21 juin 2013
RDC : John Numbi, portrait d'un homme de l'ombre
John Numbi est sans doute l'un des personnages les plus troubles du régime de Joseph Kabila. Accusé d’être l’un des instigateurs du meurtre du célèbre défenseur des droits de l'homme, Floribert Chebeya, en juin 2010, John Numbi a rapidement été suspendu de ses fonctions de chef de la police nationale congolaise. Après avoir été placé en résidence surveillée pour les besoins d’enquête, il s'est réfugié, sans être inquiété par les autorités congolaises, dans le nord Katanga. On l'accuse aujourd'hui d'attiser le groupe armé sécessionniste "Bakata Katanga". Clément Boursin, responsable pour l'Afrique d'ACAT-France (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), nous en dresse le portrait.
De milicien katangais à piètre militaire
John Numbi est né en 1962 dans le Haut-Lomami, au nord Katanga. En 1983, il décroche un diplôme en électronique à l’Institut supérieur pédagogique technique de Likasi. Sa première rencontre avec Laurent-Désiré et Joseph Kabila, le père et le fils, remonte à 1989, à Pweto, au Katanga.
John Numbi émerge sur la scène publique au début des années 90 lorsqu’il devient le chef de la milice de l'Union des fédéralistes et républicains indépendants (JUFERI), groupe de jeunes katangais aux méthodes violentes, dont le gouverneur de la province de l’époque, Gabriel Kyungu wa Kumwanza, se sert ouvertement pour terroriser ses adversaires politiques de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) dont le chef - Etienne Tshisekedi - est originaire du Kasaï. Son nom est lié aux pogroms anti-kasaïens - soupçonnés de soutenir l’UDPS - de 1992-1993, qui font plusieurs centaines de mort et un demi-million de déplacés au Katanga . Des plaintes ont d’ailleurs été introduites auprès des autorités judiciaires contre John Numbi, mais elles n’ont jamais été traitées et ont depuis lors disparues. En 1992, il sympathise avec le jeune Joseph Kabila . En 1996, soupçonné d’entretenir des liens avec des adversaires politiques du Maréchal Mobutu Sese Seko, il est arrêté à Lubumbashi et envoyé en détention à Kinshasa. Il réussit toutefois à s’échapper de prison et se réfugie dans l’enclave angolaise du Cabinda, où il fait la rencontre de gendarmes katangais, qui eux aussi y ont trouvé refuge après l’échec de la sécession katangaise de 1960. En mai 1997, après la chute du régime Mobutu, John Numbi rentre à Kinshasa avec les gendarmes katangais.
Laurent-Désiré Kabila, le nouveau président de la République, fait de John Numbi - qui appartient au même groupe ethnique : les Luba du Katanga plus couramment appelés les « Lubakat » - un militaire. Il commence comme chargé de la communication dans une compagnie, puis dans une brigade. Il devient ensuite directeur des transmissions de l’armée et commandant de la 50ème brigade chargée de la sécurité de la ville de Kinshasa. Son ascendance est fulgurante. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de James Kabarebe, officier rwandais, alors chef d’État-major de l’armée congolaise.
En août 1998, il est nommé chef d’État-major opérationnel à Kindu, dans le Maniema. Préférant se livrer au commerce que de préparer la défense de la ville, il est remplacé un mois plus tard. En octobre la ville est conquise par le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), groupe d’opposition armé au gouvernement Kabila. En 1999, il est nommé Brigadier général avec comme responsabilité le commandement militaire de la région n°4 du Katanga. Il travaille alors avec Joseph Kabila, alors chef de la Force terrestre. En décembre 2000, leurs hommes perdent la bataille de Pweto contre l’armée rwandaise. Le 14 janvier, John Numbi est remercié par Kabila père et envoyé au Zimbabwe pour suivre une formation militaire. Deux jours plus tard, Laurent-Désiré Kabila est assassiné à Kinshasa dans des conditions qui n’ont jusqu’à ce jour jamais été établies. Devenu président, Joseph Kabila nomme John Numbi chef d’état-major de l’armée de l’air en mars 2001. Au cours de la même année, ce dernier arme les Maï-Maï de Gédéon, à Mitwaba, en échange d’or et de pierres précieuses . Dans le même temps, il donne l’ordre aux FARDC de quitter le territoire Malemba Nkulu, au nord Katanga, et permet ainsi à son oncle Makabe, chef Maï-Maï local, de prendre le contrôle de ce territoire et de ses ressources naturelles en usant de la violence.
L’homme de confiance du président Joseph Kabila
John Numbi, après avoir été fait militaire de carrière par le père Kabila, s’installe confortablement dans le premier cercle du fils Joseph en compagnie d’autres Katangais. Il a un accès direct au chef de l’État et se voit confier les missions les plus délicates en matière de maintien de l’ordre et de sécurité du territoire. À deux reprises ses hommes font le coup de feu à Kinshasa contre les hommes de Jean-Pierre Bemba, le principal opposant du président Joseph Kabila. En août 2006, dans l’attente des résultats du premier tour des élections présidentielles, John Numbi est à la manœuvre lorsque la garde républicaine affronte à Kinshasa les gardes de Bemba dans la capitale. En mars 2007, ses hommes pilonnent la résidence de Bemba, dans la capitale, alors que des diplomates étrangers sont présents dans la demeure.
Homme de confiance de Joseph Kabila, John Numbi est également amené à gérer des dossiers secrets en ce qui concerne la situation dans l’est de la RDC. Fort de ses liens noués avec James Kabarebe à la fin des années 90, John Numbi négocie secrètement à Kigali avec le chef rebelle congolais Laurent Nkunda, en janvier 2007, afin d’intégrer les hommes du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) au sein de l’armée régulière, ce qui échoue une première fois. De novembre 2008 à janvier 2009, John Numbi est de retour au Rwanda pour négocier avec les plus hautes autorités rwandaises et Bosco Ntaganda l’éviction de Laurent Nkunda du CNDP et le lancement au nord-Kivu d’une opération militaire conjointe rwando-congolaise contre les rebelles hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). John Numbi prend la tête de cette opération appelée « Umoja Wetu » (notre unité en swahili) ; opération qui fera de nombreux morts au sein des populations civiles et qui ne résoudra en rien la présence des FDLR dans la sous-région.
Une responsabilité directe dans des crimes contre l’humanité au Bas-Congo
Le 11 juin 2007, trois jours après avoir fait bloquer tous les avions à l’aéroport de Kinshasa-Ndjili, dont des avions de compagnies internationales, John Numbi perd son poste de chef d’État-major de l’armée de l’air, mais récupère la tête de la police : il devient inspecteur général de la police nationale congolaise.
Un an plus tard, il doit gérer une insurrection politico-religieuse dans le Bas-Congo qui est perçue comme une humiliation par le clan Kabila. À la suite d’élections locales frauduleuses ayant permis à un membre du régime en place d’être élu en lieu et place d’un homme politique local, les adeptes du Bundu Dia Kongo (BDK) prennent le contrôle de plusieurs localités, tuant des policiers et saccageant des bâtiments administratifs. Le drapeau du BDK est même hissé à la place de celui de la RDC à certains endroits de la province. À Kinshasa, qui ne se trouve qu’à environ 200 kilomètres, les autorités préparent la riposte. Alors que le pays s’apprête à rentrer dans la période électorale en vue du premier tour des élections présidentielles de juillet 2006, le régime veut montrer à l’opinion comme à ses adversaires politiques qu’il est maître de son territoire et qu’une telle situation ne peut perdurer. Le 26 février 2008, John Numbi rencontre à Kinshasa le ministre de l’Intérieur, Denis Kalume, et le président de la République, Joseph Kabila. Deux jours plus tard, 600 militaires et policiers sont envoyés dans le Bas-Congo depuis Kinshasa afin de mater le BDK. Il s’agit d’une véritable opération militaire visant à punir cette secte.
Dans un rapport de 13 pages , publié en mars 2008, l’organisation de la Voix des sans-voix (VSV) établit un bilan terrible de cette opération en termes de violations des droits de l’homme. Le bilan officiel est de 27 morts dont 3 policiers. Mais en réalité au moins 100 personnes ont été tuées d’après les Nations unies qui ont également entrepris une enquête . Plus de 150 membres du BDK sont arrêtés et la plupart torturés et plus de 200 édifices de partisans du BDK sont détruits par incendie. Selon la VSV, « des consignes auraient été données aux militaires et policiers de tout mettre en œuvre pour qu’il n’y ait pas de prisonniers ». Il fallait restaurer l’autorité de l’État bafouée par le BDK et cela au prix du sang des adeptes de cette secte et des populations civiles complices. Outre les massacres commis dans les villages reconquis et la chasse à l’homme de tout adepte ou sympathisant du BDK, il importait également d’effacer toute preuve de crimes. Les volontaires de la Croix-Rouge ne sont pas autorisés à avoir accès aux victimes. Les cadavres sont rapidement embarqués dans des véhicules militaires puis disparaissaient. Des corps éventrés – pour ne pas flotter – sont retrouvés sur les bords du fleuve Congo. Selon la VSV, les auteurs de ces crimes feraient partie de trois entités des forces de défense et de sécurité : la police d’intervention rapide (PIR) – à l’époque formée en partie par la France –, l’unité de la police intégrée (UPI) et la Garde Républicaine. Le rapport concluait : « Le massacre des adeptes du BDK constitue un acte de génocide. Les actes commis sur la population dans la province du Bas-Congo sont allés de la préméditation jusqu’à la volonté de détruire le mouvement politico-religieux du BDK à travers des tueries ciblés ». Parmi les recommandations effectuées auprès du gouvernement congolais figurait celle-ci : la nécessité de « poursuites judiciaires contre le ministre de l’Intérieur, Denis Kalume Numbi, le gouverneur et le gouverneur adjoint de la province du Bas-Congo, Mbatshi Mbatshia et Déo Nkusu, les généraux Raus Chalwe et John Numbi ». Les responsables de ces crimes n’ont bien entendu jamais été poursuivis devant la justice congolaise.
Une responsabilité directe dans l’assassinat de Floribert Chebeya
Face à l’impunité persistante, le président de la VSV, Floribert Chebeya, continue ses enquêtes et se procure des documents accablants pour les autorités congolaises, notamment auprès de l’ancien président de l’assemblée nationale Vital Kamerhe, un ancien bras droit de Kabila devenu opposant.
Sur la base de ces documents, il prend contact avec un avocat en Belgique en vue de préparer une communication destinée à la Cour pénale internationale (CPI). Il devient alors un témoin gênant pour les responsables du massacre du Bas-Congo. Le 1er juin 2010, Floribert Chebeya est invité à rencontrer John Numbi à son bureau, à l’Inspection générale de la police nationale congolaise (PNC), pour un motif qui devait lui être communiqué sur place. Il s’y rend avec son chauffeur Fidèle Bazana. Le lendemain, le président de la VSV est retrouvé mort dans sa voiture et son chauffeur est porté disparu. Il ne réapparaitra plus jamais. Le 5 juin, John Numbi est suspendu de ses fonctions à titre conservatoire, par arrêté ministériel, et il est placé en résidence surveillée pour besoins d’enquête.
Malgré l’existence de sérieux soupçons quant à son implication dans ces meurtres, les autorités saisissent la Cour militaire de justice, juridiction qui n’est pas en mesure de juger John Numbi du fait de son grade supérieur à ceux des juges militaires. Seule la Haute cour militaire est compétente en la matière. John Numbi n’est donc entendu qu’en tant que « simple témoin ». Les relevés téléphoniques retracés pour les besoins de l’enquête montrent pourtant que John Numbi était en contact régulier avec l’ensemble des prévenus tout au long de l’opération ayant conduit au double assassinat. La justice impute finalement la mort des deux défenseurs des droits de l’homme à cinq officiers et sous-officiers qui travaillent sous les ordres directs de John Numbi. Le 23 juin 2011, les avocats de la partie civile interjettent appel de l’arrêt de la Cour afin que l’affaire soit jugée au niveau de la Haute cour militaire et que John Numbi puisse enfin être jugé. Un mois plus tard, une tentative d’arrestation peu médiatisée de John Numbi aurait eu lieu à Lubumbashi, au Katanga. Mais après deux jours de détention, il aurait eu une longue conversation avec Joseph Kabila et aurait été relâché .
Le 17 octobre 2012, Paul Mwilambwe, policier congolais en charge de la sécurité à l’IGPNC, condamné par contumace pour le meurtre de Chebeya, témoigne sur Radio France internationale (RFI) avoir assisté au meurtre de Floribert Chebeya. Il indique que le meurtre aurait été commandité par le président Joseph Kabila par l’entremise de John Numbi . Il s’agirait donc d’un crime d’État. Manque de chance, l’enregistrement vidéo de la caméra de surveillance qui aurait capté la scène du kidnapping de Chebeya, selon Paul Mwilambwe, a disparu peu après le drame. Aujourd’hui, en restituant le parcours de John Numbi ces dernières années, on comprend mieux pourquoi il n’a jamais été réellement inquiété dans cette affaire comme dans les précédentes. Le 23 octobre 2012, la Haute cour militaire a refusé d’examiner le rôle joué par le général John Numbi dans l’affaire Chebeya-Banzana. Quant à la plainte déposée contre John Numbi par la veuve Chebeya, elle n’a jusqu’à ce jour reçu aucune suite, ni classement, ni poursuites…
L’ombre de John Numbi au Katanga
John Numbi est donc toujours en liberté, au Katanga, où il vit dorénavant dans les « affaires » de coltan et autres minerais. Pourtant, selon plusieurs organisations de la société civile du Katanga , John Numbi serait l’un des responsables de l’insécurité qui prévaut actuellement dans la province. Selon elles, « jeudi 21 mars 2013, un groupe de Maï-Maï Kata Katanga qui s’était évadé de l’Agence nationale de renseignements (ANR) se serait réfugié dans la ferme nommée Beijing appartenant au Général John Numbi. Quelques jours plus tard, le samedi 23 mars, il y a eu assaut de la ville de Lubumbashi ». Ces Maï-Maï, armés de lance-roquettes, d’une trentaine de fusils AK47, de lances et de flèches ont brièvement affronté l’armée congolaise faisant 33 morts dont 26 Maï-Maï.
Le 8 septembre 2011, leur chef, Gédéon, avait pu s’échapper de la prison de Kasapa, à Lubumbashi, grâce à un commando armé. Il y purgeait une peine de prison à vie pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans les territoires katangais de Mitwaba, Pweto et Manono entre 2003 et 2006. Des accusations avaient été portées à cette époque contre John Numbi, parrain de Gédéon au début des années 2000.
Beaucoup considèrent John Numbi comme le premier sponsor des indépendantistes katangais ; une manière de rappeler au président Joseph Kabila sa force de nuisance au Katanga, dans le cas d'une éventuelle mise en examen dans le procès Chebeya.
Clément BOURSIN - Responsable pour l'Afrique d'ACAT-France (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture) www.acatfrance.fr
photo extraite du documentaire de Thierry Michel, "l'Affaire Chebeya, un crime d'Etat ?"
19:06 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (5)
16 juin 2013
RDC : L'accord ou la guerre
La reprise du conflit est-elle inévitable entre les rebelles du M23 et l'armée congolaise à l'Est de la RDC ? Les négociations de paix de Kampala devraient reprendre ce mardi sans réel espoir de compromis. Alors que le M23 cherche à affirmer ses revendications politiques, le gouvernement souhaite en éviter le piège et compte sur l'entrée en action de la brigade d'intervention de l'ONU pour clôturer les pourparlers.
Peut-on encore attendre un dernier miracle des négociations de Kampala entre la rébellion du M23 et le gouvernement congolais ? Après 7 mois de discussions stériles sans avancée aucune, on en doute. Pourtant la donne a changé dans les Kivus depuis l'annonce de l'arrivée de la brigade d'intervention de l'ONU, chargée de "neutraliser et désarmer les groupes armés", avec un mandat plus "offensif". Dans cette perspective, les rebelles du M23 ont changé leur fusil d'épaule. Après un coup de pression militaire avant la venue de Ban Ki-moon à Goma (que le M23 attribue aux FARDC et aux FDLR) la rébellion joue désormais l'apaisement et la carte politique. Objectif des rebelles : démontrer leur bonne volonté de voir se régler le conflit pacifiquement alors que la communauté internationale est prête à montrer ses muscles dans la région. Le M23, n'a en effet intérêt, ni à la confrontation armée, ni à être désigné comme le seul fauteur de trouble dans l'Est de la RDC.
Devant la volonté "offensive" de l'ONU d'"imposer la paix", le M23 a décidé de reprendre l'offensive diplomatique en retournant aux pourparlers de Kampala avec le gouvernement congolais le 9 juin dernier. Un retour stratégique, validé par cette étonnante déclaration de la Monusco qui affirmait que "si les rebelles du M23 retournaient effectivement à Kampala pour continuer les négociations, la brigade d'intervention de l'ONU n'irait pas les attaquer là où ils sont". Une bonne nouvelle pour le M23 qui reste à l'abri de la brigade tant que les négociations sont en cours.
"Des progrès au niveau politique"
Le retour des revendications politiques du M23 se trouve validé par la récente déclaration de Mary Robinson, l'envoyée spéciale et l'ONU dans la région, qui affirme que la fameuse brigade sera "une force de dissuasion" (et non plus "offensive" ?) et souhaite "que l’on fasse plutôt des progrès au niveau politique". Le M23 avait déjà cherché par le passé à élargir ses revendications, qui n'étaient, dans un premier temps que catégorielles (intégration des rebelles au sein de l'armée, respect des grades… ). La rébellion avait alors affiché des revendications plus générales, destinées à séduire l'opposition congolaise : annulation des élections contestées de 2011, remise en cause des institutions, bonne gouvernance... sans succès auprès d'une opposition divisée et hostile aux rébellions venus de l'Est.
Le M23 parle maintenant d'une seule voix
Après son retour annoncé aux négociations de Kampala, le M23 a continué de jouer la carte politique. Sur internet, on évoque "la mue du M23 en parti politique" et la volonté d'évoquer de nouveaux les problèmes de bonne gouvernance du président Joseph Kabila. Dans ce sens, les sorties tonitruantes de Roger Lumbala, un soutien politique du M23, se font de plus en plus fréquentes. Lumbala affiche clairement sa volonté de "chasser Joseph Kabila du pouvoir", car "il n'a jamais été élu". Enfin, au sein même du M23, la ligne politique est plus cohérente. Depuis l'implosion du mouvement en mars 2013, la victoire de Makenga et la défaite de Ntaganda et Runiga, la rébellion semble désormais parler d'une seule voix. Avec l'arrivée de Bertrand Bisimwa à la tête de M23, la cohérence paraît totale entre le militaire et le politique. Jusque là, le M23 était séparé en deux clans : les pro-Ntangada et les pro-Nkunda, l'ancien patron du CNDP, ancêtre du M23. Désormais, seuls les pro-Nkunda sont aux manettes de la rébellion : Sultani Makenga, est l'ancien bras droit militaire de Nkunda et Bertrand Bisimwa, l'ancien porte-parole du CNDP.
Joseph Kabila compte sur la brigade
En allant sur le terrain de la politique intérieure congolaise, le M23 tente de brouiller les pistes et de placer le gouvernement devant ses responsabilités. Autant sur le terrain militaire, Kinshasa, n'a pas vraiment son mot à dire au vu de l'inefficacité de l'armée congolaise, autant sur le terrain politique, le gouvernement serait en mesure de faire quelques concessions. Pour ne pas tomber dans le piège des revendications politiques du M23, le président Joseph Kabila s'accroche à l'arrivée de la brigade de l'ONU annoncée pour mi-juillet. Une défaite militaire de la rébellion sonnerait la fin des ennuis pour le chef de l'Etat et lui éviterait toute remise en cause de sa légitimité. Si le M23 résiste à la brigade, Joseph Kabila peut aussi compte sur la mise en place prochaine du "dialogue national inter-congolais". Objectif : se renforcer politiquement, faire de nouvelles alliances et contre-balancer la pression du M23. Joseph Kabila espère créer autour de lui l'union nationale capable d'isoler le M23. Seule condition : que l'opposition accepte de créer l'union sacrée autour du président congolais… ce qui est peu probable.
"Je ne vois pas comment le M23 peut réintégrer l'armée congolaise"
En attendant, le M23 affiche un certain optimisme. Selon Stanislas Baleke, l'un des responsables politiques de la rébellion, "un accord est possible à Kampala, seulement si le gouvernement de Kinshasa est un peu plus responsable". "Le gouvernement doit nous écouter nos revendications légitimes, comme cela a été demandé par les chefs d’Etat de la Conférence internationale sur la région de Grands lacs (CIRGL)", explique ce membre du M23. Mais pour le moment, le facilitateur ougandais a proposer un texte qui ne semble pas répondre aux exigences de la rébellion. "Ce texte nous demande de mettre à disposition nos troupes et de nous cantonner", note Stanislas Baleke, "et je ne vois pas comment le M23 peut réintégrer l'armée congolaise (FARDC), qui travaille sur le terrain avec les FDLR, qui sont des forces négatives, c'est impossible". Sur le plan militaire, ce responsable politique du M23 estime que les attaques des FARDC de fin mai ne sont qu'un trompe l'oeil. "Ces attaques sont présentées par Kinshasa comme des victoires, mais c'est le M23 qui a gagné en reprenant 3 positions aux FARDC, notamment Mutaho et une partie de Muja".
Clôturer Kampala
Côté gouvernemental, on attend avec impatience l'agenda de la suite des travaux. Le porte-parole, Lambert Mende, campe sur ses positions et souhaite avant tout que le M23 dépose les armes. Sur les revendications politiques du mouvement, il estime que ces points ont déjà été discutés lors du précédent dialogue et que c'est une tactique "pour gagner du temps". Pour François Muamba, le coordonnateur du mécanisme de suivi de l’accord d’Addis-Abeba, "il ne s’agit pas de retourner à Kampala pour faire des discussions interminables. Il serait bon que la médiation nous propose une bonne formule pour clôturer cette affaire". La ligne est donc claire pour Kinshasa : clore les discussions... au plus vite.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo © centre des négociations de Kampala
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13 juin 2013
RDC : Des militaires impliqués dans le commerce de minerais
Global Witness révèle dans un récent rapport l'implication de militaires de haut rang dans le commerce de minerais dans l'Est de la République démocratique du Congo. Selon l'ONG, les minerais seraient "blanchis" en transitant par le Rwanda et le Burundi, avant d'être exportés vers Dubaï.
Du Congo à Dubaï, en passant par... le Burundi. Global Witness a pu remonter la filière du commerce de l'or en République démocratique du Congo (RDC). L'ONG affirme que "les tonnes d’or produites dans l’Est du Congo profitent aux rebelles et à des officiers hauts gradés des armées gouvernementales congolaise et burundaise". L'enquête explique que l’or est blanchi en passant par le secteur aurifère national burundais pour être ensuite exporté vers Dubaï. Aucun contrôle sérieux ne semble être effectué par les acheteurs locaux ou par les négociants internationaux. D'importantes quantités d'or sont donc vendues sur le circuit international, alors qu'elles financent la guerre à l'Est de la RDC.
Pour d'autres minerais, Global Witness affirme que "la plus grande partie de l’étain, du tantale et du tungstène produits dans le Nord et le Sud-Kivu profite aux rebelles et à des membres de l’armée gouvernementale (FARDC)". Là encore, les minerais transitent via le Burundi, mais aussi le Rwanda avant d'être exportés. Au Rwanda, l'ONG explique que "l’étain et le tantale introduits clandestinement sont blanchis à travers le système d’étiquetage national rwandais et exportés en tant que produits rwandais propres". Global Witness rappelle enfin que les populations locales du Nord et du Sud-Kivu sont les premières "à faire les frais d’un long conflit marqué par les meurtres, les pillages, les viols massifs et les déplacements de population".
Global Witness estime que le moment est "crucial" pour le commerce des minerais en République démocratique du Congo. La pression doit donc s'accentuer sur les entreprises internationales du secteur. L'ONG affirme que les sociétés "visées par la Section 1502 de la Loi Dodd Frank (une loi américaine qui cherche à empêcher que le commerce des minerais de la région ne finance le conflit), sont dans leur première année de présentation de rapports et qu'elles sont tenues de publier pour mai 2014 des informations détaillées sur les efforts qu’elles déploient pour contrôler leurs chaînes d’approvisionnement". Et de rappeler aussi que l'Union européenne (UE) doit jouer un rôle majeur dans la réglementation du commerce des minerais. En mars 2013, une concertation publique sur les minerais du conflit, pourrait déboucher sur l’introduction d’une réglementation européenne. Mais le temps presse..
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo : A L'Est de la RDC © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
12:06 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (4)
09 juin 2013
RDC : Les exactions continuent contre les Congolais expulsés d'Angola
Depuis plusieurs années, l'Angola procède à des expulsions massives de Congolais installés illégalement sur son territoire. En trois semaines, 52.231 Congolais ont traversé la frontière à Kamonia en RDC. Des expulsions souvent violentes, que dénoncent Médecins du Monde, seule ONG présente sur place et l'ACAT, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture.
L'Angola accentue la pression sur les Congolais en situation irrégulière. En avril, les autorités angolaises leur ont lancé un ultimatum pour quitter le territoire. Mais selon Médecins du Monde (MDM), présent à la frontière, ces "retours", volontaires ou non, se déroulent dans des conditions difficiles. 52.231 personnes ont en effet quitté l'Angola en seulement trois semaines. "Un afflux massif de réfugiés" qui s'effectue souvent dans la violence, selon l'ONG internationale. C'est désormais un scénario connu pour chaque expulsion massive : dépossessions de biens, fouilles poussées, arrestations arbitraires, violences sexuelles… Au banc des accusés : les forces de sécurité angolaises. Médecins du Monde demande d'ailleurs à l'Angola "de respecter ses engagements internationaux, à la communauté internationale de se pencher sur ces violences et aux acteurs humanitaires de se mobiliser".
L'eldorado angolais se termine souvent mal pour les Congolais qui tente l'aventure de l'autre côté de la frontière. Ils sont en effet nombreux à venir chercher "un avenir meilleur en allant travailler dans le secteur minier", explique Médecins du Monde (MDM). "Leur quête se termine souvent par leur exploitation, la violence et la peur. Des milliers d’entre eux sont arrêtés pour être déportés et atterrir dans les cachots situés à la frontière angolaise. Là, ils sont souvent violentés, avant d’être expulsés vers la RDC", s'inquiète l'ONG. Et la situation humanitaire devient critique à la frontière. "D’avril à mai, le nombre de patients a triplé dans nos centres de santé, deux-tiers sont des expulsés", explique Félicité Remadji, responsable du programme de MDM. "et nous avons besoin de renforcer nos capacités".
L'ACAT-France, l'Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, qui suit le dossier congolais, est également préoccupée par la recrudescence des violences chez les expulsés. L'ACAT relaie l'inquiétude de la coordination civile du territoire de Kasongo-Lunda qui affirme que sur 5.000 congolais expulsés, entre le 8 et le 16 mai 2013, "107 femmes et jeunes filles ont été victimes de violences sexuelles". Selon l'hôpital de Kapanga, 48 femmes violées se sont également présentées pour obtenir des soins depuis mai 2013. L'ACAT-France s'étonne de la persistance des exactions à l'encontre des expulsés congolais, alors que "les autorités angolaises s'étaient au contraire engagées auprès des instances des Nations-unies à améliorer les conditions d'expulsion des ressortissants congolais et à enquêter sur les allégations de violences". Ces événements interviennent dans un contexte particulier. Le Conseil des droits de l'homme des Nations-unies examinera prochainement lors de sa 23ième session", le dossier angolais. L'ACAT-France a par ailleurs tenu à alerter Catherine Ashton, la Haute représentante de l'Union européenne (UE) pour les affaires étrangères, sur la situation des expulsés congolais.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
22:02 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (0)
07 juin 2013
RDC : Le retour stratégique de Malu-Malu à la CENI
L'Abbé Apollinaire Malu-Malu revient aux affaires. Après avoir présidé l'ancienne CEI entre 2003 et 2011, l'ecclésiaste prend la tête de la nouvelle Commission électorale nationale et indépendante (CENI). En ligne de mire, la réforme d'une institution controversée, l'organisation des élections locales et la présidentielle de 2016 où l'on prête au président Joseph Kabila le souhait de se représenter.
Contre la volonté de l'église congolaise (CENCO)… et du Vatican, l'Abbé Malu-Malu rempile à la présidence de la Commission électorale (CENI). Une fonction qu'il connaît bien pour avoir organisé les premières élections "démocratiques" de 2006 à la tête de la défunte CEI. Qualifié "d'expert" par le clan gouvernemental pour avoir réussi la transition du "1+4" ainsi que le processus électoral de 2006, Apollinaire Malu-Malu revient avec plusieurs missions aux commandes d'une institution clé de la République démocratique du Congo. Fin 2007, il a également été chargé des travaux préparatoires de la Conférence de Goma en vue d'une issue à la guerre du Kivu. Une expérience intéressante pour Joseph Kabila, alors que la guerre a repris à l'Est entre les rebelles du M23 et le gouvernement.
Depuis le départ d'Apollinaire Malu-Malu de la CEI, en 2011, et la nomination du sulfureux Daniel Ngoy Mulunda, la Commission électorale n'a cessé d'être sous le feu des critiques. Du fichier électoral douteux, en passant par l'enrôlement chaotique des électeurs jusqu'au scrutin calamiteux de novembre 2011, la CENI a été tenue pour responsable des nombreux dysfonctionnements, irrégularités et soupçons de fraudes qui ont pesé sur la dernière présidentielle et législative de 2011. La Commission électorale a surtout souffert d'un manque cruel d'indépendance. L'opposition a accusé l'institution d'être au ordre du président Joseph Kabila et surtout de ne pas être en mesure d'organiser un scrutin impartial correspondant aux normes internationales. Au centre de la polémique : Daniel Ngoy Mulunda réputé très proche du chef de l'Etat. Il fallait donc changer la tête.
Les chantiers de la nouvelle CENI sont colossaux. Le fichier électoral est à revoir et les élections locales, sans cesse reportées, devront bien avoir lieu… un jour. Mais l'opposition prête au nouveau président une autre mission plus officieuse : préparer la prochaine présidentielle de 2016. Normalement le président Joseph Kabila ne devrait pas se représenter après 2 mandats, comme l'exige la Constitution. Mais à Kinshasa, de mauvaises langues affirment que le chef de l'Etat pourrait être tenté par un troisième mandat, après un "toilettage" constitutionnel comme ce fut déjà le cas début 2011 pour faire passer l'élection présidentielle de 2 tours à 1 seul tour… à quelques mois seulement du scrutin. L'ouverture prochaine d'un possible "dialogue national inter-congolais" pourrait d'ailleurs préparer le terrain au clan présidentiel pour trouver de nouveaux alliés pour 2016. La désignation de l'Abbé Malu-Malu à la présidence de la CENI constitue donc une nomination hautement stratégique… une question de survie politique pour le président Kabila.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Composition de la nouvelle CENI : Président: Abbé Apollinaire Malumalu, V/Prés.: André Mpungwe, Rapp.: Jean-Pierre Kalamba, Rapp/adjt.: Onésime Kukatula, Questeur: Chantal Ngoyi Quest/adjt.: Micheline Bie Bongenge, Membres: Keta Lokondjo, Bangala basila, Elodie Tamuzinda, Gustave Omba, Jean Baptiste Ndundu, ;aputu Ngombo, Augustin Ngangwele.
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06 juin 2013
RDC : Une Brigade "offensive"... mais pas trop
La Brigade d'intervention attaquera-t-elle le M23 ? Non "si les rebelles reprennent les négociations à Kampala", affirme le porte-parole de la Monusco, Penangini Touré. Hasard ou coïncidence, le M23 vient d'annoncer hier, le retour de sa délégation aux pourparlers de paix pour le dimanche 9 juin.
On pensait la nouvelle Brigade d'intervention de l'ONU prête à en découdre avec les groupes armés qui sévissent à l'Est de la République démocratique du Congo, mais un communiqué de la Monusco tempère les ardeurs guerrières de cette nouvelle Brigade. Selon Penangini Touré, porte- parole civile de la Mission de l'ONU pour la Stabilisation du Congo (MONUSCO), "si les rebelles du M23 retournent effectivement à Kampala pour continuer les négociations, la Brigade d'intervention de l'ONU n'ira pas les attaquer là où ils sont". Une dépêche de l'agence de presse chinoise Xinha, rapporte même ces propos étonnants : "s'ils restent cantonnés là où ils se trouvent et ne dérangent personne, je ne vois pas pourquoi la Brigade d'intervention ou la force de la Monusco chercherait à les déloger". En clair, si les groupes armés restent sur leur zone, sans s'en prendre à la population civile, la Brigade n'aura aucune action offensive. L'arrivée de cette Brigade "gèlerait" donc la situation sécuritaire en l'état... sans chercher à "imposer la paix", comme le déclarait le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, lors de sa visite à Goma.
Opportunément, les rebelles du M23 ont annoncé quasiment au même moment, le retour de leur délégation aux négociations de paix de Kampala avec le gouvernement congolais. Une reprise des pourparlers qui empêcherait donc toute action armée de la fameuse Brigade, si 'on en croit Penangini Touré. Une déclaration qui peut étonner au moment où l'ONU annonce qu'un tiers de la Brigade est déjà positionné à Goma. Au total, elle comptera un peu plus de 3.000 soldats, venant d'Afrique du Sud, du Malawi et de Tanzanie. Certains casques bleus patrouillent déjà dans Goma avec des membres de la Monusco, pour reconnaître le terrain.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo © Ch. Rigaud
13:41 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (10)
05 juin 2013
RDC : Une leader femme pygmée ministre au Sud-Kivu
Remaniement au sein du gouvernement provincial du Sud-Kivu. Le gouverneur Marcellin Chisambo, vient de nommer 3 nouveaux ministres. Au poste de l'environnement et de l'agriculture vient d'être nommée Adolphine Byaywuwa Muley. A 42 ans, cette activiste engagée dirige depuis 13 ans une organisation pour l’émancipation des femmes pygmées et twa (UEFA) au Sud-Kivu. Kris Berwouts, analyste indépendant sur la région des Grands Lacs nous en dresse le portrait.
Le 5 juin 2013, le gouverneur, Marcellin Chisambo, a annoncé un remaniement du gouvernement de la province congolaise du Sud-Kivu. Il y a un peu plus d'un mois, trois ministres avaient perdu la confiance de l’Assemblée provinciale. Un des nouveaux ministres est Adolphine Byaywuwa Muley, 42 ans. Le gouverneur lui a confié le ministère de l’environnement et de l'agriculture. Adolphine Muley dirige depuis 2000 une organisation locale pour l’émancipation des femmes pygmées et twa : l’Union pour l’émancipation de la femme autochtone (UEFA). Particularité d'Adolphine Muley : elle est née à Bunyakiri, dans le nord de la province, et est originaire d’une famille dont les racines se trouvent partiellement dans la communauté twa.
Défendre les forêts congolaises
UEFA travaillait initialement dans les domaines humanitaires et dans le développement mais ’association a rapidement démarré des activités de plaidoyer. D’abord dans le cadre de la lutte contre des violences faites aux femmes, et plus tard aussi sur la problématique d’une exploitation équilibrée et transparente des forêts congolaises. La forêt joue un rôle décisif dans la survie quotidienne et dans le maintien de la culture pygmée.
En tant que secrétaire-générale d’UEFA, Adolphine Muley a occupé plusieurs mandats dans des plates-formes nationales d’organisations pygmées en RDC et dans des forums de consultations entre le gouvernement et la société civile sur les thèmes de l’environnement, des problématiques forestières et du climat. Au niveau international, elle a participé à des nombreuses rencontres des peuples autochtones aux quatre coins du globe. Ces dernières années, elle est également devenu de plus en plus active dans le plaidoyer international sur le changement climatique.
Le choix de la politique
En 2006, elle a décidé d’entrer dans l’arène politique. Elle a participé aux élections provinciales comme candidate indépendante. Malgré son score élevé (plus de 9.000 voix), elle n’était pas élu. Le système électoral favorisait essentiellement les candidats qui se présentaient sur les listes des partis politiques. Il était donc très difficile pour un candidat indépendant de se faire élire.
Pour augmenter ses possibilités à se faire entendre dans le débat politique, elle a décidé en 2009 de se préparer pour le scrutin de 2011 comme membre d’une famille politique. Après consultation avec la communauté de Bunyakiri et ses chefs coutumiers, elle a décidé de joindre le parti du président Joseph Kabila, le PPRD. Elle s’est présentée comme candidate aux élections chaotiques et contestées de novembre 2011, mais elle n’a pas été élue. Elle est aujourd'hui récompensée pour
son expertise et son engagement avec ces responsabilités ministérielles au Sud-Kivu
"Démocratie d’en bas"
Depuis plusieurs années, les organisations de la société civile congolaise plaident pour la consolidation de qu'elle appelle "la démocratie d’en bas", à travers la décentralisation et l’organisation des élections locales. Les élections locales, prévues dans le calendrier électorale de 2006, n’ont jamais été organisées, ce qui a réduit l’architecture institutionnelle de la démocratie au Congo à une infrastructure avec un toit.. mais sans mur. Ce qui, comme chaque architecte le confirmera, n’est pas une construction solide. Seules des élections libres et transparentes au niveau local peuvent fournir ces murs. La gouvernance participative peut restaurer la crédibilité de l’Etat et contribuer à un renouvèlement du paysage politique s’il s’agit d’un processus mené "du bas vers le haut".
Il est difficile de prédire de quelle espace Adolphine Muley bénéficiera pour établir sa propre politique et réaliser son propre impact. Coopter des militants de la base dans le gouvernement en soi ne réalise pas le rêve de la "démocratie d’en bas". Au point où nous sommes, c'est sans doute un bon début. Mais seulement si des élections locales crédibles suivront comme prévues.
Kris BERWOUTS
Kris Berwouts est analyste et spécialiste de la région des Grands Lacs. Il a travaillé pendant 25 ans pour des ONG belges et internationales œuvrant sur la construction de la paix, la réconciliation, la sécurité et les processus démocratiques. Jusqu’en 2012, il était directeur du réseau des ONG européennes pour le plaidoyer sur l’Afrique centrale, EurAc. Depuis un an, il travaille comme expert indépendant sur cette même région.
Photo © DR
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03 juin 2013
RDC : Une agence d'information contre la "désinformation"
La presse est-elle partiale dans le conflit qui oppose les rebelles du M23 au gouvernement congolais dans l'Est de la RDC ? Oui, selon Michel Sitbon qui vient de créer à Paris l'"Agence d'information" (AI), une agence de presse destinée à lutter contre "les fausses informations" qui circulent sur la guerre du Kivu.
Dans le conflit des Kivus, "la presse ne remplie pas ses fonctions". C'est le sentiment de Michel Sitbon, éditeur et auteur, notamment, de "Rwanda, 6 avril 1994, un attentat français ?". "Les problèmes de cette région sont souvent complexes et parfois mal expliqués", explique-t-il. Avec le journaliste spécialisé Luigi Elongui, Michel Sitbon a donc décidé de créer une agence de presse pour lutter contre ce qu'il considère comme de la désinformation.
Au point de départ de cette initiative : la création par les Nations-unies d'une Brigade d'intervention spéciale, avec un mandat offensif, pour lutter contre les groupes armés en RDC. Une résolution "historique", selon Michel Sitbon, dont les médias internationaux n'ont visiblement pas mesuré les conséquences. "La résolution 2098 créée un précédent unique dans l'histoire : l'ONU instaure désormais une sorte de gouvernement mondial en pouvant intervenir militairement n'importe où dans le monde", dénonce-t-il. Autre anomalie pour Michel Sitbon : "seul le M23 est nommément cité dans la résolution, alors qu'il y a une quarantaine de groupes armés à l'Est du Congo".
Le M23 est-il maltraité par les média occidentaux ? C'est en creux la seconde question que semble poser Michel Sitbon. Il y répond également par l'affirmative. Selon lui, on assiste à la "technique de l'accusation en miroir". "A chaque accusation de viols attribuée à l'armée régulière congolaise (FARDC)", explique-t-il, "on accuse immédiatement le M23 des mêmes crimes... en en rajoutant même un peu plus !". Autre exemple : le bombardement du camp de réfugiés de Mugunga, le 21 mai dernier. Rapidement, une journaliste allemande, Simone Schlindswein du Tageszeitung, relaie les propos d'un casque bleu qui lui explique que le tirs viennent des positions du M23. L'information fait le tour du monde. Pour Michel Sitbon, il s'agit de désinformation pure : "le M23 n'avait d'abord aucune raison de bombarder ce camp et en plus, les positions des rebelles se trouvaient à 50 km du camp... hors de portée des canons du M23". "Le pire", dénonce Michel Sitbon, "c'est que cette information a été reprise et validée par la Monusco". Ecoutez ses explications :
La mission de l'"Agence d'information" (AI), le nom de cette nouvelle structure sera de vérifier les informations en provenance de l'Est de la RDC en faisant du fact checking. Mais aussi en produisant des dépêches à destination des journalistes spécialisés. Autre fonction de l'Agence : reprendre les nombreux rapports internationaux (ONG, ONU... ) sur la région et y dénoncer "les informations mensongères". L'Agence sera basée à Paris, avec un correspondant dans la région des Grands Lacs à la mi-juillet (date de l'entrée en fonction opérationnelle de la Brigade) et un autre à New-York auprès des Nations-unies.
On l'aura compris, l'"Agence d'information" affiche clairement ses positions : contre l'intervention de la Brigade de l'ONU, contre la désignation du seul M23 et du Rwanda comme responsables de la guerre aux Kivus. Luigi Elongui assume pleinement l'engagement de l'Agence. "On n'y échappera pas, mais nous ferons un travail sérieux et professionnel", conclut-il. Nous suivrons avec attention les premiers pas de cette agence, espérant que cette structure ne tombe pas dans la dénonciation systématique et partisane, qui domine allègrement sur internet dans le conflit dans les Kivus et ne rajoute pas de la désinformation à la désinformation... ce serait un comble.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
MISE AU POINT : Après la publication de cet article nous avons reçu plusieurs précisions concernant le bombardement du camp de Mugunga. Tout d'abord venant de la journaliste Mélanie Gouby qui travaille depuis longtemps à Goma pour Reuters, AFP, AP ou Le Figaro. Mélanie Gouby note que les positions du M23 ne se trouvaient pas à 50 km du camp comme l'affirme Michel Sitbon, mais "à moins de 15 km" et donc "parfaitement atteignables avec le genre d'armes que possèdent les rebelles". Et de préciser : "Ndosho et Mugunga se trouvent juste derrière les positions des FARDC. Bien que ni Ndosho, ni Mugunga ne soient la cible des rebelles, ces zones ne sont pas à l'abris d'un tir mal calculé". La journaliste affirme ensuite avoir vérifié l'information auprès du M23. Avant de conclure que "l'information ne se vérifie pas de Paris, mais sur place". Un autre internaute travaillant dans les camps de déplacés de Goma, nous a également fait part de ses doutes sur la version de Michel Sitbon. Selon lui, "les positions du M23 se trouvent à Kibati et Buvira", soit à 10 km des camps. Ce témoin confirme que "le M23 a répondu aux tirs des FARDC qui tiraient de derriere les camps vers la ligne de front". Dont acte.
Michel Sitbon nous a également adressé ce commentaire. Voici son texte : "Je découvre ces commentaires et dois d'abord m'excuser auprès des correspondantes sur place, Mélanie Gouby qui aura pris la peine de s'adresser à moi par l'entremise de ce site, et Simone Schlindwein, à qui j'avais pu faire allusion sans la nommer, puisqu'elle était, ainsi que c'est confirmé là, avec Mélanie Gouby donc, à la source de cette information diffusée mondialement suivant laquelle le M23 « bombardait des camps de réfugiés ».
Rappelons que cette information s'est inscrite dans une séquence de temps où l'information précédente était qu’après six mois de trêve, les forces génocidaires (FDLR) et l'armée congolaise (FARDC) se confrontaient au M23, dans une bataille qui aura duré trois jours. Le fait que le M23, principale cible désignée de l’opération onusienne qui s’engage, soit attaqué, pour commencer, par un adversaire aussi clairement identifié comme criminel que les FDLR aurait mérité d’être relevé.
L’appui massif de l’armée « loyaliste » congolaise, dont ces FDLR bénéficient, pose également problème. On sait aussi que nombre de ces génocidaires se sont incorporés depuis longtemps dans les FARDC qui se trouvaient là, naturellement pourrait-on dire, en soutien des FDLR, leur parti. Or, ces FARDC bénéficient aussi du soutien de l’ONU, et la nouvelle brigade d’intervention entend bien agir en appui des FARDC, l’armée officielle de l’Etat congolais.
C’est au milieu de cette bataille, alors que ces divers sujets de préoccupation étaient escamotés, qu’on apprendra que le M23 « bombardait des camps de réfugiés ».
Cette information ne pouvait que surprendre tant ce n’est certainement pas l’objet du M23 que de bombarder des camps de réfugiés, une population, pour l’essentiel rwandophone, dont il se sent plutôt solidaire. Remercions Mélanie Gouby de reconnaître elle-même ici que « bien que ni Ndosho, ni Mugunga ne soient la cible des rebelles, ces zones ne sont pas à l'abris d'un tir mal calculé ».
Simone Schlindwein aussi confirme dans un tweet que si ces tirs provenaient du M23 cela serait « accidentellement » qu'ils auraient atteint les camps de réfugiés faisant un mort et seize blessés. Elle précise que le caractère accidentel de tels tirs est confirmé par l'ONU.
Entretemps était diffusée l'information suivant laquelle ces tirs ne pouvaient être attribués au M23, son artillerie se trouvant à 50km de là, et n'aurait d'aucune façon pu atteindre Goma ou le camp de réfugiés de Mugunga. Mélanie Gouby objecte ici que rien n’interdit que de tels tirs soient partis des lignes avancées du M23 à « moins de quinze kilomètres » de Goma.
On sait toutefois que l'hypothèse a été avancée que de tels tirs aient pu être effectués à partir d'hélicoptères des FARDC. En effet, tout le monde convient que cela ne correspondait pas à ce qu'on sait de l'action du M23, et que donc, même s'il en était à l'origine cela ne pourrait avoir été intentionnel. Les officiers de la Monusco qui imputent ces tirs au M23 confirment d'ailleurs que celui-ci ne visait pas les civils « délibérément ».
Sans être dans un salon, mais à distance en effet, on pourrait s'accorder sur le caractère crédible de cette assertion apparemment non partisane, puisqu’elle dédouane le M23 de toute intention criminelle. La question se pose néanmoins de savoir si la Monusco ne préfère pas attribuer ces tirs à une erreur du M23 – un tir intentionnel étant manifestement invraisemblable – plutôt qu'aux FARDC auxquelles elle est associée.
Nous n'avions évoqué cette question lors de la de présentation de notre agence d'information qu’en tant qu’exemple de comment l'information mondiale peut être biaisée dès lors qu'il est question du M23. Ainsi, nous aurons bien reçu le message que le M23 « bombardait les camps de réfugiés », répercuté par toutes les agences de presse et l'ensemble des médias qui l'auront repris. Or, tout le monde convient qu'au pire il se serait agi d'un « tir mal calculé », selon la formule de Mélanie Gouby.
A l'heure où l'ONU mobilise pour la première fois de son histoire une force militaire offensive dirigée explicitement contre ce M23, il serait bon que les informations le concernant gagnent en précision, et qu'on en finisse avec la propagande qui coule à robinet ouvert depuis des mois. On aimerait que les correspondants sur place, par exemple, ne diffusent pas des informations de façon systématiquement orientée, tendant à diaboliser le M23 au-delà de toute mesure.
Quant au rectificatif aussitôt publié par Christophe Rigaud d’Afrikarabia, il est à craindre qu’il ajoute à la confusion. D’une part, quoiqu’il en soit des faits, on ne peut que s’accorder à dénoncer l’affirmation reprise par l’ensemble des média, suivant laquelle le M23 « bombardait » aussi bien la ville de Goma qu’un camp de réfugiés, puisque toutes les sources de cette information admettent elles-mêmes que loin de l’action agressive que constitue un « bombardement », il se serait agi, selon elles, d’erreurs de tir.
Aussi superficielle qu’ait pu être notre intervention, elle était donc, en tout état de cause, largement fondée à critiquer un effet de diabolisation du M23, alors même que celui-ci était aux prises avec les forces génocidaires, un fait autrement plus signifiant qu’une « erreur de tir ».
De telles distorsions de l’information sont particulièrement pernicieuses au moment où se constitue une brigade offensive de l’ONU chargée d’intervenir sur le terrain a priori pour désarmer des « forces négatives ». Encore faudrait-il que celles-ci soient correctement identifiées.
Quant à l’affirmation de Mélanie Gouby selon laquelle le M23 aurait reconnu avoir commis ces tirs, on aimerait bien en connaître la source, car il se trouve qu’au contraire celui-ci l’a constamment démenti.
Cette polémique aura eu au moins la vertu de nous inciter à en savoir plus, et, de ce que l’on peut savoir des faits, il semblerait que nous ne nous soyons en fait pas tant égarés.
Selon nos sources sur le terrain, les troupes du M23 qui se sont battues à Mutaho et à Kibati contre les FARDC ne disposaient pas du genre de roquettes qui sont tombées à proximité du camp de Mugunga, qui se trouve à une douzaine de kilomètres du théâtre des affrontements. Ces armes se trouvaient dans le camp militaire du M23 de Rumangabo, situé, lui, à 50 kilomètres de Mugunga.
Les soldats du M23 qui ont été attaqués le 20 mai à Mutaho par les FDLR, puis par les FARDC, n'avaient aucune raison de se promener avec des armes de ce calibre en période de trêve de facto.
Par contre, les hélicoptères M25 des FARDC, qui ont essayé de contourner les positions du M23, se sont pour cela trouvés en face de Mugunga et auraient pu atteindre le camp.
Quant à Mélanie Gouby, si nous acceptons volontiers sa recommandation de prudence, qu’elle nous permette de lui en suggérer autant. Unique correspondante de la presse parisienne sur place, elle n’est pas pour rien dans le flux d’informations déversées depuis des mois au sujet du M23. Ce travail sera parvenu à provoquer rien de moins que l’engagement d’un certain nombre de personnalités, en tête desquelles Jacques Chirac et Valérie Trierwieler, dans une pétition dont les énoncés à l’emporte-pièce n’honoraient certes pas ses signataires.
C’est d’ailleurs ce qui aura suscité notre engagement personnel dans ce dossier : que d’aussi éminentes figures puissent ainsi s’égarer à dire n’importe quoi nous aura semblé particulièrement alarmant.
On peut même relever que c’est dans le mouvement de cette pétition, qui se plaignait de l’inefficacité des forces onusiennes, qu’aura été prise la résolution 2098, décidant de la création d’une brigade offensive pour la première fois dans l’histoire de cette organisation internationale.
C’est précisément pour éviter qu’un tel engagement se fasse en dépit du bon sens que nous aurons constitué l’Agence d’information, du fait du déficit d’informations sérieuses sur ce conflit, tel que même les habitants de la région sont souvent aussi désorientés que peuvent l’être les personnalités pétitionnaires ou le Conseil de sécurité lui-même".
Photo : Michel Sitbon et Luigi Elongui à Paris le 31 mai 2013 © Ch. Rigaud
14:34 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (12)
02 juin 2013
RDC : Une ONG demande l'arrestation d'un policier à Likasi
L'Association africaine de défense des droits de l'homme (ASADHO) appelle l'auditeur de la garnison de Likasi à arrêter un commandant de police du commissariat de Kikula (Katanga). L'ONG accuse ce policier de viol sur une étudiante en droit détenue dans son commissariat.
Dans un communiqué, l'ASADHO affirme qu'une étudiante en droit de l'université de Lubumbashi, arrêtée et détenue dans un cachot du commissariat de Kikula, du 16 au 23 mai 2013, aurait été violée à plusieures reprises par le commandant Alain Basele.
L'ONG rapporte qu'après avoir porté plainte contre le commandant du commissariat, l'auditeur de la garnison a refusé d'ouvrir une instruction. L'ASADHO dénonce également l'attitude du maire de Likasi, qui se serait opposé à l'arrestation du commandant Basele "au motif que la victime aurait déposé sa plainte sous l’instigation d'une organisation de défense des droits de l’homme, alors qu’elle n’avait pas la volonté de le faire". L'ONG congolaise rappelle que de nombreux auteurs de violences sexuelles jouissent de "l'impunité des autorités politiques, judiciaires ou de la Police Nationale Congolaise". L'ASADHO souhaite que le commandant Basele soit rapidement entendu par l'auditeur de la garnison de Likasi et demande au maire de la ville de s'bstenir de toute "obstruction aux actions de la justice".
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
MISE AU POINT : A la suite de cet article, le maire de Likasi nous a communiqué un démenti formel de toute "obstruction aux actions de la justice" et précise que le dossier du capitaine Basele est bien en cours d'instruction par le 1er Substitut de l'Auditeur, le Major Oscar Matonge. Le maire de Likasi précise également que "la porte de son bureau reste ouverte à toute personne cherchant à obtenir les informations exactes sur une situation prévalant au sein de la ville". L'intégralité du droit de réponse du miare de Likasi est accessible ici.
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31 mai 2013
RDC : Le militaire peut-il tout résoudre dans les Kivus ?
D'ici la mi-juillet,une nouvelle Brigade spéciale d'intervention de l'ONU de 3.000 hommes aura pour mission de mettre fin à la guerre en RDC. Son mandat "offensif" réussira-t-il à "neutraliser et désarmer" les groupes armés ? Les militaires pourront-il ramener la paix dans les Kivus sans une approche politique du conflit ? Beaucoup en doute.
L'ONU a décidé de frapper un grand coup à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Souvent accusées d'impuissance dans un conflit qui dure depuis plus de 15 ans, les Nations-unies ont décidé d'employer la manière forte et "d'imposer la paix" selon les propres termes de Ban Ki-moon, en visite à Goma, le 23 mai dernier. Les rebelles du M23 avait prévu un "comité d'accueil" sur mesure, en réactivant les hostilités avec l'armée régulière quelques jours auparavant. Bons princes, les rebelles ont accepté de cesser les combats durant la visite du secrétaire général de l'ONU, histoire de bien montrer à la communauté internationale qu'ils dominaient la situation militaire.
3.000 casques bleus "offensifs"
Le voyage de Ban Ki-moon à Goma laisse pourtant plus de questions que de réponses. Après 14 ans d'impuissance face aux multiples crises qui ont secoué la RDC et l'échec de la prise de Goma par les rebelles du M23 en novembre dernier, la Mission des Nations unies au Congo (Monusco) cherche toujours la solution au conflit des Kivus. Avec l'arrivée de la Brigade d'intervention, prévue à la mi-juillet et composée de 3.000 casques bleus munis d'un mandat "offensif", Ban Ki-moon croit avoir trouvé une des clés du problème. L'objectif affiché est de palier à l'inefficacité de l'armée régulière (FARDC), qui n'est plus que l'ombre d'elle-même sur le terrain militaire. Avec ce nouveau mandat, le premier de ce type dans l'histoire de l'ONU, Ban Ki-moon espère donner un coup d'arrêt aux groupes rebelles : essentiellement le M23... et les FDLR. Mais il faut savoir que l'Est de la RDC est victime d'une vingtaine de groupes armés et qu'il sera difficile, sur un territoire aussi grand, de courir après tout le monde en même temps.
Doutes sur le caractère "guerrier" de la Brigade
La liste des difficultés que devra rencontrer la future Brigade ne s'arrête pas là. Outre le risque de dommages collatéraux sur les populations civiles, qui écornerait sévèrement l'image des casques bleus, la Brigade sera perçue désormais comme "partie prenante" du conflit par le M23, les FDLR et les groupes Maï-Maï. Autre problème : Quel niveau de risque feront prendre les pays contributeurs à leurs soldats ? On sait qu'en Tanzanie et même en Afrique du Sud, deux pays qui participent à la Brigade, la question continue de faire débat, ce qui expliquerait d'ailleurs la lenteur de sa mise en place. Pour Kris Berwouts, un analyste indépendant, spécialiste de l'Afrique centrale : "le M23 a joué remarquablement avec les opinions publiques tanzaniennes et sud-africaines" et il se demande "quelles seront les réactions à Dar Es Salaam et Prétoria quand les premiers corps des soldats reviendront des Kivus". Sur le site de Voice of America, le responsable d'International Crisis Group (ICG) pour l'Afrique centrale, Thierry Vircoulon, ne croit pas au caractère "offensif" et "guerrier" de la Brigade. Pour preuve, le spécialiste d'ICG, note l'appel du président tanzanien au Rwanda, l'encourageant à négocier avec les FDLR. Une prise de position qui sème le doute, pour Thierry Vircoulon, sur la "détermination" de la Brigade à faire la guerre dans les Kivus. Kris Berwouts, pense d'ailleurs que "la stratégie du M23 sera dans un premier temps de faire rapidement des victimes dans les rangs de la Brigade", afin de décourager et démoraliser les opinions publiques des pays contributeurs.
Pas de militaire sans politique
La solution militaire sera-t-elle suffisante pour ramener la paix dans les Kivus ? Certainement pas. "L'action militaire peut créer un peu d'espace, un peu de souffle, pour laisser place à l'action politique, mais rien n'indique que l'on va dans cette direction", explique Kris Berwouts. Et de regretter que "l'action militaire ne soit pas soutenue par une démarche politique plus convaincante". En effet, si des avancées sur la bonne gouvernance, la restructuration de l'armée, l'indépendance des institutions, la volonté d'un dialogue national, sont fortement "recommandées" par l'ONU... rien n'est encore effectif. Le militaire sans solution politique risque donc de déboucher sur une impasse. Ce qui fait dire à Kris Berwouts que "l'espace ne restera pas vide très longtemps dans les Kivus. Si la Brigade réussie à affaiblir un groupe armé sur le terrain, un autre occupera rapidement l'espace laissé libre par le premier".
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
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30 mai 2013
RDC : Le film "Radio Congo" en quête de financements participatifs
Un projet de film documentaire sur l'arrivée d'un moteur à huile de palme dans une radio de brousse en République démocratique du Congo (RDC) est en cours de préparation. Porté par le réalisateur Philippe Ayme, "Radio Congo" recherche actuellement des soutiens, via un site de financement participatif.
La radio comme "vecteur de démocratie et de lien social", c'est ce que souhaite montrer le réalisateur Philippe Ayme dans son film documentaire "Radio Congo". En République démocratique du Congo, pays tourmenté par quinze années d'une guerre sans fin, la radio joue un rôle déterminant dans l'information des populations rurales, souvent enclavées.
Passionné par l'Afrique, Philippe Ayme souhaite suivre le quotidien de Radio Nsemo, une des nombreuses radios de brousse, installée à Idiofa dans la province du Bandundu. Philippe constate alors que, comme de très nombreuses radios, "cette station fonctionne grâce à un groupe électrogène". Problème : "avec le conflit au Nord-Kivu et la flambée du prix du pétrole, le prix du carburant ne cesse d’augmenter. Les responsables de la radio sont donc contraints de réduire le temps de fonctionnement du générateur", explique le réalisateur.
Mais depuis quelques années, une solution alternative existe. Dans une autre province congolaise, une radio a réussi à fonctionner grâce... à l'huile de palme. Moins coûteuse et directement récoltée à proximité du village, l'huile de palme permet de faire tourner le générateur électrique qui alimente la radio et l'émetteur. "Ce sont les habitants qui fournissent à tour de rôle l'huile nécessaire", note Philippe Ayme, "ce qui permet à la radio d'émettre 10 heures par jour, contre seulement 2 lorsque la station était alimentée en fioul". C'est cette expérience originale que souhaite filmer le réalisateur à Idiofa, avec l'arrivée d'un nouveau moteur à huile de palme pour Radio Nsemo.
Pour réaliser son film documentaire, "Radio Congo", Philippe Ayme a besoin d'un coup de pouce. Car si le projet est original, il est souvent difficile de trouver les diffuseurs pour ce type de film. Les chaînes de télévision sont en effet de plus en plus frileuses à s'engager sur des sujets à l'international dans un pays peu connu du grand public. Le réalisateur Philippe Ayme a donc eu l'idée de présenter son projet sur un site de financement participatif : kisskissbankbank.com. Le site permet aux particuliers de soutenir le film en échange d'avantages divers : projection, DVD, affiche du film... Philippe Ayme recherche 3.500 euros pour boucler son budget de repérage prévu cet été. Le projet "Radio Congo" est soutenu par l'association Atelier Atlas Production et la société de production Adalios. Une structure de production congolaise, Matombi, semble égaleemnt intéressée par le projet. Pour en savoir plus, n'hésitez pas à vous rendre sur le site du projet "Radio Congo". Nous, on le trouve passionnant.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
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28 mai 2013
La RDC épinglée par Amnesty international
Dans son rapport 2013 sur la situation des droits de l'homme dans le monde, Amnesty international n'est pas tendre avec le régime de Kinshasa. Selon l'ONG, "les groupes armés comme les forces de sécurité gouvernementales ont menacé, harcelé et arrêté arbitrairement des défenseurs des droits humains, des journalistes et des membres de l’opposition politique".
Les rapports se suivent... et se ressemblent. Le nouveau rapport 2013 d'Amnesty international (1) sur la République démocratique du Congo observe que le retour du conflit entre les rebelles du M23 et le gouvernement à l'Est du pays a considérablement aggravé la situation des droits de l'homme dans le pays. "Exactions perpétrées par des groupes armés, violences faites aux femmes, enfants soldats, personnes déplacées, torture, procès inéquitables, arrestations et détentions arbitraires, liberté d’expression"... la liste dressée par Amnesty est impressionnante.
Rebelles et armée régulière accusés
Après la réélection contestée de Joseph Kabila en novembre 2011, la RDC a renoué avec ses anciens démons. En avril 2012, un nouveau mouvement rebelle, issu de l'ancienne rébellion du CNDP, a vu le jour, ramenant la guerre dans les Kivus. Le M23 a réussi à s'emparer de la ville Goma pendant 11 jours, sans rencontrer de résistance de la part de l'armée régulière (FARDC), démotivée et sous-payée. Dans son rapport 2013, Amnesty note que "le redéploiement des soldats des FARDC pour combattre le M23 dans l’Est du pays a créé un vide en matière de sécurité dans d’autres régions". Car outre le M23, des dizaines d'autres groupes armés se sont "réveillés" et terrorisent les populations civiles : FDLR, Raï Mutomboki, FNL, APCLS, LRA, ADF/NALU, et de nombreux groupes d'autodéfense Maï-Maï... Amnesty note que ce sont les femmes et les jeunes filles qui paient "le terrible prix de l’intensification des hostilités". "Un grand nombre de femmes ont été victimes de viol et d’autres formes de violences sexuelles imputables aussi bien à des membres des FARDC qu’à des groupes armés" révèle l'ONG. Idem sur les enfants soldats. Amnesty explique que les enfants sont recrutés aussi bien par les groupes armés... que par l'armée régulière.
Le cas Ndongala
En dehors des zones de conflits, circonscrites essentiellement à l'Est du pays, Amnesty dresse un portrait peu flatteur de la situation des droits de l'homme en RDC. "La pratique de la torture, et plus généralement des mauvais traitements, est endémique dans tout le pays", relève l'ONG. La justice congolaise n'est pas épargnée par le rapport : "le manque d’indépendance des tribunaux, les violations des droits des accusés, l’absence d’aide juridique et la corruption figurent au nombre des obstacles à l’équité des procès". Amnesty note également que "les arrestations et détentions arbitraires demeurent généralisées dans tout le pays". Les opposants politiques sont les premières victimes de ces arrestations. Le rapport revient sur la "disparition" de l'opposant Eugène Diomi Ndongala le 27 juin 2012, alors qu’"il était en chemin pour aller signer une charte de coalition avec d’autres partis politiques". Amnesty rappelle qu'"il a été remis en liberté 100 jours plus tard, après avoir été détenu au secret par l’Agence nationale de renseignements (ANR), à Kinshasa. Il n’a pas été autorisé durant sa détention à recevoir la visite de ses proches ni à consulter un avocat ou un médecin, malgré les problèmes de santé chroniques dont il souffrait".
Liberté d'expression minimale
La liberté d’expression a également été sévèrement restreinte, "en particulier pendant la période qui a suivi les élections et alors que le M23 gagnait du terrain dans l’Est du pays", dénonce Amnesty. "Des stations de radio, des chaînes de télévision et des journaux ont été suspendus arbitrairement par les autorités. Des locaux d’organes de presse ont été la cible d’incendies volontaires, entre autres dégradations. On ignorait l’identité des auteurs de ces attaques".
Le gouvernement congolais affirme pourtant faire des efforts pour améliorer les droits de l'homme en RDC. Un ministère de la Justice et des Droits humains a d'ailleurs été récemment créé. Amnesty note qu'en février 2012, ce même ministère avait "demandé aux autorités judiciaires civiles et militaires d’ouvrir des enquêtes sur les allégations de violences électorales... mais les investigations ne semblaient guère avoir progressé au cours de l’année".
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
(1) Le rapport complet d'Amnesty est à lire ici.
11:52 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (8)
25 mai 2013
Francis Laloupo décortique la Françafrique
Un an après l'élection de François Hollande, l'éditorialiste Francis Laloupo se penche sur 50 ans de délicates relations entre la France et le continent africain. Sans complaisance sur les responsabilités des élites africaines, le journaliste retrace l'histoire des réseaux françafricains et se demande surtout comment établir, à l'avenir, un nouveau partenariat "normalisé" entre la France et l'Afrique.
Nicolas Sarkozy avait promis la "rupture", sans jamais la réaliser. François Hollande a promis le "changement maintenant". En toute logique Francis Laloupo pose la question dans le titre de son dernier ouvrage : "France-Afrique : la rupture maintenant ?" (1). En 264 pages, Francis Laloupo retrace 50 ans de relations "singulières" entre la France et l'Afrique. Depuis De Gaulle, l'inventeur du système d'"indépendance-association", en passant par Chirac le "paternaliste", jusqu'à Sarkozy, le journaliste analyse l'évolution des rapports, parfois complexes, entre la France et ses anciennes colonies africaines.
Valse des mallettes
Sur la définition de ce qu'on appelle la "Françafrique", Francis Laloupo dresse une liste amusante de cette "galaxie mouvante". On y trouve "des politiques, des émissaires officieux, des conseillers en communication auto-proclamés (…), des "chasseurs de CFA", des pseudo humanitaires, des journalistes prébendiers et transmués en agents de publicité de régimes patibulaires , des journalistes "spécialistes de l'Afrique" exerçant occasionnellement la discrète fonction d'agents de renseignement français, des affairistes arborant l'insigne de la Franc-maçonnerie(…) le spectre est large" conclut Francis Laloupo. De gaulle (et son fidèle Foccart), Pompidou, Giscard, Chirac, Mitterrand, Sarkozy… personne n'a échappé aux appels de la Françafrique, note l'auteur. Au menu de ces relations incestueuses : "la valse des mallettes" pour financer les partis politiques hexagonaux. En échange, le chef d'Etat africain se voit gratifié de la bienveillance de Paris… et de ses soldats, toujours prêts à venir défendre un régime chancelant.
Erreurs d'appréciation
La galerie de portrait des présidents français est réjouissante. Chirac est d'un "paternalisme ahurissant". Et de citer ce propos attribué à l'ancien président : "l'Afrique n'est pas mûre pour la démocratie"… tout est dit. Le décryptage des relations entre Nicolas Sarkozy et l'Afrique est sans doute l'un des mieux senti du livre. "Nicolas Sarkozy", écrit Francis Laloupo, "aura eu tout faux, à force de vouloir tout et son contraire". L'auteur rappelle le "limogeage" sans délai de Jean-Marie Bockel, sur demande expresse d'Omar Bongo. Sur la "rupture" promise par le candidat Sarkozy, le journaliste note très justement que "pour rompre, il faut être deux". "La rupture ne pouvait se décréter unilatéralement depuis l'Elysée" sans accord entre Paris et les pays africains, explique Francis Laloupo. Le bilan du quinquennat Sarkozy semble se résumer à cet note de l'ambassade américaine à Paris, qui estima que "la politique de Sarkozy laisse aux Etats-unis les mains plus libres en Afrique". L'auteur dresse ensuite une longue liste des "erreurs d'appréciation" de la France en Afrique. Le soutien "sans faille à Mobutu", la "désastreuse appréciation du conflit rwandais qui déboucha sur le crime absolu", le "plantage des accords de Marcoussis" sous la houlette de Dominique de Villepin, "à la manière d'un gouverneur colonial régentant un procès tribal"…
Pour une "deuxième indépendance"
L'ouvrage se termine par l'arrivée au pouvoir de François Hollande en mai 2012. L'auteur semble plutôt bienveillant concernant le nouveau locataire de l'Elysée (un peu trop ?). Francis Laloupo le présente comme un homme ayant "un sens exceptionnel de la méthode" et "une capacité à construire des perspectives". Et de rappeler les premiers gestes du président français sitôt élu : la réception du Béninois Thomas Boni Yayi, du nigérien Mahamadou Issoufou, tous les deux "démocratiquement élus", ou encore la "poignée de main chaleureuse" à Dakar avec Macky Sall. L'auteur note aussi l'ambiance crispée avec Omar Bongo et cette phrase de François Hollande sur "l'obligation de transparence sur l'utilisation de l'argent de la manne pétrolière". Selon Francis Laloupo, le message de Hollande à l'Afrique est clair : "bonne gouvernance, non-ingérence et pacte de croissance". Le journaliste tire aussi le signal d'alarme. Si rien ne change, "les jeunes générations se détourneront de la France". Paris n'est déjà "plus la référence", note les diplomates en Afrique, "même si les Français ont du mal à l'admettre". D'après François Hollande, "le changement viendra d'abord et avant tout des peuples". Une idée partagée par l'auteur qui estime que l'heure de la "deuxième indépendance" a sonné. Et de résumé la vision "hollandaise" de l'Afrique par cette phrase prononcée par le président français au Mali : "nous payons aujourd'hui notre dette à votre égard".
Depuis l'écriture de ce livre, François Hollande semble avoir été rattrapé par la realpolitik… et la Françafrique. Le président s'est vu contraindre à défendre le pré carré africain… comme les autres. La guerre au Mali a rendu intouchable le très autoritaire Idriss Déby. Et le palais de l'Elysée a récemment vu défiler les présidents Sassou Nguesso et Paul Biya… tous deux, maîtres ès Françafrique. Mais restons optimistes et retenons que la politique africaine de François Hollande reste encore à écrire.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
(1) Francis Laloupo : "France-Afrique : la rupture maintenant ?" - mai 2013 - 264 pages
Editions Acoria - 19 euros.
22:48 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (1)
22 mai 2013
RDC : Vital Kamerhe se repositionne
Dans l'attente du "dialogue national" inter-congolais promis par le président Joseph Kabila, Vital Kamerhe vient de lancer le "Front commun de l'opposition" (FCO), avec plusieurs autres partis d'opposition. Avec cette nouvelle structure, Vital Kamerhe tente de s'imposer comme le personnage incontournable de l'opposition, mais sans le MLC et l'UDPS "historique" d'Etienne Tshisekedi.
Depuis mardi, le "Front commun de l'opposition" (FCO), se propose d'unifier l'opposition politique congolaise, en vue du futur (et hypothétique ?) "dialogue national", annoncé en décembre dernier par le président Joseph Kabila. Prévu "début 2013", le dialogue inter-congolais peine à se mettre en place. Beaucoup n'y voit qu'une simple "distraction" du pouvoir en place pour "enfumer" le débat et "débaucher" quelques membres de l'opposition en signe "d'ouverture". L'opposant Etienne Tshisekedi, patron de l'UDPS, premier parti d'opposition, et le MLC, deuxième groupe d'opposition parlementaire, ne semblent pas encore disposés à participer au "dialogue" proposé par Joseph Kabila. En cause : les élections contestées de novembre 2011, dont Etienne Tshisekedi ne reconnaît pas les résultats.
Du côté de Vital Kamerhe, arrivé en troisième position à la présidentielle, la donne est différente. Le retour de la guerre à l'Est avec le M23, les accords d'Addis-Abeba, sont autant de sujets qui nécessitent un large débat politique "transparent" afin de "favoriser la réconciliation et la démocratisation". Autour de Vital Kamrehe, président de l'UNC, on retrouve le président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo, Gilbert Kiakuama et les "Forces acquises au changement" (FAC) du député Jean-Claude Vuemba. Le groupe d'opposition parlementaire de l'UDPS à l'Assemblée nationale fait également partie de l'aventure. Exclus par Etienne Tshisekedi, qui avait souhaité le boycott des institutions, ce groupe ne fait "officiellement" plus partie de l'UDPS. Le MLC de l'ancien vice-président Jean-Pierre Bemba (actuellement devant la Cour pénale internationale de La Haye), est également absent du "Front commun de l'opposition" (FCO).
Avec une UDPS enfermée par le mutisme d'Etienne Tshiskedi et un MLC sans leader depuis l'incarcération de Jean-Pierre Bemba, l'opposition est inexistante et atone en RDC. Un désert politique dont Vital Kamerhe a toujours pensé profiter. Ce fut le cas en novembre 2011, avec une convenable troisième place à la présidentielle (7,74%), même si les résultats sont contestables et entachés de fraudes massives. En 2010 Vital Kamerhe avait opéré une mue politique à grande vitesse, passant en quelques mois de la majorité présidentielle (où il était très proche de Joseph Kabila) à l'opposition. Une mue plutôt réussie.
Mais depuis les élections, le leader de l'UNC peine à trouver son positionnement. Il faut dire que la création d'une nouvelle rébellion à l'Est et le retour de la guerre a changé le scénario. Le président Joseph Kabila, affaibli par sa réélection contestée, a pu endossé le costume de la "victime agressée" et reprendre ainsi la main sur les dossiers de politique intérieur. En sonnant l'heure de la "réconciliation nationale" et de l'unité, Joseph Kabila a retrouvé une certaine "légitimité" internationale et a également poussé l'opposition à sortir de son mutisme. Comme on pouvait s'y attendre, Etienne Tshisekedi a refusé en bloc tout dialogue avec Joseph Kabila, ce qui obligeait Vital Kamerhe a prendre le contre-pied du leader de l'UDPS. Un positionnement délicat pour Kamerhe, qui le place désormais avec les opposants prêts à composer avec le président congolais.
Mais Vital Kamerhe joue également une autre carte. La reprise des hostilités à l'Est de la RDC, l'arrivée de la Brigade spéciale de l'ONU, le replace au centre d'un dossier qu'il connaît bien : la guerre aux Kivus. En 2001, en pleine seconde guerre du Congo, Vital Kamerhe est commissaire général du gouvernement chargé du suivi du processus de paix dans la région des Grands lacs. S'en suit le célèbre "Dialogue inter-congolais", que souhaite actuellement remettre au goût du jour Joseph Kabila. Sur le dossier de l'Est, Kamerhe estime avoir son mot à dire et son expertise à apporter. L'ancien président de l'Assemblée nationale dresse un "constat amer" de l'accord-cadre d'Addis-Abeda et constate qu'il n'y a pas "d'avancées significatives". Les 11 pays signataires s'étaient engagés à soutenir le retour à la paix en RDC et à ne pas aider les groupes armés. Force est de constater que les combats ont repris depuis ce lundi autour de Goma, sans que la communauté internationale, ni les pays de la région, ne bougent.
Dans cette situation de bloquage, Vital Kamerhe sait que toutes les bonnes volontés seront consultées le moment venu. L'homme est né à Bukavu au Sud-Kivu, et connaît parfaitement les acteurs du conflit. Ce qui fait une force dans le dossier du conflit aux Kivus constitue une faiblesse lorsque l'on veut s'adresser à l'ensemble des Congolais, toujours très "méfiants" à propos des Kivutiens, pour ne pas dire plus. La logique des alliances politiques est donc indispensable pour Vital Kamerhe, s'il veut atteindre le sommet de l'Etat, ce qui semble être le cas. Le "Front commun d'opposition" (FCO) constitue donc sa nouvelle plateforme pour élargir sa base électorale : quelques UDPS (même en délicatesse avec leur patron), Léon Kengo, bien implanté en Equateur, un libéral (la doctrine affichée de Kamerhe), avec Gilbert Kiakuama et Jean-Claude Vuemba, du Bas-Congo et dynamique cheville ouvrière de l'opposition.
Vital Kamerhe continue donc sa logique d'exposition maximum pour exister sur l'échiquier politique et gagner ses galons d'opposant au président Kabila. Le futur "dialogue national", s'il s'ouvre, constitue une énorme caisse de raisonnance. Reste donc à attendre le fameux "dialogue inter-congolais" nouvelle version, qui devrait se tenir "très prochainement", "dans les prochains jours", si l'on en croit le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende. A moins que la situation à l'Est n'en décide autrement.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo : Vital Kamerhe lors du lancement du FCO en mai 2013 © DR
16:12 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (3)
21 mai 2013
FRANCE-RWANDA : Ndagijimana perd une nouvelle fois son procès pour diffamation
L'historien Jean-Pierre Chrétien et l’écrivain-journaliste Jean-François Dupaquier, étaient poursuivis depuis 2010 pour diffamation et injures par l’ancien ambassadeur du Rwanda en France Jean-Marie Vianney Ndagijimana. Tous deux avaient critiqué, dans un courrier privé, ses propos et écrits sur le génocide des Tutsi en 1994, en particulier sa thèse d’un « double génocide ». Leur relaxe devant le tribunal correctionnel de Rouen (France) le 14 février 2012 vient d’être confirmée par la Cour d’Appel le 2 mai 2013 (1).
Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier avaient été mis en examen à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile pour diffamation et injure déposée par Jean-Marie Vianney Ndagijimana, ancien ambassadeur du Rwanda à Paris (ayant acquis par la suite la nationalité française). Rappelons que l’ambassadeur avait été démis de ses fonctions le 27 avril 1994 pour des motifs qui n’ont jamais été éclaircis. Il avait quelques jours plus tard dénoncé le génocide en cours.
En cause dans sa plainte : une lettre adressée par l’historien et le journaliste au pasteur adventiste Jean-Guy Presles, président d’un Collectif organisateur de conférences qui s’étaient tenues en septembre 2009 à Rouen sur "le dialogue et la réconciliation entre Rwandais" où le mot « génocide » était significativement absent de l’intitulé des quatre conférences.
Dans ce courrier, ils estimaient que les organisateurs avait été trompés et que les quatre orateurs, dont l'ancien ambassadeur Jean-Marie Vianney Ndagijimana, défendaient tous la même thèse, celle du "double génocide" dont auraient été victimes simultanément les Hutus et les Tutsis. Ils soutenaient que les orateurs avaient rejoint ainsi "les réseaux européens des négationnistes du génocide des Tutsis".
Débouté devant le tribunal correctionnel, Jean-Marie Vianney Ndagijimana ayant fait appel, la Cour d’Appel de Rouen vient de confirmer le premier jugement « en toutes ses dispositions ».
Lors de l’audience en appel le 9 janvier 2013, Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier avec leurs avocats, Me Antoine Comte et Me Gilles Paruelle, avaient une nouvelle fois souligné la légitimité du courrier qu’ils avaient adressé à l’époque aux organisateurs de la série de conférences, dont ils estimaient que leur bonne foi avait été abusée.
Lors de l'audience, l'ancien diplomate avait rejeté avec force l'accusation de négationnisme. « Je refuse cette équation diffamatoire », avait-il dit en affirmant « qu'il appartenait aux deux communautés, étant tutsi par sa mère et hutu par son père. »
Dans l’intervention que la Cour lui demanda à la fin du procès, l’historien Jean-Pierre Chrétien rappela fortement que le génocide de 1994 n’a pas été une guerre interethnique avec des victimes réparties également entre deux camps « naturellement » antagonistes, mais la perpétration d’un projet d’extermination raciste qui a littéralement déchiré la société rwandaise, jusqu’au niveau le plus intime, à tel point que des familles peuvent compter en leur sein à la fois des victimes et des bourreaux.
De son côté Jean-François Dupaquier a demandé au Tribunal de rappeler le droit à la liberté d’expression. Aucune « loi mémorielle » ne sanctionnant la négation du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, qualifier de « négationnistes » des propos provocateurs s’inscrivant dans la phraséologie par laquelle des responsables du génocide cherchent à minimiser leur responsabilité, n’est ni une injure ni une diffamation, mais bien au contraire un devoir de vérité et une incitation à la réflexion critique.. Il a noté que Jean-Marie Vianney Ndagijimana refuse de dire par quel moyen il s’est procuré un courrier confidentiel et que ce refus pose la question d’une violation de correspondance.
Interrogé, Jean-Pierre Chrétien « observe que la Cour d’appel, avec la même sagesse que le tribunal de première instance, a refusé de s’engager dans la réécriture de l’Histoire qui lui était demandée, mais qu’elle a fait respecter la liberté d’expression et de recherche dans notre pays ». Il rappelle à nouveau que « la réconciliation nationale nécessaire au Rwanda ne sera possible que sur la base d’une reconnaissance claire de la réalité du génocide des Tutsi et de la responsabilité de la politique raciste qui y a conduit. »
Lui-même et Jean-François Dupaquier remercient les soutiens qu’ils ont trouvés dans une épreuve qui leur a été ainsi indûment infligée. Notamment auprès de la Ligue des Droits de l’Homme, du Comité de vigilance sur les usages publics de l’histoire (CVUH), de l’Association des chercheurs de Politique africaine (ACPA) et auprès de centaines de chercheurs, d’intellectuels et de défenseurs de la liberté de pensée et d’expression.
(1) L'arrêt de la Cour d'appel de Rouen est consultable ici
Afrikarabia
11:28 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)
20 mai 2013
RDC : Combats près de Goma, un test pour l'ONU
Depuis lundi matin, la rébellion du M23 affrontent l'armée régulière (FARDC) à seulement 12 km de la ville de Goma. La Monusco affirme que les rebelles sont à l'initiative de l'offensive alors que le M23 déclare avoir voulu déloger une autre milice, les FDLR, de la zone de Mutaho. Le retour des combats à l'Est pourrait précipiter l'intervention la Brigade d'intervention de l'ONU, sur place depuis plusieurs semaines.
Lundi 20 mai, très tôt dans la matinée, de violents affrontements ont opposé les rebelles du M23 aux forces gouvernementales (FARDC). Les combats se sont déroulés autour de la zone de Mutaho, à une dizaine de kilomètres au Nord de la ville de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu. Comme à chaque reprise des combats, il est extrêmement difficile de déterminer qui a tirer le premier ? La Monusco, la mission de l'ONU sur place, affirme que ce sont les rebelles qui ont attaqué les FARDC. Même son de cloche à Kinshasa, où le porte-parole de l'armée a déclaré que le M23 menaçait d'attaquer Goma depuis plus d'une semaine. La rébellion explique, au contraire, que se sont les FDLR, un groupe rebelle rwandais, accusé de servir de milice supplétive à l'armée régulière, qui auraient mené une offensive aux environs de Mutaho (non loin de Kibati).
La bataille de Goma va-t-elle reprendre ? En novembre 2012, les rebelles du M23 avait déjà occupé la ville pendant une dizaine de jours, sans presque combattre. Après plusieurs jours de pressions internationales, le M23 avait accepté de quitter Goma en échange de négociations avec le gouvernement congolais à Kampala. Des négociations au point mort depuis plusieurs mois.
Depuis novembre 2012, un nouvel acteur est venu changer la donne dans la région : la Brigade d'intervention spéciale de l'ONU. Devant l'échec de la Monusco, qui n'a pu empêcher la prise de Goma par les rebelles, l'ONU a souhaité "muscler" sa force, avec 3.000 nouveaux soldats et un mandat plus "offensif". Cela sera-t-il suffisant pour lutter contre le M23, les FDLR et les dizaines de groupes armés Maï-Maï sur un gigantesque territoire composé de montagnes et de forêts ? Beaucoup en doute.
La reprise des combats autour de Goma ce lundi, sonne donc l'heure de vérité pour la fameuse Brigade, même si celle-ci n'est encore totalement prête. Une partie des troupes est désormais présente sur zone depuis plusieurs semaines. Le M23 accuse d'ailleurs le gouvernement d'avoir sciemment déclenché les hostilités pour précipiter l'intervention de la Brigade de l'ONU. Côté gouvernemental, qui attend beaucoup (peut-être même un peu trop) de cette Brigade, on explique que c'est le M23 qui souhaite "tester" la réaction de l'ONU en lançant l'offensive ce lundi. Toujours est-il qu'il sera difficile pour la Brigade de rester les bras croisés, si les combats venaient à se prolonger. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, est d'ailleurs attendu dans la région mercredi 22 mai… la grande nervosité qui règne autour de Goma n'est donc pas un hasard.
En fin d'après-midi, ce lundi, la situation semblait s'être calmée sur le terrain, après l'intervention d'hélicoptères des FARDC sur zone, d'après des témoins. L'armée congolaise a également affirmé contrôler la localité de Mutaho.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
INFORMATIONS MISES A JOUR le 20 mai à 22h00 (Paris).
15:55 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (3)
16 mai 2013
RDC : La Monusco impuissante à Pinga ?
La ville de Pinga, à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) s'est vidée de la moitié de sa population à la suite de violents combats entre deux groupes armés fin avril. La passivité des casques bleus sud-africains à Pinga fait douter de l'efficacité de la future Brigade d'intervention spéciale de l'ONU qui se déploie actuellement au Nord-Kivu.
Que s'est-il passé à Pinga fin avril 2013 ? De violents affrontements ont opposé deux groupes rebelles congolais pour le contrôle de cette localité de 60.000 habitant, dans la province du Nord-Kivu. Le 29 avril, les Maï-Maï Cheka se sont emparés de Pinga en y chassant les rebelles de l'Alliance pour un Congo libre et souverain (APCLS). Au coeur du conflit : des problèmes fonciers, le pillage des ressources naturelles, mais aussi la lutte, par milices interposées, entre la rébellion du M23 et le gouvernement congolais. En effet, les Maï-Maï Cheka, ont noué une alliance de circonstance avec le M23, alors que l'APCLS fait office de milice supplétive de l'armée régulière congolaise (FARDC).
"La moitié de la population a fui"
Les combats ont été d'une rare violence et la population civile a été la première victime des affrontements. Médecins sans frontière (MSF), seule ONG présente sur place, a indiqué que "la moitié de la population de Pinga avait fui leurs habitations". 11 membres du personnel congolais de MSF ont également été portés disparus à la suite des combats, avant d'être retrouvés sains et saufs quelques jours plus tard. Depuis les combats de la fin avril, la situation reste "tendue et imprévisible" à Pinga, selon MSF, qui continue de mener son travail dans des conditions extrêmement difficiles.
Que fait la Monusco ?
Ces affrontements auraient-ils pu être évités ? Ironie du sort : une base de la Monusco, la mission des Nations unies pour le Congo, se trouve justement à Pinga. Depuis le début des combats entre milices, les civils s'y sont regroupés aux alentours pour se mettre à l'abri, mais la Monusco n'est pas intervenue sur la terrain. Un expert de la région nous confiait "qu'aucune patrouille n'avait eu lieu", "ni pas de survol à basse altitude pour dissuader les groupes armés", comme c'est quelquefois le cas.
Seconde ironie de la situation à Pinga : les soldats de la Monusco présents sur place viennent... d'Afrique du Sud. Les mêmes soldats sud-africains sont attendus avec impatience au Nord-Kivu dans le cadre de la Brigade d'intervention spéciale de l'ONU, censée éradiquer les groupes armés à l'Est de la République démocratique du Congo. Cette Brigade de 3.069 soldats devraient venir "muscler" les 17.000 casques bleus, déjà présents en RDC, avec un mandat plus "offensif". Pour ce spécialiste de la région, "la situation à Pinga présage de ce qui pourrait se passer avec la Brigade d’intervention qui est en train d’être déployée".
Inaction de la Brigade d'intervention ?
La passivité de la Monusco à Pinga augure mal de l'efficacité de la future Brigade. Toujours selon cet expert, la Monusco se retranche derrière l'inaction de l'armée régulière (FARDC) pour justifier sa non-intervention. "La Monusco, explique-t-il, affirme ne pas pouvoir intervenir sans les FARDC, alors que son mandat (la résolution 2098) le lui permet parfaitement". Une attitude qui fait craindre une "lecture à minima" de leur mandat, avec une efficacité forcement réduite. Ce que craint cet expert, c'est "l'inaction totale de la future Brigade d'intervention au nom de la non mise en danger du personnel des Nations unies". Un risque que n'a visiblement pas fait courir l'Afrique du sud à ses soldat de Pinga fin avril. "Tout au plus, souligne ce spécialiste, cette Brigade ne servira qu'à contenir le M23 et les FDLR, sans réellement lutter contre les nombreux autres groupes armés."
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
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03 mai 2013
RDC : Le Katanga en débat sur Africa N°1
"Le Grand Débat", l'émission de Francis Laloupo, s'est penché jeudi 2 mai sur la dégradation de la situation sécuritaire au Katanga. Le 23 mars dernier, un groupe de 250 miliciens a investi la ville de Lubumbashi, sans rencontrer aucune résistance des forces de sécurité congolaises. Que réclament ces rebelles ? Comment expliquer l'absence de l'Etat dans cette riche province minière ? Réponses dans cette émission avec : Marc-André Lagrange d'International Crisis Group, Zobel Behalal du CCFD-Terre solidaire et Christophe Rigaud d'Afrikarabia.com.
Comment Lubumbashi, la "capitale du cuivre" et deuxième ville de République démocratique du Congo, peut-elle se retrouver à la merci d'un groupe armé ? Pourquoi le "coffre-fort" de cette riche province est-il aussi mal gardé par l'Etat central ? Ce sont les questions légitimes que l'on peut se poser après l'attaque de Lubumbashi le 23 mars dernier. Pendant quelques heures, un groupe de 250 miliciens, les Maï-Maï "Bakata Katanga", a investi la ville, sans résistance de la police et de l'armée congolaise. Objectif affiché des rebelles : l'indépendance du Katanga !
Car en arrière plan de cette attaque "indépendantiste", il y a la politique de décentralisation très controversée du président Joseph Kabila. Le futur redécoupage du Katanga prévu par la Constitution devrait créer 2 provinces (agricoles) au Nord et 2 provinces (minières) au Sud. La province serait alors morcelée entre un Katanga "utile" (au Sud) et un Katanga "inutile" et non-viable (au Nord)... ce qui n'est visiblement pas du goût de tout le monde. On soupçonne donc plusieurs personnalités politiques katangaises de manipuler le fameux groupe indépendantiste Maï-Maï pour faire pression sur Kinshasa.
Qui sont ces rebelles ? Pourquoi l'Etat est-il aussi absent dans cette province ? "Le Grand Débat" d'Africa N°1 a consacré son émission du jeudi 2 mai à la situation au Katanga. Autour de Francis Laloupo : Marc-André Lagrange, analyste à International Crisis Group depuis NaIrobi, Zobel Behalal, chargé de plaidoyer au CCFD-Terre solidaire et Christophe Rigaud, Journaliste, spécialiste de la RD Congo et de l’Afrique centrale et responsable du site afrikarabia.com. L'émission est à réécouter ici :
http://www.africa1.com/spip.php?article32076
Photo : Lubumbashi - Ch. Rigaud © www.afrikarabia.com
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29 avril 2013
RDC : La brigade d'intervention sera-t-elle efficace ?
3.000 casques bleus doivent arriver prochainement dans l'Est de la République démocratique du Congo pour "neutraliser les groupes armés". Une brigade d'intervention spéciale de l'ONU dont Kinshasa attend beaucoup et dont les experts doutent de sa réelle efficacité.
La mise en place de la brigade spéciale d'intervention dans l'Est de la République démocratique du Congo serait "imminente", selon l'ONU. Sur les 3.000 hommes attendus dans les Kivus, environ 800 seraient déjà sur place et son commandant, le tanzanien James Mwakibolwa se trouve dans la ville de Goma depuis le 23 avril dernier. L'ONU annonce l'arrivée des autres contingents, venant du Malawi et de Tanzanie, "d'ici le mois de juillet". Tout est donc prêt pour accueillir une brigade de casques bleus dotée d'un mandat "offensif" et devant "neutraliser les groupes armés opérant dans l'Est de la RDC".
Impatience à Kinshasa
Sur l'efficacité de la brigade d'intervention de l'ONU, les Congolais en attendent beaucoup. Peut-être même, un peu trop. Présenté, en toute modestie par Kinshasa, comme une "victoire diplomatique", le déploiement de ces "super casques bleus" doit tout simplement "mettre un terme à la guerre dans l'Est du pays", selon le porte-parole du gouvernement. Après avoir échoué militairement face aux rebelles du M23, Kinshasa n'a pas réussi à imposer une sortie de crise aux négociations de paix de Kampala. Faute de mieux, les autorités congolaises ont donc remis leur destin entre les mains des Nations unies. Le président Joseph Kabila, affaibli par une réélection contestée et un conflit qui lui échappe, attend donc avec une certaine impatience la mise en place de la brigade. Selon son ministre des Affaires étrangères, "le seul avenir du M23 c'est de cesser d'exister comme mouvement politico-militaire, sinon, la brigade d'intervention s'occupera de mettre fin à son existence".
Solution "à court terme"
Dans l'opposition, si on accueille avec soulagement l'arrivée de la brigade spéciale, sur son efficacité, il y a par contre quelques bémols. "C'est une solution, certes, mais à court terme", estime Juvénal Munubo Mubi, député de l'UNC. Si la brigade de l'ONU doit "inspirer la peur aux groupes armés", "la solution à long terme passe par une réforme profonde du secteur de la sécurité, c'est à dire la reconstruction de l'armée nationale", affirme ce député du mouvement de Vital Kamerhe. Et la tâche est titanesque. Mal payées, complètement désorganisées, transformées en armée fantôme, les FARDC ne sont plus que l'ombre d'elles-mêmes. Quant au chantier de la réforme de l'armée congolaise, il est toujours au point mort. On comprend donc les espoirs… et les doutes de Juvénal Munubo Mubi.
Un mandat "trop large"
Du côté des experts internationaux, le scepticisme est plus affirmé. Pour Thierry Vircoulon, le directeur pour l'Afrique centrale d'International Crisis Group (ICG), le mandat de cette brigade est "beaucoup trop large". "Le mandat de l'ONU prévoit que cette brigade s'occupe de tous les groupes armés", explique le chercheur, "ce qui ne sera pas possible vu leur grand nombre". "De plus, dans les résolutions de l'ONU, on fait des différents groupes armés, un seul groupe homogène, ce qui n'est pas le cas", note Thierry Vircoulon. Selon lui, l'ONU va devoir "séquencer ses actions". Et de poser cette question : "quelle sera la première cible de la brigade ?". Le chercheur croit savoir que la brigade spéciale pourrait d'abord cibler les rebelles rwandais des FDLR, avant de s'en prendre au M23, "peut-être pour contenter le Rwanda", souligne-t-il. Mais on peut bien évidemment penser que le gouvernement congolais exercera de fortes pressions pour que la brigade s'attaque en premier au M23. Quant aux groupes Maï-Maï, on peut supposer qu'ils seront moins ciblés par la brigade spéciale.
Dommages collatéraux : les civils
Thierry Vircoulon doute également de l'efficacité sur le terrain d'une telle brigade d'intervention. "Autant cette brigade de 3.000 homme pourrait montrer son efficacité face à une autre armée constituée", souligne-t-il, "autant on imagine mal cette brigade efficace en situation de guérilla face à des groupes peu structurés, comme les Maï-Maï". Dans les résolutions de l'ONU, Thierry Vircoulon fait remarquer "qu'on fait des différents groupes armés, un seul groupe homogène, ce qui n'est malheureusement pas le cas sur le terrain". Autre risque pointé par le chercheur : le scénario trop connu de la "vrai-fausse réintégration des rebelles dans l'armée régulière". "En mettant la pression sur les groupes armés, certains risquent fort d'être tentés de déposer les armes en demandant à être réintégrés dans l'armée, ce qui relance les éternelles questions : à quels grades ? etc…". Et de redouter que l'on entre dans un scénario que la République démocratique du Congo a déjà connu avec l'intégration ratée des rebelles du CNDP en 2009. Dernier risque soulevé par le responsable d'International Crisis Group : "les dommages collatéraux sur les populations civiles". Un ancien expert militaire, connaisseur de la situation en RDC, confirme le risque pour les Kivus de passer d'une guerre "froide" de "basse intensité" à une guerre plus "chaude" et donc plus meurtrière que le conflit actuel. "Les civils seraient les première victimes de la reprise des combats, qui seraient plus violents", conclut selon cet expert.
Vers une guerre régionale ?
Le M23 a bien jaugé la situation et présente l'arrivée de la brigade d'intervention comme "une déclaration de guerre de l'ONU". Sur le site du M23, congodrcnews.com, on parle de "choix du sang" des nations unies pour condamner l'envoi de la brigade dans les Kivus. Les rebelles se sont alors lancés dans une vaste opération de lobbying à destination de la Tanzanie et de la l'Afrique du Sud, grands pourvoyeurs de troupes de la fameuse brigade. "Les militaires de l’armée de la République Sud-Africaine vont-ils ainsi se faire tuer, et tuer, dans les forêts et les collines volcaniques du Kivu ?" demande le M23. A la Tanzanie, les rebelles demandent de "se retirer de la résolution de la Communauté de développement de l’Afrique Australe (SADC)". Objectif : faire culpabiliser ses "frères africains". Et le M23 de prévenir : "nous sommes convaincus que la confrontation militaire risque de provoquer une guerre régionale" et d'entraîner "dans une guerre inutile, l'Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie". Voilà pour l'opération de "déstabilisation diplomatique". Sur le terrain militaire, le M23 affirme ne pas craindre la brigade de l'ONU. Les rebelles connaissent parfaitement la région et si la brigade peut empêcher le M23 de reprendre Goma, elle aura bien du mal à les "anéantir", comme le pense Kinshasa.
Dernier élément. Si l'attention se focalise sur les seuls M23, une vingtaine d'autres groupes armés sévissent à l'Est de la RDC. Ils fonctionnent par petits groupes très mobiles et il sera très difficile d'en venir à bout avec les seuls 3.000 hommes de la brigade. La solution est donc politique et se trouve en partie à Kinshasa, qui doit changer de mode de gouvernance pour enfin asseoir son autorité, et à Kigali, qui est accusé de soutenir les rebelles du M23 et qui est encore en mesure de siffler la fin du match dans les Kivus.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo : Groupe armé en RDC © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
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26 avril 2013
RDC : La "jungle minière" de Walikale
"Le pillage des ressources minières bat son plein" dans le territoire de Walikale, dénonce le BEDEWA. Selon cette ONG congolaise, les trafics de minerais alimentent non seulement la guerre à l'Est du Congo, mais "pourrissent" également l'Etat central. BEDEWA demande aux autorités congolaises de "cesser de distribuer les concessions minières avec complaisance".
La "malédiction des matières premières" continue de frapper à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Riche en minerais divers (or, coltan, cassitérite, lithium), le territoire de Walikale est en train de devenir une véritable "jungle minière" selon une ONG congolaise. Le Bureau d’Etudes, d’observation et de coordination pour le Développement du territoire de Walikale (BEDEWA) tire la sonnette d'alarme sur l'exploitation illicite et sans limite des ressources minières de la région. D'après Prince Kihangi Kyamwami, secrétaire général de l'ONG, "les corrupteurs, les corrompus et les fraudeurs tirent d’énormes bénéfices, sans aucune contrepartie pour les communautés locales affectées". Il dénonce également "des taxes légales et illégales perçues" dont la destination des recettes "reste inconnue".
Corruption
Au rang des accusés, BEDEWA place les autorités de Kinshasa qui attribuent "abusivement les titres miniers". L'ONG explique qu'aujourd'hui, "les trois quarts du territoire sont actuellement couverts de titres miniers". Conséquence : la possible "délocalisation des populations pour le besoin de l’exploitation". Les recettes de ces trafics alimentent surtout les nombreux groupes armés qui pullulent dans la région : FDLR, Maï-Maï, mais aussi officiers de l 'armée régulière (FARDC). En 2011, un député britannique avait estimé le manque à gagner du commerce illégal de minerais pour l'Etat congolais à... 4,2 milliards d'euros ! C'est donc un vaste système de corruption qui s'est mis en place progressivement dans les zones minières... au profit des militaires, groupes armés, mais aussi des multinationales, des hommes politiques et des pays frontaliers comme le Rwanda ou l'Ouganda.
Certification
BEDEWA dénonce également le "trafic de certification" entre les différents sites d'exploitation en RDC. Prince Kihangi Kyamwami explique que "les minerais sont extraits dans les sites non encore validés du territoire de Walikale pour être présentés sur le marché comme ayant l’origine des sites validés des territoires voisins". Un tour de passe-passe qui explique, toujours selon l'ONG, le manque d'empressement des autorités à valider certains sites. Et de préciser que tout cela profite aux sites qui sont déjà validés, sauf bien sûr... à Walikale.
Frustrations
Dans le territoire de Walikale, les frustrations s'accumulent. Prince Kihangi Kyamwami note "qu'il pourrait arriver un temps où, si les choses ne changent pas, les communautés locales de Walikale exigeront la fin de l’exploitation minière et empêcheront à tout détenteur d’un quelconque titre minier d’entreprendre des activités quelles qu’elles soient". En d'autres termes : le BEDEWA prévient que des conflits pourraient éclater entre les populations locales, "spoliées" par l'exploitation illicite des minerais, et les différents acteurs du trafic. L'ONG préconise plusieurs recommandations aux autorités congolaises pour "assainir" le commerce des minerais à Walikale. BEDEWA demande de "cesser de distribuer les concessions minières avec complaisance", "de suspendre les activités irrégulières d’exploitation du diamant et de l’or sur la rivière Osso", "d'interdire la présence de militaires sur les sites miniers" et de "soutenir les instruments de traçabilité et de transparence des minerais".
En 2010, la loi américaine Dodd Franck avait déjà permis d'améliorer la transparence de la chaîne d'approvisionnement des minerais dans le monde. BEDEWA estime qu'en assainissant l'exploitation minière à Walikale, cela permettrait aux différents sites de la région d'être "qualifiés et validés". Une certification qui autoriserait enfin les populations locales à profiter des richesses de leur sous-sol. Une question reste pourtant sans réponse : les autorités congolaises en ont-elles les moyens et surtout... la volonté ? Pour l'instant l'état de délabrement de l'armée régulière et de la police ne permet pas au gouvernement congolais de garantir son autorité sur l'intégralité du territoire. La zone de Walikale n'échappe pas à la règle. La région est en instabilité permanente et en proie aux groupes armés depuis bientôt... 20 ans.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo : groupe armé à l'Est de la RDC © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
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21 avril 2013
Katanga (RDC) : Quand l'Etat perd le contrôle
L’attaque de Lubumbashi par les rebelles sécessionnistes Bakata Katanga en mars dernier, souligne l’incapacité de l’Etat congolais à assurer son autorité dans certaines provinces. Selon Marc-André Lagrange, d’International Crisis Group (ICG), cet incident pointe non seulement la faillite de l’Etat, mais aussi les différentes réformes manquées par le président Kabila depuis 2006, et notamment celle de la décentralisation.
La guerre du Nord-Kivu qui oppose depuis le mois d'avril 2012, les rebelles du M23 au gouvernement congolais a éclipsé de nombreuses autres zones d'instabilités en République démocratique du Congo. Parmi elles, la riche province minière du Katanga. Le 23 mars dernier, la capitale provinciale, Lubumbashi, est investie par 400 rebelles Maï-Maï "Bakata Katanga", un groupe armé revendiquant l'indépendance du Katanga. Les autorités congolaises paraissent rapidement débordées par les événements et laissent entrer sans résistance les rebelles dans Lubumbashi. Après plusieurs heures de panique, les Nations unies réussissent finalement à négocier la reddition du groupe, qui est rapidement transféré vers Kinshasa. Bilan des affrontements : 35 morts et 53 blessés. Un général et un chef de la police ont été suspendus pour "manquement graves dans l'exercice de ses fonctions". Fin de l'épisode.
"Un déficit abyssal de sécurité"
Dans une analyse publiée par l'International Crisis Group (ICG), Marc-André Lagrange, revient sur les événements de Lubumbashi, qui sont révélateurs "de l’effondrement de la capacité du régime congolais à gouverner". Pour ce spécialiste de la région, l'autorité de l'Etat congolais "se réduit comme peau de chagrin". De nombreux groupes armés défient désormais Kinshasa dans différentes provinces. Au Nord-Kivu, ce sont les rebelles du M23 qui font la loi. Ils ont même occupé la ville de Goma pendant plusieurs jours, fin 2012. En Province orientale, ce sont les Maï-Maï Morgan qui sévissent, alors qu'au Sud-Kivu, le Front de résistance patriotique en Ituri (FRPI) et les Maï-Maï Yakutumba ont repris du service. D'autres groupes, comme les Raïa Mutomboki au Nord et Sud Kivu et les Maï-Maï de Gédéon au Katanga, règnent désormais en maître dans certains territoires. Le chercheur pointe évidemment le "déficit abyssal de sécurité" de la RDC, mais pour Marc-André Lagrange, "s’il n’est pas surprenant que le gouvernement néglige la sécurité de ses populations, il est plus surprenant qu’il ne sécurise pas le poumon économique du pays". La province du Katanga est effectivement la plus riche du pays, notamment grâce au cuivre dont regorge son sous-sol.
Les "gagnants" et les "perdants" de la décentralisation
Pour justifier les revendications sécessionnistes des Maï-Maï Bakata Katanga, Marc-André Lagrange, avance une autre explication que la simple "tradition" indépendantiste de la province . Il s'agit d'une "réforme clé" du mandat du président Joseph Kabila, qu'il n'a jamais fait aboutir : la décentralisation. La réforme prévoit la division du pays en 24 provinces (contre 11 actuellement) et un partage des revenus fiscaux entre l’Etat (60%) et les provinces (40%). Le Katanga est choisi comme "province test", début 2013, pour lancer la réforme de la décentralisation. Le Katanga serait alors découpé en quatre "sous-provinces". Selon le chercheur d'ICG, il y aurait les "perdants" de la réforme (le Nord de la province) et les "gagnants" (le Sud où est concentrée l'activité minière). Pour Marc-André Lagrange, "l’attaque de Lubumbashi par des Maï-Maï favorables à l’indépendance du Katanga n’est certainement pas une coïncidence". Selon lui, "ces combattants ne sont souvent que le bras armé des politiciens locaux pour faire pression sur le gouvernement central".
Après les Kivus, Kabila lâché par les Katangais
L'autre victime collatérale de l'attaque de Lubumbashi, s'appelle Joseph Kabila. International Crisis Group rappelle "qu'après avoir perdu ses soutiens dans les Kivus en 2011 suite à l’intégration du Conseil national pour la défense du peuple (CNDP) dans l’armée", le président congolais "s’est aliéné une partie de l’élite politique" katangaise en annonçant la décentralisation dans la province. ICG explique que "le clan des Katangais", proche du président Kabila "s'entredéchire" désormais. Après la mort de son principal conseiller et mentor, le katangais Katumba Mwanke, en février 2012, Joseph Kabila serait désormais lâché par "les fédéralistes", comme Jean-Claude Mayembo, le président de la Solidarité congolaise pour la démocratie (SCODE) ou Gabriel Kyungu wa Kumwanza, le turbulent président de l’Union nationale des fédéralistes du Congo (UNAFEC). Toujours selon ICG, même Daniel Ngoy Mulunda, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui, "d’après certains, aurait joué un rôle clé dans la victoire de Kabila, aurait publiquement accusé" Joseph Kabila "d’ingratitude devant l’assemblée provinciale du Katanga".
"Un pouvoir dépendant de soutiens extérieurs"
Que reste-t-il au président Joseph Kabila pour asseoir son autorité en RDC ? Visiblement plus grand chose à en croire l'analyste Marc-André Lagrange. L'Etat central n'existe plus et les provinces, de plus en plus "indépendantes", gèrent les problèmes sécuritaires avec des partenaires extérieurs. Dans l'affaire des Maï-Maï Bakata Katanga de Lubumbashi, c'est en effet le gouverneur du Katanga et la mission des Nations unies au Congo (Monusco) qui ont obtenu leur reddition. "Une fois de plus, les Nations unies et le pouvoir local ont dû se substituer à un gouvernement absent", souligne Marc-André Lagrange. Dans l'autre dossier "chaud" congolais, celui du Nord-Kivu et des rebelles du M23, là encore, le président Kabila s'en remet à "des acteurs extérieurs" pour gérer la crise. Les autorités congolaises attendent en effet leur salut de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et de l'arrivée de la brigade spéciale d'intervention de l'ONU, pour lutter contre les groupes rebelles. Après "sept ans de régime kabiliste", ICG note que "les capacités de gouvernance institutionnelle sont toujours très faibles" et que le pouvoir est "complètement dépendant de soutiens extérieurs" et d'un système de gouvernance par substitution".
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo : Lubumbashi - Katanga © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
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14 avril 2013
RDC : "Complots" à répétition contre Joseph Kabila
Depuis février dernier, trois complots visant à tuer le président congolais Joseph Kabila auraient été déjoués à Kinshasa et en Afrique du Sud. Mais pour l’opposition congolaise, ces « complots » seraient fabriqués de toute pièce par les autorités congolaises, afin de « discréditer l’opposition politique ». Vrais complots ou fausses menaces ?
Les complots contre Joseph Kabila se multiplient en République démocratique du Congo. C’est en tout cas le message que souhaite faire passer Kinshasa depuis quelques mois en divulguant différents projets de complot contre le chef de l’Etat. Pourtant, La dernière tentative « d’attentat » déjouée par la police congolaise jette le trouble sur la réalité de ces complots à répétition. Selon l’opposition, ces projets d’élimination de Joseph Kabila seraient « fabriqués » et « instrumentalisés » par Kinshasa dans le but « d’anéantir l’opposition politique » et de « traquer les opposants ». Il faut dire que la dernière arrestation de « comploteurs », jeudi 11 avril, a de quoi étonner.
Treize personnes suspectées de vouloir éliminer Joseph Kabila et son Premier ministre Matata Ponyo ont été arrêtées et présentées au ministre de l’Intérieur. Le groupe, qui se nommerait « Imperium » comptait, selon la police, attaquer le convoi présidentiel. Les preuves exposées par la police devant la presse sont assez minces : une machette, des bouteilles vides et de boissons gazeuses, quelques téléphones portables et « dans une cachette », un plan d’attaque du convoi et un autre… de la ville de Kinshasa.
La police révèle également que parmi les suspects se trouvait le journaliste Verdict Mituntwa, attaché de presse de l’opposant Diomi Ndongala. Selon les dires du journaliste, le groupe « Imperium » serait organisé et financé par l’ex-député, déjà incarcéré par la police, il y a quelques jours pour une affaire de mœurs. Ce qui fait dire à ses proches, que cette histoire de complot ne servirait qu’à « masquer » son interpellation « douteuse » du 8 avril dernier. Les membres du parti de Ndongala dénoncent en effet un « acharnement judiciaire » et une arrestation « sans mandat » visant à éliminer un opposant politique proche d’Etienne Tshisekedi. La théorie du complot avancée par les autorités congolaises ressemble donc, pour ces opposants au régime Kabila, à un règlement de compte politique.
Pourtant deux autres complots anti-Kabila ont récemment été brandis par Kinshasa. Début février 2012, c’est en Afrique du Sud, qu’était arrêtés vingt Congolais pour « tentative de coup d’Etat ». Les « putschistes » ont été interpelés alors qu’ils maniaient des armes « sous couvert d’une formation de gardes spécialisés dans la lutte contre le braconnage », précisait la presse sud-africaine. Le Congolais à la tête du groupe n’est pas un inconnu : il se nomme Etienne Kabila et prétend être l’un des fils de Laurent Désiré Kabila, le père de l’actuel président, Joseph Kabila. Là encore, certains opposants soupçonnent Kinshasa d’avoir « monté » cette affaire avec la complicité de l’Afrique du Sud, dont le soutien au régime du président Kabila est très appuyé. L’Afrique du Sud devrait en effet fournir le gros des troupes de la brigade d’intervention rapide dans l’Est de la RDC pour venir en aide à l’armée congolaise, en proie aux rebelles du M23.
Le 22 mars dernier, un nouveau complot déjoué est annoncé par les autorités congolaises. Deux personnes sont arrêtées dans la capitale et des armes sont saisies dans un hôtel. Le ministre de l’intérieur affirme que l’un des prévenus (un belge originaire du Congo) avait tenu plusieurs réunions en Europe afin de « renverser les institutions de la République en procédant à l'élimination physique du chef de l'Etat". Les deux suspects ont été déférés devant la justice pour « espionnage, complot contre la vie du chef de l'Etat, participation à un mouvement insurrectionnel et détention d'armes de guerre ».
Autant de complots en aussi peu de temps posent un certain nombre de questions. Joseph Kabila est-il en danger ? Sont-elles crédibles ? Et surtout : pourquoi médiatiser autant des opérations qui se règlent, le plus souvent, en tout discrétion, hors du champ des caméras et des micros ? Car ce qui trouble le plus, c’est la mise en scène orchestrée par Kinshasa, pour rendre public ces affaires.
Dans un pays en proie aux guerres à répétition depuis plus de 20 ans et aux assassinats politiques en tout genre… les complots contre le chef de l’Etat sont plus que plausibles. Le Congo grouille d’une centaine de groupes armés et les armes circulent très facilement. Il n’est donc pas étonnant que qu’un certain nombre « d’aventuriers » croient possible de pouvoir renverser le président Joseph Kabila, avec, tout au plus, une vingtaine d’hommes. Mais depuis quelques mois, la multiplication des « complots » anti-Kabila rappelle à certains le « bon temps » du maréchal-dictateur Mobutu, toujours sous la menace d’un coup d’Etat. Le plus souvent, ces « complots » étaient pré-fabriqués par les services de renseignements. Avec deux objectifs : maintenir une pression sécuritaire maximale sur ses opposants politiques, mais surtout indiquer à ses proches qu’il serait « mal venu » de tenter un coup d’Etat de palais. Car pour les spécialistes du dossier congolais, le plus grand risque pour Joseph Kabila, n’est pas que les rebelles du M23 « marchent » jusqu’à Kinshasa, ce qui paraît peu probable vu la distance et les circonstances internationales, mais c’est qu’un putsch renverse « de l’intérieur » le régime congolais. A la question : vrais complots ou fausses menaces ? Nous serions donc tentés de répondre : faux complots… mais vrais menaces. Les personnes capables de renverser le président Kabila ne se nomment pas Diomi Ndongala, ni Etienne Kabila, mais sont certainement présentes dans l’entourage proche du président congolais… Les vrai-faux complots déjoués par Kinshasa sont donc un message qui leur est directement adressé.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Photo : les « preuves du complot » du groupe « Imperium » présentées à la presse le 11 avril 2012 (c) DR
01:08 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (4)
09 avril 2013
RDC : Diomi Ndongala de nouveau "enlevé" ?
Arrêté ou enlevé ? Les proches de l'opposant politique congolais affirment que Diomi Ndongala aurait été "enlevé" dans la soirée du 8 avril par une vingtaine de policiers sans mandat d'arrêt. Diomi Ndongala aurait été auditionné par le parquet de la République. C'est la deuxième fois que ce député proche d'Etienne Tshisekedi est arrêté en moins d'un an. En juin 2012, il avait déjà été détenu "au secret" pendant 4 mois avant d'être libéré à la veille du Sommet de la Francophonie de Kinshasa.
Selon le site de la Démocratie Chrétienne (DC), le parti politique dirigé par Diomi Ndongala, l'opposant congolais aurait été "enlevé" pour la seconde fois par les services de renseignements. Les proches du député affirment que Diomi Ndongala aurait été arrêté le 8 avril au Centre Cana de Kinshasa à 22h19. Une vingtaine de policiers l'aurait amené "vers une destination inconnue", avec un agent de sécurité de la salle, sans mandat d'arrêt. Plus tard dans la nuit, l'agent de sécurité a été libéré et a affirmé que "Diomi Ndongala avait été blessé au bras" pendant son interpellation et serait détenu par les "services spéciaux". Toujours selon les proches du député, "ni son avocat, ni la Monusco (la mission de l'ONU au Congo) n'ont pu le rencontrer". Les membres de la Démocratie Chrétienne "craignent pour son intégrité physique" et accusent "le colonel Kanyama", d'être le principal responsable de cette seconde arrestation.
Ce n'est pas la première mésaventure de Diomi Ndongala avec les services de renseignements de Kinshasa. En juin 2012, il avait déjà été "enlevé", puis relâché 4 mois plus tard, à la veille de l'ouverture du Sommet de la Francophonie de Kinshasa, en octobre. Accusé de viol sur mineures, l'opposant politique avait toujours nié les faits et dénonçait une "traque politique".
Après sa "disparition" en juin 2012, ses proches affirmaient qu'il était détenu au secret, alors que les autorités congolaises l'accusaient d'être en fuite pour se soustraire à la justice. 6 mois après son premier "enlèvement", il y a donc maintenant une seconde affaire Ndongala après son arrestation d'hier. Ce mardi, dans la journée, on apprennait que Diomi Ndongala avait été auditionné par le parquet de la République concernant l'affaire de viol sur mineures.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
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09:49 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (4)
05 avril 2013
RDC : Scepticisme autour de la Brigade d'intervention de l'ONU
Entre espoirs et craintes, la nouvelle force de combat des Nations unies qui doit se déployer avant le 30 avril, reçoit un accueil partagé à Kinshasa. Si les autorités congolaises attendent avec impatience l'arrivée des 3000 hommes de la brigade spéciale à l'Est du pays, certains observateurs doutent de son efficacité.
C'est une première pour les Nations unies. 3000 hommes d'une Brigade d'intervention spéciale pourront bientôt mener des "opérations offensives ciblées" pour mettre fin aux groupes armés à l'Est de la République démocratique du Congo. C'est donc la première fois que des casques bleus pourront "passer à l'attaque", seuls ou en appui de l'armée régulière, pour lutter contre les différentes rébellions qui sévissent dans les Kivus. La brigade sera composée de 3 bataillons d'infanterie, d'un bataillon d'artillerie, d'une "force spéciale" et d'une compagnie de reconnaissance. Elle sera placée sous l'autorité directe du commandant de la Monusco, la mission de l'ONU en RDC.
L'ONU muscle sa mission
Jusqu’à maintenant, la principale mission de la Monusco se cantonnait à la protection des civils. Les Casques bleus n’avaient pas le droit d’ouvrir le feu, à moins d’être attaqués. Cette brigade d'un nouveau genre pourra donc utiliser la force pour "neutraliser les groupes armés". Après une décennie d'échecs à répétition en RDC, l'ONU n'avait pas d'autres choix que de "muscler" sa mission. Dernier "ratage" en date pour la Monusco : son incapacité à protéger la ville de Goma, attaquée par les rebelles du M23 en novembre dernier.
Un grand "ouf" pour Kinshasa
L'arrivée de la brigade d'intervention spéciale a donc été "vivement saluée" par le gouvernement congolais. "Il s'agit ni plus ni moins d'une grande victoire pour notre pays. (...) Nous verrons la fin de ce cycle de violences et de conflit. (...) La roue est en train de tourner, c'est irréversible", s'enthousiasme Raymond Tshibanda, le ministre des Affaires étrangères de RDC. La joie gouvernementale n'est pas feinte. Il faut dire que depuis avril 2012 et la création de la rébellion du M23, la RDC peine à trouver la solution dans le conflit du Nord-Kivu. Avec une armée en débandade, sous-payée, sous-armée et complètement démotivée, Kinshasa s'est vu infliger de cuisantes défaites militaires par le M23. Les rebelles se sont même emparés de Goma, la capitale provinciale, pendant une dizaine de jours. Pour Kinshasa, l'annonce de la création d'une brigade d'intervention sonne donc comme un "ouf" de soulagement.
"La guerre a trop duré"
La société civile, qui représente la population, se réjouit aussi de l'arrivée de ces "supers casques bleus". "Cette guerre a trop duré et devient de plus en plus insupportable", explique Omar Kavota sur Radio Okapi. "Des milliers de déplacés doivent rentrer dans leurs milieux d’origine et la population doit être libérée de l’administration criminelle des groupes armés", explique-t-il sur la site de la radio onusienne. Même l'opposant Vital Kamerhe (UNC) se félicite de l’envoi de cette brigade, avant de se plaindre "du retard de la réaction musclée" des Nations unies face à la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC. Mais une question est pourtant sur toutes les lèvres au Congo : la brigade d'intervention sera-t-elle efficace ? et suffira-t-elle à ramener la paix dans les Kivus ? A cette question, les réponses sont moins enthousiastes.
Militarisation des Kivus
Sur le site de Voice of America, Fidel Bafilemba d'Enough Project à Goma, est plus prudent. "Nous attendons de voir cette force, qu’elle arrive et qu’elle puisse rencontrer les attentes de la population", explique-t-il. Le chercheur redoute en fait "une militarisation accrue de l’Est du Congo". Selon lui, l'arrivée d'une brigade "offensive" de l'ONU risque d'avoir "des impacts négatifs sur la vie des gens". En fait, résume Fidel Bafilemba, "nous sommes en train de nous poser des questions si elle saura s’y prendre". Selon certains observateurs du dossier congolais, l'arrivée de 3000 nouveaux soldats dans la région ne régleront pas "d'un coup de baguette magique" deux décennies de guerres à répétition. Des experts militaires soulignent que, certes 3000 hommes supplémentaires, pourront "protéger" Goma et ses environs des attaques du M23, mais ne pourront "éradiquer" l'ensemble des groupes armés de la région. Un vingtaine de rébellion, plus ou moins organisées, se partagent l'Est de la RDC sur une immense superficie difficilement accessible. La brigade de l'ONU risque simplement de jouer "l'effet plumeau" : disperser les groupes armés vers d'autres territoires, plus reculés et moins exposés aux attaques de l'ONU et de l'armée régulière.
L'Afrique du Sud "échaudée"
D'autres incertitudes planent sur le calendrier et la composition de la cette force. La date (très optimiste) du 30 avril a en effet été avancée par l'ONU pour l'arrivée de la brigade dans la région. Il semble peu probable que les 3000 hommes soient opérationnels aussi rapidement. Car au coeur du dispositif onusien, il y a l'Afrique du Sud, qui, avec la Tanzanie et le Malawi doivent composer l'architecture de la future brigade. Après avoir longtemps traîner des pieds pour accepter de se placer sous commandement onusien, l'Afrique du Sud fait face à une forte polémique sur sa dernière intervention en Centrafrique. L'armée sud africaine a en effet enregistré sa plus lourde perte militaire depuis 1994, avec 13 de ses soldats tués à Bangui pour sauver le président François Bozizé. L'opinion publique sud africaine a été profondément choqué par cette opération de sauvetage d'un régime contestable et les soldats sud africains, de retour de Centrafrique, sont tous traumatisés par cette guerre, dans laquelle ils ont dû tuer "des enfants soldats". La participation de l'Afrique du sud dans cette brigade, n'est donc plus une "évidence" pour Prétoria.
"Rajouter de la guerre à la guerre"
Dernier point : la position des rebelles du M23. On pouvait s'en douter, la rébellion "désapprouve le déploiement de la brigade d’intervention". Pour le M23, les Nations unis viennent de "lever l'option de la guerre" dans la région. Les rebelles ont en effet beau jeu de dénoncer le choix de l'ONU, alors que des négociations de paix étaient en cours à Kampala entre le gouvernement congolais et le M23. Kinshasa a d'ailleurs rapidement fait comprendre aux rebelles, qu'avec l'arrivée de cette brigade au Nord-Kivu, les pourparlers n'iraient pas plus loin. Dans ce contexte, on peut en effet douter de l'efficacité de cette brigade "offensive" dans l'Est de la RDC. Un responsable d'ONG nous confiait que l'arrivée de 3000 soldats sur la zone, allait avant tout "rajouter de la guerre à la guerre", "jeter de nouveau sur les routes des milliers de réfugiés", sans résoudre le problème des Kivus, qui lui, est politique.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo : Casque bleu à Kinshasa © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
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04 avril 2013
Rwanda : L’enquête Bruguière, une imposture française
Journaliste belge, Philippe Brewaeys démonte l’une des plus extraordinaires machinations judiciaires de l’histoire de France : l’enquête biaisée menée par le juge Jean-Louis Bruguière sur l’attentat du 6 avril 1994 au Rwanda, attentat qui fut l’élément déclencheur du génocide des Tutsi.
Le 6 avril 1994 à 20 h 23, deux missiles sont tirés contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana. L’appareil en phase d’atterrissage explose, ses occupants sont tués sur le coup. Parmi eux, les trois Français qui composent l’équipage et le président de la République du Burundi, Cyprien Ntaryamira. Presque aussitôt, les extrémistes hutu accusent les Casques bleus belges de la Mission des Nations unies pour le Rwanda (MINUAR). Au même moment, ils dressent partout des barrages, tuent les Tutsi qui passent, assassinent les personnalités modérées du gouvernement. Dix militaires belges de la MINUAR sont abattus. Le génocide commence. En cent jours, environ un million de personnes seront exterminées : les trois-quarts des Tutsi du Rwanda et aussi des Hutu démocrates ou qui ont le malheur de présenter “la morphologie tutsi”.
Aussi longtemps qu’ils contrôleront l’épave de l’avion présidentiel, les extrémistes hutu interdiront son accès. Et après le génocide, tous les protagonistes de la tragédie auront d’autres priorités que d’enquêter sur l’attentat. Tous ? Corrigeons : le mercenaire français Paul Barril, capitaine de gendarmerie en disponibilité, a été missionné par Agathe Habyarimana - la veuve du président rwandais - pour incriminer le Front patriotique rwandais dans l’attentat. Dès le mois de juillet 1994, Barril tente de déposer une première plainte en son nom et se répand dans les médias. Le quotidien Le Monde publie ses élucubrations. La plainte n’est pas considérée comme recevable.
Quatre ans plus tard, Barril est à la peine. Dans Le Figaro, le journaliste Patrick de Saint-Exupéry a produit une série de révélations sur l’implication de l’Etat français dans le génocide. Les parlementaires s’apprêtent à créer une mission d’information qui, inévitablement, convoquera le mercenaire. Astucieusement, Barril pousse Sylvie Minaberry, la fille du copilote du Falcon du président Habyarimana à porter plainte. Cette fois, un juge d’instruction est nommé : Jean-Louis Bruguière. Les parlementaires français n’ont pas le droit d’interférer dans le cours d’une procédure judiciaire : ils n’oseront pas interroger Paul Barril et se garderont de conclure sur l’identité des auteurs de l’attentat du 6 avril 1994.
Le responsable de cet attentat ? Le juge Jean-Louis Bruguière en est vite convaincu par Paul Baril et ses amis : c’est le Front patriotique rwandais et son chef militaire, Paul Kagame. En 2006, le juge français lance une série de mandats d’arrêt. Peu importe si l’une des personnes visées n’existe pas… Le Rwanda rompt ses relations diplomatiques avec la France.
Dans « Rwanda 1994. Noirs et Blancs menteurs » , le journaliste d’investigation Philippe Brewaeys démêle les fils de cette instruction biaisée, manipulée, qui visait à accuser Paul Kagame d’avoir délibérément voulu le génocide pour reprendre la guerre au Rwanda... et la gagner contre une armée mieux équipée et deux fois plus nombreuse. La vraisemblance et la mesure n’embarrassaient pas le juge Bruguière qui instruit ici “à la hussarde” avec des policiers orientés, des témoins manipulés, des journalistes et des universitaires stipendiés par certains services de renseignement, un “interprète assermenté” lui-même ancien espion d’Habyarimana et qui a des liens familiaux avec sa veuve, Agathe. Autant de « Noirs et blancs menteurs », un clin d’œil à l’ouvrage polémique de Pierre Péan qui faisait l’éloge de l’enquête Bruguière, « Noires fureurs, blancs menteurs ».
Philippe Brewaeys a eu accès à des milliers de documents judiciaires, à des dizaines d’interviews et des centaines de coupures de presse. Ce journaliste méticuleux et pragmatique démonte une enquête délirante. Ne dévoilons pas cet ouvrage qu’il faut lire par le menu : achetez-le. Sans aller au delà de ce que témoins et documents expliquent, Philippe Brewaeys permet de deviner que l’implication de l’Etat français dans le génocide des Tutsi a pour significatif reflet la manipulation de l’enquête Bruguière, pour continuer à dissimuler l’inavouable. On devine ainsi l’agitation dans l’ombre de personnages qui tirent les ficelles de Barril et qu’au XVIIIe siècle on appelait des “roués”. Des admirateurs de Talleyrand qui mériteraient le jugement que Napoléon Bonaparte portait sur ce dernier : “De la merde dans un bas de soie”.
Bien des vices rédhibitoires de l’instruction Bruguière ont été relevés ces dernières années. L’expertise balistique de l’attentat, décidée par les successeurs de Bruguière, les juges Nathalie Poux et Marc Trévidic, a démontré que les tireurs des missiles se trouvaient dans le camp militaire Kanombe, tenu par les extrémistes hutu, ou à sa proximité immédiate. La thèse négationniste accusant Paul Kagame et transformant les victimes en bourreaux a volé en éclats. Mais Philippe Brewaeys apporte beaucoup plus. Ayant eu accès aux archives judiciaires belges et à des témoins que le juge Bruguière s’était bien gardé d’interroger, il démontre mieux que personne à quel point le juge français a failli, sans qu’on sache la part de bêtise ou d’arrogance à l’origine de ce naufrage.
Autre grande qualité de son livre à la démonstration impeccable : il est court (160 pages), clair, très accessible. Inutile d’être un « spécialiste du Rwanda » pour comprendre toute l’affaire. Il faut aussi préciser que l’enquête de Philippe Brewaeys a été menée conjointement avec sa consoeur Catherine Lorsignol, de la télévision francophone belge (RTBF) qui diffusera un documentaire sur le même sujet, “Rwanda. Une intoxication française” sur Canal+ le 8 avril à 22 h 40 dans Spécial investigation, diffusé ensuite sur la RTBF le 10 avril à 20 h 15 dans Devoir d’enquête.
Jean-François DUPAQUIER
Philippe Brewaeys, Rwanda 1994. Noirs et Blancs menteurs (avec RTBF), Ed. Racine, Bruxelles. 19,95 €.
Voir aussi le dossier que le magazine Jeune Afrique consacre à cette affaire, édition internationale n° 2725 du 31 mars au 6 avril 2013. 3,50 €.
09:01 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)