01 janvier 2013
Centrafrique (RCA) : L'agenda secret de la rébellion
En moins de 20 jours, une rébellion inconnue il y a encore quelques semaines, contrôle 85% de la Centrafrique et menace de renverser le président François Bozizé. Dans un entretien exclusif à Afrikarabia, un responsable du mouvement a accepté de lever le voile sur une partie des dessous de la coalition Séléka : le "réel" président du mouvement, leurs soutiens politiques, leur financement, mais aussi les premières mesures qu'ils prendront une fois au pouvoir.
Depuis le 10 décembre 2012, une coalition de plusieurs mouvements rebelles (UFDR, CPJP, FDPC, CPSK et A2R) mène une offensive éclair sur la capitale centrafricaine. Objectif : faire tomber le régime du président François Bozizé. Face à une armée régulière qui fuit les combats et une force d'interposition tchadienne passive, la rébellion du Séléka se retrouve en mesure de prendre le pouvoir à Bangui. De ces rebelles, venus de plusieurs formations hétéroclites, on connait peu de chose. Un membre important de la coalition a accepté de nous dévoiler quelques secrets du mouvement. Il n'a pas souhaité divulguer son identité.
- Afrikarabia : A quand remonte l'idée de la coalition du Séléka ?
- La coalition de tous ces mouvements rebelles date de moins de 4 mois. Tout a commencé à partir de fin octobre 2012. Nous étions conscients que pour renverser le président Bozizé, il fallait passer par le Tchad et d'autres pays de la sous-région. Nous avons constaté que les relations s'étaient fortement dégradées entre la Centrafrique (RCA) et le Tchad. Nous avons réussi à convaincre de notre démarche certains proches du président Idriss Déby, que nous avons rencontré à Paris… des officiels de hauts rangs et des membres de son cabinet. Ils nous ont expliqué qu'ils étaient déçus de l'attitude et de l'incompétence du président François Bozizé. Plusieurs accords avaient d'ailleurs été signés entre le Tchad et la RCA et les choses traînaient.
- Afrikarabia : Quel était votre projet ?
- En 2003, c'est nous (certains membres de la rébellion, ndlr), qui avons aidé Bozizé à prendre le pouvoir. Malheureusement, Bozizé est devenu fou avec le pouvoir. Il n'était donc plus un interlocuteur valable pour les intérêts de la Centrafrique mais aussi du Tchad. Nous voulions quelqu'un de responsable pour prendre la tête du pays. Pour réussir notre objectif, nous étions convaincus qu'il fallait une coordination entre tous ces chefs rebelles. Au début cela a été difficile à mettre en place.
- Afrikarabia : Qui dirige ce mouvement ?
- Nous avons une stratégie au niveau de notre président. Pour l'instant, nous ne voulons pas que son nom soit connu. Nous n'avons pas voulu qu'il s'affiche tout de suite comme le porte-parole ou le coordinateur du mouvement. C'est donc pour cela que nous avons choisi, en accord avec le commandement militaire sur place, Eric Massi comme porte-parole de la coalition. Notre président sera connu une fois que le pouvoir sera tombé à Bangui. Je peux juste vous dire qu'il est très réservé et c'est un sage. La discipline, le respect des droits de l'homme et des populations civiles dans les rangs de nos militaires sont, par exemple, une stratégie mise en place par lui. Nous devons éviter toutes les erreurs commises par les autres mouvements rebelles en Afrique.
- Afrikarabia : Avez-vous le soutien d'autres pays ? On parle duTchad évidemment, mais aussi du Congo Brazzaville et du Soudan ?
- Nous avons le soutien politique de proches d'Idriss Déby, mais cela ne veut pas dire qu'on a le soutien personnel du président Déby. Concernant Sassou Nguesso, cela fait longtemps qu'il ne s'entendait plus avec Bozizé. Il a joué un rôle important, notamment pour demander au président Déby de ne pas intervenir militairement contre la rébellion. Quant au Soudan, c'est très clair, il n'y a aucun élément soudanais dans notre mouvement. D'ailleurs vous savez très bien que les relations ne sont pas bonnes entre le Tchad et le Soudan, ce serait donc contradictoire.
- Afrikarabia : Comment êtes-vous financé ?
- Le financement repose uniquement sur des petites cotisations entre nous.
La rébellion vit très difficilement. Les hommes font des sacrifices énormes. C'est le patriotisme qui anime nos soldats. Nous avons des problèmes pour acheter des crédits de télécommunication. On se cotise ici en Europe pour envoyer des crédits téléphoniques sur place par exemple...
- Afrikarabia : …il y a pourtant des uniformes neufs, des armes… cela ne peut pas être financé par de simples cotisations ?
- Croyez-moi, nous avons commencé cette rébellion sans aucun moyen. Le matériel et la logistique viennent uniquement de ce que nous avons récupéré aux forces armées centrafricaines (FACA). Nous n'avons pas un centimes et aucun soutien extérieur. Si nous avions de réels moyens financiers, François Bozizé serait tombé depuis longtemps.
- Afrikarabia : Quelles seront les premières mesures que vous prendrez si vous arrivez au pouvoir ?
- Si le régime de François Bozizé tombe, je peux vous annoncer que allons organiser une période de transition de 2 ans. Et ce délai ne sera pas dépassé. A la suite de cette transition, les responsables de la rébellion devront signer un amendement et s'engager à ne pas se représenter. Avant d'organiser les élections présidentielles, les élections municipales devront être organisées. Sur le plan politique, nous allons suspendre l'actuelle constitution, mais aussi le parlement, dans lequel règne en maître le clan Bozizé. Une Assemblée constituante sera nommée. Elle devra être représentative de toutes les forces vives de la RCA. Puis, nous allons mettre en place une commission des droits de l'homme, une commission de lutte contre la corruption, une commission des biens mal acquis et une commission vérité et réconciliation. François Bozizé a déchiré ce pays. Il est actuellement en train de monter des Centrafricains contre d'autres Centrafricains. Pour terminer, nous souhaitons également garantir la sécurité de tous nos voisins.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia
02:17 Publié dans Afrique, Centrafrique | Lien permanent | Commentaires (2)
31 décembre 2012
Centrafrique : Des mercenaires sud-africains à Bangui
Alors que la rébellion progresse vers Damara, le dernier verrou avant la capitale centrafricaine, un porte-parole rebelle indiquait à Afrikarabia que 3 gros porteurs sud-africains s'étaient posés sur l'aéroport de Bangui ce lundi. Selon Jean-Paul Bagaza, il s'agirait "de mercenaires venus défendre le président François Bozizé".
Lundi 31 décembre, la situation était toujours extrêmement tendue en Centrafrique, où les rebelles du Séléka menacent toujours de s'emparer de Bangui. En fin de journée, la rébellion dénonçait l'arrivée de "3 avions gros porteurs en provenance d'Afrique du Sud" sur l'aéroport de Bangui. Selon le Séléka, "un groupe de mercenaires sud-africains ainsi que du matériel ont débarqué vers 17h à la demande du gouvernement centrafricain". Les rebelles croient savoir que le fils du président Bozizé, Francis, par ailleurs ministre de la défense, "s'était rendu dernièrement en Afrique du Sud". Pour l'instant, ni à Bangui, ni à Prétoria, n'ont confirmé cette information.
Selon Jean-Paul Bagaza, un porte-parole de la rébellion, ces mercenaires sud-africains viendraient prêter main-forte à l'armée régulière centrafricaine (FACA) qui a tenté, ce lundi, une contre-offensive sur la ville de Sibut, toujours contrôlée par le Séléka. La rébellion aurait repoussé l'attaque des FACA et ferait désormais route vers Bangui, la capitale.
Sur le plan diplomatique, la situation est toujours au point mort. Dimanche, le béninois Thomas Boni Yayi, président de l'Union Africaine, est parvenu à obtenir de François Bozizé, la proposition d’un gouvernement d’union nationale avec la promesse de ne pas se représenter à la présidentielle de 2016. La rébellion a sèchement rejeté ces propositions estimant qu'il était désormais "trop tard". Pour la coalition, le président Bozizé "n'est plus crédible" et "doit partir". Lundi 31 décembre, le président français François Hollande s’est entretenu au téléphone avec le président centrafricain et il a appelé toutes les parties au dialogue, sans répondre aux demandes d'aide de François Bozizé. Les premiers jours de l'année 2013 risquent d'être décisifs pour l'avenir de la Centrafrique.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
23:49 Publié dans Afrique, Centrafrique | Lien permanent | Commentaires (0)
30 décembre 2012
Centrafrique (RCA) : Les rebelles "en mesure de prendre Bangui"
Désormais aux portes de Bangui, plus rien ne semble pouvoir arrêter les rebelles du Séléka. Le président centrafricain, François Bozizé, abat ses dernières cartes en proposant la nomination d'un gouvernement d'union nationale… ce que refusent la rébellion. Selon le Séléka, la chute de Bangui serait une question d'heures.
La rébellion centrafricaine du Séléka estime dimanche soir pouvoir faire tomber Bangui "à tout moment" et "au plus tard mardi". Certains éléments de la coalition du Séléka se trouveraient "à moins de 10 km" de la capitale centrafricaine, selon un porte-parole contacté ce dimanche par Afrikarabia. L'étau se resserre donc autour du président François Bozizé, qui vient de faire plusieurs gestes envers la rébellion : il propose des négociations sans délai, de former un gouvernement d'union nationale et promet de ne pas se représenter en 2016. "Trop tard" répondent les rebelles, pour qui, François Bozizé "avait cette possibilité depuis 2007". Dans un dernier sursaut, François Bozizé demande une rencontre avec François Hollande, celui-là même qu'il accusait il y a encore quelques jours de vouloir le renverser. Le président français a appelé, dimanche soir, toutes les parties au calme, sans faire mention de la demande de rencontre.
En position de force, la rébellion rejette en bloc toutes les propositions de négociations de François Bozizé et demande à l'Union africaine (UA) de "faire comprendre" au président centrafricain "qu'il doit accepter de partir". "François Bozizé n'est plus légitime, ni crédible pour dialoguer", nous explique un porte-parole de la coalition. "Nous ne voyons aucune objection à la formation d'un gouvernement d'union nationale… mais sans Bozizé ! On pourra peut-être lui proposer l'amnistie, mais c'est tout !". Au sein du mouvement rebelle, la page Bozizé semble déjà tournée. "On croit même savoir", me confie un membre du Séléka, "que François Bozizé se réfugiera au Bénin si les choses tournent mal". "C'est aussi pour cela que le président béninois Yayi Boni était ce dimanche à Bangui", conclut mon interlocuteur. Selon Eric Massi, un porte-parole du Séléka à Paris, la rébellion contrôlerait 85% du territoire.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
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29 décembre 2012
Centrafrique : Sibut tombée aux mains des rebelles
La rébellion centrafricaine du Séléka affirme ce samedi avoir pris la ville de Sibut et contrôler celle de Bambari. C'est au cours d'une contre-offensive, lancée vendredi par le président François Bozizé pour reprendre Bambari, que les rebelles se sont emparés de Sibut, à 180 km de la capitale Bangui.
Les événements se sont accélérés, vendredi, en Centrafrique. Alors que la rébellion du Séléka marche depuis le 10 décembre sur la capitale centrafricaine et s'est emparée de plusieurs villes du pays, le président François Bozizé a lancé une importante contre-offensive sur la ville stratégique de Bambari qu'il souhaitait reprendre. Les combats ont duré plusieurs heures sans qu'aucun bilan officiel ne soit donné. La rébellion affirme qu'il y aurait "au moins 10 morts et 20 blessés côté gouvernemental".
Samedi matin, la coalition du Séléka nous a affirmé avoir le contrôle total de Bambari et s'être emparée de la ville de Sibut, à 180 km de Bangui. C'est dans cette ville qu'étaient stationnés les forces armées centrafricaines (FACA) qui ont mené la contre-offensive sur Bambari.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
13:39 Publié dans Afrique, Centrafrique | Lien permanent | Commentaires (1)
23 décembre 2012
Centrafrique : Une compagnie rebelle à 85 km de Bangui
Les rebelles continuent leur progression vers la capitale centrafricaine. La coalition Séléka s'est emparée ce dimanche de Bambari, une des principales localités du pays. La rébellion a indiqué à Afrikarabia qu'une compagnie de leur mouvement serait à "seulement 85 km de Bangui". Selon eux, François Bozizé "ne peut plus tenir militairement".
Qui peut arrêter l'avancée des rebelles ? Depuis trois semaines, la coalition du Séléka, un mouvement regroupant 3 rébellions centrafricaines, fait route vers Bangui, avec la ferme intention de "faire appliquer pleinement" les accords de paix de 2007. Les rebelles accusent le président centrafricain, François Bozizé, de ne pas avoir respecté ses engagements.
Après une première percée au Nord du pays, les rebelles se sont emparés de la ville minière de Bria et samedi des villes d'Ippy et Ndassima, situées dans le centre. Dimanche, dans la matinée, l'importante localité de Bambari est tombée aux mains des rebelles, après d'intenses combats. La prise de Bambari est symbolique pour la coalition. Cette grosse localité de 50.000 habitants constituait une zone de garnison importante pour l'armée régulière (FACA).
La chute de Bambari intervient alors que François Bozizé, peu enclin aux négociations jusqu'à maintenant, s'estimait prêt à dialoguer à Libreville à condition que la coalition se retire de ses positions. Inacceptable pour la Séléka, qui dit continuer son avancée pour "contrer" les attaques de l'armée régulière. Ce dimanche, un porte-parole de la rébellion a indiqué à Afrikarabia, que son mouvement ne pouvait plus se rendre à Libreville pour négocier, depuis la condamnation des rebelles par le Gabon. La Séléka demande une délocalisation des négociations et souhaite un réel "dialogue inclusif" pour régler la crise.
Sur le plan militaire, les rebelles sont toujours à l'avantage malgré l'intervention des troupes tchadiennes, en renfort de l'armée gouvernementale. Un responsable de la Séléka a confié à Afrikarabia que les troupes tchadiennes n'avaient "toujours pas affronté la rébellion" et "ne bougeaient pas". Un signe, selon les rebelles, de l'hésitation d'Idriss Déby, à soutenir jusqu'au bout, son allié Bozizé... pour ne pas dire "un lâchage". La Séléka affirme également avoir récupéré "huit jeeps" aux FACA ce dimanche. Toujours, selon un porte-parole de la coalition, "une compagnie rebelle se trouverait dimanche soir à 85 km de Bangui" et nous adéclaré que "François Bozizé ne pouvait plus tenir militairement". Pour l'instant, les autorités centrafricaines n'ont pas réagi à la progression des rebelles vers Bangui.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
20:13 Publié dans Afrique, Centrafrique | Lien permanent | Commentaires (1)
19 décembre 2012
Centrafrique (RCA) : Les rebelles peuvent-ils renverser Bozizé ?
Les rebelles de la coalition Séléka menacent de renverser le président François Bozizé, en exigeant le respect des accords de paix signés en 2007. Après avoir fait tombé les villes de Ndélé, Bria et Kabo, les rebelles sont maintenant à 450 km de la capitale. La rébellion affirme être en mesure de prendre Bangui et demande au président tchadien, venu à la rescousse de François Bozizé, de "revenir à la raison" et de servir de médiateur. Afrikarabia a interviewé Jean-Paul Bagaza, porte-parole de la coalition en France.
- Afrikarabia : Quelles sont les revendications de votre coalition ?
- Jean-Paul Bagaza : Nous souhaitons simplement que le président Bozizé respecte les accords signés à Libreville en 2007. Il y avait deux points essentiels : le désarmement et l'insertion dans l'armée centrafricaine de tous les anciens belligérants. Nous souhaitons maintenant insérer dans cette négociation de nouveaux éléments, comme l'instauration de la démocratie, le respect des droits de l'homme ainsi que le respect de notre constitution. Le président Bozizé a l'intention de modifier la constitution afin de pouvoir se représenter en 2016.
- Afrikarabia : Est-ce que vous demandez le départ de François Bozizé du pouvoir ?
- Jean-Paul Bagaza : Pour le moment nous ne demandons pas son départ. Ce n'est pas l'objectif de la rébellion. L'objectif de notre rébellion est le respect des accords de 2007. Il y a un mois, le président Idriss Déby du Tchad avait lui-même appelé François Bozizé à rassembler toutes les forces politiques du pays, mais il n'en a rien fait. Au lieu de tenir ses engagements, le président Bozizé a simplement procédé au débauchage de certains leaders rebelles. Il les a payé en oubliant les troupes… Et ce que nous vivons aujourd'hui, ce sont les conséquences de cette non-application des accords de 2007. François Bozizé ne tient pas parole.
- Afrikarabia : Le président Bozizé a demandé l'aide militaire du Tchad. Pour quelles raisons ?
- Jean-Paul Bagaza : Le président Idriss Déby a été mal informé par le président Bozizé. François Bozizé lui a menti en expliquant que la rébellion, qui sévit en Centrafrique, est une rébellion "de la France" et "de François Hollande". Bozizé a dit à Déby que la France voulait le renverser et que le régime tchadien serait ensuite le prochain sur la liste à tomber. C'est ce qui a précipité la décision d'Idriss Déby à dépêcher une centaine de chars afin de nous empêcher d'avancer vers Bangui. Nous avons donc demandé au président Déby de revenir à la raison et nous l'avons même sollicité pour devenir médiateur dans cette affaire. Nous lui avons expliqué que la France ne nous soutient pas et que nous sommes une rébellion interne à la Centrafrique. Comme en 2010, Bozizé essaie de sauver son régime avec une intervention tchadienne, mais aujourd'hui, la donne a changé.
- Afrikarabia : La population soutient-elle votre rébellion ?
- Jean-Paul Bagaza : La population centrafricaine ne veut plus de Bozizé. C'est quelqu'un qui ne voit que son intérêt personnel et celui de son camp. Aujourd'hui, notre rébellion est soutenue par la population centrafricaine.
- Afrikarabia : A combien de kilomètres de la capitale se trouve votre rébellion et quelles sont vos chances d'arriver jusqu'à Bangui ?
- Jean-Paul Bagaza : Nos hommes sont à environ 450 km de Bangui. Mais à l'heure où je vous parle (20h mercredi 19 décembre, ndlr), nos hommes ont déjà infiltré la capitale. Il y a eu des tirs d'armes automatiques au niveau de l'aéroport. Il faut bien constater que l'armée centrafricaine (FACA, ndlr) n'existe pas. Il faut savoir aussi que depuis 2003, ce sont les forces tchadiennes qui constituent la garde rapprochée du président Bozizé.
- Afrikarabia : Est-ce que selon vous, François Bozizé contrôle toujours la situation dans la capitale ?
- Jean-Paul Bagaza : Bozizé n'a plus le contrôle de la capitale. Son propre chef d'Etat major a fui. Bozizé avait fait ses valises et voulait se réfugier à Ndjamena, avant l'intervention de l'armée tchadienne. A Bangui, c'est la panique totale. Tout le monde sait que Bozizé va tomber. Même les FACA disent qu'ils ne mourront pas pour quelqu'un qui ne tient pas compte de leur situation sociale. Certaines villes sont tombées sans résistance. Pour preuve, la rébellion n'a perdu aucun homme sur le terrain. Côté gouvernemental, il y a eu 14 morts et nous avons fait une centaine de prisonniers.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia
23:00 Publié dans Afrique, Centrafrique | Lien permanent | Commentaires (2)
05 décembre 2012
RDC : Echec de la lutte contre la LRA
Une plateforme de 11 ONG dénoncent aujourd'hui l'inefficacité de la stratégie de l'ONU et de l'Union Africaine contre les rebelles de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA). La rébellion sanglante de Joseph Kony sévit depuis 26 ans en République centrafricaine (RCA), au Sud-Soudan et en République démocratique du Congo (RDC). En cause : "l'indifférence de l'ONU" et le "sous-financement" de la mission de l'Union Africaine.
Dans un communiqué, 11 ONG internationales (1) affirment que la lutte anti-LRA mise en place par l'ONU et l'Union Africaine (UA) n'a pas réussi à vaincre l'Armée de Résistance du Seigneur (LRA). 6 mois après le lancement d'une force pour contrer les attaques du chef rebelle Joseph Kony, ce rapport rédigé par une plateforme d'ONG souligne le faible engagement des gouvernements régionaux, "l'indifférence de l'ONU" et le "sous-financement de la mission de l'Union Africaine".
Selon Ben Keessey, le directeur d'Invisible Children, “cela fait trop longtemps que les populations d’Afrique centrale subissent les atrocités innommables de la LRA. Leurs enfants sont enlevés et assassinés. Leurs familles sont contraintes de partir de chez elles et leurs moyens de subsistance sont détruits". Pour le responsable de cette ONG, "l’ONU a fait preuve d’une grande responsabilité et a beaucoup investi dans le développement d’une stratégie pour soutenir ces populations et apporter une réponse aux horreurs perpétrées par la LRA. Aujourd’hui, elle ne doit pas relâcher ses efforts. Les enjeux sont trop grands, et il y a trop à perdre”.
Le rapport dénonce également "l'asile" que donnerait le gouvernement soudanais aux rebelles de Joseph Kony. L'aide du Soudan et la reprise de la guerre à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) renforceraient, selon ces ONG, "l'autorité meurtrière" de la LRA dans la région. Le rapport s'inquiète également de "l’inefficacité flagrante de la collaboration ONU-UA", au moment où l'on parle "d'une probable intervention militaire au Mali".
Pour Ernest Sugule, Coordinateur de SAIPED en République démocratique du Congo, “ce rapport est un appel à la raison en direction du Conseil de Sécurité. S’il ne mobilise pas ses énergies pour la stratégie et s’il ne s’assure pas que les gouvernements régionaux sont vraiment engagés, on risque de voir tout le processus tomber à l’eau. Le Secrétaire Général doit affirmer publiquement sa détermination à voir la Stratégie Régionale de lutte contre la LRA de l’ONU mise en œuvre dans son intégralité”. Ces 11 ONG demandent enfin "plus de troupes" sur le terrain et "l'accès des (militaires) aux sites de repli de la LRA".
Depuis maintenant 26 ans, la LRA du rebelle ougandais Joseph Kony, terrorise les populations de République démocratique du Congo (RDC), de République Centrafricaine et du Sud-Soudan. D’après le HCR, entre décembre 2008 et fin 2011, la LRA a tué 2000 personnes, en a enlevé plus de 2600 et a provoqué le déplacement de 400.000 habitants au Nord et à l'Est de la RDC.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
(1) Organisations signataires:
1. Action Congolaise pour l’Accès a la Justice (ACAJ)
2. Association Africaine de Défense des Droits de l’Homme (ASADHO)
3. Commission Diocésaine Justice et Paix Dungu-Doruma (CDJP)
4. The Enough Project
5. European Network for Central Africa (EurAc)
6. Global Center for the Responsibility to Protect
7. Groupe LOTUS
8. IKV Pax Christi
9. Invisible Children
10. Resolve
11. Solidarité et Assistance Intégrale aux Personnes Demunies (SAIPED)
11:33 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (4)
08 novembre 2012
Le Renaudot pour l’écrivaine franco-rwandaise Scholastique Mukasonga
Le prix Renaudot 2012, l’un des principaux prix littéraires français, a été décerné mercredi 7 novembre à l’écrivaine Scholastique Mukasonga pour son roman Notre Dame du Nil (Ed. Gallimard), roman qui a pour toile de fond un lycée de jeunes filles au Rwanda, dont les pensionnaires sont dressées à rester vierges jusqu'au mariage.
Scholastique Mukasonga, née au Rwanda en 1956, avait déjà reçu le prix Seligmann contre le racisme 2008 pour son livre La femme aux pieds nus (Ed. Gallimard/Continents Noirs), qui raconte la tragédie de sa mère, tuée durant le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994. Ce prix lui avait été remis le 8 janvier 2009 par le maire de Paris Bertrand Delanoë, entouré de Françoise Seligmann et Patrick Gérard recteur de l'académie de Paris, chancelier.
Fidèlement soutenue par Gallimard, Scholastique Mukasonga qui avait aussi publié Inyenzi ou les cafards (Gallimard/Continents Noirs, Paris, 2006) et L'Iguifou « la famine » ), un recueil de nouvelles (Gallimard/Continents Noirs, Paris, 2010) trempait sa plume dans des souvenirs personnels liés aux massacres de Tutsi au Rwanda depuis 1959. Les lecteurs de Scholastique Mukasonga ont bien perçu l'ancienneté des tentatives génocidaires contre les Tutsi du Rwanda, qu’elle commence à subir à l’âge de 3 ans. Rappelons que les Tutsi ont été persécuté et périodiquement massacrés depuis 1959 avec le soutien actif ou tacite d’une partie de la hiérarchie catholique qui avait construit un « Etat clérical » ubuesque fondé sur la dictature de la « race » hutu. La « purification ethnique » ayant abouti au génocide de 1994 contre les Tutsi n’a constitué une surprise au Rwanda que pour les personnes aveugles.
Dans sa postface de Inyenzi ou les Cafards, l’ écrivain et critique congolais Boniface Mongo-Mboussa observe que l'écriture de Scholastique Mukasonga émane du « désir manifeste de donner aux disparus une digne sépulture de mots à la fois pour apaiser les vivants et sanctifier les morts ».
Avec son roman Notre Dame du Nil, Scholastique Mukasonga s’engage dans la fiction, toujours dans une langue française très raffinée qu’elle magnifie de ses interactions avec le kinyarwanda, la langue poétique du Rwanda. Cette langue très douce, allusive et imagée avait déjà irrigué la célèbre trilogie du journaliste/écrivain français Jean Hatzfeld et lui avait valu le prix Fémina/Essai 2003.
Franco-Rwandaise, Scholastique Mukasonga avait déjà obtenu pour Notre Dame du Nil le Prix Ahmadou Kourouma, décerné au Salon du livre de Genève, qui récompense un ouvrage, essai ou fiction, consacré à l'Afrique noire.
Jean-François DUPAQUIER
Photos :
- Scholastique Mukasongwa et Françoise Seligmann © JF Dupaquier
- Un groupe de danseuses franco-rwandaises lors de la remise du prix Seligmann à la mairie de Paris © JF Dupaquier
10:49 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (0)
30 octobre 2012
"Sur la piste des tueurs rwandais" : Un livre-enquête de Maria Malagardis
Accusés de génocide au Rwanda, une vingtaine de suspects rwandais coulent des jours paisibles en France, en toute impunité. Dans son livre, Maria Malagardis, raconte le combat pour la justice de Dafroza et Alain Gauthier. Depuis 2001, ce couple franco-rwandais exemplaire se bat pour que ces rwandais soient enfin jugés. Un récit à la fois serein et porté par une indignation maîtrisée, qui laisse apparaître l'incurie judicaire française, ainsi que la responsabilité de la France dans le génocide rwandais.
Après le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, ses organisateurs se sont généralement enfuis à l'étranger, hors de portée de la justice de leur pays. En dix-huit années, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), institué par l'organisation des Nations unies dès le mois de novembre 1994, est parvenu laborieusement à mettre la main sur une soixantaine des principaux suspects et à les juger. Mais beaucoup d'autres courent toujours, notamment des personnes que l'on peut classer "de rang moyen", celles qui n'auraient ordonné "que" (!) des massacres de quelques centaines ou quelques milliers de personnes.
Le TPIR n'a ni les ressources ni la vocation de tous les juger. Pour que justice se fasse, ces "suspects de génocide" devraient donc se voir extradés vers le Rwanda, ou bien être jugés dans leur pays d'accueil. Certains Etats européens estiment que les standards judiciaires au Rwanda ne permettaient pas l'extradition, bien que la peine de mort y ait été abolie. En Belgique, en Suisse, en Norvège, au Canada, etc., des fugitifs rwandais contre qui pesaient de très lourdes charges ont été interpellés, jugés et condamnés. Au total, une dizaine de pays occidentaux se sont engagés dans ces processus judiciaires qui permettent de faire comparaître les auteurs présumés du "crime des crimes", au nom des principes universels adoptés par les Etats depuis la Seconde Guerre mondiale. Et le cas échéant de les sanctionner.
Une garantie d’impunité à la française : « Ni juger, ni extrader »
Dans ce concert des nations, la France, généralement empressée à s'autoglorifier "le Pays des droits de l'Homme", fait bande à part. C'est en France que se sont réfugiés la plupart des responsables rwandais soupçonnés d'avoir planifié et dirigé des crimes de masse épouvantables ou d’y avoir participé. Et pourtant l'État français et son ministère de la Justice se sont longtemps gardé de mettre en oeuvre les procédures appropriées, lorsqu’ils ne se sont pas évertués à ralentir sournoisement ces procédures. On pourrait résumer ainsi cette garantie d’impunité à la française : « Ni juger, ni extrader ». L’Argentine ne procédait pas autrement avec les Nazis en fuite.
Le substitut d’« enquêtes préliminaires » que le Parquet « oubliait » d’ordonner.
En 1994, Maria, Malagardis rendait compte dans La Croix du génocide des Tutsi et du massacre politique des Hutu démocrates (au total entre 800 000 et 1 million de morts en cent jours). Auteur de plusieurs livres sur le génocide[1], dorénavant journaliste à Libération, elle relate dans un ouvrage à la fois serein et porté par une indignation maîtrisée le combat pour la justice d'un couple franco-rwandais exemplaire, Dafroza et Alain Gauthier. Beaucoup de membres de leur famille rwandaise ont été assassinés en 1994. Pour en finir avec l’impunité, Dafroza et Alain réfléchissaient au moyen de pousser la justice française à sortir de sa léthargie. Ils ont fini par créer en 2001 une association, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) qui a engagé les premières investigations sur des suspects repérés en France et justifié des dépôts de plaintes. En quelque sorte le substitut d’« enquêtes préliminaires » que le Parquet « oubliait » d’ordonner.
Le docteur Munyemana a constitué son fan-club, comme le Père Munyeshyaka
Si Alain et Dafroza ont constitué des dossiers sur une vingtaine de suspects rwandais qui semblent couler des jours paisibles en France, Maria Malagardis concentre son récit sur la traque de quelques personnages emblématiques. A titre personnel, nous connaissons bien le cas de l’abbé Wenceslas Munyeshyaka, exfiltré d’un camp de réfugié au Zaïre par deux évêques français. Aujourd’hui prêtre coopérateur et aumônier des scouts à Gisors, dans l’Eure, cet homme accusé notamment d’avoir violé à l’église Sainte-Famille à Kigali des paroissiennes qui voulaient sauver leur vie et persécuté les hommes tutsi n’hésite pas à appeler la gendarmerie locale lorsqu’il voit poindre un journaliste. D’accusé il se fait volontiers accusateur et trouve des âmes simples pour le portraiturer en héros. Il est vrai que son dossier comporte aussi des témoins de moralité comme s’il en pleuvait.
Autres personnages que l’on dirait pittoresques si le fond du décor n’était creusé de charniers, deux médecins. D’abord le docteur Eugène Rwamucyo, secrétaire de rédaction du magazine extrémiste Kangura qui au Rwanda de 1990 à 1994 préparait les esprits à la transgression du « tu ne tueras point » et attisant la haine « raciale » contre les Tutsis. « Un génocide ne survient jamais sans prévenir, sans signes annonciateurs. Bien plus, il s’affirme par étapes : on teste les réactions aux violences », observe Maria Malagardis.
Prêtres, religieuses, instituteurs, médecins : le creuset de haine où se concoctait le génocide faisait appel aux intrants socio-professionnels les plus inattendus, et souvent les plus doués, les plus manipulateurs. Résultat de presque dix-huit ans d’inertie judiciaire, le docteur Sosthème Munyemana, médecin gynécologue du côté de Toulouse, qui aurait organisé des tueries, récuse tout. Il a constitué son fan-club, comme le Père Munyeshyaka. Pourtant son dossier serait aujourd’hui le plus étayé, et il n’est pas impossible qu’un rendez-vous lui soit accordé devant une cour d’assises en 2013. Il sera plus difficile de réunir des « preuves », au sens classique du terme, contre Agathe Habyarimana, « la veuve noire », soupçonnée d’avoir orchestré au plus haut niveau la préparation du génocide. Même les enquêteurs du TPIR ont baissé les bras devant l’opacité du réseau de l’Akazu (la maisonnée présidentielle) qu’elle ne régentait qu’oralement. On entend des vérité chuchotées, on comprend aussi l’indiscible à la lecture de « Sur la piste des tueurs rwandais », ce n’est pas le moindre mérite de l’auteur.
Maria Malagardis évoque d’autres personnages sombres et inquiétants. Elle-même domine cette seconde tragédie de l’incurie judiciaire française d’une plume magnifique, frémissante et trempée d’espoir. Si l’Etat français porte une lourde responsabilité dans le génocide des Tutsi, et si les réseaux omniscients de la « Françafrique » ont pris le relais, réussissant durablement à maintenir en échec la vérité, la morale et la justice, le combat d’Alain et Dafroza Gauthier et de quelques autres a fini par porter. Pour comprendre le génocide de 1994 et accepter de porter notre part de croix, il faut lire et faire lire « Sur la piste des tueurs rwandais ».
Jean-François DUPAQUIER
Maria MALAGARDIS, Sur la piste des tueurs rwandais, Ed Flammarion.
[1] Maria MALAGARDIS, Rwanda, le jour d'après, Ed. Somogy, 1995 ; Maria MALAGARDIS, Des héros ordinaires, Ed. Les Arènes, 2009.
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27 octobre 2012
Burundi : Vers une dérive autoritaire ?
A la veille de la conférence de Genève des partenaires au développement du Burundi, International Crisis Group (ICG) s'inquiète de la dérive autoritaire du gouvernement et du retour de la violence politique. ICG accuse Bujumbura d'avoir mis en coupe réglée les institutions et rompu le dialogue avec l'opposition. Une dégradation politique qui "risque de compromettre la préparation des élections de 2015".
Les 29 et 30 octobre prochains, se tiendra à Genève une conférence des donateurs du Burundi. L'objectif affiché par les autorités burundaises est de permettre aux potentiels investisseurs "de saisir les enjeux et les opportunités liés au développement futur du Burundi". Le président Nkurunziza souhaite par la même occasion, financer le CSLPII, le cadre stratégique pour la lutte contre la pauvreté. Mais le contexte est délicat.
Au Burundi, la situation politique ne s'est toujours pas normalisée depuis les élections de 2010. Le boycott du scrutin par l'opposition et la "mainmise du gouvernement sur les institutions" avaient généré des violences "alimentées aussi bien par le pouvoir que l'opposition". Plusieurs responsables de l'opposition se sont exilés, les groupes armés ont fait leur retour, la répression et l'intimidation aussi.
Le dernier rapport d'International Crisis Group (ICG) dénonce le "monopartisme de fait" du CNDD-FDD, le parti majoritaire du président Nkurunziza. Un parti omniprésent dans les institutions burundaises, caractérisé par "la fin du dialogue" entre l’opposition et la majorité. Selon ICG, "le système de partage du pouvoir conçu à Arusha", aurait été "vidé de sa substance" et se traduit par "le retour de la violence politique"… de bien mauvaise augure pour les prochaines élections fixées en 2015.
Selon International Crisis Group, la seule porte de sortie de la crise qui couve à Bujumbura passe par la reprise d'un "dialogue inclusif", le respect de la minorité politique et la garantie du pluralisme. Le gouvernement burundais doit également "mettre l'accent sur le retour des dirigeants de l'opposition" actuellement en exil. A l'opposition, ICG demande également de prendre ses responsabilités et de "renoncer à la violence" et à ne pas "remettre en cause les résultats des élections de 2010". Crisis Group dénonce enfin les menaces qui pèsent sur la liberté de la presse au Burundi. Les responsables de médias et les journalistes proches de l'opposition sont régulièrement convoqués par le parquet. ICG souhaite que la communauté internationale et en particulier les Etats-Unis, l'ONU et l'Union européenne, prennent "publiquement position pour la dépénalisation des délits de presse" et favorisent "le pluralisme des médias".
Les autorités burundaises n'ont pas tardé à répondre au rapport du think tank. Bujumbura rejette en bloc les accusations d'ICG. Sur le respect des accords d'Arusha, le gouvernement qualifie l'analyse du centre de recherche d'"anachronique" et explique que "l’environnement des négociations a évolué, en même temps que les acteurs". Selon Bujumbura, "les équilibres prônés par ces accords tant sur le plan ethnique que du genre sont rigoureusement respectés au niveau de toutes les institutions". Alors qu'International Crisis Group demande aux bailleurs de faire pression et de veiller au retour du dialogue politique au Burundi, le gouvernement souhaite que ses partenaires "tiennent compte des véritables avancées du Burundi dans son programme de reconstruction".
Après deux ans d'impasse politique et une opposition "affaiblie", le Burundi est à la croisée des chemins. Le rapport d'ICG tente de montrer qu'une "ouverture est possible" et que la préservation des acquis d'Arusha est une nécessité pour réussir une véritable "consolidation de la paix"… les futurs donateurs et investisseurs de la conférence de Genève sont désormais prévenus.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Le rapport complet d'International Crisis Group est téléchargeable ici.
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15 juillet 2012
L'historien Jean-Pierre Chrétien chevalier de la Légion d’honneur
Jean-Pierre Chrétien, historien de l’Afrique des Grands Lacs, vient d’être fait chevalier de la Légion d’honneur dans la promotion du 14 juillet 2012 au titre du ministère de la Recherche.
Né le 18 septembre 1937 à Lille, Jean-Pierre Chrétien a fait ses Études secondaires au lycée Faidherbe de Lille, puis Hypokhâgne à Lille et Khâgne à Louis-le-Grand, Paris. Titulaire d’une maîtrise d’histoire (1960) portant sur « La presse française devant la prise de pouvoir de Hitler », il est reçu 3ème à l'agrégation d'histoire en 1962.
Sa carrière d’enseignant le mène tour à tour à Rouen (lycée Fontenelle, 1962-1964), à Bujumbura (Écoles normales, 1964-1968) et à Limoges (lycée Gay-Lussac, 1968-1969),avant de retrouver sa ville natale de Lille, où il obtient un poste d’assistant, puis de maître-assistant, à l’université Lille 3 (1969-1972). Dans le cadre du service national en coopération (1964-1965) il a été nommé enseignant Burundi, d’abord à l’École normale de Bujumbura puis à École normale supérieure du Burundi (1965-1968), il y réalise ses premières enquêtes de terrain, accompagné de ses étudiants qu’il forme au recueil des sources. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, alliant son intérêt pour l’histoire contemporaine de l’Allemagne au résultat de ses collectes de sources orales, il rédige ses premiers articles sur l’histoire du Burundi, qui annoncent sa contribution plus large à l’écriture de l’histoire de l’Afrique.
Chercheur depuis 1973, puis directeur de recherche en histoire de l'Afrique au CNRS au Centre de recherches africaines (CRA), il est rattaché en 1982 au laboratoire « Tiers-monde, Afrique », de l'Université Paris I intitulé qu’il dirige à partir de 1986, jusqu’en 2001, intitulé « Mutations africaines dans la longue durée (Mald), qui s'est ensuite fondu dans le Centre d'études des mondes africains (CEMAf). Il est l'un des fondateurs de la revue Afrique et Histoire. Durant sa carrière scientifique il a publié une vingtaine de livres et plusieurs centaines d'articles scientifiques et de vulgarisation.
Parmi ses ouvrages les plus importants, Rwanda, les médias du génocide (dir, avec Jean-François Dupaquier, Marcel Kabanda, Joseph Ngarambe), Ed. Karthala, 1995, revue et augmentée, 2000 ; Le défi de l'ethnisme : Rwanda et Burundi, 1990-1996, Paris, Karthala, 1997, réédition entièrement refondue, 2012 ; L'Afrique des grands lacs - Deux Mille Ans d'histoire, éd. Aubier, 2000 ; Burundi, la fracture identitaire - Logiques de violence et certitudes "ethniques" (avec Melchior Mukuri), éd. Karthala, 2002 ; Les ethnies ont une histoire (avec Gérard Prunier), éd. Karthala, 2003 ; Burundi 1972. Au bord des génocides, Paris, Karthala, 2007, (avec J.-F. Dupaquier) ; L'Afrique de Sarkozy : un déni d'histoire (avec Jean-François Bayart, Achille Mbembe, Pierre Boilley, Ibrahima Thioub sous la dir. de Jean Pierre Chrétien) éd. Karthala, 2008 ; L’invention de l’Afrique des Grands lacs. Une histoire du XXe siècle, Paris, éd. Karthala, 2010.
Spécialiste de la région des Grands lacs qu'il a abordée initialement par le Burundi, Jean-Pierre Chrétien a été invité à s’exprimer successivement à Bruxelles devant la Commission d’enquête sénatoriale belge sur les événements du Rwanda (1997), à Paris face aux membres de la Mission d’information parlementaire sur les opérations militaires françaises et étrangères menées au Rwanda entre 1990 et 1994 (« Mission Quilès », 1998), et à Addis-Abeba devant le Groupe de travail de l’Organisation de l’unité africaine sur le même pays (1999). Il a été également mandaté à partir de 2001 comme témoin-expert auprès du Parquet du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à Arusha dans le « procès des médias ». Retraité, Jean-Pierre Chrétien est chercheur émérite du CNRS.
Photo : Jean-Pierre Chrétien sur le terrain en 1967 au Burundi © DR
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06 juillet 2012
Rwanda : Dominique Decherf, "Hutu et Tutsi, ce sont des définitions de Blancs. La “race” est un mythe"
L’ancien ambassadeur de France au Rwanda publie un ouvrage décapant sur son expérience de diplomate en Afrique.
A la lecture du livre de Dominique Decherf, "Couleurs, Mémoires d’un ambassadeur de France en Afrique", (Ed Pascal Galodé), j’ai éprouvé comme journaliste de lourds regrets. Car mon métier consiste entre autres à repérer des acteurs d’exception dans le train-train quotidien, et ensuite à les faire connaître. Mais jusqu’alors, je n’avais pas pris la mesure de l’homme...
J'avais aperçu de loin l'ambassadeur de France au Rwanda à la réception du 14 juillet 2006 à Kigali. A cette occasion, dans le jardin de la résidence décoré de lampions et de drapeaux tricolores, il avait provoqué l’enthousiasme des Rwandais en commençant son discours en kinyarwanda. Mais je dois reconnaître avoir surtout été ébloui par la beauté et l'allure de sa femme, une styliste burkinabé. J’ai ce soir-là raté l’homme d'exception. La photo date du 14 juillet 2006, je l’ai prise alors que l’ambassadeur venait d’évoquer l’affaire Dreyfus et se dirigeait vers ses invités. Personne n’imaginait que quatre mois plus tard, en raison de neuf mandats d’arrêt internationaux délivrés par le juge Bruguière contre des proches du président du Rwanda Paul Kagame, l’ambassadeur Decherf serait expulsé et les relations diplomatiques avec la France rompues pour trois longues années.
Le dernier livre de Dominique Decherf est fascinant d'intelligence, de culture et de courage, ce qui n’est pas si courant d’un diplomate. Ses vérités iconoclastes sont avancées avec une concision et une élégance non moins rares. Il faut aussi remercier Pascal Galodé, éditeur de Saint-Malo, d’une publication remarquable. Dominique Decherf a accepté de répondre à nos questions.
Jean-François DUPAQUIER : - Pourquoi ce livre aujourd’hui ?
Dominique DECHERF : - Je ne pouvais le faire plus tôt : l’ambassadeur est tenu à un devoir de réserve. Aujourd’hui, un an s’était écoulé depuis mon admission à la retraite. En outre, le dernier président de la République sous lequel j’aurai servi, Nicolas Sarkozy, a quitté ses fonctions.
Jean-François DUPAQUIER : - Mais on voit bien que vous en avez commencé la rédaction depuis plusieurs années ?
Dominique DECHERF : - Je ne voulais pas qu’il vienne trop tard. Les leçons de cette expérience ne devaient pas être perdues pour la nouvelle génération. Beaucoup des acteurs que j’ai rencontrés sont morts : l’angolais Neto, le tanzanien Nyerere, le général ivoirien Gueï, mais d’autres sont encore au pouvoir, l’angolais Dos Santos auquel j’avais présenté les condoléances du gouvernement français à la mort de Neto en 1979, le burkinabé Blaise Compaoré auquel je fus présenté dès 1989…Pour ce qui concerne les hommes ce n’est qu’anecdotique. Le vrai danger est que la mémoire du génocide de 1994 ne s’efface progressivement, ne soit relativisée par la seule distance temporelle, ne devienne un événement parmi d’autres, et non comme je le propose dans ce livre, le tournant à partir duquel il est impératif de revisiter toute l’histoire précédente, en bref depuis 1957, le début des indépendances africaines (Ghana), et la pierre de touche qui doit devenir la pierre angulaire pour rebâtir nos relations avec ce continent.
Jean-François DUPAQUIER : - Vous soulignez dans les premières pages les ravages du fantasme de la race, dans la relation de l’Occident avec l’Afrique noire, comme ailleurs. Concernant le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, on a vu que les opinions publiques occidentales restent perméables à la raciologie du XIXe siècle, à l’idée de “haines ataviques”, etc. Peut-on convaincre l’opinion que « les races » sont un mythe ?
Dominique DECHERF : - La « race », ainsi que « l’origine » et la « religion », auxquelles le terme est justement et pertinemment associé dans la constitution française, dont on voudrait l’extirper, appartient à la catégorie des « représentations ». Contrairement aux autres facteurs de discrimination, la couleur en tête, le genre, le handicap, qui sont des phénomènes « observables », ces « représentations » sont des constructions, des « mythes » mais ce mot doit être pris au sens de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, c’est-à-dire des structures de pensée achevées, complètes, intégrales. Conçus comme des hypothèses, ces « mythes » ne sont pas vérifiables scientifiquement, mais il faut les supposer pour rendre compte du « racisme » qui, lui, pour le compte, est réel. Il est d’autant plus réel que, comme on le dit du diable, il fait croire – « on » fait croire – qu’il n’existe pas ou plus. En paraphrasant François Furet sur la révolution française, pour « passer » la « race » il faut d’abord la « penser ».
Sur l’évolution de l’opinion face à ce problème, je dirai ceci : dans la mesure où, comme le disait W. Du Bois, défenseur des esclaves aux Etats-Unis, « le problème noir est un problème de Blancs », le problème est en train de changer radicalement : désormais le Blanc a un problème avec sa propre « blancheur ». Jamais auparavant, un « Blanc » ne se représentait comme tel, une « race » parmi d’autres. Le blanc n’est pas une couleur. Il y avait l’Universel d’un côté, ou La Civilisation, ou l’Humanité, et de l’autre côté les « races » ou les « autres ». Ces grandes catégories n’étaient pas pensées par les « Blancs » au sens large comme « blanches », alors que tous les autres les considèrent comme telles, même si elles sont incarnées par des hommes (ou des femmes) noir(e)s, comme Obama le gouvernement des Etats-Unis ou la procureur Mme Bensouda à la Cour Pénale Internationale et même Kofi Annan les Nations Unies. Pour la première fois, les « Blancs » commencent à devoir se penser comme « Blancs ».
A l’échelle de l’Histoire, sauf à vouloir donner raison à Gobineau, la réaction des « Blancs » ne peut pas être de se laisser disparaître. Le « nativisme » n’a pas d’avenir.
Jean-François DUPAQUIER : - Mais quelles sont les alternatives ? Le métissage ?
Dominique DECHERF : -Je montre que d’abord c’est en effet une réaction de « Blancs » européens (pour être plus nombreux en s’adjoignant les métis, qu’ils soient biologiques ou simplement culturels, ce qui est une révolution mentale pour un Américain – des deux hémisphères – habitué à ce qu’une goutte de sang noir fasse le noir et non l’inverse), ensuite qu’elle est mathématiquement vouée à l’impasse, car les Blancs sont de moins en moins nombreux sur les autres continents, et notamment en Afrique noire. Le problème ne peut donc se gérer qu’au niveau politique des relations internationales, de nation à nation, de nations « noires » ou « autres » à nations « blanches » (même si ces dernières sont, elles, de plus en plus métissées).
Vous avez reconnu, derrière cette problématique, celle qu’a vécue dans sa chair l’Afrique du Sud, les Sud-africains autant blancs que noirs ou « coloured » (métis), ce qui me permet d’affirmer que l’Apartheid s’est aujourd’hui généralisé à l’échelle du globe. Mais c’est aussi pourquoi je dis qu’au moment où le Rwanda nous montrait le fond du gouffre, l’Afrique du Sud nous offrait la solution, la même année, le même mois d’avril 1994. Et le même commencement en 1990 (libération de Mandela, entrée du FPR au Rwanda). Or l’Afrique dans son ensemble qui, hier, disait qu’elle ne serait pas libre tant que les noirs sud-africains seraient dans les chaînes, aujourd’hui refuse, rejette cette nouvelle Afrique du Sud. Encore dernièrement pour la présidence de la Commission de l’Union africaine (Jean Ping préféré à Mme Dlamini-Zuma).
La solution vaut ici pour les Blancs autant que pour les Noirs. Les Blancs étaient prisonniers de l’Apartheid et se sont sentis mentalement libérés par son démantèlement comme les Noirs l’étaient physiquement et juridiquement. Les post-colonialistes, dans la ligne de Frantz Fanon, avaient bien vu que l’impact des relations raciales aussi inégalitaires transformait et pénalisait les Blancs ainsi que les Noirs.
Jean-François DUPAQUIER : - Dans ce livre paradoxalement dédié au président du Rwanda Paul Kagame, vous notez qu’il vous a traité « d’employé » après vous avoir chassé du Rwanda sous 24 heures en novembre 2006, dans la cadre de la rupture des relations diplomatiques avec la France. Comment avez-vous perçu ce qualificatif « d’employé » ? Comme une excuse concernant votre personne ou comme un camouflet supplémentaire ?
Dominique DECHERF : - La phrase exacte de son entretien avec le journaliste américain Stephen Kinzer se lit ainsi : « Nous avons renvoyé l’ambassadeur non pas parce qu’il avait fait quelque chose de mal. C’était un employé (employee). Nous n’avons pas le pouvoir de renvoyer le président français ou son ministre des affaires étrangères ou les chefs militaires ou les services de renseignement. Tout est dans le symbole. » (A Thousand Hills : Rwanda’s rebirth and the man who dreamed it, New York, 2008).
Il n’y a donc rien de personnel entre nous. Nous avons toujours parlé franchement et en confiance. Je dois ajouter que j’ai reçu de nombreux témoignages de sympathie de la part des dirigeants rwandais comme de simples citoyens. Je n’en veux à personne au Rwanda, ni au Quai d’Orsay. Suivez mon regard…
Jean-François DUPAQUIER : - Précisément, un diplomate est l’employé de son pays, chargé de faire passer une politique et de transmettre des informations à son gouvernement. Mais vous notez dans votre livre le résultat d’expériences personnelles : concernant les pays où vous avez travaillé, où vous avez une expertise, le Quai d’Orsay était généralement très mal informé des réalités du terrain, très crispé sur des préjugés. Et ça doit être pareil ailleurs. Comment avez-vous géré cette frustration ?
Dominique DECHERF : - Il y a trois niveaux : l’information, généralement celle du Quai est la meilleure, l’analyse, c’est-à-dire le traitement de l’information, où apparaissent les grilles de lecture subjectives, de plus en plus importantes à mesure que la taille de la note diminue (au ministre, au président), enfin l’action, qui, elle, tire certes, en principe, parti des informations, mais se fonde sur des volontés, des politiques, et peuvent donc – légitimement – aller à l’encontre des faits. Mais, rassurez-vous, la plupart du temps, « on ne fait rien ». Pour qu’il y ait action, il faut des concours de circonstance plutôt exceptionnels, et souvent très à la marge. La frustration serait plutôt dirigée à l’encontre des impuissances que des abus de pouvoir. Pourquoi ? Parce que nous sommes un vieux pays, repu, conservateur de l’ordre établi international dont il est l’un des principaux bénéficiaires, consensuel, respectable, qui parle et pense plus qu’il n’agit, ou qui croit que parler ou écrire c’est agir (« la voix de la France »)…Ce n’est pas tellement une critique qu’un constat, la loi du genre.
Jean-François DUPAQUIER : - Si vous le voulez bien, nous allons revenir sur le Rwanda et le génocide contre les Tutsi, bien que votre livre touche à bien d’autres pays et d’autres débats. Vous laissez entendre que les accusations contre la France ne sont pas forcément pertinentes lorsqu’elles accablent surtout les militaires français, et moins les politiques. Pourquoi ?
Dominique DECHERF : - Le Rwanda constitue en effet un chapitre sur huit mais il détermine tout le livre. Le 14 juillet 2006, dans les jardins de la résidence de France à Kigali, pour le discours traditionnel pour la fête nationale, j’avais fait écho au centenaire de la réhabilitation du capitaine Dreyfus qui venait d’être commémoré en France. C’était un clin d’œil. Le cas rwandais prend dans notre pays les allures d’une seconde affaire Dreyfus. L’opinion, au-delà des simples initiés, se divisait, toutes tendances confondues, en dreyfusards et antidreyfusards.
Biographe de Jacques Bainville, je suis instinctivement sur une ligne qui consiste à croire en l’innocence du capitaine tout en refusant de m’associer aux excès du « parti dreyfusard », c’est-à-dire de l’hostilité à l’institution militaire et à ses représentants. J’ai souvent dit à mes interlocuteurs rwandais : gardez-vous d’attaquer l’armée française en bloc ! L’institution comme telle a été suffisamment ébranlée par le drame.
Jean-François DUPAQUIER : - Ebranlée, mais apparemment soudée dans le déni !
Dominique DECHERF : - Elle n’en est pas sortie intacte. Laissez la faire son processus d’évaluation. Si vous l’attaquez en bloc, elle se refermera comme une huître. D’autre part le drame a servi à reformater les interventions militaires extérieures, la coopération militaire et la coopération tout court qui a disparu corps et biens moins de quatre ans plus tard (suppression du ministère de la Coopération en 1998 !).
En outre, les attaques contre l’armée sont autant d’excuses pour les politiques qui ainsi peuvent échapper à leurs responsabilités. Dans une démocratie comme celle de la France, la responsabilité politique ne se divise pas. Autour de l’armée, droite et gauche feront bloc. Le vrai drame du Rwanda est que la France vivait, au moment du dénouement, en régime de cohabitation où, précisément, les responsabilités étaient diluées. On l’avait vu lors de la première cohabitation Mitterrand/Chirac sur le Tchad. La cohabitation Mitterrand/Balladur lors du génocide fut caricaturale (mais pas plus et sinon moins que dans tous les autres pays ou organisations): on évita le pire, une guerre de reconquête d’un côté, une inaction totale de l’autre. « Turquoise » fut un compromis avec les avantages et les inconvénients du genre. Politiquement ce fut un handicap pour la droite qui dût assumer un héritage qui n’était pas de son fait, et tout bénéfice pour la gauche qui faisait oublier la vraie guerre de la période 90/93. Entre les deux, avec des idées aussi contradictoires, et le plus souvent sans instructions, comment les militaires pouvaient-ils s’y retrouver ? Les meilleurs, ou les moins cyniques, en furent les plus meurtris. J’en ai rencontrés. Et, pour les politiques, personnellement, je peux témoigner de l’innocence d’Alain Juppé.
Jean-François DUPAQUIER : - Vous écrivez que le discours de la Baule de juin 1990 a été en quelque sorte « arraché » à un président français dubitatif, et qu’il a constitué la trame du soutien aveugle au régime Habyarimana, avec les conséquences que l’on sait. Pourquoi ?
Dominique DECHERF : - Mitterrand savait que la démocratie formelle qu’il se voyait contraint d’exiger de certains chefs d’Etat africains était suicidaire, le Rwanda étant sans doute le cas limite. Il se sentait donc moralement obligé de l’aider autant que possible. La Baule qui se voulait un désengagement se traduisait par un réengagement militaire en Afrique ! Comment Mitterrand déjà dubitatif sur la nouvelle Russie, l’unification de l’Allemagne, l’implosion de la Yougoslavie, n’aurait-il pas été encore plus méfiant vis-à-vis des conséquences en Afrique de la chute du mur ? Le problème est qu’il ne sut pas apporter à La Baule la réponse qui pourtant était à portée de main mais encore trop nouvelle, trop imprévue pour faire fond sur elle : l’Afrique du Sud.
Jean-François DUPAQUIER : - Le rôle personnel de François Mitterrand a été montré du doigt dans la catastrophe de 1994 au Rwanda, mais était-il encore vraiment aux commandes de la France ? Un Hubert Védrine n’était-il pas le véritable patron caché de la diplomatie, du « pré carré » et des services spéciaux ?
Dominique DECHERF : - Mitterrand était sans doute à son époque le meilleur connaisseur de la politique africaine qui soit, du fait de son parcours sous la IVe République. La preuve en est que son meilleur guide fut jusqu’au bout du bout Félix Houphouet-Boigny qu’il rallia à son parti de l’époque, l’UDSR, et fut plusieurs fois ministre (contrairement à Senghor).
Pour Houphouet, Mitterrand tint bon sur le franc CFA jusqu’à la mort de celui-ci en décembre 1993, un contre tous, le Trésor, la Banque mondiale etc.
En 1994, Mitterrand n’aura plus en Afrique personne de sa valeur à qui se référer. Il était encore trop tôt pour Mandela qui d’ailleurs occulta le drame rwandais. C’était le grand vide (hélas Boutros-Ghali !)
Il faudra certes bien un jour « dédouaner » Mitterrand pour que le parti socialiste (j’ignore ce qu’il en est du président Hollande) puisse « passer » le drame rwandais. Faire de Védrine, à l’époque « simple » secrétaire général de l’Elysée, même pas ministre, le bouc émissaire n’est pas à la hauteur de l’effort historique requis.
Jean-François DUPAQUIER : - Avant votre prise de fonction en 2004, Bruno Joubert, le « Monsieur Afrique » de l’Elysée vous demande d’essayer de comprendre ce qu’est un Hutu et un Tutsi. Comment analysez-vous ce genre de questionnement dix ans après le génocide ?
Dominique DECHERF : - Le mot est de Michel de Bonnecorse, alors conseiller Afrique de Chirac (et non Bruno Joubert qui ne le deviendra que sous Sarkozy). On peut l’interpréter comme une manière de marquer une distance avec un événement survenu lorsque Chirac n’était pas aux affaires et même le plus loin possible. Dominique de Villepin, qui était responsable de cette volonté de rapprochement pour laquelle on m’avait choisi en 2004, avait voulu se « débarrasser » du problème en renouant les relations franco-rwandaises dès 1995. La bêtise à l’époque avait été, comme je l’ai signalé, de convaincre le ministre des affaires étrangères Alain Juppé, devenu premier ministre, qu’il était « solidairement responsable » de la politique vis-à-vis du Rwanda qu’il ne partageait pas, que ce soit celle de Mitterrand ou celle de Balladur !
L’autre interprétation est que le conseiller Afrique n’avait encore trouvé personne parmi ses collègues pour lui fournir une réponse satisfaisante. Ce qui traduit bien la confusion ambiante dans les milieux dirigeants, hauts fonctionnaires, comme les milieux universitaires, dix ans après et aujourd’hui dix-huit ans après. C’est pourquoi cette question me paraît aussi centrale qu’elle est incongrue.
Jean-François DUPAQUIER : - Hutu et Tutsi, ce sont des définitions de Blancs ?
Dominique DECHERF : - Bien sûr, Hutu et Tutsi, ce sont des définitions de Blancs, car sinon pourquoi poser la question ? Les Rwandais ne se la posent pas, car comme on dit, chacun se connaît. Il y a que nous à se la poser, parce qu’aucune de nos clés de lecture ne fonctionne : ni ethnie, ni classe, ni caste, ni religion, donc race ?…Et pourquoi se la poser sinon pour classifier, comme de savoir qui est juif, pour gérer, et ultimement pour « tuer ». La résurgence de la « race » en effet ne sert qu’à cela : désigner l’ennemi en temps de paix (Michel Foucault). Quand j’étais ambassadeur, j’avais banni ces appellations des télégrammes diplomatiques, forçant mes collaborateurs à aller plus loin dans la description de telle ou telle personnalité : anglophone ou francophone, réfugié d’Ouganda, ou du Burundi, ou du Zaïre, survivant, ou originaire de telle ou telle région, cela ne trompait personne mais obligeait à se déprendre de ces termes connotés.
Jean-François DUPAQUIER : - Vous écrivez que « la reconnaissance par le président Chirac en 1995 de la participation de l’Etat français à la déportation du Vel d’Hiv en 1942 ne serait peut-être pas intervenue sans le génocide rwandais de 1992 ». Pouvez-vous nous expliquer le sens de cette formulation ?
Dominique DECHERF : - Comment en effet imaginer reconnaître le rôle de la France au Rwanda si on n’a pas encore été capable après 53 ans de reconnaître la participation de « l’Etat français » dans la déportation des juifs du Vel d’Hiv ? Et comment y penser soudain en 1995 sans que la récente actualité n’ait fait se ressouvenir de la réalité contemporaine du génocide ? La polémique qui s’en est suivie sur la nature des responsabilités : que voulait dire ici l’expression « Etat français » ? Le régime de Vichy dans son ensemble, l’institution, les hommes, où était « la France » en 1942, était aussi un écho à la nature de la « part de responsabilité morale » dont nous accablait, un ton largement en-dessous, le président Kagame.
Jean-François DUPAQUIER : - Vous laissez aussi entendre que les Tutsi du Rwanda ayant été assimilés à des Blancs, leur extermination était, d’une certaine façon, celle des colonisateurs. Pourquoi ?
Dominique DECHERF : - Le racisme, dis-je, n’était pas originellement entre Hutu et Tutsi mais dans le regard des Blancs sur le génocide noir. Comme je l’ai mentionné à propos de l’Afrique du Sud, le Blanc est lié au Noir dans le rapport de forces qu’il a instauré entre eux. Dans son esprit, ce rapport ne laisse d’autre alternative que le renversement par la force. Personne n’a imaginé que le pouvoir des uns pouvait reposer sur une nouvelle forme de légitimité. C’est en ce sens que les thèses du « pouvoir hutu » seront justifiées au nom de l’idéologie anticolonialiste, totalement anachronique en 1990, est-il besoin de souligner.
Jean-François DUPAQUIER : - Vous évoquez le rêve d’un Hutuland et d’un Tutsiland chez Hubert Vedrine et Bernard Debré. Pourquoi ces deux hommes aux antipodes politiques font-ils le même rêve que Staline d’un « Etat juif » en URSS ou que Hitler de les déporter en bloc à Madagascar – avant d’opter pour l’extermination ?
Dominique DECHERF : - Il ne faut pas oublier que le génocide survient en plein siège de Sarajevo. Bernard-Henri Lévy n’ira pas au Rwanda car il conduit une liste pour Sarajevo aux élections européennes de juin 1994, quelle coïncidence ! La balkanisation sur une base ethnique est dans toutes les têtes. CQFD pour le problème Hutu/Tutsi. Chez Bernard Debré, c’est un surinvestissement d’expertise « africaniste », chez Hubert Védrine, une transposition indifférenciée de l’Est au Sud.
Jean-François DUPAQUIER : - Assimiler Tutsi et Juif est-il pertinent ?
Dominique DECHERF : - Un « dialogue des mémoires » veut faire apparaître les points communs aux victimes de génocide et à la volonté de survie des communautés menacées (cela inclut aussi les Arméniens). Mais il faut faire attention au sens du mot « race » selon qu’il s’applique aux Juifs ou d’une manière générale aux Noirs. Racisme et antisémitisme sont justement associés dans la lutte contre toute discrimination, mais ils ont aussi trop souvent prêté à amalgame comme on l’a vu lors de la conférence des Nations Unies à Durban en 2001 puis à Genève en 2011. Cela risque de ressurgir si l’on prétend supprimer le mot « race » dans la constitution : en 1946, cette disposition visait à protéger les Juifs – on considérait qu’il n’y avait pas de problème de couleur en France, alors qu’aux Amériques (nos Antilles comprises), « race » est toujours employé en référence à l’esclavage des Noirs.
Jean-François DUPAQUIER : - Selon vous, le Quai d’Orsay et les réseaux de la Françafrique ne cherchaient qu’à défendre Mobutu en tentant de contenir la rébellion du FPR dès 1990. Pourtant, Mobutu était d’abord l’instrument des Américains et de la CIA ?
Dominique DECHERF : - Giscard d’Estaing est le premier à avoir engagé la France – et son armée – lourdement aux côtés de Mobutu. Il s’en est défendu lors de la commémoration du saut de la Légion sur Kolwezi (1978). A Calvi en 2008, il a révélé avoir refusé la requête du chef de l’Etat zaïrois que l’armée française demeure d’une manière permanente en protection (les Marocains resteront quelques mois). C’est alors qu’un sommet francophone se tint à Kigali en 1979 où Senghor fit adopter son projet de Commonwealth à la française. Il est remarquable que les plus fidèles soutiens au pouvoir hutu viendront (jusqu’à aujourd’hui) du Sénégal et de l’ex-Afrique équatoriale française (Centrafrique, Congo-Brazzaville, Gabon, Cameroun) dont Giscard était le plus proche (au détriment de Houphouet).
Jean-François DUPAQUIER : - Vous écrivez aussi que l’actuel président du Rwanda Paul Kagame ne peut se défaire de ses ambitions sur la RDC. A votre avis, est-il dans le fantasme du chef de guerre ou dans une logique de pillage des richesses ?
Dominique DECHERF : - Je n’ai pas écrit exactement cela. Je dis par contre que géographiquement l’Est congolais débouche plus naturellement sur l’Océan indien que sur l’Atlantique ; d’autre part le Rwanda, situé en Afrique de l’Est (il faisait partie de l’Afrique orientale allemande avant d’être accidentellement – et comme pays sous mandat - rattaché à la colonie belge du Congo), est un cul-de-sac s’il ne met pas en communication l’Afrique de l’Est et le Congo.
Jean-François DUPAQUIER : - En 2009, Nicolas Sarkozy avait déclaré publiquement qu’il approuvait le partage des richesses du Kivu entre la RDC et le Rwanda. Il a visiblement charmé Kagame par ces propos. S’agit-il à votre avis d’une base politique solide pour la diplomatie française vis-à-vis de la RDC ?
Dominique DECHERF : - C’est la solution qui s’impose sur le papier. J’ai longtemps mis en avant le modèle de la Communauté charbon-acier avant de me rendre compte que pour que le concept de la CECA triomphe, il avait fallu une guerre mondiale où l’un des pays, l’Allemagne, avait été totalement vaincu. Il s’en est fallu de peu pour le Zaïre, mais le peuple congolais, s’il « tolère » la dynastie Kabila (originaire du Nord-Katanga), n’est pas prêt à des accords jugés léonins avec le petit Rwanda. Le président Sarkozy avait en effet désigné un ambassadeur itinérant chargé de pousser l’idée mais n’est pas Robert Schuman ou Jean Monnet qui veut. Le préalable à tout progrès, ce qui se vérifie un peu partout en Afrique, est de rééquilibrer les Etats hypercentralisés d’origine postcoloniale sur des perspectives transfrontalières.
Jean-François DUPAQUIER : - A votre avis, les tentatives de déstabilisation de Kagame, notamment par les Services spéciaux français à travers l’enquête Bruguière, ont-ils encore cours aujourd’hui ?
Dominique DECHERF : - L’opération Bruguière a fait long feu. Je ne vois pas par quoi elle serait remplacée. Il reste un déficit de confiance, l’impossibilité d’accepter Kagame comme « légitime » sans parler de l’admettre au « club ». « On fait avec ». C’est déjà pas mal si l’on considère de là où l’on est parti. La transformation, que je qualifierai de « spectaculaire », des esprits et des cœurs entre 2004 et 2006 à laquelle j’ai assisté est là pour en témoigner.
Jean-François DUPAQUIER : - Quelle doit être la diplomatie française vis-à-vis du Rwanda ? L’endiguement, ou au contraire l’aide au désenclavement ?
Dominique DECHERF : - L’alternative récente me paraît plutôt avoir été entre l’hagiographie – certains diraient l’agenouillement – et le dénigrement systématique. Je regrette ma ligne que je continue de considérer ouverte et compréhensive. Il nous faudrait développer une diplomatie régionale élargie non seulement aux Grands Lacs, mais à l’Afrique de l’Est et à la Corne de l’Afrique, le champ, disons, du Comesa au plan économique, de l’Easbrig au plan militaire. Somalie, Soudan, sud et nord, impliquent aussi un partenariat stratégique avec le Rwanda, devenu spécialiste en conflits terminaux. C’est cette reconnaissance internationale qui nous fera dépasser les huis clos, rwando-français, rwando-congolais ou rwando-rwandais.
Jean-François DUPAQUIER : - Le Rwanda est accusé de soutenir le mouvement mutin du M 23 au Kivu, sans qu’on comprenne clairement le but poursuivi. Comment analysez-vous, dans la durée, cette nouvelle crise entre le Rwanda et la RDC ?
Dominique DECHERF : - A nouveau et toujours une question de politique intérieure congolaise. Les Congolais ont grand tort de vouloir régler leurs problèmes internes sur le dos des Rwandais.
Jean-François DUPAQUIER : - Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault affiche sa volonté de restaurer la francophonie. Que faire au Rwanda où parmi les conséquences du génocide de 1994, il y a eu l’effondrement du français et la fermeture du Centre culturel franco-rwandais, le seul équipement culturel digne de ce nom à Kigali ?
Dominique DECHERF : - La défense de la francophonie était un axe majeur de mon plan d’action comme ambassadeur de 2004 à 2006 : le centre culturel avait été remis au centre de toute la vie culturelle rwandaise; rfi avait été admis à rouvrir ses émissions en FM ; Cyangugu, province frontalière avec le Burundi et la RDC, avait été privilégiée comme zone de développement prioritaire ; les francophones, dont une forte minorité d’ex-réfugiés au Zaïre et au Burundi, qui dominaient le secteur des affaires, avaient repris confiance ; le bilinguisme des élites triomphait au plan panafricain avec l’élection de Kaberuka à la tête de la Banque Africaine de Développement avec notre soutien. Etc etc. Que veut la mariée ? Le Rwanda a toute sa place dans la francophonie sans exclusive.
Jean-François DUPAQUIER : - Certains acteurs français comme Hubert Védrine, Bernard Debré ou Marcel Debarge - lorsqu’il était ministre de la coopération -, ont estimé qu’au Rwanda majorité démocratique signifie majorité ethnique. Qu’en pensez-vous ?
Dominique DECHERF : - On l’a dit : rien n’est plus étranger au modèle arc-en-ciel sud-africain. Mais même si la démocratie africaine traditionnelle est avant tout recherche du consensus, voire de l’unanimité au niveau de la famille élargie ou du village, au niveau des nations modernes, sauf exception, jamais une unique ethnie n’est capable de s’imposer seule. La recherche d’alliances est une condition nécessaire de l’exercice du pouvoir. Exemple : Houphouet-Boigny qui avait fondé la stabilité de la Côte d’ivoire sur l’alliance entre Baoulé du centre et Senoufo du Nord. Son successeur, Bédié, plus Akan que Baoulé, ne saura pas bâtir de nouvelles alliances. L’ivoirité c’est l’endogamie, le contraire de l’alliance. Le Kenya est actuellement –et péniblement - à la recherche de ce type de transactions trans-régionales qui a lamentablement – ce qui était à prévoir - échoué aux dernières élections de décembre 2007.
Par ailleurs, l’objet de toute démocratie est de dégager des « leaders » capables de transcender les clivages. Ce sont ceux-là qui font aujourd’hui le plus défaut à l’Afrique.
Jean-François DUPAQUIER : - Nous savons que certains au Quai d’Orsay, notamment l’ancien ambassadeur Marlaud (à travers le récent rapport d’inspection de l’ambassade de France à Kigali) prêchent pour que le France prenne ses distances avec Kagame et favorise le retour d’un certain « pouvoir hutu », quelles qu’en soient les conséquences intérieures. Quelle doit être la position de la diplomatie française ?
Dominique DECHERF : - La diplomatie française s’est évertuée à décourager, dans l’esprit des dirigeants actuels, l’idée que nous apportions quelque soutien que ce soit aux réfugiés rwandais au Congo, les FDLR (Front de Libération du Rwanda), ni à aucune forme de « divisionnisme » à l’intérieur ou de « révisionnisme » ou « négationnisme » à l’extérieur. Il nous faut sans doute être plus offensifs et faire comprendre définitivement aux militants de quelque pouvoir majoritaire hutu qu’il n’y aura jamais aucun retour en arrière à la situation ante 1993. Certains d’entre eux peuvent penser jusqu’à aujourd’hui que nous les avons abandonnés à leurs démons intérieurs. Autant que les ex-« Tutsi de l’intérieur » survivants, les Hutu peuvent nous dire comme la sœur de Lazare à Jésus : « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ». Mais il faut que chacun sache que nous n’avons pas le pouvoir de ressusciter les morts. Seulement de permettre de faire le deuil.
Jean-François DUPAQUIER : - Depuis le rappel en France par Alain Juppé de l’ambassadeur Contini, et le refus de Kagame d’accréditer Hélène le Gall (devenue depuis conseillère Afrique du président François Hollande), la France n’a plus d’ambassadeur au Rwanda. Accepteriez-vous de reprendre du service si on vous le demandait ?
Dominique DECHERF : - Le refus d’accréditation d’Hélène Le Gal est un parfait malentendu. Sous-directrice d’Afrique de l’Est lorsque j’étais ambassadeur à Kigali, elle a toujours activement soutenu la ligne du rapprochement.
On ne me demandera pas de reprendre du service, car étant en retraite, ma nomination ne serait plus diplomatique mais « politique ». On changerait de registre. Outre qu’il n’est jamais bon de retourner sur le lieu de ses crimes. Nécessairement on compare…Il faut un œil neuf.
Toutefois je continuerai à défendre ce qui a été fait entre 2004 et2006, « socle » de ce qui a été réalisé depuis et le sera par les ambassadeurs à venir. Je suis fier de mon bilan.
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER
Dominique Decherf, "Couleurs, Mémoires d’un ambassadeur de France en Afrique", Ed Pascal Galodé, Saint-Malo, France.
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08 juin 2012
Rwanda : Décision le 4 juillet sur la demande d'extradition de Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki
La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris se prononcera dans un mois sur la demande d'extradition présentée par les autorités du Rwanda contre un de eurs ressortissants, Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki, accusé de génocide, complicité de génocide, crimes de guerre, crimes contre l'humanité.
Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki est un homme imposant, presque un colosse sanglé dans un beau costume bleu-nuit légèrement cintré, une chemise impeccable et une cravate à damier bleu clair visiblement neuve. Le visage graisseux encadré de lunettes à fine montures façon écaille, il se tient bien droit, les jambes légèrement écartées sur ses mocassins noirs, devant la présidente Édith Boizette. On comprend que cet homme politique s'est longuement préparé à cette épreuve et qu'il veut faire bonne impression. Il n’en a pas moins été ministre du gouvernement intérimaire qui, en 1994, a organisé le génocide des Tutsi du Rwanda.
Cet après-midi du mercredi 6 juin 2012, le tribunal a éclusé toutes sortes d'affaires de demande d'extradition assez banales pour pouvoir réserver la fin de l'audience au cas de Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki. Présidente, assesseurs, greffière, avocat général, avocats, tous savent que l'affaire va prendre du temps. Édith Boizette saisit, d’un geste un peu las, une liasse de papiers : la demande d'extradition.
« Je n'ai pas eu le temps de lire très en détail le mémoire de la défense déposé ce matin, néanmoins la cour considère ce mémoire comme valable », commence-t-elle.
Une singularité du droit français
C'est une singularité du droit français et même un anachronisme que la procédure de recours contre un mandat d'arrêt international avec demande d'extradition. Le gouvernement étranger qui est à l'origine de la demande n'est pas légalement représenté à l'audience. Une anomalie que ne manque pas de relever Me Gilles Paruelle, représentant du gouvernement rwandais en la cause. Il ne peut s’exprimer que par la mansuétude de la présidente et de l'avocat général. Du coup, son confrère, l'avocat de Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki ne s'est pas donné la peine de lui adresser ses conclusions. « Madame la présidente, je vais donc devoir plaider à l'aveugle, sans connaître les arguments de mon confrère et sans connaître le point de vue du parquet », regrettera Me Gilles Paruelle. « Il s'agit d'une procédure qui ne respecte pas le principe du contradictoire. La partie demanderesse n'est pas partie au procès. Il s'agit d'un défaut de notre procédure dont je n'ai pas trouvé d'explication dans les débats parlementaires qui avaient précédé le vote de cet article 696-16 du code de procédure pénale. Je ne puis même pas saisir la Cour de Cassation. »
La présidente : - Vous avez pensé à une question préalable de constitutionnalité ? Me Paruelle : - J'y ai songé. Ce serait très intéressant. encore que je ne suis pas partie au procès...
Question préalable de constitutionnalité ?
Mais nous n'en sommes pas encore là. Edith Boizette lit la demande d'extradition et explique les pièces jointes. La présidente de la chambre de l'instruction est une femme élégante, distinguée, courtoise, expérimentée. Elle-même ancienne juge d'instruction, elle connaît sur le bout des doigts la procédure et ne cache pas un léger agacement devant la montagne de documents fournis par le gouvernement rwandais. Ils ont dû transiter, comme c'est la règle, par l'ambassade de France, puis le Quai d'Orsay, puis le ministère de la Justice et enfin le tribunal de Grande instance de Paris. Ces documents se sont accumulés car l'ancien ministre du gouvernement du génocide n'a pas été facile à localiser.
Le premier dossier avait été destiné à la République Démocratique du Congo (RDC) où l'on croyait Nsengiyumva Rafiki caché. Lorsqu'il a été identifié à Paris en 2008, son avocat a multiplié les demandes de références juridiques et alourdi d’autant les éditions successives du dossier d'extradition. Le Rwanda a ainsi fourni toute une série de copies d'articles du Code pénal, de lois organiques modifiant le Code, la Constitution, la loi abolissant la peine de mort en 2007, l'acte d'accusation à l'appui du mandat d'arrêt international, etc. Il y a eu un ratage dans lequel la défense de Nsengiyumva Rafiki s'est engouffrée : un acte d'accusation postérieur à la demande d'extradition.
« Je sais qu'on va me reprocher encore une pièce qui manque : la preuve que les juridictions Gaçaça ont terminé leurs travaux, puisqu'on agite régulièrement la menace que le suspect serait soumis au Rwanda à une juridiction populaire, explique Me Gilles Paruelle. Il suffit au tribunal d'aller sur Internet pour constater que le 16 juin prochain a lieu une cérémonie marquant la fin de cette juridiction, je n'ai rien d'autre à offrir au tribunal que cette évidence. »
« On va me reprocher encore une pièce qui manque ! »
Ce n'est pas la première fois que l'avocat français qui représente le Rwanda dans les procédures d'extradition s’exprime devant la chambre de l'Instruction de la cour d'appel de Paris. Il en connaît les exigences et les chausse-trapes. « Le tribunal peut s'étonner que les autorités rwandaises aient adressé certains document en double exemplaire. Il ne faut cependant pas oublier que le dossier contre M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki a été égaré durant plusieurs mois ici, au greffe du tribunal de grande instance, ce qui n'a pas manqué d'inquiéter au Rwanda. » Sourires entendus. On ne va pas chagriner le greffier en allant plus loin dans les remarques.
Me Paruelle revient sur les faits qui sont reprochés à Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki : sa contribution à la formation d'une milice armée de jeunes gens du Parti social démocrate (PSD) ; la fourniture de munitions et d'armes à ces jeunes, appelés abakumbozi ; l'incitation à installer des barrières sur les routes où les Tutsi était abattus ; le transport de miliciens notamment vers le camp de Gisenyi.
Fin avril 1994, Nsengiyumva Rafiki aurait aussi visité des Tutsi réfugiés à la paroisse de Nyundo, au nord-ouest du Rwanda, pour les rassurer alors que, peu après, ils ont été massacrés. À plusieurs reprises il aurait procédé de même : endormir la méfiance des Tutsi pour les inciter à rester rassemblés dans des endroits où les miliciens et militaires avaient moins de mal à les exterminer. On lui reproche aussi une réunion publique à Gisenyi le 8 mai 1994 où il aurait incité la foule à traquer les Tutsi qui se cachaient encore et aurait incité les miliciens à coordonner leurs efforts avec le groupe des miliciens interahamwe de Bernard Munyagishari, le principal chef milicien de Gisenyi, connu pour sa férocité. Une partie de ces faits est mentionnée dans le livre d’Alison DesForges, historienne du Rwanda et activiste des droit de l’Homme, « Aucun témoin ne doit survivre » (Ed. Karthala).
Endormir la méfiance des Tutsi pour faciliter leur massacre ?
Après avoir cité un passage du livre, l'avocat du gouvernement rwandais souligne la responsabilité des ministres qui, à partir du 9 avril 1994 et jusqu'à leur fuite au Zaïre, ont agi sous l'autorité du premier ministre Jean Kambanda pour exterminer les Tutsi du Rwanda. Me Gilles Paruelle rappelle que Kambanda a plaidé coupable devant le Tribunal pénal international qui l’a néanmoins condamné à la réclusion à perpétuité. A cette occasion, l'accusé a signé une longue confession où il reconnaissait son écrasante responsabilité dans le génocide. « M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki faisait partie des vingt ministres de ce gouvernement qui n'a rien fait d'autre qu'exterminer les Tutsi », accuse l'avocat. L'homme qui comparaît devant vous ne fait pas partie de ce qu'on pourrait appeler le menu fretin des acteurs du génocide. C'est un homme politique qui avait de l'autorité, une capacité de contrôle et d'organisation. Il a mis cette capacité au service du génocide, des tueries. »
« Il a mis son autorité de ministre au service du génocide »
Me Gilles Paruelle revient sur le génocide contre les Tutsis du Rwanda en 1994. Il raconte le mémorial de Murambi, ou environ 40 000 tutsi avaient été assassinés. « Nous sommes dans le cadre de faits particulièrement grave : environ un million de personnes ont été massacrées en 100 jours, c'est-à-dire 10 000 personnes par jour, hommes, femmes, enfants, bébé, vieillards. Lors d'une précédente audience je vous avais dit que cela représentait environ 20 morts par minute, les tueurs ne « travaillant » que durant la journée. Depuis tout à l’heure que nous examinons cette affaire devant votre cour, le temps écoulé aurait représenté presque 1000 morts, assassiné à coups de fusil-mitrailleurss, de grenades, de machettes, de gourdins, de lances et d'arcs, dans des conditions que vous pouvez imaginer. »
L’avocat élève à peine la voix : « Dans des nations civilisées, nul ne peut accepter que des personnes soupçonnées d'avoir organisé de tels massacres ne puissent être déférées devant un tribunal. Je sais bien que l'on va m'objecter tel ou tel problème de la justice au Rwanda. Mais j'ai vu comment ce pays a été ravagé, avec des survivants apeurés, un administration anéantie, des magistrats assassinés ou en fuite, des tribunaux dévastés dont les dossiers servaient de combustible aux rescapé pour cuire leurs aliments. Quand on a vu comment, à partir de presque rien, a été reconstruit le Rwanda d'aujourd'hui, il serait plus pertinent d'admirer les efforts accomplis y compris en matière de Droit.
Je sais qu'on va critiquer des lois successives sur la procédure pénale, sur la sanction du génocide et des crimes contre l'humanité. Mais cette succession de textes montre au contraire les efforts réalisés au Rwanda pour améliorer constamment l’arsenal répressif. »
« Que la France ne soit pas une terre d'impunité »
Me Paruelle poursuit : Je vous demande de faire en sorte que la France ne soit pas une terre d'impunité en faisant droit à la demande d'extradition contre M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki qui bénéficiera au Rwanda des garanties de la défense qui doivent vous rassurer. Il a été a déjà assez difficile de le retrouver alors qu'il a multiplié les fausses identités lors de sa fuite en République démocratique du Congo et au Kenya notamment. Vous ne devez pas laisser se soustraire à ses obligations. »
La présidente : - il y a un point important, c'est celui de la non rétroactivité de la loi pénale, vous le savez…
Me Paruelle : il existe à ce sujet des principes de droit international qui s'imposent en France comme ailleurs. L’avocat les cite longuement.
La parole est à l'avocat général. Il explique qu'il a procédé à un réexamen de l'affaire et qu'il « a relevé des documents successifs dans trois enveloppes, contenant un certain nombre d'informations, de textes. » Il relève qu'un document d'extradition avec mandat d'arrêt était postérieur à la date d'interpellation de Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki. Il se plaint que certains documents ne soient que des copié-collé et fait la leçon au Rwanda : « Rien ne justifie cette substitution de pièces. Ces faits de génocide sont malheureusement classiques. On reproche à M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki des généralités, des faits pas suffisamment précis. » L'avocat général parle d'une voix faible et presque confuse. On entendra à la fin de ses réquisitions seulement des bribes de phrases : « je me rendrai à votre avis (...) Avis conforme. » On croit comprendre que l'avocat général est finalement plutôt favorable à la demande d'extradition sans l'exprimer aussi clairement.
L’avocat général plutôt favorable à la demande d'extradition ?
Me Courcelle-Labrousse, avocat de M. Nsengiyumva Rafiki, se lève : « La personne qui vous demande d'extradition de M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki, c'est Martin Ngoga, procureur général du Rwanda. Il a fait une conférence de presse à Arusha en Tanzanie contre les enquêteurs français au Rwanda dont vous pourrez apprécier la nature de pression politique : « La dernière équipe, nous les avons chassés, nous leur avons dit " retournez chez vous". Si vous n’êtes pas prêts pour ces affaires, nous pourrions suspendre vos enquêtes, ne continuez pas à nous faire perdre notre temps, ne continuez pas à effectuer des visites innombrables au Rwanda sans résultats”
Me Courcelle-Labrousse lit la suite de la dépêche d’agence relatant les propos de Martin Ngoga : “La France nous a très déçus avec la façon dont elle traite les affaires liées au génocide. Selon nos statistiques, la France a envoyé plus de missions rogatoires au Rwanda que tout autre pays européen. Pourtant en France, on accorde plus d’importance à un délit routier qu’à un dossier de génocide ». L’avocat poursuit : “ La cible de M. Ngoga ce jour là, c'étaient les gendarmes français qui essayaient d'exécuter au Rwanda des commissions rogatoires dans des conditions difficiles. Car chaque fois, il y a une sorte de commissaire politique qui vient contrôler que les témoins entendus par les gendarmes français disent ..."
« Mon client a été arrêté en vertu de documents inacceptables »
Me Courcelle Labrousse assène : « M. Ngoga, qui est un homme politique, nous a présenté des éléments qui ne constituent pas une demande d'extradition. Mon confrère nous a parlé de l'école de Murambi. Murambi, ce n'est pas du droit. Le premier acte d'accusation qui vous a été présenté contre mon client est postérieur de plusieurs années au mandat d'arrêt. En vertu de ces documents inacceptables mon client a été arrêté en août 2011 et remis en liberté le 28 septembre 2011. M. Ngoga n'est pas une autorité judiciaire indépendante. En outre, les documents fournis sont extrêmement confus. Si M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki était extradé, pour quel acte d'accusation et devant quelle justice comparaîtrait-il ? Rien ne nous garantit que les juridictions gaçaça ne seraient pas recréées spécialement pour lui. Mais la question principale c'est la fiabilité des documents présentés. Le mandat d'arrêt du 24 juin 2008 était rédigé en anglais et la traduction a été tardive. Par ailleurs sur le mandat d'arrêt rédigé en anglais du 24 juin 2008, on accuse M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki d'avoir participé à une réunion sans dire où, alors que dans la traduction en français on précise " à l'Hôtel des Diplomates". Pour résumer, je vais être "cash" : il n'y a pas d'acte d'accusation valable dans la précipitation, et la procédure est définitivement viciée lorsqu'on vous communique un acte d'accusation postéreiur à une arrestation puis un acte d'accusation du 14 juillet 2008 qui n'existait pas à l'époque. En outre, le procureur Ngoga ne peut pas délivrer de mandat d'arrêt. Bien plus qu'un procureur général, c'est un homme du pouvoir en place comme en témoignent ses déclarations publiques contre les enquêteurs français. »
« M. Ngoga, c'est un homme du pouvoir en place »
Me Courcelle-Labrousse évoque ensuite la personnalité de son client : « C'est un personnage politique important, un homme connu. S'il avait commis les actes qu'on lui reproche, on n'aurait pas attendu 15 ans pour le rechercher.
La présidente : - Faisons du droit…_
Me Courcelle Labrousse: - Justement. Mon client a écrit au procureur du Tribunal international pour savoir s'il faisait l'objet de poursuites. Le procureur lui a répondu que non. Mon confrère a accusé l'ensemble des ministres du gouvernement intérimaire d'être coresponsables du génocide dont le Premier ministre s'est accusé. Mais ce n'est pas exact.Quatre ministres du gouvernement intérimaire ont été acquittés par le Tribunal pénal international.
Concernant les faits qui se sont produits à la paroisse de Nyundo, à aucun moment mon client M. Nsengiyumva Rafiki n'a été mis en cause par des témoins. Il ne faut pas faire appel à l'émotion en évoquant le génocide comme l'a fait l'avocat du gouvernement rwandais. Nous sommes sur le terrain de l'enquête et les attestations jointes au dossier n'ont aucune valeur devant le TPIR. Quant aux témoignages produits par le procureur général du Rwanda, ils sont postérieurs à l'accusation de mon client puisqu'ils datent des 18 et 20 août 2011. »
« Les attestations jointes au dossier n'ont aucune valeur »
Me Courcelle Labrousse développe enfin la thèse d’une machination politique : « Cette procédure de demande d'extradition n'a qu'un but : détruire Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki qui est un acteur politique de haut niveau, aujourd'hui encore membres du Parti social-démocrate dont certains membres participent actuellement au gouvernement au Rwanda. La violence politique n'a pas cessé avec le génocide. Après la victoire du Front patriotique, les anciennes forces armées se sont réfugiées au Zaïre avec armes et bagages. La guerre a continué entre le gouvernement rwandais et les ex-FAR soutenues par grande majorité des Hutu exilés. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki fait partie d'un processus qui vise aujourd'hui à rapatrier des militaires rwandais encore présents en Ituri et au Kivu. Il joue un rôle important dans ce processus de démilitarisation des anciens militaires pour qu'ils puissent être rapatriés au Rwanda, et ceci ne plaît pas au gouvernement de Kigali. Il participe à la conférence de San Elgidio financée par la Norvège. Mon client redevient gênant politiquement à partir de 2008, provoquant cette persécution. Comment imaginer qu'un homme de cette ampleur ait distribué des armes à des barrages, et que personne ne s'en soit aperçu avant 2008 ? »
L'avocat ajoute que l'État rwandais vient d'être condamné par la Cour des états d'Afrique de l'Est le 11 décembre dernier pour enlèvement, et séquestration d'un membre important de l'armée rwandaise. Enfin, il fait circuler auprès des magistrats une grande photographie prise, dit-il, à la prison de Gitarama pour dénoncer les conditions de détention au Rwanda.
Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki : « au Rwanda, la justice, c'est n'importe quoi !
La présidente invite alors M. Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki à s'exprimer. Il semble avoir été ulcéré de l'accusation de fausses identités pendant sa fuite : « J'ai une pièce d'identité et une seule. J'ai remis mon ancien passeport rwandais, vous pouvez vérifier que le nom elle-même. J'ai un titre de séjour en France à mon nom, après avoir obtenu un visa sous mon nom. Mais évidemment, si les Rwandais mettent une barrière, comme je sais qu'ils me recherchent, si je révèle mon identité, ils vont attaquer. Le reste, les accusations contre moi, ce sont des mensonges, des généralités. Je suis très content de me trouver devant une justice en qui j'aurai confiance. Si je suis jugé ici, je serai soulagé, mais au Rwanda, la justice, c'est n'importe quoi ! »
La présidente : - Vous n'avez pas demandé le statut de réfugié en France ?
Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki : - Non.
Me Courcelle Labrousse : - Mon client n'est pas mis en examen même s'il y a une commission rogatoire et que des gendarmes français enquêtent au Rwanda sur son cas. Mais vous le savez, madame la présidente, c'est chaque fois la même chose : dès qu'une extradition est refusée, il y a une plainte du Collectif des parties civiles en France.
La présidente Édith Boizette Boizette fait un petit geste de lassitude. Il est plus de 19 heures. Mais malgré ses déclarations, Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki ne semble pas plus pressé de rendre des comptes devant la justice française que devant celle du Rwanda.
La chambre de l'instruction a mis sa décision en délibéré au 4 juillet prochain.
Jean-François DUPAQUIER
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01 juin 2012
Rwanda : Des missiles français auraient pu abattre l’avion du président Habyarimana
Selon un document de l’ONU de 1994 révélé par le quotidien français Libération, les Forces armées rwandaises disposaient de quinze missiles Mistral, une arme récente et de haute technologie alors interdite d’exportation.
Le 6 avril 1994, le Falcon 50 du président du Rwanda Juvénal Habyarimana était abattu par deux missiles alors qu’il venait de se résigner à partager le pouvoir avec la rébellion majoritairement tutsie du Front patriotique rwandais (FPR) et l’opposition hutue démocratique. L’attentat devait donner le signal du génocide, les extrémistes hutus pointant du doigt successivement les Casques bleus belges de la Mission des Nations unies pour le Rwanda (MINUAR), qui gardaient l’aéroport, puis les Hutus de l’opposition et les Tutsis dans leur ensemble. Le génocide des Tutsis et le massacre politique des hutus démocrates allaient faire en cent jours environ un million de morts, jusqu’à la prise du pouvoir par le FPR.
Avant même l’attentat, une série de manipulations visaient à en attribuer la paternité au Front patriotique rwandais, comme relaté dans l’ouvrage « L’Agenda du génocide »*. Par la suite, un certain nombre de militaires et de politiciens français ont tenté d’accréditer les thèses répétées par les extrémistes hutus poursuivis devant le tribunal pénal international d’Arusha : pour les uns et les autres, le Front patriotique était forcément l’auteur de l’attentat, car il aurait introduit un commando derrière les lignes des FAR sur la colline de Masaka, à 3 km environ de l’aéroport. D’ailleurs deux lance-missiles de type soviétique SAM 16 avaient été mystérieusement « retrouvés » par des « paysans » deux semaines après l’attentat. Et justement sur cette colline qui aurait pu constituer, il est vrai, le meilleur emplacement de tir.
Les Services spéciaux français se sont adjoint un nombre impressionnant de faux témoins rwandais, de journalistes « africanistes » français et d’universitaires de renom (Français ou Belge), pour accréditer cette thèse et manipuler l’enquête confiée au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière. Non sans avoir convaincu ce dernier que sa vie serait en danger s’il lui prenait la mauvaise idée d’aller enquêter sur le terrain.
L’enquête reprise par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux a conduit précisément à faire effectuer cette enquête balistique et technique sur le terrain. En janvier 2012, les conclusions des experts ont éclaté comme un coup de tonnerre : les missiles ont été tirés depuis le camp Kanombe, tenu par les éléments les plus durs des FAR : le bataillon anti-aérien, la Garde Présidentielle, les para-commandos. La thèse défendue par les détenus d’Arusha (la prison des Nations Unies) et leurs amis français s’effondrait.
Le Services spéciaux ont aussitôt mobilisé leurs « idiots utiles » pour répéter dans les médias français que le FPR avait « forcément » introduit un commando de tireurs de missiles au cœur du camp militaire de ses adversaires, avant de s’éclipser aussi discrètement. Le ridicule le disputant au deshonneur, la désinformation a fait long feu.
Le quotidien français Libération révèle aujourd’hui 1er juin un document troublant des Nations unies : les Casques bleus de la MINUAR, qui avaient fait consigner les armes lourdes dans les camps militaires du Rwanda en 1994, effectuaient des inspections régulières. L’une de leurs sections aurait ainsi identifié le 6 avril au matin dans le stock du camp militaire Kanombe un nombre indéterminé de missiles soviétiques SAM 7 et surtout 15 missiles Mistral, un bijou de technologie française que l’armée française venait tout juste de recevoir en dotation et qui a été interdit d’exportation jusqu’en 1996.
Rien ne permet de dire que ce sont des missiles Mistral qui ont abattu l’avion d’Habyarimana, mais cette possibilité ne peut plus être exclue. Dans ce cas, il est utile de noter que seuls les militaires français savaient s’en servir.
En toute hypothèse, ce document, retrouvé par hasard (?) est déjà remis au juge Trévidic qui devra l’authentifier. Il ne peut qui ruiner plus encore la thèse de ceux qui affirment que les FAR ne disposaient pas de missiles et ne pouvaient donc aucunement avoir commis l’attentat, prétexte au génocide des Tutsi.
Jean-François DUPAQUIER
* L’Agenda du génocide, le témoignage de Richard Mugenzi, ex-espion rwandais, Ed. Karthala, Paris.
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26 mai 2012
France-Rwanda : Le parquet de Paris pour la première fois favorable à l’extradition d’un suspect de génocide
Réfugié en France, Vénuste Nyombayire est accusé par Kigali d’avoir fait assassiner une vingtaine d’orphelins tutsi pendant le génocide de 1994
Droit dans ses bottes, l’accusé a un air bonhomme. Il se présente en honnête citoyen récemment naturalisé français. Mais sa réponse, bafouillée, incompréhensible, ressemble à un borborygme lorsqu'un conseiller lui demande « Mais enfin, pourquoi avoir quitté votre pays, le Rwanda ? » Son avocat, Me Bidanda, vole à son secours : « De toute façon, mon client réfute toutes les accusations portées contre lui ».
Le dossier déposé par Kigali pour réclamer à la France son extradition est, il est vrai, du genre lourd. En 1994, Vénuste Nyombayire était directeur-adjoint de « SOS-Maison », une sorte d’orphelinat aménagé à Gikongoro, dans le centre du Rwanda. Il le reconnaît. Ce qu’il réfute, c’est la suite : lorsque le génocide a débuté, dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, il aurait commencé par tenté de faire disparaître le directeur, qui a pris la fuite. Un mois plus tard, son ONG a cru pouvoir lui confier une vingtaine d’enfants tutsi qui avaient été protégés à Kigali. Les miliciens interahamwe sont arrivés peu après.
« Ils ont tué les enfants aussitôt à coups de gourdin, résume Me Gilles Paruelle, avocat de la République du Rwanda. Vous savez comment ça se passe, Madame la présidente ? Un gourdin est un gros bâton hérissé de clous. Dans le groupe une fillette plus âgée, a cru sauver sa vie en suivant sans résistance un milicien qui l’a violée. Ca ne lui a servi à rien, car aussitôt après elle a été tuée, elle aussi. Et c’est M. Vénuste Nyombayire, le sous-directeur de l’orphelinat, qui aurait appelé les miliciens pour exterminer tous ces enfants. »
Un ange passe dans la salle d’audience pratiquement vide, celle de la 5e chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris, présidée par Mme Edith Boizette. Me Paruelle raconte sa découverte du Rwanda juste après le génocide des Tutsi, des églises transformées en charniers comme à Nyamata, à Ntarama… L’horreur des crimes, l’indiscible souffrance des rescapés. Il rappelle que les suspects de génocide ont obtenu en France avec une trop grande facilité le statut de réfugiés, et pour certains d’entre eux, dans la foulée, la naturalisation. Au terme d’un itinéraire peu clair qui l’a conduit d’abord au Zaïre, puis au Kenya, Vénuste Nyombayire est arrivé en Europe. Puis en France. « Seuls se retrouvent face à leur responsabilité, ceux qui n'ont pu fuir le Rwanda et qui n'en étaient pas les organisateurs; ceux-là sont à l'étranger coulant des jours tranquilles, accuse Me Paruelle. Ils vivent en parfaite impunité ! Notamment en France , certains depuis près de dix sept ans…»
La présidente Edith Boizette : - Quand même, il y a des procédure judiciaires en France…
Me Paruelle : - Quelles procédures ? L’un des dossiers dont je suis en charge pour une victime a été ouvert en 1995, voici bien dix-sept ans. Depuis, rien ! ou presque rien.
Maître Paruelle insiste pour que les véritables responsables puissent être jugés, d'autant plus qu'au Rwanda , ils ne le seront pas devant les juridictions populaires gacaca comme on a trop l'habitude de le soutenir mais devant la Haute Cour de Justice.
Sur interrogation de la Présidente Maître Paruelle ajoute : « Tout le monde sait que les gacaca sont terminées. Il y a d’ailleurs une cérémonie de clôture prévue le 16 juin prochain à Kigali. Outre que les gacaca n’ont pas été les procédures arbitraires que certains prétendent, il ne faudrait pas qu’un excès de formalisme soit opposé à toutes les demandes d’extradition. Ce n’est pas facile d’obtenir des pièces par la voie diplomatique. Et à Paris aussi, on égare parfois des dossiers (une allusion à la perte du dossier de Yacinthe Nsengiyumva Rafiki par le greffe de Paris, dans une affaire similaire).
La présidente sourit.
Me Paruelle invoque la jurisprudence du Tribunal pénal international qui a renvoyé un accusé au Rwanda, les extraditions accordées par d’autres pays européens, celle toute récente du Canada concernant le théoricien du génocide des tutsi, Léon Mugesera, la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’Homme.
Il sait sa tâche difficile : jusqu’ici, la 5e Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris présidée par Edith Boizette a toujours refusé les demandes d’extradition.
Mais cette fois, il a trouvé un allié de taille : l’avocat général, M. Lecompte, a requis l’extradition.
Il rappelle les progrès effectués par le Rwanda dans le cadre de sa législation pour faire en sorte que les garanties du procès équitable soient respectés, il rappelle les décisions rendues par les instances internationales , il rappelle la charte européenne des droits fondamentaux.
C’est la première fois que le Parquet soutient clairement une demande d’extradition vers le Rwanda.
Le revirement du Parquet dans l’affaire Vénuste Nyombayire semble la première manifestation de la nouvelle politique du gouvernement français vis-à-vis du Rwanda. Le jugement a été mis en délibéré au 27 juin prochain..
Jean-François DUPAQUIER
PLus d'infos sur www.afrikarabia.com
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05 mai 2012
Afrique : "Le mirage démocratique" de Vincent Hugeux
Dans un court essai, le journaliste Vincent Hugeux, dresse un portrait sans concession du continent africain et de ses pseudos "progrès démocratiques". Pour ce spécialiste de l'Afrique, il s'agit d'une "mascarade" : "les caïmans du marigot ont appris à manier le lexique du pluralisme, de la transparence et de la "bonne gouvernance"… pour mieux s'affranchir de ses effets". L'analyse est imparable, notamment au regard des dernières élections en République démocratique du Congo (RDC). Un essai revigorant.
Afro-optimiste s'abstenir. Le court essai de Vincent Hugeux, "Afrique : le mirage démocratique", risque de vous ébranler dans vos dernières certitudes. Non, la démocratie ne progresse pas en Afrique subsaharienne. Dans ce livre d'une soixantaine de pages, le journaliste de l'Express et auteur des excellents "Sorciers blancs" et "L'Afrique en face" estime que "les simulacres électoraux auxquels on assiste suffisent à relativiser la démocratisation réelle du continent africain". Et de citer la Côte d'Ivoire, le Zimbabwe, le Gabon ou la RDC. L'auteur y dénonce les tripatouillages électoraux et les "bricolages constitutionnels permettant à des chefs d’État d’être réélus indéfiniment".
Nous apporterons une mention particulière pour les passages concernant la République démocratique du Congo qui occupent spécialement Afrikarabia. Vincent Hugeux est particulièrement pertinent sur la question. L'auteur dénonce le "tour de passe-passe" que constitue les modifications constitutionnelles avant les scrutins. Des modifications qui "ont l'apparence de la légalité, mais constituent autant de forfaitures sur le plan éthique et politique" (on pense bien sûr aux élections de novembre 2011 en RDC). "Dans leur panoplie" continue Vincent Hugeux, "figure aussi la pince-monseigneur du monte-en-l'air électoral : le scrutin unique. Rien de tel pour valoriser la prime au sortant (…). L'Oscar revient cette fois à Joseph Kabila commanditaire d'une révision (…) un trimestre avant la remise en jeu de son titre". Et de continuer : "la présidentielle congolaise (…) offre un éloquent condensé des travers énoncés ici. Rien n'aura manqué à ce funeste festival. Ni le fichier électoral fantaisiste, ni la Commission électorale prétendument "indépendante" mais gravement vassalisée, ni le recours massif, par le sortant, à l'appareil étatique et à ses instruments, ni le harcèlement policier des opposants, ni la fraude, souvent grossière, ni la violence, parfois meurtrière. Ni bien sûr, les verdicts alambiqués de "missions d'observations" frileuses qui se bornent pour la plupart à observer un silence gêné et complice". Tout est dit. Fermez le banc. "Afrique : le mirage démocratique" (*) de Vincent Hugeux est à lire de toute urgence.
Christophe RIGAUD
(*) "Afrique : le mirage démocratique" - Vincent Hugeux
CNRS Editions, Paris, 2012, 64 pages, 4 euros.
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12 avril 2012
18e commémoration en France du génocide contre les Tutsis
Plusieurs cérémonies ont été organisées en France dans le cadre de la commémoration du génocide contre les Tutsis au Rwanda. Mais les rescapés dénoncent une réunion provocatrice organisée le 7 avril à Rouen par le réseau négationniste en présence de suspects de génocide réfugiés en France.
Comme chaque année, la commémoration du génocide contre les Tutsis du Rwanda fait l’objet d’une série de cérémonies en France, notamment à Paris. Du 7 avril au 4 juillet 1994, le génocide contre les Tutsis et le massacre politique des Hutus démocrates a fait plus d'un million de victimes dont, selon les autorités rwandaises 934 218 nommément identifiées. Plus de la moitié des victimes étaient des enfants et des jeunes, depuis les nouveaux-nés jusqu’à 24 ans. Entre 75 et 80% des Tutsis qui vivaient au Rwanda ont été exterminés. Parmi les survivants du génocide et massacre politique des Hutus démocrates, plus de 600 000 orphelins, 60 000 veuves, et des milliers de handicapés. En juillet 1994, lorsque la victoire du Front patriotique a fait cesser le carnage, les collines du Rwanda étaient jonchées de cadavres. Aujourd'hui encore, les restes d’un grand nombre de disparus n'ont pas été retrouvés.
La première commémoration organisée par la section française d’Ibuka (“Souviens-toi”) avait lieu samedi 7 avril devant le Mur de la Paix au Champ de Mars. A cette occasion le maire de Paris a fait lire un message où il s’engage à trouver un lieu pour recevoir un mémorial du génocide contre les Tutsis, une demande exprimée depuis longtemps par la communauté rwandaise de France. Un seul lieu de cette nature existe aujourd’hui en France : une Stèle commémorative à Cluny, inaugurée en 2011. C’est à Cluny que se tiendra d'ailleurs la cérémonie de clôture de la 18e commémoration, samedi 30 juin 2012.
Jacques Kabale, l'Ambassadeur de la République du Rwanda en France a organisé une cérémonie du souvenir le 11 avril à Paris en présence de représentants du gouvernement français, de la présidence de la République, des membres du corps diplomatique et des représentants de nombreuses associations, dont Ibuka France.
Tout en reconnaissant les avancées réalisées dans le cadre de la coopération judiciaire bilatérale entre la France et le Rwanda, Jacques Kabale, a déploré le fait qu’aucun génocidaire n’ait été, jusqu’à ce jour, jugé en France et que de ce fait la France devenait ainsi un havre de paix pour ceux-ci. Il a toutefois salué la création du « Pôle Génocide et Crime contre l’Humanité » qui permettra d’extrader des génocidaires présumés vers le Rwanda et le cas échéant de les traduire devant les juridictions françaises et de les juger.
Mme Elisabeth Barbier, représentante du ministère des Affaires étrangères et européennes, a au contraire proclamé la détermination du gouvernement français à poursuivre et à traduire devant la justice les coupables du génocide où qu’ils se trouvent et à lutter contre toute forme de négationnisme. « La France est engagée aux côtés des juridictions pénales internationales et le restera », a-t-elle souligné. Madame Barbier a terminé en précisant que la France souhaitait accompagner le Rwanda dans son développement et souhaitait aussi renforcer les liens d’amitié et de coopération avec le peuple rwandais.
Cependant un évènement est venu ternir le programme des cérémonies : une réunion négationniste a pu être organisée à Rouen (Seine Maritime) le 7 avril à l'initiative de Théogène Rudasingwa, un Rwandais actuellement sous le coup d'un mandat d'arrêt international en suite d'une condamnation par contumace pour atteinte à la sécurité de l'Etat rwandais
Selon l’ambassade du Rwanda à Paris, "cette réunion regroupait un certain nombre de personnes présumées avoir participé au génocide contre les Tutsis du Rwanda d'avril à juillet 1994, dont Charles Twagira et Claude Muhayimana contre lesquels des procédures sont actuellement en cours devant les juridictions françaises”.
La Chambre de l'Instruction de la Cour d'Appel de Rouen avait émis le 29 mars dernier un avis favorable à l'extradition de Claude Muhayimana vers le Rwanda pour y être jugé, tout en assortissant sa liberté provisoire d’un contrôle judiciaire strict.
“La date symbolique retenue pour cette rencontre coïncide très exactement avec la commémoration du début du génocide des Tutsis perpétré au Rwanda et est de nature à porter le trouble parmi les nombreux rescapés résidant en France”, a indiqué l’ambassadeur du Rwanda dans un communiqué qui “ ne peut que constater avec regret ce sérieux incident qui n'aurait pas du échapper aux forces de l'ordre au regard des conventions internationales”.
Capitale du département de Seine Maritime, Rouen abrite le principal réseau de Rwandais négationnistes et de suspects de génocide en France.
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03 avril 2012
SciencesPo fait la leçon aux médias sur le Rwanda
De Ouest-France au Figaro en passant par Le Monde, La Croix et Libération, tous en ont pris pour leur grade à la conférence organisée par l’Ecole de journalisme et l’Ecole des relations internationales de SciencesPo sur les « révélations du rôle de la France dans le génocide ».
« C'est parce que l'effet génocide lui-même est emboîté dans l'effet Shoah... ». Rony Brauman, l’un des « patrons » de l’Ecole des affaires internationales de SciencesPo, résume à sa façon les racines de ce qu’il qualifie de « dérive des médias ». Point de fixation : la « couverture » par les quotidiens français de l’expertise balistique sur l’attentat contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, attentat qui avait donné le signal du génocide des Tutsis du Rwanda. Tous les grands médias ont rendu hommage en janvier 2012 à ce rapport d’expertise commandé par le juge antiterroriste Trévidic, et qui anéantit la théorie de tirs de missiles de la colline Masaka où le Front patriotique (la rébellion majoritairement tutsie) aurait introduit un commando. Une conférence conjointe avec Mme Agnès Chauveau, directrice de l'école de journalisme de SciencesPo et Mme Claudine Vidal, universitaire spécialiste du Rwanda, a conduit à fustiger les quotidiens français. Il était néanmoins interdit de filmer ou enregistrer cette conférence qui prétendait donner des leçons de transparence et de déontologie aux journalistes (lire encadré : une dérive sectaire à SciencesPo).
Interdiction de filmer ou enregistrer la conférence
L’annonce de cette conférence avait pourtant été largement diffusée sur internet avec une adresse mail (psia.events@SciencesPo.fr). Rendez-vous était pris pour le mercredi 28 mars à l’Amphithéâtre Eugène d’Eichtal, 27 rue Saint Guillaume à Paris 75007. La conférence-débat était intitulée « Rwanda : quelles « révélations » sur le rôle de la France dans le génocide ».
Le projet était ainsi affiché : « La publication du rapport d’expertise sur l'attentat contre l’avion du président Habyarimana en avril 1994 a donné lieu à de vives réactions dans la presse. Pour l'essentiel, et sans que le contenu du rapport le permette, les auteurs des articles concluaient à la confirmation de l'hypothèse d'un complot provenant de l'entourage du président assassiné. Les journalistes dressaient un tableau de la scène des intervenants français sur cette question ne mettant en présence que deux camps déterminés par leurs affiliations politiques : d'une part celui des défenseurs du Hutu Power, acteurs ou complices du génocide, d'autre part celui des victimes et de leurs porte-parole aux côtés de l'actuel régime rwandais. Nulle place n'y était accordée à ceux qui dissocient les responsabilités de l'attentat et celles du génocide, proposant une analyse plus complexe. Ils ont été d'emblée rejetés dans le camp des tueurs. Quelles sont les logiques médiatiques et politiques à l'oeuvre dans ce phénomène ? Quel rapport entre le génocide des Rwandais tutsis et l'impunité politique dont bénéficie le président Paul Kagame en dépit des exactions de masse commises sous son autorité au Rwanda comme en RDC? Grâce à des conférences données par d’éminents invités, PSIA crée un forum propice au débat des affaires internationales. »
Des thèmes ambitieux, des annonces parfois alambiquées, qui méritaient qu’on s’y intéresse de près.
« Ils ont été d'emblée rejetés dans le camp des tueurs »
Ayant été empêché de filmer et/ou d’enregistrer la conférence, j’ai été contraint de prendre des notes au vol. Pour des raisons déontologiques évidentes, je rédigerai donc mon compte-rendu à la première personne, et j’indique ne pouvoir en raison de cette double interdiction garantir entièrement la reproduction littérale des propos échangés, la présente transcription se voulant la plus fidèle possible. Par ailleurs on avait oublié de me dire que la conférence était déplacée à l’Ecole des Affaires Internationales, 28 rue des Saints-Pères. Je n’y suis donc arrivé que vers 17 h 10 dans une petite salle comble. Claudine Vidal venait de commencer à s’exprimer et j’avais visiblement raté le mot d’introduction de Rony Brauman.
Eléments de compte-rendu
Claudine Vidal explique que ce n'est pas faute pour elle d'avoir demandé une enquête sur l'attentat du 6 avril 1994. « Au Tribunal pénal international, une équipe spéciale avait commencé à enquêter mais le procureur Louise Arbour a enjoint aux enquêteurs d'arrêter leur travail et donc on ne sait rien de plus. Dans le rapport de la mission d'information parlementaire sur le Rwanda en France il y a un chapitre sur l'attentat mais pas de conclusion. (...) Ensuite, il y a une "fuite" le 30 janvier 2004 par Le Monde. »
Claudine Vidal évoque l'ordonnance du juge Bruguière du 17 novembre 2006 qui demande la mise en cause de Paul Kagame et se traduit par neuf mandats d'arrêt internationaux contre ses proches. Elle indique que cette ordonnance a entraîné le 24 novembre 2006 la rupture des relations diplomatiques à l'initiative du Rwanda. Elle évoque l'arrestation en Allemagne de Rose Kabuye le 9 novembre 2008. Elle revient alors en arrière pour indiquer qu'à l'initiative des autorités de Kigali, une commission d'enquête sur l'implication de la France dans le génocide a été instituée. Enfin, elle évoque la publication du rapport d'expertise balistique commandée par le juge Trévidic et rendu public le 10 janvier 2012 dans des conditions qu’elle ignore.
Rony Brauman : « Effectivement, c’est curieux, on ne sait pas comment ce rapport est apparu ! »
Claudine Vidal : « La presse hexagonale a repris sans critique le discours des avocats du FPR. Ceux-ci ont organisé une conférence de presse l'après-midi du 10 janvier de 14 à 18 heures. Or les journaux ont immédiatement réagi, bien qu'ils n'aient pas pu avoir connaissance du rapport ni même de la conférence de presse. Par exemple sur le site du Nouvel Observateur à 16 heures 33. Libération a publié le 11 janvier une « Une » spectaculaire titrée "génocide rwandais, irréfutable". Une information reprise par Politis le 12 janvier, Ouest-France le 11 janvier. (...) Un seul journal met un bémol le 12 janvier en disant que "le rapport balistique ne clôt pas le dossier" ».
« Un seul journal met un bémol »
Claudine Vidal lit alors un florilège tiré de la presse écrite française dans les heures et les jours qui ont suivi la publication du rapport d'expertise. Ouest-France, Le Monde, La Croix, aucun média n’échappe à sa verve. Par exemple cette citation de Libération qui semble l'avoir particulièrement choquée : "Des experts, des journalistes et des responsables français doivent être mal à l'aise". Elle commente : « D'où sort ce discours de certitude et ce discours de dénonciation ? »
Claudine Vidal rend alors hommage à Denis Sieffert, directeur de la revue Politis (présent dans la salle) : « Trois jours après sur Internet, Denis Sieffert publie un article intitulé "Rwanda, de la nécessité de ne pas écrire trop vite". Je le signale, parce que ça démontre que dans les cas très rares, des journalistes acceptent de reconnaître qu'ils ont pu se tromper ou être trompés. Et ce rapport d'expertise je l'ai lu, toutes ces considérations techniques, ça me passe au-dessus de la tête, mais on peut voir ce qu'il [le rapport d’expertise] ne dit pas. (...) Comment expliquer cet élan de la presse ? J’interviens ici avec mon métier. Comment faire dire à un rapport qu'on n'a pas lu ce qu'il ne dit pas ? C'est qu'il existe un récit bloqué. Jamais on ne cite les avocats du FPR comme source, sauf l'AFP. Comme si les journalistes tiraient de leur manche un récit manipulateur. Depuis 1994, journalistes et publicistes, on ne voit un mélange des deux professions. » [Catherine Vidal se lance alors dans une définition du mot "publiciste" qui serait apparu selon elle au XIXe siècle pour caractériser essentiellement des écrivains ou journalistes qui critiquent l'État français. Son explication étant assez alambiquée, je n'entre pas dans les détails].
« Il existe un récit bloqué. Jamais on ne cite les avocats du FPR comme source »
Claudine Vidal : « Il faut comprendre pourquoi ce récit bloqué a existé et pourquoi il a eu un tel succès. Il s'agit de décharger le rôle du FPR dans l'attentat. Le fond de ce récit bloqué est d’accuser la France d'être impliquée dans le génocide. Déjà en décembre 1998, peu avant la publication du rapport de la mission d'information parlementaire française, on a vu ce récit bloqué accuser Paul Quilès de chercher à dissimuler la responsabilité des autorités françaises dans le génocide. En 2004, il y a eu relance des accusations par Patrick de Saint-Exupéry, journaliste et publiciste qui a publié un réquisitoire contre la politique de la France, ce qui a donné lieu à l'ouverture de ce qui s'est appelé "Enquête citoyenne". L'efficacité de ce récit, c'est qu'il vient une constellation de déterminants hétérogènes. Premièrement, le génocide des Tutsis a suscité une émotion authentique. Deuxièmement, l'échec de la France officielle a offert un boulevard aux révélations africaines, conspirationnistes, etc.. Rony, moi-même et d'autres personnes avons protesté dans La Croix en 2004. Ce discours bloqué cherche à nourrir le soupçon d'une affaire d'État qui voudrait cacher que la France est impliquée dans le génocide. On traite de négationnistes du génocide des Tutsis ceux qui disent que Kagamé a été le commanditaire de l'attentat. L'incrimination de Paul Kagamé tend à le rendre responsable des massacres suscités après cet attentat. Il faut accepter le pluralisme des points de vue. On peut considérer que l'hypothèse de l'implication de Paul Kagamé dans l'attentat n'exonère absolument pas les responsabilités politiques de la France. »
« L'efficacité de ce récit, c'est qu'il vient une constellation de déterminants hétérogènes »
Agnès Chauveau prend alors la parole : « Je vais examiner comment fonctionne un récit médiatique. Je ne suis pas une spécialiste du Rwanda. Je vais parler du discours de vérité. La recherche de la vérité, c'est le mot juste qui doit s'imposer aux journalistes. Il figure dans la bible du journalisme "The Elements of analysis » de Rosenfeld. Le journalisme est une éthique du comportement il ne doit pas faire référence à l’idée de produire des opinions. Le journalisme, c'est la garantie de l'authenticité des faits. C’est être au service de la vérité. On dit la vérité au public avec une exigence de vérification. Les médias sont un forum de critiques et de débat public. Ces règles ont été adaptées dans différentes chartes. Si on applique celles-ci au cas du Rwanda, on voit combien la déontologie du journalisme n'a pas été respectée ! »
« On voit combien la déontologie du journalisme n'a pas été respectée ! »
Agnès Chauveau poursuit : « Dans cette profession il y a des dérives et elles s'expliquent. Je voudrais produire ici une série de pistes de réflexion et d'analyse. Dans beaucoup de cas, la presse est victime de propagande. Toute l'histoire des conflits armés porte son lot de propagandes et de désinformation. Les médias sont victimes de désinformation et de propagande. Pourquoi cela s'amplifie ? Dans un monde médiatisé, le travail de journaliste est extrêmement difficile. Le travail du journaliste est de déjouer les phénomènes de propagande. Or les journalistes se font des relations dans différentes administrations. L'instrumentalisation des médias est de plus en plus l'objectif des belligérants. La seule façon de ne pas être instrumentalisé est de pouvoir recouper ses sources. C'est un travail de décryptage et d'analyse. Il faut y appliquer un appareil critique. Souvent, parce que le journaliste est d'abord un généraliste, il est piégé par la communication. »
« Disons que la thèse du gouvernement rwandais et des avocats du FPR a été reprise sans distance, dans une fuite en avant. Il faudrait publier avec une distance critique contextualisant l'information. L'erreur, elle vient de là, d'un manque de recul, de distance. Et il y a des associations très puissantes, qui arrivent à convaincre les médias. Les médias s'inscrivent dans des considérations plus larges. Il y a des liens de connivence avec certains des informateurs. Le temps de ces éléments inter-réagit. »
Agnès Chauveau : « Dans cette profession il y a des dérives et elles s'expliquent »
Agnès Chauveau : « Deuxièmement, la presse est victime de la précipitation. On voit bien dans cette affaire la concurrence que se livrent les médias. Sur le Rwanda, c'est particulièrement vrai. Manipulation, précipitation ne suffisent pas à tout expliquer, en particulier l'unanimisme de la presse. Pourquoi existe-t-il déjà un récit bloqué ? Sur le Rwanda, si la presse a unanimement fonctionné sur un récit, c'est bien parce que ce récit révèle notre conscience sur le rôle de la France au Rwanda. Dans la conscience collective des Français il y a un sentiment de culpabilité fort. La France est rendue responsable de bien des conflits armés, notamment en Afrique. Le discours manque de nuances.
La presse est à la recherche du secret d'État et du complot. Révéler les secrets d'État fait partie de l'idéologie du journaliste. Il faut donner du crédit à des thèses conspirationnistes. C'est comme le livre de Saint-Exupéry lorsqu'il cherche à montrer le rôle de la France dans le génocide… quand on mène ce type d'enquête, on apporte des preuves tangibles ! »
« Révéler les secrets d'État fait partie de l'idéologie du journaliste »
Agnès Chauveau : « La presse est aussi victime du copié conforme. Il faut absolument prendre parti, être présent. Il y a une grille de lecture qui s'impose et souvent on s'aperçoit qu'il y a une sorte de hurlement général avant de chercher les faits. La presse est aussi victime de la compassion et de l'émotion. Le journaliste a tendance à mettre en scène une émotion collective. On ne parle pas des faits. Et quand il y a une erreur, la presse française a beaucoup de mal à reconnaître ses erreurs. D'où l'intérêt du titre de Politis, "Ne pas écrire trop vite". Ce n'est pas très glamour mais c'est un beau recul médiatique.
Les différentes enquêtes ne permettent pas de reconnaître l'auteur de l'attentat. Lorsque j'ai vu la « Une » de Libération du 11 janvier [NDLA : j'écris ce premier segment de phrase de mémoire, car il ne figure pas dans mes notes], vous n'avez jamais vu une « Une » comme ça dans la presse ! Ce n'est pas parce qu'il y a unanimité dans la presse qu'on peut conclure que c'est une opération concertée car la presse est fondamentalement individualiste. Enfin je voudrais dire un mot sur le terme de publiciste car je ne me suis pas tout à fait d'accord avec Claudine Vidal. L'idée que des journalistes seraient qualifiés de publicistes parce qu'ils prennent fait et cause, cela peut aussi s'appliquer aux leaders d'opinion.
Je conclurai en disant qu'il faut s'interroger sur l'efficacité et l'influence de ces récits médiatiques. »
« Libération… vous n'avez jamais vu une « Une » comme ça dans la presse ! »
Rony Brauman donne alors la parole à Denis Sieffert.
Denis Sieffert explique qu'il avait ouvert depuis peu de temps un blog sur lequel il avait publié ses premières impressions du rapport technique sur l'attentat en se fiant à la presse quotidienne. « Celui qui est fautif, c’est le blog. Je suis assez fier d'avoir commis cette erreur mais beaucoup plus de l'avoir reconnu. La France a une mauvaise réputation en Afrique, à juste titre. Mais l'esprit de système, il faut aussi le combattre. Je ne le suis pas spécialiste du Rwanda au premier degré mais au deuxième degré, en fonction de ce que m'ont dit mes amis, Rony Brauman, Catherine Vidal et André Guichaoua. Je dois dire aussi que chaque média est attendu. On a une dépendance par rapport au lectorat. La majorité des lecteurs de Politis sont proches des associations qui dénoncent la Françafrique. Politis est attendu sur la dénonciation de Mitterrand. À la suite de nos articles [prenant du recul par rapport à l'opinion générale sur l'expertise Trévidic], nous avons subi des pressions énormes. Rony Brauman a partagé cet épisode. Je reçois des mails d'insultes inouïs. »
Denis Sieffert : « Je reçois des mails d'insultes inouïs. »
Rony Brauman : « C'est parce que l'effet génocide lui-même est emboîté dans l'effet Shoah... »
[La parole est donnée à un journaliste de l'AFP dont je n'ai pas retenu le nom mais seulement le prénom, Jean-Pierre.]
Jean-Pierre : « J'ignore toujours qui, dix-huit ans après, a dézingué l'avion d'Habyarimana, même après ce rapport. Ça peut très bien être le FPR, aussi le Hutu Power, j'espère le savoir un jour. En janvier, il s'est produit un événement très curieux. Quand j'ai vu la Une de Libération, je me suis dit "on sait tout"…
Rony Brauman : « Le doute n'est pas une information ! »
Le journaliste de l'AFP : « … Il y a quand même, de la part de certaines associations, une dénonciation lancinante de la France. »
« Une dénonciation lancinante de la France. »
La parole est donnée à Renaud Girard, du Figaro.
Renaud Girard : « Je suis venu parce que j'ai connu le génocide du Rwanda. Je crois que j'ai été le premier journaliste à rentrer au Rwanda. Je suis passé par le Burundi. J'ai dû acheter une voiture car le propriétaire refusait de la louer. Nous sommes remontés vers Kigali. Nous avons croisé en route l'intégralité du corps humanitaire qui, tous drapeaux déployés, se retirait. Je ne sais pas qui a abattu l'avion. L'idée assez simple est que Kagame l'ait abattu parce que Habyarimana était un obstacle à sa prise de pouvoir. Tout le monde a conscience de la guerre médiatique menée par Kigali. Kagamé a la qualité intellectuelle d'un Bonaparte. C'est un homme très impressionnant, je l'ai rencontré à plusieurs reprises. Pour son régime, il faut vendre une histoire plus sexy où la France est dans le complot [de l'attentat]. Ça ferait un bon film pour Hollywood. Ce n'est effectivement pas le cas. J'ai vu le documentaire de Raphaël Glucksmann diffusé à une heure de grande écoute sur France 3. Ça m'est apparu comme étant très orienté. Deux éléments ont été évacués. On ne précise pas que M. Kagamé avait été chef des services secrets de Museveni. D'autre part, il n'y avait plus de confiance entre les Tutsis et les Hutus depuis ce qui s'est passé au Burundi voisin où l'armée a toujours été tutsie. Au Burundi il y a eu des élections démocratiques. Le président élu était forcément hutu puisque les Hutus composent 80 % de la population. Or en octobre 1993 un militaire tutsi a tué le président hutu et depuis cette date il n'y avait plus de confiance entre les Hutus et les Tutsis. Il est faux de dire qu'il y a eu un complot à l'Élysée pour commettre le génocide des Tutsis du Rwanda. »
« Le président élu était forcément hutu puisque les Hutus composent 80 % de la population »
[Depuis un bon moment j'ai levé la main pour intervenir. Après un petit aparté entre Claudine Vidal et Rony Brauman, ce dernier me fait signe.]
Rony Brauman : « C'est à votre tour de parler mais je vous demande de faire court car l’heure avance ».
« Je m'appelle Jean-François Dupaquier. J'ai 66 ans, je suis journaliste depuis 1967, cela fait 45 ans.
Je voudrais d'abord remercier les organisateurs de ce débat, M. Rony Brauman et Mme Agnès Chauveau, qui ont choisi un thème très intéressant. Je suis venu de loin pour les écouter.
J'ai été témoin expert pour le Parquet au Tribunal pénal international pour le Rwanda, j'ai également participé ou rédigé plusieurs livres sur le génocide. On a entendu ici un discours sur le discours. Je propose de revenir à des considérations plus prosaïques. Un journaliste doit exercer son métier dans des conditions normales. Cela veut dire tout simplement savoir où il se rend, être correctement accueilli et pouvoir rendre compte. Je suis étonné qu'on ne m’ait pas informé tout d'abord du changement de salle lorsque j'ai pris la peine de téléphoner encore hier à l'école de journalisme de SciencesPo. Je n'ai donc pas pu trouver une place assise ni participer au début de la conférence-débat et pas davantage parler avec les organisateurs pour demander l'autorisation d'utiliser un appareil d'enregistrement. Je dois dire à Mme Agnès Chauveau, directrice de l'école de journalisme de SciencesPo mon étonnement de sa façon de faire et plus encore par son indifférence lorsqu'on m’a interdit d'utiliser un caméscope et même un simple enregistreur. C’est rare. Depuis 45 ans que j'exerce mon métier, ce doit être la cinquième fois que ça m'arrive. Ca va me poser des problèmes pour rendre compte de ce débat. Je sais, ce sont des considérations très prosaïques, mais quand on est directrice de la prestigieuse école de journalisme de SciencesPo, au milieu d'étudiants en journalisme, on devrait faire prévaloir les conditions de travail des journalistes. Mme Chauveau, j'ai donc été choqué par votre indifférence ».
« Mme Chauveau, j'ai été choqué par votre indifférence »
J.-F. D. : « Seconde remarque, je m'étonne que dans un débat concernant le génocide de 1994 au Rwanda et sa "couverture" par les médias français, ne se trouvent à la tribune ni un Rwandais, ni un journaliste, mais seulement des Blancs spécialistes du discours sur le discours. C'est une situation qui me paraît inacceptable, y compris de la part de la directrice de l'école de journalisme de SciencesPo, qui vient de donner un point de vue très critique sur le fonctionnement de la presse et la distance que l'on doit prendre par rapport à l'événement. Je pense que Mme Chauveau pourrait s'appliquer à elle-même les principes qu'elle professe.
Troisièmement, je suis étonné de ce qui a été dit à la tribune sur le rapport d'expertise commandée par le juge Trévidic. Au cours de mon exercice professionnel, il m'a été donné de consulter de nombreuses expertises judiciaires, souvent couvertes par le secret de l'instruction, sur les sujets les plus divers. Celle qui est connue depuis le 10 janvier 2012 à l'initiative du juge Marc Trévidic constitue à mon avis un modèle du genre, par sa compétence, sa qualité pédagogique, sa modération. Elle me semble tout simplement exemplaire. Je n'ai pas compris comment les orateurs pouvaient faire l'impasse sur ce rapport, le minimiser ou prétendre qu'ils ne le comprenaient pas. Ce rapport, le voici [je le brandis]. Je l'avais emmené dans le train pour le relire. Comme vous le voyez, il représente un lourd classeur. Je vous invite tout simplement à aller le lire sur Internet. Les étudiants en journalisme présents dans cette salle comprendront alors que la présentation de ce rapport par les orateurs n'est pas conforme à la réalité ». (véhémentes protestations dans la salle du colonel Michel Robardey et de Hervé Bradol, huées).
Jean-François Dupaquier : « M. Brauman, Mme Chauveau, vous êtes les organisateurs de cette conférence-débat je vous demande de faire en sorte que je puisse m'exprimer sans être interrompu, comme les autres débatteurs… »
Rony Brauman : « Oui, mais achevez vite votre intervention. »
« Je propose que l'on aille à la source »
Jean-François Dupaquier : « Je ne comprends pas que ma suggestion provoque un tollé. Je propose que l'on aille à la source. C'est ce que prétend enseigner Mme Chauveau à ses étudiants en journalisme. Je précise à cette occasion que la publication du rapport d'expertise n'a rien de mystérieux, contrairement à ce qu'a annoncé M. Rony Brauman tout à l'heure. Ce rapport a été mis en ligne sur le site personnel de M. Jean-Luc Habyarimana durant trois jours, avant qu'il se rende compte de son erreur. Lorsqu'il l’a retiré, il était trop tard, le fichier avait été transféré sur de nombreux sites. Les étudiants en journalisme qui sont présents dans cette salle le trouveront facilement…
Sur la question de l'attentat, l’expertise technique ne dit pas - comme vous l'avez relevé - l’identité des auteurs de l'attentat. Comment les experts le pourraient-ils ? Au terme d'une démonstration très serrée, les experts indiquent que les missiles sont partis du camp Kanombe où se trouvaient des éléments de la garde présidentielle et le bataillon paracommando. Il est difficile de croire que le Front patriotique aurait réussi à s'introduire de nuit au milieu de ce camp, à tirer des missiles et à repartir ensuite sans être inquiété. Il y a quand même un problème de vraisemblance ».
Michel Robardey se dresse : « C'est absolument faux, vous êtes un désinformateurs bien connu. J'ai lu ce rapport. Il ne dit pas que les tirs sont partis du camp Kanombe ».
« Vous êtes un désinformateur bien connu »
Jean-François Dupaquier : « Eh bien, que chacun aille à la source. Nous n'avons pas la même lecture de ce rapport, et alors ? Encore une fois, chacun est en mesure de se faire une opinion car on peut facilement trouver le rapport sur Internet et le jauger sans être un spécialiste du Rwanda. »
Rony Brauman : « Vous avez fini ? »
Jean-François Dupaquier : « Je voudrais faire une autre observation. On dit que les journalistes peuvent se tromper et devraient le reconnaître. Évidemment. Moi-même j’ai fait des erreurs dans ma carrière. Le reconnaître ne fait pas de moi un héros. Mais nous ne sommes pas les seuls. On peut même trouver une chercheuse émérite du CNRS qui a commis des erreurs. Par exemple un livre entier qui constitue une énorme "boulette". Je n'ai pas besoin d'en dire plus. Simplement, lorsqu'on commet des erreurs, il faut un peu modestie au lieu de faire sans cesse la leçon aux autres. À ce sujet, j'ai entendu les éloges qui ont été adressés à M. Denis Sieffert. Personnellement, je ne les partage pas. J'ai lu sur le site de Politis, après la parution d'un article franchement négationniste sur l’attentat et le génocide, que le magazine se proposait de publier des avis divergents. J'ai adressé un article très court de trois feuillets tout à fait modéré à M. Denis Sieffert. Il ne l'a pas publié. Il ne m'en a même pas accusé réception. Visiblement, il utilise sa position déterminante dans son magazine pour ne diffuser que les thèses les plus contestables sur le génocide des Tutsis. Je m'inscris donc en faux contre les propos tenus tout à l'heure pour lui rendre hommage ».
« Je m’inscris en faux contre l’hommage à Denis Sieffert »
Rony Brauman : « Nous ne sommes pas ici pour régler des comptes personnels. Ce n'est pas le lieu. »
Jean-François Dupaquier : « … Ni pour encenser les copains. Ce n'est pas moi qui ai mis sur le tapis les éloges adressés à votre ami M. Denis Sieffert. Je le droit de donner aussi mon opinion. J’en ai fini ».
La parole est donnée au colonel Michel Robardey :
Michel Robardey : « Je vous suggère de lire l'ouvrage « Génocide et de propagande » de Edward Hermann et David Peterson [NDR : un ouvrage très contestable préfacé par Noam Chomski dont on connaît le goût pour la provocation]. Il a été publié en anglais, mais on est en train de le traduire dans différents pays d'Europe. Tout est dit. Très rapidement, les conséquences de la désinformation sont à mes yeux beaucoup plus lourdes que vous avez bien voulu le dire. En 1992, j'ai arrêté les massacres du Bugesera. J'y étais. Il nous a fallu plusieurs jours pour y parvenir. Il est vrai qu'environ 300 Tutsis ont été massacrés. Les médias en ont beaucoup parlé. En revanche, quelques mois plus tard à Byumba, des milliers de Hutus ont été tués par le FPR, mais ce massacre, on n’en parle jamais. Les conséquences de l'attentat, on n'en parle que dans un seul sens. Je vous remercie d'être revenus sur toutes ces contraintes qui pèsent sur la presse. »
« En 1992, j'ai arrêté les massacres du Bugesera »
[On donne alors la parole à un Rwandais qui se présente comme un journaliste en exil et qui critique à son tour "l'histoire officielle" telle que véhiculée par le Front patriotique. Il est un peu loin de moi et je ne parvient pas à transcrire ses propos. Visiblement ils agacent Rony Brauman qui lui demande d'achever car « l'heure est passée ».]
Rony Brauman : « Il faut rendre la salle. Il me reste à dire que dans quelques jours, le 6 avril, on va commémorer le génocide pour la dix-huitième fois… »
Catherine Vidal : « Le 7 avril… »
Rony Brauman : « Oui, le 7 avril. Ce sera sûrement pour retrouver dans la presse ce dont nous avons parlé aujourd’hui. »
[Il donne une dernière fois la parole à Mme Chauveau]
Agnès Chauveau : « Je conclurai en disant que ce qui compte, c'est la quête de la vérité. Les chartes de déontologie définissent et encadrent les missions du journaliste. »
[ Il est 19 h 15. J’observe que la dernière question annoncée au programme, « Quel rapport entre le génocide des Rwandais tutsis et l'impunité politique dont bénéficie le président Paul Kagame en dépit des exactions de masse commises sous son autorité au Rwanda comme en RDC? » n’a jamais été abordée. Et que les débats ne reflètent pas même le titre de la conférence. Le seul souci des intervenants et de leur « claque » était à l’évidence de tenter de disqualifier le rapport d’expertise et l’appréciation des médias sur ce document. Les étudiants de l’Ecole de journalisme de SciencesPo, assez nombreux dans la salle, y ont gagné un intéressant sujet de réflexions.]
Jean-François Dupaquier
Une dérive sectaire à SciencesPo ?
Ce n’est pas la première fois que les positions très controversées de M. Rony Brauman sur le génocide au Rwanda posent problème. L’ancien président de Médecins sans frontières, écrivain aux opinions estimées sur l’action humanitaire, s’est persuadé que Paul Kagame porte une importante responsabilité du génocide des Tutsi car le carnage était prévisible et il aurait dû tout faire pour l’empêcher. L’idée que l’actuel président du Rwanda a donné l’ordre d’abattre l’avion de son prédécesseur depuis la colline de Masaka s’est enracinée dans son logiciel de compréhension de la tragédie de 1994. Il n’est pas le seul universitaire dans ce cas. Madame Vidal, Monsieur Guichaoua, monsieur Reyntjens ont partagé cette opinion, tout comme monsieur Péan. L’expertise balistique et technique sur l’attentat du 6 avril 1994 a anéanti la théorie mettant Masaka à l’épicentre des opérations de tir de missile comme le soutenait le juge Bruguière dans son ordonnance de soit communiqué. D’où le malaise clairement perceptible chez ceux qui pendant dix-huit ans ont prétendu le contraire. Ils auraient pu se remettre en question à la suite de cet événement. Ce n’est pas la route choisie par eux. Ils préfèrent minimiser la portée du rapport et éluder le débat ouvert depuis quelques années sur le manque de crédibilité du travail du juge Bruguière. M. Rony Brauman et ses amis tentent de décrédibiliser les journalistes qui ont démontré l’imposture de la « théorie Masaka ». Avec ses lourdes conséquences historiques, morales et idéologiques.
Ce qui pose problème, ce ne sont pas les opinions de M. Brauman, pour paradoxales qu’elles soient sur le Rwanda et d’autres crises internationales. C’est la façon dont il use de la réputation de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et de ses filiales pour avancer sa cause.
Le 8 février 2006, Roni Brauman avait déjà organisé une conférence sous l’égide de SciencesPo sur le thème « Terreur au Rwanda, les enjeux d’une controverse » se proposant de comparer « l’histoire officielle et l’histoire secrète », une allusion transparente au titre d’un livre porté à bouts de bras par ses amis André Guichaoua et Claudine Vidal qui l’avaient préfacé et post facé. Sous le titre « Rwanda, histoire secrète », un Rwandais exfiltré par les « Services », le « lieutenant » (?) Abdul Ruzibiza prétendait être le témoin direct du tir des missiles depuis la colline de Massaka. Il a été prouvé que Monsieur Ruzibiza n’était ni à Kigali ni à Massaka au moment des événements et l’intéressé a même reconnu avoir endossé fallacieusement l’habit du témoin direct sur recommandation des enquêteurs français. Au moment de la tenue de cette conférence, Ruzibiza n’apparaissait pas encore pour ce qui se révéla bientôt après des rétractations à géométrie variable : un affabulateur manipulé par quelqu’officine de la Françafrique. Malgré leur agitation auprès des médias pour « remonter la pente » - y compris avec l’assistance de M. Brauman -, les deux universitaires y ont laissé quelques plumes de leur réputation scientifique.
La conférence du 8 février 2006 sous l’égide de Sciences Po présente un double intérêt. D’une part, elle mettait en vedette trois universitaires, Claudine Vidal, André Guichaoua et Filip Reyntjens, qui ont joué un rôle important (on veut croire par naïveté) dans le dévoiement de l’enquête du juge Bruguière sur l’attentat du 6 avril 1994 et les fausses pistes suivies. Tous trois ont échangé entretiens téléphoniques, mails, et témoigné dans le cabinet des juges ou de leur enquêteur principal, le commissaire Pierre Payebien, en crédibilisant l’hypothèse Masaka, qui tombe en ruines désormais. En échange, c’est le commissaire Payebien qui a livré à André Guichaoua et Claudine Vidal les coordonnées de leur faux témoin Abdul Ruzibiza.
Second intérêt de cette conférence sous l’égide de Sciences Po : elle n’est plus référencée dans l’historique de l’institution. Le compte-rendu officiel de cette table ronde qui était consultable aux adresses : http://www.peacecenter.sciences-po.fr/pdf/rwanda-cr.pdf et
www.peacecenter.sciences-po.fr/rwanda-ip-brauman....... a disparu des écrans. Effacé. On ose espérer que ce n’est pas le résultat d’un souci d’oublier une conférence embarrassante.
On a vu le mercredi 27 mars 2012 comment celui qui se présente « professeur associé à l’IEP Paris » ou encore « « PSIA Scientific Advisor, Master in Human Rights and Humanitarian Action » » a interdit les enregistrements aussi bien vidéo qu’audio de la réunion dans l’enceinte de l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po. Les participants ont pu aussi comprendre que Mme Agnès Chauveau, directrice de l’école de journalisme de Sciences Po, a été embarquée dans cette opération opaque sans en comprendre les tenants et aboutissants. Ne connaissant - de son propre aveu - rien du Rwanda, il est aussi apparu clairement qu’elle n’avait pas lu le rapport, d’expertise dont il était question d’un bout à l’autre des débats.
En sortant de la conférence de mercredi, nous avons dit à Rony Brauman qu’il serait équitable que les conférences organisées à SciencesPo sur le Rwanda fassent aussi appel à des intervenants qui ne partagent pas ses thèses. Il a simplement répondu :
« Tant que je serai ici, ça se passera comme ça ».
Nous pensons que l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, généralement chouchouté par les médias pour ses initiatives novatrices, ne peut être tenu pour responsable de la dérive sectaire d’un seul de ses membres.
21:44 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (1)
25 mars 2012
La corruption menace la paix au Burundi
Après avoir mis fin à 13 ans de guerre civile, le Burundi ne semble pas complètement apaisé. Une ONG pointe un fléau qui menace la stabilité du pays : la corruption. International Crisis Group (ICG), affirme que "la crise de corruption que connait actuellement le Burundi met en péril la consolidation de la paix". Selon Crisis Group, le dispositif "tolérance zéro" contre la corruption, lancé par le président Nkurunziza, manque d'indépendance et d'efficacité.
Depuis la réélection en 2010 du président Pierre Nkurunziza dans un climat de tension extrême, certains craignent la reprise des violences et la fin du consensus sur le fragile partage des pouvoirs au Burundi. Dans un récent rapport, International Crisis Group dénonce une montée de la corruption dans le pays. L'ONG estime que "la crise de corruption que connait actuellement le Burundi met en péril la consolidation de la paix fondée sur un Etat moteur du développement et la relance de l’activité économique par l’investissement étranger".
Dans un rapport extrêmement complet sur la situation au Burundi, Crisis Group revient sur l'histoire de ce petit pays, souvent oublié du "grand jeu" de l'Afrique centrale, évoluant dans l'ombre de son turbulent voisin, le Rwanda. Crisis Group rappelle que depuis 1966, "le contrôle de l’Etat et de ses prébendes, essentiellement aux mains des élites tutsi, a été l’enjeu central de la politique burundaise et la distribution inéquitable des ressources qui en découlait a été à l’origine du conflit". En 1972, 1988, 1993 et entre 1994 et 1996, plus de 300 000 burundais ont trouvé la mort dans une guerre civile implacable entre la minorité tutsi au pouvoir et la majorité hutu. La guerre fini par s'achever au prix d'un subtil partage du pouvoir et laisse un pays exsangue, endetté et ruiné. Le Burundi fait partie de l'un des cinq pays les plus pauvres du monde.
En 2005, le hutu Pierre Nkurunziza arrive au pouvoir, notamment au prix de nombreuses négociations avec les extrémistes de son propre camp. Dans son rapport, Crisis Group note que "l’avènement au pouvoir de l’ancienne rébellion du (CNDD-FDD) n’a pas seulement transféré le pouvoir politique des Tutsi aux Hutu mais il a aussi semblé ouvrir une nouvelle ère en matière de gouvernance avec l’engagement des nouvelles autorités et la création d’institutions spécialisées pour lutter contre la corruption". Mais pour Crisis Group, il y a urgence à lutter efficacement contre la corruption, car "dans une économie aussi réduite que celle du Burundi où l’Etat joue encore un rôle majeur, l’accaparement des ressources publiques et privées risque de faire dérailler le scénario de consolidation de la paix".
L'ONG note "une dégradation de l'image du Burundi" malgré la campagne de "tolérance zéro" du gouvernement contre la corruption et les malversations économiques. Une campagne que "s’est estompée face aux premiers scandales impliquant de hauts responsables du parti présidentiel et de l’exécutif". En cinq ans d’activités (entre 2007 et2012), la brigade anti-corruption a géré 665 dossiers de
corruption et recouvré plus de 4 millions de dollars. Mais Crisis Group note que les affaires transmises au parquet "n’ont le plus souvent pas connu de suite", alors que "les arrestations sont rares et les poursuites le sont plus encore".
Pour lutter contre la corruption, Crisis Group n'attend plus des paroles, mais des actes de la part des autorités burundaises. L'ONG formule dans son rapport un certain nombre de recommandations "en vue de créer les conditions d’une lutte efficace contre la corruption" et demande à la société civile et aux bailleurs "de créer les conditions de sa mise en œuvre effective".
Dans un communiqué, le gouvernement burundais dénonce un rapport "négatif " et "tendancieux" et estime que Crisis Group "ignore complètement toutes les initiatives déjà prises par le gouvernement en matière de lutte contre la corruption". Bujumbura accuse même l'ONG de "rouler" et de "travailler" pour l'opposition burundaise.
L'intégralité du rapport d'International Crisis Group et de ses recommandations sont consultables ICI.
Christophe RIGAUD
23:17 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (1)
23 février 2012
Rwanda-Génocide : L’ancien ambassadeur Ndagijimana perd son procès en France
L’historien Jean-Pierre Chrétien et l’écrivain-journaliste Jean-François Dupaquier relaxés des accusations de diffamation et injure publique par l’ancien ambassadeur du Rwanda en France.
L'historien Jean-Pierre Chrétien et l’écrivain-journaliste Jean-François Dupaquier, poursuivis pour diffamation et injures par l’ancien ambassadeur du Rwanda en France Jean-Marie Vianney Ndagijimana pour des propos sur le génocide de 1994 dans ce pays, ont obtenu la relaxe devant le tribunal correctionnel de Rouen (France).
« C'est un vrai soulagement pour nous », a déclaré à l'issue du jugement M. Dupaquier qui a rendu hommage à « la qualité des débats » conduits par la présidente du tribunal, Mme Claire Fouquet-Lapar « qui nous a donné l’occasion de nous exprimer longuement ».
Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier avaient été mis en examen à la suite d'une lettre adressée au pasteur adventiste Jean-Guy Presles, président du Collectif organisateur de conférences qui se sont tenues en 2009 à Rouen sur "le dialogue et la réconciliation entre Rwandais" où le mot « génocide » était significativement absent de l’intitulé des quatre conférences.
Dans ce courrier, ils estimaient qu'il avait été "trompé" et que les orateurs, dont l'ancien ambassadeur Jean-Marie Vianney Ndagijimana, défendaient tous la même thèse, celle du "double génocide" dont auraient été victimes simultanément les Hutus et les Tutsis. Ils soutenaient que les orateurs avaient rejoint ainsi "les réseaux européens des négationnistes du génocide des Tutsis".
Le tribunal les a relaxés, estimant que ce courrier n'avait aucun caractère public.
Lors du procès, la représentante du ministère public, Isabelle Poidevin, avait demandé la relaxe pour la quasi-totalité des expressions incriminées et une peine "purement symbolique" pour une expression qui pouvait apparaître comme « maladroite ». Elle avait souligné que les propos des accusés « relevaient du débat d'idées », en soulignant qu'il fallait retenir « la bonne foi » et en rappelant aussi la jurisprudence en la matière dans un affaire similaire jugée en 2006 à Paris.
Ambassadeur du Rwanda en France entre 1990 et 1994, Jean-Marie Vianney Ndagijimana avait été démis de ses fonctions par le gouvernement en place au moment du génocide, le 27 avril 1994. Il avait quelques jours plus tard dénoncé les massacres dans son pays. Il fut durant quelques semaines ministre des affaires étrangères du gouvernement d'union nationale institué après la victoire du Front populaire rwandais (FPR) avant de fuir en France où il a obtenu la nationalité française.
Lors de l'audience, l'ancien diplomate avait rejeté avec force l'accusation de négationnisme. « Je refuse cette équation diffamatoire », avait-il dit en affirmant qu'il appartenait aux deux communautés, étant tutsi par sa mère et hutu par son père.
Prolongeant les explications de plusieurs témoins de la Défense, Me Gilles Paruelle, avocat de Jean-François Dupaquier, a fait observer que la thèse du "double génocide" était clairement "négationniste", tout en rappelant que le courrier en question n'avait pas vocation à être rendu public. De son côté, Me Macha Sinègre-David, avocate de Jean-Pierre Chrétien, a souligné non seulement la bonne foi, mais aussi la compétence reconnue de son client concernant l’Afrique des Grands lacs.
Selon Jean-Pierre Chrétien, « ces deux années entre le dépôt de la plainte de Ndagijimana et le procès ont été éprouvantes, car nous étions décidés à répondre sur le fond et à démontrer la logique négationniste qui sous-tendait le renvoi dos à dos de deux camps « ethniques » dans la responsabilité du génocide de 1994, ce qui a demandé une documentation très précise. »
L’historien explique que Jean-Marie Vianney Ndagijimana espérait obtenir du tribunal de Rouen une décision qui accréditerait sa thèse du « double génocide ». « Avec sagesse, le tribunal ne s’est pas engagé dans cette réécriture de l’Histoire, mais a fait respecter la liberté d’expression et de recherche dans notre pays. M. Ndagijimana a échoué sur toute la ligne. Nous n'allons pas le regretter, et cela d’autant moins que nous sommes, quant à nous, soucieux de voir effectivement les Rwandais se réconcilier et que cela ne sera possible que sur la base d’une reconnaissance claire de la réalité du génocide des Tutsi et de la responsabilité de la politique raciste qui y a conduit. »
Le jugement est accessible en téléchargement ici.
21:54 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (0)
12 janvier 2012
Rwanda : L'expertise Trévidic met KO les négationnistes
Me Lev Forster et Me Bernard Maingain : comme avocats des accusés dans l’affaire de l’attentat contre Habyarimana, nous ne disons pas "on a gagné", mais "la vérité a gagné". Mercredi 11 janvier 2012, les deux avocats ont organisé une conférence de presse pour commenter le rapport d’expertise commandé par les juges d’instruction Marc Trévidic et Nathalie Poux sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana. Comme on le sait depuis peu, ce rapport signé de sept experts écarte l’hypothèse d’un tir depuis la colline Masaka où aurait pu – très difficilement - s’infiltrer un commando du Front patriotique, pour pointer le camp militaire Kanombe, qui hébergeait le bataillon paracommando des Forces armées rwandaises ainsi que des éléments de la Garde présidentielle. Nous publions ci-dessous les principales déclarations des deux avocats.
Me Lef FORSTER : « Ma pensée va avant tout aux victimes. Lorsque nous sommes sortis de la notification du rapport d'expertise, j'étais extrêmement ému car je savais avec certitude que pour beaucoup de familles des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, cet acte judiciaire sonnait comme une réhabilitation ».
« Ces victimes ont douloureusement subi la thèse révisionniste selon laquelle, si les Tutsi du Rwanda ont été exterminés en 1994, c'était à la suite d'un cynique calcul du Front patriotique pour s'emparer du pouvoir par le biais d’un commando infiltré à Masaka. Cette thèse qui prétend faire des Tutsis les artisans de leur propre génocide se croit accablante, elle est indigne. Les rescapés du génocide et leurs familles ont subi pendant dix-sept ans cette infamie propagée par des « assassins de la mémoire », pour reprendre l’expression du regretté Pierre Vidal-Naquet.
« Il s'agit d'un processus négationniste hélas classique qui se met en place pour justifier chaque génocide. Pour le génocide des Arméniens de Turquie, on a déjà invoqué leur prétendue "trahison nationale". Pour le génocide des juifs, on avait ressorti la « conspiration des Sages de Sion ». Et pour le génocide des Tutsi, dont que les vrais responsables seraient les Tutsi, le commando infiltré à Masaka.
« Cette thèse qui prétend faire des Tutsis les artisans de leur propre génocide est une infamie »
« L’attentat du 6 avril 1994 n’est pas la cause du génocide. Ce dernier était préparé depuis longtemps, peut-être depuis 1990 ou 1991. L’attentat a servi de prétexte à la liquidation de l’élite hutue démocrate et au génocide des Tutsis. En criant sur tous les toits que l’attentat était forcément la preuve de la duplicité des Tutsis, que « Paul Kagame a sacrifié les Tutsis » par la voie de l’attentat, les négationnistes ont défini leur enjeu : Masaka. L’expertise commandée par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux leur revient comme un boomerang.
« Ce sont les négationnistes eux-mêmes qui ont fait de l’attentat « sur ordre de Kagame » contre l’avion de Habyarimana le fondement de leur idéologie. Après le rapport d'expertise, il est plus clair que jamais que le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 avait été programmé, que l’attentat contre l’avion présidentiel était la première phase d’un coup d'État pour que les accords de paix d’Arusha ne soient pas appliqués. Ce génocide a été déclenché sur tout le territoire du Rwanda de façon simultanée juste après l'attentat contre l'avion du président Habyarimana. Mais le génocide contre les Tutsi est bien réel, indépendamment de l’instruction. L’expertise ne sert pas à dire s’il y a eu génocide ou pas. Je me permet d’insister sur ce point, car j’ai constaté une certaine confusion ici où là…
« les négationnistes ont défini leur enjeu : Masaka. L’expertise commandée par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux leur revient comme un boomerang. »
« Les assassinats commis par la garde présidentielle dans les heures qui ont suivi l'attentat contre les leaders hutus démocrates et les Tutsis visaient à démanteler toute capacité de redressement institutionnel. Le Rwanda devait présenter l’image de l’anarchie en raison d’une « colère populaire spontanée », alors que cette « anarchie » était soigneusement encadrée. Le génocide des Tutsis n’a rien eu de spontané. Le juge Bruguière, à l’évidence, ne l’a pas compris.
« Nous avons été confrontés à une instruction étrange, elle même initiée par une plainte intervenue très tardivement : trois ans après l'attentat et le génocide.
On s'aperçoit dès le départ que la démarche du juge d'instruction n'est absolument pas contradictoire. Dans l'enquête sur l'attentat contre le Boeing d'UTA, Bruguière s’était présenté comme un magistrat courageux, n’hésitant pas à s'approcher de la Libye sur un navire militaire. Il n'a pas fait preuve du même courage concernant l'enquête sur l'attentat du 6 avril 1994 puisqu'il a toujours refusé de se rendre au Rwanda, prétendant que sa vie était menacée. Il aurait pu demander à des experts d’enquêter sur le terrain sans y aller lui-même. Il ne l’a pas fait non plus. Il n’a pas jugé utile une enquête balistique. Il n'a pas essayé de comprendre les conditions matérielles de cet attentat.
« Le génocide des Tutsis n’a rien eu de spontané. Le juge Bruguière, à l’évidence, ne l’a pas compris »
« On a aussi vu que des écrivains ou journalistes chargés de populariser cette enquête univoque n'ont pas davantage eu le souci de mettre les pieds au Rwanda. Certains livres défendant la même thèse que Bruguière n’avaient d’autre but que la stigmatisation des Tutsis et du gouvernement actuel du Rwanda. Je ne peux pas me départir d'une certaine ironie devant ces gens qui prétendent que les Tutsis sont par nature des menteurs et que les Hutus le sont « par imprégnation » : lorsqu'on voit tous les mensonges qui ont été déversés dans l'enquête Bruguière, les manipulations les plus grossières….
« Je tiens à rendre hommage aux juges d’instruction qui ont repris le dossier Bruguière. Philippe Coirre qui a rejoint le juge Marc Trévidic, le juge Trévidic lui-même, naturellement et Nathalie Poux qui s'est jointe à lui par la suite. Lorsque nous avons sommes intervenus pour la défense des accusés, M. Trévidic avait au départ une analyse très négative du dossier. Ce dossier représentait environ 20 000 pages de procédure et le juge qui avait remplacé Jean-Louis Bruguière se trouvait à trois semaines de clôturer l'instruction. Or il a accepté de remettre à plat l’enquête.
« Je tiens à rendre hommage aux juges d’instruction qui ont repris le dossier Bruguière »
« C'est ainsi que depuis trois ans l'instruction judiciaire s'est faite sous le signe du professionnalisme, sans la moindre concession, avec une enquête à charge et à décharge, avec la vérification de toutes les déclarations antérieures, et notamment leur crédibilité. Par ailleurs nous avions demandé au juge de se rendre sur le terrain car les cartes d'état-major ne peuvent pas rendre compte de la complexité du paysage. Le juge Trévidic a décidé qu'il se rendrait au Rwanda avec des personnes susceptibles de réaliser une expertise technique et scientifique, alors que le juge Bruguière ne se basait que sur des témoignages non vérifiés.
« Le juge Trévidic a voulu mettre les témoignages en relation avec des observations techniques et scientifiques. Il a mené des investigations totalement indépendantes pour examiner dans quelles conditions l'avion avait été abattu, par quel type de missile, à la suite de quels trajets précis de l'avion et vérifié, sur cette base, ce que les témoins pouvaient réellement voir entendre. L'expertise devrait également déterminer le lieu des postes de tir.
« Le juge Bruguière ne se basait que sur des témoignages non vérifiés »
« Au total, 56 types de missiles ont été étudiés et progressivement écartés les uns après les autres compte tenu de l'analyse du terrain et d'autres paramètres scientifiques. Finalement, il est apparu que le Falcon 50 du président Habyarimana a été abattu par un missile SA 16 de fabrication soviétique. Cette conclusion a été tirée de l'analyse des experts et des possibilités de tir
« Il faut signaler que les sept experts sont issus de cabinets différents. Ils confrontaient continuellement leurs analyses. Le rapport qu’ils ont rendu a été rédigé à l’unanimité, ce qui est rare ».
« Ils ont examiné quelles pouvaient être les positions de tir. Six positions ont été étudiées compte tenu de la trajectoire retenue des missiles. Deux position dans la vallée de Masaka, trois positions dans le camp de Kanombe et enfin une position qui se serait située entre les deux précédentes au lieu-dit « la porcherie ».
« Les sept experts sont issus de cabinets différents. Leur rapport a été rédigé à l’unanimité, ce qui est rare »
« En définitive, les experts ont écarté la possibilité que le tir ait été effectué à Masaka pour des raisons techniques et scientifiques.
- Il était impossible de tirer un missile depuis Masaka compte tenu de l'endroit où l'avion a été atteint.
- Il a été tenu le plus grand compte des témoignages de deux militaires européens qui se trouvaient dans le camp Kanombe et ont entendu le souffle du départ des missiles. Les militaires sont toujours très attentifs au souffle des projectiles car selon leurs observations, ils doivent ou non se protéger. Leur familiarité avec les différents types de missiles ou d'armes lourdes leur permet aussi d'évaluer la distance par rapport au bruit du souffle.
« Compte tenu de ces éléments et les témoignages de militaires belges et français, les deux endroits retenus comme postes de tir se situent à l'intérieur du camp militaire de Kanombe, l'un dans le cimetière, une autre dans un lieu proche du cimetière.
« Deux militaires européens dans le camp Kanombe ont entendu le souffle du départ des missiles »
« Si les experts avaient déterminé la vallée de Masaka et où la colline de Masaka comme l'endroit d'où provenaient les tirs, cela ne m'aurait pas gêné car le Front patriotique ne pouvait pas davantage y introduire un commando et surtout pas lui permettre de s'exfiltrer en toute sécurité après l'attentat. La chose apparaît impossible. Déjà pour se rendre à Masaka, dans la banlieue de Kigali, à dix kilomètres du bâtiment du CND où était cantonné le bataillon du FPR, il fallait franchir 7 barrages de militaires. Aussitôt après l'attentat, le nombre des barrages a été encore multiplié. L'exfiltration du commando aurait été impossible.
« En outre à l'époque de l'attentat, la vallée était occupée par un champ de papyrus. Beaucoup de gens l'ignorent à commencer par le juge Bruguière, mais un champ de papyrus, ça veut dire un mètre d'eau au dessus d’une épaisseur de vase. On imagine mal trois hommes dans l'eau qui leur arrive au moins jusqu'à la taille pendant des heures, à attendre l’avion. Qui plus est, près d'une source où tous les habitants d'un village voisin viennent puiser de l'eau.
« Si les experts avaient déterminé Masaka comme l'endroit d'où provenaient les tirs, cela ne m'aurait pas gêné »
« La thèse que les tireurs étaient positionnés au camp Kanombe est une évidence. Elle est apparue comme telle aux expert, un pilote de Falcon, des experts en missiles, en explosifs et en acoustique, qui se sont mis d'accord et ont cosigné le rapport d'expertise.
« Aujourd’hui que le Rwanda est en paix, le camp Kanombe est protégé et nous-mêmes avons eu du mal à y entrer malgré nos autorisations. Que dire alors de son verrouillage en période de guerre. Un commando du Front patriotique ne pouvait en aucun cas s'infiltrer dans le camp, y rester plusieurs heures et ensuite s'en exfiltrer sans qu’aucun des militaires présents – y compris des Français et des Belges - s'en aperçoive.
« Un commando du Front patriotique ne pouvait en aucun cas s'infiltrer dans le camp Kanombe »
« Au terme de l'opinion unanime des expert et des centaines de pages d'analyse du rapport désignant le camp de Kanombe comme le seul endroit possible pour les tirs sur l'avion, comme avocats des accusés, nous ne disons pas "on a gagné", mais "la vérité a gagné".
« En effet pour les avocats des victimes de l'attentat il me semble devoir rappeler que le seul intérêt est de déterminer qui sont les coupables. Les parties civiles ont été induites en erreur pendant des années. Au terme de ces trois dernières années de vérification, si des témoignages supplémentaires sont apportés émanant de personnes qui ne se seraient jamais signalées pendant les 17 années d'instruction, il faudra parler non pas de scoop mais de nécessité de confronter tout nouveau témoignage à la réalité de l'expertise. Cette expertise est indépassable car elle n'est pas subjective.
« Il me semble que le seul intérêt est de déterminer qui sont les coupables »
« Les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux nous ont donné à tous trois mois pour relire et analyser les centaines de pages du dossier d’expertise, et fournir nos commentaires. Ceci constitue un délai pertinent pour l'ensemble des parties.
Nous pouvons déjà indiquer que nous solliciterons une mesure technique de dissociation concernant nos clients, afin qu'ils puissent bénéficier d'un non-lieu sans que l'instruction s'interrompe
« Nos clients nous demandent de porter plainte pour tentative d'escroquerie au jugement en bande organisée. En effet certaines personnes ont fourni au juge Bruguière des témoignages, de prétendues expertises et des documents dans la seule intention de manipuler l'instruction, d'orienter le dossier dans une mauvaise direction, dans le seul but de favoriser la déstabilisation du régime rwandais et de stigmatiser les victimes par une thèse abjecte qui en ferait les responsables de leur propre génocide.
« Nos clients nous demandent de porter plainte pour tentative d'escroquerie au jugement en bande organisée »
« La thèse soutenue par le juge Bruguière est devenue progressivement la base de l'idéologie négationniste du génocide des Tutsis. Je dois ici remercier le site « lemonde.fr » qui m'a permis de m'exprimer sur les problèmes soulevés par l'extension de la loi sanctionnant le négationnisme.
En 1996 j’étais un des avocats des Arméniens contre le négationniste Lewis. J'estime que le législateur n'a pas à choisir parmi les génocides ceux qui seraient reconnus comme tels et donc parmi les négationnistes, ceux à sanctionner ou pas. Dans le même temps, faut-il laisser toutes les proclamations négationnistes continuer de se répandre ?
« Faut-il laisser toutes les proclamations négationnistes continuer de se répandre ? »
« Un crime ou un délit doit être jugé par un tribunal et non par le Parlement. Tout négationnisme devait être sanctionné, telle est à mon avis la bonne approche plutôt qu’un empilement de lois « mémorielles ».
« Bernard Maingain a consacré des années de sa vie à la cause des victimes et non pas à la cause d'un régime. Je tiens à lui rendre hommage.
(fin de l’intervention de Me Lef FORSTER)
Me Bernard MAINGAIN : - C'est une chouette défense qu'on a faite à deux, en parfaite harmonie, alors que le monde du Barreau est riche de conflit de narcissisme.
« Dans ce dossier, ce qui est en train de se produire, c'est le retour de deux vertus :
- le respect. Nous aimons croire à des magistrats sans concession. Nous avons croisé ces magistrats sans concession. Ils ont accepté de faire droit à nos demandes calmement et efficacement. C'est le retour du respect des avocats, des uns et des autres. Dans la région des Grands Lacs cette justice exemplaire mérite d'être connue.
- deuxièmement, c'est le retour sur le discours de la méthode avec l'acceptation de reprendre un dossier qui est en cours.
« Dans ce dossier, ce qui est en train de se produire, c'est le retour du respect »
« Prenons le cas du livre du « lieutenant » Abdul Ruzibiza préfacé par Mme Catherine Vidal et postfacé par M. André Guichaoua, qui entend démontrer qu’un commando du FPR infiltré à Masaka a abattu l’avion du président Habyarimana. Un bouquin soi-disant accablant. Mais Ruzibiza, ce prétendu participant à l'attentat contre l'avion, n'apporte dans son gros livre aucune précision factuelle sur la façon dont il aurait agi.
« Dans un dossier sur un événement aussi grave, un attentat qui a été le déclencheur d’un génocide, n'importe quel juge d'instruction aurait pris des mesures de bon sens : d'une part, demander au témoin Ruzibiza de rester à sa disposition, éventuellement le mettre en garde à vue ; d'autre part, se rendre sur le terrain et demander au témoin de commenter sur place les éléments d'information qu'il prétend apporter. Ca s’appelle une reconstitution. Or cette mesure n'a jamais été mise en œuvre ni même, semble-t-il, envisagée.
« Prenons le cas du livre d’Abdul Ruzibiza préfacé par Mme Catherine Vidal et postfacé par M. André Guichaoua… »
« Bien au contraire, lorsque le témoin Ruzibiza intervient, il bénéficie d’égards surprenants. L'enquêteur principal, un commandant de police, n'hésite pas à organiser un contact du témoin avec les soi-disant experts de l'instruction, M. Guichaoua et Mme Vidal. Quel est le fondement de cette intervention ? Eh bien ces prétendus experts vont servir à crédibiliser scientifiquement le témoignage de M. Ruzibiza. Il faut relire la préface de madame Vidal à son bouquin. C'est un grand moment d'anthropologie scientifique.
« Deuxièmement, le même enquêteur écrit une lettre pour soutenir sa demande du statut de réfugié politique en Norvège. Dans le même document le policier français accuse le gouvernement rwandais de multiples crimes contre l'humanité. Ce policier s'ingère dans la « protection » du témoin en violation des règles de procédure.
« Ces prétendus experts vont servir à crédibiliser scientifiquement le témoignage de M. Ruzibiza »
« Les violations de procédure sont légion Ainsi M. Paul Barril, ex-capitaine de la gendarmerie nationale entre visiblement en contact avec M. Payebien, alors chef de la Division nationale anti-terroriste (DNAT) mais aucun procès-verbal ne rend compte de ces contacts. À un certain moment, M. Barril conseillera de recruter M. Fabien Singaye comme interprète et traducteur dans le cadre du dossier.
« Or M. Singaye est un acteur de la tragédie rwandaise que chacun peut connaître car la presse a déjà parlé d'anomalies le concernant dès 1994. C'est nous, partie civile, qui allons devoir prouver que M. Singaye a été un agent des services de renseignement du président Habyarimana, en poste à Berne. Que ce titulaire d’un passeport diplomatique de deuxième conseiller d’ambassade n’en a pas moins été été expulsé de Suisse à l'été 1994 en raison de ses liens avec le gouvernement du génocide. A l’époque, la presse l’a mentionné. Comment peut-il être introduit parmi l'équipe d'enquêteurs du juge Bruguière ?
« M. Singaye est un acteur de la tragédie rwandaise. Comment peut-il être introduit parmi les enquêteurs de Bruguière ? »
« On peut s'interroger sur le fait que la famille Habyarima, partie civile connaît parfaitement M. Fabien Singaye qui a été à son service. Pourtant, les parties civiles n'en disent pas un mot au juge Bruguière. Les avocats des parties civiles ne pouvaient pas davantage ignorer le passé de M. Singaye. Pourquoi les personnes connaissant M. Singaye comme partie prenante dans le harcèlement des Tutsis réfugiés en Europe avant le génocide, puis son rôle dans l’exfiltration d’un des acteurs présumés du génocide, M. Félicien Kabuga, acceptent qu’il devienne interprète-traducteur assermenté et expert de justice de M. Bruguière ?
« C'est nous, avocats des accusés, qui devront déposer chez le magistrat la preuve de la proximité totale entre Jean-Luc Habyarimana, le fils du président assassiné, et M. Fabien Singaye. Il y a entre eux une proximité familiale, mais également une proximité affairiste. M. Singaye devient ensuite conseiller du président centrafricain Bozize et consultant du groupe AREVA. Comment est-il possible que l'enquête n'ait pas révélé avant notre intervention le passé de ce monsieur et comment les avocats des parties civiles soucieux de déontologie n’ont-ils pas posé directement la question au magistrat instructeur ?
« Nous avons la preuve de la proximité totale entre Jean-Luc Habyarimana, le fils du président assassiné, et M. Fabien Singaye »
« On a utilisé pour l'enquête un individu particulièrement controversé et sa présence ne pouvait manquer de poser à terme d'énormes problèmes de procédure. Pourtant la famille Habyarimana savait tout cela. Ses avocats savaient tout cela et ils n'ont rien fait. Mais l'intrusion de M. Singaye dans la procédure n'est qu'une des nombreuses et très graves anomalies qui l’ont entachée.
« Le cas de M. Filip Reyntjens comme « expert » de Bruguière est également significatif. J'ai découvert que M. Filip Reyntjens était considéré comme un des experts principaux du juge Bruguière et qu'à ce titre il a même échangé des mails et des SMS avec le chef enquêteur, M. Pierre Payebien. Pourquoi ces mails et ces courriels ne figurent-ils pas dans l'enquête ? Comment peut-on accepter qu’aucun procès-verbal n'en fournisse le contenu ? C’est le B.A.-ba des règles de l'instruction. Il n'est pas acceptable que M. Filip Reyntjens et M. Payebien puissent échanger des informations hors procès-verbal. Cette intrusion et d’autres renforcent le sentiment qu'il y a là un univers parallèle qui fonctionne hors dossier et un dossier « officiel » qui se construit de façon très bizarre. Le capitaine Barril, Fabien Singaye et Jean-Luc Habyarimana constituent un trio qui a profondément orienté l'instruction.
« Le cas de M. Filip Reyntjens comme « expert » de Bruguière est également significatif »
« Comment le juge Bruguière et son équipe ont-ils négligé de vérifier le passé et les intérêts de M. Filip Reyntjens au Rwanda ? Comment pouvaient-ils ignorer que M. Filip Reyntjens a participé à l'élaboration de la Constitution qui a avalisé le système d’apartheid au Rwanda durant la période du régime Habyarimana ?
« Mais M. Reyntjens a eu aussi des comportements que j'estime parfaitement inacceptables en Belgique dans le traitement de la guerre civile au Rwanda. En 1992, avec un autre avocat, nous avions organisé à Bruxelles l'accueil d'une délégation d'opposants politiques au président Habyarimana et de militants du Front patriotique. Ca se passait au palais de justice pour de raisons de confidentialité.
« Or nous avons la preuve que M. Filip Reyntjens a démarché deux des participants pour leur faire rencontrer le président Habyarimana pendant la période 1992-1994. Les réunions que nous avions organisé pouvant favoriser le processus de paix au Rwanda exigeaient que soient respectée la confidentialité des propos échangés. Elles étaient couvertes par le secret professionnel. Le fait d'en extraire des témoins et de les mettre entre les mains de M. Habyarimana et ses amis a été une initiative extrêmement choquante. Dois-je rappeler que la plupart des participants à cette rencontre ont été assassinés pendant les premiers jours du génocide ? Est-ce que M. Reyntjens est bien conscient du rôle qu'il a joué ?
« Est-ce que M. Reyntjens est bien conscient du rôle qu'il a joué ? »
« M. Filip Reyntjens a transmis au juge Bruguière un document où M. Bagosora, par l’intermédiaire de son avocat, prétendait identifier les tubes lance-missiles déposés dans la vallée de Masaka à titre de « preuve ». Qui ignore que le colonel Théoneste Bagosora est considéré comme l’architecte du génocide ? Etait-ce le rôle d'un expert d’accréditer cette manipulation ?
« De même nous ne connaissons toujours pas le rôle exact de M. Guichaoua -, qui se répand depuis des années dans les médias pour affirmer que le FPR est l’auteur de l’attentat - et de Mme Vidal. Pas plus que le rôle du capitaine Barril.
« Nous ne connaissons toujours pas le rôle exact de M. Guichaoua, de Mme Vidal ni du capitaine Barril »
« Nous ne savons pas qui a tiré les missiles contre l'avion Falcon 50 du président Habyarimana. Compte tenu du lieu du tir, dans le camp Kanombe, le temps d'acquisition de la cible était extrêmement court. Il fallait que les tireurs de missiles soient très expérimentés.
« Les dernières investigations menées notamment en Pologne ont permis de comprendre qu'il faut au moins cent heures d'entraînement aux tireurs de missiles SA 16 Igla 1 pour être capables de la "performance" réalisée le 6 avril 1994 à Kigali. Cette capacité n'était pas celle du premier venu.
« Selon les constatations des experts, il a fallu, bien avant l'attentat, un repérage très précis de tout le secteur entre Masaka et Kanombe pour déterminer les postes de tirs les plus pertinents. Selon les experts, il aurait été plus facile d'abattre l'avion depuis la colline de Masaka qu’à Kanombe dont la topographie contraignait à un temps d'acquisition de la cible plus court. Il y a donc des raisons de penser qu'avant même l'attentat les conspirateurs avaient décidé d'en faire porter la responsabilité au Front patriotique et de désigner faussement la colline de Masaka comme la zone crédible de départ des missiles. C'est dans ce dessein que les deux tubes lance-missiles y ont été déposées et soi-disant découverts par hasard par des paysans.
« Il y a des raisons de penser qu'avant même l'attentat les conspirateurs avaient décidé d'en faire porter la responsabilité au Front patriotique »
« Sur cette question des missiles, nous constatons que l’enfumage complet de ce dossier vient de l'ex-capitaine Paul Barril et de ses amis, et qu’il est protégé de l’instruction. On voit l’ex-capitaine Barril dans la région des Grands Lacs autour du 6 avril. Des témoins l’aperçoivent le 4 avril à l'aéroport de Kigali mais ensuite on perd sa trace. Il se présente comme le conseiller de Mme Habyarimana.
« À aucun moment lors de ses trois interrogatoires par l'équipe Bruguière on ne lui demande où il se trouvait le 6 avril au soir. Au mois de juin 1994 il présente aux médias français une fausse boîte noire et prétend posséder 80 témoignages vidéo en insinuant que le Front patriotique est l'auteur de l'attentat. Mais personne ne verra par la suite ces soi-disant témoignages vidéo.
« L’enfumage complet de ce dossier vient de l'ex-capitaine Paul Barril et de ses amis »
« L’enfumage se poursuit sans discontinuer avec la prétendue boîte noire trouvée dans un placard de l'ONU à New York en 2004. Au cours des investigations il apparaîtra que cette boite noire est celle d'un avion Concorde d'Air France. Sa « présence » à New York vise à accréditer un prétendu complot pour cacher la responsabilité du Front patriotique dans l'attentat. Naturellement, il y a des questions à se poser. Comment cette boite noire a-t-elle été « récupérée » dans un hangar de la société Air France à Roissy ? Comment est-elle arrivée à New York ? Or le juge Bruguière choisit de ne pas engager d’investigations.
« Autre question : que deviennent les deux tubes lance-missiles dont on brandira les photographies pour assurer qu'ils incriminent le Front patriotique. On nous raconte qu'ils ont été envoyés au Congo à la demande de Mobutu, dont le capitaine Barril est également le consultant en sécurité. Ils auraient été remis à des généraux congolais et curieusement ces pièces à conviction disparaissent dans les profondeurs du Congo sans que M. Bruguière s’en étonne.
« Que deviennent les deux tubes lance-missiles dont on brandira les photographies ? »
« Est-ce que M. Barril a fait l'objet d'une mise sous écoute téléphonique ? Jamais. A-t-il été mis sous surveillance ? À aucun moment. A-t-il été soumis à contrôle judiciaire ? Pas le moins du monde. A-t-on perquisitionné son domicile, sa société ou ses ordinateurs ? Non plus. Il a été entendu comme un simple témoin.
« Nous pensons qu’un ancien capitaine gendarme du GIGN de la carrure de M. Barril, disposant de preuves si évidentes, aurait eu la présence d'esprit de confier ces pièces à conviction – qu’il dit à un moment avoir eu en main – à des services secrets ou des diplomates de pays occidentaux aptes à protéger les tubes lance-missiles et faire en sorte qu'ils soient confiés à des enquêteurs indépendants. Qu’a retenu M. Barril de sa carrière de gendarme ?
« Qu’a retenu M. Barril de sa carrière de gendarme ? »
« Il faudra un jour avoir une explication sur l’enfumage de l'affaire Ruzibza. Voici un homme qui a été transféré en France par les soins des attachés militaires et les services de renseignement français basés à Kampala et Dar-es-Salaam. Ruzibiza était à cette époque très proche du mouvement des FDLR, les restes des anciennes Forces armées rwandaises transformées en mouvement rebelle et qui ont mis en coupe réglée l'est du Congo.
« On attend aussi des explications sur les témoignages de Messieurs Marara et Musoni soi-disant participants à la préparation de l'attentat. Nous avons apporté la preuve que M. Marara a été recruté par l'Armée patriotique rwandaise au mois de mai 1994 et qu'il a été considéré comme opérationnel à la fin de l'année 1994. Bien après l’attentat auquel il prétend avoir participé ! Quant à M. Musoni, lorsque le juge Trévidic demande à le réentendre, il refuse et déclare "j'ai rendu assez de services à la France". J'aimerais qu’il s’explique sur ceux qui se sont présentés à lui comme « la France ». Que les faux témoins s’expliquent vraiment !
« Que les faux témoins s’expliquent ! »
« Tous ces gens ont glosé sur le supposé mystérieux « Network commando » du FPR qui aurait organisé l’attentat depuis Masaka. Mais je ne vois qu’un mystérieux « network » : celui qui en France a enfumé le dossier Bruguière. J’en profite pour dire ici à ceux qui pensent qu'on peut jouer avec la justice : vous me trouverez sur votre route. Et j’adressee un message particulier à M. Péan qui se dit le spécialiste de « la culture du mensonge des Tutsis » sans s'être jamais rendu au Rwanda. Le top de la culture du mensonge, je ne l'ai pas trouvé à Kigali mais ici à Paris. Le top de la manipulation judiciaire, je l'ai également trouvé à Paris.
« J’ adresse un message particulier à M. Péan qui se dit le spécialiste de "la culture du mensonge des Tutsis" »
« Pour ma part, j'estime que la justice a droit au respect. J’espère que tous ceux qui ont participé à la manipulation de l'enquête Bruguière payeront un jour le prix judiciaire de leur action. À cet effet, je voudrais adresser un message à tout témoin qui surgirait dix-sept ans après les faits alors qu'il ne se serait jamais fait connaître auparavant : son témoignage devra s'inscrire dans la logique du dossier et de l’expertise judiciaire. Pendant dix-sept ans on nous a seriné que les auteurs de l'attentat se trouvaient à Masaka. On nous a détaillé un prétendu "Network commando" et présenté de prétendus témoins qui ont fourni six ou sept versions avec des participants différents de ce « network ».
« Nous défendons sept personnes accusées de faits précis. Nous constatons qu'il a été démontré que ces faits précis n’existent pas. À notre demande les juges d'instruction Marc Trévidic et Nathalie Poux se sont rendus à Kigali. Ils ont demandé des expertises. Nous en avons parlé à nos clients. Il faut imaginer la confiance de nos clients de s'en remettre à une énième expertise après l'accumulation de faux témoignages, de manipulation de prétendus experts depuis tant d'années auprès du juge Bruguière et de ses enquêteurs. Nos clients ont cependant accepté cette nouvelle expertise.
« J’espère que tous ceux qui ont participé à la manipulation de l'enquête Bruguière payeront un jour »
« J'ajoute que les services de renseignement belge avaient enquêté de façon approfondie dans les semaines qui ont suivi l'attentat à du 6 avril 1994. Cette enquête était motivée par le fait que les extrémistes hutus, dès l'attentat, en ont accusé les Belges. Dix para commandos belges ont été assassinés au camp Kigali par des soldats surexcités à qui on avait prétendu que ces Belges avaient participé à l'attentat contre le président Habyarimana. Les témoignages sont abondants.
« Cette désinformation sur l'attentat a d'abord occasionné la mort de dix jeunes Belges et je pense aujourd'hui à leur familles qui attendent aussi la vérité sur l'attentat. Le « rapport » Bruguière était quelque part une insulte à la mémoire de ces gens. Si l'on relit le document qui s'appelle "soit communiqué" qui résumait l'instruction du juge Bruguière et qui a été diffusé à partir de 2006, il n'est nulle part mentionné que les para commandos belges, assassinés sur la foi de rumeurs les désignant comme complices de l'attentat, n'y étaient pour rien. Il faut comprendre que ces dix para commandos ont été sacrifiés délibérément par les extrémistes hutus dans le cadre d'une savante desinformation sur les auteurs de l'attentat qui n'a pas été improvisée après l'attentat, mais en quelque sorte scénarisée beaucoup plus tôt.
« Cette désinformation sur l'attentat a d'abord occasionné la mort de dix jeunes Belges »
« Depuis des mois, comme l'ont démontré différents documents, les extrémistes hutus voulaient provoquer le départ du contingent belge des casques bleus. Par ailleurs la désignation de la colline ou de la vallée de Masaka comme lieu des postes de tir d'un commando infiltré de l'Armée patriotique rwandaise n'était pas le fait du hasard.
« Comme les experts des juges Trévidic et Poux l'ont constaté, le choix de la colline ou de la vallée de Masaka pour abattre l'avion était le meilleur possible et sans doute ceux qui préparaient l'attentat l'avait-t-il identifié comme tel. Mais l'endroit était très fréquenté et il leur était impossible de dissimuler les postes de tir durant des heures, d'où l’option du camp Kanombe.
« Il est donc logique de déduire que, bien avant l'attentat lui-même, les conjurés avaient décidé d'organiser une très subtile manoeuvre de désinformation qui désignerait la vallée de Masaka comme l'origine des tirs et de prétendre que le Front patriotique il y avait infiltré un commando. Or l'impact du missile a été très clairement repéré au niveau de l'aile gauche du Falcon 50, à côté du réservoir. C'est le côté gauche de l'avion qui a été brûlé par l'impact, ce qui permet aux experts de déterminer également l'endroit d'où a été tiré le missile.
« Le choix de Masaka pour abattre l'avion était le meilleur possible »
« L'enquête de l'auditorat militaire belge a clairement incriminé les extrémistes hutus dans la perpétration de l'attentat. Les services de renseignement américain avaient conclu de même que les missiles étaient partis du camp Kanombe. Le rapport de la commission Mutsinzi, après l’audition de centaines de témoins, a également conclu que les missiles venaient du camp Kanombe. Les experts de l'Académie militaire de Londres ont conclu que les tireurs de missiles se trouvaient au camp Kanombe.
« Je rappelle ces différents éléments pour que chacun prenne la dimension des manipulations du dossier Bruguière et de la souffrance des familles belges également meurtries et blessées par des accusations dont on mesure enfin l'inanité.
« Chacun doit prendre la dimension des manipulations du dossier Bruguière »
« Les experts ont retenu l'hypothèse que les missiles tirés étaient d'origine soviétique compte-tenu de nombreux éléments. Ils ont identifié ces missiles comme des SA 16 IGLA 1. Ils ont établi que le premier missile a manqué son objectif - sans doute parce que le tireur n'était pas suffisamment expérimenté - mais que le deuxième missile a atteint sa cible. Nous ignorons d'où venaient ces missiles. À cette époque, il y en avait beaucoup qui transitait par la Pologne ou la Tchécoslovaquie. Je rappelle que dans le dossier de l'Angola, qui date aussi de 1994 on a identifié certains des protagonistes des trafics de missiles.
« Les experts désignés par le juge d'instruction se sont rendus en Pologne pour vérifier comment fonctionnait ce type de missile. C'est alors qu'on leur a démontré qu'il fallait des heures d'entraînement pour les mettre en oeuvre et qu'on ne peut absolument pas s'improviser tireur de ce type de missiles.
« Dans le dossier de l'Angola de 1994 on a identifié certains des protagonistes de trafics de missiles »
« J'entends déjà de nouvelles tentatives de désinformation pour brouiller le message de l'expertise auprès de l'opinion publique. Pendant dix-sept ans, personne n'a contesté que si les missiles étaient partis du camp Kanombe, ils n'auraient pu être tirés que par des extrémistes hutus, des membres de l'Akazu ou leurs stipendiés.
« Et voilà qu'aujourd'hui, pour la première fois, certains reviennent sur cette évidence pour prétendre que si les missiles ont été tirés depuis le camp qui abritait les paracommandos et des éléments de la garde présidentielle, c'est qu'un commando du Front patriotique s'y serait installé tranquillement pour abattre l'avion du président et ensuite disparaître dans la nature.
Cette nouvelle théorie abracadabrante ne démontre qu’une seule chose : la détermination de certains à continuer d’enfumer le dossier, plutôt qu’à identifier les véritables auteurs de l’attentat qui a servi de déclencheur au génocide.
(fin de l’intervention de Me Bernard MAINGAIN)
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER pour AFRIKARABIA. Photo (c) Tous droits réservés.
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10 janvier 2012
Attentat Habyarimana : Les expertises innocentent le Front patriotique (FPR)
C’est un tsunami judiciaire qui a emporté mardi après-midi l’enquête menée par le juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière sur l’attentat ayant visé l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994. Du monstrueux empilement de témoignages à charge qui avait abouti en 2006 à neuf mandats d’arrêt contre les hauts gradés de l’Armée patriotique rwandaise, il ne reste pratiquement rien debout.
Les expertises balistiques et phoniques commandées par ses successeurs les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux démontrent que les deux missiles qui ont abattu l'avion le 6 avril 1994 vers 20 h 30 n’ont pu être tirés par un commando du Front patriotique infiltré sur la colline de Masaka. Les tireurs se trouvaient au camp Kanombe sévèrement contrôlé par les Forces armées rwandaises. Ce camp était sous le contrôle du major Aloïs Ndabakuze, chef des parachutistes commandos de l'armée rwandaise, condamné en première instance par le Tribunal pénal international à la prison à vie pour son rôle crucial dans le génocide.
Sous le contrôle du major Aloïs Ndabakuze
Les experts ont porté une grande attention aux témoignages du commandant français Grégoire de Saint-Quentin et au médecin-colonel belge Massimo Pasuch, qui habitaient le camp Kanombe et ont entendu le départ des missiles non loin (voir Afrikarabia)
Les experts estiment aussi que les tireurs étaient très expérimentés, relançant l’hypothèse de l’intervention de spécialistes étrangers des missiles, qu’il s’agisse d’agents secrets ou de mercenaires.
Des agents secrets ou des mercenaires
En avril 2010, les juges antiterroristes Marc Trévidic et Nathalie Poux avaient désigné cinq experts, géomètre, balistique, explosifs et incendie, rejoints plus tard par un acousticien, pour déterminer les lieux possibles des tirs ayant abattu l'avion présidentiel, considéré comme l'acte déclencheur du génocide rwandais.
Vingt mois plus tard et après un déplacement au Rwanda en septembre 2010 pour essayer de reconstituer les conditions de l'attentat, juges et experts dévoilaient mardi après-midi leurs conclusions aux parties concernées par l'enquête. Une vidéo en 3D réalisée sous le contrôle des experts a également été montrée. Elle synthétise les éléments confirmés par les spécialistes en balistique et en propagation des sons.
Une vidéo en 3D explicite
La connaissance du lieu de tir des missiles, déterminante pour identifier les tireurs, désigne clairement des éléments extrémistes des Forces armées rwandaises, comme Afrikarabia le laissait entendre ces derniers jours.
L'enquête du juge Jean-Louis Bruguière avait pourtant désigné en 2006 un commando du Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion majoritairement tutsie dirigée en 1994 par l'actuel président Paul Kagame. L’émission des neufs mandats d’arrêt internationaux avait provoqué la rupture par Kigali des relations diplomatiques avec la France. Il aura fallu beaucoup de patience à Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et beaucoup de détermination au président Nicolas Sarkozy, en butte aux critiques d’irréductibles hauts-gradés français qui poursuivent une guerre médiatique contre Kagame, pour les rétablir.
L’aveuglement du juge Bruguière
Selon le juge Bruguière, les hommes du FPR se seraient infiltrés depuis le parlement rwandais à travers le dispositif des Forces armées rwandaises (FAR, loyalistes) sur la colline de Massaka, qui surplombe l'aéroport à l'est de la piste. De prétendus membres du commando ont accrédité cette thèse avant de se rétracter.
A l'inverse, un rapport d'enquête rwandais (dit « Rapport Mutsinzi »), fondé sur près de 600 témoignages, a documenté la piste de tirs partis depuis le camp militaire de Kanombe, importante base des FAR, jouxtant l'aéroport et la résidence présidentielle au sud-est, où il est "impossible d'imaginer" que le FPR ait pu s'infiltrer.
Les faux témoins du juge antiterroriste
La thèse rwandaise, devenue aujourd’hui la thèse Trévidic, impute la responsabilité de l'attentat aux extrémistes hutus des FAR, qui auraient voulu se débarrasser du président Habyarimana, jugé trop modéré, pour faciliter un coup d'Etat.
Aux experts, les juges français avaient demandé de reconstituer la trajectoire du Falcon 50 présidentiel, d'évaluer sa position au moment où il a été touché, de déterminer le type de missile utilisé, mais également les modes opératoires possibles, et de confronter le tout avec les témoignages et données topographiques.
Ces experts ont définitivement démontré que les tirs ne pouvaient partir que du camp des Forces armées rwandaises dit « camp Kanombe ».
Habyarimana liquidé par les extrémistes de son camp
« Nous attendons maintenant qu’un non-lieu soit prononcé en faveur de nos clients », ont déclaré les avocats des mis en examen, Mes Bernard Maingain et Léon-Lef Forster, en quittant le cabinet du juge Marc Trévidic, ajoutant que « la mise en cause du FPR est dorénavant inimaginable".
Du côté des parties civiles, l'avocat de la veuve du président rwandais Agathe Habyarimana, Me Philippe Meilhac, a manifesté un certain embarras. Selon lui, il n’est pas imaginable que les FAR aient disposé de spécialistes des missiles du niveau requis.
L’embarras de l’avocat d’Agathe Habyarimana
Maîtres Léon-Lef Forster et Bernard Maingain, avocats de sept Rwandais toujours mis en examen organiseront une conférence de presse ce mercredi à Paris. Ils reviendront sur les conclusions des experts mandatés par les deux magistrats français, et comptent exposer les nombreuses manipulations et irrégularités qui ont entaché cette information judiciaire pendant la décennie où celle-ci était conduite par le juge Jean-Louis Bruguière.
Le gouvernement rwandais a salué hier le rapport des experts mandatés par les juges français Marc Trévidic et Nathalie Poux. Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement a déclaré : « Les résultats présentés aujourd'hui constituent la confirmation de la position tenue de longue date par le Rwanda sur les circonstances qui entourent les événements du mois d’avril 1994. Grâce à la vérité scientifique ainsi établie, les juges Trévidic et Poux ferment avec éclat le chapitre de ces 17 années de campagne visant à nier le génocide et à faire porter aux victimes la responsabilité de leur sort. Pour tout le monde, il est désormais établi que l’attentat contre l’avion faisait partie d’un coup d’état mené par des éléments extrémistes hutu assistés de leurs conseillers, qui détenaient le contrôle du camp militaire de Kanombe ».
Satisfaction à Kigali
Louise Mushikiwabo a ajouté : « Pour le peuple du Rwanda, le rapport d'aujourd'hui résulte d'une enquête de grande qualité, requise par des magistrats français aux références irréprochables et réalisée par des experts de renommée internationale. Il rend justice à ceux qui ont été faussement accusés d’avoir abattu l’avion, mettant une fin définitive aux mensonges et aux théories du complot qui ont, trop longtemps, essayé de détourner l’attention du monde loin des auteurs véritables des crimes abominables perpétrés au Rwanda pendant le génocide.
La Ministre Mushikiwabo a conclu par ces mots : « Les Rwandais saluent ces conclusions qui apportent un meilleur éclairage sur un chapitre vital de l’histoire de notre pays. Sans fléchir ni nous laisser distraire, nous poursuivons la tâche capitale de reconstruction du pays pour les générations à venir ».
Lire également sur le sujet : Attentat Habyarimana, le florilège de "l'enquête" Bruguière.
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Attentat Habyarimana : Le florilège de « l’enquête » Bruguière
Depuis sa saisine en 1998 jusqu’à son remplacement par le juge Marc Trévidic en 2007, le juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière a mené une instruction entièrement à charge pour démontrer la responsabilité du Front Patriotique dans l’attentat du 6 avril 1994 à Kigali. L’Ordonnance qu’il diffusait ou laissait diffuser en 2006 constituait une réécriture de l’histoire du Rwanda pour rendre le mouvement rebelle, majoritairement tutsi, responsable du génocide des Tutsis dont l’attentat a été le déclencheur.
A présent que les expertises réduisent à néant cette thèse, il n’est pas inutile de rassembler un florilège des citations les plus significatives du dossier Bruguière…
« Des témoignages enregistrés, il ressort que cet acte meurtrier a été l'oeuvre de rebelles du « Front patriotique rwandais» (FPR ) placé sous l'autorité de M. Paul Kagamé, chef d'état-major de l'armée ougandaise » 15 septembre 1999, note au juge Bruguière de l’inspecteur général Marion, chef de la division nationale antiterroriste.
« Sans posséder d'informations précises et de témoignages, je suis cependant en mesure de dire que cet attentat ne peut être que l'oeuvre du FPR. » Le 26 octobre 1998, interrogatoire de Faustin Twagiramungu par le juge Bruguière
« C'est le FPR infiltré qui nous a tiré dessus » Catherine Mukamusoni, sœur d’Agathe Habyarimana, lettre de plainte le 5 juillet 1994.
« La conviction de Robert Debré rendant le Front patriotique rwandais responsable de l'attentat s'était forgée à la lecture des télégrammes du Quai d'Orsay, des notes de service français (surtout !) et des journaux de l'époque » (cote 65 du dossier Bruguière et lors de son audition devant la « Mission Quilès » le 2 juin 1998 (procès-verbal numéro 144/16))
« La responsabilité du FPR , sans être prouvée, est beaucoup plus vraisemblable (que celle des proches du président Habyarimana ». Note de l'ambassadeur de France au Rwanda Jean-Michel Marlaud, rédigée à Paris le 25 avril 1994
« L'hypothèse d'un attentat organisé par des extrémistes hutu de l'entourage du président Habyarimana qui auraient voulu donner un coup d'arrêt au processus de paix ne semble pas tenir à l'analyse ». Citation d’une « Fiche en possession du ministère de la Défense tendant à démontrer que le FPR avec la complicité de l'Ouganda est responsable de l'attentat ». Direction du Renseignement Militaire français, avril 1994 (document vraisemblablement rédigé par le colonel Bernard Cussac).
« Je récuse totalement que cet attentat ait pu être l'oeuvre des FAR ou de l'entourage du président ou des extrémistes hutus » Audition le 14 juin 2000 de Bernard Cussac, attaché de défense et chef de la mission militaire de coopération au Rwanda de juillet 1991 à avril 1994
« La procureur du TPIR ou tout autre organe désigné par le Conseil de sécurité de l'ONU, doit mener une enquête sur l'assassinat du président Habyarimana et sur la responsabilité du FPR, pour mettre fin aux spéculations inacceptables » Lettre des détenus du TPIR au secrétaire général des Nations unies au sujet de l'enquête sur l'assassinat du président Habyarimana.
« J’exclue toute éventualité d'un coup d'Etat de la part du mouvement hutu extrémiste » Résumé par commissaire principal Philippe Frizon, chef de la division nationale antiterroriste par intérim, de la déposition d'Aloys Ntabakuze le 7 juillet 2000.
« Le responsable sur le terrain des deux postes de tir de missile était ce soir-là le sous-lieutenant Joseph Kayumba, chargé de la section missiles au Front patriotique rwandais ». Déposition en prison d’Hassan Ngeze (directeur du journal extrémiste Kangura, condamné par le TPIR, résumée par le commissaire principal Philippe Frizon, 7 juillet 2000.
« Le lendemain de l'attentat le 7 avril 1994, il avait eu entre midi et 14 heures, un message émanant du Front patriotique rwandais capté à Gisenyi par les Forces armées rwandaises dans lequel Paul Kagamé « félicitait les gens qui avaient réussi le coup de l'attentat contre l'avion présidentiel avec l'apport de leurs amis belges ». Théoneste Bagosora, directeur de cabinet du ministre de la Défense en 1994, déposition résumée par le commissaire principal Philippe Frizon, 7 juillet 2000.
« Le FPR avait mis en place une cellule autonome chargée d'abattre Habyarimana. (...) c'est tout ce que je suis en mesure de vous dire en affirmant la sincérité des informations que j'ai obtenues auprès de Messieurs Seth Sendashonga et Claude Dusaidi. Je cite volontairement mes sources aujourd'hui, car ils sont décédés tous deux ». 4 août 2000, déposition de Stephen Smith, responsable de l'Afrique au quotidien Libération.
« En tout cas, Kagamé et son entourage étaient très fiers de l'avoir descendu ». Paul Barril, interrogé par l’équipe Bruguière le 20 juin 2000
« (Mon) enquête, sur place, de même qu'une centaine de témoignages recueillis au Rwanda, dans plusieurs pays d'Afrique de l'Est et en Europe, fait ressortir, en l'absence de preuves matérielles, comme la plus plausible des différentes hypothèses, une monstrueuse présomption que le Front patriotique rwandais, le mouvement représentant les Tutsi minoritaires du Rwanda, ait pu commettre l'acte entraînant le génocide de ses partisans. » Stephen Smith, Libération, 29 juillet 1994.
« Les missiles utilisés pour l'attentat avaient été transportés à Kigali par Kagamé et l'opération en question était dirigée par le colonel Charles Kayonga, lequel était accompagné de Rosa Kabuye, laquelle était chargée de l'installation des membres du commando ». Christophe Hakizabera, interrogé sur commission rogatoire en Italie à la suite de son rapport « l'ONU dans l'étau des lobbies du FPR » Note envoyée par fax à la Direction nationale antiterroriste le 26 juin 2000
« Si l'on pense que l'attentat ait pu être l'oeuvre des extrémistes, il ne faut pas oublier que le chef de ceux-ci Elie Sagatwa se trouvait dans l'avion présidentiel » Déposition d’Alphonse Higaniro, ami du président Habyarimana devant le commissaire Payebien le 5 octobre 2000.
« Les sources ont toutes confirmé que le network, sous le commandement du général Paul Kagamé avait planifié et exécuté l'attentat à la roquette contre le président Habyarimana.». Dépositions de Michael Hourigan, ancien chargé d’enquête au TPIR.
« Ma conviction personnelle est que le FPR avait très bien préparé son coup. Une infiltration, même de jour, à partir du CND dans la plaine de Masaka était tout à fait réalisable par une équipe aguerrie. » Audition le 22 juin 2001 du colonel Jean-Jacques Maurin, adjoint à l'Attaché défense et adjoint opérationnel conseiller du chef d'état-major de l'armée rwandaise du 24 avril 1992 jusqu'au 14 avril 1994.
« J'avais été chargé de la sécurité extérieure d'une salle de réunion du quartier général de l'APR à Mulindi (...)., j'ai distinctement vu et entendu le colonel Nyamwasa Kayumba prononcer cette phrase : « Qu'il n'y avait pas d'autre façon de faire que de tirer sur son avion » faisant explicitement référence à l'avion du président Habyarimana. » Évariste Mussoni, ex soldat du FPR, interrogatoire par Jean-Louis Bruguière le 29 août 2001.
« J'ai été amené à être le témoin de trois réunions au cours desquelles il a été envisagé puis arrêté la décision d'assassiner le président Juvénal Habyarimana ». Innocent Marana, dit avoir été le chauffeur personnel de Paul Kagamé interrogatoire par Jean-Louis Bruguière le 29 août 2001
« J'ai entendu Paul Kagamé dire à James Kabarebe d'expliquer aux officiers présents le plan retenu pour assassiner le président Habyarimana. James Kabarebe a détaillé qu'il avait déjà sélectionné des hommes de confiance de son unité pour commettre l'attentat. Je n'ai pas entendu clairement en détail ce qui a été dit mais j'ai saisi le mot "missile" ». Déposition d’Innocent Marara réentendu par le lieutenant de police Frédéric Piwowarczyk, le 3 septembre 2002.
« J'ai vu le colonel Nyamwasa Kayumba prendre la parole et dire "qu'il n'y a pas d'autre façon de faire que de tirer sur son avion". C'est la seule fois où j'ai entendu des propos ayant un lien avec l'attentat commis contre l'avion du président Habyarimana le 6 avril 1994. » Évariste Mussoni, ex soldat du FPR, réinterrogé le 4 septembre 2001 avec comme interprète Fabien Singaye.
« (Par le) capitaine Jimmy Mwesige, membre du DMI et ancien membre des services de renseignements ougandais (...), j'ai appris que le matériel ayant servi pour commettre l'attentat était venu du quartier général de Mulindi et que cet armement antiaérien qui servait à la défense du quartier général de Paul Kagamé provenait de l'Ouganda. (...) Il m'a été indiqué que les militaires du commando impliqué dans l'opération faisaient partie d'une unité qui avait été entraînée en Ouganda à l'utilisation du matériel anti aérien. » Audition de Sixbert Musangamfura, ancien responsable du service civil de renseignement du Rwanda, par le juge Bruguière, le 14 juin 2002.
« Anatole Nsengiyumva faisait remarquer que les membres de la "Coalition pour la défense de la république CDR) ou "extrémistes hutus" était des civils et il ne voyait pas ceux-ci utilisant des missiles sol air. » Déposition de Gratien Kabiligi, chef du bureau G3 des Far en 1994, résumée par l’équipe Bruguière, cote 6479
« Ce Network Commando avait également pour mission (...) la reconnaissance de la zone de Masaka, Kanombe, située dans le secteur d'approche de l'aéroport de Kigali pour préparer un attentat contre l'avion présidentiel dans sa phase d'approche. (...) Nous avons rejoint chacun notre emplacement prévu. (...) Sur le terrain, l'avion du président Habyarimana a été identifié aux alentours de 20 h 30. Le premier missile a été tiré par Éric Hakizimana mais a manqué sa cible, l'avion étant toutefois déséquilibré. Franck Nziza a tiré le missile quatre ou cinq secondes plus tard et l'avion a été détruit ». « Lieutenant » Abdul Ruzibiza par Jean-Louis Bruguière 4 juillet 2003.
« En ce qui concerne la participation des FAR à un coup d'Etat contre le président Habyarimana, je l'exclus totalement. (...) J'ai constaté que le colonel Bagosora était perdu, voire isolé et il se demandait ce qu'il fallait faire » Lieutenant-colonel Marcel Bivugabagabo interrogé par Jean-Louis Bruguière, cote 6667.
« Le projet qui m'a été présenté consistait à trouver un site de tir pour abattre l'avion présidentiel avec des missiles. Je précise que j'étais sous-officier et plus exactement sergent et chef d'un groupe de six hommes. Abdul Ruzibiza nous a donné des instructions pour nous répartir en protection sur le site de tir à Masaka. (...) Je n'ai pas vu qui étaient les tireurs et c’est plus tard que j'ai appris qu'il s'agissait du sous-lieutenant Franck Nziza et du caporal Éric Hakizimana. » Audition par Jean-Louis Bruguière de Emmanuel Ruzigana, ex militaire du FDPR, le 29 mars 2004.
« Lizinde a lu le rapport à Kagamé. Après la lecture du rapport, Kagamé a dit à l'adresse des personnes présentes qu'il fallait monter l'opération le jour où arriverait l'avion du président, ajoutant que si on ne passait pas à l'action, la guerre ne s'arrêterait jamais. » Déposition d’Aloys Ruyenzi, ancien militaire du FPR, avec M. Fabien Singaye comme interprète en langue kinyarwanda, en présence de Jean-Louis Bruguière, le 25 mai 2004.
Sélection de citations par Jean-François DUPAQUIER
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Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (6)
Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.
Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le sixième volet :
VI – L’attentat : enquête Bruguière ou instruction Barril ?
Lorsque le Falcon 50 du président Habyarimana est abattu le 6 avril 1994, les journalistes du monde entier n’ont pas le temps d’enquêter ni même de gloser. Car aussitôt commencent le génocide des Tutsis et l’extermination des leaders politiques hutus démocrates. En outre, les « spécialistes du Continent noir » couvrent la campagne électorale qui doit permettre à Nelson Mandela de devenir le premier président noir du pays de l’Apartheid. Et au Rwanda, en dépit de proclamations de principe des deux camps sur la nécessité de mener une enquête sur l’attentat, l’urgence de gagner la guerre civile l’emporte sur toute autre considération.
Y a-t-il quelque chose à cacher ? Les Forces armées rwandaises (FAR) interdisent aux Casques bleus de la MINUAR l’accès à l’épave de l’avion. Un seul homme, privilégié du fait de sa nationalité française et de son rôle auprès des FAR, sera en mesure d’approcher les débris du Falcon, dispersés dans le jardin de la résidence présidentielle.
Un seul investigateur face aux débris du Falcon
Le commandant Grégoire de Saint-Quentin, des troupes de Marine, résidait au camp Kanombe qui jouxte l’aéroport. en qualité d'assistant militaire technique à la mission militaire de coopération au Rwanda, poste qu'il occup depuis le 11 août 1992. Il dépendait du ministère de la coopération et son supérieur hiérarchique était le lieutenant colonel Maurin, également des troupes de Marine. Il était responsable de l'entraînement parachutiste auprès du major Aloïs Ndabakuze, chef des parachutistes commandos de l'armée rwandaise.
C’est de Saint-Quentin qui a donné l'alerte sur le réseau de sécurité de l'ambassade de France, vers 20 h 45. Sa première mission consista, le soir même du 6 avril, à récupérer les restes des trois Français qui composaient l’équipage du Falcon.
On sait aussi que Saint-Quentin a fait un compte rendu dès 21 h 30 sur le crash de l’avion présidentiel au lieutenant-colonel Maurin. Il a été transmis au Centre opérationnel interarmées (COIA).
Récupérer les restes des trois Français de l’équipage
Grégoire de Saint-Quentin, actuellement général, commandant la base française du Sénégal avait donc été autorisé à conduire des investigations qui comportent toujours de larges zones d’ombre. Ce n’est pourtant pas faute d’occasions de s’exprimer : il a été auditionné par la mission d'information parlementaire (« Mission Quilès ») le 26 mai 1998. Il a ensuite fait une première déposition devant le juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière, puis, le 7 décembre 2011 devant le juge Yves Trévidic, qui a succédé à Bruguière Il explique et répète que le 6 avril au soir, il se trouvait à son domicile dans l'enceinte du camp de Kanombe, qui se situe à environ 500 m de la résidence privée du président Habyarimana et à environ 4 km de l'aéroport.
« Vers 20 h 30, j'ai nettement entendu de départ de coups, que je peux assimiler à un départ de lance-roquettes. Deux coups de départ très rapprochés l'un de l'autre, mais pas simultanés. Ensuite très rapidement j'ai entendu une explosion plus importante. Je me suis rendu immédiatement à une fenêtre et j'ai vu une boule de feu dans le ciel en direction de l'Est. »
Trois témoignages identiques sur les tirs de missiles
Ce témoignage est capital. Grégoire de Saint-Quentin reste convaincu que les tireurs se trouvaient au camp Kanombe, un immense terrain militaire dont la partie la plus proche de la résidence des Habyarimana était une sorte de friche servant aux exercices, mais où il aurait été suicidaire au Front patriotique d’introduire un commando, à plus forte raison toute une journée à attendre le retour de l’avion présidentiel.
L’officier français estime que le départ des missiles a eu lieu à moins d’un kilomètre de sa résidence, au milieu du camp. Il n’est pas le seul témoin direct à soutenir cette analyse. Le colonel-médecin Massimo Pasuch, un Belge qui habitait à quelques maisons de Grégoire de Saint-Quentin, fournit un témoignage identique. Il estime que les tireurs se trouvaient tout près, au maximum à 500 mètres. D’autres militaire de la coopération belge installés eux aussi à Kanombe (tout comme le Casque-bleu belge Mathieu Gerlache, qui a été témoin des tirs de missiles), ont confirmé ces dires auprès de l’Auditorat militaire belge, qui a enquêté sur l’attentat dans les semaines suivantes. Le juge français Jean-Louis Bruguière, décidé à démontrer que l’attentat avait été commis par le Front patriotique, a évidemment écarté tous ces témoignages.
Ecarter les témoignages innocentant le Front patriotique
Outre son rôle d’instructeur, Grégoire de Saint-Quentin était, selon certaines sources, un informateur de la DGSE. Ce qui peut expliquer que ce service de renseignement, dans une série de télex confidentiels, affirme que l’attentat contre l’avion du président Habyarimana avait été commis par les extrémistes hutus de son camp. Ce n’est pas l’avis de la Direction du renseignement militaire (DRM) créée par Pierre Joxe en 1992, et qui a toujours soutenu que l’attentat était l’œuvre des hommes de Paul Kagame, le chef de l’Armée patriotique.
Grégoire de Saint-Quentin raconte que, de sa propre initiative, dès le lendemain 7 avril, il a voulu récupérer la boîte noire du Falcon. Et ajoute : « Je n'ai rien trouvé qui aurait pu ressembler à celle-ci. En outre, il aurait fallu de l'outillage important pour accéder à l'intérieur des débris de cet avion. »
Une « initiative » peu convaincante de Saint-Quentin
Sur ce point, de nombreuses questions restent en suspens. Comment Saint-Quentin savait-il que le Falcon, un avion privé, disposait d’une boîte noire, ce qui est très rarement le cas et n’a été confirmé par le juge Bruguière qu’après bien des difficultés (L’appareil était bien muni de deux enregistreurs de vol, comme tout avion de transport. La société Dassault reconnu seulement le 19 juin 2001 que l’avion était équipé d’un cockpit voice recorder - CVR-) ?
Troisième question : comment se fait-il que plusieurs militaires de la Garde présidentielle présents autour de la résidence d’Habyarimana (notamment le sergent major Jean-Marie Vianney Barananiwe, les soldats Grégoire Zigirumugabe et Aloys Tegera, le para-commando Léonard Ntibategera) affirment avoir vu Saint-Quentin revenir à plusieurs reprises, avec précisément du gros matériel mécanique, littéralement dépecer l’épave à la recherche de la boîte noire ? Agathe Habyarimana, veuve de Juvénal Habyarimana, et ses enfants, interviewés le 21 avril 1994 à Paris, prétendent aussi que la « boîte noire » a été trouvée par les militaires français.
Enfin, comment expliquer que cette boîte noire a effectivement disparu après ces recherches prétendument infructueuses ?
Une épave dépecée à la recherche de la « boîte noire »
Une note du département d’État des États-Unis estime cette découverte probable : « The blackbox from the airplane has probably been recovered by Rwandan government offcials who control led the airport when the plane was shot down, or, according to unconfirmed reports, by French military offcials who later secured the airport and removed the body of the french pilot of Habyarimana’s plane after the crash. »
Pourtant ce n’est pas le commandant Grégoire de Saint-Quentin qui tient la vedette concernant l’enquête sur l’attentat. En ce début d’été 1994 à Paris, l’ex-capitaine de gendarmerie Paul Barril fait une entrée tonitruante. Les journalistes et l’opinion publique vont découvrir à cette occasion qu’il joue un rôle important au Rwanda.
Entrée en scène fracassante de Paul Barril
« Rwanda : l'énigme de la " boîte noire" L'enregistreur de vol de l'avion présidentiel abattu le 6 avril à Kigali est entre les mains de l'ex-capitaine Barril ».
Le titre éclate en première page de l'édition du Monde du 28 juin 1994. Fier de ce scoop, Le Monde publie de grandes photographies. On y voit « une petite boîte de métal, à peine plus grosse qu'un livre de poche, rivée à un morceau de tôle ocre et cabossée, que l'on a manifestement arraché à sa carlingue d'origine. Sur la pièce de tôle figurent plusieurs tampons et inscriptions, partiellement effacés. Des séries de chiffres, parfois précédés d'une mention : " F 50 ", comme Falcon 50 ... »
Le quotidien Le Monde mobilisé
On apprend par la même occasion que « l'ex-capitaine Paul Barril, ancien commandant du GIGN (Groupement d'intervention de la gendarmerie nationale), un temps familier de la fameuse "cellule" de gendarmes de l'Elysée (...), affirme s'être emparé de la boîte noire du Falcon 50 abattu à Kigali et la tenir "à la disposition des instances internationales" ». Très fier de son information, l’ex-capitaine l’a déjà commentée et illustrée au journal télévisé de 13 heures de France 2. Il présente triomphalement la « boîte noire » aux téléspectateurs.
Barril aurait montré cet "enregistreur de vol " - selon le terme technique - à un journaliste du Monde [non nommé, mais il s’agit vraisemblablement de Jacques Isnard, qui se garde bien d’apparaître par la suite] dès le jeudi 23 juin, dans les bureaux de sa société, Secrets, avenue de la Grande-Armée à Paris. Mais écoutons les journalistes du Monde Hervé Gattegno et Corine Lesnes qui se partagent quelque peu naïvement ce mirobolant scoop servi sur un plateau :
« L'ancien officier affirme s'être rendu au Rwanda à deux reprises depuis le crash de l'avion présidentiel, courant avril et début mai, dans le but d'enquêter, à la demande de la famille, sur les circonstances de la mort du chef de l'Etat rwandais (...). Confié par la veuve du président, Agathe Habyarimana, réfugiée en France avec ses enfants, un "mandat d'investigations et de recherches" daté du 6 mai fixe le cadre de sa mission : "Conduire toutes les investigations qu'il jugera utiles à la manifestation de la vérité sur l'attentat", en découvrir "les coupables et tout spécialement les commanditaires", mener "toutes les actions nécessaires auprès des assurances". »
Un « mandat d’investigation » d’Agathe Habyarimana
Les deux journalistes expliquent aussi qu’une avocate française, Hélène Clamagirand (qui se trouve être le conseil habituel de Paul Barril dans ses différentes affaires), a été chargée de constituer un dossier afin de déposer "dans les prochaines semaines" une plainte pour assassinat devant la Cour internationale de justice de La Haye."
Fascinés par la prétendue "boîte noire", les deux journalistes fantasment sur son décryptage « qui nécessite un matériel spécifique ». Comme les bandes d'enregistrement de la tour de contrôle de Kigali « qui doivent contenir les dernières conversations entre l'avion présidentiel et le personnel de la tour, le 6 avril. ». Etc.
Le rôle de Me Hélène Clamagirand
L’intervention du capitaine dans les médias vise, du moins l’affirme-t-il « à mettre en évidence l'absence de procédure officielle visant à identifier les auteurs de l'attentat contre le Falcon ». Il dit espérer la saisine d'un juge d'instruction « selon le même processus qu'en 1989, après l'attentat commis contre le DC10 d'UTA au-dessus du désert tchadien, dont le dossier fut confié au juge parisien Jean-Louis Bruguière. »
Se reconnaissant chargée des intérêts de la famille du président rwandais, Me Hélène Clamagirand ne cache pas, qu'elle souhaite voir plusieurs plaintes se joindre à la sienne afin, là encore, de « briser la loi du silence » autour « d'un acte terroriste sans lequel, probablement, la guerre ne ferait pas rage aujourd'hui au Rwanda... ». Pour faire bonne mesure, les journalistes du Monde discréditent les investigations de l'auditorat militaire belge car, prétendent Hervé Gattegno et Corine Lesnes , « il semble que les fonctionnaires bruxellois ne disposent que de faibles moyens, et qu'ils ne se soient jusqu'ici attachés qu'à obtenir des informations sur le milieu des étudiants hutus en Belgique... »
Le juge Bruguière déjà imaginé par Barril
Plus accablant encore pour le Belges selon les deux journalistes, « le 15 avril, une note adressée par le ministère des affaires étrangères du Rwanda à toutes ses missions diplomatiques dans le monde faisait état, elle, de l'arrestation de "trois suspects" issus du "contingent belge", au moment où ceux-ci auraient tenté de "récupérer par la force la "boîte noire" sur l'épave de l'avion "... ».
Derrière des ragots qui semblent colportés par l’ex-gendarme de l’Elysée se dessine déjà une thèse : l’attentat a été commis par le Front patriotique, avec l’aide de Belges.
Changement de ton au Monde dix jours plus tard - dans l'édition du 8 juillet - où la rédaction exprime de façon alambiquée ses regrets : « La " boîte noire " n'était pas la " boîte noire ". A l'inverse de ce que nous avions écrit, l'objet métallique, rivé à un fragment de carlingue d'avion, rapporté du Rwanda et présenté à un journaliste du Monde par l'ex-capitaine Paul Barril (le Monde du 28 juin), n'est pas l'enregistreur de vol du Falcon 50 présidentiel abattu le 6 avril au-dessus de Kigali, à bord duquel ont péri les deux chefs d'Etat du Rwanda et du Burundi, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira. Selon plusieurs spécialistes, la pièce détenue par l'ancien chef du GIGN (groupement d'intervention de la gendarmerie nationale) se rapprocherait d'un instrument électronique de navigation ». Etc.
Le Monde fait machine arrière
Au moins cette fois le journaliste Hervé Gattegno évite-t-il de « servir la soupe » au capitaine Barril en glissant quelques informations qui lui sont moins favorables: « Depuis son départ de la "cellule", en 1983, les relations de l'ex-capitaine avec l'entourage de François Mitterrand ne sont pas au beau fixe. Selon certaines sources, l'intérêt de Paul Barril pour le Rwanda pourrait en revanche s'expliquer par sa rivalité avec un autre ancien de la "cellule", le commissaire Pierre-Yves Gilleron, ancien de la DST lui aussi reconverti dans la sécurité privée, qui fut un temps conseiller personnel du président rwandais... »
Selon le journaliste du Monde, « La présence de ce spécialiste des aventures confuses, sinon douteuses, fut en tout cas fort remarquée lors du dernier sommet de l'OUA (Organisation de l'unité africaine), le 13 juin à Tunis, où l'on parla beaucoup, en coulisses, du Rwanda et du Burundi. Outre l'ancien super-gendarme, la famille du président Habyarimana a, depuis, mandaté un autre spécialiste des affaires africaines réputé encombrant, l'avocat Jacques Vergès, aux côtés de Me Hélène Clamagirand. Me Vergès et sa consoeur sont chargés de déposer devant la justice une plainte pour assassinat afin d'éclaircir les circonstances de l'attentat de Kigali qui, en coûtant la vie à deux chefs d'Etat, à plusieurs dignitaires rwandais et à trois membres d'équipage français, a donné le signal d'une guerre civile en même temps que, selon la Commission des droits de l'homme de l'ONU, d'un "génocide programmé et systématique". »
Le ton a changé du tout au tout, de la part de journalistes furieux de s’être fait rouler.
Des journalistes conscients d’avoir été roulés
Difficile de comprendre, dès cette époque, que Barril ait pu si facilement manipuler la rédaction du « journal de référence ». Un an plus tôt, l’ex-gendarme a été impliqué dans un scandale d’écoutes téléphoniques illégales dont les journalistes du Monde - à commencer par Edwy Plenel, responsable du service des enquêtes - ont été les premières cibles.
Barril n’est pas un inconnu des services de police et de justice en France, et encore moins des journalistes. A peine avait-il été nommé l’un des responsables de la « cellule anti-terroriste de l’Elysée », chargé de la protection (et des basses oeuvres) du président de la République qu’il s’illustre par une de ces opérations de manipulation dont il a le secret. Sous prétexte de démanteler une de ces « cellules terroristes » qui inquiètent fort François Mitterrand, il « bidonne » une perquisition en apportant lui-même les armes et explosifs qui serviront de pièce à conviction contre « les Irlandais de Vincennes ». Pourtant, il ne sera jamais inquiété par la justice, à la différence des autres gendarmes impliqués dans ces arrestations truquées.
Le « bidonnage » des Irlandais de Vincennes
Plus que tout autre média, Le Monde dénoncera « l'ex-capitaine Paul Barril, auteur notoire du montage qui jeta en prison les trois Irlandais faussement accusés de préparer des attentats en France. » Et Le Monde d’expliquer « comment, en 1982, une cellule antiterroriste installée à l'Elysée tenta d'asseoir sa crédibilité par un montage présenté comme un coup d'éclat : l'arrestation de trois militants nationalistes irlandais, coupables sur mesure, dans l'appartement desquels les gendarmes trouvèrent opportunément armes, explosifs et munitions. »
Beaucoup se sont interrogé sur l’impunité dont a bénéficié Paul Barril dans ce scandale d’Etat. « Le capitaine Barril est un « protégé par la justice » et il le restera longtemps pour des raisons obscures », analyse Le Monde. Selon Paul Bouchet, alors président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, pour éviter tout mise en cause qui semblait inévitable, en 1993 Paul Barril aurait fait fuiter des centaines d'écoutes téléphoniques opérées durant des années par la cellule de l'Elysée. Des écoutes illégales, qui visaient des journalistes, des avocats, des hommes politiques et de simples particuliers. Paul Bouchet émet « l'hypothèse selon laquelle M. Barril a tenté une opération de diversion jugée utile à la défense de ses intérêts ». Un contre-feu qui a parfaitement rempli son office !
La méthode du contre-feu
A partir de l’affaire des Irlandais de Vincennes, la « méthode Barril » est bien rôdée : menacer les plus importants personnages de l’Etat de « révélations » sur leur « implication » réelle ou supposée dans des opérations à la limite de la légalité réalisées ou « accompagnées » par le fougueux capitaine. A l’ombre de l’Elysée celui-ci a pris la mesure de la couardise de la classe politique et sa propension à étendre à des gens comme lui un réseau complexe assurant l’impunité.
Dans cet objectif, Paul Barril bénéficie d’un poisson-pilote qui deviendra aussi un grand ami : Marie François Durand de Grossouvre, né le 29 mars 1918 à Vienne et mort le 7 avril 1994 à Paris. Cet industriel qui se situe franchement à droite de l’échiquier politique français a été fasciné par le personnage de François Mitterrand, mais aussi par la fougue de Paul Barril. Ce dernier est à ses yeux, comme lui-même, un « national », un patriote prêt à tout pour défendre l’intérêt supérieur de la France, comme lui un chevalier de l’ombre, un héros méconnu.
Sur un point au moins, Grossouvre se trompe : Paul Barril n’a rien d’un chevalier, mais tout d’un embrouilleur. Ce n’est pas pour rien que ses anciens collègues de la cellule de l’Elysée l’appellent « le roi de l’enfumage ». Il va donner toute sa mesure dans l’instruction de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana . On parlera de « l’enquête Bruguière », mais le flamboyant juge n’est finalement qu’un rouage plutôt terne à côté de Paul Barril, tireur de ficelles d’une procédure judiciaire qui figurera un jour dans les programmes de l’Ecole supérieure de la magistrature au chapitre « les erreurs à ne pas commettre ».
Jean-François DUPAQUIER
(à suivre)
Voir aussi les informations de Jacques Morel :
http://jacques.morel67.free.fr/BoiteNoireFalcon.pdf
Prochain article : Paul Barril, le roi de l’enfumage
Illustration : les restes du Falcon 50 photographiés en 1995, un an après l'attentat. Le mur de la résidence présidentielle avait été reconstruit… Photo (c) Droits réservés - www.afrikarabia.com
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09 janvier 2012
Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (5)
Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.
Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le cinquième volet :
V - 6 avril 1994, heure par heure
Pour le président Juvénal Habyarimana et son staff, ça n’avait pas été une mince affaire d’obtenir pour le 6 avril, dans l’urgence, une réunion des chefs d’Etat de la région, compte tenu de l’agenda de chacun et des problèmes de protocole. Mal entretenu, le Falcon 50 de Cyprien Ntayiramira, le jeune président du Burundi, était en panne. Pour le convaincre de venir, Habyarimana avait promis de lui envoyer son propre avion le matin du 6 avril, de bonne heure. Il le déposerait à Dar-es-Salaam avant de revenir à Kigali. Et comme l’autre hésitait, le président rwandais avait prétendu que l’ordre du jour portait conjointement sur les problèmes du Burundi et du Rwanda. A cet effet, Habyarimana avait fait rédiger un ordre du jour ambigu.
Un ordre du jour ambigu à dessein
Heureusement, l’équipage français ne s’était pas insurgé contre ce surplus de travail : Kigali-Bujumbura-Dar-es-Salaam-Kigali-Dar-es-Salaam. Pas loin de 3800 kilomètres dans la matinée avec quatre atterrissages. Le copilote Jean-Pierre Minaberry, le plus stressé, avait posé comme seule condition que le retour sur Kigali se fasse avant 18 heures – la tombée de la nuit. Habyarimana l’avait rassuré.
Un mois plus tôt, le 3 mars 1994, le copilote français confiait ses inquiétudes à Madame Epin, sa correspondante à la SATIF - la filiale de la DGSE qui l’employait. Après des considérations plutôt niaises sur la situation politique dans la région, il concluait : « Ils veulent tout ! ! [NDLR / le FPR.] Nous savons qu'ils ont des missiles et nous étudions les départs à basse altitude (comme à l'armée) et des arrivées soit à basse altitude ou à très haute altitude. Bref nous ne sommes pas tranquilles. »
Jean-Pierre Minaberry ne faisait que répéter ce que lui disait le colonel Sagatwa, un extrémiste hutu avéré, dont il appliquait les instructions.
Le copilote français : « Nous ne sommes pas tranquilles »
A présent qu’il se méfiait de tout le monde, le président Juvénal Habyarimana ne voulait pas laisser à Kigali qui que ce soit susceptible de fomenter un coup d’Etat. Pour la première fois, il avait donc ordonné au général major Déogratias Nsabimana, chef d'Etat-major de l’armée rwandaise, de l’accompagner. La présence à bord du colonel Elie Sagatwa, son secrétaire particulier et l’un des principaux leaders extrémistes, contribuait aussi à le rassurer. D’une certaine façon, il avait placé à ses côtés des personnalités qui seraient les otages de sa sécurité.,
Habyarimana était très à cheval sur le protocole. Son propre déplacement posait bien des problèmes car il exigeait, même pour quelques heures, la présence d’une forte équipe. A commencer par un détachement de sa propre garde présidentielle pour lui rendre les honneurs à son arrivée comme au retour. Le Nord-Atlas des Forces armées rwandaises, un avion très lent au faible rayon d’action qui servait habituellement au largage de parachutistes, a dû partir le matin du 6 avril vers 4 heures avec un peloton de la GP. Il lui fallait un ravitaillement en carburant à mi-chemin. Il n’est arrivé à Dar-es-Salaam que vers 11 heures, après le président.
Trois avions pour un déplacement présidentiel
D’autres collaborateurs du président se sont entassés dans l’unique Twin Otter d’Air Rwanda. Comme Ermenegilde Bizige, qui était directeur général au ministère des affaires étrangères et servait d’interprète avec les anglophones.
Le Twin Otter, un appareil à turbo propulseur relativement lent, transportait également le ministre de l'intérieur, le ministre des affaires étrangères, le professeur Runyinya Barabwiliza, conseiller à la présidence pour les relations extérieures et la coopération, Justin Munyemana, conseiller à la présidence pour les affaires juridiques, Jean-Marie Mwulirwenanade, conseiller pour l'information, Jean-Baptiste Kalisa, chef du service des affaires extérieures du premier ministre, et plusieurs journalistes de la radio et de la télévision du Rwanda. Les passagers du Twin Otter sont partis la veille et ont tous logés à l'hôtel Kilimandjaro où devait se tenir la réunion.
Une foule d’accompagnateurs
Habyarimana est accueilli à sa descente d’avion par le facilitateur du processus d’Arusha, le président tanzanien Ali Hassan Mwinyi.
Nord-Atlas, Tween Otter, Falcon 50… le management de cette mini escadrille n’avait pas permis à Habyarimana d’arriver à l’heure à Dar-es-Salaam, mais au moins n’était-il pas le dernier : on attendait Joseph Désiré Mobutu. Evidemment, lorsqu’on est président, on ne tue pas le temps pas comme le commun des mortels, les bras ballants devant le panneau d’information de l’aéroport. La salle du sommet des chefs d’Etat se trouvant à l’hôtel Kilimandjaro, c'est dans les plus belles suites de cet établissement que les présidents ont attendu qu'un membre du protocole vienne les chercher pour les conduire à la réunion. « Je me souviens que le président Habyarimana s'était impatienté, car de temps à autre, il ouvrait sa porte pour demander ce qui se passait, raconte Ermenegilde Bizige. Ce n'est que vers midi environ que la réunion a commencé et c'est là que j'ai constaté l'absence du président Mobutu. »
Mobutu fait faux bond
Le président Museveni avait pris son mal en patience en se faisant livrer de bonnes bouteilles d’alcool, trinquant familièrement avec ses collaborateurs et échangeant avec eux des blagues comme d’habitude. Habyarimana, lui, stupéfait par la défection et la mufflerie de Mobutu, cachait difficilement son angoisse. A midi, il était pratiquement KO debout lorsqu’il s’assit à la table des négociations et subir les remontrances des autres participants.
Comme le relata plus tard un observateur, le démarrage de la réunion a été laborieux. Il a fallu tout d'abord enlever les sièges et les emblèmes du Zaïre qui se trouvaient sur la table de conférence et alors que la réunion venait de commencer, il y a eu une panne technique dans les cabines des interprètes de telle sorte que les traductions simultanées ont été interrompues entre 15 et 20 minutes.
Série de contretemps
Des années plus tard, le juge Jean-Louis Bruguière et d’autres lancèrent l’idée que le président Museveni aurait fait traîner les débats pour obliger le président Habyarimana à rentrer de nuit à Kigali, afin de faciliter l’attentat. Une belle fable à la mesure de la volonté de diabolisation du chef de l’Etat ougandais et de ses « complices » tutsis.
La réalité est tellement banale qu’il faut la raconter. Rendu passablement pompette par ses libations, le président Museveni se crut obligé de communiquer au président Mwinyi le résultat de ses cogitations du matin sur le « problème Hutu-Tutsi » de son voisin Habyarimana. Cette histoire « tribale » était un sujet à la fois de perplexité et de moquerie des chefs d’Etat voisins, car ils ne comprenaient toujours pas en quoi les Hutus et les Tutsis pouvaient former des tribus (?) antagonistes, alors qu’ils parlaient la même langue, avaient exactement la même culture et la même religion, et sur ce point, se comportant aussi bien les uns que les autres comme des grenouilles de bénitier.
Museveni légèrement alcoolisé
Euphorique, Museveni se rengorgea sur la cohabitation paisible des tribus d’Ouganda, évidemment due à sa bonne gouvernance. Vexé, le président de Tanzanie répliqua sur la façon dont les populations pouvaient cohabiter. Selon l’interprète Ermenegilde Bizige, « chacun défendait sa théorie, l'un disant que la meilleure façon de régler le problème était en quelque sorte de « coudre les deux morceaux de tissu » et l'autre faisant référence « à la broderie » ou « au tricotage ». Et Bizige ajoute : Ce qui m'a paru étrange, c'est qu’à ce stade les autres participants ne sont pas intervenus dans ce dialogue ».
Habitué à considérer avec un immense respect les chefs d’Etat, l’interprète évite de mettre en cause des contingences trop humaines. Les autres participants étaient tout simplement consternés par la tournure du débat, attendant que Museveni se calme et qu’on passe aux choses sérieuses.
Des chefs d’Etat consternés
Interpellé sur les Accords d’Arusha, le président Habyarimana fut forcé de reconnaître que les tergiversations n’avaient que trop duré. Il promit que la mise en place du Parlement et du gouvernement de transition aurait lieu dès le surlendemain 8 avril. Chacun avait préparé un petit discours et c'est ainsi que toutes les délégations ont pu s'exprimer. Cette réunion a pris fin vers 17 heures. Il était déjà trop tard pour espérer rentrer à Kigali avant la nuit.
Comme à chaque sommet de chef d’Etat, un communiqué devait être rédigé en français et en anglais, ce qui nécessitait un certain délai. Pour meubler cette attente, le président tanzanien a invité tous les participants à une collation dans l'hôtel. Ce contribuait encore à différer le départ de la délégation rwandaise.
Une collation avant le départ
D'après le protocole, le président Habyarimana, qui était le doyen d'âge, devait partir le premier. Il est arrivé à l'aéroport peu avant 19 heures, heure de Tanzanie, soit 18 heures à Kigali. Il faisait nuit noire. Les services du protocole tanzanien n'avaient pas informé l'équipage de l'heure du départ du président, aussi le Falcon 50 se trouvait sur un parking. Le pilote a tenté d’expliquer au président Habyarimana qu’il vaudrait mieux repartir le lendemain, mais il a été vite rembarré, d’un ton sans réplique. Et toujours le fichu protocole : il a fallu préparer l'avion et l’amener de son aire de stationnement jusque devant le salon d'honneur. Impeccable, la GP rwandaise s’est mise au garde-à-vous.
Le président Habyarimana avait proposé au président du Burundi de l’emmener avec lui, afin de le faire déposer à Bujumbura après l’escale de Kigali. Dans le Falcon 50 ont donc pris place le Président Juvénal Habyarimana Juvénal, le général major Déogratias Nsabimana, chef d'Etat-major de l’armée rwandaise, l'ambassadeur Juvénal Renzaho, conseiller à la présidence, le colonel Elie Sagatwa, secrétaire particulier du président, le docteur Emmanuel Akingeneye, médecin du président, le major Thaddée Bagaragaza, officier d'ordonnance.
Coté burundais, le président Cyprien Ntaryamira est accompagné des ministres Bernard Ciza et Cyriaque Simbizi. Même les strapontins sont occupés.
Un Falcon 50 archi-plein
L'équipage est composé du major Jacky Héraud, pilote, du colonel Jean-Pierre Minaberry copilote et de l’adjudant-chef Jean Marie Perrine.
Au terme d’une enquête très détaillée, la “Commission Mutsinzi” relève un élément troublant : « Alors que le président Habyarimana est déjà à bord, il remarqua l’absence dans l’avion du chef d’état-major de l’armée, le général Nsabimana, qui était resté sur le tarmac avec le Dr Akingeneye, ne voulant pas embarquer. Le président Habyarimana ressortit aussitôt de l’appareil et leur intima immédiatement l’ordre de monter dans l’avion avec lui. »
Le Cpl Senkeri, témoin direct de la scène explique : « D’ordinaire, quand nous voyagions avec le Président, il entrait dans l’avion en dernier lieu, et c’est comme cela que ça s’est passé quand nous étions à Dar-es-Salam. Lorsqu’il est arrivé dans l’avion, il a constaté que le général Nsabimana et le Dr Akingeneye manquaient. Ces derniers se cachaient près de l’une des ailes de l’avion. Le président Habyarimana est sorti de l’avion, ce qui n’arrivait jamais, et a dit à haute voix : ‘Où est Akingeneye ?’ Celui-ci s’est manifesté. ‘Où est Nsabimana ?’ Il s’est également manifesté. Puis, il leur a demandé : ‘Pourquoi vous n’entrez pas dans l’avion ?’ Ils ont répondu qu’ils croyaient qu’il n’y avait plus de places parce qu’on y avait mis des Burundais. Le président Habyarimana leur a alors dit : ‘Entrez vite et on y va’. Ils sont entrés et l’avion a décollé ».
Justin Munyemana, interprète, interrogé le 9 novembre 2000 à la direction centrale de la police judiciaire française dans le cadre de « l’enquête Bruguière », a confirmé que l'avion présidentiel a décollé à 18 h 30 - heure de Kigali.
Exactement deux heures plus tard, à 4 km de la tour de contrôle de Kigali, le Falcon était touché par deux missiles et explosait en vol. Cet attentat allait servir de signal déclencheur du génocide des Tutsis et du massacre des Hutus démocrates. Mais qui l’avait commis ?
Jean-François DUPAQUIER
(A suivre)
Prochain article :
Enquête Bruguière ou enquête Barril ?
Illustration : Le président Habyarimana au milieu de ses soldats
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09:39 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (0)