dans le cadre d'une procédure équitable et crédible. Il reviendrait finalement aux juges de la CPI de décider si un procès national organisé en RD Congo pourrait s'imposer comme une meilleure solution que ses propres procédures.

Le système judiciaire en RD Congo a fait la preuve de ses faiblesses lorsqu'il s'est agi de faire rendre des comptes aux responsables de violences généralisées, a rappelé Human Rights Watch. Très peu d'officiers de haut rang ou de chefs de groupes armés ont été amenés à répondre de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité, malgré le grand nombre de crimes graves commis au cours des récents conflits armés en RD Congo. Les tribunaux militaires souffrent d'un manque de moyens, sont souvent handicapés par des ingérences politiques et beaucoup de leurs procédures sont loin de respecter les critères internationaux en matière de procès équitable. Certaines des personnes qui ont été condamnées ont réussi à s'évader de prison.

« Ntaganda a à répondre de beaucoup de crimes mais ce n'est pas le moment pour la RD Congo de revenir sur ses obligations juridiques vis-à-vis de la CPI », a conclu Anneke Van Woudenberg. « Sans d'importants investissements et des réformes, le système judiciaire de la RD Congo sera incapable de statuer de manière équitable sur les crimes internationaux dont Ntaganda est accusé. Quand il sera arrêté, il devrait être transféré dans les plus brefs délais à La Haye, afin que ses victimes puissent être enfin entendues par la justice. »

13 avril 2012

RDC : Aubin Minaku prend le perchoir

Sans surprise, Aubin Minaku, cadre du PPRD, a été élu nouveau président de l'Assemblée nationale en République démocratique du Congo (RDC). Il s'agit du premier changement institutionnel en RDC depuis les élections contestées de novembre 2011. L'opposition a boycotté le vote.

Image 9.pngAubin Minaku était seul en lice pour représenter la Majorité présidentielle au perchoir de l'Assemblée nationale congolaise, il a donc été logiquement élu au perchoir. Responsable du PPRD, le parti du président Joseph Kabila, Aubin Minaku devra jongler avec les 340 députés de la Majorité présidentielle et la soixantaine de partis qui la compose. Il devra également faire face à quelques 120 députés de l'opposition, une première en RDC où l'opposition se limitait à la portion congrue. A 46 ans, ce député du Bandundu et juriste de formation est présenté comme un fin tacticien et un bon connaisseur de l'arène politique congolaise. Aubin Minaku avait piloté la campagne électorale de Joseph Kabila au sein de la Majorité présidentielle : un atout essentielle pour "tenir" une majorité très "éclatée".

Pour l'élection du bureau de l'Assemblée nationale, l'opposition a dénoncé "des tricheries" et accuse la majorité de s'être "ingérée dans les affaires de l'opposition" en imposant ses propres candidats d'opposition (très différents de ceux proposés par les partis). L'UDPS et le MLC avaient en effet désigné d'autres candidats que ceux proposé et élu au poste de 2e vice-président et de rapporteur adjoint (des postes réservés à l'opposition). Pour protester contre cette "sélection" des opposants par la majorité, les députés du MLC et de l'UDPS ont quitté la salle au moment du vote.

Après l'élection du président de l'Assemblée nationale, le président Kabila devrait prochainement nommer son prochain Premier ministre. Côté PPRD, Evariste Boshab tient toujours la corde, mais le président Kabila pourrait être tenté par une ouverture (timide) vers l'opposition où Léon Kengo et François Muamba (ex-MLC) essayent de se positionner.

Christophe RIGAUD

RDC : 33 députés sont exclus de l'UPDS

Le leader de l'UDPS, Etienne Tshisekedi, avait promis de radier les députés de son parti qui siégeraient à l'Assemblée nationale... c'est chose faite depuis le 10 avril. Etienne Tshisekedi, qui ne reconnaît pas les résultats des dernières élections présidentielle et législatives, avait opté pour le boycott de l'Assemblée au risque d'isoler son parti de la scène politique congolaise. 33 députés de l'UDPS ont décidé de siéger et se retrouvent désormais sans étiquette politique.

Image 8.pngEtienne Tshisekedi a donc mis ses menaces à exécution : 33 députés du parti d'opposition ont été "auto-exclus" par les instances de l'UDPS. Les 33 fautifs n'avaient pas respecté la règle de boycott imposée par Etienne Tshisekedi. Candidat malheureux à l'élection présidentielle de République démocratique du Congo (RDC) en novembre 2011, le patron de l'UDPS conteste la réélection de Joseph Kabila et les résultats des élections législatives. De nombreuses organisations internationales avaient pointé les irrégularités et les soupçons de fraudes massives, sans effets sur les résultats définitifs des élections.

Alors que les autres partis d'opposition ont tous décidé de siéger à l'Assemblée, Etienne Tshisekedi est resté campé sur sa position : le boycott de toutes les institutions issues des élections "frauduleuses". Cette décision passe mal auprès de nombreux cadres de l'UDPS qui craignent d'être marginalisés et inaudibles dans l'espace politique congolais. Selon eux, la stratégie du boycott (maintes fois utilisée par Tshisekedi) "n'a jamais payé par le passé". Divisée, l'UDPS risque l'éclatement, comme après chacune de ses défaites électorales. Lassés par l'irrédentisme d'Etienne Tshisekedi, certains cadres ont déjà rejoint d'autres formations politiques, comme l'UNC de Vital Kamerhe. Des départs pour l'instant marginaux.

Préférant parler "d'auto-exclusion constatée" plutôt que de radiation, l'UDPS a communiqué la liste des 33 radiés, le 10 avril dernier. Voici les personnalités concernées par ces exclusions : cliquez ici.

Christophe RIGAUD

12 avril 2012

18e commémoration en France du génocide contre les Tutsis

Plusieurs cérémonies ont été organisées en France dans le cadre de la commémoration du génocide contre les Tutsis au Rwanda. Mais les rescapés dénoncent une réunion provocatrice organisée le 7 avril à Rouen par le réseau négationniste en présence de suspects de génocide réfugiés en France.

Image 6.pngComme chaque année, la commémoration du génocide contre les Tutsis du Rwanda fait l’objet d’une série de cérémonies en France, notamment à Paris. Du 7 avril au 4 juillet 1994, le génocide contre les Tutsis et le massacre politique des Hutus démocrates a fait plus d'un million de victimes dont, selon les autorités rwandaises 934 218 nommément identifiées. Plus de la moitié des victimes étaient des enfants et des jeunes, depuis les nouveaux-nés jusqu’à 24 ans. Entre 75 et 80% des Tutsis qui vivaient au Rwanda ont été exterminés. Parmi les survivants du génocide et massacre politique des Hutus démocrates, plus de 600 000 orphelins, 60 000 veuves, et des milliers de handicapés. En juillet 1994, lorsque la victoire du Front patriotique a fait cesser le carnage, les collines du Rwanda étaient jonchées de cadavres. Aujourd'hui encore, les restes d’un grand nombre de disparus n'ont pas été retrouvés.

La première commémoration organisée par la section française d’Ibuka (“Souviens-toi”) avait lieu samedi 7 avril devant le Mur de la Paix au Champ de Mars. A cette occasion le maire de Paris a fait lire un message où il s’engage à trouver un lieu pour recevoir un mémorial du génocide contre les Tutsis, une demande exprimée depuis longtemps par la communauté rwandaise de France. Un seul lieu de cette nature existe aujourd’hui en France : une Stèle commémorative à Cluny, inaugurée en 2011. C’est à Cluny que se tiendra d'ailleurs la cérémonie de clôture de la 18e commémoration, samedi 30 juin 2012.

Jacques Kabale, l'Ambassadeur de la République du Rwanda en France a organisé une cérémonie du souvenir le 11 avril à Paris en présence de représentants du gouvernement français, de la présidence de la République, des membres du corps diplomatique et des représentants de nombreuses associations, dont Ibuka France.
Tout en reconnaissant les avancées réalisées dans le cadre de la coopération  judiciaire bilatérale entre la France et le Rwanda, Jacques Kabale, a déploré le fait qu’aucun génocidaire n’ait été, jusqu’à ce jour, jugé en France et que de ce fait la France devenait ainsi un havre de paix pour ceux-ci. Il a toutefois salué la création du « Pôle Génocide et Crime contre l’Humanité » qui permettra d’extrader des génocidaires présumés vers le Rwanda et le cas échéant de les traduire devant les juridictions françaises et de les juger.
Mme Elisabeth Barbier, représentante du ministère des Affaires étrangères et européennes, a au contraire proclamé la détermination du gouvernement français à poursuivre et à traduire devant la justice les coupables du génocide où qu’ils se trouvent et à lutter contre toute forme de négationnisme. « La France est engagée aux côtés des juridictions pénales internationales et le restera », a-t-elle souligné. Madame Barbier a terminé en précisant que la France souhaitait accompagner le Rwanda dans son développement et souhaitait aussi renforcer les liens d’amitié et de coopération avec le peuple rwandais.

Cependant un évènement est venu ternir le programme des cérémonies : une réunion négationniste a pu être organisée à Rouen (Seine Maritime) le 7 avril à l'initiative de Théogène Rudasingwa, un Rwandais actuellement sous le coup d'un mandat d'arrêt international en suite d'une condamnation par contumace pour atteinte à la sécurité de l'Etat rwandais

Selon l’ambassade du Rwanda à Paris, "cette réunion regroupait  un certain nombre de personnes présumées avoir participé au génocide contre les Tutsis du Rwanda d'avril à juillet 1994, dont Charles Twagira et Claude Muhayimana contre lesquels des procédures sont actuellement en cours devant les juridictions françaises”.
La Chambre de l'Instruction de la Cour d'Appel de Rouen avait  émis le 29 mars dernier un avis favorable à l'extradition de Claude Muhayimana vers le Rwanda pour y être jugé, tout en assortissant sa liberté provisoire d’un contrôle judiciaire strict.

“La date symbolique retenue pour cette rencontre coïncide très exactement avec la commémoration du début du génocide des Tutsis perpétré au Rwanda et est de nature à porter le trouble parmi les nombreux rescapés  résidant en France”, a indiqué l’ambassadeur du Rwanda dans un communiqué qui “ ne peut que constater avec regret ce sérieux incident qui n'aurait pas du échapper aux forces de l'ordre au regard des conventions internationales”.

Capitale du département de Seine Maritime, Rouen abrite le principal réseau de Rwandais négationnistes et de suspects de génocide en France.

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10 avril 2012

RDC : Pourquoi Kabila ne lâchera pas Ntaganda

Recherché par la Cour pénale internationale (CPI) et menacé d'être interpellé par Kinshasa, le général Bosco Ntaganda a démontré sur le terrain que ses hommes pouvaient relancer le conflit à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Dans une entretien accordé à Afrikarabia, le représentant du CNDP en France, le Colonel Jean-Paul Epenge, affirme que Kinshasa n'a "ni intérêt, ni les moyens d'arrêter Bosco Ntaganda". Selon lui, le voisin Rwandais veille à garder son influence à l'Est et le rapport de force militaire reste favorable aux troupes fidèles à Ntaganda. Jusqu'à quand ?

29112004-021.jpgDepuis la condamnation de Thomas Lubanga par la Cour pénale internationale (CPI), les rumeurs autour d'une possible arrestation de Bosco Ntaganda vont bon train à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Comme Lubanga, Ntaganda est accusé par la CPI d'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans en Ituri et d'avoir participé au conflit à l'Est de la RDC. Mais contrairement à Thomas Lubanga, Bosco Ntaganda a rejoint une autre rébellion en 2000, le CNDP de Laurent Nkunda. Il devient alors le chef d'Etat-major du mouvement et participe à la guerre que lance Laurent Nkunda contre le régime de Joseph Kabila dans les Kivu. Mais en 2009, une renversement d'alliance surprise s'opère au sein du CNDP : Ntaganda rallie Joseph Kabila et Nkunda est arrêté par son ancien allié rwandais. Les ex-CNDP de Ntaganda conclu un accord de paix avec Kinshasa et s'intègre dans les rangs de l'armée régulière (FARDC). Un fragile équilibre entre Kabila et Ntaganda permet un retour au calme relatif dans les Kivu et les ex-CNDP soutiennent même le candidat Kabila aux dernières élections de novembre 2011 dans leur zone d'influence. Ce statu-quo arrange tout le monde : Kabila, qui a étouffer le conflit à l'Est, Ntaganda qui a évincé Laurent Nkunda et le Rwanda qui conserve la haute main sur l'Est du Congo-Kinshasa.

L'embarrassant général Ntaganda

Depuis son ralliement à Kinshasa, Ntaganda s'est vu nommer général et coordonne même les opérations militaires contre les rebelles FDLR avec les casques bleus de l'ONU. Kinshasa estime que l'intégration de l'ancien rebelle au sein de l'armée régulière constitue un gage de stabilité dans l'Est du pays, secoué depuis plus de 15 ans par une guerre sans fin. La condamnation de Thomas Lubanga par la Cour pénale internationale a réactivé la machine judiciaire et remis Bosco Ntaganda sur le devant de la scène médiatique. Un coup de projecteur qui embarrasse Kinshasa, accusée de protéger Ntaganda.

Car l'affaire Ntaganda tombe au plus mal pour le président Kabila. Le président de la République démocratique du Congo cherche depuis plusieurs mois à retrouver sa légitimité auprès de la communauté internationale. Le pays a traversé une période électorale trouble, entachée de nombreuses irrégularités et de soupçons de fraudes massives. Kabila aimerait bien donner quelques gages de bonne volonté à la communauté internationale et à ses bailleurs. Pendant ce temps, le procureur de la CPI pousse le régime de Kinshasa à arrêter Ntaganda. La rumeur enfle à l'Est et des soldats fidèles à Ntaganda désertent l'armée régulière pour rejoindre le maquis et en profitent pour effectuer une démonstration de force dans les rues de Goma. La population prend peur et craint le retour de la guerre dans la région.

"Que veut la communauté internationale ? Que l'Est s'embrase ?"

Afin de savoir si Kinshasa prendra le risque d'arrêter Ntaganda, nous avons interrogé le Colonel Jean-Paul Epenge, le représentant du CNDP en France. Pour ce légaliste pro-Nkunda, qui n'a donc jamais soutenu la scission provoquée par Bosco Ntaganda, Joseph Kabila n'a pour l'instant aucun intérêt à lâcher le responsable du CNDP et rallumer la guerre à l'Est. Jean-Paul Epenge "ne pense pas et ne souhaite pas" que Kinshasa arrête Bosco Ntganda. Pour ce responsable du CNDP, les défections des soldats de Ntaganda sont  l'expression "d'un fort mécontentement" vis à vis du pouvoir central. Les officiers de l'ex-CNDP avaient en effet adressés un mémo au président Kabila le 23 septembre 2010 en dénonçant le manque de moyens mis à leur disposition pour traquer les rebelles FDLR, les détournements de salaires et le tribalisme qui régnait au sein des FARDC (l'armée régulière congolaise). Selon Jean-Paul Epenge, "nous n’avons rien obtenu, ne fusse qu’un simple regard  de la part de Kinshasa" et de préciser : "tant que ces revendications  fondées ne seront pas prises en compte, il y aura toujours quelques sursauts d’orgueil et des défections".

Concernant la possible arrestation de Bosco Ntaganda, Jean-Paul Epenge, rappelle l'accord passé entre Kabila et Ntaganda : la paix contre l'intégration des soldats du CNDP dans l'armée. Pour Jean-Paul Epenge :  "il est temps que les fils du Congo soient jugés chez eux. Par exemple, les nouvelles autorités  libyennes ont refusé de livrer Seïf al-Islam Kadhaffi  à la CPI, bien que ce dernier soit leur pire ennemi. Bosco Ntaganda est un général des FARDC, coordonateur adjoint des opérations Amani-Leo qu’il assure avec brio, malgré le manque des moyens." Et de conclure : "il est abject  que d’une part  cette fameuse communauté internationale  travaille en symbiose avec le général Bosco Ntaganda pour une paix définitive dans les Kivu et d’une autre, ils brandissent un mandat d’arrêt contre lui. C’est hypocrite et dangereux. Que veut la communauté internationale ? Que l’Est de la RDC s’embrase encore? Non, les Congolais doivent faire très attention à toutes ces manipulations. Le président Kabila veut la paix, les Congolais aussi, y compris le général  Bosco Ntaganda".

"Le Rwanda ne l'acceptera pas"

Joseph Kabila n'a donc aucun intérêt à livrer Ntaganda à la CPI, au risque de rallumer la poudrière des Kivu. Bosco constitue une pièce maîtresse dans le fragile équilibre qui lie Kinshasa et son turbulent voisin rwandais. D'ailleurs, selon Jean-Paul Epenge, les FARDC rencontreraient de réelles difficultés si elles devaient procéder à l'arrestation de Bosco Ntaganda dans son fief de l'Est. Pour ce colonel du CNDP : "le rapport de force est en notre faveur". Avant de rajouter : "de toute façon, le Rwanda ne l'acceptera pas".

Pour l'instant, Kinshasa et Ntaganda se regardent en chien de faïence : chacun attendant un geste de l'autre. Sur le terrain, le gouvernement congolais se veut rassurant sur le retour à la normale dans les contingents de l'armée régulière et promet d'envoyer des renforts… au cas où. Selon nos informations, les défections des soldats ex-CNDP continueraient au sein des FARDC. Le gouvernement aurait donné jusqu'au 12 avril pour que la situation se régularise à l'Est.

Christophe RIGAUD

Photo : JP Epenge © DR www.afrikarabia.com

03 avril 2012

SciencesPo fait la leçon aux médias sur le Rwanda

De Ouest-France au Figaro en passant par Le Monde, La Croix et Libération, tous en ont pris pour leur grade à la conférence organisée par l’Ecole de journalisme et l’Ecole des relations internationales de SciencesPo sur les « révélations du rôle de la France dans le génocide ».
 
Capture d’écran 2012-04-03 à 21.13.52.png« C'est parce que l'effet génocide lui-même est emboîté dans l'effet Shoah... ». Rony Brauman, l’un des « patrons » de l’Ecole des affaires internationales de SciencesPo, résume à sa façon les racines de ce qu’il qualifie de « dérive des médias ». Point de fixation : la « couverture » par les quotidiens français de l’expertise balistique sur l’attentat contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, attentat qui avait donné le signal du génocide des Tutsis du Rwanda. Tous les grands médias ont rendu hommage en janvier 2012 à ce rapport d’expertise commandé par le juge antiterroriste Trévidic, et qui anéantit la théorie de tirs de missiles de la colline Masaka où le Front patriotique (la rébellion majoritairement tutsie) aurait introduit un commando. Une conférence conjointe avec Mme Agnès Chauveau, directrice de l'école de journalisme de SciencesPo et Mme Claudine Vidal, universitaire spécialiste du Rwanda, a conduit à fustiger les quotidiens français. Il était néanmoins interdit de filmer ou enregistrer cette conférence qui prétendait donner des leçons de transparence et de déontologie aux journalistes (lire encadré : une dérive sectaire à SciencesPo).
 
Interdiction de filmer ou enregistrer la conférence
 
L’annonce de cette conférence avait pourtant été largement diffusée sur internet avec une adresse mail (psia.events@SciencesPo.fr). Rendez-vous était pris pour le mercredi 28 mars à l’Amphithéâtre Eugène d’Eichtal, 27 rue Saint Guillaume à Paris 75007. La conférence-débat était intitulée « Rwanda : quelles « révélations » sur le rôle de la France dans le génocide ».
Le projet était ainsi affiché : « La publication du rapport d’expertise sur l'attentat contre l’avion du président Habyarimana en avril 1994 a donné lieu à de vives réactions dans la presse. Pour l'essentiel, et sans que le contenu du rapport le permette, les auteurs des articles concluaient à la confirmation de l'hypothèse d'un complot provenant de l'entourage du président assassiné. Les journalistes dressaient un tableau de la scène des intervenants français sur cette question ne mettant en présence que deux camps déterminés par leurs affiliations politiques : d'une part celui des défenseurs du Hutu Power, acteurs ou complices du génocide, d'autre part celui des victimes et de leurs porte-parole aux côtés de l'actuel régime rwandais. Nulle place n'y était accordée à ceux qui dissocient les responsabilités de l'attentat et celles du génocide, proposant une analyse plus complexe. Ils ont été d'emblée rejetés dans le camp des tueurs. Quelles sont les logiques médiatiques et politiques à l'oeuvre dans ce phénomène ? Quel rapport entre le génocide des Rwandais tutsis et l'impunité politique dont bénéficie le président Paul Kagame en dépit des exactions de masse commises sous son autorité au Rwanda comme en RDC? Grâce à des conférences données par d’éminents invités, PSIA crée un forum propice au débat des affaires internationales. »
Des thèmes ambitieux, des annonces parfois alambiquées, qui méritaient qu’on s’y intéresse de près.
 
« Ils ont été d'emblée rejetés dans le camp des tueurs »
 
Ayant été empêché de filmer et/ou d’enregistrer la conférence, j’ai été contraint de prendre des notes au vol. Pour des raisons déontologiques évidentes, je rédigerai donc mon compte-rendu à la première personne, et j’indique ne pouvoir en raison de cette double interdiction garantir entièrement la reproduction littérale des propos échangés, la présente transcription se voulant la plus fidèle possible. Par ailleurs on avait oublié de me dire que la conférence était déplacée à l’Ecole des Affaires Internationales, 28 rue des Saints-Pères. Je n’y suis donc arrivé que vers 17 h 10 dans une petite salle comble. Claudine Vidal venait de commencer à s’exprimer et j’avais visiblement raté le mot d’introduction de Rony Brauman.
 
Eléments de compte-rendu
 
Claudine Vidal explique que ce n'est pas faute pour elle d'avoir demandé une enquête sur l'attentat du 6 avril 1994. « Au Tribunal pénal international, une équipe spéciale avait commencé à enquêter mais le procureur Louise Arbour a enjoint aux enquêteurs d'arrêter leur travail et donc on ne sait rien de plus. Dans le rapport de la mission d'information parlementaire sur le Rwanda en France il y a un chapitre sur l'attentat mais pas de conclusion. (...) Ensuite, il y  a une "fuite" le 30 janvier 2004 par Le Monde. »
 
Claudine Vidal évoque l'ordonnance du juge Bruguière du 17 novembre 2006 qui demande la mise en cause de Paul Kagame et se traduit par neuf mandats d'arrêt internationaux contre ses proches. Elle indique que cette ordonnance a entraîné le 24 novembre 2006 la rupture des relations diplomatiques à l'initiative du Rwanda. Elle évoque l'arrestation en Allemagne de Rose Kabuye le 9 novembre 2008. Elle revient alors en arrière pour indiquer qu'à l'initiative des autorités de Kigali, une commission d'enquête sur l'implication de la France dans le génocide a été instituée. Enfin, elle évoque la publication du rapport d'expertise balistique commandée par le juge Trévidic et rendu public le 10 janvier 2012 dans des conditions qu’elle ignore.
 
Rony Brauman : « Effectivement, c’est curieux, on ne sait pas comment ce rapport est apparu ! »
 
Claudine Vidal : « La presse hexagonale a repris sans critique le discours des avocats du FPR. Ceux-ci ont organisé une conférence de presse l'après-midi du 10 janvier de 14 à 18 heures. Or les journaux ont immédiatement réagi, bien qu'ils n'aient pas pu avoir connaissance du rapport ni même de la conférence de presse. Par exemple sur le site du Nouvel Observateur à 16 heures 33. Libération a publié le 11 janvier une « Une » spectaculaire titrée "génocide rwandais, irréfutable". Une information reprise par Politis le 12 janvier, Ouest-France le 11 janvier. (...) Un seul journal met un bémol le 12 janvier en disant que "le rapport balistique ne clôt pas le dossier" ».
 
« Un seul journal met un bémol »
 
Claudine Vidal lit alors un florilège tiré de la presse écrite française dans les heures et les jours qui ont suivi la publication du rapport d'expertise. Ouest-France, Le Monde, La Croix, aucun média n’échappe à sa verve. Par exemple cette citation de Libération qui semble l'avoir particulièrement choquée : "Des experts, des journalistes et des responsables français doivent être mal à l'aise". Elle commente : « D'où sort ce discours de certitude et ce discours de dénonciation ? »
 
Claudine Vidal rend alors hommage à Denis Sieffert, directeur de la revue Politis (présent dans la salle) : « Trois jours après sur Internet, Denis Sieffert publie un article intitulé "Rwanda, de la nécessité de ne pas écrire trop vite". Je le signale, parce que ça démontre que dans les cas très rares, des journalistes acceptent de reconnaître qu'ils ont pu se tromper ou être trompés. Et ce rapport d'expertise je l'ai lu, toutes ces considérations techniques, ça me passe au-dessus de la tête, mais on peut voir ce qu'il [le rapport d’expertise] ne dit pas. (...) Comment expliquer cet élan de la presse ? J’interviens ici avec mon métier. Comment faire dire à un rapport qu'on n'a pas lu ce qu'il ne dit pas ? C'est qu'il existe un récit bloqué. Jamais on ne cite les avocats du FPR comme source, sauf l'AFP. Comme si les journalistes tiraient de leur manche un récit manipulateur. Depuis 1994, journalistes et publicistes, on ne voit un mélange des deux professions. » [Catherine Vidal se lance alors dans une définition du mot "publiciste" qui serait apparu selon elle au XIXe siècle pour caractériser essentiellement des écrivains ou journalistes qui critiquent l'État français. Son explication étant assez alambiquée, je n'entre pas dans les détails].
 
« Il existe un récit bloqué. Jamais on ne cite les avocats du FPR comme source »
 
Claudine Vidal : « Il faut comprendre pourquoi ce récit bloqué a existé et pourquoi il a eu un tel succès. Il s'agit de décharger le rôle du FPR dans l'attentat. Le fond de ce récit bloqué est d’accuser la France d'être impliquée dans le génocide. Déjà en décembre 1998, peu avant la publication du rapport de la mission d'information parlementaire française, on a vu ce récit bloqué accuser Paul Quilès de chercher à dissimuler la responsabilité des autorités françaises dans le génocide. En 2004, il y a eu relance des accusations par Patrick de Saint-Exupéry, journaliste et publiciste qui a publié un réquisitoire contre la politique de la France, ce qui a donné lieu à l'ouverture de ce qui s'est appelé "Enquête citoyenne". L'efficacité de ce récit, c'est qu'il vient une constellation de déterminants hétérogènes. Premièrement, le génocide des Tutsis a suscité une émotion authentique. Deuxièmement, l'échec de la France officielle a offert un boulevard aux révélations africaines, conspirationnistes, etc.. Rony, moi-même et d'autres personnes avons protesté dans La Croix en 2004. Ce discours bloqué cherche à nourrir le soupçon d'une affaire d'État qui voudrait cacher que la France est impliquée dans le génocide. On traite de négationnistes du génocide des Tutsis ceux qui disent que Kagamé a été le commanditaire de l'attentat. L'incrimination de Paul Kagamé tend à le rendre responsable des massacres suscités après cet attentat. Il faut accepter le pluralisme des points de vue. On peut considérer que l'hypothèse de l'implication de Paul Kagamé dans l'attentat n'exonère absolument pas les responsabilités politiques de la France. »
 
« L'efficacité de ce récit, c'est qu'il vient une constellation de déterminants hétérogènes »
 
Agnès Chauveau prend alors la parole : « Je vais examiner comment fonctionne un récit médiatique. Je ne suis pas une spécialiste du Rwanda. Je vais parler du discours de vérité. La recherche de la vérité, c'est le mot juste qui doit s'imposer aux journalistes. Il figure dans la bible du journalisme "The Elements of analysis » de Rosenfeld. Le journalisme est une éthique du comportement il ne doit pas faire référence à l’idée de produire des opinions. Le journalisme, c'est la garantie de l'authenticité des faits. C’est être au service de la vérité. On dit la vérité au public avec une exigence de vérification. Les médias sont un forum de critiques et de débat public. Ces règles ont été adaptées dans différentes chartes. Si on applique celles-ci au cas du Rwanda, on voit combien la déontologie du journalisme n'a pas été respectée ! »
 
«  On voit combien la déontologie du journalisme n'a pas été respectée ! »
 
Agnès Chauveau poursuit : « Dans cette profession il y a des dérives et elles s'expliquent. Je voudrais produire ici une série de pistes de réflexion et d'analyse. Dans beaucoup de cas, la presse est victime de propagande. Toute l'histoire des conflits armés porte son lot de propagandes et de désinformation. Les médias sont victimes de désinformation et de propagande. Pourquoi cela s'amplifie ? Dans un monde médiatisé, le travail de journaliste est extrêmement difficile. Le travail du journaliste est de déjouer les phénomènes de propagande. Or les journalistes se font des relations dans différentes administrations. L'instrumentalisation des médias est de plus en plus l'objectif des belligérants. La seule façon de ne pas être instrumentalisé est de pouvoir recouper ses sources. C'est un travail de décryptage et d'analyse. Il faut y appliquer un appareil critique. Souvent, parce que le journaliste est d'abord un généraliste, il est piégé par la communication. »
« Disons que la thèse du gouvernement rwandais et des avocats du FPR a été reprise sans distance, dans une fuite en avant. Il faudrait publier avec une distance critique contextualisant l'information. L'erreur, elle vient de là, d'un manque de recul, de distance. Et il y a des associations très puissantes, qui arrivent à convaincre les médias. Les médias s'inscrivent dans des considérations plus larges. Il y a des liens de connivence avec certains des informateurs. Le temps de ces éléments inter-réagit. »
 
Agnès Chauveau : « Dans cette profession il y a des dérives et elles s'expliquent »
 
Agnès Chauveau : « Deuxièmement, la presse est victime de la précipitation. On voit bien dans cette affaire la concurrence que se livrent les médias. Sur le Rwanda, c'est particulièrement vrai. Manipulation, précipitation ne suffisent pas à tout expliquer, en particulier l'unanimisme de la presse. Pourquoi existe-t-il déjà un récit bloqué ? Sur le Rwanda, si la presse a unanimement fonctionné sur un récit, c'est bien parce que ce récit révèle notre conscience sur le rôle de la France au Rwanda. Dans la conscience collective des Français il y a un sentiment de culpabilité fort. La France est rendue responsable de bien des conflits armés, notamment en Afrique. Le discours manque de nuances.
 
 La presse est à la recherche du secret d'État et du complot. Révéler les secrets d'État fait partie de l'idéologie du journaliste. Il faut donner du crédit à des thèses conspirationnistes. C'est comme le livre de Saint-Exupéry lorsqu'il cherche à montrer le rôle de la France dans le génocide… quand on mène ce type d'enquête, on apporte des preuves tangibles ! »
 
« Révéler les secrets d'État fait partie de l'idéologie du journaliste »
 
Agnès Chauveau : « La presse est aussi victime du copié conforme. Il faut absolument prendre parti, être présent. Il y a une grille de lecture qui s'impose et souvent on s'aperçoit qu'il y a une sorte de hurlement général avant de chercher les faits. La presse est aussi victime de la compassion et de l'émotion. Le journaliste a tendance à mettre en scène une émotion collective. On ne parle pas des faits. Et quand il y a une erreur, la presse française a beaucoup de mal à reconnaître ses erreurs. D'où l'intérêt du titre de Politis, "Ne pas écrire trop vite". Ce n'est pas très glamour mais c'est un beau recul médiatique.
Les différentes enquêtes ne permettent pas de reconnaître l'auteur de l'attentat. Lorsque j'ai vu la « Une » de Libération du 11 janvier [NDLA : j'écris ce premier segment de phrase de mémoire, car il ne figure pas dans mes notes], vous n'avez jamais vu une « Une » comme ça dans la presse ! Ce n'est pas parce qu'il y a unanimité dans la presse qu'on peut conclure que c'est une opération concertée car la presse est fondamentalement individualiste. Enfin je voudrais dire un mot sur le terme de publiciste car je ne me suis pas tout à fait d'accord avec Claudine Vidal. L'idée que des journalistes seraient qualifiés de publicistes parce qu'ils prennent fait et cause, cela peut aussi s'appliquer aux leaders d'opinion.
Je conclurai en disant qu'il faut s'interroger sur l'efficacité et l'influence de ces récits médiatiques. »
 
« Libération… vous n'avez jamais vu une « Une » comme ça dans la presse ! »
 
Rony Brauman donne alors la parole à Denis Sieffert.
 
Denis Sieffert  explique qu'il avait ouvert depuis peu de temps un blog sur lequel il avait publié ses premières impressions du rapport technique sur l'attentat en se fiant à la presse quotidienne. « Celui qui est fautif, c’est le blog. Je suis assez fier d'avoir commis cette erreur mais beaucoup plus de l'avoir reconnu. La France a une mauvaise réputation en Afrique, à juste titre. Mais l'esprit de système, il faut aussi le combattre. Je ne le suis pas spécialiste du Rwanda au premier degré mais au deuxième degré, en fonction de ce que m'ont dit mes amis, Rony Brauman, Catherine Vidal et André Guichaoua. Je dois dire aussi que chaque média est attendu. On a une dépendance par rapport au lectorat. La majorité des lecteurs de Politis sont proches des associations qui dénoncent la Françafrique. Politis est attendu sur la dénonciation de Mitterrand. À la suite de nos articles [prenant du recul par rapport à l'opinion générale sur l'expertise Trévidic], nous avons subi des pressions énormes. Rony Brauman a partagé cet épisode. Je reçois des mails d'insultes inouïs. »
 
Denis Sieffert : « Je reçois des mails d'insultes inouïs. »
 
Rony Brauman : « C'est parce que l'effet génocide lui-même est emboîté dans l'effet Shoah... »
 
[La parole est donnée à un journaliste de l'AFP dont je n'ai pas retenu le nom mais seulement le prénom, Jean-Pierre.]
 
Jean-Pierre :  « J'ignore toujours qui, dix-huit ans après, a dézingué l'avion d'Habyarimana, même après ce rapport. Ça peut très bien être le FPR, aussi le Hutu Power, j'espère le savoir un jour. En janvier, il s'est produit un événement très curieux. Quand j'ai vu la Une de Libération, je me suis dit "on sait tout"…
 
Rony Brauman : « Le doute n'est pas une information ! »
 
Le journaliste de l'AFP : « … Il y a quand même, de la part de certaines associations, une dénonciation lancinante de la France. »
 
« Une dénonciation lancinante de la France. »
 
La parole est donnée à Renaud Girard, du Figaro.
 
Renaud Girard : « Je suis venu parce que j'ai connu le génocide du Rwanda. Je crois que j'ai été le premier journaliste à rentrer au Rwanda. Je suis passé par le Burundi. J'ai dû acheter une voiture car le propriétaire refusait de la louer. Nous sommes remontés vers Kigali. Nous avons croisé en route l'intégralité du corps humanitaire qui, tous drapeaux déployés, se retirait. Je ne sais pas qui a abattu l'avion. L'idée assez simple est que Kagame l'ait abattu parce que Habyarimana était un obstacle à sa prise de pouvoir. Tout le monde a conscience de la guerre médiatique menée par Kigali. Kagamé a la qualité intellectuelle d'un Bonaparte. C'est un homme très impressionnant, je l'ai rencontré à plusieurs reprises. Pour son régime, il faut vendre une histoire plus sexy où la France est dans le complot [de l'attentat]. Ça ferait un bon film pour Hollywood. Ce n'est effectivement pas le cas. J'ai vu le documentaire de Raphaël Glucksmann diffusé à une heure de grande écoute sur France 3. Ça m'est apparu comme étant très orienté. Deux éléments ont été évacués. On ne précise pas que M. Kagamé avait été chef des services secrets de Museveni. D'autre part, il n'y avait plus de confiance entre les Tutsis et les Hutus depuis ce qui s'est passé au Burundi voisin où l'armée a toujours été tutsie. Au Burundi il y a eu des élections démocratiques. Le président élu était forcément hutu puisque les Hutus composent 80 % de la population. Or en octobre 1993 un militaire tutsi a tué le président hutu et depuis cette date il n'y avait plus de confiance entre les Hutus et les Tutsis. Il est faux de dire qu'il y a eu un complot à l'Élysée pour commettre le génocide des Tutsis du Rwanda. »
 
« Le président élu était forcément hutu puisque les Hutus composent 80 % de la population »
 
[Depuis un bon moment j'ai levé la main pour intervenir. Après un petit aparté entre Claudine Vidal et Rony Brauman, ce dernier me fait signe.]
 
Rony Brauman : « C'est à votre tour de parler mais je vous demande de faire court car l’heure avance ».
 
«  Je m'appelle Jean-François Dupaquier. J'ai 66 ans, je suis journaliste depuis 1967, cela fait 45 ans.
Je voudrais d'abord remercier les organisateurs de ce débat, M. Rony Brauman et Mme Agnès Chauveau, qui ont choisi un thème très intéressant. Je suis venu de loin pour les écouter.
J'ai été témoin expert pour le Parquet au Tribunal pénal international pour le Rwanda, j'ai également participé ou rédigé plusieurs livres sur le génocide. On a entendu ici un discours sur le discours. Je propose de revenir à des considérations plus prosaïques. Un journaliste doit exercer son métier dans des conditions normales. Cela veut dire tout simplement savoir où il se rend, être correctement accueilli et pouvoir rendre compte. Je suis étonné qu'on ne m’ait pas informé tout d'abord du changement de salle lorsque j'ai pris la peine de téléphoner encore hier à l'école de journalisme de SciencesPo. Je n'ai donc pas pu trouver une place assise ni participer au début de la conférence-débat et pas davantage parler avec les organisateurs pour demander l'autorisation d'utiliser un appareil d'enregistrement. Je dois dire à Mme Agnès Chauveau, directrice de l'école de journalisme de SciencesPo mon étonnement de sa façon de faire et plus encore par son indifférence lorsqu'on m’a interdit d'utiliser un caméscope et même un simple enregistreur. C’est rare. Depuis 45 ans que j'exerce mon métier, ce doit être la cinquième fois que ça m'arrive. Ca va me poser des problèmes pour rendre compte de ce débat. Je sais, ce sont des considérations très prosaïques, mais quand on est directrice de la prestigieuse école de journalisme de SciencesPo, au milieu d'étudiants en journalisme, on devrait faire prévaloir les conditions de travail des journalistes. Mme Chauveau, j'ai donc été choqué par votre indifférence ».
 
« Mme Chauveau, j'ai été choqué par votre indifférence »
 
J.-F. D. : « Seconde remarque, je m'étonne que dans un débat concernant le génocide de 1994 au Rwanda et sa "couverture" par les médias français, ne se trouvent à la tribune ni un Rwandais, ni un journaliste, mais seulement des Blancs spécialistes du discours sur le discours. C'est une situation qui me paraît inacceptable, y compris de la part de la directrice de l'école de journalisme de SciencesPo, qui vient de donner un point de vue très critique sur le fonctionnement de la presse et la distance que l'on doit prendre par rapport à l'événement. Je pense que Mme Chauveau pourrait s'appliquer à elle-même les principes qu'elle professe.
 
Troisièmement, je suis étonné de ce qui a été dit à la tribune sur le rapport d'expertise commandée par le juge Trévidic. Au cours de mon exercice professionnel, il m'a été donné de consulter de nombreuses expertises judiciaires, souvent couvertes par le secret de l'instruction, sur les sujets les plus divers. Celle qui est connue depuis le 10 janvier 2012 à l'initiative du juge Marc Trévidic constitue à mon avis un modèle du genre, par sa compétence, sa qualité pédagogique, sa modération. Elle me semble tout simplement exemplaire. Je n'ai pas compris comment les orateurs pouvaient faire l'impasse sur ce rapport, le minimiser ou prétendre qu'ils ne le comprenaient pas. Ce rapport, le voici [je le brandis]. Je l'avais emmené dans le train pour le relire. Comme vous le voyez, il représente un lourd classeur. Je vous invite tout simplement à aller le lire sur Internet. Les étudiants en journalisme présents dans cette salle comprendront alors que la présentation de ce rapport par les orateurs n'est pas conforme à la réalité ». (véhémentes protestations dans la salle du colonel Michel Robardey et de Hervé Bradol, huées).
 
Jean-François Dupaquier : « M. Brauman, Mme Chauveau, vous êtes les organisateurs de cette conférence-débat je vous demande de faire en sorte que je puisse m'exprimer sans être interrompu, comme les autres débatteurs… »
 
Rony Brauman : « Oui, mais achevez vite votre intervention. »
 
« Je propose que l'on aille à la source »
 
Jean-François Dupaquier : « Je ne comprends pas que ma suggestion provoque un tollé. Je propose que l'on aille à la source. C'est ce que prétend enseigner Mme Chauveau à ses étudiants en journalisme. Je précise à cette occasion que la publication du rapport d'expertise n'a rien de mystérieux, contrairement à ce qu'a annoncé M. Rony Brauman tout à l'heure. Ce rapport a été mis en ligne sur le site personnel de M. Jean-Luc Habyarimana durant trois jours, avant qu'il se rende compte de son erreur. Lorsqu'il l’a retiré, il était trop tard, le fichier avait été transféré sur de nombreux sites. Les étudiants en journalisme qui sont présents dans cette salle le trouveront facilement…
Sur la question de l'attentat, l’expertise technique ne dit pas - comme vous l'avez relevé - l’identité des auteurs de l'attentat. Comment les experts le pourraient-ils ? Au terme d'une démonstration très serrée, les experts indiquent que les missiles sont partis du camp Kanombe où se trouvaient des éléments de la garde présidentielle et le bataillon paracommando. Il est difficile de croire que le Front patriotique aurait réussi à s'introduire de nuit au milieu de ce camp, à tirer des missiles et à repartir ensuite sans être inquiété. Il y a quand même un problème de vraisemblance ».
 
Michel Robardey se dresse : « C'est absolument faux, vous êtes un désinformateurs bien connu. J'ai lu ce rapport. Il ne dit pas que les tirs sont partis du camp Kanombe ».
 
« Vous êtes un désinformateur bien connu »
 
Jean-François Dupaquier : « Eh bien, que chacun aille à la source. Nous n'avons pas la même lecture de ce rapport, et alors ? Encore une fois, chacun est en mesure de se faire une opinion car on peut facilement trouver le rapport sur Internet et le jauger sans être un spécialiste du Rwanda. »
 
Rony Brauman : « Vous avez fini ? »
 
Jean-François Dupaquier : « Je voudrais faire une autre observation. On dit que les journalistes peuvent se tromper et devraient le reconnaître. Évidemment. Moi-même j’ai fait des erreurs dans ma carrière. Le reconnaître ne fait pas de moi un héros. Mais nous ne sommes pas les seuls. On peut même trouver une chercheuse émérite du CNRS qui a commis des erreurs. Par exemple un livre entier qui constitue une énorme "boulette". Je n'ai pas besoin d'en dire plus. Simplement, lorsqu'on commet des erreurs, il faut un peu modestie au lieu de faire sans cesse la leçon aux autres. À ce sujet, j'ai entendu les éloges qui ont été adressés à M. Denis Sieffert. Personnellement, je ne les partage pas. J'ai lu sur le site de Politis, après la parution d'un article franchement négationniste sur l’attentat et le génocide, que le magazine se proposait de publier des avis divergents. J'ai adressé un article très court de trois feuillets tout à fait modéré à M. Denis Sieffert. Il ne l'a pas publié. Il ne m'en a même pas accusé réception. Visiblement, il utilise sa position déterminante dans son magazine pour ne diffuser que les thèses les plus contestables sur le génocide des Tutsis. Je m'inscris donc en faux contre les propos tenus tout à l'heure pour lui rendre hommage ».
 
« Je m’inscris en faux contre l’hommage à Denis Sieffert »
 
Rony Brauman : « Nous ne sommes pas ici pour régler des comptes personnels. Ce n'est pas le lieu. »
 
Jean-François Dupaquier : « … Ni pour encenser les copains. Ce n'est pas moi qui ai mis sur le tapis les éloges adressés à votre ami M. Denis Sieffert. Je le droit de donner aussi mon opinion. J’en ai fini ».
 
La parole est donnée au colonel Michel Robardey :
 
Michel Robardey : « Je vous suggère de lire l'ouvrage « Génocide et de propagande » de Edward Hermann et David Peterson [NDR : un ouvrage très contestable préfacé par Noam Chomski dont on connaît le goût pour la provocation]. Il a été publié en anglais, mais on est en train de le traduire dans différents pays d'Europe. Tout est dit. Très rapidement, les conséquences de la désinformation sont à mes yeux beaucoup plus lourdes que vous avez bien voulu le dire. En 1992, j'ai arrêté les massacres du Bugesera. J'y étais. Il nous a fallu plusieurs jours pour y parvenir. Il est vrai qu'environ 300 Tutsis ont été massacrés. Les médias en ont beaucoup parlé. En revanche, quelques mois plus tard à Byumba, des milliers de Hutus ont été tués par le FPR, mais ce massacre, on n’en parle jamais. Les conséquences de l'attentat, on n'en parle que dans un seul sens. Je vous remercie d'être revenus sur toutes ces contraintes qui pèsent sur la presse. »
 
« En 1992, j'ai arrêté les massacres du Bugesera »
 
[On donne alors la parole à un Rwandais qui se présente comme un journaliste en exil et qui critique à son tour "l'histoire officielle" telle que véhiculée par le Front patriotique. Il est un peu loin de moi et je ne parvient pas à transcrire ses propos. Visiblement ils agacent Rony Brauman qui lui demande d'achever car « l'heure est passée ».]
 
Rony Brauman : « Il faut rendre la salle. Il me reste à dire que dans quelques jours, le 6 avril, on va commémorer le génocide pour la dix-huitième fois… »
 
Catherine Vidal : « Le 7 avril… »
 
Rony Brauman : « Oui, le 7 avril. Ce sera sûrement pour retrouver dans la presse ce dont nous avons parlé aujourd’hui. »
 
[Il donne une dernière fois la parole à Mme Chauveau]
 
Agnès Chauveau : « Je conclurai en disant que ce qui compte, c'est la quête de la vérité. Les chartes de déontologie définissent et encadrent les missions du journaliste. »
 
[ Il est 19 h 15. J’observe que la dernière question annoncée au programme, « Quel rapport entre le génocide des Rwandais tutsis et l'impunité politique dont bénéficie le président Paul Kagame en dépit des exactions de masse commises sous son autorité au Rwanda comme en RDC? » n’a jamais été abordée. Et que les débats ne reflètent pas même le titre de la conférence. Le seul souci des intervenants et de leur « claque » était à l’évidence de tenter de disqualifier le rapport d’expertise et l’appréciation des médias sur ce document. Les étudiants de l’Ecole de journalisme de SciencesPo, assez nombreux dans la salle, y ont gagné un  intéressant sujet de réflexions.]
 
Jean-François Dupaquier

 

Une dérive sectaire à SciencesPo ?
 
Capture d’écran 2012-04-03 à 21.32.17.pngCe n’est pas la première fois que les positions très controversées de M. Rony Brauman sur le génocide au Rwanda posent problème. L’ancien président de Médecins sans frontières, écrivain aux opinions estimées sur l’action humanitaire, s’est persuadé que Paul Kagame porte une importante responsabilité du génocide des Tutsi car le carnage était prévisible et il aurait dû tout faire pour l’empêcher. L’idée que l’actuel président du Rwanda a donné l’ordre d’abattre l’avion de son prédécesseur depuis la colline de Masaka s’est enracinée dans son logiciel de compréhension de la tragédie de 1994.  Il n’est pas le seul universitaire dans ce cas. Madame Vidal, Monsieur Guichaoua, monsieur Reyntjens ont partagé cette opinion, tout comme monsieur Péan. L’expertise balistique et technique sur l’attentat du 6 avril 1994 a anéanti la théorie mettant Masaka à l’épicentre des opérations de tir de missile comme le soutenait le juge Bruguière dans son ordonnance de soit communiqué. D’où le malaise clairement perceptible chez ceux qui pendant dix-huit ans ont prétendu le contraire. Ils auraient pu se remettre en question à la suite de cet événement. Ce n’est pas la route choisie par eux. Ils préfèrent minimiser la portée du rapport et éluder le débat ouvert depuis quelques années sur le manque de crédibilité du travail du juge Bruguière. M. Rony Brauman et ses amis tentent de décrédibiliser les journalistes qui ont démontré l’imposture de la « théorie Masaka ». Avec ses lourdes conséquences historiques, morales et idéologiques.
 
Ce qui pose problème, ce ne sont pas les opinions de M. Brauman, pour paradoxales qu’elles soient sur le Rwanda et d’autres crises internationales. C’est la façon dont il use de la réputation de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et de ses filiales pour avancer sa cause.
 
Le 8 février 2006, Roni Brauman avait déjà organisé une conférence sous l’égide de SciencesPo sur le thème « Terreur au Rwanda, les enjeux d’une controverse » se proposant de comparer « l’histoire officielle et l’histoire secrète », une allusion transparente au titre d’un livre porté à bouts de bras par ses amis André Guichaoua et Claudine Vidal qui l’avaient préfacé et post facé. Sous le titre « Rwanda, histoire secrète », un Rwandais exfiltré par les « Services », le « lieutenant » (?) Abdul Ruzibiza prétendait être le témoin direct du tir des missiles depuis la colline de Massaka. Il a été prouvé que Monsieur Ruzibiza n’était ni à Kigali ni à Massaka au moment des événements et l’intéressé a même reconnu avoir endossé fallacieusement l’habit du témoin direct sur recommandation des enquêteurs français. Au moment de la tenue de cette conférence, Ruzibiza n’apparaissait pas encore pour ce qui se révéla bientôt après des rétractations à géométrie variable : un affabulateur manipulé par quelqu’officine de la Françafrique. Malgré leur agitation auprès des médias pour « remonter la pente » - y compris avec l’assistance de M. Brauman -, les deux universitaires y ont laissé quelques plumes de leur réputation scientifique.
 
 La conférence du 8 février 2006 sous l’égide de Sciences Po présente un double intérêt. D’une part, elle mettait en vedette trois universitaires, Claudine Vidal, André Guichaoua et Filip Reyntjens,  qui ont joué un rôle important (on veut croire par naïveté) dans le dévoiement de l’enquête du juge Bruguière sur l’attentat du 6 avril 1994 et les fausses pistes suivies. Tous trois ont  échangé entretiens téléphoniques, mails, et témoigné dans le cabinet des juges ou de leur enquêteur principal, le commissaire Pierre Payebien, en crédibilisant l’hypothèse Masaka, qui tombe en ruines désormais. En échange, c’est le commissaire Payebien qui a livré à André Guichaoua et Claudine Vidal les coordonnées de leur faux témoin Abdul Ruzibiza.
 
 Second intérêt de cette conférence sous l’égide de Sciences Po : elle n’est plus référencée dans l’historique de l’institution. Le compte-rendu officiel de cette table ronde qui était consultable aux adresses : http://www.peacecenter.sciences-po.fr/pdf/rwanda-cr.pdf et
www.peacecenter.sciences-po.fr/rwanda-ip-brauman....... a  disparu des écrans. Effacé. On ose espérer que ce n’est pas le résultat d’un souci d’oublier une conférence embarrassante.
 
 On a vu le mercredi 27 mars 2012 comment celui qui se présente  « professeur associé à l’IEP Paris » ou encore « « PSIA Scientific Advisor, Master in Human Rights and Humanitarian Action » » a interdit les enregistrements aussi bien vidéo qu’audio  de la réunion dans l’enceinte de l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po. Les participants ont pu aussi comprendre que  Mme Agnès Chauveau, directrice de l’école de journalisme de Sciences Po, a été embarquée dans cette opération opaque sans en comprendre les tenants et aboutissants. Ne connaissant - de son propre aveu - rien du Rwanda, il est aussi apparu clairement qu’elle n’avait pas lu le rapport, d’expertise dont il était question d’un bout à l’autre des débats.
 
 En sortant de la conférence de mercredi, nous avons dit à Rony Brauman qu’il serait équitable que les conférences organisées à SciencesPo sur le Rwanda fassent aussi appel à des intervenants qui ne partagent pas ses thèses. Il a simplement répondu :
 
« Tant que je serai ici, ça se passera comme ça ».
 
 Nous pensons que l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, généralement chouchouté par les médias pour ses initiatives novatrices, ne peut être tenu pour responsable de la dérive sectaire d’un  seul de ses membres.

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RDC : Les heures comptées de la CENI

5 mois après des élections entachées de nombreuses irrégularités, la Commission électorale de République démocratique du Congo (CENI) se retrouve sous le feu des critiques de la communauté internationale et de l'ensemble de la classe politique congolaise . Même dans la majorité présidentielle encore fidèle au président Kabila, on trouve peu de personnes pour défendre l'organisation chaotique des élections de novembre 2011. Le président de la CENI, Daniel Ngoy Mulunda sera sans doute le premier fusible à sauter.

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Partis politiques, ONG, société civile, bailleurs de fonds, Union européenne, église catholique tirent à boulet rouge sur la CENI. La Commission électorale semble aujourd'hui cristalliser tous les malaises de la société congolaise. Il faut dire que l'institution électorale a longtemps été présentée par Kinshasa comme le symbole de l'évolution démocratique du pays.

Mais très rapidement les doutes sont apparus. A commencer par la nomination d'un proche du président Kabila, Daniel Ngoy Mulunda, à la tête de la Commission électorale. Les choses se sont gâtées avec la composition du bureaux : l'opposition est sous-représentée et la société civile complètement absente. L'indépendance de la CENI est immédiatement remis en question par l'opposition et de nombreuses ONG.

Concernant le travail de la Commission pendant le processus électoral, il suffit de lire le rapport final de la Mission d'observation de l'Union européenne (MOE-UE) pour comprendre l'étendu des dégâts : "les résultats publiés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ne sont pas crédibles à la lumière des nombreuses irrégularités et fraudes constatées". La mission de l'UE note les multiples dysfonctionnements du scrutin : "l'absence d'audit du fichier électoral, le manque de transparence lors du nettoyage de ce fichier, le vote sur simple présentation de la carte d'électeur de 3,2 millions d'électeurs, de multiples incidents de fraude et de bourrages d'urnes lors du vote le 28 novembre, ou encore une publication des résultats caractérisée par un profond manque de transparence". L'Union européenne, tout comme la majorité des partis politiques congolais, demandent "la restructuration de la CENI en y incluant la société civile" et souhaite un audit complet du fichier électoral.

Du côté de l'opposition, l'ensemble des partis exigent la démission pure et simple de la Commission dans la perspective des prochaines élections locales et provinciales dont la date n'est toujours pas fixée. Devant le tollé provoqué par les "ratés des élections", les autorités congolaises paraissent décidées à faire un geste. Selon Charles Mwando, le médiateur nommé par le président Kabila pour "dégeler" la crise politique avec l'opposition et trouver une coalition gouvernementale, "la restructuration de la CENI, à défaut de sa recomposition, constituerait la seule alternative", d'après les différents partis consultés, "pour sauver le processus électoral en cours".

Pour donner quelques gages de bonne volonté à la communauté internationale, Kinshasa n'a pas d'autre choix que de trouver un terrain d'entente avec l'opposition sur la composition d'une CENI deuxième version, un peu plus indépendante... ou moins dépendante. Le président Joseph Kabila sait que sa crédibilité et son retour sur la scène internationale se jouera sur la bonne tenue des prochains scrutins. Pour l'instant, l'incertitude plane sur les dates des élections provinciales et sénatoriales (prévues pourtant en mars et en juillet 2012)... et les bailleurs de fonds commencent à hausser (timidement) le ton. Le président contesté de la CENI, Daniel Ngoy Mulunda, pourrait faire les frais du fiasco électoral de novembre. Résultat : à Kinshasa aujourd'hui, plus personne n'ose défendre publiquement le bilan de Ngoy Mulunda.

Christophe RIGAUD

26 mars 2012

RDC : Visite contestée de Didier Reynders à Kinshasa

Le patron de la diplomatie belge, Didier Reynders, effectue une visite très polémique de 48 heures en République démocratique du Congo (RDC). Didier Reynders sera en effet le premier responsable politique occidental à se rendre à Kinshasa depuis les élections très contestées de novembre 2011. L'UDPS, le principale parti d'opposition, dénonce une visite qui viendrait normaliser  la réélection "illégitime", à leurs yeux, du président Joseph Kabila.

carte RDC Afrikarabia vierge.jpgLa visite de Didier Reynders à Kinshasa suscite l'émotion de l'opposition congolaise. Si le patron de la diplomatie belge vient en RDC  "pour mieux s'informer de la situation politique" et rencontrer majorité et opposition, de nombreuses voix s'élèvent pour regretter un tel déplacement.

Cette visite intervient trois mois après un cycle d'élections (présidentielle et législatives) marqué par de nombreuses irrégularités et de forts soupçons de fraudes massives. La réélection de Joseph Kabila est toujours fortement contestée par l'opposition et notamment par Etienne Tshisekedi, le leader de l'UDPS, qui se considère comme le "vrai président" élu. Dans ce contexte de crise politique aiguë, le ministre belge des affaires étrangères (ainsi que tous ses collègues occidentaux) avait "boudé" l'investiture de Joseph Kabila en raison des irrégularités, des violences et de la répression qui avaient entaché le scrutin.

En acceptant l'invitation de son homologue congolais, Didier Reynders souhaite renouer un dialogue "ouvert et constructif" entre Bruxelles et Kinshasa… et s'attire les foudres de l'opposition qui voit dans cette visite la légitimation du second mandat de Joseph Kabila. L'UDPS dénonce le fait que le gouvernement belge et son chef de la diplomatie "ont été les seuls au monde à accorder du crédit aux résultats des élections tels que publiés par la CENI (la Commission électorale congolaise)". L'UDPS rappelle les nombreux rapports du Centre Carter, de l'Union européenne ou de l'Eglise catholique congolaise qui fustigeaient le "manque de crédibilité du scrutin".

Didier Reynders devrait rencontrer dans membres de la majorité et de l'opposition dont le président du Sénat, le premier ministrable Léon Kengo. Il rencontrera également des ONG congolaises des droits de l'homme, le patron des casques bleus en RDC et devrait enfin s'entretenir avec le président Kabila mercredi. Le chef de l'Etat congolais, affaibli par un scrutin contesté et en quête de légitimité internationale, voit d'un très bon oeil ce rapprochement avec Bruxelles. La République démocratique du Congo reste en effet le partenaire le plus important de la coopération belge.

Christophe RIGAUD

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