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20 avril 2012

RDC : Kivu, retour en zone grise

Les élections contestées de novembre 2011 ont masqué la dégradation de la situation sécuritaire à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). La tension dans les Kivu a redoublé d'intensité avec les défections de l'armée régulière d'ex-rebelles du CNDP de Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale (CPI). Le régime de Kinshasa se retrouve une nouvelle fois face à une situation qui lui échappe dans un territoire qu'il ne contrôle plus vraiment.

carte RDC Afrikarabia Nord Kivu.jpgZone grise : territoire géographique dont l'Etat a perdu le contrôle. Depuis plus de 15 ans, le Nord et le Sud Kivu répondent à ce concept décrit par Gaïdz Minassian dans un récent essai (1). Des guerres sans fin se sont succédées dans ces deux provinces de l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). A l'origine des conflits : des tensions ethniques et foncières conjuguées aux soubressauts du génocide rwandais de 1994. Les milices des mouvements impliqués dans le génocide des tutsi traversent la frontière et s'installent dans les Kivu. Deux guerres plus tard et le régime Mobutu renversé, la situation sécuritaire s'améliore peu à l'Est. Un dizaine de milices, congolaises, rwandaises ou ougandaises continuent de semer la terreur au sein de la population civile. Le bilan de ces conflits à répétition est très controversé, mais on parle de 2 à 4 millions de morts. Actuellement, 1,7 millions de réfugiés errent dans l'Est de la RDC en attendant un hypothétique retour dans leurs villages. En toile de fond de ces 15 années de guerre, on trouve toujours cette constante : l'absence de l'Etat et l'incapacité de l'armée congolaise à rétablir la sécurité dans les Kivu.

En 2008, un mouvement politico-militaire, le CNDP de Laurent Nkunda, défendant les intérêts des Tutsi dans la région, lance une opération armée au Nord-Kivu et menace de prendre la ville Goma. Le régime de Joseph Kabila vacille pendant quelques jours. Pour ne pas avoir à partager le pouvoir avec ses opposants, Kabila cherche la victoire militaire, sans y parvenir. Finalement, la paix signée en 2009 ne sera qu'un compromis politique puisqu'elle prévoit l'intégration des rebelles dans l'armée régulière et la mue du CNDP en parti politique en vue de participer à la vie politique congolaise. Mais l'intégration des troupes du CNDP dans l'armée s'opère difficilement et les membres du CNDP sont toujours bloqués aux portes du gouvernement. Depuis Kinshasa, Kabila voit le contrôle des Kivu toujours lui échapper et veut donc à tout prix se débarrasser de Nkunda. Le président Congolais passe alors un accord avec son voisin rwandais. La RDC autorise l'armée de Paul Kagame à venir traquer les rebelles FDLR sur son territoire et en contre-partie le Rwanda "arrête" Laurent Nkunda. Joseph Kabila soutient le "putsch" de Bosco Ntaganda au sein du CNDP. Laurent Nkunda est effectivement interpellé par le Rwanda et Ntaganda est propulsé général dans l'armée régulière congolaise (FARDC). Désormais, le nouvel homme fort des Kivu ne s'appelle plus Laurent Nkunda, mais Bosco Ntaganda. Au cours de l'intégration des soldats du CNDP dans l'armée, certains prétendent que c'est l’armée congolaise qui est intégrée au CNDP et non l'inverse… c'est tout dire.

A cette période (après l'arrestation de Nkunda en 2009), le tour de passe-passe réalisé par Joseph Kabila donne l'impression de porter ses fruits. La situation sécuritaire s'améliore (légèrement) dans l'Est de la RDC et les ex-CNDP de Ntaganda (maintenant intégrés dans l'armée régulière) se font discrets. Pourtant, la rébellion tutsi contrôle toujours la région et ses nombreuses zones minières. En 2011, Joseph Kabila croit même pouvoir se servir de l'ex-rébellion pour "sécuriser" et "pousser" sa réélection à la présidence en novembre. Et ça marche. Même si quelques éléments du CNDP grincent des dents à devoir "servir" Kabila, l'ennemi d'hier, il semble que contre monnaie sonnante et trébuchante, les ex-rebelles soutiennent la candidature du "raïs" dans l'Est (Kabila y réalisera d'ailleurs "d'excellents" score).

Enter 2009 et 2012, la carte Ntaganda s'avère payante pour le leader congolais. Kabila peut afficher une (toute) relative stabilité à l'Est et se targuer de ses bonnes relations avec son voisin rwandais. Un accord avec son encombrant voisin, qui cache mal la faiblesse politique et militaire de l'Etat congolais dirigé par Kabila. Mais le mariage de raison entre Kabila et Kagame passe par Ntaganda et Bosco va alors se révéler un allié très embarrassant.

Début 2012, la Cour pénale internationale (CPI) prononce la culpabilité du chef de guerre congolais Thomas Lubanga.  Cet ancien "collègue" de Bosco Ntaganda est accusé de crimes de guerre et d'enrôlement d'enfants de moins de quinze ans. Dans la foulée de la condamnation de Lubanga, la CPI demande l'arrestation immédiate de Ntaganda, accusé du même chef d'inculpation. Jusque là, Joseph Kabila avait toujours refusé de livrer Ntaganda à la CPI. Pour le chef de l'Etat congolais, Ntaganda a toujours garanti "la paix dans les Kivu" et son arrestation risquerait de relancer la guerre à l'Est. Mais après sa réélection douteuse, Joseph Kabila est impatient de donner des gages de bonnes volonté à la communauté internationale. L'arrestation de Ntaganda est donc devenu "chose possible" pour Joseph Kabila, même si le président congolais ne le livrera pas à la CPI, mais souhaite le juger au Congo (il faut dire que Ntaganda connaît de nombreux secrets sur les accords en la RDC le Rwanda).

Après ce retournement de situation de Joseph Kabila, Bosco Ntaganda décide de montrer ses muscles en demandant à ses soldats (environ 3.000 hommes) de quitter l'armée régulière et en menaçant de reprendre la rébellion. Au risque d'embraser de nouveau les Kivu. Pour Joseph Kabila, c'est "retour à la case départ", comme en 2008. L'Est rebascule en "zone grise" et le problème ne s'appelle plus Nkunda, mais Ntaganda.

Dans une analyse très complète sur la situation à l'Est, le chercheur Thierry Vircoulon, d'International Crisis Group (ICG) relève les effets pervers des accords de 2009 et note que "l'intégration du CNDP dans l'armée a ouvert la voie à une prise de contrôle silencieuse d’une grande partie des Kivus, aussi bien militaire (commandement parallèle, refus d’être déployé en dehors des Kivus) qu’économique (prédation sur les populations, contrebande de matières premières et accaparement de terres)". Thierry Vircoulon remarque également que la disparition de l'éminence grise de Kabila, Katumba Mwanke, a profondément ébranlé le régime de Kinshasa, en créant "un vide du pouvoir". Pour ce chercheur, "au-delà du cas personnel de Ntaganda", c'est "la représentation politique du CNDP et des Tutsi congolais qui est en jeu". On notera l'absence de membres du CNDP dans les différents gouvernements, depuis l'accord de 2009, mais aussi lors des élections législatives de novembre 2011. Thierry Vircoulon souligne l'annulation des élections législatives dans le Masisi (le fief du CNDP) pour cause de fraude. Une annulation qui remet en cause le fragile équilibre des communautés au Nord-Kivu. Pour le chercheur d'ICG, "seules de nouvelles élections peuvent permettre de trancher la question du contrôle politique dans cette province."

La situation est donc extrêmement préoccupante dans l'Est de la RDC et le risque de voir ressurgir les vieux démons de la guerre sont bien réelles. Comme souvent, l'avenir de la région passe par Kigali. Pour le moment, rien ne filtre sur l'attitude que le président rwandais adoptera avec son voisin congolais. Ntaganda est une pièce importante pour Kagame sur l'échiquier congolais. Arrêter Ntaganda ferait ressurgir les anciens du "CNDP-Historique", fidèles à Laurent Nkunda… et pourquoi pas Laurent Nkunda lui-même Et cela, ni Kinshasa, ni Kigali ne le souhaite.

Christophe RIGAUD

(1) "Zone grise : quand les états perdent le contrôle" de Gaïdz Minassian. Ed. Autrement 2011.

(2) L'article de Thierry Vircoulon est accessible ICI.

Commentaires

Que Kabila laisse le pouvoir aux gens qui sont compétents aux problèmes du Grand Congo

Écrit par : Owezi | 20 avril 2012

Je pense que ns avons des officier bien formée et competent, ils sommeil...

Écrit par : Bisimwa rusangiza | 22 avril 2012

Les commentaires sont fermés.