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06 janvier 2012

Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (3)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui, voici le troisième volet :


Paul VI.JPG 

III - 6 avril 1994, chronologie d’une journée tragique
 
A l’approche de Kigali, le président de Burundi Cyprien Ntayiramira disait quelque chose à Juvénal Habyarimana. Du genre : « Votre avion est parfait. Je ne vous remercierai jamais d’avoir demandé à l’équipage de me ramener à Bujumbura dès ce soir ». Mais le président du Rwanda écoutait à peine. Habyarimana essayait de trouver des souvenirs qui le distrairaient de la corvée d’Arusha et des problèmes des Burundais. Se souvenir par exemple sa visite au pape Paul VI, à Rome, avec Agathe. Un des meilleurs moments du couple. C’était peu après sa prise du pouvoir de juillet 1973. Ils étaient encore jeunes et les aînés de leurs enfants, des bébés. L’avenir semblait radieux et la visite du Vatican, une merveille. Agathe était pâmée d’admiration devant le pape et son mari se demandait si elle n’allait pas défaillir.
 
6 avril 1994, 20 h 15. Comme souvent, Cyprien Ntayiramira demanda un conseil, ce qui tira Habyarimana de son songe fugace. Il se dit que les soucis de son homologue étaient minuscules à côté des siens. Certaines dispositions de l'accord d'Arusha l’inquiétaient particulièrement. Ainsi le « protocole additionnel relatif à l'État de droit » qui ouvrait la perspective de sa comparution devant une Haute cour de justice s'il perdait le pouvoir. « Personne, y compris les autorités, ne peut se placer au-dessus de la loi », édictait le premier protocole signé le 18 août 1992, repris dans des termes identiques par la suite. L'accord prévoyait notamment l'installation d'une Cour suprême totalement indépendante du pouvoir. Apte, le cas échéant, « à juger au pénal le président de la République ». C’était de très mauvais augure.
 
Comparution devant une Haute cour de justice ?
 
Le dernier article du protocole additionnel stipulait que « de façon urgente et prioritaire, le gouvernement de transition à base élargie écartera de l'administration territoriale les éléments incompétents ainsi que les autorités qui ont trempés dans les troubles sociaux ou pour les actions constituant un obstacle au processus démocratique et à la réconciliation nationale » (article 46).
Une annexe au protocole d'accord prévoyait en son article le 11 que, « en cas de violation de la loi fondamentale par le président de la République, la mise en accusation est décidée par l'assemblée nationale de transition, statuant à la majorité des deux tiers des membres présents et au scrutin secret. »
 
Depuis le 30 octobre 1992, date où cet accord avait été cosigné, Habyarimana était hanté par la perspective de se retrouver un jour traîné en justice pour les crimes de masse qu’il avait laissé commettre. Sans doute l'assemblée de transition ne pouvait-t-elle de faire mettre en accusation qu'à la majorité qualifiée des deux tiers. Mais dans cette assemblée de 70 membres, l’ex-parti unique MRND ne disposerait que de 11 sièges. Et même dans la perspective – hautement probable - d'acheter la voix de quelques indécis, Habyarimana ne nourrissait guère d'espoir d'empêcher un vote à la majorité qualifiée pour l’envoyer devant les juges.
 
L’ex-parti unique MRND à la portion congrue
 
Dans un communiqué commun lourd de menaces publié à Dar-es-Salaam le 7 mars 1993, les représentants du gouvernement rwandais et ceux du Front patriotique en avaient remis une couche concernant « des poursuites judiciaires, des renvois et les suspensions (...) de tous les fonctionnaires de l'État impliqué directement ou indirectement dans les massacres, ou qui ont failli alors de voir d'empêcher que les massacres ou autres actes de violence soient perpétrés dans les communes ».
 
Au moins Juvénal Habyarimana pouvait-il compter sur l’ambassadeur de France. En poste au Rwanda depuis mai 1993, Jean-Michel Marlaud n’avait pas tardé à épouser les vues du président Habyarimana sur les accords de paix d’Arusha. Lui aussi était persuadé qu'une des premières décisions de l'assemblée de transition serait la mise en accusation du chef de l'État. Il plaidait donc auprès de ses collègues la modification de la composition de l'assemblée, en y intégrant des représentants de la Coalition pour la défense de la république (CDR), qui représentait l'aile officieuse et extrémiste de la mouvance présidentielle. Ainsi la perspective d'une majorité qualifiée pour juger le président s'éloignerait-elle.
Marlaud était également un opposant résolu à la recomposition des Forces armées rwandaises où les militaires du Front patriotique seraient massivement incorporés pour atteindre 40 % des effectifs.

 L’appui inconditionnel de l’ambassadeur de France
 
« C’est dans l’épreuve qu’on reconnaît ses véritables amis », avait titré le magazine extrémiste Kangura sous la photographie pleine page du président français. Message reçu : l’ambassadeur de France ne cachait pas sa répugnance profonde pour l’article d’Arusha prévoyant que dans la chaîne de commandement, depuis l'état-major de l'armée jusqu'au niveau du bataillon, le Front patriotique obtiendrait pire encore : 50% des postes de responsabilité conformément à un principe d'alternance. Bernard Debré, ministre français de la Coopération, était également indigné d’une règle de partage du pouvoir qu’il jugeait disproportionnée en faveur des Tutsis. Logique puisque pour lui, FPR égalait Tutsis.
 
Alors que le gouvernement français était supposé patronner le traité de paix qui légitimait à posteriori sa longue intervention armée au Rwanda, son représentant à Kigali en était venu à partager les vues des extrémistes hutu et conseillait au président de freiner l'application de l'Accord. Le paradoxe n’était qu’apparent :  l’ambassadeur de France trouvait encore plus extrémistes à l'Élysée. Le général Christian Quesnot chef d'état-major particulier du président Mitterrand se mettait dans une rage quasi hystérique lorsqu’on évoquait devant lui cet accord d’Arusha et éructait contre les Tutsi.
 
Un extrémiste anti-tutsi à l’Elysée
 
Capture d’écran 2012-01-06 à 22.32.53.png« Le FPR est le parti le plus fasciste que j’aie rencontré en Afrique. Il peut être assimilé à des Khmers noirs », avait dit Quesnot à une jeune femme qui l’interviewait. Incapable de maîtriser la virulence de son expression contre les « Khmers noirs », ce chef d’était major très particulier inquiétait jusqu’au secrétaire général de l'Élysée Hubert Védrine qui partageait ses sentiments mais tenait à conserver une allure policée. Ce dernier avait conseillé au président de la République de maintenir son chef d'état-major militaire soigneusement à l'écart des journalistes français ou étrangers chaque fois qu’il serait question du Rwanda. A l’Elysée et dans les allées du pouvoir - désormais en « cohabitation » -, de François Mitterrand à Bernard Debré, de Christian Quesnot à Michel Aurillac (et à son associé Robert Bourgi du « Club 89 »), de François de Grossouvre à Paul Barril, la haine des Tutsis était la conviction la mieux partagée… et pour au moins l’un d’entre eux, la mieux dédommagée.
 
« Le FPR est le parti le plus fasciste que j’aie rencontré en Afrique »
 
Juvénal Habyarimana savait cependant que ces amis ne lui seraient d’aucun secours pour affronter la tempête politique prévisible ce mardi 6 avril au soir. Maintenant qu’il avait donné des instructions à Enoch Ruhigira son directeur de cabinet de se préparer à la mise en place des institutions de transition le 8 avril, que pourrait-il dire au bouillant colonel Théoneste Bagosora, qui se retrouverait d’office à la retraite ?
 
Pire encore, comment faire accepter au milliardaire Félicien Kabuga, le beau-père de sa fille, et à ses amis jusqu’auboutistes, la fermeture de la coûteuse Radio-Télévision libre des Mille collines (RTLM, surnommée plus tard « Radio-Machette), lancée depuis neuf mois seulement et déjà si populaire ? Et comment justifier de ne pas pouvoir passer outre au refus définitif du FPR de faire entrer des membres de la CDR dans le Parlement de transition ?
Quid de la démobilisation à brève échéance des deux-tiers des militaires et gradés hutus, une mesure qui atteindrait tout particulièrement les natifs de sa région, car les moins  diplômés, ayant été recrutés par pur clientélisme ?
 
La fermeture prévisible de Radio-Machette
 
On aavait même menacé d’enlever deux des enfants du président : Jean-Luc et Marie-Rose. Selon Jean-Luc, « cet enlèvement avait pour but d'effectuer une pression sur notre père pour qu'il démissionne de ses fonctions. Cette idée d'enlèvement avait fait son chemin depuis plusieurs mois déjà ».
Ce genre de menace, qui suscitait chez le président Habyarimana un  profond sentiment de dégoût, ne venait évidemment pas du FPR.
 
Jamais la perspective d’un coup d’Etat des extrémistes hutus n’avait été aussi prévisible, aussi proche. Au point de reléguer au second plan toute autre menace. Habyarimana avait balayé d’un revers de main les protestations de son pilote français, Jacky Héraud, et du co-pilote Jean-Pierre Minaberry, sur le tarmac de Dar-es-Salaam : Oui Messieurs, il faudrait rentrer à la nuit, ça ne se discutait pas.
Les deux Français, ainsi que le mécanicien Jean-Michel Perrine étaient bouleversés par les rumeurs d’un attentat au missile contre le Falcon 50 par le Front patriotique. Un rumeur dont ils n’avaient pas compris qu’elle était colportée depuis janvier par les extrémistes hutus.
 
Les menaces des extrémistes hutus
 
En 2001, le juge Jean-Louis Bruguière a recueilli le témoignage de Mme Brigitte Demenieux, veuve Minaberry : « Le 5 avril 1994 au cours de l'après-midi le couple Héraud ainsi que Jean-Michel Perrine se sont retrouvés à notre domicile. Je crois que c'est lors de cette réunion que Jacky Héraud a annoncé le voyage à Dar-es-Salaam pour le 6 avril 1994. Suite à cette annonce, le couple Héraud a eu une altercation concernant cette mission. Je me souviens que Françoise Héraud a dit à son mari :  "Ils vont finir par vous avoir", ce à quoi il lui a répondu de se taire.
Sachant ce que mon mari m'avait dit au sujet de la présence de missiles à Kigali entre les mains du FPR ainsi que de la recherche d'une procédure d'atterrissage en cas d'urgence, je partageais l'inquiétude de Françoise Héraud. »
 
Malgré l’heure tardive, Juvénal Habyarimana avait refusé la proposition de passer la nuit à Dar-es-Salaam. De toute évidence, il pensait que s’il ne rentrait pas d’urgence à Kigali, il se ferait renverser, voire tuer par les ultras de son camp.
 
Jean-François DUPAQUIER
(A suivre)
 
Prochain article :
La trahison du président Mobutu
 
Illustrations :
 
- Agathe Habyarimana en extase devant le pape Paul VI - Photo (c) Droits réservé - www.afrikarabia.com
 
- Un note manuscrite d’Hubert Védrine au président Mitterrand, pour déconseiller que le général Quesnot soit mis en mesure de rencontrer des journalistes… A télécharger ICI.

22:51 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (0)

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