12 janvier 2012
Rwanda : L'expertise Trévidic met KO les négationnistes
Me Lev Forster et Me Bernard Maingain : comme avocats des accusés dans l’affaire de l’attentat contre Habyarimana, nous ne disons pas "on a gagné", mais "la vérité a gagné". Mercredi 11 janvier 2012, les deux avocats ont organisé une conférence de presse pour commenter le rapport d’expertise commandé par les juges d’instruction Marc Trévidic et Nathalie Poux sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana. Comme on le sait depuis peu, ce rapport signé de sept experts écarte l’hypothèse d’un tir depuis la colline Masaka où aurait pu – très difficilement - s’infiltrer un commando du Front patriotique, pour pointer le camp militaire Kanombe, qui hébergeait le bataillon paracommando des Forces armées rwandaises ainsi que des éléments de la Garde présidentielle. Nous publions ci-dessous les principales déclarations des deux avocats.
Me Lef FORSTER : « Ma pensée va avant tout aux victimes. Lorsque nous sommes sortis de la notification du rapport d'expertise, j'étais extrêmement ému car je savais avec certitude que pour beaucoup de familles des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, cet acte judiciaire sonnait comme une réhabilitation ».
« Ces victimes ont douloureusement subi la thèse révisionniste selon laquelle, si les Tutsi du Rwanda ont été exterminés en 1994, c'était à la suite d'un cynique calcul du Front patriotique pour s'emparer du pouvoir par le biais d’un commando infiltré à Masaka. Cette thèse qui prétend faire des Tutsis les artisans de leur propre génocide se croit accablante, elle est indigne. Les rescapés du génocide et leurs familles ont subi pendant dix-sept ans cette infamie propagée par des « assassins de la mémoire », pour reprendre l’expression du regretté Pierre Vidal-Naquet.
« Il s'agit d'un processus négationniste hélas classique qui se met en place pour justifier chaque génocide. Pour le génocide des Arméniens de Turquie, on a déjà invoqué leur prétendue "trahison nationale". Pour le génocide des juifs, on avait ressorti la « conspiration des Sages de Sion ». Et pour le génocide des Tutsi, dont que les vrais responsables seraient les Tutsi, le commando infiltré à Masaka.
« Cette thèse qui prétend faire des Tutsis les artisans de leur propre génocide est une infamie »
« L’attentat du 6 avril 1994 n’est pas la cause du génocide. Ce dernier était préparé depuis longtemps, peut-être depuis 1990 ou 1991. L’attentat a servi de prétexte à la liquidation de l’élite hutue démocrate et au génocide des Tutsis. En criant sur tous les toits que l’attentat était forcément la preuve de la duplicité des Tutsis, que « Paul Kagame a sacrifié les Tutsis » par la voie de l’attentat, les négationnistes ont défini leur enjeu : Masaka. L’expertise commandée par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux leur revient comme un boomerang.
« Ce sont les négationnistes eux-mêmes qui ont fait de l’attentat « sur ordre de Kagame » contre l’avion de Habyarimana le fondement de leur idéologie. Après le rapport d'expertise, il est plus clair que jamais que le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 avait été programmé, que l’attentat contre l’avion présidentiel était la première phase d’un coup d'État pour que les accords de paix d’Arusha ne soient pas appliqués. Ce génocide a été déclenché sur tout le territoire du Rwanda de façon simultanée juste après l'attentat contre l'avion du président Habyarimana. Mais le génocide contre les Tutsi est bien réel, indépendamment de l’instruction. L’expertise ne sert pas à dire s’il y a eu génocide ou pas. Je me permet d’insister sur ce point, car j’ai constaté une certaine confusion ici où là…
« les négationnistes ont défini leur enjeu : Masaka. L’expertise commandée par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux leur revient comme un boomerang. »
« Les assassinats commis par la garde présidentielle dans les heures qui ont suivi l'attentat contre les leaders hutus démocrates et les Tutsis visaient à démanteler toute capacité de redressement institutionnel. Le Rwanda devait présenter l’image de l’anarchie en raison d’une « colère populaire spontanée », alors que cette « anarchie » était soigneusement encadrée. Le génocide des Tutsis n’a rien eu de spontané. Le juge Bruguière, à l’évidence, ne l’a pas compris.
« Nous avons été confrontés à une instruction étrange, elle même initiée par une plainte intervenue très tardivement : trois ans après l'attentat et le génocide.
On s'aperçoit dès le départ que la démarche du juge d'instruction n'est absolument pas contradictoire. Dans l'enquête sur l'attentat contre le Boeing d'UTA, Bruguière s’était présenté comme un magistrat courageux, n’hésitant pas à s'approcher de la Libye sur un navire militaire. Il n'a pas fait preuve du même courage concernant l'enquête sur l'attentat du 6 avril 1994 puisqu'il a toujours refusé de se rendre au Rwanda, prétendant que sa vie était menacée. Il aurait pu demander à des experts d’enquêter sur le terrain sans y aller lui-même. Il ne l’a pas fait non plus. Il n’a pas jugé utile une enquête balistique. Il n'a pas essayé de comprendre les conditions matérielles de cet attentat.
« Le génocide des Tutsis n’a rien eu de spontané. Le juge Bruguière, à l’évidence, ne l’a pas compris »
« On a aussi vu que des écrivains ou journalistes chargés de populariser cette enquête univoque n'ont pas davantage eu le souci de mettre les pieds au Rwanda. Certains livres défendant la même thèse que Bruguière n’avaient d’autre but que la stigmatisation des Tutsis et du gouvernement actuel du Rwanda. Je ne peux pas me départir d'une certaine ironie devant ces gens qui prétendent que les Tutsis sont par nature des menteurs et que les Hutus le sont « par imprégnation » : lorsqu'on voit tous les mensonges qui ont été déversés dans l'enquête Bruguière, les manipulations les plus grossières….
« Je tiens à rendre hommage aux juges d’instruction qui ont repris le dossier Bruguière. Philippe Coirre qui a rejoint le juge Marc Trévidic, le juge Trévidic lui-même, naturellement et Nathalie Poux qui s'est jointe à lui par la suite. Lorsque nous avons sommes intervenus pour la défense des accusés, M. Trévidic avait au départ une analyse très négative du dossier. Ce dossier représentait environ 20 000 pages de procédure et le juge qui avait remplacé Jean-Louis Bruguière se trouvait à trois semaines de clôturer l'instruction. Or il a accepté de remettre à plat l’enquête.
« Je tiens à rendre hommage aux juges d’instruction qui ont repris le dossier Bruguière »
« C'est ainsi que depuis trois ans l'instruction judiciaire s'est faite sous le signe du professionnalisme, sans la moindre concession, avec une enquête à charge et à décharge, avec la vérification de toutes les déclarations antérieures, et notamment leur crédibilité. Par ailleurs nous avions demandé au juge de se rendre sur le terrain car les cartes d'état-major ne peuvent pas rendre compte de la complexité du paysage. Le juge Trévidic a décidé qu'il se rendrait au Rwanda avec des personnes susceptibles de réaliser une expertise technique et scientifique, alors que le juge Bruguière ne se basait que sur des témoignages non vérifiés.
« Le juge Trévidic a voulu mettre les témoignages en relation avec des observations techniques et scientifiques. Il a mené des investigations totalement indépendantes pour examiner dans quelles conditions l'avion avait été abattu, par quel type de missile, à la suite de quels trajets précis de l'avion et vérifié, sur cette base, ce que les témoins pouvaient réellement voir entendre. L'expertise devrait également déterminer le lieu des postes de tir.
« Le juge Bruguière ne se basait que sur des témoignages non vérifiés »
« Au total, 56 types de missiles ont été étudiés et progressivement écartés les uns après les autres compte tenu de l'analyse du terrain et d'autres paramètres scientifiques. Finalement, il est apparu que le Falcon 50 du président Habyarimana a été abattu par un missile SA 16 de fabrication soviétique. Cette conclusion a été tirée de l'analyse des experts et des possibilités de tir
« Il faut signaler que les sept experts sont issus de cabinets différents. Ils confrontaient continuellement leurs analyses. Le rapport qu’ils ont rendu a été rédigé à l’unanimité, ce qui est rare ».
« Ils ont examiné quelles pouvaient être les positions de tir. Six positions ont été étudiées compte tenu de la trajectoire retenue des missiles. Deux position dans la vallée de Masaka, trois positions dans le camp de Kanombe et enfin une position qui se serait située entre les deux précédentes au lieu-dit « la porcherie ».
« Les sept experts sont issus de cabinets différents. Leur rapport a été rédigé à l’unanimité, ce qui est rare »
« En définitive, les experts ont écarté la possibilité que le tir ait été effectué à Masaka pour des raisons techniques et scientifiques.
- Il était impossible de tirer un missile depuis Masaka compte tenu de l'endroit où l'avion a été atteint.
- Il a été tenu le plus grand compte des témoignages de deux militaires européens qui se trouvaient dans le camp Kanombe et ont entendu le souffle du départ des missiles. Les militaires sont toujours très attentifs au souffle des projectiles car selon leurs observations, ils doivent ou non se protéger. Leur familiarité avec les différents types de missiles ou d'armes lourdes leur permet aussi d'évaluer la distance par rapport au bruit du souffle.
« Compte tenu de ces éléments et les témoignages de militaires belges et français, les deux endroits retenus comme postes de tir se situent à l'intérieur du camp militaire de Kanombe, l'un dans le cimetière, une autre dans un lieu proche du cimetière.
« Deux militaires européens dans le camp Kanombe ont entendu le souffle du départ des missiles »
« Si les experts avaient déterminé la vallée de Masaka et où la colline de Masaka comme l'endroit d'où provenaient les tirs, cela ne m'aurait pas gêné car le Front patriotique ne pouvait pas davantage y introduire un commando et surtout pas lui permettre de s'exfiltrer en toute sécurité après l'attentat. La chose apparaît impossible. Déjà pour se rendre à Masaka, dans la banlieue de Kigali, à dix kilomètres du bâtiment du CND où était cantonné le bataillon du FPR, il fallait franchir 7 barrages de militaires. Aussitôt après l'attentat, le nombre des barrages a été encore multiplié. L'exfiltration du commando aurait été impossible.
« En outre à l'époque de l'attentat, la vallée était occupée par un champ de papyrus. Beaucoup de gens l'ignorent à commencer par le juge Bruguière, mais un champ de papyrus, ça veut dire un mètre d'eau au dessus d’une épaisseur de vase. On imagine mal trois hommes dans l'eau qui leur arrive au moins jusqu'à la taille pendant des heures, à attendre l’avion. Qui plus est, près d'une source où tous les habitants d'un village voisin viennent puiser de l'eau.
« Si les experts avaient déterminé Masaka comme l'endroit d'où provenaient les tirs, cela ne m'aurait pas gêné »
« La thèse que les tireurs étaient positionnés au camp Kanombe est une évidence. Elle est apparue comme telle aux expert, un pilote de Falcon, des experts en missiles, en explosifs et en acoustique, qui se sont mis d'accord et ont cosigné le rapport d'expertise.
« Aujourd’hui que le Rwanda est en paix, le camp Kanombe est protégé et nous-mêmes avons eu du mal à y entrer malgré nos autorisations. Que dire alors de son verrouillage en période de guerre. Un commando du Front patriotique ne pouvait en aucun cas s'infiltrer dans le camp, y rester plusieurs heures et ensuite s'en exfiltrer sans qu’aucun des militaires présents – y compris des Français et des Belges - s'en aperçoive.
« Un commando du Front patriotique ne pouvait en aucun cas s'infiltrer dans le camp Kanombe »
« Au terme de l'opinion unanime des expert et des centaines de pages d'analyse du rapport désignant le camp de Kanombe comme le seul endroit possible pour les tirs sur l'avion, comme avocats des accusés, nous ne disons pas "on a gagné", mais "la vérité a gagné".
« En effet pour les avocats des victimes de l'attentat il me semble devoir rappeler que le seul intérêt est de déterminer qui sont les coupables. Les parties civiles ont été induites en erreur pendant des années. Au terme de ces trois dernières années de vérification, si des témoignages supplémentaires sont apportés émanant de personnes qui ne se seraient jamais signalées pendant les 17 années d'instruction, il faudra parler non pas de scoop mais de nécessité de confronter tout nouveau témoignage à la réalité de l'expertise. Cette expertise est indépassable car elle n'est pas subjective.
« Il me semble que le seul intérêt est de déterminer qui sont les coupables »
« Les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux nous ont donné à tous trois mois pour relire et analyser les centaines de pages du dossier d’expertise, et fournir nos commentaires. Ceci constitue un délai pertinent pour l'ensemble des parties.
Nous pouvons déjà indiquer que nous solliciterons une mesure technique de dissociation concernant nos clients, afin qu'ils puissent bénéficier d'un non-lieu sans que l'instruction s'interrompe
« Nos clients nous demandent de porter plainte pour tentative d'escroquerie au jugement en bande organisée. En effet certaines personnes ont fourni au juge Bruguière des témoignages, de prétendues expertises et des documents dans la seule intention de manipuler l'instruction, d'orienter le dossier dans une mauvaise direction, dans le seul but de favoriser la déstabilisation du régime rwandais et de stigmatiser les victimes par une thèse abjecte qui en ferait les responsables de leur propre génocide.
« Nos clients nous demandent de porter plainte pour tentative d'escroquerie au jugement en bande organisée »
« La thèse soutenue par le juge Bruguière est devenue progressivement la base de l'idéologie négationniste du génocide des Tutsis. Je dois ici remercier le site « lemonde.fr » qui m'a permis de m'exprimer sur les problèmes soulevés par l'extension de la loi sanctionnant le négationnisme.
En 1996 j’étais un des avocats des Arméniens contre le négationniste Lewis. J'estime que le législateur n'a pas à choisir parmi les génocides ceux qui seraient reconnus comme tels et donc parmi les négationnistes, ceux à sanctionner ou pas. Dans le même temps, faut-il laisser toutes les proclamations négationnistes continuer de se répandre ?
« Faut-il laisser toutes les proclamations négationnistes continuer de se répandre ? »
« Un crime ou un délit doit être jugé par un tribunal et non par le Parlement. Tout négationnisme devait être sanctionné, telle est à mon avis la bonne approche plutôt qu’un empilement de lois « mémorielles ».
« Bernard Maingain a consacré des années de sa vie à la cause des victimes et non pas à la cause d'un régime. Je tiens à lui rendre hommage.
(fin de l’intervention de Me Lef FORSTER)
Me Bernard MAINGAIN : - C'est une chouette défense qu'on a faite à deux, en parfaite harmonie, alors que le monde du Barreau est riche de conflit de narcissisme.
« Dans ce dossier, ce qui est en train de se produire, c'est le retour de deux vertus :
- le respect. Nous aimons croire à des magistrats sans concession. Nous avons croisé ces magistrats sans concession. Ils ont accepté de faire droit à nos demandes calmement et efficacement. C'est le retour du respect des avocats, des uns et des autres. Dans la région des Grands Lacs cette justice exemplaire mérite d'être connue.
- deuxièmement, c'est le retour sur le discours de la méthode avec l'acceptation de reprendre un dossier qui est en cours.
« Dans ce dossier, ce qui est en train de se produire, c'est le retour du respect »
« Prenons le cas du livre du « lieutenant » Abdul Ruzibiza préfacé par Mme Catherine Vidal et postfacé par M. André Guichaoua, qui entend démontrer qu’un commando du FPR infiltré à Masaka a abattu l’avion du président Habyarimana. Un bouquin soi-disant accablant. Mais Ruzibiza, ce prétendu participant à l'attentat contre l'avion, n'apporte dans son gros livre aucune précision factuelle sur la façon dont il aurait agi.
« Dans un dossier sur un événement aussi grave, un attentat qui a été le déclencheur d’un génocide, n'importe quel juge d'instruction aurait pris des mesures de bon sens : d'une part, demander au témoin Ruzibiza de rester à sa disposition, éventuellement le mettre en garde à vue ; d'autre part, se rendre sur le terrain et demander au témoin de commenter sur place les éléments d'information qu'il prétend apporter. Ca s’appelle une reconstitution. Or cette mesure n'a jamais été mise en œuvre ni même, semble-t-il, envisagée.
« Prenons le cas du livre d’Abdul Ruzibiza préfacé par Mme Catherine Vidal et postfacé par M. André Guichaoua… »
« Bien au contraire, lorsque le témoin Ruzibiza intervient, il bénéficie d’égards surprenants. L'enquêteur principal, un commandant de police, n'hésite pas à organiser un contact du témoin avec les soi-disant experts de l'instruction, M. Guichaoua et Mme Vidal. Quel est le fondement de cette intervention ? Eh bien ces prétendus experts vont servir à crédibiliser scientifiquement le témoignage de M. Ruzibiza. Il faut relire la préface de madame Vidal à son bouquin. C'est un grand moment d'anthropologie scientifique.
« Deuxièmement, le même enquêteur écrit une lettre pour soutenir sa demande du statut de réfugié politique en Norvège. Dans le même document le policier français accuse le gouvernement rwandais de multiples crimes contre l'humanité. Ce policier s'ingère dans la « protection » du témoin en violation des règles de procédure.
« Ces prétendus experts vont servir à crédibiliser scientifiquement le témoignage de M. Ruzibiza »
« Les violations de procédure sont légion Ainsi M. Paul Barril, ex-capitaine de la gendarmerie nationale entre visiblement en contact avec M. Payebien, alors chef de la Division nationale anti-terroriste (DNAT) mais aucun procès-verbal ne rend compte de ces contacts. À un certain moment, M. Barril conseillera de recruter M. Fabien Singaye comme interprète et traducteur dans le cadre du dossier.
« Or M. Singaye est un acteur de la tragédie rwandaise que chacun peut connaître car la presse a déjà parlé d'anomalies le concernant dès 1994. C'est nous, partie civile, qui allons devoir prouver que M. Singaye a été un agent des services de renseignement du président Habyarimana, en poste à Berne. Que ce titulaire d’un passeport diplomatique de deuxième conseiller d’ambassade n’en a pas moins été été expulsé de Suisse à l'été 1994 en raison de ses liens avec le gouvernement du génocide. A l’époque, la presse l’a mentionné. Comment peut-il être introduit parmi l'équipe d'enquêteurs du juge Bruguière ?
« M. Singaye est un acteur de la tragédie rwandaise. Comment peut-il être introduit parmi les enquêteurs de Bruguière ? »
« On peut s'interroger sur le fait que la famille Habyarima, partie civile connaît parfaitement M. Fabien Singaye qui a été à son service. Pourtant, les parties civiles n'en disent pas un mot au juge Bruguière. Les avocats des parties civiles ne pouvaient pas davantage ignorer le passé de M. Singaye. Pourquoi les personnes connaissant M. Singaye comme partie prenante dans le harcèlement des Tutsis réfugiés en Europe avant le génocide, puis son rôle dans l’exfiltration d’un des acteurs présumés du génocide, M. Félicien Kabuga, acceptent qu’il devienne interprète-traducteur assermenté et expert de justice de M. Bruguière ?
« C'est nous, avocats des accusés, qui devront déposer chez le magistrat la preuve de la proximité totale entre Jean-Luc Habyarimana, le fils du président assassiné, et M. Fabien Singaye. Il y a entre eux une proximité familiale, mais également une proximité affairiste. M. Singaye devient ensuite conseiller du président centrafricain Bozize et consultant du groupe AREVA. Comment est-il possible que l'enquête n'ait pas révélé avant notre intervention le passé de ce monsieur et comment les avocats des parties civiles soucieux de déontologie n’ont-ils pas posé directement la question au magistrat instructeur ?
« Nous avons la preuve de la proximité totale entre Jean-Luc Habyarimana, le fils du président assassiné, et M. Fabien Singaye »
« On a utilisé pour l'enquête un individu particulièrement controversé et sa présence ne pouvait manquer de poser à terme d'énormes problèmes de procédure. Pourtant la famille Habyarimana savait tout cela. Ses avocats savaient tout cela et ils n'ont rien fait. Mais l'intrusion de M. Singaye dans la procédure n'est qu'une des nombreuses et très graves anomalies qui l’ont entachée.
« Le cas de M. Filip Reyntjens comme « expert » de Bruguière est également significatif. J'ai découvert que M. Filip Reyntjens était considéré comme un des experts principaux du juge Bruguière et qu'à ce titre il a même échangé des mails et des SMS avec le chef enquêteur, M. Pierre Payebien. Pourquoi ces mails et ces courriels ne figurent-ils pas dans l'enquête ? Comment peut-on accepter qu’aucun procès-verbal n'en fournisse le contenu ? C’est le B.A.-ba des règles de l'instruction. Il n'est pas acceptable que M. Filip Reyntjens et M. Payebien puissent échanger des informations hors procès-verbal. Cette intrusion et d’autres renforcent le sentiment qu'il y a là un univers parallèle qui fonctionne hors dossier et un dossier « officiel » qui se construit de façon très bizarre. Le capitaine Barril, Fabien Singaye et Jean-Luc Habyarimana constituent un trio qui a profondément orienté l'instruction.
« Le cas de M. Filip Reyntjens comme « expert » de Bruguière est également significatif »
« Comment le juge Bruguière et son équipe ont-ils négligé de vérifier le passé et les intérêts de M. Filip Reyntjens au Rwanda ? Comment pouvaient-ils ignorer que M. Filip Reyntjens a participé à l'élaboration de la Constitution qui a avalisé le système d’apartheid au Rwanda durant la période du régime Habyarimana ?
« Mais M. Reyntjens a eu aussi des comportements que j'estime parfaitement inacceptables en Belgique dans le traitement de la guerre civile au Rwanda. En 1992, avec un autre avocat, nous avions organisé à Bruxelles l'accueil d'une délégation d'opposants politiques au président Habyarimana et de militants du Front patriotique. Ca se passait au palais de justice pour de raisons de confidentialité.
« Or nous avons la preuve que M. Filip Reyntjens a démarché deux des participants pour leur faire rencontrer le président Habyarimana pendant la période 1992-1994. Les réunions que nous avions organisé pouvant favoriser le processus de paix au Rwanda exigeaient que soient respectée la confidentialité des propos échangés. Elles étaient couvertes par le secret professionnel. Le fait d'en extraire des témoins et de les mettre entre les mains de M. Habyarimana et ses amis a été une initiative extrêmement choquante. Dois-je rappeler que la plupart des participants à cette rencontre ont été assassinés pendant les premiers jours du génocide ? Est-ce que M. Reyntjens est bien conscient du rôle qu'il a joué ?
« Est-ce que M. Reyntjens est bien conscient du rôle qu'il a joué ? »
« M. Filip Reyntjens a transmis au juge Bruguière un document où M. Bagosora, par l’intermédiaire de son avocat, prétendait identifier les tubes lance-missiles déposés dans la vallée de Masaka à titre de « preuve ». Qui ignore que le colonel Théoneste Bagosora est considéré comme l’architecte du génocide ? Etait-ce le rôle d'un expert d’accréditer cette manipulation ?
« De même nous ne connaissons toujours pas le rôle exact de M. Guichaoua -, qui se répand depuis des années dans les médias pour affirmer que le FPR est l’auteur de l’attentat - et de Mme Vidal. Pas plus que le rôle du capitaine Barril.
« Nous ne connaissons toujours pas le rôle exact de M. Guichaoua, de Mme Vidal ni du capitaine Barril »
« Nous ne savons pas qui a tiré les missiles contre l'avion Falcon 50 du président Habyarimana. Compte tenu du lieu du tir, dans le camp Kanombe, le temps d'acquisition de la cible était extrêmement court. Il fallait que les tireurs de missiles soient très expérimentés.
« Les dernières investigations menées notamment en Pologne ont permis de comprendre qu'il faut au moins cent heures d'entraînement aux tireurs de missiles SA 16 Igla 1 pour être capables de la "performance" réalisée le 6 avril 1994 à Kigali. Cette capacité n'était pas celle du premier venu.
« Selon les constatations des experts, il a fallu, bien avant l'attentat, un repérage très précis de tout le secteur entre Masaka et Kanombe pour déterminer les postes de tirs les plus pertinents. Selon les experts, il aurait été plus facile d'abattre l'avion depuis la colline de Masaka qu’à Kanombe dont la topographie contraignait à un temps d'acquisition de la cible plus court. Il y a donc des raisons de penser qu'avant même l'attentat les conspirateurs avaient décidé d'en faire porter la responsabilité au Front patriotique et de désigner faussement la colline de Masaka comme la zone crédible de départ des missiles. C'est dans ce dessein que les deux tubes lance-missiles y ont été déposées et soi-disant découverts par hasard par des paysans.
« Il y a des raisons de penser qu'avant même l'attentat les conspirateurs avaient décidé d'en faire porter la responsabilité au Front patriotique »
« Sur cette question des missiles, nous constatons que l’enfumage complet de ce dossier vient de l'ex-capitaine Paul Barril et de ses amis, et qu’il est protégé de l’instruction. On voit l’ex-capitaine Barril dans la région des Grands Lacs autour du 6 avril. Des témoins l’aperçoivent le 4 avril à l'aéroport de Kigali mais ensuite on perd sa trace. Il se présente comme le conseiller de Mme Habyarimana.
« À aucun moment lors de ses trois interrogatoires par l'équipe Bruguière on ne lui demande où il se trouvait le 6 avril au soir. Au mois de juin 1994 il présente aux médias français une fausse boîte noire et prétend posséder 80 témoignages vidéo en insinuant que le Front patriotique est l'auteur de l'attentat. Mais personne ne verra par la suite ces soi-disant témoignages vidéo.
« L’enfumage complet de ce dossier vient de l'ex-capitaine Paul Barril et de ses amis »
« L’enfumage se poursuit sans discontinuer avec la prétendue boîte noire trouvée dans un placard de l'ONU à New York en 2004. Au cours des investigations il apparaîtra que cette boite noire est celle d'un avion Concorde d'Air France. Sa « présence » à New York vise à accréditer un prétendu complot pour cacher la responsabilité du Front patriotique dans l'attentat. Naturellement, il y a des questions à se poser. Comment cette boite noire a-t-elle été « récupérée » dans un hangar de la société Air France à Roissy ? Comment est-elle arrivée à New York ? Or le juge Bruguière choisit de ne pas engager d’investigations.
« Autre question : que deviennent les deux tubes lance-missiles dont on brandira les photographies pour assurer qu'ils incriminent le Front patriotique. On nous raconte qu'ils ont été envoyés au Congo à la demande de Mobutu, dont le capitaine Barril est également le consultant en sécurité. Ils auraient été remis à des généraux congolais et curieusement ces pièces à conviction disparaissent dans les profondeurs du Congo sans que M. Bruguière s’en étonne.
« Que deviennent les deux tubes lance-missiles dont on brandira les photographies ? »
« Est-ce que M. Barril a fait l'objet d'une mise sous écoute téléphonique ? Jamais. A-t-il été mis sous surveillance ? À aucun moment. A-t-il été soumis à contrôle judiciaire ? Pas le moins du monde. A-t-on perquisitionné son domicile, sa société ou ses ordinateurs ? Non plus. Il a été entendu comme un simple témoin.
« Nous pensons qu’un ancien capitaine gendarme du GIGN de la carrure de M. Barril, disposant de preuves si évidentes, aurait eu la présence d'esprit de confier ces pièces à conviction – qu’il dit à un moment avoir eu en main – à des services secrets ou des diplomates de pays occidentaux aptes à protéger les tubes lance-missiles et faire en sorte qu'ils soient confiés à des enquêteurs indépendants. Qu’a retenu M. Barril de sa carrière de gendarme ?
« Qu’a retenu M. Barril de sa carrière de gendarme ? »
« Il faudra un jour avoir une explication sur l’enfumage de l'affaire Ruzibza. Voici un homme qui a été transféré en France par les soins des attachés militaires et les services de renseignement français basés à Kampala et Dar-es-Salaam. Ruzibiza était à cette époque très proche du mouvement des FDLR, les restes des anciennes Forces armées rwandaises transformées en mouvement rebelle et qui ont mis en coupe réglée l'est du Congo.
« On attend aussi des explications sur les témoignages de Messieurs Marara et Musoni soi-disant participants à la préparation de l'attentat. Nous avons apporté la preuve que M. Marara a été recruté par l'Armée patriotique rwandaise au mois de mai 1994 et qu'il a été considéré comme opérationnel à la fin de l'année 1994. Bien après l’attentat auquel il prétend avoir participé ! Quant à M. Musoni, lorsque le juge Trévidic demande à le réentendre, il refuse et déclare "j'ai rendu assez de services à la France". J'aimerais qu’il s’explique sur ceux qui se sont présentés à lui comme « la France ». Que les faux témoins s’expliquent vraiment !
« Que les faux témoins s’expliquent ! »
« Tous ces gens ont glosé sur le supposé mystérieux « Network commando » du FPR qui aurait organisé l’attentat depuis Masaka. Mais je ne vois qu’un mystérieux « network » : celui qui en France a enfumé le dossier Bruguière. J’en profite pour dire ici à ceux qui pensent qu'on peut jouer avec la justice : vous me trouverez sur votre route. Et j’adressee un message particulier à M. Péan qui se dit le spécialiste de « la culture du mensonge des Tutsis » sans s'être jamais rendu au Rwanda. Le top de la culture du mensonge, je ne l'ai pas trouvé à Kigali mais ici à Paris. Le top de la manipulation judiciaire, je l'ai également trouvé à Paris.
« J’ adresse un message particulier à M. Péan qui se dit le spécialiste de "la culture du mensonge des Tutsis" »
« Pour ma part, j'estime que la justice a droit au respect. J’espère que tous ceux qui ont participé à la manipulation de l'enquête Bruguière payeront un jour le prix judiciaire de leur action. À cet effet, je voudrais adresser un message à tout témoin qui surgirait dix-sept ans après les faits alors qu'il ne se serait jamais fait connaître auparavant : son témoignage devra s'inscrire dans la logique du dossier et de l’expertise judiciaire. Pendant dix-sept ans on nous a seriné que les auteurs de l'attentat se trouvaient à Masaka. On nous a détaillé un prétendu "Network commando" et présenté de prétendus témoins qui ont fourni six ou sept versions avec des participants différents de ce « network ».
« Nous défendons sept personnes accusées de faits précis. Nous constatons qu'il a été démontré que ces faits précis n’existent pas. À notre demande les juges d'instruction Marc Trévidic et Nathalie Poux se sont rendus à Kigali. Ils ont demandé des expertises. Nous en avons parlé à nos clients. Il faut imaginer la confiance de nos clients de s'en remettre à une énième expertise après l'accumulation de faux témoignages, de manipulation de prétendus experts depuis tant d'années auprès du juge Bruguière et de ses enquêteurs. Nos clients ont cependant accepté cette nouvelle expertise.
« J’espère que tous ceux qui ont participé à la manipulation de l'enquête Bruguière payeront un jour »
« J'ajoute que les services de renseignement belge avaient enquêté de façon approfondie dans les semaines qui ont suivi l'attentat à du 6 avril 1994. Cette enquête était motivée par le fait que les extrémistes hutus, dès l'attentat, en ont accusé les Belges. Dix para commandos belges ont été assassinés au camp Kigali par des soldats surexcités à qui on avait prétendu que ces Belges avaient participé à l'attentat contre le président Habyarimana. Les témoignages sont abondants.
« Cette désinformation sur l'attentat a d'abord occasionné la mort de dix jeunes Belges et je pense aujourd'hui à leur familles qui attendent aussi la vérité sur l'attentat. Le « rapport » Bruguière était quelque part une insulte à la mémoire de ces gens. Si l'on relit le document qui s'appelle "soit communiqué" qui résumait l'instruction du juge Bruguière et qui a été diffusé à partir de 2006, il n'est nulle part mentionné que les para commandos belges, assassinés sur la foi de rumeurs les désignant comme complices de l'attentat, n'y étaient pour rien. Il faut comprendre que ces dix para commandos ont été sacrifiés délibérément par les extrémistes hutus dans le cadre d'une savante desinformation sur les auteurs de l'attentat qui n'a pas été improvisée après l'attentat, mais en quelque sorte scénarisée beaucoup plus tôt.
« Cette désinformation sur l'attentat a d'abord occasionné la mort de dix jeunes Belges »
« Depuis des mois, comme l'ont démontré différents documents, les extrémistes hutus voulaient provoquer le départ du contingent belge des casques bleus. Par ailleurs la désignation de la colline ou de la vallée de Masaka comme lieu des postes de tir d'un commando infiltré de l'Armée patriotique rwandaise n'était pas le fait du hasard.
« Comme les experts des juges Trévidic et Poux l'ont constaté, le choix de la colline ou de la vallée de Masaka pour abattre l'avion était le meilleur possible et sans doute ceux qui préparaient l'attentat l'avait-t-il identifié comme tel. Mais l'endroit était très fréquenté et il leur était impossible de dissimuler les postes de tir durant des heures, d'où l’option du camp Kanombe.
« Il est donc logique de déduire que, bien avant l'attentat lui-même, les conjurés avaient décidé d'organiser une très subtile manoeuvre de désinformation qui désignerait la vallée de Masaka comme l'origine des tirs et de prétendre que le Front patriotique il y avait infiltré un commando. Or l'impact du missile a été très clairement repéré au niveau de l'aile gauche du Falcon 50, à côté du réservoir. C'est le côté gauche de l'avion qui a été brûlé par l'impact, ce qui permet aux experts de déterminer également l'endroit d'où a été tiré le missile.
« Le choix de Masaka pour abattre l'avion était le meilleur possible »
« L'enquête de l'auditorat militaire belge a clairement incriminé les extrémistes hutus dans la perpétration de l'attentat. Les services de renseignement américain avaient conclu de même que les missiles étaient partis du camp Kanombe. Le rapport de la commission Mutsinzi, après l’audition de centaines de témoins, a également conclu que les missiles venaient du camp Kanombe. Les experts de l'Académie militaire de Londres ont conclu que les tireurs de missiles se trouvaient au camp Kanombe.
« Je rappelle ces différents éléments pour que chacun prenne la dimension des manipulations du dossier Bruguière et de la souffrance des familles belges également meurtries et blessées par des accusations dont on mesure enfin l'inanité.
« Chacun doit prendre la dimension des manipulations du dossier Bruguière »
« Les experts ont retenu l'hypothèse que les missiles tirés étaient d'origine soviétique compte-tenu de nombreux éléments. Ils ont identifié ces missiles comme des SA 16 IGLA 1. Ils ont établi que le premier missile a manqué son objectif - sans doute parce que le tireur n'était pas suffisamment expérimenté - mais que le deuxième missile a atteint sa cible. Nous ignorons d'où venaient ces missiles. À cette époque, il y en avait beaucoup qui transitait par la Pologne ou la Tchécoslovaquie. Je rappelle que dans le dossier de l'Angola, qui date aussi de 1994 on a identifié certains des protagonistes des trafics de missiles.
« Les experts désignés par le juge d'instruction se sont rendus en Pologne pour vérifier comment fonctionnait ce type de missile. C'est alors qu'on leur a démontré qu'il fallait des heures d'entraînement pour les mettre en oeuvre et qu'on ne peut absolument pas s'improviser tireur de ce type de missiles.
« Dans le dossier de l'Angola de 1994 on a identifié certains des protagonistes de trafics de missiles »
« J'entends déjà de nouvelles tentatives de désinformation pour brouiller le message de l'expertise auprès de l'opinion publique. Pendant dix-sept ans, personne n'a contesté que si les missiles étaient partis du camp Kanombe, ils n'auraient pu être tirés que par des extrémistes hutus, des membres de l'Akazu ou leurs stipendiés.
« Et voilà qu'aujourd'hui, pour la première fois, certains reviennent sur cette évidence pour prétendre que si les missiles ont été tirés depuis le camp qui abritait les paracommandos et des éléments de la garde présidentielle, c'est qu'un commando du Front patriotique s'y serait installé tranquillement pour abattre l'avion du président et ensuite disparaître dans la nature.
Cette nouvelle théorie abracadabrante ne démontre qu’une seule chose : la détermination de certains à continuer d’enfumer le dossier, plutôt qu’à identifier les véritables auteurs de l’attentat qui a servi de déclencheur au génocide.
(fin de l’intervention de Me Bernard MAINGAIN)
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER pour AFRIKARABIA. Photo (c) Tous droits réservés.
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