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08 janvier 2012

Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (4)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le quatrième volet :

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IV – La trahison de Mobutu Sese Seko
 
Depuis quelques jours, le président Juvénal Habyarimana savait qu’il devait plonger. Il avait tenu écartées les mâchoires des Accords d’Arusha comme un homme, qui, à moitié avalé par un crocodile, trouve une énergie désespérée pour empêcher sa gueule de se refermer. Le week-end de Pâques serait l’occasion de sonder les cœurs et de réfléchir. Il le passerait en famille dans sa belle maison lacustre de Butotori, à côté de Gisenyi. Agathe serait sûrement heureuse de faire ses dévotions dans sa commune d’origine. Les enfants viendraient. Et ce serait l’occasion de consulter des amis ou des obligés.
 
Gisenyi : le dernier week-end en famille
 
Lorsque le juge Bruguière l’a interrogée le 28 septembre 2000, l’une de ses filles Jeanne Habyarimana, alors 18 ans, s’est parfaitement souvenue de ce week end pascal d’avril 1994.
Les samedi 2, dimanche 3 et lundi 4 avril elle se trouvait à la résidence familiale avec son frère Jean-Luc et son mari Alphonse. Ce fut un défilé de visiteurs importants accompagnés de leurs épouses. Le président s’était mis en frais pour Pasteur Musabe, directeur de Banque africaine continentale du Rwanda (BACAR), dernier frère du colonel Théoneste Bagosora et un des financiers de la RTLM.  Juvénal Habyarimana voulait sans doute tester sur cet extrémiste notoire comment réagirait l’inquiétant colonel dans la perspective de mise en place d’un gouvernement de transition.
 
Ensuite, ils sont allés déjeuner dans la luxueuse villa d’un ami, Alphonse Higaniro, ex-ministre, prospère directeur d’une usine d’allumettes. Originaire du village d’Agathe Habyarimana, ce pur OTP avait aussi épousé la fille d’Emmanuel Akingeye, le docteur personnel du président.
Jacques-Roger Booh-Booh envoyé spécial du SG de l’ONU, était invité. Habyarimana comptait sur ce dernier pour impressionner les autres convives : n’était-il pas l’œil de New York ? N’allait-il pas confirmer l’exaspération du Secrétaire général devant les tergiversations ? Mais incapable de comprendre ce qu’on attendait de lui,  Booh-Booh s’était comporté comme un courtisan en flattant Habyarimana. Il lui avait répété qu’il devrait se méfier de missiles que, paraît-il, le Front patriotique stockait non loin de l’aéroport, pour abattre son avion.
 
Jacques-Roger Booh-Booh en rôle de courtisan
 
Jeanne Habyarimana a une excellente mémoire : « Au cours de la conversation, alors que celle-ci portait sur la sécurité qui régnait au Rwanda, j'ai entendu M. Roger Booh-Booh dire à notre père justement à ce sujet qu'il revenait de Mulindi, du quartier général du Front patriotique rwandais où il avait rencontré Paul Kagamé. Celui-ci lui avait alors dit "qu'il ferait tout pour devenir le roi de ce pays". M. Roger Booh-Booh mettait notre père en garde contre les propos tenus par Paul Kagamé, qu'il fallait faire très attention à sa sécurité et il lui avait conseillé de renforcer celle-ci, car en ce moment-là il craignait que quelque chose ne se produise contre notre père ».
 
Autant de ragots dispensés par les durs du régime et colportés par la RTLM. Radio-Machette annonçait même « une petite chose » pour les jours à venir.  Habyarimana était agacé par la répétition de la rumeur des missiles, que les uns et les autres lui serinaient à longueur de journée en croyant se mettre en valeur. Le président n’ignorait pas que tout avait commencé en janvier par un faux communiqué du Front patriotique où les rebelles étaient supposés s’excuser auprès de leurs sympathisants de n’avoir pas encore abattu l’avion. C’était grossier.

Un faux communiqué revendiquant l’attentat… trois mois avant
 
Les ragots éventés de Booh-Booh avaient plutôt gâché le déjeuner.  Et singulièrement desservi Habyarimana auprès du convive dont il attendait le soutien : Joseph Nzirorera, secrétaire général du Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement - le MRND. Après avoir tourné autour du pot  Juvénal fit comprendre à Nzirorera qu’il ne voyait plus comment différer l’application des Accords d’Arusha. L’autre le regarda dans les yeux et articula : « On ne vous laissera pas faire, Monsieur le président ! ». D’après un autre convive, il aurait plutôt dit « on ne se laissera pas faire… ». Qu’importe la nuance, c’était une véritable gifle. Le président ravala son humiliation et parla d’autre chose. Survivre politiquement à l’application de l’accord de paix nécessitait de sauver la face. Par quel biais ?.
 
Lâché par les siens, Juvénal Habyarimana ne pouvait plus compter que sur les amis de l’étranger. Le plus important, François Mitterrand, était désormais hors course, empêtré dans la cohabitation et le cancer. Le nouveau président du Burundi était un admirateur inconditionnel, mais n’avait guère de poids diplomatique. Restait le  n°1 zaïrois.

Le dernier ami : Mobutu
 
Depuis l'ouverture des négociations avec le FPR en octobre 1990, le président Mobutu Sese Seko s'était révélé le meilleur allié du président Habyarimana. Dès la déclaration de Dar ès Salam du 19 février 1991, il avait obtenu un mandat général de facilitateur dans le dialogue avec la rébellion. Ensuite, il avait toujours répondu présent. Juvénal Habyarimana décida d’aller le voir au plus vite. A 1 200 kilomètres, ce n’était pas un problème pour l’équipage français de son Falcon 50. Joint au téléphone, Mobutu donna son accord.
 
Dans une dépositions le 5 octobre 2000, Alphonse Higaniro confirme cet agenda : « Je savais qu'il a quitté Gisenyi le lundi par la route en compagnie de M. Joseph Nzirorera pour Kigali.(...) il avait annoncé clairement le dimanche qu'il se rendrait le lundi à Gbadolite pour y rencontrer le président Mobutu. »
Agathe Kanziga, veuve Habyarimana ne dit pas autre chose : « Nous avions passé le week-end de Pâques à Gisenyi où nous avions une résidence privée. Il m'a simplement dit qu'il partait le 4 avril à Gbadolite. Je me souviens avoir entendu mon mari dire également "de toute façon, même si le Front patriotique rwandais ne vient pas, j'irai vendredi effectuer la prestation de serment pour mettre en place le gouvernement de transition, car cette situation ne peut plus durer". »
 
« Cette situation ne peut plus durer »
 
Françoise Jusserand, veuve du pilote du Falcon 50 Jacky Héraud, confirme que le 4 avril son mari « est parti vers 4 h 30 de la maison pour décoller vers six heures pour conduire le président à Gbadolite où il avait rendez-vous avec le président Mobutu. »
 
Dans ses témoignages, Jacques-Roger Booh Booh décrit un président rwandais isolé, au bout du rouleau. Honoré Ngbanda Nzambo Atumba qui était conseiller spécial du maréchal Mobutu après avoir été responsable des services de sécurité et du renseignement du Zaïre (de 1985 à 1990), puis ministre de la Défense nationale (de 1990 à 1992), assure avoir assisté à la dernière entrevue entre les deux présidents le 4 avril 1994 à Gbadolite. Il décrit Habyarimana « excédé », « scandalisé », « révolté », « en colère » contre les Belges et les Américains qu’ils voyaient derrière « un imminent projet de son assassinat ».
 
Habyarimana est intarissable, presque pathétique. Mobutu le rassure, promet de participer le lendemain à une nouvelle réunion des chefs d’Etat de la région pour réexaminer la situation. Habyarimana repart rasséréné.
 
Habyarimana rasséréné
 
Dans son livre « les derniers jours de Mobutu » (Ed. Gideppe), Honoré Ngbanda explique que Mobutu était plus que circonspect, craignant de voir son propre avion pris pour cible. Il hésite à se rendre à Arusha le lendemain 5 avril, comme demandé. En Tanzanie, les services du protocole ne sont pas prêts à organiser dans l’urgence la venue d’une brochette de chefs d’Etat. Ils arguent que le centre de conférence ne sera pas disponible. Des échanges entre les directeurs de cabinet, ressort un autre agenda : Dar-es-Salaam,  le 6 avril. Mobutu promet à Habyarimana de venir, décidé à ne pas tenir parole.
 
Selon Honoré Ngbanda, « Par notre ambassadeur en poste (…), nous avions appris le 5 avril 1994 que la réunion initialement prévue le 5 avril à Arusha, été reporté le 6 avril à Dar-es-Salaam, sans que la raison n'ait été donnée. De plus lorsque cette décision a été portée à notre connaissance, nous avions déjà décidé de ne pas y aller suite à la visite qu’avait fait le président Habyarimana le 3 avril 1994 au président Mobutu ».
 
Mobutu décidé à ne pas se déplacer
 
Habyarimana ne sait pas encore que le président Mobutu l’a lâché, semble-t-il sur le conseil de « spécialistes en sécurité » qui lui confirment que la menace d’attentat doit être prise très au sérieux. Mais il ne se donne même pas la peine de téléphoner à Habyarimana pour lui dire d’annuler ce trajet à hauts risques. Ni lui annoncer qu’il ne viendra pas…
 
Le 6 avril, ignorant la trahison de celui qu’il considère comme son plus fidèle allié, le président rwandais va boire la coupe jusqu’à la lie.
 
Jean-François DUPAQUIER
(à suivre)
 
Prochain article : le 6 avril heure par heure.
 
Illustration : Mobutu Sese Seko et Juvénal Habyarimana. Photo © Droits réservés - www.afrikarabia.com

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06 janvier 2012

Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (3)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui, voici le troisième volet :


Paul VI.JPG 

III - 6 avril 1994, chronologie d’une journée tragique
 
A l’approche de Kigali, le président de Burundi Cyprien Ntayiramira disait quelque chose à Juvénal Habyarimana. Du genre : « Votre avion est parfait. Je ne vous remercierai jamais d’avoir demandé à l’équipage de me ramener à Bujumbura dès ce soir ». Mais le président du Rwanda écoutait à peine. Habyarimana essayait de trouver des souvenirs qui le distrairaient de la corvée d’Arusha et des problèmes des Burundais. Se souvenir par exemple sa visite au pape Paul VI, à Rome, avec Agathe. Un des meilleurs moments du couple. C’était peu après sa prise du pouvoir de juillet 1973. Ils étaient encore jeunes et les aînés de leurs enfants, des bébés. L’avenir semblait radieux et la visite du Vatican, une merveille. Agathe était pâmée d’admiration devant le pape et son mari se demandait si elle n’allait pas défaillir.
 
6 avril 1994, 20 h 15. Comme souvent, Cyprien Ntayiramira demanda un conseil, ce qui tira Habyarimana de son songe fugace. Il se dit que les soucis de son homologue étaient minuscules à côté des siens. Certaines dispositions de l'accord d'Arusha l’inquiétaient particulièrement. Ainsi le « protocole additionnel relatif à l'État de droit » qui ouvrait la perspective de sa comparution devant une Haute cour de justice s'il perdait le pouvoir. « Personne, y compris les autorités, ne peut se placer au-dessus de la loi », édictait le premier protocole signé le 18 août 1992, repris dans des termes identiques par la suite. L'accord prévoyait notamment l'installation d'une Cour suprême totalement indépendante du pouvoir. Apte, le cas échéant, « à juger au pénal le président de la République ». C’était de très mauvais augure.
 
Comparution devant une Haute cour de justice ?
 
Le dernier article du protocole additionnel stipulait que « de façon urgente et prioritaire, le gouvernement de transition à base élargie écartera de l'administration territoriale les éléments incompétents ainsi que les autorités qui ont trempés dans les troubles sociaux ou pour les actions constituant un obstacle au processus démocratique et à la réconciliation nationale » (article 46).
Une annexe au protocole d'accord prévoyait en son article le 11 que, « en cas de violation de la loi fondamentale par le président de la République, la mise en accusation est décidée par l'assemblée nationale de transition, statuant à la majorité des deux tiers des membres présents et au scrutin secret. »
 
Depuis le 30 octobre 1992, date où cet accord avait été cosigné, Habyarimana était hanté par la perspective de se retrouver un jour traîné en justice pour les crimes de masse qu’il avait laissé commettre. Sans doute l'assemblée de transition ne pouvait-t-elle de faire mettre en accusation qu'à la majorité qualifiée des deux tiers. Mais dans cette assemblée de 70 membres, l’ex-parti unique MRND ne disposerait que de 11 sièges. Et même dans la perspective – hautement probable - d'acheter la voix de quelques indécis, Habyarimana ne nourrissait guère d'espoir d'empêcher un vote à la majorité qualifiée pour l’envoyer devant les juges.
 
L’ex-parti unique MRND à la portion congrue
 
Dans un communiqué commun lourd de menaces publié à Dar-es-Salaam le 7 mars 1993, les représentants du gouvernement rwandais et ceux du Front patriotique en avaient remis une couche concernant « des poursuites judiciaires, des renvois et les suspensions (...) de tous les fonctionnaires de l'État impliqué directement ou indirectement dans les massacres, ou qui ont failli alors de voir d'empêcher que les massacres ou autres actes de violence soient perpétrés dans les communes ».
 
Au moins Juvénal Habyarimana pouvait-il compter sur l’ambassadeur de France. En poste au Rwanda depuis mai 1993, Jean-Michel Marlaud n’avait pas tardé à épouser les vues du président Habyarimana sur les accords de paix d’Arusha. Lui aussi était persuadé qu'une des premières décisions de l'assemblée de transition serait la mise en accusation du chef de l'État. Il plaidait donc auprès de ses collègues la modification de la composition de l'assemblée, en y intégrant des représentants de la Coalition pour la défense de la république (CDR), qui représentait l'aile officieuse et extrémiste de la mouvance présidentielle. Ainsi la perspective d'une majorité qualifiée pour juger le président s'éloignerait-elle.
Marlaud était également un opposant résolu à la recomposition des Forces armées rwandaises où les militaires du Front patriotique seraient massivement incorporés pour atteindre 40 % des effectifs.

 L’appui inconditionnel de l’ambassadeur de France
 
« C’est dans l’épreuve qu’on reconnaît ses véritables amis », avait titré le magazine extrémiste Kangura sous la photographie pleine page du président français. Message reçu : l’ambassadeur de France ne cachait pas sa répugnance profonde pour l’article d’Arusha prévoyant que dans la chaîne de commandement, depuis l'état-major de l'armée jusqu'au niveau du bataillon, le Front patriotique obtiendrait pire encore : 50% des postes de responsabilité conformément à un principe d'alternance. Bernard Debré, ministre français de la Coopération, était également indigné d’une règle de partage du pouvoir qu’il jugeait disproportionnée en faveur des Tutsis. Logique puisque pour lui, FPR égalait Tutsis.
 
Alors que le gouvernement français était supposé patronner le traité de paix qui légitimait à posteriori sa longue intervention armée au Rwanda, son représentant à Kigali en était venu à partager les vues des extrémistes hutu et conseillait au président de freiner l'application de l'Accord. Le paradoxe n’était qu’apparent :  l’ambassadeur de France trouvait encore plus extrémistes à l'Élysée. Le général Christian Quesnot chef d'état-major particulier du président Mitterrand se mettait dans une rage quasi hystérique lorsqu’on évoquait devant lui cet accord d’Arusha et éructait contre les Tutsi.
 
Un extrémiste anti-tutsi à l’Elysée
 
Capture d’écran 2012-01-06 à 22.32.53.png« Le FPR est le parti le plus fasciste que j’aie rencontré en Afrique. Il peut être assimilé à des Khmers noirs », avait dit Quesnot à une jeune femme qui l’interviewait. Incapable de maîtriser la virulence de son expression contre les « Khmers noirs », ce chef d’était major très particulier inquiétait jusqu’au secrétaire général de l'Élysée Hubert Védrine qui partageait ses sentiments mais tenait à conserver une allure policée. Ce dernier avait conseillé au président de la République de maintenir son chef d'état-major militaire soigneusement à l'écart des journalistes français ou étrangers chaque fois qu’il serait question du Rwanda. A l’Elysée et dans les allées du pouvoir - désormais en « cohabitation » -, de François Mitterrand à Bernard Debré, de Christian Quesnot à Michel Aurillac (et à son associé Robert Bourgi du « Club 89 »), de François de Grossouvre à Paul Barril, la haine des Tutsis était la conviction la mieux partagée… et pour au moins l’un d’entre eux, la mieux dédommagée.
 
« Le FPR est le parti le plus fasciste que j’aie rencontré en Afrique »
 
Juvénal Habyarimana savait cependant que ces amis ne lui seraient d’aucun secours pour affronter la tempête politique prévisible ce mardi 6 avril au soir. Maintenant qu’il avait donné des instructions à Enoch Ruhigira son directeur de cabinet de se préparer à la mise en place des institutions de transition le 8 avril, que pourrait-il dire au bouillant colonel Théoneste Bagosora, qui se retrouverait d’office à la retraite ?
 
Pire encore, comment faire accepter au milliardaire Félicien Kabuga, le beau-père de sa fille, et à ses amis jusqu’auboutistes, la fermeture de la coûteuse Radio-Télévision libre des Mille collines (RTLM, surnommée plus tard « Radio-Machette), lancée depuis neuf mois seulement et déjà si populaire ? Et comment justifier de ne pas pouvoir passer outre au refus définitif du FPR de faire entrer des membres de la CDR dans le Parlement de transition ?
Quid de la démobilisation à brève échéance des deux-tiers des militaires et gradés hutus, une mesure qui atteindrait tout particulièrement les natifs de sa région, car les moins  diplômés, ayant été recrutés par pur clientélisme ?
 
La fermeture prévisible de Radio-Machette
 
On aavait même menacé d’enlever deux des enfants du président : Jean-Luc et Marie-Rose. Selon Jean-Luc, « cet enlèvement avait pour but d'effectuer une pression sur notre père pour qu'il démissionne de ses fonctions. Cette idée d'enlèvement avait fait son chemin depuis plusieurs mois déjà ».
Ce genre de menace, qui suscitait chez le président Habyarimana un  profond sentiment de dégoût, ne venait évidemment pas du FPR.
 
Jamais la perspective d’un coup d’Etat des extrémistes hutus n’avait été aussi prévisible, aussi proche. Au point de reléguer au second plan toute autre menace. Habyarimana avait balayé d’un revers de main les protestations de son pilote français, Jacky Héraud, et du co-pilote Jean-Pierre Minaberry, sur le tarmac de Dar-es-Salaam : Oui Messieurs, il faudrait rentrer à la nuit, ça ne se discutait pas.
Les deux Français, ainsi que le mécanicien Jean-Michel Perrine étaient bouleversés par les rumeurs d’un attentat au missile contre le Falcon 50 par le Front patriotique. Un rumeur dont ils n’avaient pas compris qu’elle était colportée depuis janvier par les extrémistes hutus.
 
Les menaces des extrémistes hutus
 
En 2001, le juge Jean-Louis Bruguière a recueilli le témoignage de Mme Brigitte Demenieux, veuve Minaberry : « Le 5 avril 1994 au cours de l'après-midi le couple Héraud ainsi que Jean-Michel Perrine se sont retrouvés à notre domicile. Je crois que c'est lors de cette réunion que Jacky Héraud a annoncé le voyage à Dar-es-Salaam pour le 6 avril 1994. Suite à cette annonce, le couple Héraud a eu une altercation concernant cette mission. Je me souviens que Françoise Héraud a dit à son mari :  "Ils vont finir par vous avoir", ce à quoi il lui a répondu de se taire.
Sachant ce que mon mari m'avait dit au sujet de la présence de missiles à Kigali entre les mains du FPR ainsi que de la recherche d'une procédure d'atterrissage en cas d'urgence, je partageais l'inquiétude de Françoise Héraud. »
 
Malgré l’heure tardive, Juvénal Habyarimana avait refusé la proposition de passer la nuit à Dar-es-Salaam. De toute évidence, il pensait que s’il ne rentrait pas d’urgence à Kigali, il se ferait renverser, voire tuer par les ultras de son camp.
 
Jean-François DUPAQUIER
(A suivre)
 
Prochain article :
La trahison du président Mobutu
 
Illustrations :
 
- Agathe Habyarimana en extase devant le pape Paul VI - Photo (c) Droits réservé - www.afrikarabia.com
 
- Un note manuscrite d’Hubert Védrine au président Mitterrand, pour déconseiller que le général Quesnot soit mis en mesure de rencontrer des journalistes… A télécharger ICI.

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Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (2)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le second volet :

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II. Une batterie de missiles : les Accords d’Arusha
 
Le Falcon présidentiel approchait de l’aéroport de Kigali et le commandant n’allait pas tarder à demander de boucler sa ceinture, tout en sachant que le président de la République, qu’il savait depuis peu sujet à des crises d’anxiété, n’en ferait qu’à sa tête. Ces derniers temps, Habyarimana ne pouvait plus se défaire de sa peur. Son visage gonflé et sa démarche alourdie témoignaient d’une certaine addiction à l’alcool, peut-être aussi à des antidépresseurs prescrits par son médecin personnel, le docteur Akingénéyé.
Depuis longtemps ça n’allait plus, au physique comme au moral. Dans un conseil restreint tenu à l’Elysée le 3 mars 1993, le ministre de la Coopération Marcel Debarge, qui rentrait du Rwanda, observait : « Le président Habyarimana est désorienté et à bout de souffle ». Dans un climat de déliquescence générale, le Falcon présidentiel s’était mué en une sorte de bulle où le chef de l’Etat rwandais s’efforçait d’oublier ses misères publiques et privées.
 
Une certaine addiction à l’alcool
 
La confortable cabine du jet permettait à Habyarimana d’économiser l’effort de cacher à son entourage ses nuits de cauchemars et ses crises d’angoisse : la hantise d’un coup d’Etat, de la perte irrémédiable du pouvoir, ou pire encore, d’un  attentat. Au point de ne plus oser s’absenter du pays depuis des mois.
C’avait été un crève-cœur de devoir renoncer à se rendre en décembre 1993 aux obsèques du président de Côte-d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny (quatre-vingt-dix chefs d’Etat dans la basilique de Yamoussoukro). De ne pouvoir s’y entretenir une nouvelle fois avec son protecteur, François Mitterrand. Et de décliner un rendez-vous difficilement négocié avec le nouveau roi des Belges, Albert II. Il aurait pourtant été utile de briser le climat de méfiance qui s’aggravait chaque jour un peu plus avec Bruxelles et le risque de coup d’Etat. Tout allait mal : au même moment se retiraient les derniers militaires français de « l’Opération Noroît ».

Rendez-vous raté
 
Depuis 1990, le corps expéditionnaire français avaient sauvé le régime, confronté à la rébellion majoritairement tutsie du Front patriotique, et en même temps refroidi les ardeurs des ultras. Mais la paix, même fragile, faite de mensonges de chaque côté, de mémoire blessée, de haine, de faux-semblants et de serments hypocrites était signée. Une paix armée sous contrôle. Dans ce cadre, les Français avaient été remplacés par des Casques bleus de la Mission des Nations unies pour le Rwanda (MINUAR).
Le général Habyarimana ne se trouvait aucune affinité avec leur chef, le méticuleux, incorruptible et ennuyeux général  Roméo Dallaire. « Un empoté », aurait maugréé le président rwandais, un jour d’impatience. Rien à voir avec la chaleureuse empathie des colonels français, leur aversion des Tutsi - l’ennemi intérieur et extérieur - avec qui il fallait dorénavant composer, partager le pouvoir, imaginer l’avenir.
Habyarimana avait pourtant réussi un joli coup : brouiller définitivement le général Dallaire avec son supérieur, l’envoyé spécial extraordinaire du secrétaire général de l’ONU Jacques-Roger Booh-Booh. Habyarimana avait vite repéré l’égo surdimensionné du Camerounais. Trop facile de l’amener à se prendre pour le vice-président du Rwanda.

 Isoler le général Dallaire
 
Booh-Booh en oublierait l’évidence : comme la plupart des membres de son entourage, Habyarimana était convaincu d’une issue relativement facile à la crise politico-militaire. Une méthode qui avait fait ses preuves en 1959, 1961, 1963, etc. : dès que les conditions seraient réunies, exterminer l’opposition. Combien faudrait-il tuer de notables tutsis et de Hutus démocrates pour remettre au pas les Rwandais ? 10 000 ? 15 000 ? Mais cela suffirait-il ? Et Bagosora s’arrêterait-il en chemin ? A trois reprises, Habyarimana, hésitant, avait fait reporter l’opération, la dernière fois le 8 mars 1994. Mais quel idiot avait choisi cette date, qui était celle de l’anniversaire du Président. Quand même !
 
 Soumis à des pressions contradictoires, le président du Rwanda perdait ses certitudes. L’usure du pouvoir s’accélérant, la maladie de l’irrésolution l’avait gagné. D’autant que les diplomates occidentaux, comme le président de l’Organisation de l’unité africaine et le secrétaire général de l’ONU, lui criaient casse-cou : qu’il se décide enfin à l’application  des Accords de paix d’Arusha, ou qu’il crève dans son coin. Tout seul. Boutros Boutros-Ghali, le SG de l’ONU, lui avait téléphoné quatre fois les jours précédents, sans masquer sa colère : « Vous avez continué à faire de la politique politicienne et c’est le peuple rwandais qui souffre. Nous allons nous retirer, cela se passera discrètement. Vous ne méritez pas l’aide qu’on vous a donnée. Vous ne nous avez rien donné en échange ».
 
La colère de Boutros Boutros-Ghali
 
Les Accords d’Arusha… Même dans le Falcon 50, le président Habyarimana gardait auprès de lui une mallette de cuir renfermant cette liasse de documents qui était devenue par la force des choses son livre de chevet . Il les consultait distraitement, soupirait, se lassait vite, les reposait. Ces quelque 700 grammes de pages reliées le fascinaient et le révulsaient à la fois, comme un arrêt de mort dans un  parapheur.
 
Plus tard, beaucoup blablateraient sur ces Accords sans les avoir lus. Pour Habyarimana en 1994, ça se visitait comme un chemin de croix.
Depuis presque quatre ans, les négociateurs de paix avaient navigué d’un pays à l’autre sans désemparer. Exactement depuis le 17 octobre 1990, 16 jours seulement après la première attaque des rebelles. Les rencontres de haut niveau avaient commencé à Mwanza, en République unie de Tanzanie. Puis à Gbadolite, au Zaïre, neuf jours plus tard. Ensuite à Goma, toujours sous l'égide du présidents Mobutu, le 20 novembre 1990. À Zanzibar, en Tanzanie, le 17 février 1991. Les chefs d’Etat d’Afrique centrale ne s’en lassaient pas : encore Dar-es-Salaam, le 19 février 1991. Et toujours à Dar-es-Salaam, les 5, 6 et 7 mars 1993.
 
La paix comme un chemin de croix
 
Le président Habyarimana se remémorait aussi la litanie des accords de cessez-le-feu. Ainsi à N'sele, au Zaïre, le 29 mars 1991. Un papier qu’il avait fallu modifier à Gbadolite, dans la monumentale et fantasque capitale de Mobutu le 16 septembre 1991. Et encore à Arusha, le 12 juillet 1992. Autant de cessez-le-feu, autant de violations. Et inversement.
 
En 1992, un peu moins de deux ans après l’attaque des rebelles, on avait entrevu le bout du tunnel. Le 18 août de cette année-là, un protocole relatif à « l'État de droit » avait été signé à Arusha. Un processus de partage du pouvoir avec un gouvernement de transition à base élargie, qu'on appellerait dorénavant de façon familière le « GTBE ». Les discussions avaient progressé rapidement avec un premier protocole à Arusha le 30 octobre 1992, détaillé dans un  nouveau document le 9 janvier 1993. On arrivait au bout.
 
Un gouvernement de transition à base élargie, dit GTBE
 
Incroyable, l’énergie et l’intelligence dispensées par les négociateurs rwandais ou des pays voisins, secondés par des diplomates de grands pays d’Europe, la Belgique, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni. Les textes soumis à la signature étaient de petits bijoux d’ingénierie diplomatique. Ils auraient fait école, si...
 
Bijou, si les extrémistes hutus avalaient cette couleuvre. Le président Habyarimana crut tempérer l'humeur du colonel Théoneste Bagosora en l’envoyant observer les discussions d'Arusha. En général, les négociateurs rwandais goûtaient le confort des grands hôtels et les « dies » (indemnités journalières, prononcer « diès ») généreusement dispensés par la communauté internationale. Les dies permettaient de revenir avec un pécule.  Mais avec cet obsessionnel anti-tutsi de Bagosora, peine perdue. Seul le grade de général, qu’il réclamait avec insistance, aurait pu le satisfaire. Or Habyarimana n’avait pas envie de mettre le petit doigt dans cet engrenage-là. Car il savait l’ambition de Bagosora démesurée, bien que l’homme, insupportable, n’ait compté qu’une poignée d’amis.
 
L’ambition du colonel Bagosora
 
Le président se souvenait que les discussions de l’automne 1992 à Arusha avaient provoqué un remugle colérique des extrémistes de son camp. Sans se donner la peine de prévenir son ministre ou le président de la République, le bouillant colonel Bagosora avait quitté précipitamment la table des négociations de la cité tanzanienne en décembre 1992. En annonçant : « Je rentre à Kigali préparer l'Apocalypse ».
Apocalypse ! Les Rwandais un peu versés dans le langage religieux avaient aussitôt traduit « holocauste des Tutsi ». La citation s'était répandue comme une traînée de poudre et il avait fallu à la fois calmer Bagosora et les délégations étrangères qui commençaient à s'inquiéter. Quel charivari.
 
Déchaînés, les extrémistes hutus parlaient d'en découdre. Ce n'était pas le moment, alors qu'on attendait une commission d'enquête de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme. Bien renseignée, celle-ci déterra dans les parcelles les plus improbables des ossements de Tutsis sommairement exécutés du côté des OTP (sur la signification de ce sigle, voir article précédent). Et pour une fois, malgré toute sa capacité de persuasion et de dissimulation, le président de la République fut incapable de noyer le poison. Mais les extrémistes hutus avaient besoin d’assouvir leur colère dans un bain de sang. A peine la mission de la FIDH avait-elle repris l'avion pour Bruxelles que des liquidations de Tutsi recommençaient ici ou là.
 
« Je rentre à Kigali préparer l'Apocalypse »
 
Depuis qu'il avait dû concéder le multipartisme et abandonner le poste de Premier ministre à Dismas Nsengiyaremye, la guérilla politicienne  était plus démoralisante que la pression armée. Elle ne permettait plus que des manoeuvres de retardement pour empêcher un accord général sur le dos du président. Il fallait aussi compter avec les ambassadeurs des pays occidentaux qui renflouaient plus de la moitié du budget national et s’en prévalaient.
 
Guérilla politicienne
 
Bercé du faible sifflement du Falcon 50, Habyarimana restait obsédé du film des événements : la signature du protocole d'accord sur le droit au rapatriement des réfugiés tutsis et leur réinstallation au Rwanda, paraphé le 9 juin 1993. Puis le bouquet : un accord général, le 3 août 1993 à Arusha. Il prévoyait l'intégration des militaires de l'Armée patriotique rwandaise (APR) au sein des forces armées rwandaises (FAR). Si on avait voulu symboliser par un animal-totem les extrémistes de l'Akazu, on aurait dit que l’accord de paix d’Arusha était un chiffon rouge agité devant ce taureau furieux. « Un chiffon de papier », avait estimé le président.
 
Pour présider à l'accouchement de l'ultime accord de paix, tous les chefs d'État concerné dans la région s'étaient déplacés : Ali Hassan Mwinyi, président de Tanzanie, Mobutu Sese Seko, président du Zaïre, Abdou Diouf, président du Sénégal, Hosni Moubarak, président d'Égypte, le secrétaire général de l'OUA, Salina Ahmed Salim, et même le secrétaire général des Nations unies, Boutros Boutros-Ghali. Sans oublier le président du Burundi, Melchior Ndadaye, ami et admirateur d’Habyarimana. Avant l’assassinat de Ndadaye en octobre 1993.
 
Tous les chefs d'État concerné au chevet de l’Accord de Paix
 
Le long protocole d'accord contenait des formules incantatoires qui n'avaient pas grande signification. Mais on y trouvait également un agenda impératif : « Les institutions de la transition seront mises en place dans les 37 jours qui suivent la signature de l'accord de paix. » Habyarimana avait mobilisé toute son énergie pour rendre cet article 7 inopérant. Normalement, le Premier ministre du gouvernement de transition, Faustin Twagiramungu, aurait dû être installé au plus tard le 10 septembre 1993. D'embuscade en embuscade, l'attente s'était transformée en interminable parcours d’obstacle. Au prix de la paralysie du pouvoir.
 
Et voilà qu’à Dar-es-Salaam, cet après-midi du 6 avril 1994, sept mois au-delà de la date limite de mise en place du partage du pouvoir, Habyarimana avait tout lâché. Après une interminable guérilla politicienne, une reddition en rase campagne. Il était plus qu’urgent de rentrer à Kigali. Entre le danger de voir son avion abattu et celui de coup d’Etat, Juvénal Habyarimana jugeait le second plus grave. Il aurait dû comprendre que les risques peuvent se cumuler plutôt que se diviser…
 
Jean-François DUPAQUIER
(A suivre)
 
Prochain article :
6 avril 1994, chronologie d’une journée tragique

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03 janvier 2012

Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (1)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsis du Rwanda et au massacre politique des Hutus démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le premier volet :

Capture d’écran 2012-01-03 à 20.51.04.png
 
I. "A quoi pouvait penser le président Habyarimana vingt-cinq minutes avant son décès ?"
 
 Le 6 avril 1994 vers 20 heures, avant sa mort brutale et quelque peu prématurée, à quoi pouvait bien penser le président de la République du Rwanda Juvénal Habyarimana, 57 ans et 102 kilos ? Lui seul aurait pu le dire mais bien des indices laissent croire qu’il avait jugé la journée exécrable de bout en bout. En se levant aux aurores pour rejoindre le centre de négociations de Dar-es-Salaam, au bord de l’Océan Indien, il devait pester en son fort intérieur contre cette destination trop lointaine - près de 1200 kilomètres - et trop chaude, alors que la veille, le centre d’Arusha, à l’altitude aussi tempérée que Kigali et à 754 kilomètres seulement -, était disponible.

En général, Juvénal Habyarimana aimait rêvasser dans son avion personnel où l’équipage de trois Français lui donnait une rare sensation de sécurité. Lorsqu’il s’avachissait dans le fauteuil de cuir couleur beurre de son triréacteur Falcon 50, il  éprouvait même parfois, selon des proches ayant voyagé avec lui, une sorte d’euphorie et se révélait d’un abord plus facile. C’était peut-être l’irréductible part d’enfant de ce dictateur aguerri : son admiration un tantinet naïve pour les avions, surtout à réaction. Malgré l’usure d’un pouvoir longtemps quasi-absolu qui avait mis à bas bien des illusions, le sifflement et la grâce de cet oiseau de métal restaient pour lui synonymes  de luxe et d’évasion.
 
Admirateur des avions à réaction
 
Ce n’était pas pour rien que le président de la République du Rwanda avait fait construire sa villa dans l’axe de l’unique piste de l’aéroport de Kigali, la capitale du Rwanda. Impossible que la maison ne se révélât aux visiteurs pour ce qu’elle était : vieillotte, cimenteuse, laide. Alentour, quelques paons, un poulailler, une porcherie et une fosse à serpent où végétait un boa obèse. Au moins ce mini zoo permettait à la résidence présidentielle, à défaut de s’envoler, d’atteindre le sommet du mauvais goût. Et l’intérieur ne rachetait d’aucune sorte l’impression extérieure.
 
Le sommet du mauvais goût
 
Capture d’écran 2012-01-03 à 20.43.50.pngLe maître des lieux affectionnait les meubles laqués blanc-ivoire de style nouille/rococo inspirés des pires feuilletons sur le Far-West. Et les robinets plaqués or, qui ne conféraient aux salles de bains qu’un luxe pisseux. Des deux côtés de son lit, immense, bien trop grand pour un homme seul (depuis des années il faisait chambre à part avec son épouse Agathe et répugnait à lui manifester une quelconque affection) trônaient deux tables de chevet faites de pattes naturalisées d’un éléphant. Un trophée abattu, disait-il, par son ami Valéry Giscard d’Estaing. Souvenir de l’époque où ce premier président ami accourait pour assouvir ses deux passions : la chasse au gros et aux petites.
La seule véritable attraction du lieu était un escalier en bois hélicoïdal surmonté d’un gigantesque lustre et qui cachait un dispositif secret : la nuit, d’un  bouton dissimulé dans sa chambre, Juvénal Habyarimana pouvait activer les contacts électriques placés sur chaque marche, reliés à une sonnerie. Un dictateur élu et réélu entre 97 % et 99,9 % n’est jamais trop prudent, en Afrique comme ailleurs.

Escalier en état d’alerte
 
Mais qu’importait la monstrueuse bâtisse, davantage un bunker qu’une maison. A deux kilomètres de la zone d’atterrissage, Juvénal Habyarimana était mieux placé que quiconque pour bénéficier du rugissement des réacteurs qui interrompaient toute conversation. Maître de la terre et des hommes du Rwanda comme les anciens « Mwami » (rois), le président pouvait, en levant les yeux au ciel , rêver que ces avions étaient autant de cerfs-volants dont il tenait les fils invisibles qui le reliaient au monde entier. Et la nuit, les hublots des avions de ligne figuraient des grosses guirlandes lumineuses clignotantes accrochées à son sapin imaginaire. A force de se méfier de tout et de tous, Habyarimana avait dorénavant une légère tendance au délire et prenait le bruit des réacteurs pour le summum de la modernité. N’importe quel psychologue lui aurait révélé que ce fantasme cristallisait son désir de fuite. En ce 6 avril 1994, revenir à la maison était-il encore un plaisir ?
 
Le désir de fuir
 
Le plus agréable dans le job de président c’est que, où que vous alliez, chacun se sent obligé d’afficher un sourire large et ostensiblement confiant. Réciproquement, depuis vingt-et-un ans de mandat, Habyarimana avait appris à se composer un personnage d’homme simple, affable, disponible, dispensateur de sécurité et de bonne humeur. Mais sous les coups de butoir de la rébellion et surtout des trahisons qu’il pressentait dans son propre camp, le vernis s’était craquelé ces derniers mois, creusant toutes sortes de blessures, rouvrant de vieilles plaies. Et c’était encore pire ce funeste 6 avril 1994 après-midi, où il venait d’être obligé de lâcher tout ce à quoi il s’accrochait : l’exercice, en apparence quasi-absolu, du pouvoir.
 
Les coups de butoir de la rébellion
 
Qu’est-ce que le pouvoir ? Existe-t-il vraiment ? Le pouvoir sur qui ? Sur soi-même ? A quel prix ? S’il n’avait pas été acculé à survivre à l’adversité, Juvénal Habyarimana aurait aimé pouvoir philosopher sur ces questions.
Le fossé s’était d’abord creusé avec sa femme Agathe Kanziga dont il voyait bien qu’elle fédérait sournoisement, contre lui et au sein de sa parentèle, un gang de jusqu’au-boutistes hutus. Des hommes âpres au gain, prêts à tout pour défendre leurs rentes et leurs réseaux affairistes, capables de monter des réseaux complexes et très structurés sans laisser la moindre trace sur le papier. Rejeton d’une lignée de roitelets hutus du Nord-Ouest du Rwanda, Agathe avait pris un  ascendant croissant dans la maisonnée présidentielle qu’au Rwanda on appelait par dérision l’Akazu : une allusion à l’enclos royal de l’époque des dynasties tutsies, que la propagande officielle accusait de tous les maux.
 
Sous le joug d’un gang de jusqu’au-boutistes hutus.
 
Sous couvert de la défense du « rubanda nyamwinshi», (le « peuple majoritaire », sous-entendu les Hutus), une nouvelle caste nobiliaire hutue s’était constituée, qui avait insidieusement pris la place de l’ancienne monarchie. Entre initiés, on appelait OTP les nouveaux privilégiés du régime : Originaires du Terroir du Président. Une formulation doublement codée, car chacun savait que Juvénal Habyarimana était le fils d’un obscur employé de mission revenu d’Ouganda, sans lignage digne de ce nom. Le véritable terroir présidentiel se conjuguait au féminin, car c’était celui de Madame. L’Akazu, c’était elle et les siens. Exclusivement. Et donc les OTP, ses « bijoux de famille ».
 
Les OTP de Madame
 
Juvénal Habyarimana perdait son fameux contrôle de lui-même lorsqu’il voyait son épouse le défier ostensiblement. Au point de la frapper, rapportaient les domestiques. Agathe s’était accoutumée aux infidélités de son mari, qui n’étaient que des passades, d’autant qu’aucune Tutsie n’était mentionnée. De ce côté-là, l’honneur était, d’une certaine façon, préservé du Diable. Du moins le croyait-elle. Ce qui n’empêchait pas le président François Mitterrand, grand expert en sexe dit « faible », de juger que l’épouse de son ami Habyarimana était le diable fait femme.
 
Lorsque Juvénal Habyarimana l’avait épousée, Agathe était tout miel, une féminité frémissante déployée. Mais avec l’usure du temps, sous ses airs réservés, ses regards en dessous et ses propos d’une fausse humilité, Madame s’avérait une reine de fiel. Elle n’avait pas son pareil pour humilier ou faire rabaisser son mari sans en avoir l’air. Et comme à l’époque des rois, les serviteurs s’étaient défoulés en colportant les problèmes du couple. Dorénavant, Agathe Habyarimana était affublée du nom d’une ancienne reine tutsie d’une cruauté légendaire : Kanjogera-la-sanguinaire. On racontait que pour son lever, Kanjogera s’appuyait sur une lance dont la pointe transperçait le ventre d’un esclave hutu allongé au sol. Ainsi le réveil de la reine s’accompagnait de l’atroce râle d’un manant.
 
Kanjogera-la-sanguinaire
 
Capture d’écran 2012-01-03 à 20.54.05.pngOn racontait aussi que parfois, au comble de l’exaspération, Habyarimana battait son épouse comme plâtre et qu’elle allait se réfugier plusieurs jours chez  Mgr Vincent Nsengiyumva, l’archevêque de Kigali qui éprouvait pour elle une vibrante amitié. Ces ragots étaient sûrement faux mais réjouissaient le bas peuple qui haïssait Agathe Kanziga à l’instar de Marie-Antoinette, en France, en 1789.
 
Le temps d’atterrir dans une vingtaine de minutes, Juvénal Habyarimana ne tarderait sans doute pas à croiser son épouse dans la maison-bunker dont le portail d’entrée était encadré de deux automitrailleuses Panhard. Sombre perspective. Sans doute allait-elle lui jeter en coin un regard lourd de reproche puisqu’il venait de capituler à Dar-es-Salaam. Puisqu’il s’était résigné à trahir la cause du « peuple majoritaire », une cause à laquelle elle s’était vouée comme on entre en religion.
Les épouses délaissées se réfugient parfois dans le mysticisme, mais est-ce à l’avantage de leur mari ? La présidente ne manquait presque aucune des apparitions de la Vierge à Kibeho, une bourgade perdue au sud du Rwanda, où les transes de l’une ou l’autre « voyante » - aux messages politiques inquiétants - étaient réglées comme du papier à musique. Pour que ses dévotions atteignent leur but, Agathe avait fait aménager sous les combles de la résidence présidentielle deux chapelle : l’une chrétienne, l’autre animiste. Un double tir mystique. On n’est jamais trop prudente.
 
Jean-François DUPAQUIER
(A suivre)

Prochain article :
Une batterie de missiles : les Accords d’Arusha
 
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- Juvénal Habyarimina

- La résidence présidentielle photographiée en 1995. Derrière les lucarnes des combles, en haut à droite, les deux chapelles d’Agathe Habyarimana
 
- Une des « voyantes » de Kibeho promettait au Rwanda « des fleuves de sang » d’où émergerait un pays purifié.

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13 octobre 2011

Rwanda : L’ex-magistrat Manasse Bigwenzaré ne sera pas extradé

La cour d’appel de Versailles a refusé mardi 11 octobre l’extradition de l’ancien magistrat rwandais, Manassé Bigwenzaré, visé par un mandat d’arrêt international pour génocide : il vient d’acquérir la nationalité française !

logo afkrb.png« Génocide, entente en vue de commettre le génocide, complicité de génocide, participation à des crimes contre l’humanité » : tels sont les principaux chefs d’accusation qui figurent dans la « requête d’extradition » signée par le procureur général du Rwanda, Martin  Ngoga et qui vise le Bouffemontois Manassé Bigwenzaré, 76 ans. Les accusations portées contre Manasse Bigenware sont graves. Comme président du tribunal cantonal de Murambi, à l’Est du Rwanda en 1994, il a été jugé pour avoir organisé un massacre de Tutsis dans sa commune (le génocide contre les Tutsis a causé en trois mois près d’un million de morts). Le 24 juillet 2007, Manasse Bigenware a été condamné au Rwanda à la réclusion à perpétuité. Par contumace, car l’homme avait fui son pays après le génocide pour se réfugier en France, d’abord dans l’Essonne puis à  Bouffemont, où il loue un appartement dans une résidence pour retraités. Il a obtenu sa carte de réfugié politique en France le 31 décembre 2003.

Complice de l’ancien bourgmestre Gatété ?

Selon Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR, une ONG qui traque les présumés génocidaires réfugiés en France et qui est à l’origine de la plainte à Pontoise contre Bigwenzaré), le Bouffemontois aurait pris part au massacre de Tutsi dans une église, en compagnie de l’ancien bourgmestre Gatété, alors directeur au ministère de la Promotion féminine, qui vient d’être condamné par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) : « Nous disposons d’éléments solides sur son implication de massacres de la paroisse et de l'hôpital de Kiziguro le 11 avril 1994, et d'avoir livré à la mort deux de ses proches à la barrière de Kwangire ».

Un retraité tranquille de Bouffemont

L’homme réside discrètement avec son épouse à Bouffemont, à 28 km au nord de Paris,. Il avait été repéré par Alain Gauthier pour avoir signé une pétition en faveur de Ségolène Royal lors des élections  présidentielles de 2007 (lire encadré).

La cour d’appel de Versailles a refusé mardi dernier 11 octobre son extradition vers le Rwanda. La carte de réfugié qui lui a été accordée en 2003 rend impossible son extradition vers son pays d’origine. Qui plus est, Bigwanzare a été naturalisé français le 22 juin 2010.
En septembre 2010, la cour d’appel de Versailles avait déjà refusé l’extradition d’un autre Rwandais, le docteur Eugène Rwamucyo, arrêté quelques mois plus tôt à Sannois (Val-d’Oise) en vertu d’un mandat d’arrêt international. Dans son cas, les magistrats français avaient invoqué les lacunes du système judiciaire rwandais, pourtant considéré comme fiable par le Tribunal pénal international, émanation de l’ONU. Exerçant en France, le docteur Rwamucyo aurait pu se voir jugé en France… s’il n’avait pris la fuite vers la Belgique après le refus de son extradition.

François MOLYNEUX

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Repéré pour avoir signé une pétition en faveur de Ségolène Royal !

« Ségolène Royal est désormais la candidate d’un large rassemblement de toutes les forces du changement. Martine Vialas (Parti Communiste Français), Michel Lacoux (Mouvement Républicain et Citoyen), les Verts, mais aussi des personnalités Bouffémontoises reconnues comme Pierre Péan et plus de 250 Bouffémontois appellent à voter Ségolène Royal et à faire barrage à Nicolas Sarkozy ! »
C’est pour avoir signé cette pétition à la veille du second tour de la présidentielle de 2007 que Manassé Bigwenzaré a été repéré sur internet par Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR),. Le Rwandais de Bouffemont figurait en bonne place aux côtés du maire socialiste de Bouffemont, Claude Robert, et de l’écrivain Pierre Péan, ségoliniste militant, qui réside à Bouffémont et qui présente Manassé Bigenzwaré comme son ami..

A Bouffemont, les ardents supporters de la candidate socialiste à la présidentielle de 2007 s’étaient agités pour faire signer des familles bouffémontoises au complet. S’étaient-ils montré suffisamment regardants sur la qualité des signataires ? Et leur capacité à comprendre ce qu’ils signaient ? Brièvement interpellé en mai dernier par la gendarmerie de Bouffemont et présenté au Procureur général de Versailles, Manassé Bigwenzaré avait argué sa mauvaise pratique du français pour demander un report de son audition avec un interprète !

La fiche de recherche Interpol de Manassé Bigwenzaré est accessible à n’importe quel internaute :
http://www.interpol.int/public/Data/Wanted/Notices/Data/2009/82/2009_10882.asp

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02 octobre 2011

RDC : Tshisekedi aux Etats-Unis le 4 octobre

Après une tournée en Europe, Etienne Tshisekedi se rendra aux Etats-Unis à partir du 4 octobre 2011. Le candidat de l'UDPS à la prochaine présidentielle en République démocratique du Congo (RDC) passera les deux premiers jours Washington pour une série de rencontres à huis clos avant de se rendre à Raleigh en Caroline du Nord les 7 et 8 octobre.

Meeting Tshisekedi Bruxelles 0'.pngEtienne Tshisekedi devrait participer à une conférence ("L’avenir des élections au Congo et son futur") au "Mackimmon Center" de North-Carolina State University  (sur Western Boulevard), le vendredi 8 octobre 2011 à partir de 17h00.

Photo : Etienne Tshisekedi à Bruxelles en 2011 (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

30 septembre 2011

RDC : Laurent Nkunda de retour ?

Depuis son arrestation le 23 janvier 2009 et sa détention au Rwanda, les rumeurs vont bon train sur l'avenir du  général rebelle congolais, Laurent Nkunda. La République démocratique du Congo (RDC) demande son extradition, alors que Kigali refuse de lui accorder tant que la peine de mort est encore en vigueur dans le pays. En attendant, certains l'auraient vu circulant librement à Gisenyi, au Rwanda et lui prédisent un prochain retour au Congo.

logo afkrb.pngPendant 4 ans, entre 2006 et 2009, le général tutsi congolais, Laurent Nkunda, (soutenu par Kigali) avait fait trembler le régime de Joseph Kabila. Après avoir mis en déroute l'armée congolaise dans l'Est de la RDC, Laurent Nkunda avait été arrêté en janvier 2009, en territoire rwandais, à la suite d'un renversement d'alliance surprise. En effet, son allié rwandais d'hier s'était brutalement rapproché du congolais Joseph Kabila et avait procédé à l'arrestation de Nkunda. Ironie du sort, c'est le général rwandais Kabarebe, patron de la puissante armée de Kigali, qui l'avait arrêté. Nkunda avait d'abord été détenu en secret à la frontière entre la RDC et le Rwanda, puis il a été transféré au Rwanda fin mai 2009 de peur d'un coup de force de ses derniers fidèles, très puissants au Kivu. Depuis, le CNDP (son parti au Congo-Kinshasa) a explosé en plein vol pour donné naissance à un "CNDP deuxième version", plus présentable pour les autorités congolaises, qui se sont alors empressées d'intégrer les rebelles dans l'armée régulière.

Depuis, la RDC demande son extradition pour qu'il puisse répondre de ses crimes devant un tribunal congolais. Mais Kigali refuse tant que la peine de mort est en cours dans le pays. Laurent Nkunda est alors devenu un personnage bien encombrant pour les deux pays : au Rwanda, où il possède de nombreux amis dans l'armée et en RDC, où bon nombre de ses compagnons d'armes occupent des places importantes dans les services de sécurité et dans l'armée et où il continue de faire peur.

Pourtant, de nombreuses rumeurs circulent à Goma, sur Laurent Nkunda, note le site Congo Siasa. Selon ce site internet, "ces dernières semaines, Laurent Nkunda aurait été vu, voyager librement à l'intérieur du Rwanda, venant même à des funérailles à Gisenyi." Et on parle même d'un possible retour en République démocratique du Congo (RDC). Toujours selon Congo Siasa, ce retour "permettrait de réconcilier les deux factions au sein du CNDP, afin de consolider le groupe avant les élections et d'empêcher toute alliance avec les opposants rwandais, comme le général Kayumba Nyamwasa" (en délicatesse avec Paul Kagame, ndlr). Rumeurs confirmées ou non, il est pourtant peu probable de voir revenir Laurent Nkunda à la veille des élections présidentielles prévues le 28 novembre prochain. Ni Kigali, ni Kinshasa n'y ont intérêt. Pourtant, l'éventualité d'un retour au pays du général tutsi est bien la preuve que Laurent Nkunda reste une pièce maîtresse du rapport de force entre la RDC et le Rwanda. Une pièce que l'on peut ressortir à tout moment.

Christophe RIGAUD

28 septembre 2011

Grands Lacs : Les Droits de l'Homme toujours menacés

Burundi, République démocratique du Congo (RDC), Rwanda... la situation des Droits de l'Homme reste préoccupante dans ces pays, selon la Ligue des Droits de la personne dans la région des Grands Lacs (LDGL).

Image 2.pngLe Comité Directeur de la LDGL a récemment analysé la situation des Droits de l’Homme dans 3 pays d'Afrique centrale : le Burundi, la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda.

Au Burundi, la LDGL, note "un recul considérable en matière de sécurité au point que des civils innocents sont régulièrement massacrés pour leur appartenance politique ou suite aux règlements de comptes. Le cas le plus frappant est celui du massacre, dimanche 18 septembre dernier d’une quarantaine de personnes à Gatumba." La LDGL recommande des enquêtes indépendantes pour identifier les auteurs du crime et les punir conformément à la loi. La Ligue dénonce "une crispation des rapports entre les acteurs politiques et une intolérance à la base des assassinats ciblés, des arrestations arbitraires et un harcèlement des acteurs de la société civile et des journalistes de la scène politique." Selon la LGDL, le Burundi connaît "un regain de violation des droits humains notamment en matière de bonne gouvernance, en dépit d’engagements solennels faits à l’occasion de la campagne électorale de s’attaquer aux anti-valeurs telles que la corruption et l’impunité. L’indépendance de la justice est gravement compromise au point que cette institution perd de plus en plus sa crédibilité aux yeux des citoyens". Dans ce contexte la LDGL recommande aux acteurs politiques burundais de "créer des espaces de dialogue sincère et ouvert à la société civile sur la lutte contre l’impunité, la sécurité et la corruption, goulots d’étranglement du développement économique et social."

Pour le Rwanda voisin, la LGDL semble moins dure avec les autorités de Kigali. La Ligue souligne "des efforts fournis en matière de la bonne gouvernance et de développement économique", mais regrette le manque de "promotion des droits humains dans le programme de développement". En ce qui concerne la liberté d’expression, la LDGL salue les projets de lois sur le fonctionnement du Haut Conseil des Medias, sur l’accès à l’information et la réforme de l’Office Rwandais de l’Information(ORINFOR) en Agence Rwandaise de Communication (RBA). Sur ce pays, la LGDL (basée à Kigali) reste étonnamment muette sur la situation des Droits de l'Homme, jugée inquiétante par d'autres ONG, comme Human Rights Watch (HRW). L'ONG américaine avait notamment dénoncé la détention d'opposants politiques ou la fermeture temporaire de journaux. La Fédération internationale des Droits de l'Homme (Fidh) avait sévèrement critiqué le régime rwandais au moment de la venu de Paul Kagame en France : " la situation des droits de l’homme demeure extrêmement préoccupante et les violations ont culminé lors de la dernière campagne électorale", notait l'ONG.

En République démocratique du Congo (RDC), la LDGL s’inquiète dans son communiqué, "de la montée de l’insécurité dans les provinces de l’Est, ce qui peut avoir une incidence négative sur la tenue des élections de novembre prochain. La LGDL demande au gouvernement de la RDC, appuyé par la MONUSCO, à "sécuriser les populations et les candidats sans discrimination et de prendre des
mesures concrètes afin de prévenir les contestations électorales. La LDGL constate en outre, que la participation de la Société civile dans le processus électoral est "très faible", alors que celle-ci est appelée à jouer un rôle de premier plan dans l’observation électorale afin de crédibiliser les résultats issus des scrutins conformément aux principes internationaux réglementant l’observation des élections.

Christophe RIGAUD

Photo : République démocratique du Congo (RDC) 2006 (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

22 septembre 2011

Burundi : La crainte du retour de la violence

Une fusillade mortelle a coûté la vie à 39 personnes non loin de la capitale, Bujumbura. Une dizaine de suspects ont été arrêtés, dont une partie venait de République démocratique du Congo (RDC). Des ex-rebelles des Forces nationales de libération (FNL), sont soupçonnés d'être à l'origine de l'attaque, avec la complicité de groupes Maï-Maï de RDC. Human Rights Watch (HRW) demande une enquête aux autorités burundaises, alors que de nombreux observateurs redoutent le retour de la violence et des anciens démons.

Afrikarabia logo.pngL'attaque du 18 novembre au Burundi dans un bar populaire non loin de Gatumba, réveille les crainte d'un nouvel embrasement sur toile de fond de violences politiques qui ont déjà fait des dizaines de victimes en 2010 et 2011. Les tensions se sont intensifiées au Burundi au cours des dernières semaines. Selon Human Rights Watch (HRW), « alors que la plupart des victimes des assassinats des derniers mois étaient des membres (ou anciens membres) des FNL faisant partie de la base de l’organisation, les personnes ciblées récemment comptaient des personnalités plus en vue. Parmi celles-ci, figuraient un ancien commandant des FNL démobilisé Audace Vianney Habonarugira, tué par balles en juillet 2011 ; Dédithe Niyirera, représentant des FNL dans la province de Kayanza, abattu à Kayanza à la fin du mois d’août 2011 ainsi qu’un ancien commandant des FNL Edouard Ruvayanga, tué à Bujumbura le 5 septembre dernier. Sur cette même période, plusieurs autres membres démobilisés des FNL ont reçu des menaces anonymes les avertissant qu’ils subiraient le même sort. » Dans un récent communiqué, cette ONG demande « instamment aux forces de sécurité burundaises de ne recourir qu’à la force minimale nécessaire dans leur poursuite des auteurs de ces récentes atrocités. Le massacre choquant de Gatumba ne devrait pas servir de prétexte pour viser d’anciens rebelles qui ont déposé les armes ou des membres de partis d’opposition qui n’ont pas été impliqués dans des activités criminelles. Si les autorités retrouvent les auteurs présumés, ceux-ci devraient être arrêtés, inculpés et jugés, mais non exécutés sommairement. » note Human Rights Watch

Pour rappel : « les FNL étaient l’un des groupes rebelles opérant pendant les 16 ans de guerre civile au Burundi, qui a opposé une armée minoritaire à dominante tutsi à des groupes rebelles hutus. L’un des groupes majoritairement hutus, le CNDD-FDD, a rejoint le gouvernement en 2004 et a remporté les élections en 2005. Les FNL, également à dominante hutu, ont poursuivi les combats jusqu’en 2009. Elles ont ensuite signé un cessez-le-feu et sont devenues un parti politique. Les FNL ont présenté des candidats aux élections de 2010 mais, tout comme d'autres partis de l'opposition, ont par la suite boycotté les élections, accusant le CNDD-FDD de fraude. Le CNDD-FDD, dirigé par le président en poste, Pierre Nkurunziza, a remporté les élections de 2010 quasiment sans opposition et reste le parti au pouvoir. Les élections ont été entachées de violences et d'atteintes aux droits humains. Plusieurs leaders des FNL et d’autres dirigeants de l'opposition ont fui en exil et sont toujours réfugiés à l’étranger. Certains anciens membres de groupes rebelles ont repris les armes et sont retournés dans la brousse. L’ouest du pays, notamment la province de Bujumbura Rural où se trouve Gatumba, reste un bastion des FNL. La plupart des incidents de violence politique se sont produits dans cette région. »

Christophe RIGAUD

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13 septembre 2011

Bilan en demi-teinte de la rencontre Sarkozy-Kagame à l’Elysée

La visite de courtoisie du chef de l’Etat rwandais à Nicolas Sarkozy s’est inscrite en pleine actualité sur les turpitudes de la « Françafrique » et dans un contexte marqué par l’indignation de hauts gradés français de « France Turquoise », relayés par certains politiques.

Sarko-Kagame(2).JPGIl faisait un temps gris et légèrement pluvieux ce lundi 12 septembre 2011 dans la cour de l’Elysée pour la visite de courtoisie que rendait le président rwandais Paul Kagame à son homologue français, après le passage éclair de ce dernier à Kigali en février 2010. Le contexte n’était guère favorable à la médiatisation de l’événement. La presse écrite du jour reprenait plutôt les révélations de l’ancien « Monsieur Afrique » de l’Elysée, Robert Bourgi, sur les valises de billets qu’il dit avoir fréquemment apportées à Jacques Chirac et Dominique de Villepin, de la part de chefs d’Etat de l’Afrique de l’Ouest – ce que presque tous les intéressés démentent. Régulièrement. Les principes de bonne gouvernance du Rwanda, rappelées encore le matin même par le président Kagame lors d’une rencontre à l’Institut français des relations internationales (IFRI) avec des chefs d’entreprises, se sont trouvés éclipsées par le nouvel avatar des turpitudes de la « Françafrique ».

Paul Kagame et son entourage sont arrivés à 13 heures à la présidence de la République française pour un déjeuner et des discussions qui se sont achevés vers 14 h 20. Le communiqué final publié par l’Elysée à l’issue de la rencontre ne mentionne pas d’avancées significatives à l’exception de la relance de la coopération : l’Agence française de développement (AFD) s’apprête à augmenter ses engagements au Rwanda de 23 à 42 millions d’euros. Pour le reste, l’Elysée reprend la liste des actions engagées dans le secteur de l’énergie, notamment sur le démarrage du programme rwandais de géothermie et les études sur l’exploitation du gaz méthane du lac Kivu.

« La France est favorable à ce que ses entreprises investissent davantage au Rwanda, comme le souhaitent les autorités rwandaises », se contente d’indiquer l’Elysée au milieu de principes généraux : « L’action culturelle est également une dimension importante de la coopération bilatérale, à travers l’accueil d’étudiants rwandais en France, le soutien français au multilinguisme au Rwanda, et le lancement à Kigali, d’ici le début de l’année 2012, des travaux de construction d’un nouveau centre culturel franco-rwandais. »

Sur l’épineux dossier des suspects de génocide résidant en France et dont la justice française, faute de moyens humains et financiers, peine à instruire les dossiers, on est même plutôt en retrait des précédents engagements de Nicolas Sarkozy formulés à Kigali : « Le président de la République a réaffirmé son attachement à l’État de droit et à la coopération judiciaire entre la France et le Rwanda ». Le ministre rwandais de la Justice, Tharcisse Karugarama, a déclaré à l’agence Hirondelle, en marge de la visite à Paris : « Il faut juste montrer que la justice est rendue » en France.

Le chef de l’Etat rwandais a souligné sa volonté « d’aller de l’avant » sans attendre ni demander d’excuses au gouvernement français, dans un entretien donné en exclusivité à l’Agence France Presse, avant son « déjeuner de travail » à l’Elysée.

C’est ce qu’on peut appeler, des deux côtés, un service minimum.

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Série d’incidents pour la visite de Kagame à Paris

Des manifestations ont marqué la visite du président du Rwanda à Paris, avec des agressions de Rwandais

On pouvait s’y attendre au vu du déferlement de messages haineux ces derniers jours visant le régime de Paul Kagame et, dans certains cas, les Tutsi rwandais. Des internautes, apparemment issus de RDC, sont allés jusqu’à appeler au viol de femmes au Rwanda. Et un ancien général français a même injurié le chef de l’Etat rwandais sur le site d’un quotidien régional.

Plusieurs incidents ont éclaté en marge de la réunion à Aubervilliers dimanche. Des pierres ont été lancées par de petits groupes de manifestants contre des personnes isolées qui se rendaient au meeting de la diaspora où devait s’exprimer Paul Kagame. Un participant a été giflé.

Ainsi Pierre B…, de la région de Bordeaux, a été tabassé et s’est fait voler tous ses papiers. Il s’est rendu à un commissariat proche qui a refusé d'enregistrer sa plainte mais les policiers ont quand même fait venir le Samu. Les policiers présents ont cependant procédé à 17 interpellations de « casseurs », généralement issus de RDC.

Lundi après-midi, après le déjeuner des deux chefs d’Etat à l’Elysée, une conférence de presse était organisée au Centre d'Accueil de la Presse Etrangère (CAPE) avec pour intervenants Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Tharcisse Karugarama, ministre de la Justice, Aloysie Inyumba, ministre de la Condition féminine et de la famille, François Kanimba , ministre du Commerce et de l'Industrie, James Musoni, ministre du Gouvernement local, Albert Nsengiyumva, ministre des Infrastructures et le professeur Anastase Shyaka, Secrétaire exécutif du Conseil de la gouvernance du Rwanda.

Malgré les règles de sécurité drastiques, un petit groupe de manifestants a réussi à s’introduire par une porte dérobée dans le Centre, implanté dans l'aile Sud du Grand Palais, face au Pont Alexandre III à Paris.

Le groupe a alors dévoilé des tee-shirts maculé de rouge et crié des slogans hostiles au régime de Kagame avant d’être expulsé par des policiers.

Peu après, les protestataires ont brûlé une voiture garée sur une voie d’accès au périphérique avant de se disperser.

Des Rwandais ont par la suite été insultés et agressés dans un autobus et dans des wagons de métro.

Jusqu’à mardi, date de départ de la délégation de Paul Kagame de Paris vers New-York, un fort dispositif policier garde les abords de l’hôtel ou elle a pris ses quartiers.

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12 septembre 2011

Succès de la rencontre de Kagame avec la diaspora à Paris (vidéo)

Dimanche 11 septembre 2011, plus de 3 000 personnes ont participé au meeting organisé à Aubervilliers pour la venue du président rwandais en France.

Capture d’écran 2011-09-11 à 22.00.15.pngLa visite « de courtoisie » du président rwandais Paul Kagame à Paris à son homologue Nicolas Sarkozy a commencé dimanche après-midi par un meeting monstre avec la diaspora à Aubervilliers sous le label « Génération dignité ». Un dispositif de sécurité impressionnant avait été déployé pour garantir le succès de la manifestation. L’opposition en exil qui promettait une manifestation de protestation n’a réuni qu’une poigné d’individus, tenus à distance.

Les milliers de participants à Génération Dignité » étaient des Rwandais de France et des Français, mais aussi des Africains de Paris et des Rwandais ou d’autres étrangers venus de différents pays d’Europe : Belgique, Allemagne, Italien Espagne, pays nordiques…

La réunion a commencé par des prestations de chanteurs et de danseurs et une animation par l’humoriste Diogène Ntarindwa, dit « Atome ». Plusieurs orateurs ont ensuite souligné les progrès économiques et sociaux du Rwanda, en s’appuyant sur une projection de « powerpoint ».

Accompagné de Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères du Rwanda et de Jacques Kabale, ambassadeur à Paris, Paul Kagame est monté à la tribune vers 17 heures après un bain de foule qui a électrisé la salle. Il a longuement détaillé les performances du Rwanda et le rôle de l'Afrique dans une configuration mondiale en mutation. Il a ensuite répondu aux questions de la salle, avant de partir vers 20 h 15.

Lundi matin, il était l’invité de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Son président et directeur général Thierry de Montbrial devait souligner qu’après le drame qui a dévasté le pays en 1994, « le Rwanda s’est reconstruit de manière remarquable. Résolument tourné vers l’avenir, le pays a enregistré une croissance économique moyenne de 6% sur douze ans (7,5% en 2010). Le Rwanda a l’ambition de rejoindre le groupe des pays émergents en 2020.  Petit pays enclavé, le Rwanda n’en joue pas moins un rôle important au niveau régional et continental ».

La venue de Paul Kagame à l’IFRI a rappelé que le Rwanda est membre de la Communauté d'Afrique de l'Est, de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), et depuis novembre 2009, du Commonwealth.

Paul Kagame devait poursuivre sa visite par un déjeuner à l’Elysée avec le président Nicolas Sarkozy.


Paul Kagame en France avec la diaspora par ChristopheRigaud


Photo : Ch. Rigaud (c) www.afrikarabia.com

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03 septembre 2011

Visite du président Kagame en France : démêler le vrai du faux

La visite du président rwandais Paul Kagame en France les 12 et 13 septembre est une étape importante dans le rapprochement entre les deux pays. Pourtant en France , des militaires hauts gradés, anciens du Rwanda, proclament leur opposition à cette visite qui provoquerait selon eux  « l'humiliation de l'armée et à travers elle, celle de la France. ». Journaliste et écrivain, Jean-François Dupaquier, par ailleurs expert auprès du Tribunal Pénal  international pour le Rwanda (TPIR), poursuit le décryptage de ces oppositions avant d’évoquer la nature du régime rwandais dans le prochain et troisième volet de cette interview.

Afrikarabia logo.png- AFRIKARABIA : Avant d’aborder la situation au Rwanda aujourd’hui, pouvons-nous revenir sur les déclarations les plus polémiques du moment ? Dans une interview au quotidien Sud-Ouest, le général Tauzin déclare que si génocide des Tutsi a eu lieu en 1994, il fut « spontané » ?

- Jean-François DUPAQUIER : J’observe que la liberté d'expression est un droit fondamental dans notre société, et j’espère que personne ne conteste ce droit au général Tauzin, dans la mesure où il ne s’adonnerait pas à l’invective ou à l’injure. Néanmoins, les mots ne sont pas des jouets. Ils ont de l’importance. Ils peuvent notamment blesser la mémoire de rescapés ou inciter à la haine.

- AFRIKARABIA : Quel est le pouvoir des mots dans un génocide?

- Jean-François DUPAQUIER : Le professeur George P. Fletcher de l’Université Columbia (Etats-Unis), souligne qu’aussi bien sur la négation de l’Holocauste que sur le génocide arménien, « les mots sont devenus un champ de bataille ». Il ne connaissait pas le génocide contre les Tutsi qui pose les mêmes questions. A ce sujet il faut rappeler que la Radio des Mille collines (RTLM) qui a joué un rôle crucial dans la passage au crime massif se définissait comme « l’état-major des mots ». Les génocidaires rwandais, et tous les enragés ralliés à leur cause, ne cessent de jouer sur les mots, sans souci de blesser les rescapés et les autres victimes.

- AFRIKARABIA : En jouant comment sur les mots ?

- Jean-François DUPAQUIER : Dans son livre « Je demande justice pour la France et ses soldats », le général Tauzin, je crois l’avoir déjà relevé, met généralement entre guillemets le mot génocide, lorsqu’il s’agit des Tutsi, pour montrer qu’il doute de la réalité de ce génocide. Dans son interview à Sud-Ouest voici quelques jours, il ajoute que ce génocide n’aurait fait que 200 000 victimes. C’est un des argument habituels des négationnistes que de minimiser le nombre des victimes, pour ensuite tenter de disqualifier l’événement lui-même. L’historien Pierre Vidal Naquet, qui avait en son temps dénoncé les crimes de l’armée française en Algérie, a suffisamment analysé les acrobaties intellectuelles des négationnistes pour qu’il soit nécessaire ici d’y revenir en détail. Que de hauts gradés français enfourchent aujourd’hui ce cheval de bataille fourbu n’apporte rien qui contribue à leur gloire ni à leur honneur. Et moins encore à l’œuvre de justice.

- AFRIKARABIA : Pourquoi des hauts gradés français sombreraient-ils dans le négationnisme ?

- Jean-François DUPAQUIER : On sait à présent par de nombreux Rwandais, mais aussi par des témoins directs belges, suisses ou français, que lors de l’opération Turquoise, des responsables militaires français sur le terrain ont  fait passer la consigne qu’ils venaient empêcher l’extermination des Hutu par les Tutsi. C’était déjà l’ordre de conduite secret de l’opération Noroit, entre 1990 et 1993. C’est là qu’il faut chercher l’origine de leur négationnisme actuel et les ambiguïtés, pour ne pas dire plus, de l’opération dite « militaro-humanitaire » Turquoise. C’est aussi pourquoi, pendant trois jours, en pleine opération Turquoise, les rescapés tutsi de Bisesero ont été abandonnés à leurs tueurs par les militaires français. Avec pour effet que la moitié d’entre eux ont été exterminés. On a vu à Bisesero comment des directives militaire fallacieuses aggravent le carnage.

- AFRIKARABIA : Et quand le général Tauzin dit que le génocide contre les Tutsi fut « spontané » ?

- Jean-François DUPAQUIER : Dire que ce génocide fut « spontané » participe de la même imposture intellectuelle, car par principe un génocide est un crime d’Etat et n’a rien de « spontané ». Prétendre qu’il était spontané revient à dire que le mot génocide serait inapproprié. C’était déjà l’argument des négationnistes du génocide des Arméniens, puis de la Shoah. Le négationnisme de l’Holocauste tente de démontrer par la présentation d’arguments fallacieux et de falsifications historiques que l’Holocauste n’a pas eu lieu. Pour le Rwanda, c’est le refrain  des organisateurs du génocide contre les Tutsi, dans leurs divers écrits et lorsqu’ils comparaissent devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Un argument qui ne tient pas : beaucoup ont déjà été condamnés.

- AFRIKARABIA : Mais ce thème de la « colère populaire spontanée » en 1994 au Rwanda est repris par bien d’autres que le général Tauzin.

- Jean-François DUPAQUIER : Oui, car c’est un autre élément important de l’argumentaire négationniste. Il s’agit de faire croire que tout le monde tue tout le monde, qu’il n’y a pas de coupables, pas d’innocent, et donc pas de justice possible : « Tous des sauvages, pas d’autre issue que de passer l’éponge… ». En quelque sorte une « noire fureur ». Quel mépris pour la vérité des faits et plus encore pour les victimes ! Vidal Naquet a écrit que “les assassins de la mémoire ont bien choisi leur objectif : ils veulent frapper une communauté sur les mille fibres encore douloureuses qui la relient à son propre passé. Ils lancent contre elle une accusation globale de mensonge et d'escroquerie”. Rien de nouveau, hélas.

- AFRIKARABIA : Le général Tauzin, dans son interview à Sud-Ouest, affirme pourtant que le Tribunal pénal international pour le Rwanda n'a relevé à ce jour « aucune organisation, aucune préparation » des tueries de 1994.

- Jean-François DUPAQUIER : Personne pour ordonner les tueries de Tutsi ? On a entendu les mêmes sornettes concernant la Shoah. Le négationniste emblématique Faurisson s’était rendu célèbre par cette formule : « Jamais Hitler n'a ordonné ni admis que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion ».
Tauzin n’a évidemment pas la même pointure. Ses déclarations à l’emporte-pièce laissent penser qu’il n’a rien lu de sérieux sur le génocide contre les Tutsi du Rwanda, qu’il n’est pas bien informé. En tout cas, il ferait mieux de ne pas citer le Tribunal pénal international dont les jugements n’ont rien à voir avec ce qu’il affirme. Dans un  célèbre arrêt, le TPIR a déclaré le génocide des Tutsi « un  fait avéré ». Pour le TPIR, il y a eu un seul génocide, sans guillemets, celui des Tutsi du Rwanda, n’en  déplaise aux propagandistes de la thèse du « double génocide ».

- AFRIKARABIA : Vous n’avez pas complètement répondu à la question : quel a été le degré de préparation du génocide de 1994 contre les Tutsi ?

- Jean-François DUPAQUIER : Il n’est pas possible dans le cadre d’une interview d’énumérer tous les témoignages, tous les document qui attestent de la préparation méticuleuse du génocide depuis fin-1992, début-1993. Lisez plutôt « Aucun Témoin ne doit survivre », résultat de la monumentale enquête de la FIDH et de Human Rights Watch, ou « Les Médias du génocide » ou encore mon livre, « L’Agenda du génocide », tous parus aux éditions Karthala. Le témoignage du général Dallaire, dans son autobiographie « J’ai serré la main du diable » (Ed. Libre Expression), est éclairant. Et bien d’autres. On ne peut pas faire le tour de cette question épineuse en quelques phrases. Rappelez-vous qu’on débat aujourd’hui encore des conditions dans lesquelles a été décidée par Hitler et sa clique l’extermination des Juifs d’Europe. Soixante-dix ans plus tard. Pour les Arméniens de Turquie, le débat fait rage depuis presque un siècle !

- AFRIKARABIA : Pourtant, l’historien français Bernard Lugan, qui a été témoin-expert de la défense dans le procès Bagosora, a déclaré dans la revue « Médias » de septembre 2009 à propos du procès Bagosora et du procès Zigiranyirazo : « Ces deux jugements bouleversent (…) la perspective historique de ce génocide. Ils établissent que celui-ci n’a pas été prémédité (…).  Aucun des quarante éléments présentés par l’accusation pour tenter de prouver la planification du génocide n’a en effet été considéré comme probant par les juges qui ont estimé que le procureur n’a pas établi le bien-fondé de sa thèse » ?

- Jean-François DUPAQUIER : Il est navrant  d’entendre ce genre d’argument  de la bouche d’un général en retraite, qui est tout sauf un intellectuel et qui, visiblement, répète ce qu’il a entendu ici ou là. Mais je pose à mon tour une question ; comment qualifier les contrevérités proférées par un historien, supposé plus rigoureux dans sa démonstration. ?

- AFRIKARABIA : En quoi s’agit-il de contre-vérités ?

- Jean-François DUPAQUIER : Excusez-moi  d’être un peu long, mais je vais citer quelques paragraphes ce fameux arrêt rendu par le TPIR en première instance le 18 décembre 2008 condamnant à la perpétuité le colonel Bagosora et consorts :
(...) La Chambre reconnaît sans conteste que certains faits peuvent être interprétés comme établissant l’existence d’un plan visant à commettre le génocide, en particulier lorsqu’on tient compte de la rapidité avec laquelle les meurtres ciblés ont été perpétrés immédiatement après que l’avion du Président eut été abattu. (...)  Cela étant, elle estime que le Procureur n’a pas établi au-delà de tout doute raisonnable que la seule conclusion raisonnable qui puisse être dégagée des éléments de preuve produits est que les quatre accusés se sont entendus entre eux ou avec d’autres, pour commettre le génocide, avant le 7 avril, date à partir de laquelle il avait commencé à se perpétrer. La Chambre les a acquittés du chef d’entente [en vue de commettre le génocide].
(...) La Chambre considère qu’elle ne saurait exclure la possibilité qu’avant le 6 avril, il y ait eu en fait des plans visant à commettre le génocide au Rwanda. Elle relève que comme le fait valoir le Procureur, il ressort des éléments de preuve dont elle a été saisie certains signes propres à établir l’existence d’un plan ou d’une entente préétablie visant à perpétrer un génocide (...) Une campagne secrète visant à armer et à entraîner des miliciens civils avait également été lancée et des démarches avaient été entreprises à l’effet de mettre en place un système de « défense civile » fondé sur la mise sur pied de groupes de « résistants » (III.2.6.2). La Chambre a conclu que Bagosora, Nsengiyumva et Kabiligi ont participé, à divers degrés, à certaines de ces initiatives. Elle relève en particulier que dès le début de l’année 1993, dans le cadre de réunions tenues au Ministère de la défense après que le FPR eut repris les hostilités et commencé à progresser vers Kigali, Bagosora avait déjà consigné dans son agenda les grandes lignes des éléments fondamentaux du système de défense civile envisagé. Elle fait observer en outre que des listes principalement conçues pour identifier les complices présumés du FPR et les opposants au régime de Habyarimana ou au parti MRND avaient été confectionnées et tenues à jour par l’armée (III.2.5). Elle estime toutefois que dans le contexte de la guerre menée à l’époque contre le FPR, ces éléments de preuve ne démontrent pas invariablement que l’armement et l’entraînement de ces civils ou la confection de listes avaient forcément pour but de tuer des civils tutsis.

(...) La Chambre relève qu’à la suite de la mort du Président Habyarimana, les instruments sus-évoqués ont manifestement été utilisés pour faciliter la perpétration de tueries. Elle fait observer que lorsqu’on prend le soin de replacer ces éléments de preuve dans le contexte des meurtres ciblés et des massacres à grande échelle qui ont été perpétrés par des assaillants civils et militaires entre avril et juillet 1994, de même que dans celui des cycles de violence antérieurs, on comprend facilement qu’ils prennent un sens nouveau pour bon nombre de personnes, et qu’elles y voient la preuve de l’existence d’une entente préétablie visant à commettre le génocide. Elle considère qu’il est manifeste que ces préparatifs pouvaient clairement entrer dans le cadre d’un plan visant à commettre le génocide. [mais] lorsqu’une Chambre de première instance est saisie de preuves circonstancielles, elle n’est habilitée à rendre un verdict de culpabilité que pour autant que cette conclusion soit la seule qui puisse raisonnablement être dégagée.”

- AFRIKARABIA : D’où tirez-vous ces citations ?

- Jean-François DUPAQUIER : De le condamnation en première instance du colonel Bagosora et de deux de ses co-accusés. C’est un arrêt très long et très documenté, qui représente près de mille pages pour sa version en français, que l’historien Bernard Lugan n’a pas pu ne pas lire car n’importe qui peut le télécharger sur internet, même le général Tauzin. Ce que disent les juges, c’est que les enquêteurs du TPIR n’ont pas démontré de façon irréfutable “l’entente en vue de commettre le génocide”. Peut-être que les enquêteurs du TPIR n’ont pas fait preuve de suffisamment de compétence et d’opiniâtreté, ou que l’accusation n’a pas été conduite correctement.
A l’occasion de l’affaire DSK, le public français a pu se familiariser récemment avec le droit anglo-saxon et comprendre comment la présomption d’innocence bénéficie à l’accusé s’il subsiste une interrogation “au delà du doute raisonnable”. Ca n’a rien à voir avec l’intime conviction pratiquée en France. La question de la conspiration du génocide contre les Tutsi du Rwanda a été traitée dans le cadre de ce droit anglo-saxon, qui inspire le TPIR à Arusha, en Tanzanie, siège du Tribunal international.

- AFRIKARABIA : Est-ce à dire q’on ne pourra jamais prouver devant une cour de justice, que le génocide contre les Tutsi aurait été le résultat d’un complot ?

- Jean-François DUPAQUIER : Bien au contraire. Je vais vous citer un autre passage du même jugement “Bagosora” du 18 décembre 2008 :
“La Chambre fait observer qu’il est possible que l’accès à d’autres informations, la découverte de faits nouveaux, les procès à venir ou l’histoire permettent un jour de démontrer l’existence d’une entente en vue de commettre le génocide antérieure au 6 avril et à laquelle seraient parties les accusés. Elle souligne toutefois que son domaine d’intervention est limité par des normes de preuve et des règles de procédure strictes, ainsi que par les éléments de preuve versés au dossier dont elle est saisie et par les actes des quatre accusés sur lesquels elle se doit de centrer son attention. Elle signale que pour parvenir à sa conclusion sur l’entente, elle a pris en considération l’ensemble des éléments de preuve produits en l’espèce, tout en faisant observer qu’une fondation solide ne peut se bâtir sur la base de briques fracturées. En conséquence, la Chambre affirme qu’elle n’est pas convaincue que le Procureur a établi au-delà de tout doute raisonnable que les quatre accusés se sont entendus entre eux ou avec d’autres en vue de commettre le génocide, préalablement à son déclenchement le 7 avril 1994.”
Vous voyez ainsi que sur cette question essentielle, l’historien Bernard Lugan ne dit pas la vérité en affirmant que le jugement Bagosora ETABLIRAIT que le génocide «  n’a pas été prémédité ». Il alimente lui aussi l’argumentaire négationniste.

- AFRIKARABIA : Le mot négationniste n’est-il pas « mis à toute les sauces », au Rwanda et ailleurs ?

- Jean-François DUPAQUIER : J’ai entendu au Rwanda certaines personnes qualifier de « négationnistes » tous ceux qui critiquent le régime de Paul Kagame. Comme le mot génocide, celui de négationniste est trop précieux pour servir à des calculs politiciens et se retrouver vidé de sens pas sa banalisation ou son instrumentalisation politique. Il n’empêche que le négationnisme est la poursuite du génocide par les mots, une façon de tenter d’effacer la mémoire des victimes, après le martyr du groupe-cible. Ces « Eichmann de papier », pour reprendre l’expression de Pierre Vidal-Naquet, sont très dangereux.

- AFRIKARABIA : Tous ceux qui critiquent le régime de Paul Kagame ne sont donc pas des négationnistes ?

- Jean-François DUPAQUIER : Evidemment. Et le régime de Paul Kagame n’est pas parfait, loin s’en faut.

A suivre...

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31 août 2011

Kagame à Paris : Une visite prétexte à "un flot d'inepties" selon Jean-François Dupaquier

Les 12 et 13 septembre, Paul Kagame, président de la République du Rwanda rend une “visite de courtoisie” à Nicolas Sarkozy après le passage de ce dernier à Kigali en février 2010. Les négationnistes du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 semblent s’être donné le mot pour troubler la visite. Dans une longue interview, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier analyse l’événement. Un entretien en trois parties, dont voici le premier volet.

Capture d’écran 2011-08-31 à 23.03.12.png- AFRIKARABIA : Jean-François Dupaquier, vous donnez rarement votre opinion sur la situation actuelle au Rwanda. Pourquoi acceptez-vous aujourd’hui de répondre à nos questions à ce sujet ?

- Jean-François DUPAQUIER : Mes investigation portent sur le génocide contre les Tutsi en 1994, et j’estime qu’il faut éviter de sortir du domaine où l’on peut être reconnu pour son expertise. Ces recherches m’ont conduit au Rwanda ou au siège du Tribunal pénal international à Arusha à plus de vingt-cinq reprises depuis dix-sept ans. Mais comme journaliste je reste évidemment informé sur la réalité d’aujourd’hui. Ce qui m’amène à sortir de ma réserve, c’est le flot d’inepties qui se déverse sur internet, mais aussi dans des médias réputés sérieux, au sujet du Rwanda et du régime de Paul Kagame, en prenant pour prétexte la prochaine visite de celui-ci à Paris.

- AFRIKARABIA : Par exemple ?

- Jean-François DUPAQUIER :  Pour comprendre le caractère délirant de certains propos, notamment sur internet, rappelons tout d’abord que ce flot d’inepties n’est pas nouveau. Il est utile de mettre le prétendu «  tribalisme » au Rwanda en perspective. Après la traite négrière, depuis la première moitié du  XIXe siècle, l’Afrique noire occupe une place de choix dans les fantasmes des Occidentaux. L’épisode colonial a incarné puis cristallisé ces fantasmes au point qu’ils demeurent prégnants dans les opinions publiques européennes ou nord-américaines, servant aujourd’hui en Occident de fonds de commerce à toutes sortes d’escrocs, de manipulateurs, d’illuminés, de vendeurs de sornettes, etc., mais aussi à certains politiciens africains sans scrupules. Et il se trouve que le petit et « mystérieux » - entre guillemets - Rwanda semble focaliser ces fantasmes davantage qu’aucun autre pays d’Afrique noire.

- AFRIKARABIA : Pouvez-vous être plus précis ?

- Jean-François DUPAQUIER : Aux personnes prêtes à suivre une explication forcément longue sur l’origine de cette névrose collective, je renvoie au livre de Jean-Pierre Chrétien, « L’Invention de l’Afrique des Grands Lacs » (Ed Karthala, Paris), et aux autres livres de cet éminent historien. On comprendra comment les catégories Hutu-Tutsi-Twa (Pygmées), qui existent depuis la nuit des temps au Rwanda, mais ne constituaient que des agrégations de groupes socio-professionnels fluctuants, ont été  passés à la moulinette des fantasmes raciaux européens pour être décrétés des « races » antagonistes, et à ce titre, constitutives du seul véritable enjeu politique méritant considération. Les massacres de Tutsi au Rwanda à partir de 1959, et l’extermination en 1994 d’environ 80% des Tutsi qui n’avaient pas fui leur pays (les rescapés ont été sauvés par l’avance du FPR), sont le résultat calamiteux de cette « machine à fantasmes ». Une sorte
de grenade dégoupillée par les explorateurs et missionnaires européens puis exploitée pas des politiciens rwandais prêts à tout pour s’emparer du pouvoir, puis le garder sans partage.

- AFRIKARABIA : En quoi cette histoire est-elle liée à ce que vous appelez « le flot d’inepties qui se déverse sur internet, mais aussi dans des médias réputés sérieux, au sujet du Rwanda et du régime de Paul Kagame » ?


- Jean-François DUPAQUIER : J’y viens. Le génocide contre les Tutsi en 1994 a révélé les responsabilités écrasantes de François Mitterrand et de sa camarilla – relayés sur place par les militaires français des opérations Noroit, Amarylis et Turquoise. Les uns et les autres ont réagi par des discours d’autojustification qui ont rapidement viré au réquisitoire antitutsi. Ce discours raciste « tourne en boucle », se nourrissant de lui-même par un singulier processus d’hyper radicalisation. Au point d’épouser la propagande qui a préparé puis « accompagné » le génocide au Rwanda. Nous avons mis en relief, dans le livre « Les médias du génocide » (Ed Karthala,  sous la direction de Jean-Pierre Chrétien) la propagande qui avait préparé l’extermination des Tutsi. Un génocide a besoin d’un fondement idéologique.

- AFRIKARABIA : Mais pourquoi le génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994 suscite-t-il des polémiques aussi radicales en France ?

- Jean-François DUPAQUIER : Au Rwanda s’est noué l’ultime avatar de l’agitation coloniale française. Je devrais dire « l’ultime avatar du duo Mitterrand-Védrine ».

- AFRIKARABIA : Pour quelle raison parlez-vous d’Hubert Védrine ?

- Jean-François DUPAQUIER : Cet homme a été porte-parole de l’Elysée de 1988 à 1991, puis secrétaire général de l’Elysée entre 1991 à 1995, officiant donc pendant toute la période d’interventions militaires françaises au Rwanda. Et durant une période où François Mitterrand, de plus en plus malade, était sur la fin pratiquement incapable de présider. Il suffit de relire par exemple les mémoires de son médecin, le docteur Gubler, de son chauffeur Pierre Tourlier, ou encore les mémoires d’Edouard Balladur qui mentionne qu’en 1994 l’idée est apparue de faire constater l’empêchement de Mitterrand à accomplir ses fonctions. On sortait le président de son lit pour de brèves apparitions publiques.
Presque tous les Français l’ignorent, mais ils avaient pour président occulte Hubert Védrine, qui tirait toutes les ficelles du pouvoir. En particulier sur le dossier Rwanda, dont il avait fait une affaire personnelle. Aujourd’hui encore, derrière l’apparence policée du personnage, on devine une hargne hors du commun lorsque Védrine défend ce qu’il prétend devoir appeler « l’héritage de François Mitterrand » concernant le Rwanda, mais qui est avant tout son propre héritage. On pourrait employer le mot « fanatisme ». Je préfère le qualificatif d’hyper-radicalisation.

- AFRIKARABIA : Vous avez déjà parlé de « processus d’hyper radicalisation ». Est-ce que vous n’exagérez pas ?

- Jean-François DUPAQUIER : La haine des Tutsi sert à fédérer un  courant conspirationniste et négationniste inquiétant. Prenons un  seul exemple : les propos répandus par un certain Roland Hureaux sur le site de Marianne2.  Année après année, ce personnage évoque une « internationale tutsi » qui déploierait ses tentacules au service des intérêts américains et israéliens (accessoirement britanniques) afin de chasser la France d’Afrique noire.

- AFRIKARABIA : En quoi ce discours est-il négationniste ?


- Jean-François DUPAQUIER : Sans toujours nier le génocide des Tutsi de 1994, il s’agit de le minimiser ou de le banaliser en inversant la réalité : les Tutsi seraient les responsables de leurs propres malheurs, il y aurait un « double génocide », et l’Etat incarné par François Mitterrand serait une victime et non pas un coupable du génocide.

- AFRIKARABIA : François Mitterrand et ses proches, des victimes ?

- Jean-François DUPAQUIER : Pour ces radicaux, le génocide de 1994 serait le produit d’un complot américain pour nuire à la France. Or le régime de Mitterrand n’a eu besoin de l’aide – ou de l’hostilité - de personne pour déshonorer la France et nuire à ses intérêts dans cette région du monde.
Le processus de radicalisation a commencé par le parapluie militaire français apporté au régime du président Habyarimana et de son épouse, qui a ainsi trouvé le temps et les ressources pour organiser méticuleusement le génocide des Tutsi. Les ultimes défenseurs de cette politique n’ont plus d’autre argument que dénoncer de prétendues tares ataviques des Tutsi. En 1994, les tueurs se justifiaient aussi en diabolisant les Tutsi. Tout ça nous renvoie à la littérature colonialiste la plus méprisable.

- AFRIKARABIA : Roland Hureaux que vous citez n’est pas le seul à propager ces thèses ?


- Jean-François DUPAQUIER : Effectivement, mais il a produit une sorte de condensé des délires sur un prétendu atavisme tutsi. Il écrit ainsi (http://roland.hureaux.over-blog.com/article-le-rwanda-les...) que « les Tutsis sont une élite africaine extrêmement douée, non seulement pour faire la guerre mais pour séduire et   pratiquer la désinformation ». Il répète sa vulgate conspirationniste le 4 août dernier sur le site de Marianne2 (http://www.marianne2.fr/Soudan-du-sud-une-independance-a-...). Sous prétexte de considération – très contestables – sur le Soudan, revoici son couplet d’un sinistre complot américain contre la France. Et l’inquisition raciale en cerise sur le gâteau : Joseph Kabila le président de RDC « est probablement tutsi ».  Selon Hureaux, qui voit des Tutsi partout.

- AFRIKARABIA : C’est une rumeur qui court depuis longtemps à Kinshasa…


- Jean-François DUPAQUIER : C’est Roland Hureaux  qui le dit. Et pourtant le père de Joseph Kabila, Laurent-Désiré Kabila, n’avait rien d’un Tutsi. Je pose à mon tour une question : est-il honorable de propager ce genre de rumeur qui semble inspiré par le fantasme ou la malveillance, et qui alimente des haines détestables en RDC ?

- AFRIKARABIA : Faut-il accorder de l’importance à de tels propos de ce Roland Hureaux, qui peuvent sembler simplement fantaisistes ?

- Jean-François DUPAQUIER : Cet individu a produit pire sur le site internet de l’hebdomadaire Marianne, très exactement le 13 février 2008. On peut y apprendre les turpitudes inouïes de « l’internationale tutsi » qui a réussi à propulser un Tutsi à la présidence des Etats-Unis. Je conseille de lire dans le texte en tapant http://m.marianne2.fr/index.php?action=article&numero...

Selon Hureaux, Obama est à la fois « un blanc déguisé en noir »  et par son père, un Kenyan de l’ethnie Luo, un « nilo-hamite ». Et il ajoute : « Eux ou leurs cousins sont au pouvoir au Rwanda, au Burundi, en Ouganda, en Ethiopie et au Soudan (quoique les Nilo-Hamitiques soudains se prétendent Arabes). De grands hommes politiques de la région comme Julius Nyerere, fondateur du socialisme ujamaa ou Yoweri Museveni, actuel président de l’Ouganda, en sont. …. Kabila, président du Congo est, dit-on, à moitié tutsi. »
Cet individu voit des Tutsi partout… Le ridicule ne tue pas, ou le délire obsessionnel se soigne, heureusement pour lui.

- AFRIKARABIA : On entend aussi beaucoup certains militaires français intervenus au Rwanda, comme le général Didier Tauzin, qui affirme « défendre l’honneur de l’armée française » ?

- Jean-François DUPAQUIER : Il y a en France une poignée de politiciens, certains romanciers, et divers régiments qui ont fondé leur identité et leurs réseaux sur une aventure coloniale mythique. Le Rwanda focalise d’autant plus leurs passions qu’ils sont conscients que leur identité ne repose sur rien de concret. Certains sont dans le registre d’une pensée délirante.

- AFRIKARABIA : Vous pensez à qui en particulier ?


- Jean-François DUPAQUIER : A cet égard, le récent livre du général Tauzin est un véritable monument dont je recommande la lecture. Par exemple lorsqu’il explique que les Hutu ont colonisé le Rwanda avant Jésus-Christ et les Tutsi, après (une affirmation lourde de sous-entendus) ! Lorsqu’un général Scrogneugneu se pique d’ethnologie et d’histoire des peuplements, c’est souvent amusant. Ce « pithécanthrope galonné » - pour reprendre une formule qui a été appliquée avec succès au général Bigeard –  pourrait lui-même faire l’objet d’une thèse d’ethnologie.

- AFRIKARABIA : Pour en revenir à Roland Hureaux, n’accordez-vous pas trop d’importance à un individu parmi tant d’autres qui se répandent sur certains sites ou dans les rayons des libraires ? La Toile n’est pas avare de propos sans fondement…


- Jean-François DUPAQUIER : Pas très connu en dehors de certains cercles d’excités, ce Roland Hureaux n’est pourtant pas échappé d’un asile. Il s’agit d’un  normalien et d’un énarque, professeur associé à l’Institut d’Etudes Politique de Toulouse, et qui a été membre du cabinet du Premier ministre Edouard Balladur en 1994. Son dernier article, déposé le 4 août dernier, montre que la venue du président Kagame à Paris a porté au paroxysme son excitation. Il n’est hélas pas le seul.

- AFRIKARABIA : Vous pensez à Pierre Péan ?

- Jean-François DUPAQUIER : D’une certaine façon, oui. Ses deux livres qui ont pour fil directeur les tragédies du Rwanda, « Noires fureurs, blancs menteurs » et « Carnages » sont dans la droite ligne du roman colonial populaire : le Blanc avisé – lui-même, évidemment – apporte la Vérité à d’obscurs africains. Il décrit sommairement (forcément, puisqu’il n’a même pas mis les pieds au Rwanda) deux pseudo tribus dont l’une, sous sa plume, suscite l’aversion et l’autre la compassion. Manichéisme et paternalisme sont les deux mamelles dont se nourrit Péan. Mais ceux qui suscitent surtout sa colère sont les Blancs anticoloniaux, qu’on appelle aujourd’hui tiers-mondistes. Tout dans ses livres nous ramène au complexe de Fachoda. Une vision primaire qu’Hubert Védrine, son ami, n’hésite pas à soutenir dans un récent article de la revue Le Débat, revue qu’on a connu mieux inspirée.
Concernant Péan, le primitif n’est pas celui qu’on pourrait imaginer… La visite du président Kagame en France s’inscrit dans ce contexte très particulier.

Lire le second volet de cette interview : Visite du Président Kagame en France : démêler le vrai du faux

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25 août 2011

Burundi : la persécution des avocats entre le ridicule et l’odieux

François Nyamoya, avocat au barreau du Burundi, toujours détenu à Bujumbura, à nouveau devant ses juges ce vendredi 26 août.

Afrikarabia logo.pngIl y a quelques semaines, trois avocats ont été successivement arrêtés au Burundi, dont le Bâtonnier de l’ordre des Avocats. Ces arrestations répétées ont suscité une émotion considérable dans la profession qui a menacé d’une grève générale.

Le Bâtonnier et une avocate ont été rapidement libérés. Me François Nyamoya est resté détenu.

Vendredi   19   août 2011, le juge en charge de l’examen de la situation de détention provisoire de Me Nyamoya, avait ordonné qu’il soit remis en liberté en assortissant cette mesure de conditions telles la présentation de Me Nyamoya au parquet à intervalles réguliers.
Le parquet a interjeté appel. Le code pénal burundais prévoit que l’ordonnance de mise en liberté est immédiatement exécutoire nonobstant appel. La loi est claire et non-sujette à interprétation. Malgré le texte clair et les démarches du Bâtonnier en vue de respecter le code de procédure pénale, Me Nyamoya n’a pas été libéré.
Ce vendredi, l’avocat burundais sera présenté devant le juge d’appel. Tout le barreau du Burundi compte se mobiliser pour soutenir son confrère. Le bâtonnier a d’ailleurs confirmé la demande de libération immédiate de Me Nyamoya, lors d’une conférence de presse le 24 août à Bujumbura.
La défense rappelle que le dossier qui justifie l’arrestation de Me Nyamoya, est le dossier de l’assassinat le soir du 20 novembre 2001, d’un diplomate de l’OMS,  Kassy Manlan.

Tout semble indiquer que l’assassinat du Dr Kassy a été un crime d’Etat. Il a été enlevé par un commando bien organisé après une semaine de filature à Bujumbura. Cet Ivoirien, représentant de l’OMS au Burundi et ayant donc un statut de diplomate, avait enquêté sur d’énormes détournements de fonds au détriment du projet de l’OMS de lutte contre le paludisme.

« A 22 heures, au moment de la sortie de son bureau, il est filé par trois hommes, tous des anciens militaires. Chez lui, neuf hommes l’attendaient. Il a été maîtrisé et conduit à son travail pour détruire un fichier très important et très… intéressant. C’est ce fichier qui est le mobile de son assassinat », avait relaté Gratien Rukindikiza, de l’agence Burundi News.
« Après avoir détruit son fichier qui l’avait pris beaucoup de jours à confectionner et documenter, le commando l’a alors conduit chez lui pour y être tué à minuit. Son cadavre a été acheminé à bord d’une camionnette sur les bords du lac Tanganyika, près du cercle nautique, pour être dévoré par les crocodiles. Cependant, le cadavre a été épargné. » Et donc retrouvé.

Jusqu’à présent, les organes d’Etat du Burundi ont tout fait pour empêcher la condamnation judiciaire des meurtriers et commanditaires et pour créer de fausses pistes : la sœur de Me Nyamoya, Gertrude, elle-même agent de l’O.M.S.,  avait été fallacieusement accusée de ce meurtre par des enquêteurs qui avaient trafiqué la recherche de la vérité.

Face à une telle manœuvre grossière, l’O.M.S. avait décidé d’organiser la défense de son agent. C’est à Me François Nyamoya et à quelques autres que l’on doit d’avoir découvert  une partie de la vérité de cette affaire exemplaire de l’instrumentalisation de la justice. Et c’est dans ce dossier où toute cette famille à tellement souffert qu’aujourd’hui, l’on accuse Me Nyamoya de subornation de témoin.

Le porte-parole du Barreau, Me Sylvestre Banzu Banze, a rappelé avec justesse que les faits concernant cette affaire honteuse qui remonte à 2001, sont d’office prescrits et que le maintien en détention de Me Nyamoya constituerait une bavure judiciaire. Par ailleurs, si le dossier devait être réouvert, il faudrait évidemment s’attaquer prioritairement à l’identification des meurtriers de Kassy Manlan et de leurs commanditaires.

L’un de ses avocats et amis, Me Bernard Maingain, du Barreau de Bruxelles, souligne que « Me Nyamoya est une personnalité rayonnante qui témoigne par sa vie même, de l’idéal de justice. Il est reconnu à Bujumbura pour son éthique rigoureuse et pour son désintéressement. Il n’a jamais hésité à assumer des dossiers difficiles et son cabinet est le lieu où policiers et militaires, fonctionnaires, militaires et magistrats viennent se confier chaque fois que l’Etat de droit est menacé. Son engagement politique au sein du M.S.D., intervient dans le respect de la loi burundaise et s’inscrit dans une volonté claire de lutte pour plus de justice, ce qui n’est pas condamnable en l’état du droit burundais. »

Dans le contexte difficile des relations entre le Barreau et certaines autorités, la défense invite à l’apaisement et au dialogue.

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22 août 2011

Rwanda : Arrestation d’un ancien ministre du « gouvernement génocidaire » rwandais à Créteil

On apprend tardivement l’interpellation à Créteil le 9 août dernier sur mandat d’arrêt international de Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki, ministre des Travaux publics du gouvernement intérimaire dit aussi « gouvernement génocidaire » qui avait été mis en place le 9 avril 1994 à Kigali, après l’attentat qui avait coûté la vie au président Juvénal Habyarimana. Un attentat qui avait servi de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi.

Visé par un mandat Interpol émis par le procureur général du Rwanda Martin Ngoga, Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki vivait semble-t-il le plus tranquillement du monde dans le Val-de-Marne où au moins un membre de sa famille apparaît dans l’annuaire téléphonique. Cet homme né en 1955 à Rubavu (Gisenyi) au Rwanda était un des dirigeants du Parti Social Démocrate (PSD) dont il avait pris la tête de la tendance extrémiste et ethniste (dite « Power ») en 1993, quelques mois avant le génocide contre les Tutsi.

C’est à ce titre qu’il fut appelé par les extrémistes de la « solution finale » contre les Tutsi à faire partie du gouvernement intérimaire mis en place le 9 avril 1994, trois jours après l’attentat qui avait coûté la vie au président Juvénal Habyarimana et deux jours après l’assassinat du Premier ministre Agathe Uwilinyimana par la Garde présidentielle. Chargé des Travaux Publics, Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki était aussi récompensé de son autorité sur les milices Interahamwe et Impuzamugambi de Gisenyi.

Surnommé  John Muhindo ou Cyewusi (« le foncé »), l’homme se serait distingué dans les implacables massacres commis dans sa commune d’origine, Gisenyi-Ruvabu. Un témoin protégé du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, « DCH », chef interahamwe qui le secondait, a ainsi décrit (en minimisant son propre rôle) l’un de ces massacres que Rafiki aurait personnellement ordonné en juin 1994 lors d’un meeting à Gisenyi :

« Seul Hyacinthe Rafiki a pris la parole. Et après cela, les autres, dont le conseiller Fazili, ont rassemblé des gens et ils se sont mobilisés, ils sont allés dans la mosquée de Gisenyi et dans d’autres bâtiments pour fouiller ; et ils faisaient sortir les gens et les tuaient. Et il y avait des véhicules qui transportaient les cadavres et les amenaient à un autre endroit ; on voyait ces véhicules passer. […] Mes yeux fonctionnent très bien, j’ai vu ces attaques. Et j’ai vu des gens sur lesquels on a tiré, j’ai vu des gens qui ont été tués à coups de machette ou de massue, et j’ai vu des cadavres qu’on transportait à bord des véhicules.[…] Je voyais les gens courir partout, j’entendais des gens crier, j’entendais des coups de sifflet. […] À Gisenyi, notamment à Majengo, et à la mosquée, et chez Butsitsi, qui était un ancien adjudant-chef ; on a fait sortir des personnes de la maison de cet homme. […] Je
voyais ces gens courir et on les pourchassait. […] J’ai circulé partout.
Je suis allé au bar Rubavu, et je suis allé prendre un verre chez l’adjudant-chef Butsitsi et après, je suis descendu dans le quartier commercial, et après, j’ai pris la route qui monte vers la Gendarmerie, et après je suis allé à un endroit où il y avait une buvette des Interahamwe dans un bâtiment appartenant à […] Léonidas Baganahe. » (Contre-interrogatoire témoin « DCH », TPIR, affaire n° ICTR-98-41-TLE, chambre III C, Bagosora, 28 juin 2004).

Le TPIR disposerait d’autres témoignages le mettant en cause dans des tueries

Inculpé au Rwanda de génocide, entente en vue de commettre le génocide, extermination, participation à un groupe armé, etc.,  Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki fait partie d’une liste de « génocidaires de premier niveau » établie depuis 1996 par le Parquet de Kigali. Ayant fui au Zaïre après le génocide, il a participé à la rébellion des FDLR en RDC, mais il a été exclu de ce mouvement officiellement pour « trahison » le 16 août 2005, comme en atteste un communiqué signé d’Anastase Munyandekwe, porte-parole des FDLR - elle-même une organisation terroriste. Mais il est possible que cette « exclusion » n’ait visé qu’à le dédouaner au moment ou des enquêteurs de l’ONU s’intéressaient aux terribles exactions des FDLR en RDC.

Après son arrestation à Créteil, Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki aurait été remis en liberté sous contrôle judiciaire dans l’attente du dossier d’extradition annoncé par le procureur général du Rwanda.

Jean-François DUPAQUIER

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09 août 2011

Un nouvel ambassadeur des Etats-Unis au Rwanda

Le nouvel ambassadeur des Etats-Unis au Rwanda,  Donald W. (“Don”) Koran, qui a été choisi par Obama en avril dernier, devrait prochainement rejoindre son poste après sa confirmation par le Sénat. Depuis 1984, Don Koran a fait carrière au Senior Foreign Service et fut récemment Directeur de l’Office d’Analyse de l’Afrique (Office of Africa Analysis) au Bureau du Renseignement et de la Recherche du Département d’Etat américain.  Cet homme qui ne fait pas partie du “sérail diplomatique” a été notamment chef de mission au Niger puis au Rwanda.

Capture d’écran 2011-08-09 à 22.19.47.pngA Kigali, il va succéder à un diplomate de carrière, W. Stuart Symington qui avait été choisi par le Président George W. Bush et confirmé par le Sénat américain le 1er août 2008. Les Etats-Unis entretiennent à Kigali une vaste et impressionnante ambassade, construite à l’emplacement d’un ancien camp militaire. Elle regroupe également les ONG américaines. Bénéficiant de l'exceptionnel dispositif sécuritaire du régime de Kigali, les Etats-Unis y ont localisé l'essentiel de leurs services de Renseignement sur l’Afrique des Grands Lacs et l’Afrique de l’Est.

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31 juillet 2011

Le Rwanda espère un siège au Comité exécutif du Haut commissariat pour les réfugiés

Le Conseil économique et social des Nations-unies vient de décider à l’unanimité d’approuver la demande de l’Etat rwandais d’un siège au Comité exécutif du Haut commissariat pour les réfugiés. Ce vœu sera transmis à la 66e session de l’ONU dans le cadre d’un projet d’élargissement du Comité de 85 à 87 membres.

Drapeau Rwanda.jpg« Le Rwanda veut renforcer sa coopération internationale dans la région au regard de la Convention sur les réfugiés de 1951 et du Protocole de 1967 », a expliqué Alphonse Kayitare, Chargé d’affaire à l’ambassade du Rwanda à Genève, qui a introduit la demande auprès des Nations-Unies.

Ce geste serait important par rapport à l'histoire du Rwanda qui, depuis les massacres « ethniques » contre les Tutsis ayant commencé en 1959, avait une des plus importantes et des plus anciennes  populations réfugiées dans le monde entier, un effectif augmentant au fur et à mesure des massacres de Tutsis. Et un statut invoqué, à l’inverse, par des Hutus ayant fui le Rwanda après le génocide de 1994 et la victoire du Front patriotique (FPR).

Ce geste sera important également par rapport aux falsifications historiques essentiellement française autour d'une attaque des  "Ougandais" en 1990, prétexte de l’intervention militaire française et du génocide des Tutsis.

Déjà à la 60e session du Comité exécutif, en 2009, le Haut commissaire aux réfugiés avait pris en compte que le Rwanda a enregistré « d’énormes progrès en matière de développement socio-économique et en mat!ère de sécurité ». Et qu’en conséquence, le statut de réfugié jusqu’alors presque automatiquement  accordé aux Rwandais à l’étranger qui en faisaient la demande, n’a plus de raison d’être.

La Clause permettant  à des Rwandais de postuler au statut de réfugié devrait être supprimée à la fin de cette année.

François MOLYNEUX

A Kigali pour Afrikarabia

22:04 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (5)

27 juin 2011

Rwanda : Report de l'audition des trois plaignantes contre l'armée française

Trois rwandaises devaient être auditionnées par le juge d'instruction du Tribunal aux Armées de Paris (TAP) les 28, 29 et 30 juin prochains pour des plaintes pour viols contre des militaires de l'Opération Turquoise. Ces auditions ont été reportées par l'absence du juge Frédéric Digne pour des raisons de santé. Les trois plaignantes devront donc revenir en France dans quelques mois pour une nouvelle audition.

Afrikarabia logo.pngRendez-vous manqué pour une audition très attendue. Avec les plaintes de ces trois rwandaises d'origine Tutsi, c'est le rôle de la France pendant le génocide rwandais qui est en accusation. Les trois plaintes portent sur des viols et des violences commis par des militaires français au cours de l'Opération Turquoise au Rwanda entre avril et août 1994. Des actes d'autant plus choquants pour les parties civiles que l'Opération Turquoise était cessée mettre fin au génocide et protéger les civils. Derrière les actes de viols et de violences multiples, les témoignages des trois rwandaises convergent ensuite pour indiquer que les militaires français encourageaient les miliciens "Interahamwe" à tuer les Tutsi. Selon une plaignante, " au contrôle des barrières du camp, (les militaires français) se sont mis à nous regarder en passant leur main comme un couperet sur leur cou en disant « les Tutsi »". Pour ces raisons, le 2 avril 2010, la juge d'instruction a  retenu la qualification de "crimes contre l’humanité" et "participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime contre l’humanité".

Le parquet estime toutefois que les faits dénoncés relèvent, a priori "d’exactions individuelles" et  l'armée française nie toujours toute implication dans le génocide rwandais. Pourtant deux témoins corroborent les déclarations des trois rwandaises. Straton Sinzabakwira et Aloys Kanyemera indiquent que "des militaires français se rendaient coupables de viols dans les camps de réfugiés à cette période et que ces viols étaient uniquement perpétrés à l’encontre des femmes Tutsies en raison de leur ethnie, les femmes Hutu étant préservées". Straton Sinzabakwira confirme ensuite les liens étroits entre l'armée française et les miliciens "Interahamwe" : "les Français entrainaient les Interhamwe dans un lieu près de Kigali au Mont Gary (...). Ils leur faisaient faire des exercices militaires, leur apprenaient les maniements des armes à feux, des armes blanches. On leur apprenaient à faire des exécutions rapides (…). Mon beau-frère était gendarme instructeur  et assistait les Français lors des entrainements ".

En attendant, les trois rwandaises devront rentrer à Kigali sans avoir pu être entendues par le juge du Tribunal aux Armées de Paris, Frédéric Digne, absent pour des raisons médicales. Elles semblent visiblement prêtent à refaire le voyage à Paris dans quelques mois.

Christophe Rigaud

22:49 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (0)

08 mai 2011

Rwanda : La visite de Kagame en France encore repoussée

Annoncée pour début 2011, prévue en avril, puis début juillet, la visite officielle du président rwandais Paul Kagame à Paris serait fixée fin 2011 par Kigali… autant dire que le rapprochement franco-rwandais est loin d'être la priorité du Paul Kagame. Pour preuve, les récentes passes d'armes entre Paul Kagame et Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères.

Drapeau Rwanda.jpgRien ne va plus entre Paris et Kigali. Les multiples reports de la visite officielle de Paul Kagame accentuent le malaise persistant entre la France et le Rwanda. Un semblant de réchauffement s'était opéré avec la visite de Nicolas Sarkozy à Kigali en février 2010, après 3 années de brouille diplomatique. Le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Bernard Kouchner, n'y était sans doute pas pour rien. Réputé proche du président Kagame, Kouchner avait tout fait pour tenter de recoller les morceaux. On attendait donc en retour, la visite officielle de Paul Kagame à Paris, la première depuis le génocide de 1994.

Entre temps, Bernard Kouchner est débarqué du Quai d'Orsay. Et son remplaçant n'est pas un inconnu à Kigali : il s'agit d'Alain Juppé, de retour aux Affaires étrangères. Une arrivée très mal vécue par le Rwanda. Juppé était au même poste pendant le génocide de 1994 et a toujours défendu l’opération Turquoise, dont il fut l’un des principaux artisans. Kagamé a toujours accusé la France d’avoir soutenu et armé les génocidaires, mais aussi de les avoir protégés, pendant cette fameuse opérationTurquoise. Juppé n'a jamais accepté la repentance de la France sur l'ambiguïté de son action pendant et après le génocide, comme en témoigne un post sur son blog personnel.

La tension est montée d'un cran dans une récente interview du président rwandais qui indiquait qu'Alain Juppé n'était pas le bienvenu à Kigali. Réponse d'Alain Juppé : "je n'ai pas l'intention d'y aller tant que circulerait un rapport mettant en cause le rôle de la France en 1994". Juppé dénonce le rapport Mucyo, visant pêle-mêle : François "Mitterrand, Edouard Balladur,  Hubert Védrine, Dominique de Villepin, François Léotard et Alain Juppé lui-même. Ce rapport rwandais, publié en 2008, accuse la France et principalement son armée d'avoir participé au génocide de 1994. Pour Juppé il s'agit d'un simple "contre-feu" à l'enquête Bruguière mettant en cause le FPR de Kagame dans l'attentat de l'avion du président Habyarimana, coup d'envoi au génocide.

Les plaies sont donc encore vives entre les deux pays et le principal obstacle au rapprochement franco-rwandais porte désormais un nom, celui d'Alain Juppé. Tant que celui-ci est au Quai d'Orsay, on voit mal comment Kagame peut se rendre à Paris.

Christophe Rigaud

15:08 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (5)

20 avril 2011

Tentative de déstabilisation de l’ambassadeur de France au Rwanda

Le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient sur la cabale menée contre l’ambassadeur de France au Rwanda par des cercles occultes de la « Françafrique » qui poussent à son limogeage.

Image 3.pngAFRIKARABIA : - Jean-François Dupaquier, votre compte-rendu du discours de l’ambassadeur de France au Rwanda pour la 17e commémoration du génocide a fait des vagues, c’est le moins qu’on puisse dire. Pourquoi certains groupes ou individus s’en servent-ils pour réclamer plus ou moins insidieusement le limogeage de l’ambassadeur Laurent Contini par son ministre, Alain Juppé ?

Jean-François DUPAQUIER : - J’ai relaté sur votre site les propos tenus par l’ambassadeur de France à Kigali lors de la récente cérémonie commémorative du génocide. Il s’agissait de propos officiels, pas du tout d’indiscrétions, et ils ne contenaient aucune révélation. On peut s’étonner qu’ils excitent certains milieux occultes de la « Françafrique », lesquels, il est vrai, sont à l’affût du moindre prétexte pour leur agitation et leurs manipulations…

AFRIKARABIA : - A quels milieux faites-vous allusion ?

Jean-François DUPAQUIER : - N’en faisons pas une montagne. Ce ne sont que des groupuscules d’excités, décidés à empêcher par tous les moyens la réconciliation entre la France et le Rwanda, et qui ne font du tapage que sur internet. Je pense en particulier au blog d’un prêtre rwandais mis en examen en France et placé sous contrôle judiciaire depuis près de seize ans et qui est accusé de génocide, viols, extermination et assassinats constitutifs de crimes contre l’humanité par le Procureur du Tribunal Pénal international pour le Rwanda (TPIR). Sans méconnaître la présomption d’innocence, il serait utile de lui rappeler qu’il réside en France depuis tout ce temps sans le moindre titre de séjour, que sa situation semble singulièrement précaire, et qu’il ferait mieux d’éviter de critiquer chaque semaine sur son blog telle ou telle position du gouvernement français. Plutôt que de gloser sur « l’honneur de la France et de ses soldats » et critiquer un ambassadeur de France dans le pays qu’il a fui en niant le génocide des Tutsi, il aurait intérêt à se faire tout petit. C’est un conseil gratuit que je lui donne. Mais il est moins responsable que son supérieur, l’évêque d’Evreux, qui tolère un tel délire…

AFRIKARABIA : - Mais il y a aussi des Français qui critiquent la diplomatie de leur gouvernement au Rwanda ?

Jean-François DUPAQUIER : - C’est leur droit. Surtout dans le cadre des principes démocratiques que certains, hélas, méconnaissent. Il n’appartient pas à une officine de pratiquer la désinformation en prétendant que le ministre des Affaires étrangères est énervé contre son ambassadeur au Rwanda à la suite d’un article sur AFRIKARABIA.

AFRIKARABIA : - Expliquez-vous.

Jean-François DUPAQUIER : - Il semble qu’un blog très suivi au Quai d’Orsay se croie habilité à y faire la pluie et le beau temps en lançant de faux bruits. Par exemple que l’ambassadeur de France au Rwanda Laurent Contini énerve Alain Juppé sur le génocide rwandais. D’après ce que me rapportent des amis fonctionnaires du Quai d’Orsay, c’est  une information de la plus haute fantaisie. Mais on voit bien les dégâts que peuvent causer ces allégations. Des courtisans croient que le vent a tourné pour l’ambassadeur. Une telle désinformation n’a rien à voir avec la déontologie de la presse. Ce ne sont ni plus ni moins que des mœurs d’officine.

AFRIKARABIA : - Ces opérations de désinformation n’auraient aucun fondement ?

Jean-François DUPAQUIER : - Elles sont le produit d’une sorte d’auto-excitation d’individus qui ont perdu tous leurs repères, qui ne comprennent même plus que 1 + 1 = 2. Examinons un peu le fond du débat. Laurent Contini s’est contenté de déclarer qu’il n’y a, jusqu’aujourd’hui, aucune explication convaincante au fait que les employés rwandais de l’ambassade de France et du centre culturel français de Kigali n’ont pas été exfiltrés par les militaires français de l’opération Amaryllis en avril 1994 alors que des instructions étaient venues de Paris en ce sens. Donc que, pour des raisons toujours pas officiellement éclaircies, les militaires n’ont pas suivi les instructions. Or qui, à l’époque, a émis ces instructions ? Tout simplement Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, et c’était à son honneur.

AFRIKARABIA : - Lui aussi pourrait donc se poser des questions sur l’attitude des militaires français ?

Jean-François DUPAQUIER : - Il faudrait plutôt interroger François Léotard, alors ministre de la Défense. Comme un des lecteurs d’AFRIKARABIA l’a opportunément souligné, un télégramme du Quai d’Orsay destiné à l’ambassadeur de France au Rwanda et daté du 11 avril 1994 énonçe : « Le département vous confirme qu’il convient d’offrir aux ressortissants rwandais faisant partie du personnel de l’ambassade (recrutés locaux), pouvant être joints, la possibilité de quitter Kigali avec les forces françaises ». Ce télégramme n’a rien de secret puisqu’on le trouve dans le Rapport d'information public de l’Assemblée nationale « sur les opérations militaires menées par la France, d'autres pays et l'ONU au Rwanda entre 1990 et 1994 », Tome I, page 266. Alain Juppé a donc fait son possible en 1994 pour sauver les employés rwandais de la France à Kigali. Qui peut décemment prétendre qu’il soit à présent agaçé qu’on le rappelle?

Propos recueillis par AFRIKARABIA

17:54 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (2)

17 avril 2011

Génocide des Tutsi du Rwanda : l’ambassadeur de France jette un pavé dans la mare

En présence de Bernard Kouchner, Laurent Contini s’interroge sur le refus des militaires français de sauver les employés tutsi de l’ambassade et du Centre culturel français de Kigali au début du génocide de 1994, alors qu’ils en avaient reçu l’ordre.

Capture d’écran 2011-04-17 à 17.49.42.pngQue s’est-il réellement passé à Kigali en avril 1994, au début du génocide, alors que la France avait dépêché sur place d’importants moyens militaires pour sauver les expatriés ? Le 8 avril 1994, deux jours après l'attentat contre le président Habyarimana et alors que les massacres de Tutsi et de Hutu démocrates faisaient rage, la France avait déclenché l'opération Amaryllis pour permettre l'évacuation de ses ressortissants et d’autres occidentaux. Le colonel Henri Poncet (aujourd’hui général) commandait cette opération. Selon plusieurs experts, il avait recommandé à ses hommes d’éviter tout contact avec les journalistes et de conserver un secret absolu sur l’ordre de conduite des opérations.

De présumés tueurs de Tutsi « sauvés » par les militaires français

Les militaires français avaient évacué la veuve du président, Agathe Habyarimana, ainsi que son entourage et les enfants de l’orphelinat Sainte-Agathe qu’elle avait fondé. Et aussi des adultes qui se présentaient comme les membres de l’encadrement de l’orphelinat. Mais il apparut plus tard que certains de ces  « encadreurs » auraient participé aux tueries de Tutsi. Ils auraient notamment exterminé les personnels tutsi de l’orphelinat avant d’être eux-mêmes « sauvés » par les militaires français.

Le combat solitaire d’André Guichaoua

Par contre, les militaires français s’étaient refusés à exfiltrer les employés tutsi de l’ambassade de France et du Centre culturel français, qui les suppliaient. Le professeur André Guichaoua a mis en cause l’attitude de l’ambassadeur de France de l’époque dans son dernier ouvrage « Rwanda, de la guerre au génocide ». Présent sur place, lui-même avait eu les plus grandes difficultés à sauver les quatre enfants d’Agathe Uwilinyimana, la Première ministre, qui venait d’être assassinée avec son mari. André Guichaoua avait réussi à téléphoner à son grand ami Pierre Péan pour tenter d’obtenir le feu vert de l’Elysée, avant de devoir se débrouiller seul.

« Ils m'ont fait comprendre que je les emmerdais ». Vénuste Kahyimahe, rescapé tutsi

Certains rescapés rwandais, dans des témoignages recueillis par l’association Survie, ont vivement critiqué cette opération Amaryllis qui n'incluait pas l'évacuation des Rwandais menacés par les massacres, même lorsqu'ils étaient employés par les autorités françaises. Vénuste Kahyimahe, un Rwandais qui travaillait au Centre culturel français à Kigali, consignera dans son livre « France-Rwanda : les coulisses du génocide » ce qu'il considère comme un abandon français et une description de cette opération où les soldats avaient occupé le centre culturel comme quartier général. Il a également témoigné verbalement dans le documentaire de Raphaël Glucksmannn et David Hazan, Rwanda: Tuez-les tous :

« Ils sont restés trois ou quatre jours, je les ai suppliés, Ils m'ont fait comprendre que je les emmerdais, qu'il n'était pas question qu'ils nous emmènent, quand ils partiront ils vont nous laisser. Deux jeunes militaires ont essayé de nous aider mais c'était dérisoire, ils m'ont réveillé au milieu de la nuit en disant “Comment vous allez faire, demain on part, on va vous abandonner, c'est sûr. C'est les ordres, on doit vous abandonner. Il faut vous préparer à vous défendre.” J'ai dit que je n'avais pas d'arme.  »

Une véritable aversion pour les Tutsi chez de hauts gradés français

Lors de leurs auditions devant la mission d'information parlementaire sur le Rwanda, les ministres du gouvernement français affirmeront ne pas avoir donné l'ordre de refuser d’évacuer les Tutsi. Les archives consultées à cette occasion confirment les affirmations des dirigeants français. Les soldats français avaient ordre d'évacuer tous les Rwandais qui pouvaient être joignables. Pourtant, des employés tutsi menacés d’extermination se trouvaient juste à côté d’eux, dans leur quartier général.

Devant les accusations dont ils sont l’objet depuis 17 ans, les hauts gradés français gardaient depuis lors le silence, se contentant de s’indigner. Dans son récent livre « Rwanda, je demande justice pour la France et ses soldats » (Ed. Jacob-Duvernet), Didier Tauzin, aujourd’hui général, qui est intervenu à deux reprises au Rwanda (mais pas pendant Amaryllis) exprime une véritable aversion pour les Tutsi.  Il ne fait que reprendre un discours habituel des hauts gradés français qui ont exercé des commandements au Rwanda ou à proximité, comme le général Lafourcade dans son livre « Opération Turquoise » ou le colonel de réserve Jacques Hogard sur son ancien blog très virulent (fermé depuis 2007, sans doute sur pression du ministère de la Défense). Les uns et les autres revendiquent une certaine forme d’impunité pour les actions militaires conduites à l’initiative de François Mitterrand au Rwanda entre 1990 et 1994.

Des militaires aux explications pas convaincantes

Plaque Ambassade de France.jpgDepuis lors, le refus de sauver les employés tutsi de l’ambassade et du centre culturel constitue une  plaie ouverte pour les rescapés et leur famille. Dominique Decherf, ambassadeur de France jusqu’à la rupture des relations diplomatiques en 2006, avait présenté les excuses de la France pour cet épisode tout sauf glorieux. Mais les raisons de la non-assistance restaient confuses.

C’est pourquoi le discours de l’actuel ambassadeur de France, Laurent Contini, le 9 avril à l’occasion de la 17e commémoration du génocide, fait l’effet d’un pavé dans la mare. En présence de Bernard Kouchner, ex-ministre des Affaires étrangères, il s’est exprimé dans l’enceinte de l’ambassade à Kigali « en mémoire du personnel de cette ambassade, qui a péri a lors du génocide des Tutsi en 1994 ». En s’interrogeant à haute voix : « C’est une tache bien délicate pour un ambassadeur, pour un diplomate français, pour un citoyen français de faire face à ce passe douloureux, a cet épisode malheureux. Comment expliquer en effet que ces personnes, ces gens, qui travaillaient avec nous n’ont pas été évacuées lors de l’opération Amaryllis, en avril 1994 ? Des raisons ont été avancées, je les connais, je les ai lues, la sécurité, il n’y avait plus de place dans l’avion, on ne pouvait pas joindre les gens au téléphone, Kigali n’est pas une ville avec des noms de rues etc. etc. Apres 17 ans, ce n’est pas des raisons qui sont convaincantes. »

S’appuyant sur les travaux des chercheurs, mais visiblement aussi sur ses propres recherches dans les archives du Quai d’Orsay, Laurent Contini a poursuivi : « Maintenant, nous savons un certain nombre de choses. Par exemple qu’il y a eu un télégramme diplomatique le 11 avril 1994, qui donnait l’autorisation à l’ambassadeur d’évacuer le personnel, son personnel. Cela a été confirmé par un ordre donné aux militaires. Alors pourquoi ? Pourquoi ces gens là n’ont pas été évacués ? Je n’ai pas, je n’ai pas de réponse. Je n’ai pas de réponse mais en tout cas aujourd’hui, je tenais à le faire. Je tenais à vous exprimer, les membres de la famille, mes profonds regrets. Et vous présenter mes excuses. Pour cet abandon tragique. »

André Guichaoua s’est donc trompé en accusant Jean-Michel Marlaud, l’ambassadeur de France de l’époque, d’apathie ou d’indifférence envers le sort de ses employés Tutsi et des orphelins de la Première ministre. Reste à savoir pourquoi les militaires français de l’opération Amaryllis et le premier d’entre eux, l’actuel général Henri Poncet, n’ont mis en œuvre les ordres clairs que, selon Laurent Contini, ils avait reçus…

Jean-François Dupaquier

17:53 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (13)

07 février 2011

Burundi : ouverture du procès du journaliste Jean-Claude Kavumbagu

Le procès du journaliste Jean-Claude Kavumbagu doit s’ouvrir  ce 9 février 2011 devant le tribunal de Grande instance de Bujumbura (Burundi) L’accusé risque la réclusion à perpétuité pour « trahison ». Une incrimination contre laquelle s’insurgent ses avocats. Selon ces derniers, le journaliste n’a fait qu’exercer sa liberté d’informer.

Image 3.pngJean-Claude Kavumbagu a été arrêté le 17 juillet 2010 pour avoir publié une dépêche titrée ainsi  « Le Burundi sera-t-il la prochaine cible des Shebbab somaliens ? ». Son article commentait  le double attentat du 11 juillet 2010 à Kampala (Ouganda). Ce jour-là, l’explosion de deux bombes a fait 64 morts et plus de cent blessés dans un restaurant éthiopien et un club de rugby  de la capitale ougandaise où des supporters étaient rassemblés pour suivre sur des téléviseurs grand écran la finale de football qui opposait les équipes d’Espagne et du Pays Bas. Un acte « ignoble et lâche » avait commenté le président américain Barak Obama. Depuis les attentats commis par les hommes d’Al Quaïda contre les ambassades des Etats-Unis à Nairobi et à Dar-es-Salaam, (prélude des attentats contre le World Trade Center le 11 septembre 2002), les Etats-Unis sont particulièrement vigilants face au terrorisme islamiste en Afrique de l’Est. La rapidité de la réaction du président des Etats-Unis en juillet dernier est aussi due au fait qu’un citoyen américain était parmi les victimes du double attentat de Kampala.

Le Burundi a envoyé des troupes en Somalie pour soutenir le gouvernement reconnu par la communauté internationale - mais qui vit en état de siège à Mogadiscio -. Des militaires burundais ont déjà été victimes d’attentats terroristes sur place, et les milices islamistes Shebbab ont annoncé depuis longtemps qu’elles commettraient aussi des représailles sur le territoire du Burundi.

Dans sa dépêche, le journaliste Jean-Claude Kavumgabu soulignait ce point sensible en écrivant : « Dès lundi matin, l’inquiétude était réelle à Bujumbura, et tous ceux qui ont appris ce qu’il s’est passé à Kampala étaient convaincus que si les miliciens Shebbab voulaient tenter « quelque chose » dans notre pays, ils réussiraient avec faculté déconcertante tellement  nos forces de défense et de sécurité brillent plus par leur capacité à piller et à tuer leurs compatriotes qu’à défendre notre pays ».

Bien que cette remarque reflète une réalité connue de tous , au Burundi comme à l’étranger, elle a déclenché une véritable fureur chez les autorités. Arrêté le journaliste est poursuivi sur la base de l’article 570 du Code pénal qui stipule que toute entreprise de démoralisation de l’armée ou de la nation « ayant pour objectif de nuire à la défense nationale » est punissable de servitude pénale à perpétuité.

Les défenseurs de Jean-Claude Kavumgabu, les avocats burundais  Gabriel Sinarinzi et  Emmanuel Hakizimana, assistés de Me Bernard Maingain, du Barreau de Bruxelles, ont l’intention de contester la régularité de l’arrestation du journaliste ainsi que les chefs d’inculpation. En particulier le gouvernement burundais avait « fait l’économie » de saisir le juge de la détention préventive. D’autres principes de procédure pénale auraient également été violés.

Quand à améliorer l’armée burundaise qui brille effectivement plus par sa capacité à piller et à tuer ses compatriotes qu’à défendre son pays, c’est un problème loin d’avoir trouvé sa solution…

14:15 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (1)

27 janvier 2011

"Le Panafricain" consacre son premier numéro à la RDC

Une nouvelle réjouissante dans l'univers des médias africains… la naissance d'un magazine d'information gratuit en ligne : "Le Panafricain". Pour son numéro 1, ce magazine consacre un important dossier à la République démocratique du Congo (RDC). 55 pages d'enquête dressent le portrait passionnant de ce pays-continent, à la veille d'une année décisive et à 10 mois de nouvelles élections présidentielles, prévues en novembre 2011.

Capture d’écran 2011-01-29 à 12.37.22.pngDans ce dossier très complet, accessible gratuitement sur internet, "Le Panafricain"  revient sur les "grandes manoeuvres dans les états-majors politiques" à la veille du scrutin présidentielle : PPRD, MLC, UDPS, l'avenir de Jean-Pierre Bemba, l'affaire Chebeya, la chute de Laurent Nkunda et la situation sécuritaire à l'Est de la RD Congo… tout est analysé et décrypté.

"Le Panafricain" part également à la rencontre du Pasteur Mulunda Nyanga, de Fernandez Murhola du Renadhoc et du ministre congolais de la Justice, Luzolo Bambi. Les articles sont très fouillés et la mise en page soignée… on rêverait presque d'une édition papier !

Le dossier du Panafricain sur la République démocratique du Congo a été coordonné par Baer Grégory et réalisé par Théodore Ngangu, Jean-Pierre Mwanza, Bona Tsona et Benoit Aktili Mali. On attend avec impatience le numéro 2…

Christophe Rigaud

Retrouvez Le Panafricain en cliquant ici

22 décembre 2010

RWANDA-RDC : Paris met en examen Mbarushimana

Le Secrétaire exécutif des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), Callixte Mbarushimana, vient d'être mis en examen par un juge à Paris pour crimes contre l'humanité. Ce groupe de rebelles hutu rwandais qui sévit à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) est accusé de nombreuses exactions sur la population civile, mais c'est pour son rôle présumé dans le génocide au Rwanda de 1994, que Callixte Mbarushimana a été mis en examen.

Image 3.pngCallixte Mbarushimana a été arrêté le 11 octobre dernier en France, suite à l’émission d’un mandat d’arrêt international par la Cour pénale internationale (CPI). Mbarushimana est soupçonné d’avoir commis différents crimes de guerre et crimes contre l’humanité en 2009 en République démocratique du Congo alors qu’il était secrétaire exécutif des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Pendant le conflit qui a opposé ce groupe rebelle aux Forces armées de la République démocratique du Congo et aux Forces rwandaises de défense, de nombreux meurtres, viols, tortures et persécutions ont été commis.


Mais depuis le 29 septembre, il est également visé par une information judiciaire à la suite d'une plainte en 2008 du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), pour « génocide » en 1994 au Rwanda. Pour toutes ces raisons, Callixte Mbarushimana a été mis en examen et devrait sans doute être prochainement déféré devant la CPI.