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30 janvier 2012

RDC-Législatives : Majorité et opposition condamnées aux alliances

Après plusieurs semaines d'atermoiements, la Commission électorale (CENI) a publié les résultats partiels des élections législatives en République démocratique du Congo (RDC). Si la majorité présidentielle de Joseph Kabila arrive en tête, les grands partis sont en perte de vitesse au profit d'une centaine de petites formations hétéroclites. Côté majorité, Joseph Kabila devra donc conclure des alliances et s'appuyer sur les nouveaux gagnants du scrutin : les "indépendants" du PPPD et le MSR de Pierre Lumbi et ses 25 sièges. Côté opposition, l'UDPS devra elle aussi trouver des alliés pour avoir voix au chapitre.

Capture d’écran 2012-01-30 à 08.44.15.pngLes contours de la nouvelle assemblée nationale congolaise commencent à se dessiner plus nettement. Après les résultats, presque complets, publiés par la CENI, 432 sièges sont désormais attribués, sur les 500 de l'assemblée. Après un rapide calcul, Joseph Kabila devrait pouvoir compter sur un peu plus de 245 députés, alors que l'opposition cumulerait péniblement 80 sièges. Pour le chercheur Thierry Vircoulon, responsable de l'Afrique centrale à l'International Crisis Group (ICG), "le fond de la structure politique de l'assemblée nationale congolaise, n'a pas vraiment changé et la hiérarchie des partis est respectée. Mais on peut noter un "aplatissement" de l'assemblée avec une prolifération de toutes petites formations au dépend des grands partis traditionnels. Une prolifération de petits partis qui va à l'encontre de ce que cherchait Joseph Kabila et le PPRD. Le pouvoir souhaitait un système bi-partisan avec un grand bloc de la majorité et un grand bloc d'opposition. On est dans la tendance inverse, c'est à dire une fragmentation politique".

Derrière le PPRD d'Evariste Boshab (58 sièges), la majorité présidentielle de Joseph Kabila devra trouver une nouvelle coalition. Notamment avec le PPPD de Ngoma Binda et ses 27 sièges, le MSR de Pierre Lumbi (25 sièges), le Palu d'Antoine Gizenga (16 sièges), l'ARC d'Olivier Kamitatu (14 sièges), l'AFDC de Modeste Bahati (12 sièges) et plusieurs dizaines "d'indépendants". Pour l'opposition, le premier parti devient l'UDPS d'Etienne Tshisekedi (34 sièges) qui coiffe le MLC de Jean-Pierre Bemba (20 sièges), l'UNC de Vital Kamerhe (16 sièges) et l'UFC de Léon Kengo (3 sièges).

Thierry Vircoulon note trois faits marquants pour la majorité de Joseph Kabila :
- "la dégringolade du Palu d'Antoine Gizenga", qui chute avec seulement 16 sièges,
- "la bonne performance du MSR de Pierre Lumbi",
- "l'arrivée d'un petit nouveau, le PPPD, une sorte de "faux nez" du PPRD, qui permettait à certains candidats de ne pas se présenter avec l'étiquette du PPRD".
Cette recomposition de la majorité présidentielle aura bien sûr des conséquences sur la composition du futur gouvernement et la nomination du prochain Premier ministre. Selon Thierry Vircoulon, "Joseph Kabila devra choisir entre prendre quelqu'un au sein du PPRD (premier parti de l'assemblée), soit rester dans sa logique précédente et choisir son Premier ministre dans un parti allié. Si tel est le cas, je pense que le MSR de Pierre Lumbi est assez bien placé, ainsi que le PPPD". Dans le camp de l'opposition, il faudra aussi composer avec ses alliés pour exister. Pour Thierry Vircoulon, "s'il n'y a pas d'alliance sérieuse entre l'UDPS et le MLC, l'opposition sera réduite à sa portion congrue à l'assemblée nationale".

Mais attention, il existe encore plusieurs inconnues sur l'issue du scrutin législatif :
- tous les résultats ne sont pas encore publiés, comme à Kinshasa, dans le Rutshuru et à Mbujyi Mayi,
- il y a ensuite 7 circonscriptions où l'on doit revoter suite à des violences,
- des centaines de recours ont enfin été déposés à la Cour suprême de justice de Kinshasa, à cause des nombreuses irrégularités qui ont émaillé le scrutin et aux soupçons de fraudes.

Après une élection présidentielle contestée et l'auto-proclamation d'Etienne Tshisekedi comme président élu, la crise politique congolaise ne s'apaisera pas avec des législatives qui ne donneront visiblement aucune place à l'opposition. La communauté internationale semble se satisfaire de ce statu quo politique.

Christophe RIGAUD

Consultez les résultats provisoires de la CENI, cliquez ICI.

26 janvier 2012

RDC : Les errements du procès Bemba

Le procès de l'ancien vice-président de République démocratique du Congo (RDC), Jean-Pierre Bemba suscite toujours des controverses. L'enquête de la Cour pénale internationale (CPI) piétine et le procureur peine à rassembler les preuves. Les défenseurs du sénateur congolais dénoncent un montage judiciaire destinée à écarter leur client du jeu politique. Le procès tourne en rond et le dossier paraît mal ficelé. Très critiquée en Afrique, la CPI engage sa crédibilité dans l'affaire Bemba.

Image 2.pngAprès de nombreux reports, le procès de Jean-Pierre Bemba devrait reprendre le 26 janvier 2012. Jean-Pierre Bemba est poursuivi pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis par ses troupes du MLC en Centrafrique en 2002 et 2003. Jean-Pierre Bemba avait alors accepté d'envoyer des soldats pour venir en aide au président centrafricain Ange-Félix Patassé, menacé par les miliciens de François Bozizé. La CPI accuse Bemba d'avoir commandé ses troupes à distance et même de s'être rendu sur place, ce qui nie l'accusé. Pour Jean-Pierre Bemba, ses soldats étaient "prêtés" au président Patassé et donc sous commandement centrafricain.

Suspendu depuis le 10 décembre dernier, le procès a été reporté plusieurs fois en raison des difficultés rencontrés par le procureur de la CPI, à faire venir les témoins à la barre. Une trentaine de témoins ont pourtant été auditionnés par le procureur, mais la CPI n'a toujours pas bouclé la présentation des preuves. Le procureur Moreno Ocampo veut encore entendre 4 témoins importants. Des témoins-clés de l'affaire, puisqu'il s'agit d'anciens alliés de Jean-Pierre Bemba qui pourraient sans doute éclairer la Cour sur les contacts qui pouvait avoir le leader du MLC avec ses troupes en Centrafrique. Seul problème : ces témoins refuseraient de se rendre à la barre et la CPI ne dispose pas de moyens suffisants pour les y contraindre. Une épreuve de plus pour le procureur de la CPI qui essuie depuis plusieurs mois un flot de critiques.

Un procès politique ?

Depuis l'arrestation de Jean-Pierre Bemba, en mai 2008, la CPI peine à convaincre dans ce dossier. Car s'il apparaît évident que les soldats du MLC ont bien commis des atrocités (viols, pillages, meurtres) en Centrafrique, la responsabilité de Jean-Pierre Bemba semble moins claire. Pour les soutiens du patron du MLC, il s'agit ni plus ni moins d'un procès politique : Jean-Pierre Bemba ayant été écarté de la scène politique congolaise pour laissé le champ libre au président Joseph Kabila en 2011.

La défense de Jean-Pierre Bemba soulève plusieurs interrogations :
- pourquoi avoir attendu de 2003 à 2008 pour arrêter Jean-Pierre Bemba ? Candidat à l'élection présidentielle de 2006, Jean-Pierre Bemba a pu se présenter sans être inquiété. Et ses avocats de poser cette autre question : "Jean-Pierre Bemba aurait-il été arrêté s'il avait été élu président de la République ?
- il y a ensuite l'absence sur le banc des accusés du principal intéressé : Ange-Félix Patassé (décédé depuis), le président centrafricain. Patassé était sur place avec les hommes de Bemba et l'armée centrafricaine. Les avocats de Bemba estiment que leur client n'a aucune responsabilité dans les meurtres, les viols et les pillages commis par les soldats du MLC en Centrafrique. Jean-Pierre Bemba déclare être resté dans son fief congolais de Gbadolite ou en Afrique du Sud en train de négocier les accords de paix de Sun City.

Pour bon nombre d'observateurs, les charges contre Bemba "ne tiennent pas debout" et les nombreux reports du procès en sont la preuve. Selon la journaliste Colette Braeckman, spécialiste de la région, "l'affaire n'est pas claire et risque de jeter le discrédit sur la CPI qui n'est pas très objective avec Jean-Pierre Bemba". Pour le procureur Moreno Ocampo, le défi est de taille : éviter l'enlisement et l'impasse. Le procès Bemba constitue un test décisif pour la future crédibilité  de la Cour pénale internationale, souvent accusée d'être partiale et de faire le jeu des puissants.

Christophe RIGAUD

Photo : Jean-Pierre Bemba en 2006 à Kinshasa (c) Ch. Rigaud - www.afrikarabia.com

25 janvier 2012

RDC : 85% des malades du Sida privés de traitement

Dans un communiqué, Médecins Sans Frontières (MSF) s’alarme de la situation des personnes vivant avec le VIH/SIDA en République démocratique du Congo (RDC) et déplore le manque de priorités données par les autorités congolaises. MSF dénonce aussi le désengagement des bailleurs de fonds, alors que le Fonds Mondial de lutte contre le SIDA, la Tuberculose et le Paludisme fêtera ses 10 ans d’existence ce 28 janvier.

-1.jpgLes conditions d’accès aux soins des personnes vivant avec le VIH/SIDA en RDC sont catastrophiques. Au Centre Hospitalier de Kabinda (CHK) à Kinshasa, MSF voit arriver un nombre bien trop élevé de malades avec des complications graves, dues à l’absence de traitement, et dont la condition trop avancée entraîne des souffrances inacceptables.

 « J’ai travaillé dans de nombreux pays d’Afrique centrale et australe auprès de patients séropositifs, mais ce que je vois ici en RDC n’existe plus ailleurs depuis plusieurs années », affirme Anja De Weggheleire, coordinatrice médicale de MSF en RDC. « La situation de la RDC me rappelle l’époque à laquelle aucun traitement ARV n’était encore disponible. Nos médecins sont confrontés quotidiennement à de graves complications qui seraient facilement évitables avec une mise sous ARV précoce des patients ».

 On estime actuellement à plus d’un million le nombre de séropositifs en RDC et à 350 000 le nombre de personnes qui devraient bénéficier d’un traitement antirétroviral. Or seuls 44 000 patients sont effectivement sous traitement. Cela représente un taux de couverture en antirétroviraux (ARV) de moins de 15%, soit l’un des plus bas au monde (tout comme la Somalie et le Soudan pour le continent africain). La situation est critique également en terme de prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant

(PTME) : seul 1% des femmes enceintes estimées séropositives a accès aux traitements PTME. Or sans traitement, environ un tiers des enfants exposés naît avec le VIH.

En dépit de ces indicateurs catastrophiques, la RDC ne bénéficie pas du degré de priorité qui devrait être le sien auprès des bailleurs de fonds. Pire encore, certains se retirent ou diminuent sensiblement leurs subventions, comme le Fonds Mondial. En effet, alors que ce dernier est le principal pourvoyeur d’ARV en RDC, les Etats qui le financent n’ont pas tenu leurs promesses, obligeant l’institution à revoir ses ambitions à la baisse.

 Or le désengagement des bailleurs met directement en danger la vie de milliers de personnes en RDC. Anja De Weggheleire tire la sonnette d’alarme : « si rien n’est fait, il est fort probable que les 15 000 personnes inscrites actuellement sur une liste d’attente et identifiées comme personnes ayant besoin d’ARV de manière urgente seront mortes d’ici trois ans. Et ce chiffre, aussi effrayant soit-il, ne représente que le haut de l’iceberg quand on sait que la plupart des personnes vivant avec le VIH/SIDA en RDC ne connaissent pas leur statut sérologique. Beaucoup mourront dans le silence et dans l’oubli.»

 Il est crucial que les autorités congolaises respectent l’engagement qu’elles ont pris pour assurer gratuitement les services de prévention et de prise en charge des personnes vivant avec le VIH/SIDA. Il est tout aussi urgent que les bailleurs de fonds mobilisent d’urgence des moyens nécessaires afin d’assurer que les patients en attente d’ARV ne soient pas condamnés.

 MSF est présente depuis plus de 30 ans en RDC et y mène des programmes contre le VIH/SIDA depuis 1996.

 MSF a notamment été la première organisation à mettre des patients gratuitement sous ARV en RDC, en octobre 2003. Par ses programmes d’appui aux soins de santé et à travers son projet SIDA à Kinshasa, MSF prend plus de 5 000 patients en charge dans 6 provinces, soit plus de 10% du nombre de personnes mises sous ARV en RDC. A Kinshasa, MSF prend en charge 20% du nombre total de patients actuellement sous ARV dans la capitale congolaise.

MSF lance ce jour une campagne de communication et de plaidoyer qui s’étalera sur toute l’année 2012 afin d’alerter l’opinion publique sur la situation gravissime des personnes vivant avec le VIH/SIDA en RDC et d’inciter les acteurs à se mobiliser pour étendre la couverture ARV.

23 janvier 2012

RDC : l'ARP de Munene attend son heure

Alors que la République démocratique du Congo (RDC) s'enfonce dans une crise politique et institutionnelle profonde, après la réélection contestée de Joseph Kabila, le mouvement de résistance du général Faustin Munene s'active. Afrikarabia a rencontré le porte-parole de l'Armée de Résistance Populaire (ARP), Jean Kalama Ilunga, qui confirme qui les militaires qui ont rejoint le mouvement "attendent le moment fatidique pour agir". Jean Kalama nie toute présence du général Munene à Paris et les rumeurs autour de son état de santé.

Jean Kalama.jpg- Afrikarabia : La réélection de Joseph Kabila, fin 2011, a été très controversée. Les observateurs étrangers ont tous relevé de nombreuses irrégularités et de forts soupçons de fraude massive. Comment se positionne l'ARP après ce scrutin ?

- Jean Kalama Ilunga :  Dès novembre 2010 nous avions rejeté la tenue de ces élections. Nous pensions déjà à l'époque qu'il y avait des éléments de tricheries qui allaient être mis en place. Il n' y avait pas de recensement depuis 1984, on ne savait donc pas qui pourrait voter et sur quelle base se déroulerait le scrutin ? Autre élément : comment organiser dans une dictature des élections libres et transparentes ? Toutes les institutions sont au service d'un seul homme (Joseph Kabila, ndlr) : la justice, l'économie, la Banque centrale, les médias, le parlement, le sénat… Nous avons donc, en amont du scrutin, rejeté l'organisation des élections et les résultats qui en découleront. Pour nous, Joseph Kabila n'a pas de légitimité à la tête de l'Etat. Nos revendications sont donc les mêmes, avant qu'après les élections : Joseph Kabila doit partir ! Et aujourd'hui, il n' y a que la résistance qui puisse faire changer les choses.

- Afrikarabia : La Cour suprême de justice a tout de même validé l'élection présidentielle et la Communauté internationale, pourtant très critique sur les nombreuses irrégularités du scrutin, a laissé faire ?

- Jean Kalama Ilunga : Cette Cour suprême n'a aucune légitimité. Ce sont des juges complètement "caporalisés". D'ailleurs, ces juges ont été changés juste avant les élections par Joseph Kabila lui-même. Quand nous prendrons le pouvoir, ces gens qui se disent de la Cour suprême seront arrêtés pour "faux et usage de faux". Ils ont "tricotés" les donnés pour valider de faux résultats.

- Afrikarabia : Que propose l'ARP pour sortir de cette crise politique et de ce blocage institutionnel ?

- Jean Kalama Ilunga : Nous ne sommes pas étonnés que le pays en soit arrivé là. Nous le disons depuis très longtemps. Nous sommes arrivés au bout du système. Ceux qui sont au pouvoir sont des tricheurs, ils utilisent l'argent public pour corrompre, alors que les policiers, les militaires, les fonctionnaires ne sont pas payés et que les Congolais manquent de tout. Nous, nous sommes prêt à protéger les population, avec les mêmes moyens. Ce que nous proposons, ce n'est pas la "troisième voix", c'est la résistance. Nous sommes déjà organisés politiquement, nous avons prévu un gouvernement intérimaire. Nous voulons mettre en place des institutions fortes, pas des hommes forts.

- Afrikarabia : Peut-il y avoir un changement de régime pacifique ? Car pour l'instant Joseph Kabila est encore au pouvoir ?

- Jean Kalama Ilunga : C'est Joseph Kabila qui apporte la guerre. C'est lui qui se maintien au pouvoir en prenant l'armée en otage, avec l'aide de mercenaires. Et l'ARP veut créer un rapport de force avec le pouvoir en place. Nous travaillons pour que ce rapport de force puisse basculer.

- Afrikarabia : Pour créer un rapport de force, celui veut dire qu'en face des troupes de Joseph Kabila, il faut qu'il y ait des soldats, des hommes en armes ?

- Jean Kalama Ilunga : Bien sûr… ce n'est pas exclu. Il y a de nombreux militaires de l'armée congolaise (FARDC, ndlr) qui sont d'accord avec nous. Sinon, pourquoi Joseph Kabila a embauché tous ces mercenaires ? Pourquoi a-t-il a désarmé le camp Kokolo à Kinshasa ?

- Afrikarabia : Qui compose l'ARP ? Ce sont tous d'anciens militaires ?

- Jean Kalama Ilunga : Non. Il y a d'anciens militaires, bien sûr, qui ont rejoint l'ARP. Mais, je ne peux pas vous cacher qu'il y a aussi des militaires qui sont encore dans l'armée aujourd'hui et qui sont avec nous. Ces militaires attendent le moment fatidique pour agir.

- Afrikarabia : Qu'est-ce qui pourrait déclencher ce type d'action miltaire ?

- Jean Kalama Ilunga : Je ne peux pas le vous dire… (rires). Ce moment arrivera, mais je ne peux pas vous dire où, quand, comment et l'heure.. C'est confidentiel et nous sommes en train d'y travailler.

- Afrikarabia : Si la première partie de votre action est militaire, la seconde partie est politique ?

- Jean Kalama Ilunga : Oui, tout doit se terminer par la politique. Même si aujourd'hui on travaille sur la partie militaire, la politique est très importante puisque c'est la politique qui doit encadrer le militaire. C'est la politique qui devra créer la nouvelle armée du Congo.

- Afrikarabia : Quand on pense à une action militaire qui serait l'élément "déclencheur" d'un changement de régime, on pense à l'attaque de la résidence du président Kabila en février 2011, qui a tourné court. Certain ont attribué l'attaque à l'ARP du général Munene ?

- Jean Kalama Ilunga : Il y a des choses que je ne peux pas dire… Quand on parle de forces de la résistance, on parle de tous les Congolais. Après ces actions, l'état d'esprit des Congolais a changé, les gens se sont réveillés. A l'extérieur avec les actions de la diaspora et maintenant à l'intérieur. Aujourd'hui, la résistance est à l'intérieur du Congo.

- Afrikarabia : La différence entre votre mouvement et d'autres mouvement d'opposition, c'est le poids militaire que peut représenter le général Faustin Munene ?

- Jean Kalama Ilunga : Tout à fait, mais quand je parle, moi, je parle politique.

- Afrikarabia : Quelles sont justement vos liens avec les partis politiques d'opposition comme l'UDPS ?

- Jean Kalama Ilunga : L'opposition a fait son choix en acceptant de participer à ces élections. Nous, nous avons rejeté la tenue même des élections. Pour nous, ces élections n'ont pas existé. Nous avions donc deux projets très différents.

- Afrikarabia : Il n'y a donc pas de discussion avec Etienne Tshisekedi ?

- Jean Kalama Ilunga : Non non, nous ne sommes pas sur cette logique là ! Il faut dépasser le problème d'individu. Nous devons avoir des institutions fortes et non des hommes forts. On sait qu'avec des hommes forts, cela se termine toujours de la même façon : de la politique tribale.. ma tribu d'abord !

- Afrikarabia : Quelles sont les qualités du général Munene ?

- Jean Kalama Ilunga : C'est d'abord quelqu'un qui a été Chef d'Etat major général. Sous Laurent-Désiré Kabila, il a été vice-ministre chargé de la sécurité. Il avait donc la confiance total du Mzee Laurent-Désiré. Il a créé la police, qui n'existait pas sous Mobutu et il a installé une certaine sécurité que la population a reconnu. Il y avait de la discipline et ça, c'est l'oeuvre de Munene. Il est très écouté par les jeunes policiers, les militaires, les officiers. Nous leur demandons d'ailleurs de ne pas se signaler, mais nous savons qu'ils sont avec nous.

- Afrikarabia : Certains sites internet ont annoncé la présence du général Munene à Paris et d'autres médias comme Jeune Afrique disaient le général "mal en point" ?

- Jean Kalama Ilunga : Faustin Munene n'est pas à Paris et il n'est pas malade.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

Photo : Jean Kalama Ilunga à Paris en janvier 2012 © Ch. Rigaud - www.afrikarabia.com

22 janvier 2012

RDC : Tshisekedi au Palais de la Nation ce lundi

Etienne Tshisekedi, autoproclamé "président élu" de la République démocratique du Congo a annoncé vendredi qu'il va formera son propre gouvernement. Il se rendra lundi 23 janvier 2012 au Palais de la Nation à Kinhsasa.

Afrikarabia logo.png"A partir de ce vendredi 20 janvier 2012, je prend mes fonctions actives en qualité de président de la République démocratique du Congo. A partir de la semaine prochaine, nous allons former le gouvernement qui va prendre en mains le destiné du pays", a déclaré vendredi le leader de l'UDPS.

Lors de l'élection présidentielle de novembre 2011, Etienne Tshisekedi a obtenu 32,33 % de suffrages exprimés. Il s'est classé en deuxième position derrière le président sortant Joseph Kabila qui a recueilli, 48,95 % selon la Commission électorale. Etienne Tshisekedi a rejeté la réélection de Joseph Kabila en dénonçant une fraude massive et revendique sa victoire à la présidentielle en République démocratique du Congo (RDC).

Christophe RIGAUD

21 janvier 2012

RDC : Quitte ou double pour Tshisekedi

Où va Etienne Tshisekedi ? Après une longue période de silence, l'opposant congolais s'est exprimé vendredi. Le leader de l'opposition a annoncé vouloir former son propre gouvernement et a décidé "d'annuler les élections législatives". Etienne Tshisekedi a rejeté la réélection de Joseph Kabila en dénonçant une fraude massive et revendique la victoire à la présidentielle en République démocratique du Congo (RDC). Une situation très inconfortable pour le patron de l'UDPS, qui peine à trouver une stratégie efficace.

tshi tshi.pngLa bataille pour la présidentielle est-elle terminée pour l'opposant congolais Etienne Tshisekedi ?  Battu "officiellement" par Joseph Kabila, mais sûr de sa "victoire", Etienne Tshisekedi s'est autoproclamé "président élu" de la République démocratique du Congo (RDC). L'opposition estime que la réélection de Joseph Kabila est très contestable et entachée de multiples irrégularités. Mais la Commission électorale et la Cour suprême de justice congolaise (toutes deux proches du pouvoir) ont validé le scrutin et la communauté internationale, pourtant très critique, à laisser faire.

Etienne Tshisekedi se trouve donc dans une situation délicate. Depuis son autoproclamation, Tshisekedi est plus isolé que jamais : la rue congolaise n'a pas suivi (pas de printemps congolais) et la communauté internationale semble se satisfaire de la réélection (certes contestable) de Joseph Kabila. Après une longue période de réflexion, de consultation… et de silence, le leader de l'UDPS a donné une conférence de presse ce vendredi. Une conférence devant très peu de journalistes, puisque le quartier de Limete où réside Tshisekedi est bouclé depuis plusieurs semaines par la police congolaise. Le moins que l'on puisse dire, c'est que pro et anti-Tshisekedi n'ont pas été déçus pour le programme du "Sphinx de LImete".

Fidèle à son caractère, "intraitable", "irréductible" et "jusqu'au boutiste", nous avons assisté à du Tshisekedi "pur jus"… toujours entre le génial et le pathétique. Dans son discours, Tshisekedi persiste et signe. Le leader de l'opposition s'estime toujours le "président élu" de la dernière présidentielle et compte se rendre prochainement au Palais de la Nation afin de former son propre gouvernement. Le "président" Tshisekedi a également décidé "d'annuler les élections législatives", dont on attend toujours les résultats. Le patron de l'UDPS a annoncé  l'organisation d'un nouveau recensement de la population (dès le mois de février) et la tenue de nouvelles élections législatives et locales rapidement. Quant à une future participation à une quelconque table ronde avec le président Kabila ? Il n'en est pas question.

Une fois son programme annoncé… que peut-il se passer ? Rien sans doute. Quelques jours après les résultats de la présidentielle, Etienne Tshisekedi avait déjà appelé l'armée et la machine étatique de lui faire allégeance… dans l'indifférence générale. Il avait ensuite appelé la rue à le soutenir… sans plus de résultat. Autant dire qu'avec ses annonces de vendredi, Tshisekedi semble abattre ses dernières cartes.

Dans son propre camp, on hésite entre deux sentiments. La tendance "optimiste" estime qu'il faut aller au bout et qu'il se passera bien "quelque chose". Une autre tendance considère que "c'est mort"… et pense déjà à 2016, date des prochaines élections.

Christophe RIGAUD

Photo : E. Tshisekedi à Bruxelles en 2011 (c) Ch. Rigaud - www.afrikarabia.com

19 janvier 2012

RDC : L'opposition manifeste à Paris le 21 janvier

Dans un climat de crise post-électorale en République démocratique du Congo (RDC), l'opposition congolaise se re-mobilise à Paris.  Une manifestation aura lieu samedi 21 janvier pour dénoncer le "hold-up" électoral" du président Kabila et soutenir l'opposant Etienne Tshisekedi.

manifIMG_1014.jpgAprès la réélection contestée de Joseph Kabila, la crise politique continue d'agiter  la diaspora congolaise, réputée plutôt proche de l'opposition. Cette manifestation entend dénoncer les résultats de la présidentielle et soutenir le candidat d'opposition, arrivé en seconde position, Etienne Tshisekedi. Le leader de l'UDPS, qui a rejeté la réélection de Joseph Kabila, s'est "autoproclamé" "président" quelques jours après la prestation de serment du président sortant. Depuis, la RDC s'est enfoncée dans une crise politique profonde et attend les résultats des élections législatives, entachées des mêmes irrégularités que la présidentielle.

ManifIMG_0984.jpgDans ce contexte de fortes tensions, la diaspora s'est toujours fortement mobilisée. Dès février 2011, les premières manifestations "Kabila dégage" (en référence à la révolution tunisienne) sont organisées sur Paris, avant d'être reprises à Bruxelles, Londres ou Washington. Le phénomène "combattants" est né. Plusieurs groupes organisent alors des actions spectaculaires et souvent violents. Profondément "anti-Kabila" et "anti-rwandais", ces groupes ont ensuite empêché plusieurs artistes congolais de se produire en concert à Paris, comme la star Werrasson ou Papa Wemba. Les "combattants" reprochent à ces chanteurs de "rouler" pour Kabila et de faire de la propagande pour le candidat-président (à l'époque en campagne pour sa réélection). Gare du nord, les "combattants" ont ensuite perturbé l'arrivée en Thalys d'Olive Lembe Kabila, la femme du chef de l'Etat. En juin 2010, toujours gare du nord, les "combattants" ont agressé violemment le général Didier Etumba, à l'époque chef d'Etat-major de l'armée congolaise, en visite à Paris pour assister au concert "la nuit africaine". Derniers faits d'armes : l'incendie de l'ambassade de RDC à Paris en septembre 2011 et l'occupation de la même ambassade en décembre dernier. Puis le 31 décembre, les "combattants" s'en prennent au président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo. L'homme politique de 76 ans restera 5 jours à l'hôpital à Paris.

Samedi 21 janvier 2012, la diaspora congolaise manifestera de nouveau à Paris. Organisée par le RCK (Résistants Combattants Kongolais), cette marche débutera à 13h30, métro Sèvres-Lecourbe à destination du parvis des Droits de l'Homme au Trocadéro. Cette marche s'intitule : "”LES PREMIERS PAS DE NOS ENFANTS POUR LE CONGO”. Objectif annoncé par les organisateurs :
- "honorer"  Patrice Lumumba  dont le combat est "d'actualité,
- soutenir le "Président élu", Etienne Tshisekedi  et dénoncer le "hold-up" électoral de Joseph Kabila.

Christophe RIGAUD

Photos : Paris 2011 (c) Ch. Rigaud - www.afrikarabia.com

18 janvier 2012

RDC : Kabila s'offre l'Assemblée nationale

Dans un parfum de fraude et avec la plus grande confusion, la Commission électorale de République démocratique du Congo (RDC) s'apprête à annoncer les résultats des élections législatives. Sans surprise, la majorité présidentielle devrait disposer d'une nette avance à l'Assemblée. Le scrutin est très contesté par l'opposition et les nombreuses missions électorales présentent dénoncent des "tricheries inacceptables". La Communauté internationale s'est contentée "d'observer".

Capture d’écran 2012-01-18 à 22.16.19.pngUne crise post-électorale en chasse une autre. Après une présidentielle chaotique, voici les législatives, qui s'annoncent avec leurs lots de contestions et de "tricheries". Il faut dire que les deux élections ayant eu lieu le même jour (le 28 novembre 2011), on retrouve la même organisation anarchique et les mêmes fraudes : bourrages d'urnes, bureaux de vote fantômes, procès-verbaux perdus, "tripatouillages" de listes, bulletins de vote égarés…

La communauté internationale, témoin du fiasco électorale congolais, a publié de nombreux rapports pour dénoncer les "irrégularités du scrutin". Le Centre Carter, l'Union européenne ou l'Eglise catholique congolaise ont tous reconnu le manque de crédibilité des élections. Mais à part l'Eglise catholique, personne n'a osé franchir le rubicon en demandant l'annulation du scrutin. Un groupe d'experts américains a fini par être imposé à la Commission électorale (CENI) pour fournir "une aide technique" sur les résultats des législatives. L'objectif était de "sauver les meubles" en espérant que les élections à la députation aient été moins "irrégulières" que l'élection présidentielle. Manque de chance… la situation est pire, selon les observateurs étrangers. En quelques jours, les experts américains ont plié bagages et quitté Kinshasa… sans un mot d'explication.

Car, si Joseph Kabila a tout fait pour assurer sa réélection (notamment en faisant passer le scrutin de deux à un seul tour), il fait désormais tout pour garder le parlement et s'assurer un gouvernement issu de sa majorité. Selon les résultats partiels publiés par la CENI (que l'opposition accuse d'être pro-Kabila), la majorité présidentielle s'offre une belle avance. Le blogueur Jason Stearns, dans son excellent Congo Siasa, a rapidement comptabilisé le rapport des forces en présence : la majorité présidentielle pourrait compter sur 114 sièges (PPRD et alliés), alors que l'opposition (UDPS, UNC, UFC) n'aurait que 46 sièges (ces résultats sont partiels… il y a 500 sièges à pourvoir).

A Afrikarabia, comme beaucoup d'observateurs, nous pensions que les législatives auraient pu rééquilibrer le rapport de force "majorité-opposition"… donner un poids supplémentaire à l'opposition au parlement… jusqu'à peut-être la création d'un gouvernement de coalition… Erreur, nous nous sommes trompés. Joseph Kabila s'est assuré "le grand chlem" : présidence+parlement dans des conditions contestables, sous le regard indifférent de la communauté internationale.

Christophe RIGAUD

Photo : site internet "Kabila 2011"

16 janvier 2012

RDC : Faut-il annuler les législatives ?

Les critiques fusent autour des résultats des élections législatives en République démocratique du Congo (RDC). Après l'Eglise catholique, c'est au tour de la mission nationale d'observation électorale de dénoncer les nombreuses irrégularités du scrutin et de demander son annulation. Comme lors de l'élection présidentielle, la mission relève plusieurs cas de "fraudes et de tricheries".

IMG_7421.JPGAprès une élection présidentielle contestée, les législatives en République démocratique du Congo (RDC) subissent un impressionnant flot de critiques. Jeudi, l'Eglise catholique avait déjà qualifié la compilation des résultats des législatives "d'inacceptable". Aujourd'hui, c'est au tour de la mission nationale d'observation électorale de dénoncer les irrégularités du scrutin. Et la liste est impressionnante : documents "incomplets ou raturés", bulletins de vote "perdus", transports de résultats laissés sans supervision, écarts de données entre les différents d'un document à l'autre, plusieurs cas bourrages d'urnes…

Sur le site de la BBC, Léonie Kandolo, responsable de la mission qui regroupe quatre ONG, explique qu'au "regard des irrégularités constatées, l'éloignement des observateurs et des témoins des opérations de compilation des résultats des élections législatives procède d'une volonté délibérée de fraude et de tricherie". Elle explique également que la mission "a du renoncer à publier les résultats de façon indépendante", "ce qui la pousse à remettre en cause l'ensemble du processus".

Comme pour la présidentielle, fortement contestée par l'opposition, le scrutin législatif s'est déroulé de manière chaotique, voir anarchique. Les deux élections ayant lieu le même jour, les observateurs estiment que ces scrutins sont entachés des mêmes soupçons de fraude massive. Joseph Kabila a pourtant été donné gagnant par la Commission électorale (CENI). L'opposant Etienne Tshisekedi qui est arrivé en seconde position dans une élection à un seul tour, s'est autoproclamé "président élu" après avoir rejeté les résultats et dénoncé de nombreuses irrégularités, constatées par plusieurs missions d'observation, comme le Centre Carter, l'Union européenne ou l'Eglise catholique congolaise.

Les premiers chiffres provisoires donne une nette avance à la majorité présidentielle du président Kabila, ce que conteste l'opposition… Une situation qui risque de plonger la RDC dans une crise politique et institutionnelle profonde. La mission, qui a déployé plus de 2.700 observateurs uniquement pour l'observation de la compilation des résultats, recommande "un dialogue politique pour résoudre la crise de légitimité des résultats des scrutins présidentiel et législatif".

La CENI a retardé l'annonce des résultats de deux semaines. Des résultats attendus le 26 janvier 2012.

Christophe RIGAUD

Photo © Droits Réservés - Centre de compilation au Katanga (déc 2011)

14 janvier 2012

RDC : Les experts américains jettent l'éponge ?

La mission d'experts internationaux chargée d'apporter une aide technique à la Commission électorale (CENI) de République démocratique du Congo (RDC) a-t-elle quitté le pays ? C'est ce qu'affirme le site Congo Forum depuis ce matin. Ces experts électoraux auraient arrêté leur mission "faute d'avoir accès aux données". Pour l'instant, cette information n'est pas confirmée par Kinshasa.

Capture d’écran 2012-01-14 à 20.36.53.pngDans un très court article, le site internet Congo Forum affirme "de source généralement bien informée" que "les experts US en affaires électorales des organisations NDI et IFES ont arrêté leur mission et quitté la République Démocratique du Congo". Pour Congo Forum, les experts "n'ont pas eu accès aux données, qui en sont plus disponibles" et ont donc décidé "qu'ils n’avaient plus de raisons de rester". Ils auraient quitté la RDC le 13 janvier 2012. Cette information n'a pas été confirmée par les autorités congolaises.

Depuis le 5 janvier, un petit groupe d'experts électoraux internationaux de deux ONG américaines(NDI et IFES) sont en RDC pour tenter d'apporter une aide technique à la CENI. Une "aide" qui intervenait après les nombreuses critiques sur le manque de transparence et de crédibilité du processus de compilation des résultats dans de nombreuses circonscriptions du pays. L'opposition congolaise accuse en effet le président Joseph Kabila de fraudes massives.

Prévue le vendredi 13 janvier, l'annonce des résultats des élections législatives congolaises a été reportée de 7 jours pour l'ensemble des 165 circonscriptions des provinces congolaises et de 14 jours pour la ville de Kinshasa.

MISE A JOUR : Lundi 16 janvier, on nous confirme que les experts de NDI ont en effet quitté Kinshasa. Par contre, ceux de IFES continuent leur travail auprès de la CENI.

Christophe RIGAUD

12 janvier 2012

RDC : L'église catholique conteste les élections

Un mois après la réélection contestée de Joseph Kabila, l'église catholique entre dans le débat post-électoral en fustigeant l'action de la Commission électorale congolaise (CENI). L'église catholique, qui avait déployé 30.000 observateurs pendant le scrutin, demande à la CENI de  "de corriger impérativement les graves erreurs" ou de "démissionner".

filtre DSC02299.jpgLes irrégularités et les soupçons de fraudes massives des élections présidentielle et législatives en République démocratique du Congo (RDC) continuent de faire débat. Après les rapports des missions d'observation électorales du Centre Carter ou de l'Union européenne (tous très critiques sur la crédibilité du scrutin), c'est au tour de l'église catholique de donner son avis sur le déroulement des élections. Et le constat est sévère.

Dans son rapport, la Conférence épiscopale nationale (CENCO) estime que la Commission électorale (CENI), "doit avoir le courage de se remettre en question et de corriger impérativement les graves erreurs qui ont entamé la confiance de la population en cette institution… sinon de démissionner". Un message on ne peut plus clair. La CENCO note que "le processus électoral s'est déroulé dans un climat chaotique" avec de nombreuses "défaillances" et "des cas de tricheries avérées et vraisemblablement planifiées", ainsi qu'un "climat de terreur entretenu et exploité à dessein pour bourrer les urnes". L'église catholique note également que "la compilation des résultats des élections législatives est inacceptable"… "une honte pour notre pays".

Le rapport de l'église catholique congolaise sur ces élections controversées était très attendu, pour deux raisons. Tout d'abord, par le poids de l'église catholique qui représente entre 60 et 70% de la population congolaise… une influence très forte. Deuxième raison : le nombre important de ces observateurs le jour du scrutin. L'église catholique avait en effet dépêché plus de 30.000 observateurs dans les 64.000 bureaux de vote de RDC. Il s'agit de la mission la plus importante et la plus présente sur le terrain… ce qui lui donne une certaine valeur.

Réputé proche de l'opposition, le cardinal Laurent Monsengwo avait déjà fustigé le bilan de la CENI en déclarant  que "les résultats de l’élection présidentielle en RDC ne sont conformes ni à la vérité ni à la justice". Le rapport de la Conférence épiscopale nationale ne vient confirmer cette déclaration.

Le candidat malheureux et opposant au président Kabila,  Etienne Thsisekedi, qui s'est autoproclamé "président élu de la RDC", compte sur une mobilisation populaire pour faire plier Joseph Kabila. L'église catholique vient, par ce rapport, de lui apporter un soutien implicite. Pas sûr que seulement soit suffisant à faire descendre les Congolais dans la rue.

Pendant ce temps, la CENI a annoncé un rapport de l'annonce des résultats des législatives, prévu le 13 janvier. Les résultats seront donnés "aux comptes gouttes", dans une semaine "environ".

Christophe RIGAUD

Pour lire l'intégralité du rapport de la CENCO, cliquez ici.

Photo (c) Ch. Rigaud - www.afrikarabia.com

Rwanda : L'expertise Trévidic met KO les négationnistes

Me Lev Forster et Me Bernard Maingain : comme avocats des accusés dans l’affaire de l’attentat contre Habyarimana, nous ne disons pas "on a gagné", mais "la vérité a gagné". Mercredi 11 janvier 2012, les deux avocats ont organisé une conférence de presse pour commenter le rapport d’expertise commandé par les juges d’instruction Marc Trévidic et Nathalie Poux sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana. Comme on le sait depuis peu, ce rapport signé de sept experts écarte l’hypothèse d’un tir depuis la colline Masaka où aurait pu – très difficilement - s’infiltrer un commando du Front patriotique, pour pointer le camp militaire Kanombe, qui hébergeait le bataillon paracommando des Forces armées rwandaises ainsi que des éléments de la Garde présidentielle.  Nous publions ci-dessous les principales déclarations des deux avocats.
 
Image 2.pngMe Lef FORSTER : « Ma pensée va avant tout aux victimes. Lorsque nous sommes sortis de la notification du rapport d'expertise, j'étais extrêmement ému car je savais avec certitude que pour beaucoup de familles des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, cet acte judiciaire sonnait comme une réhabilitation ».
 
« Ces victimes ont douloureusement subi la thèse révisionniste selon laquelle, si les Tutsi du Rwanda ont été exterminés en 1994, c'était à la suite d'un cynique calcul du Front patriotique pour s'emparer du pouvoir par le biais d’un  commando infiltré à Masaka. Cette thèse qui prétend faire des Tutsis les artisans de leur propre génocide se croit accablante, elle est indigne. Les rescapés du génocide et leurs familles ont subi pendant dix-sept ans cette infamie propagée par des « assassins de la mémoire », pour reprendre l’expression du regretté Pierre Vidal-Naquet.
 
« Il s'agit d'un processus négationniste hélas classique qui se met en place pour justifier chaque génocide. Pour le génocide des Arméniens de Turquie, on a déjà invoqué leur prétendue "trahison nationale". Pour le génocide des juifs, on avait ressorti la « conspiration des Sages de Sion ». Et pour le génocide des Tutsi, dont que les vrais responsables seraient les Tutsi, le commando infiltré à Masaka.
 
« Cette thèse qui prétend faire des Tutsis les artisans de leur propre génocide est une infamie »
 
« L’attentat du 6 avril 1994 n’est pas la cause du génocide. Ce dernier était préparé depuis longtemps, peut-être depuis 1990 ou 1991. L’attentat a servi de prétexte à la liquidation de l’élite hutue démocrate et au génocide des Tutsis. En criant sur tous les toits que l’attentat était forcément la preuve de la duplicité des Tutsis, que « Paul Kagame a sacrifié les Tutsis » par la voie de l’attentat, les négationnistes ont défini leur enjeu : Masaka. L’expertise commandée par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux leur revient comme un boomerang.
 
« Ce sont les négationnistes eux-mêmes qui ont fait de l’attentat « sur ordre de Kagame » contre l’avion de Habyarimana le fondement de leur idéologie. Après le rapport d'expertise, il est plus clair que jamais que le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 avait été programmé, que l’attentat contre l’avion présidentiel était la première phase d’un coup d'État pour que les accords de paix d’Arusha ne soient pas appliqués. Ce génocide a été déclenché sur tout le territoire du Rwanda de façon simultanée juste après l'attentat contre l'avion du président Habyarimana. Mais le génocide contre les Tutsi est bien réel, indépendamment de l’instruction. L’expertise ne sert pas à dire s’il y a eu génocide ou pas. Je me permet d’insister sur ce point, car j’ai constaté une certaine confusion ici où là…
 
« les négationnistes ont défini leur enjeu : Masaka. L’expertise commandée par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux leur revient comme un boomerang. »
 
« Les assassinats commis par la garde présidentielle dans les heures qui ont suivi l'attentat contre les leaders hutus démocrates  et les Tutsis visaient à démanteler toute capacité de redressement institutionnel. Le Rwanda devait présenter l’image de l’anarchie en raison d’une « colère populaire spontanée », alors que cette « anarchie » était soigneusement encadrée. Le génocide des Tutsis n’a rien eu de spontané. Le juge Bruguière, à l’évidence, ne l’a pas compris.
 
« Nous avons été confrontés à une instruction étrange, elle même initiée par une plainte intervenue très tardivement : trois ans après l'attentat et le génocide.
On s'aperçoit dès le départ que la démarche du juge d'instruction n'est absolument pas contradictoire. Dans l'enquête sur l'attentat contre le Boeing d'UTA, Bruguière s’était présenté comme un magistrat courageux, n’hésitant pas à s'approcher de la Libye sur un navire militaire. Il n'a pas fait preuve du même courage concernant l'enquête sur l'attentat du 6 avril 1994 puisqu'il a toujours refusé de se rendre au Rwanda, prétendant que sa vie était menacée. Il aurait pu demander à des experts d’enquêter sur le terrain sans y aller lui-même. Il ne l’a pas fait non plus. Il n’a pas jugé utile une enquête balistique. Il n'a pas essayé de comprendre les conditions matérielles de cet attentat.
 
« Le génocide des Tutsis n’a rien eu de spontané. Le juge Bruguière, à l’évidence, ne l’a pas compris »
 
« On a aussi vu que des écrivains ou journalistes chargés de populariser cette enquête univoque n'ont pas davantage eu le souci de mettre les pieds au Rwanda. Certains livres défendant la même thèse que Bruguière n’avaient d’autre but que la stigmatisation des Tutsis et du gouvernement actuel du Rwanda. Je ne peux pas me départir d'une certaine ironie devant ces gens qui prétendent que les Tutsis sont par nature des menteurs et que les Hutus le sont « par imprégnation » : lorsqu'on voit tous les mensonges qui ont été déversés dans l'enquête Bruguière, les manipulations les plus grossières….
 
« Je tiens à  rendre hommage aux juges d’instruction qui ont repris le dossier Bruguière. Philippe Coirre qui a rejoint le juge Marc Trévidic, le juge Trévidic lui-même, naturellement  et Nathalie Poux qui s'est jointe à lui par la suite. Lorsque nous avons sommes intervenus pour la défense des accusés, M. Trévidic avait au départ une analyse très négative du dossier. Ce dossier représentait environ 20 000 pages de procédure et le juge qui avait remplacé Jean-Louis Bruguière se trouvait à trois semaines de clôturer l'instruction. Or il a accepté de remettre à plat l’enquête.


« Je tiens à  rendre hommage aux juges d’instruction qui ont repris le dossier Bruguière »
 
« C'est ainsi que depuis trois ans l'instruction judiciaire s'est faite sous le signe du professionnalisme, sans la moindre concession, avec une enquête à charge et à décharge, avec la vérification de toutes les déclarations antérieures, et notamment leur crédibilité. Par ailleurs nous avions demandé au juge de se rendre sur le terrain car les cartes d'état-major ne peuvent pas rendre compte de la complexité du paysage. Le juge Trévidic a décidé qu'il se rendrait au Rwanda avec des personnes susceptibles de réaliser une expertise technique et scientifique, alors que le juge Bruguière ne se basait que sur des témoignages non vérifiés.
 
« Le juge Trévidic a voulu mettre les témoignages en relation avec des observations techniques et scientifiques. Il a mené des investigations totalement indépendantes pour examiner dans quelles conditions l'avion avait été abattu, par quel type de missile, à la suite de quels trajets précis de l'avion et vérifié, sur cette base, ce que les témoins pouvaient réellement voir entendre. L'expertise devrait également déterminer le lieu des postes de tir.
 
« Le juge Bruguière ne se basait que sur des témoignages non vérifiés »
 
« Au total, 56 types de missiles ont été étudiés et progressivement écartés les uns après les autres compte tenu de l'analyse du terrain et d'autres paramètres scientifiques. Finalement, il est apparu que le Falcon 50 du président Habyarimana a été abattu par un missile SA 16 de fabrication soviétique. Cette conclusion a été tirée de l'analyse des experts et des possibilités de tir
 
« Il faut signaler que les sept experts sont issus de cabinets différents. Ils confrontaient continuellement leurs analyses. Le rapport qu’ils ont rendu a été rédigé à l’unanimité, ce qui est rare ».
« Ils ont examiné quelles pouvaient être les positions de tir. Six positions ont été étudiées compte tenu de la trajectoire retenue des missiles. Deux position dans la vallée de Masaka, trois positions dans le camp de Kanombe et enfin une position qui se serait située entre les deux précédentes au lieu-dit « la porcherie ».
 
« Les sept experts sont issus de cabinets différents. Leur rapport a été rédigé à l’unanimité, ce qui est rare »
 
« En définitive, les experts ont écarté la possibilité que le tir ait été effectué à Masaka pour des raisons techniques et scientifiques.
- Il était impossible de tirer un missile depuis Masaka compte tenu de l'endroit où l'avion a été atteint.
- Il a été tenu le plus grand compte des témoignages de deux militaires européens qui se trouvaient dans le camp Kanombe et ont entendu le souffle du départ des missiles. Les militaires sont toujours très attentifs au souffle des projectiles car selon leurs observations, ils doivent ou non se protéger. Leur familiarité avec les différents types de missiles ou d'armes lourdes leur permet aussi d'évaluer la distance par rapport au bruit du souffle.
 
« Compte tenu de ces éléments et les témoignages de militaires belges et français, les deux endroits retenus comme postes de tir se situent à l'intérieur du camp militaire de Kanombe, l'un dans le cimetière, une autre dans un lieu proche du cimetière.
 
« Deux militaires européens dans le camp Kanombe ont entendu le souffle du départ des missiles »
 
« Si les experts avaient déterminé la vallée de Masaka et où la colline de Masaka comme l'endroit d'où provenaient les tirs, cela ne m'aurait pas gêné car le Front patriotique ne pouvait pas davantage y introduire un commando et surtout pas lui permettre de s'exfiltrer en toute sécurité après l'attentat. La chose apparaît impossible. Déjà pour se rendre à Masaka, dans la banlieue de Kigali, à dix kilomètres du bâtiment du CND où était cantonné le bataillon du FPR, il fallait franchir 7 barrages de militaires. Aussitôt après l'attentat, le nombre des barrages a été encore multiplié. L'exfiltration du commando aurait été impossible.
 
« En outre à l'époque de l'attentat, la vallée était occupée par un champ de papyrus. Beaucoup de gens l'ignorent à commencer par le juge Bruguière, mais un champ de papyrus, ça veut dire un mètre d'eau au dessus d’une épaisseur de vase. On imagine mal trois hommes dans l'eau qui leur arrive au moins jusqu'à la taille pendant des heures, à attendre l’avion. Qui plus est, près d'une source où tous les habitants d'un village voisin viennent puiser de l'eau.
 
« Si les experts avaient déterminé Masaka comme l'endroit d'où provenaient les tirs, cela ne m'aurait pas gêné »
 
« La thèse que les tireurs étaient positionnés au camp Kanombe est une évidence. Elle est apparue comme telle aux expert, un pilote de Falcon, des experts en missiles, en explosifs et en acoustique, qui se sont mis d'accord et ont cosigné le rapport d'expertise.
 
« Aujourd’hui que le Rwanda est en paix, le camp Kanombe est protégé et nous-mêmes avons eu du mal à y entrer malgré nos autorisations. Que dire alors de son  verrouillage en période de guerre. Un commando du Front patriotique ne pouvait en aucun cas s'infiltrer dans le camp, y rester plusieurs heures et ensuite s'en exfiltrer sans qu’aucun des militaires présents – y compris des Français et des Belges - s'en aperçoive.
 
« Un commando du Front patriotique ne pouvait en aucun cas s'infiltrer dans le camp Kanombe »
 
« Au terme de l'opinion unanime des expert et des centaines de pages d'analyse du rapport désignant le camp de Kanombe comme le seul endroit possible pour les tirs sur l'avion, comme avocats des accusés, nous ne disons pas "on a gagné", mais "la vérité a gagné".
 
« En effet pour les avocats des victimes de l'attentat il me semble devoir rappeler que le seul intérêt est de déterminer qui sont les coupables. Les parties civiles ont été induites en erreur pendant des années. Au terme de ces trois dernières années de vérification, si des témoignages supplémentaires sont apportés émanant de personnes qui ne se seraient jamais signalées pendant les 17 années d'instruction, il faudra parler non pas de scoop mais de nécessité de confronter tout nouveau témoignage à la réalité de l'expertise. Cette expertise est indépassable car elle n'est pas subjective.
 
« Il me semble que le seul intérêt est de déterminer qui sont les coupables »
 
« Les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux nous ont donné à tous trois mois pour relire et analyser les centaines de pages du dossier d’expertise, et fournir nos commentaires. Ceci constitue un délai pertinent pour l'ensemble des parties.
Nous pouvons déjà indiquer que nous solliciterons une mesure technique de dissociation concernant nos clients, afin qu'ils puissent bénéficier d'un non-lieu sans que l'instruction s'interrompe
 
« Nos clients nous demandent de porter plainte pour tentative d'escroquerie au jugement en bande organisée. En effet certaines personnes ont fourni au juge Bruguière des témoignages, de prétendues expertises et des documents dans la seule intention de manipuler l'instruction, d'orienter le dossier dans une mauvaise direction, dans le seul but de favoriser la déstabilisation du régime rwandais et de stigmatiser les victimes par une thèse abjecte qui en ferait les responsables de leur propre génocide.
 
« Nos clients nous demandent de porter plainte pour tentative d'escroquerie au jugement en bande organisée »
 
« La thèse soutenue par le juge Bruguière est devenue progressivement la base de l'idéologie négationniste du génocide des Tutsis. Je dois ici remercier le site « lemonde.fr » qui m'a permis de m'exprimer sur les problèmes soulevés par l'extension de la loi sanctionnant le négationnisme.
En 1996 j’étais un des avocats des Arméniens contre le négationniste Lewis. J'estime que le législateur n'a pas à choisir parmi les génocides ceux qui seraient reconnus comme tels et donc parmi les négationnistes, ceux à  sanctionner ou pas. Dans le même temps, faut-il laisser toutes les proclamations négationnistes continuer de se répandre ?
 
« Faut-il laisser toutes les proclamations négationnistes continuer de se répandre ? »
 
« Un crime ou un délit doit être jugé par un tribunal et non par le Parlement. Tout négationnisme devait être sanctionné, telle est à mon avis la bonne approche plutôt qu’un empilement de lois « mémorielles ».
 
« Bernard Maingain a consacré des années de sa vie à la cause des victimes et non pas à la cause d'un régime. Je tiens à lui rendre hommage.
 
(fin de l’intervention de Me Lef FORSTER)
 
Me Bernard MAINGAIN : - C'est une chouette défense qu'on a faite à deux, en parfaite harmonie, alors que le monde du Barreau est riche de conflit de narcissisme.
 
« Dans ce dossier, ce qui est en train de se produire, c'est le retour de deux vertus :
- le respect. Nous aimons croire à des magistrats sans concession. Nous avons croisé ces magistrats sans concession. Ils ont accepté de faire droit à nos demandes calmement et efficacement. C'est le retour du respect des avocats, des uns et des autres. Dans la région des Grands Lacs cette justice exemplaire mérite d'être connue.
- deuxièmement, c'est le retour sur le discours de la méthode avec l'acceptation de reprendre un dossier qui est en cours.
 
« Dans ce dossier, ce qui est en train de se produire, c'est le retour du respect »
 
« Prenons le cas du livre du « lieutenant » Abdul Ruzibiza préfacé par Mme Catherine Vidal et postfacé par M. André Guichaoua, qui entend démontrer qu’un commando du FPR infiltré à Masaka a abattu l’avion du président Habyarimana. Un bouquin soi-disant accablant. Mais Ruzibiza, ce prétendu participant à l'attentat contre l'avion, n'apporte dans son gros livre aucune précision factuelle sur la façon dont il aurait agi.
 
« Dans un dossier sur un événement aussi grave, un attentat qui a été le déclencheur d’un génocide, n'importe quel juge d'instruction aurait pris des mesures de bon sens : d'une part, demander au témoin Ruzibiza de rester à sa disposition, éventuellement le mettre en garde à vue ; d'autre part, se rendre sur le terrain et demander au témoin de commenter sur place les éléments d'information qu'il prétend apporter. Ca s’appelle une reconstitution. Or cette mesure n'a jamais été mise en œuvre ni même, semble-t-il, envisagée.
 
« Prenons le cas du livre d’Abdul Ruzibiza préfacé par Mme Catherine Vidal et postfacé par M. André Guichaoua… »
 
« Bien au contraire, lorsque le témoin Ruzibiza intervient, il bénéficie d’égards surprenants. L'enquêteur principal, un commandant de police, n'hésite pas à organiser un contact du témoin avec les soi-disant experts de l'instruction, M. Guichaoua et Mme Vidal. Quel est le fondement de cette intervention ? Eh bien ces prétendus experts vont servir à crédibiliser scientifiquement le témoignage de M. Ruzibiza. Il faut relire la préface de madame Vidal à son bouquin. C'est un grand moment d'anthropologie scientifique.
 
« Deuxièmement, le même enquêteur écrit une lettre pour soutenir sa demande du statut de réfugié politique en Norvège. Dans le même document le policier français accuse le gouvernement rwandais de multiples crimes contre l'humanité. Ce policier s'ingère dans la « protection » du témoin en violation des règles de procédure.
 
« Ces prétendus experts vont servir à crédibiliser scientifiquement le témoignage de M. Ruzibiza »
 
« Les violations de procédure sont légion Ainsi M. Paul Barril, ex-capitaine de la gendarmerie nationale entre visiblement en contact avec M. Payebien, alors chef de la Division nationale anti-terroriste (DNAT) mais aucun procès-verbal ne rend compte de ces contacts. À un certain moment, M. Barril conseillera de recruter M. Fabien Singaye comme interprète et traducteur dans le cadre du dossier.
 
« Or M. Singaye est un acteur de la tragédie rwandaise que chacun peut connaître car la presse a déjà parlé d'anomalies le concernant dès 1994. C'est nous, partie civile, qui allons devoir prouver que M. Singaye a été un agent des services de renseignement du président Habyarimana, en poste à Berne. Que ce titulaire d’un passeport diplomatique de deuxième conseiller d’ambassade n’en a pas moins été été expulsé de Suisse à l'été 1994 en raison de ses liens avec le gouvernement du génocide. A l’époque, la presse l’a mentionné. Comment peut-il être introduit parmi l'équipe d'enquêteurs du juge Bruguière ?
 
« M. Singaye est un acteur de la tragédie rwandaise. Comment peut-il être introduit parmi les enquêteurs de Bruguière ? »
 
« On peut s'interroger sur le fait que la famille Habyarima, partie civile connaît parfaitement M. Fabien Singaye qui a été à son service. Pourtant, les parties civiles n'en disent pas un mot au juge Bruguière. Les avocats des parties civiles ne pouvaient pas davantage ignorer le passé de M. Singaye. Pourquoi les personnes connaissant M. Singaye comme partie prenante dans le harcèlement des Tutsis réfugiés en Europe avant le génocide, puis son rôle dans l’exfiltration d’un des acteurs présumés du génocide, M. Félicien Kabuga, acceptent qu’il devienne interprète-traducteur assermenté et expert de justice de M. Bruguière ?
 
« C'est nous, avocats des accusés, qui devront déposer chez le magistrat la preuve de la proximité totale entre Jean-Luc Habyarimana, le fils du président assassiné, et M. Fabien Singaye. Il y a entre eux une proximité familiale, mais également une proximité affairiste. M. Singaye devient ensuite conseiller du président centrafricain Bozize et consultant du groupe AREVA. Comment est-il possible que l'enquête n'ait pas révélé avant notre intervention le passé de ce monsieur et comment les avocats des parties civiles soucieux de déontologie n’ont-ils pas posé directement la question au magistrat instructeur ?
 
« Nous avons la preuve de la proximité totale entre Jean-Luc Habyarimana, le fils du président assassiné, et M. Fabien Singaye »
 
« On a utilisé pour l'enquête un individu particulièrement controversé et sa présence ne pouvait manquer de poser à terme d'énormes problèmes de procédure. Pourtant la famille Habyarimana savait tout cela. Ses avocats savaient tout cela et ils n'ont rien fait. Mais l'intrusion de M. Singaye dans la procédure n'est qu'une des nombreuses et très graves anomalies qui l’ont entachée.
 
« Le cas de M. Filip Reyntjens comme « expert » de Bruguière est également significatif. J'ai découvert que M. Filip Reyntjens était considéré comme un des experts principaux du juge Bruguière et qu'à ce titre il a même échangé des mails et des SMS avec le chef enquêteur, M. Pierre Payebien. Pourquoi ces mails et ces courriels ne figurent-ils pas dans l'enquête ? Comment peut-on accepter qu’aucun procès-verbal n'en fournisse le contenu ? C’est le B.A.-ba des règles de l'instruction. Il n'est pas acceptable que M. Filip Reyntjens et M. Payebien puissent échanger des informations hors procès-verbal. Cette intrusion et d’autres renforcent le sentiment qu'il y a là un univers parallèle qui fonctionne hors dossier et un dossier « officiel » qui se construit de façon très bizarre. Le capitaine Barril, Fabien Singaye et Jean-Luc Habyarimana constituent un trio qui a profondément orienté l'instruction.
 
« Le cas de M. Filip Reyntjens comme « expert » de Bruguière est également significatif »
 
« Comment le juge Bruguière et son équipe ont-ils négligé de vérifier le passé et les intérêts de M. Filip Reyntjens au Rwanda ? Comment pouvaient-ils ignorer que M. Filip Reyntjens a participé à l'élaboration de la Constitution qui a avalisé le système d’apartheid au Rwanda durant la période du régime Habyarimana ?
 
« Mais M. Reyntjens a eu aussi des comportements que j'estime parfaitement inacceptables en Belgique dans le traitement de la guerre civile au Rwanda. En 1992, avec un autre avocat, nous avions organisé à Bruxelles l'accueil d'une délégation d'opposants politiques au président Habyarimana et de militants du Front patriotique. Ca se passait au palais de justice pour de raisons de confidentialité.
 
« Or nous avons la preuve que M. Filip Reyntjens a  démarché deux des participants pour leur faire rencontrer le président Habyarimana pendant la période 1992-1994. Les réunions que nous avions organisé pouvant favoriser le processus de paix au Rwanda exigeaient que soient respectée la confidentialité des propos échangés. Elles étaient couvertes par le secret professionnel. Le fait d'en extraire des témoins et de les mettre entre les mains de M. Habyarimana et ses amis a été une initiative extrêmement choquante. Dois-je rappeler que la plupart des participants à cette rencontre ont été assassinés pendant les premiers jours du génocide ? Est-ce que M. Reyntjens est bien conscient du rôle qu'il a joué ?
 
« Est-ce que M. Reyntjens est bien conscient du rôle qu'il a joué ? »
 
« M. Filip Reyntjens a transmis au juge Bruguière un document où M. Bagosora, par l’intermédiaire de son avocat, prétendait identifier les tubes lance-missiles déposés dans la vallée de Masaka à titre de « preuve ». Qui ignore que le colonel Théoneste Bagosora est considéré comme l’architecte du génocide ? Etait-ce le rôle d'un expert d’accréditer cette manipulation ?
 
« De même nous ne connaissons toujours pas le rôle exact de M. Guichaoua -, qui se répand depuis des années dans les médias pour affirmer que le FPR est l’auteur de l’attentat - et de Mme Vidal. Pas plus que le rôle du capitaine Barril.
 
«  Nous ne connaissons toujours pas le rôle exact de M. Guichaoua, de Mme Vidal ni du capitaine Barril »
 
« Nous ne savons pas qui a tiré les missiles contre l'avion Falcon 50 du président Habyarimana. Compte tenu du lieu du tir, dans le camp Kanombe, le temps d'acquisition de la cible était extrêmement court. Il fallait que les tireurs de missiles soient très expérimentés.
 
« Les dernières investigations menées notamment en Pologne ont permis de comprendre qu'il faut au moins cent heures d'entraînement aux tireurs de missiles SA 16 Igla 1 pour être capables de la "performance" réalisée le 6 avril 1994 à Kigali. Cette capacité n'était pas celle du premier venu.
 
« Selon les constatations des experts, il a fallu, bien avant l'attentat, un repérage très précis de tout le secteur entre Masaka et Kanombe pour déterminer les postes de tirs les plus pertinents. Selon les experts, il aurait été plus facile d'abattre l'avion depuis la colline de Masaka qu’à Kanombe dont la topographie contraignait à un temps d'acquisition de la cible plus court. Il y a donc des raisons de penser qu'avant même l'attentat les conspirateurs avaient décidé d'en faire porter la responsabilité au Front patriotique et de désigner faussement la colline de Masaka comme la zone crédible de départ des missiles. C'est dans ce dessein que les deux tubes lance-missiles y ont été déposées et soi-disant découverts par hasard par des paysans.
 
« Il y a des raisons de penser qu'avant même l'attentat les conspirateurs avaient décidé d'en faire porter la responsabilité au Front patriotique »
 
« Sur cette question des missiles, nous constatons que l’enfumage complet de ce dossier vient de l'ex-capitaine Paul Barril et de ses amis, et qu’il est protégé de l’instruction. On voit l’ex-capitaine Barril dans la région des Grands Lacs autour du 6 avril. Des témoins l’aperçoivent le 4 avril à l'aéroport de Kigali mais ensuite on perd sa trace. Il se présente comme le conseiller de Mme Habyarimana.
 
« À aucun moment lors de ses trois interrogatoires par l'équipe Bruguière on ne lui demande où il se trouvait le 6 avril au soir. Au mois de juin 1994 il présente aux médias français une fausse boîte noire et prétend posséder 80 témoignages vidéo en insinuant que le Front patriotique est l'auteur de l'attentat. Mais personne ne verra par la suite ces soi-disant témoignages vidéo.
 
« L’enfumage complet de ce dossier vient de l'ex-capitaine Paul Barril et de ses amis »
 
« L’enfumage se poursuit sans discontinuer avec la prétendue boîte noire trouvée dans un placard de l'ONU à New York en 2004. Au cours des investigations il apparaîtra que cette boite noire est celle d'un avion Concorde d'Air France. Sa « présence » à New York vise à accréditer un prétendu complot pour cacher la responsabilité du Front patriotique dans l'attentat. Naturellement, il y a des questions à se poser. Comment cette boite noire a-t-elle été « récupérée » dans un  hangar de la société Air France à Roissy ? Comment est-elle arrivée à New York ? Or le juge Bruguière choisit de ne pas engager d’investigations.
 
« Autre question : que deviennent les deux tubes lance-missiles dont on brandira les photographies pour assurer qu'ils incriminent le Front patriotique. On nous raconte qu'ils ont été envoyés au Congo à la demande de Mobutu, dont le capitaine Barril est également le consultant en sécurité. Ils auraient été remis à des généraux congolais et curieusement ces pièces à conviction disparaissent dans les profondeurs du Congo sans que M. Bruguière s’en étonne.
 
« Que deviennent les deux tubes lance-missiles dont on brandira les photographies ? »
 
« Est-ce que M. Barril a fait l'objet d'une mise sous écoute téléphonique ? Jamais. A-t-il été mis sous surveillance ? À aucun moment. A-t-il été soumis à contrôle judiciaire ? Pas le moins du monde. A-t-on perquisitionné son domicile, sa société ou ses ordinateurs ? Non plus. Il a été entendu comme un simple témoin.
 
« Nous pensons qu’un ancien capitaine gendarme du GIGN de la carrure de M. Barril, disposant de preuves si évidentes, aurait eu la présence d'esprit de confier ces pièces à conviction – qu’il dit à un moment avoir eu en main – à des services secrets ou des diplomates de pays occidentaux aptes à protéger les tubes lance-missiles et faire en sorte qu'ils soient confiés à des enquêteurs indépendants. Qu’a retenu M. Barril de sa carrière de gendarme ?
 
« Qu’a retenu M. Barril de sa carrière de gendarme ? »
 
« Il faudra un jour avoir une explication sur l’enfumage de l'affaire Ruzibza. Voici un homme qui a été transféré en France par les soins des attachés militaires et les services de renseignement français basés à Kampala et Dar-es-Salaam. Ruzibiza était à cette époque très proche du mouvement des FDLR, les restes des anciennes Forces armées rwandaises transformées en mouvement rebelle et qui ont mis en coupe réglée l'est du Congo.
 
« On attend aussi des explications sur les témoignages de Messieurs Marara et Musoni soi-disant participants à la préparation de l'attentat. Nous avons apporté la preuve que M. Marara a été recruté par l'Armée patriotique rwandaise au mois de mai 1994 et qu'il a été considéré comme opérationnel à la fin de l'année 1994. Bien après l’attentat auquel il prétend avoir participé ! Quant à M. Musoni, lorsque le juge Trévidic demande à le réentendre, il refuse et déclare "j'ai rendu assez de services à la France". J'aimerais qu’il s’explique sur ceux qui se sont présentés à lui comme « la France ». Que les faux témoins s’expliquent vraiment !
 
 « Que les faux témoins s’expliquent ! »
 
« Tous ces gens ont glosé sur le supposé mystérieux « Network commando » du FPR qui aurait organisé l’attentat depuis Masaka. Mais je ne vois qu’un mystérieux « network » : celui qui en France a enfumé le dossier Bruguière. J’en profite pour dire ici à ceux qui pensent qu'on peut jouer avec la justice : vous me trouverez sur votre route. Et j’adressee un message particulier à M. Péan qui se dit le spécialiste de « la culture du mensonge des Tutsis » sans s'être jamais rendu au Rwanda. Le top de la culture du mensonge, je ne l'ai pas trouvé à Kigali mais ici à Paris. Le top de la manipulation judiciaire, je l'ai également trouvé à Paris.
 
« J’ adresse un message particulier à M. Péan qui se dit le spécialiste de "la culture du mensonge des Tutsis" »
 
« Pour ma part, j'estime que la justice a droit au respect. J’espère que tous ceux qui ont participé à la manipulation de l'enquête Bruguière payeront un jour le prix judiciaire de leur action. À cet effet, je voudrais adresser un message à tout témoin qui surgirait dix-sept ans après les faits alors qu'il ne se serait jamais fait connaître auparavant : son témoignage devra s'inscrire dans la logique du dossier et de l’expertise judiciaire. Pendant dix-sept ans on nous a seriné que les auteurs de l'attentat se trouvaient à Masaka. On nous a détaillé un prétendu "Network commando" et présenté de prétendus témoins qui ont fourni six ou sept versions avec des participants différents de ce « network ».
 
« Nous défendons sept personnes accusées de faits précis. Nous constatons qu'il a été démontré que ces faits précis n’existent pas. À notre demande les juges d'instruction Marc Trévidic et Nathalie Poux se sont rendus à Kigali. Ils ont demandé des expertises. Nous en avons parlé à nos clients. Il faut imaginer la confiance de nos clients de s'en remettre à une énième expertise après l'accumulation de faux témoignages, de manipulation de prétendus experts depuis tant d'années auprès du juge Bruguière et de ses enquêteurs. Nos clients ont cependant accepté cette nouvelle expertise.
 
« J’espère que tous ceux qui ont participé à la manipulation de l'enquête Bruguière payeront un jour »
 
« J'ajoute que les services de renseignement belge avaient enquêté de façon approfondie dans les semaines qui ont suivi l'attentat à du 6 avril 1994. Cette enquête était motivée par le fait que les extrémistes hutus, dès l'attentat, en ont accusé les Belges. Dix para commandos belges ont été assassinés au camp Kigali par des soldats surexcités à qui on avait prétendu que ces Belges avaient participé à l'attentat contre le président Habyarimana. Les témoignages sont abondants.
 
« Cette désinformation sur l'attentat a d'abord occasionné la mort de dix jeunes Belges et je pense aujourd'hui à leur familles qui attendent aussi la vérité sur l'attentat. Le « rapport » Bruguière était quelque part une insulte à la mémoire de ces gens. Si l'on relit le document qui s'appelle "soit communiqué" qui résumait l'instruction du juge Bruguière et qui a été diffusé à partir de 2006, il n'est nulle part mentionné que les para commandos belges, assassinés sur la foi de rumeurs les désignant comme complices de l'attentat, n'y étaient pour rien. Il faut comprendre que ces dix para commandos ont été sacrifiés délibérément par les extrémistes hutus dans le cadre d'une savante desinformation sur les auteurs de l'attentat qui n'a pas été improvisée après l'attentat, mais en quelque sorte scénarisée beaucoup plus tôt.
 
« Cette désinformation sur l'attentat a d'abord occasionné la mort de dix jeunes Belges »
 
« Depuis des mois, comme l'ont démontré différents documents, les extrémistes hutus voulaient provoquer le départ du contingent belge des casques bleus. Par ailleurs la désignation de la colline ou de la vallée de Masaka comme lieu des postes de tir d'un commando infiltré de l'Armée patriotique rwandaise n'était pas le fait du hasard.
 
« Comme les experts des juges Trévidic et Poux l'ont constaté, le choix de la colline ou de la vallée de Masaka pour abattre l'avion était le meilleur possible et sans doute ceux qui préparaient l'attentat l'avait-t-il identifié comme tel. Mais l'endroit était très fréquenté et il leur était impossible de dissimuler les postes de tir durant des heures, d'où l’option du camp Kanombe.
 
« Il est donc logique de déduire que, bien avant l'attentat lui-même, les conjurés avaient décidé d'organiser une très subtile manoeuvre de désinformation qui désignerait la vallée de Masaka comme l'origine des tirs et de prétendre que le Front patriotique il y avait infiltré un commando. Or l'impact du missile a été très clairement repéré au niveau de l'aile gauche du Falcon 50, à côté du réservoir. C'est le côté gauche de l'avion qui a été brûlé par l'impact, ce qui permet aux experts de déterminer également l'endroit d'où a été tiré le missile.
 
« Le choix de Masaka pour abattre l'avion était le meilleur possible »
 
« L'enquête de l'auditorat militaire belge a clairement incriminé les extrémistes hutus dans la perpétration de l'attentat. Les services de renseignement américain avaient conclu de même que les missiles étaient partis du camp Kanombe. Le rapport de la commission Mutsinzi, après l’audition de centaines de témoins, a également conclu que les missiles venaient du camp Kanombe. Les experts de l'Académie militaire de Londres ont conclu que les tireurs de missiles se trouvaient au camp Kanombe.
« Je rappelle ces différents éléments pour que chacun prenne la dimension des manipulations du dossier Bruguière et de la souffrance des familles belges également meurtries et blessées par des accusations dont on mesure enfin l'inanité.
 
« Chacun doit prendre la dimension des manipulations du dossier Bruguière »
 
« Les experts ont retenu l'hypothèse que les missiles tirés étaient d'origine soviétique compte-tenu de nombreux éléments. Ils ont identifié ces missiles comme des SA 16 IGLA 1. Ils ont établi que le premier missile a manqué son objectif - sans doute parce que le tireur n'était pas suffisamment expérimenté - mais que le deuxième missile a atteint sa cible. Nous ignorons d'où venaient ces missiles. À cette époque, il y en avait beaucoup qui transitait par la Pologne ou la Tchécoslovaquie. Je rappelle que dans le dossier de l'Angola, qui date aussi de 1994 on a identifié certains des protagonistes des trafics de missiles.
 
« Les experts désignés par le juge d'instruction se sont rendus en Pologne pour vérifier comment fonctionnait ce type de missile. C'est alors qu'on leur a démontré qu'il fallait des heures d'entraînement pour les mettre en oeuvre et qu'on ne peut absolument pas s'improviser tireur de ce type de missiles.
 
« Dans le dossier de l'Angola de 1994 on a identifié certains des protagonistes de trafics de missiles »
 
« J'entends déjà de nouvelles tentatives de désinformation pour brouiller le message de l'expertise auprès de l'opinion publique. Pendant dix-sept ans, personne n'a contesté que si les missiles étaient partis du camp Kanombe, ils n'auraient pu être tirés que par des extrémistes hutus, des membres de l'Akazu ou leurs stipendiés.
 
« Et voilà qu'aujourd'hui, pour la première fois, certains reviennent sur cette évidence pour prétendre que si les missiles ont été tirés depuis le camp qui abritait les paracommandos et des éléments de la garde présidentielle, c'est qu'un commando du Front patriotique s'y serait installé tranquillement pour abattre l'avion du président et ensuite disparaître dans la nature.
 
Cette nouvelle théorie abracadabrante ne démontre qu’une seule chose : la détermination de certains à continuer d’enfumer le dossier, plutôt qu’à identifier les véritables auteurs de l’attentat qui a servi de déclencheur au génocide.
 
(fin de l’intervention de Me Bernard MAINGAIN)
 
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER pour AFRIKARABIA. Photo (c) Tous droits réservés.

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10 janvier 2012

Attentat Habyarimana : Les expertises innocentent le Front patriotique (FPR)

C’est un tsunami judiciaire qui a emporté mardi après-midi l’enquête menée par le juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière sur l’attentat ayant visé l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994. Du monstrueux empilement de témoignages à charge qui avait abouti en 2006 à neuf mandats d’arrêt contre les hauts gradés de l’Armée patriotique rwandaise, il ne reste pratiquement rien debout.
 
Afrikarabia logo.pngLes expertises balistiques et phoniques commandées par ses successeurs les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux démontrent que les deux missiles qui ont abattu l'avion le 6 avril 1994 vers 20 h 30 n’ont pu être tirés par un commando du Front patriotique infiltré sur la colline de Masaka.  Les tireurs se trouvaient au camp Kanombe sévèrement contrôlé par les Forces armées rwandaises. Ce camp était sous le contrôle du major Aloïs Ndabakuze, chef des parachutistes commandos de l'armée rwandaise, condamné en première instance par le Tribunal pénal international à la prison à vie pour son rôle crucial dans le génocide.
 
Sous le contrôle du major Aloïs Ndabakuze
 
Les experts ont porté une grande attention aux témoignages du commandant français Grégoire de Saint-Quentin et au médecin-colonel belge Massimo Pasuch, qui habitaient le camp Kanombe et ont entendu le départ des missiles non loin (voir Afrikarabia)

Les experts estiment aussi que les tireurs étaient très expérimentés, relançant l’hypothèse de l’intervention de spécialistes étrangers des missiles, qu’il s’agisse d’agents secrets ou de mercenaires.
 
Des agents secrets ou des mercenaires
 
En avril 2010, les juges antiterroristes Marc Trévidic et Nathalie Poux avaient désigné cinq experts, géomètre, balistique, explosifs et incendie, rejoints plus tard par un acousticien, pour déterminer les lieux possibles des tirs ayant abattu l'avion présidentiel, considéré comme l'acte déclencheur du génocide rwandais.
 
Vingt mois plus tard et après un déplacement au Rwanda en septembre 2010 pour essayer de reconstituer les conditions de l'attentat, juges et experts dévoilaient mardi après-midi leurs conclusions aux parties concernées par l'enquête. Une vidéo en 3D réalisée sous le contrôle des experts a également été montrée. Elle synthétise les éléments confirmés par les spécialistes en balistique et en propagation des sons.
 
Une vidéo en 3D explicite
 
La connaissance du lieu de tir des missiles, déterminante pour identifier les tireurs, désigne clairement des éléments extrémistes des Forces armées rwandaises, comme Afrikarabia le laissait entendre ces derniers jours.
 
 L'enquête du juge Jean-Louis Bruguière avait pourtant désigné en 2006 un commando du Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion majoritairement tutsie dirigée en 1994 par l'actuel président Paul Kagame. L’émission des neufs mandats d’arrêt internationaux avait  provoqué la rupture par Kigali des relations diplomatiques avec la France. Il aura fallu beaucoup de patience à Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et beaucoup de détermination au président Nicolas Sarkozy, en butte aux critiques d’irréductibles hauts-gradés français qui poursuivent une guerre médiatique contre Kagame, pour les rétablir.
 
L’aveuglement du juge Bruguière
 
Selon le juge Bruguière, les hommes du FPR se seraient infiltrés depuis le parlement rwandais à travers le dispositif des Forces armées rwandaises (FAR, loyalistes) sur la colline de Massaka, qui surplombe l'aéroport à l'est de la piste. De prétendus membres du commando ont accrédité cette thèse avant de se rétracter.
 
A l'inverse, un rapport d'enquête rwandais (dit « Rapport Mutsinzi »), fondé sur près de 600 témoignages, a documenté la piste de tirs partis depuis le camp militaire de Kanombe, importante base des FAR, jouxtant l'aéroport et la résidence présidentielle au sud-est, où il est "impossible d'imaginer" que le FPR ait pu s'infiltrer.
 
Les faux témoins du juge antiterroriste
 
La thèse rwandaise, devenue aujourd’hui la thèse Trévidic, impute la responsabilité de l'attentat aux extrémistes hutus des FAR, qui auraient voulu se débarrasser du président Habyarimana, jugé trop modéré, pour faciliter un coup d'Etat.
 
Aux experts, les juges français avaient demandé de reconstituer la trajectoire du Falcon 50 présidentiel, d'évaluer sa position au moment où il a été touché, de déterminer le type de missile utilisé, mais également les modes opératoires possibles, et de confronter le tout avec les témoignages et données topographiques.
 
Ces experts ont définitivement démontré que les tirs ne pouvaient partir que du camp des Forces armées rwandaises dit « camp Kanombe ».
 
Habyarimana liquidé par les extrémistes de son camp
 
« Nous attendons maintenant qu’un non-lieu soit prononcé en faveur de nos clients », ont déclaré les avocats des mis en examen, Mes Bernard Maingain et Léon-Lef Forster, en quittant le cabinet du juge Marc Trévidic, ajoutant que « la mise en cause du FPR est dorénavant inimaginable".
 
 Du côté des parties civiles, l'avocat de la veuve du président rwandais Agathe Habyarimana, Me Philippe Meilhac, a manifesté un certain embarras. Selon lui, il n’est pas imaginable que les FAR aient disposé de spécialistes des missiles du niveau requis.
 
L’embarras de l’avocat d’Agathe Habyarimana

Maîtres Léon-Lef Forster et Bernard Maingain, avocats de sept Rwandais toujours mis en examen organiseront une conférence de presse ce mercredi à Paris. Ils reviendront sur les conclusions des experts mandatés par les deux magistrats français, et comptent exposer les nombreuses manipulations et irrégularités qui ont entaché cette information judiciaire pendant la décennie où celle-ci était conduite par le juge Jean-Louis Bruguière.

Le gouvernement rwandais a salué hier le rapport des experts mandatés par les juges français Marc Trévidic et Nathalie Poux. Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement a déclaré : « Les résultats présentés aujourd'hui constituent la confirmation de la position tenue de longue date par le Rwanda sur les circonstances qui entourent les événements du mois d’avril 1994. Grâce à la vérité scientifique ainsi établie, les juges Trévidic et Poux ferment avec éclat le chapitre de ces 17 années de campagne visant à nier le génocide et à faire porter aux victimes la responsabilité de leur sort. Pour tout le monde, il est désormais établi que l’attentat contre l’avion faisait partie d’un coup d’état mené par des éléments extrémistes hutu assistés de leurs conseillers, qui détenaient le contrôle du camp militaire de Kanombe ».

Satisfaction à Kigali

Louise Mushikiwabo  a ajouté : « Pour le peuple du Rwanda, le rapport d'aujourd'hui résulte d'une enquête de grande qualité, requise par des magistrats français aux références irréprochables et réalisée par des experts de renommée internationale. Il rend justice à ceux qui ont été faussement accusés d’avoir abattu l’avion, mettant une fin définitive aux mensonges et aux théories du complot qui ont, trop longtemps, essayé de détourner l’attention du monde loin des auteurs véritables des crimes abominables perpétrés au Rwanda pendant le génocide.
La Ministre Mushikiwabo a conclu par ces mots : « Les Rwandais saluent ces conclusions qui apportent un meilleur éclairage sur un chapitre vital de l’histoire de notre pays. Sans fléchir ni nous laisser distraire, nous poursuivons la tâche capitale de reconstruction du pays pour les générations à venir ».

Lire également sur le sujet : Attentat Habyarimana, le florilège de "l'enquête" Bruguière.

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Attentat Habyarimana : Le florilège de « l’enquête » Bruguière

Depuis sa saisine en 1998 jusqu’à son remplacement par le juge Marc Trévidic en 2007, le juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière a mené une instruction entièrement à charge pour démontrer la responsabilité du Front Patriotique dans l’attentat du 6 avril 1994 à Kigali. L’Ordonnance qu’il diffusait ou laissait diffuser en 2006 constituait une réécriture de l’histoire du Rwanda pour rendre le mouvement rebelle, majoritairement tutsi, responsable du génocide des Tutsis dont l’attentat a été le déclencheur.
 
A présent que les expertises réduisent à néant cette thèse, il n’est pas inutile de rassembler un florilège des citations les plus significatives du dossier Bruguière…
 
Afrikarabia logo.png« Des témoignages enregistrés, il ressort que cet acte meurtrier a été l'oeuvre de rebelles du « Front patriotique rwandais» (FPR ) placé sous l'autorité de M. Paul Kagamé, chef d'état-major de l'armée ougandaise » 15 septembre 1999, note au juge Bruguière de l’inspecteur général Marion, chef de la division nationale antiterroriste.
 
« Sans posséder d'informations précises et de témoignages, je suis cependant en mesure de dire que cet attentat ne peut être que l'oeuvre du FPR. » Le 26 octobre 1998, interrogatoire de Faustin Twagiramungu par le juge Bruguière
 
« C'est le FPR infiltré qui nous a tiré dessus » Catherine Mukamusoni, sœur d’Agathe Habyarimana, lettre de plainte le 5 juillet 1994.
 
« La conviction de Robert Debré rendant le Front patriotique rwandais responsable de l'attentat s'était forgée à la lecture des télégrammes du Quai d'Orsay, des notes de service français (surtout !) et des journaux de l'époque » (cote 65 du dossier Bruguière et lors de son audition devant la « Mission Quilès » le 2 juin 1998 (procès-verbal numéro 144/16))
 
« La responsabilité du FPR , sans être prouvée, est beaucoup plus vraisemblable (que celle des proches du président Habyarimana ». Note de l'ambassadeur de France au Rwanda Jean-Michel Marlaud, rédigée à Paris le 25 avril 1994
 
« L'hypothèse d'un attentat organisé par des extrémistes hutu de l'entourage du président Habyarimana qui auraient voulu donner un coup d'arrêt au processus de paix ne semble pas tenir à l'analyse ». Citation d’une « Fiche en possession du ministère de la Défense tendant à démontrer que le FPR avec la complicité de l'Ouganda est responsable de l'attentat ». Direction du Renseignement Militaire français, avril 1994 (document vraisemblablement rédigé par le colonel Bernard Cussac).
 
« Je récuse totalement que cet attentat ait pu être l'oeuvre des FAR ou de l'entourage du président ou des extrémistes hutus » Audition le 14 juin  2000 de Bernard Cussac, attaché de défense et chef de la mission militaire de coopération au Rwanda de juillet 1991 à avril 1994
 
« La procureur du TPIR ou tout autre organe désigné par le Conseil de sécurité de l'ONU, doit mener une enquête sur l'assassinat du président Habyarimana et sur la responsabilité du FPR, pour mettre fin aux spéculations inacceptables » Lettre des détenus du TPIR au secrétaire général des Nations unies au sujet de l'enquête sur l'assassinat du président Habyarimana.
 
« J’exclue toute éventualité d'un coup d'Etat de la part du mouvement hutu extrémiste » Résumé par commissaire principal Philippe Frizon, chef de la division nationale antiterroriste par intérim, de la déposition d'Aloys Ntabakuze le 7 juillet 2000.
 
« Le responsable sur le terrain des deux postes de tir de missile était ce soir-là le sous-lieutenant Joseph Kayumba, chargé de la section missiles au Front patriotique rwandais ». Déposition en prison d’Hassan Ngeze (directeur du journal extrémiste Kangura, condamné par le TPIR,  résumée par le commissaire principal Philippe Frizon, 7 juillet 2000.
 
« Le lendemain de l'attentat le 7 avril 1994, il avait eu entre midi et 14 heures, un message émanant du Front patriotique rwandais capté à Gisenyi par les Forces armées rwandaises dans lequel Paul Kagamé « félicitait les gens qui avaient réussi le coup de l'attentat contre l'avion présidentiel avec l'apport de leurs amis belges ». Théoneste Bagosora, directeur de cabinet du ministre de la Défense en 1994, déposition résumée par le commissaire principal Philippe Frizon, 7 juillet 2000.
 
« Le FPR avait mis en place une cellule autonome chargée d'abattre Habyarimana. (...) c'est tout ce que je suis en mesure de vous dire en affirmant la sincérité des informations que j'ai obtenues auprès de Messieurs Seth Sendashonga et Claude Dusaidi. Je cite volontairement mes sources aujourd'hui, car ils sont décédés tous deux ». 4 août 2000, déposition de Stephen Smith, responsable de l'Afrique au quotidien Libération.
 
« En tout cas, Kagamé et son entourage étaient très fiers de l'avoir descendu ». Paul Barril, interrogé par l’équipe Bruguière le 20 juin 2000

« (Mon) enquête, sur place, de même qu'une centaine de témoignages recueillis au Rwanda, dans plusieurs pays d'Afrique de l'Est et en Europe, fait ressortir, en l'absence de preuves matérielles, comme la plus plausible des différentes hypothèses, une monstrueuse présomption que le Front patriotique rwandais, le mouvement représentant les Tutsi minoritaires du Rwanda, ait pu commettre l'acte entraînant le génocide de ses partisans. » Stephen Smith, Libération, 29 juillet 1994.
 
« Les missiles utilisés pour l'attentat avaient été transportés à Kigali par Kagamé et l'opération en question était dirigée par le colonel Charles Kayonga, lequel était accompagné de Rosa Kabuye, laquelle était chargée de l'installation des membres du commando ». Christophe Hakizabera, interrogé sur commission rogatoire en Italie à la suite de son rapport « l'ONU dans l'étau des lobbies du FPR » Note envoyée par fax à la Direction nationale antiterroriste le 26 juin 2000
 
« Si l'on pense que l'attentat ait pu être l'oeuvre des extrémistes, il ne faut pas oublier que le chef de ceux-ci Elie Sagatwa se trouvait dans l'avion présidentiel » Déposition d’Alphonse Higaniro, ami du président Habyarimana devant le commissaire Payebien le 5 octobre 2000.
 
« Les sources ont toutes confirmé que le network, sous le commandement du général Paul Kagamé avait planifié et exécuté l'attentat à la roquette contre le président Habyarimana.». Dépositions de Michael Hourigan, ancien chargé d’enquête au TPIR.
 
« Ma conviction personnelle est que le FPR avait très bien préparé son coup. Une infiltration, même de jour, à partir du CND dans la plaine de Masaka était tout à fait réalisable par une équipe aguerrie. » Audition le 22 juin 2001 du colonel Jean-Jacques Maurin, adjoint à l'Attaché défense et adjoint opérationnel conseiller du chef d'état-major de l'armée rwandaise du 24 avril 1992 jusqu'au 14 avril 1994.
 
« J'avais été chargé de la sécurité extérieure d'une salle de réunion du quartier général de l'APR à Mulindi (...)., j'ai distinctement vu et entendu le colonel Nyamwasa Kayumba prononcer cette phrase : « Qu'il n'y avait pas d'autre façon de faire que de tirer sur son avion » faisant explicitement référence à l'avion du président Habyarimana. »  Évariste Mussoni, ex soldat du FPR, interrogatoire par Jean-Louis Bruguière le 29 août 2001.
 
« J'ai été amené à être le témoin de trois réunions au cours desquelles il a été envisagé puis arrêté la décision d'assassiner le président Juvénal Habyarimana ». Innocent Marana, dit avoir été le chauffeur personnel de Paul Kagamé interrogatoire par Jean-Louis Bruguière le 29 août 2001
 
« J'ai entendu Paul Kagamé dire à James Kabarebe d'expliquer aux officiers présents le plan retenu pour assassiner le président Habyarimana. James Kabarebe a détaillé qu'il avait déjà sélectionné des hommes de confiance de son unité pour commettre l'attentat. Je n'ai pas entendu clairement en détail ce qui a été dit mais j'ai saisi le mot "missile" ». Déposition d’Innocent Marara réentendu par le lieutenant de police Frédéric Piwowarczyk, le 3 septembre 2002.
 
« J'ai vu le colonel Nyamwasa Kayumba prendre la parole et dire "qu'il n'y a pas d'autre façon de faire que de tirer sur son avion". C'est la seule fois où j'ai entendu des propos ayant un lien avec l'attentat commis contre l'avion du président Habyarimana le 6 avril 1994. » Évariste Mussoni, ex soldat du FPR, réinterrogé le 4 septembre 2001 avec comme interprète Fabien Singaye.
 
« (Par le) capitaine Jimmy Mwesige, membre du DMI et ancien membre des services de renseignements ougandais (...), j'ai appris que le matériel ayant servi pour commettre l'attentat était venu du quartier général de Mulindi et que cet armement antiaérien qui servait à la défense du quartier général de Paul Kagamé provenait de l'Ouganda. (...) Il m'a été indiqué que les militaires du commando impliqué dans l'opération faisaient partie d'une unité qui avait été entraînée en Ouganda à l'utilisation du matériel anti aérien. » Audition  de Sixbert Musangamfura, ancien  responsable du service civil de renseignement du Rwanda,  par le juge Bruguière, le 14 juin 2002.
 
« Anatole Nsengiyumva faisait remarquer que les membres de la "Coalition pour la défense de la république CDR) ou "extrémistes hutus" était des civils et il ne voyait pas ceux-ci utilisant des missiles sol air. » Déposition de Gratien Kabiligi, chef du bureau G3  des Far en 1994, résumée par l’équipe Bruguière, cote 6479
 
« Ce Network Commando avait également pour mission (...) la reconnaissance de la zone de Masaka, Kanombe, située dans le secteur d'approche de l'aéroport de Kigali pour préparer un attentat contre l'avion présidentiel dans sa phase d'approche. (...) Nous avons rejoint chacun notre emplacement prévu. (...) Sur le terrain, l'avion du président Habyarimana a été identifié aux alentours de 20 h 30. Le premier missile a été tiré par Éric Hakizimana mais a manqué sa cible, l'avion étant toutefois déséquilibré. Franck Nziza a tiré le missile quatre ou cinq secondes plus tard et l'avion a été détruit ». « Lieutenant » Abdul Ruzibiza par Jean-Louis Bruguière 4 juillet 2003.
 
« En ce qui concerne la participation des FAR à un coup d'Etat contre le président Habyarimana, je l'exclus totalement. (...) J'ai constaté que le colonel Bagosora était perdu, voire isolé et il se demandait ce qu'il fallait faire » Lieutenant-colonel Marcel Bivugabagabo interrogé par Jean-Louis Bruguière, cote 6667.
 
« Le projet qui m'a été présenté consistait à trouver un site de tir pour abattre l'avion présidentiel avec des missiles. Je précise que j'étais sous-officier et plus exactement sergent et chef d'un groupe de six hommes. Abdul Ruzibiza nous a donné des instructions pour nous répartir en protection sur le site de tir à Masaka.  (...) Je n'ai pas vu qui étaient les tireurs et c’est plus tard que j'ai appris qu'il s'agissait du sous-lieutenant Franck Nziza et du caporal Éric Hakizimana. » Audition par Jean-Louis Bruguière de Emmanuel Ruzigana, ex militaire du FDPR, le 29 mars 2004.
 
« Lizinde a lu le rapport à Kagamé. Après la lecture du rapport, Kagamé a dit à l'adresse des personnes présentes qu'il fallait monter l'opération le jour où arriverait l'avion du président, ajoutant que si on ne passait pas à l'action, la guerre ne s'arrêterait jamais. » Déposition d’Aloys Ruyenzi, ancien militaire du FPR, avec M. Fabien Singaye comme interprète en langue kinyarwanda, en présence de Jean-Louis Bruguière, le 25 mai 2004.
 
Sélection de citations par Jean-François DUPAQUIER

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Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (6)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le sixième volet :

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VI – L’attentat : enquête Bruguière ou instruction Barril ?
 
Lorsque le Falcon 50 du président Habyarimana est abattu le 6 avril 1994, les journalistes du monde entier n’ont pas le temps d’enquêter ni même de gloser. Car aussitôt commencent le génocide des Tutsis et l’extermination des leaders politiques hutus démocrates. En outre, les « spécialistes du Continent noir » couvrent la campagne électorale qui doit permettre à Nelson Mandela de devenir le premier président noir du pays de l’Apartheid. Et au Rwanda, en dépit de proclamations de principe des deux camps sur la nécessité de mener une enquête sur l’attentat, l’urgence de gagner la guerre civile l’emporte sur toute autre considération.
 
Y a-t-il quelque chose à cacher ? Les Forces armées rwandaises (FAR) interdisent aux Casques bleus de la MINUAR l’accès à l’épave de l’avion. Un seul homme, privilégié du fait de sa nationalité française et de son rôle auprès des FAR, sera en mesure d’approcher les débris du Falcon, dispersés dans le jardin de la résidence présidentielle.
 
Un seul investigateur face aux débris du Falcon
 
Le commandant Grégoire de Saint-Quentin, des troupes de Marine, résidait au camp Kanombe qui jouxte l’aéroport. en qualité d'assistant militaire technique à la mission militaire de coopération au Rwanda, poste qu'il occup depuis le 11 août 1992. Il dépendait du ministère de la coopération et son supérieur hiérarchique était le lieutenant colonel Maurin, également des troupes de Marine. Il était responsable de l'entraînement parachutiste auprès du major Aloïs Ndabakuze, chef des parachutistes commandos de l'armée rwandaise.
 
C’est de Saint-Quentin qui a donné l'alerte sur le réseau de sécurité de l'ambassade de France, vers 20 h 45. Sa première mission consista, le soir même du 6 avril, à récupérer les restes des trois Français qui composaient l’équipage du Falcon.
On sait aussi que Saint-Quentin a fait un compte rendu dès 21 h 30 sur le crash de l’avion présidentiel au lieutenant-colonel Maurin. Il a été transmis au Centre opérationnel interarmées (COIA).
 
Récupérer les restes des trois Français de l’équipage
 
Grégoire de Saint-Quentin, actuellement général, commandant la base française du Sénégal avait donc été autorisé à conduire des investigations qui comportent toujours de larges zones d’ombre. Ce n’est pourtant pas faute d’occasions de s’exprimer : il a été auditionné par la mission d'information parlementaire (« Mission Quilès ») le 26 mai 1998.  Il a ensuite fait une première déposition devant le juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière, puis, le 7 décembre 2011 devant le juge Yves Trévidic, qui a succédé à Bruguière  Il explique et répète que le 6 avril au soir, il se trouvait à son domicile dans l'enceinte du camp de Kanombe, qui se situe à environ 500 m de la résidence privée du président Habyarimana et à environ 4 km de l'aéroport.
 
« Vers 20 h 30, j'ai nettement entendu de départ de coups, que je peux assimiler à un départ de lance-roquettes. Deux coups de départ très rapprochés l'un de l'autre, mais pas simultanés. Ensuite très rapidement j'ai entendu une explosion plus importante. Je me suis rendu immédiatement à une fenêtre et j'ai vu une boule de feu dans le ciel en direction de l'Est. »
 
Trois témoignages identiques sur les tirs de missiles
 
Ce témoignage est capital. Grégoire de Saint-Quentin reste convaincu que les tireurs se trouvaient au camp Kanombe, un immense terrain militaire dont la partie la plus proche de la résidence des Habyarimana était une sorte de friche servant aux exercices, mais où il aurait été suicidaire au Front patriotique d’introduire un commando, à plus forte raison toute une journée à attendre le retour de l’avion présidentiel.
 
L’officier français estime que le départ des missiles a eu lieu à moins d’un kilomètre de sa résidence, au milieu du camp. Il n’est pas le seul témoin direct à soutenir cette analyse. Le colonel-médecin Massimo Pasuch, un Belge qui habitait à quelques maisons de Grégoire de Saint-Quentin, fournit un  témoignage identique. Il estime que les tireurs se trouvaient tout près, au maximum à 500 mètres. D’autres militaire de la coopération belge installés eux aussi à Kanombe (tout comme le Casque-bleu belge Mathieu Gerlache, qui a été témoin des tirs de missiles), ont confirmé ces dires auprès de l’Auditorat militaire belge, qui a enquêté sur l’attentat dans les semaines suivantes. Le juge français Jean-Louis Bruguière, décidé à démontrer que l’attentat avait été commis par le Front patriotique, a évidemment écarté tous ces témoignages.
 
Ecarter les témoignages innocentant le Front patriotique
 
Outre son rôle d’instructeur, Grégoire de Saint-Quentin était, selon certaines sources, un informateur de la DGSE. Ce qui peut expliquer que ce service de renseignement, dans une série de télex confidentiels, affirme que l’attentat contre l’avion du président Habyarimana avait été commis par les extrémistes hutus de son camp. Ce n’est pas l’avis de la Direction  du renseignement militaire (DRM) créée par Pierre Joxe en 1992, et qui a toujours soutenu que l’attentat était l’œuvre des hommes de Paul Kagame, le chef de l’Armée patriotique.
 
Grégoire de Saint-Quentin raconte que, de sa propre initiative, dès le lendemain 7 avril, il a voulu récupérer la boîte noire du Falcon. Et ajoute : « Je n'ai rien trouvé qui aurait pu ressembler à celle-ci. En outre, il aurait fallu de l'outillage important pour accéder à l'intérieur des débris de cet avion. »

Une « initiative » peu convaincante de Saint-Quentin

Sur ce point, de nombreuses questions restent en suspens. Comment Saint-Quentin savait-il que le Falcon, un avion privé, disposait d’une boîte noire, ce qui est très rarement le cas et n’a été confirmé par le juge Bruguière qu’après bien des difficultés (L’appareil était bien muni de deux enregistreurs de vol, comme tout avion de transport. La société Dassault reconnu seulement le 19 juin 2001 que l’avion était équipé d’un cockpit voice recorder - CVR-) ?
 
Troisième question : comment se fait-il que plusieurs militaires de la Garde présidentielle présents autour de la résidence d’Habyarimana (notamment le sergent major Jean-Marie Vianney Barananiwe, les soldats Grégoire Zigirumugabe et Aloys Tegera, le para-commando Léonard Ntibategera) affirment avoir vu Saint-Quentin revenir à plusieurs reprises, avec précisément du gros matériel mécanique, littéralement dépecer l’épave à la recherche de la boîte noire ? Agathe Habyarimana, veuve de Juvénal Habyarimana, et ses enfants, interviewés le 21 avril 1994 à Paris, prétendent aussi que la « boîte noire » a été trouvée par les militaires français.
Enfin, comment expliquer que cette boîte noire a effectivement disparu après ces recherches prétendument infructueuses ?
 
Une épave dépecée à la recherche de la « boîte noire »
 
Une note du département d’État des États-Unis estime cette découverte probable : « The blackbox from the airplane has probably been recovered by Rwandan government offcials who control led the airport when the plane was shot down, or, according to unconfirmed reports, by French military offcials who later secured the airport and removed the body of the french pilot of Habyarimana’s plane after the crash. »
 
Pourtant ce n’est pas le commandant Grégoire de Saint-Quentin qui tient la vedette concernant l’enquête sur l’attentat. En ce début d’été 1994 à Paris, l’ex-capitaine de gendarmerie Paul Barril fait une entrée tonitruante. Les journalistes et l’opinion publique vont découvrir à cette occasion qu’il joue un rôle important au Rwanda.
 
Entrée en scène fracassante de Paul Barril
 
« Rwanda : l'énigme de la " boîte noire" L'enregistreur de vol de l'avion présidentiel abattu le 6 avril à Kigali est entre les mains de l'ex-capitaine Barril ».
 
Le titre éclate en première page de l'édition du Monde du 28 juin 1994. Fier de ce scoop, Le Monde publie de grandes photographies. On y voit « une petite boîte de métal, à peine plus grosse qu'un livre de poche, rivée à un morceau de tôle ocre et cabossée, que l'on a manifestement arraché à sa carlingue d'origine. Sur la pièce de tôle figurent plusieurs tampons et inscriptions, partiellement effacés. Des séries de chiffres, parfois précédés d'une mention : " F 50 ", comme Falcon 50 ... »
 
Le quotidien Le Monde mobilisé
 
On apprend par la même occasion que « l'ex-capitaine Paul Barril, ancien commandant du GIGN (Groupement d'intervention de la gendarmerie nationale), un temps familier de la fameuse "cellule" de gendarmes de l'Elysée (...), affirme s'être emparé de la boîte noire du Falcon 50 abattu à Kigali et la tenir "à la disposition des instances internationales" ». Très fier de son information, l’ex-capitaine l’a déjà commentée et illustrée au journal télévisé de 13 heures de France 2. Il présente triomphalement la « boîte noire » aux téléspectateurs.
 
Barril aurait montré cet "enregistreur de vol " - selon le terme technique - à un journaliste du Monde [non nommé, mais il s’agit vraisemblablement de Jacques Isnard, qui se garde bien d’apparaître par la suite]  dès le jeudi 23 juin, dans les bureaux de sa société, Secrets, avenue de la Grande-Armée à Paris. Mais écoutons les journalistes du Monde Hervé Gattegno et Corine Lesnes qui se partagent quelque peu naïvement ce mirobolant scoop servi sur un plateau :
 
« L'ancien officier affirme s'être rendu au Rwanda à deux reprises depuis le crash de l'avion présidentiel, courant avril et début mai, dans le but d'enquêter, à la demande de la famille, sur les circonstances de la mort du chef de l'Etat rwandais (...). Confié par la veuve du président, Agathe Habyarimana, réfugiée en France avec ses enfants, un "mandat d'investigations et de recherches" daté du 6 mai fixe le cadre de sa mission : "Conduire toutes les investigations qu'il jugera utiles à la manifestation de la vérité sur l'attentat", en découvrir "les coupables et tout spécialement les commanditaires", mener "toutes les actions nécessaires auprès des assurances". »
 
Un « mandat d’investigation » d’Agathe Habyarimana
 
Les deux journalistes expliquent  aussi qu’une avocate française, Hélène Clamagirand (qui se trouve être le conseil habituel de Paul Barril dans ses différentes affaires), a été chargée de constituer un dossier afin de déposer "dans les prochaines semaines" une plainte pour assassinat devant la Cour internationale de justice de La Haye."
 
Fascinés par la prétendue "boîte noire", les deux journalistes fantasment sur son décryptage « qui nécessite un matériel spécifique ».  Comme les bandes d'enregistrement de la tour de contrôle de Kigali  « qui doivent contenir les dernières conversations entre l'avion présidentiel et le personnel de la tour, le 6 avril. ». Etc.
 
Le rôle de Me Hélène Clamagirand
 
L’intervention du capitaine dans les médias vise, du moins l’affirme-t-il « à mettre en évidence l'absence de procédure officielle visant à identifier les auteurs de l'attentat contre le Falcon ». Il dit espérer la saisine d'un juge d'instruction « selon le même processus qu'en 1989, après l'attentat commis contre le DC10 d'UTA au-dessus du désert tchadien, dont le dossier fut confié au juge parisien Jean-Louis Bruguière. »
 
Se reconnaissant chargée des intérêts de la famille du président rwandais, Me Hélène Clamagirand ne cache pas, qu'elle souhaite voir plusieurs plaintes se joindre à la sienne afin, là encore, de « briser la loi du silence » autour « d'un acte terroriste sans lequel, probablement, la guerre ne ferait pas rage aujourd'hui au Rwanda... ». Pour faire bonne mesure, les journalistes du Monde discréditent les investigations de l'auditorat militaire belge car, prétendent Hervé Gattegno et Corine Lesnes , « il semble que les fonctionnaires bruxellois ne disposent que de faibles moyens, et qu'ils ne se soient jusqu'ici attachés qu'à obtenir des informations sur le milieu des étudiants hutus en Belgique... »
 
Le juge Bruguière déjà imaginé par  Barril
 
Plus accablant encore pour le Belges selon les deux journalistes, « le 15 avril, une note adressée par le ministère des affaires étrangères du Rwanda à toutes ses missions diplomatiques dans le monde faisait état, elle, de l'arrestation de "trois suspects" issus du "contingent belge", au moment où ceux-ci auraient tenté de "récupérer par la force la "boîte noire" sur l'épave de l'avion "... ».
Derrière des ragots qui semblent colportés par l’ex-gendarme de l’Elysée se dessine déjà une thèse : l’attentat a été commis par le Front patriotique, avec l’aide de Belges.
 
Changement de ton au Monde dix jours plus tard - dans l'édition du 8 juillet - où la rédaction exprime de façon alambiquée ses regrets : « La " boîte noire " n'était pas la " boîte noire ". A l'inverse de ce que nous avions écrit, l'objet métallique, rivé à un fragment de carlingue d'avion, rapporté du Rwanda et présenté à un journaliste du Monde par l'ex-capitaine Paul Barril (le Monde du 28 juin), n'est pas l'enregistreur de vol du Falcon 50 présidentiel abattu le 6 avril au-dessus de Kigali, à bord duquel ont péri les deux chefs d'Etat du Rwanda et du Burundi, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira. Selon plusieurs spécialistes, la pièce détenue par l'ancien chef du GIGN (groupement d'intervention de la gendarmerie nationale) se rapprocherait d'un instrument électronique de navigation ». Etc.
 
Le Monde fait machine arrière
 
Au moins  cette fois le journaliste Hervé Gattegno évite-t-il de « servir la soupe » au capitaine Barril en glissant quelques informations qui lui sont moins favorables: « Depuis son départ de la "cellule", en 1983, les relations de l'ex-capitaine avec l'entourage de François Mitterrand ne sont pas au beau fixe. Selon certaines sources, l'intérêt de Paul Barril pour le Rwanda pourrait en revanche s'expliquer par sa rivalité avec un autre ancien de la "cellule", le commissaire Pierre-Yves Gilleron, ancien de la DST lui aussi reconverti dans la sécurité privée, qui fut un temps conseiller personnel du président rwandais... »
 
Selon le journaliste du Monde, « La présence de ce spécialiste des aventures confuses, sinon douteuses, fut en tout cas fort remarquée lors du dernier sommet de l'OUA (Organisation de l'unité africaine), le 13 juin à Tunis, où l'on parla beaucoup, en coulisses, du Rwanda et du Burundi. Outre l'ancien super-gendarme, la famille du président Habyarimana a, depuis, mandaté un autre spécialiste des affaires africaines réputé encombrant, l'avocat Jacques Vergès, aux côtés de Me Hélène Clamagirand. Me Vergès et sa consoeur sont chargés de déposer devant la justice une plainte pour assassinat afin d'éclaircir les circonstances de l'attentat de Kigali qui, en coûtant la vie à deux chefs d'Etat, à plusieurs dignitaires rwandais et à trois membres d'équipage français, a donné le signal d'une guerre civile en même temps que, selon la Commission des droits de l'homme de l'ONU, d'un "génocide programmé et systématique". »
Le ton a changé du tout au tout, de la part de journalistes furieux de s’être fait rouler.
 
Des journalistes conscients d’avoir été roulés
 
Difficile de comprendre, dès cette époque, que Barril ait pu si facilement manipuler la rédaction du « journal de référence ». Un an plus tôt, l’ex-gendarme a été impliqué dans un scandale d’écoutes téléphoniques illégales dont les journalistes du Monde - à commencer par Edwy Plenel, responsable du service des enquêtes - ont été les premières cibles. 
 
Barril n’est pas un inconnu des services de police et de justice en France, et encore moins des journalistes. A peine avait-il été nommé l’un des responsables de la « cellule anti-terroriste de l’Elysée », chargé de la protection (et des basses oeuvres) du président de la République qu’il s’illustre par une de ces  opérations de manipulation dont il a le secret. Sous prétexte de démanteler une de ces « cellules terroristes » qui inquiètent fort François Mitterrand, il « bidonne » une  perquisition en apportant lui-même les armes et explosifs qui serviront de pièce à conviction contre « les Irlandais de Vincennes ». Pourtant, il ne sera jamais inquiété par la justice, à la différence des autres gendarmes impliqués dans ces arrestations truquées.
 
Le « bidonnage » des Irlandais de Vincennes
 
Plus que tout autre média, Le Monde dénoncera « l'ex-capitaine Paul Barril, auteur notoire du montage qui jeta en prison les trois Irlandais faussement accusés de préparer des attentats en France. »  Et Le Monde d’expliquer « comment, en 1982, une cellule antiterroriste installée à l'Elysée tenta d'asseoir sa crédibilité par un montage présenté comme un coup d'éclat : l'arrestation de trois militants nationalistes irlandais, coupables sur mesure, dans l'appartement desquels les gendarmes trouvèrent opportunément armes, explosifs et munitions. »
 
Beaucoup se sont interrogé sur l’impunité dont a bénéficié Paul Barril dans ce scandale d’Etat. « Le capitaine Barril est un « protégé par la justice » et il le restera longtemps pour des raisons obscures », analyse Le Monde. Selon Paul Bouchet, alors président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, pour éviter tout mise en cause qui semblait inévitable, en 1993 Paul Barril aurait fait fuiter des centaines d'écoutes téléphoniques opérées durant des années par la cellule de l'Elysée. Des écoutes illégales, qui visaient des journalistes, des avocats, des hommes politiques et de simples particuliers. Paul Bouchet émet « l'hypothèse selon laquelle M. Barril a tenté une opération de diversion jugée utile à la défense de ses intérêts ». Un contre-feu qui a parfaitement rempli son office !
 
La méthode du contre-feu
 
A partir de l’affaire des Irlandais de Vincennes, la « méthode Barril » est bien rôdée : menacer les plus importants personnages de l’Etat de « révélations » sur leur « implication » réelle ou supposée dans des opérations à la limite de la légalité réalisées ou « accompagnées » par le fougueux capitaine. A l’ombre de l’Elysée celui-ci a pris la mesure de la couardise de la classe politique et sa propension à étendre à des gens comme lui un réseau complexe assurant l’impunité.
 
Dans cet objectif, Paul Barril bénéficie d’un poisson-pilote qui deviendra aussi un grand ami : Marie François Durand de Grossouvre, né le 29 mars 1918 à Vienne et mort le 7 avril 1994 à Paris.  Cet industriel qui se situe franchement à droite de l’échiquier politique français a été fasciné par le personnage de François Mitterrand, mais aussi par la fougue de Paul Barril.  Ce dernier est à ses yeux, comme lui-même, un « national », un patriote prêt à tout pour défendre l’intérêt supérieur de la France, comme lui un chevalier de l’ombre, un héros méconnu.
 
Sur un point au moins, Grossouvre se trompe :  Paul Barril n’a rien d’un chevalier, mais tout d’un embrouilleur. Ce n’est pas pour rien que ses anciens collègues de la cellule de l’Elysée l’appellent « le roi de l’enfumage ». Il va donner toute sa mesure dans l’instruction de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana . On parlera de « l’enquête Bruguière », mais le flamboyant juge n’est finalement qu’un rouage plutôt terne à côté de Paul Barril, tireur de ficelles d’une procédure judiciaire qui figurera un jour dans les programmes de l’Ecole supérieure de la magistrature au chapitre « les erreurs à ne pas commettre ».
 
Jean-François DUPAQUIER
(à suivre)

Voir aussi les informations de Jacques Morel :
http://jacques.morel67.free.fr/BoiteNoireFalcon.pdf
 
Prochain article : Paul Barril, le roi de l’enfumage
 
Illustration : les restes du Falcon 50 photographiés en 1995, un an après l'attentat. Le mur de la résidence présidentielle avait été reconstruit… Photo (c) Droits réservés - www.afrikarabia.com

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09 janvier 2012

Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (5)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le cinquième volet :

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V - 6 avril 1994, heure par heure
 
 Pour le président Juvénal Habyarimana et son staff, ça n’avait pas été une mince affaire d’obtenir pour le 6 avril, dans l’urgence, une réunion des chefs d’Etat de la région, compte tenu de l’agenda de chacun et des problèmes de protocole. Mal entretenu, le Falcon 50 de Cyprien Ntayiramira, le jeune président du Burundi, était en panne. Pour le convaincre de venir, Habyarimana avait promis de lui envoyer son propre avion le matin du 6 avril, de bonne heure. Il le déposerait à Dar-es-Salaam avant de revenir à Kigali. Et comme l’autre hésitait, le président rwandais avait prétendu que l’ordre du jour portait conjointement sur les problèmes du Burundi et du Rwanda.  A cet effet, Habyarimana avait fait rédiger un ordre du jour ambigu.
 
Un ordre du jour ambigu à dessein
 
Heureusement, l’équipage français ne s’était pas insurgé contre ce surplus de travail : Kigali-Bujumbura-Dar-es-Salaam-Kigali-Dar-es-Salaam. Pas loin de 3800 kilomètres dans la matinée avec quatre atterrissages. Le copilote Jean-Pierre Minaberry, le plus stressé, avait posé comme seule condition que le retour sur Kigali se fasse avant 18 heures – la tombée de la nuit. Habyarimana l’avait rassuré.
 
Un mois plus tôt, le 3 mars 1994, le copilote français confiait ses inquiétudes à Madame Epin, sa correspondante à la SATIF - la filiale de la DGSE qui l’employait. Après des considérations plutôt niaises sur la situation politique dans la région, il concluait :  « Ils veulent tout ! ! [NDLR / le FPR.]  Nous savons qu'ils ont des missiles et nous étudions les départs à basse altitude (comme à l'armée) et des arrivées soit à basse altitude ou à très haute altitude. Bref nous ne sommes pas tranquilles. »
 
Jean-Pierre Minaberry ne faisait que répéter ce que lui disait le colonel Sagatwa, un extrémiste hutu avéré, dont il appliquait les instructions.
 
Le copilote français : « Nous ne sommes pas tranquilles »
 
A présent qu’il se méfiait de tout le monde, le président Juvénal Habyarimana ne voulait pas laisser à Kigali qui que ce soit susceptible de fomenter un coup d’Etat. Pour la première fois, il avait donc ordonné au général major Déogratias Nsabimana, chef d'Etat-major  de l’armée rwandaise, de l’accompagner. La présence à bord du colonel Elie Sagatwa, son secrétaire particulier et l’un des principaux leaders extrémistes, contribuait aussi à le rassurer. D’une certaine façon, il avait placé à ses côtés des personnalités qui seraient les otages de sa sécurité.,
 
Habyarimana était très à cheval sur le protocole. Son propre déplacement posait bien des problèmes car il exigeait, même pour quelques heures, la présence d’une forte équipe. A commencer par un détachement de sa propre garde présidentielle pour lui rendre les honneurs à son arrivée comme au retour. Le Nord-Atlas des Forces armées rwandaises, un avion très lent au faible rayon d’action qui servait habituellement au largage de  parachutistes, a dû partir le matin du 6 avril vers 4 heures avec un peloton de la GP. Il lui fallait un ravitaillement en carburant à mi-chemin. Il n’est arrivé à Dar-es-Salaam que vers 11 heures, après le président.

Trois avions pour un déplacement présidentiel
 
D’autres collaborateurs du président se sont entassés dans l’unique Twin Otter d’Air Rwanda. Comme Ermenegilde Bizige, qui était directeur général au ministère des affaires étrangères et servait d’interprète avec les anglophones.
 
Le Twin Otter, un appareil à turbo propulseur relativement lent, transportait également le ministre de l'intérieur, le ministre des affaires étrangères, le professeur Runyinya Barabwiliza, conseiller à la présidence pour les relations extérieures et la coopération, Justin  Munyemana, conseiller à la présidence pour les affaires juridiques, Jean-Marie Mwulirwenanade, conseiller pour l'information, Jean-Baptiste Kalisa, chef du service des affaires extérieures du premier ministre, et plusieurs journalistes de la radio et de la télévision du Rwanda. Les passagers du Twin Otter sont partis la veille et ont tous logés à l'hôtel Kilimandjaro où devait se tenir la réunion.
 
Une foule d’accompagnateurs
 
Habyarimana est accueilli à sa descente d’avion par le facilitateur du processus d’Arusha, le président tanzanien Ali Hassan Mwinyi.
 
Nord-Atlas, Tween Otter, Falcon 50… le management de cette mini escadrille  n’avait pas permis à Habyarimana d’arriver à l’heure à Dar-es-Salaam, mais au moins n’était-il pas le dernier : on attendait Joseph Désiré Mobutu.  Evidemment, lorsqu’on est président, on ne tue pas le temps pas comme le commun des mortels, les bras ballants devant le panneau d’information de l’aéroport. La salle du sommet des chefs d’Etat se trouvant à l’hôtel Kilimandjaro, c'est dans les plus belles suites de cet établissement que les présidents ont attendu qu'un membre du protocole vienne les chercher pour les conduire à la réunion. « Je me souviens que le président Habyarimana s'était impatienté, car de temps à autre, il ouvrait sa porte pour demander ce qui se passait, raconte Ermenegilde Bizige. Ce n'est que vers midi environ que la réunion a commencé et c'est là que j'ai constaté l'absence du président Mobutu. »
 
Mobutu fait faux bond
 
Le président Museveni avait pris son mal en patience en se faisant livrer de bonnes bouteilles d’alcool, trinquant familièrement avec ses collaborateurs et  échangeant avec eux des blagues comme d’habitude. Habyarimana, lui, stupéfait par la défection et la mufflerie de Mobutu, cachait difficilement son angoisse. A midi, il était pratiquement KO debout lorsqu’il s’assit à la table des négociations et subir les remontrances des autres participants.
 
Comme le relata plus tard un observateur, le démarrage de la réunion a été laborieux. Il a fallu tout d'abord enlever les sièges et les emblèmes du Zaïre qui se trouvaient sur la table de conférence et alors que la réunion venait de commencer, il y a eu une panne technique dans les cabines des interprètes de telle sorte que les traductions simultanées ont été interrompues entre 15 et 20 minutes.
 
Série de contretemps
 
Des années plus tard, le juge Jean-Louis Bruguière et d’autres lancèrent l’idée que le président Museveni aurait fait traîner les débats pour obliger le président Habyarimana à rentrer de nuit à Kigali, afin de faciliter l’attentat. Une belle fable à la mesure de la volonté de diabolisation du chef de l’Etat ougandais et de ses « complices » tutsis.
 
La réalité est tellement banale qu’il faut la raconter. Rendu passablement pompette par ses libations, le président Museveni se crut obligé de communiquer au président Mwinyi  le résultat de ses cogitations du matin sur le « problème Hutu-Tutsi » de son voisin Habyarimana. Cette histoire « tribale » était un sujet à la fois de perplexité et de moquerie des chefs d’Etat voisins, car ils ne comprenaient toujours pas en quoi les Hutus et les Tutsis pouvaient former des tribus (?) antagonistes, alors qu’ils parlaient la même langue, avaient exactement la même culture et la même religion, et sur ce point, se comportant aussi bien les uns que les autres comme des grenouilles de bénitier.
 
Museveni légèrement alcoolisé
 
Euphorique, Museveni se rengorgea sur la cohabitation paisible des tribus d’Ouganda, évidemment due à sa bonne gouvernance. Vexé, le président de Tanzanie répliqua sur la façon dont les populations pouvaient cohabiter. Selon l’interprète Ermenegilde Bizige, « chacun défendait sa théorie, l'un disant que la meilleure façon de régler le problème était en quelque sorte de « coudre les deux morceaux de tissu » et l'autre faisant référence « à la broderie » ou « au tricotage ». Et Bizige  ajoute : Ce qui m'a paru étrange, c'est qu’à ce stade les autres participants ne sont pas intervenus dans ce dialogue ».
 
Habitué à considérer avec un immense respect les chefs d’Etat, l’interprète évite de mettre en cause des contingences trop humaines. Les autres participants étaient tout simplement consternés par la tournure du débat, attendant que Museveni se calme et qu’on passe aux choses sérieuses.
 
Des chefs d’Etat consternés
 
Interpellé sur les Accords d’Arusha, le président Habyarimana fut forcé de reconnaître que les tergiversations n’avaient que trop duré. Il promit que la mise en place du Parlement et du gouvernement de transition aurait lieu dès le surlendemain 8 avril. Chacun avait préparé un petit discours et c'est ainsi que toutes les délégations ont pu s'exprimer. Cette réunion a pris fin vers 17 heures. Il était déjà trop tard pour espérer rentrer à Kigali avant la nuit.
 
Comme à chaque sommet de chef d’Etat, un communiqué devait être rédigé en français et en anglais, ce qui nécessitait un certain délai. Pour meubler cette attente, le président tanzanien a invité tous les participants à une collation dans l'hôtel. Ce contribuait encore à différer le départ de la délégation rwandaise.
 
Une collation avant le départ
 
D'après le protocole, le président Habyarimana, qui était le doyen d'âge, devait partir le premier. Il est arrivé à l'aéroport peu avant 19 heures, heure de Tanzanie, soit 18 heures à Kigali. Il faisait nuit noire. Les services du protocole tanzanien n'avaient pas informé l'équipage de l'heure du départ du président, aussi le Falcon 50 se trouvait sur un parking. Le pilote a tenté d’expliquer au président Habyarimana qu’il vaudrait mieux repartir le lendemain, mais il a été vite rembarré, d’un ton sans réplique.  Et toujours le fichu protocole : il a fallu préparer l'avion et l’amener de son aire de stationnement jusque devant le salon d'honneur. Impeccable, la GP rwandaise s’est mise au garde-à-vous.
 
Le président Habyarimana avait proposé au président du Burundi de l’emmener avec lui, afin de le faire déposer à Bujumbura après l’escale de Kigali. Dans le Falcon 50 ont donc pris place le Président Juvénal Habyarimana Juvénal, le général major Déogratias Nsabimana, chef d'Etat-major  de l’armée rwandaise, l'ambassadeur Juvénal Renzaho,  conseiller à la présidence, le colonel Elie Sagatwa, secrétaire particulier du président, le docteur Emmanuel Akingeneye, médecin du président, le major Thaddée Bagaragaza,  officier d'ordonnance.
Coté burundais, le président Cyprien Ntaryamira est accompagné des ministres Bernard Ciza et Cyriaque Simbizi. Même les strapontins sont occupés.
 
Un Falcon 50 archi-plein
 
L'équipage est composé du major Jacky Héraud, pilote, du colonel Jean-Pierre Minaberry copilote et de l’adjudant-chef Jean Marie Perrine.
 
Au terme d’une enquête très détaillée, la “Commission Mutsinzi” relève un élément troublant : « Alors que le président Habyarimana est déjà à bord, il remarqua l’absence dans l’avion du chef d’état-major de l’armée, le général Nsabimana, qui était resté sur le tarmac avec le Dr Akingeneye, ne voulant pas embarquer. Le président Habyarimana ressortit aussitôt de l’appareil et leur intima immédiatement l’ordre de monter dans l’avion avec lui. »
 
Le Cpl Senkeri, témoin direct de la scène explique : « D’ordinaire, quand nous voyagions avec le Président, il entrait dans l’avion en dernier lieu, et c’est comme cela que ça s’est passé quand nous étions à Dar-es-Salam. Lorsqu’il est arrivé dans l’avion, il a constaté que le général Nsabimana et le Dr Akingeneye manquaient. Ces derniers se cachaient près de l’une des ailes de l’avion. Le président Habyarimana est sorti de l’avion, ce qui n’arrivait jamais, et a dit à haute voix : ‘Où est Akingeneye ?’ Celui-ci s’est manifesté. ‘Où est Nsabimana ?’ Il s’est également manifesté. Puis, il leur a demandé : ‘Pourquoi vous n’entrez pas dans l’avion ?’ Ils ont répondu qu’ils croyaient qu’il n’y avait plus de places parce qu’on y avait mis des Burundais. Le président Habyarimana leur a alors dit : ‘Entrez vite et on y va’. Ils sont entrés et l’avion a décollé ».
 
Justin Munyemana, interprète, interrogé le 9 novembre 2000 à la direction centrale de la police judiciaire française dans le cadre de « l’enquête Bruguière », a confirmé que l'avion présidentiel a décollé à 18 h 30 - heure de Kigali.
 
Exactement deux heures plus tard, à 4 km de la tour de contrôle de Kigali, le Falcon était touché par deux missiles et explosait en vol. Cet attentat allait servir de signal déclencheur du génocide des Tutsis et du massacre des Hutus démocrates. Mais qui l’avait commis ?
 
Jean-François DUPAQUIER
(A suivre)
 
Prochain article :
Enquête Bruguière ou enquête Barril ?
 
Illustration : Le président Habyarimana au milieu de ses soldats
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08 janvier 2012

RDC : Les rébellions se réactivent à l'Est

Alors que la République démocratique du Congo (RDC) entre dans une période d'incertitude après des élections contestées, de nombreux groupes rebelles multiplient les attaques. Depuis début janvier, au moins 56 personnes sont mortes lors d'affrontements entre miliciens FDLR ou Maï-Maï et militaires de l'armée congolaise (FARDC) au Sud et au Nord-Kivu. Revue d'effectif des principales rébellions.

soldat.jpgDepuis plus de 15 ans, l'Est de la RDC est victime d'une dizaine de groupes rebelles qui terrorisent les populations civiles et affrontent l'armée régulière. Ces groupes armés étaient restés relativement calmes pendant le long processus électoral congolais de la fin 2011. Mais sitôt, les élections terminées (on attend tout de même les résultats des législatives le 13 janvier), les attaques reprennent.

Les FDLR... encore et toujours

Depuis le début de l'année, au moins 45 personnes ont été tuées au cours de deux attaques de rebelles FDLR, une milice hutue rwandaise. Des attaques d'une violence extrême. A Ngolombe, au Sud-Kivu, le chef du village a été décapité, une femme enceinte éventrée et une partie de la population a été emmenée de force dans la forêt par les assaillants. Les autorités sont toujours sans nouvelles de ces civils. Les rebelles FDLR sont, à l'origine, des miliciens accusés d'avoir participé au au génocide de 1994 au Rwanda. Ils se sont réfugiés depuis en RDC, où ils violent, pillent et assassinent les populations civiles. L'armée régulière congolaise (FARDC), sous-payée et indisciplinée reste impuissante et toutes les négociations avec ces rebelles et Kinshasa ont pour l'instant échoué.

Les groupes Maï-Maï se multiplient

Quelques jours plus tard, ce sont des rebelles Maï-Maï, constitués d'anciens membres de l'armée congolaise, qui ont affronté l'armée régulière à la limite du Nord et du Sud -Kivu. Ces combats ont été l'occasion de découvrir une "nouvelle" milice Maï-Maï : les Maï-Maï "Guides", qui nouent le plus souvent des alliances avec les FDLR. Bilan : 10 morts et un déplacement massif des civils du village de Buniakangendo.

D'autres Maï-Maï, les Raïa Mutomboki se sont affrontés avec les Forces armées congolaises à Vitshumbi, dans le parc national des Virunga au Nord-Kivu. Bilan : 1 morts et 4 miliciens capturés.

Gédéon terrorise le Nord-Katanga

Le Katanga, au Sud-Est de la République démocratique du Congo (RDC), n'est pas en reste avec le retour des milices de Kyunga Mutanga, alias Gédéon. Ce seigneur de guerre a été condamné à la peine capitale pour crimes contre l’humanité par la justice congolaise. Emprisonné depuis 2006, Gédéon s'est évadé en septembre dernier de la prison de Lubumbashi… en plein jour. Depuis, l'enquête est au point mort et un vent de panique souffle au Nord-Katanga. "La région est en train de sombrer dans la violence, la psychose et la peur. Il y en a beaucoup qui se cachent en brousse", indique Mgr Fulgence Muteba Mugalu, évêque de Kilwa-Kasenga. Résultat : plus de 12.000 habitants ont fui les combats et vivent "dans le plus grand dénuement à Mitwaba", toujours selon Monseigneur Muteba. Depuis l'évasion de Gédéon, le Haut-Katanga vit aux rythmes des affrontements entre l'armée congolaise et le groupe de Gédéon, allié à des Maï-Maï de la région.

Le CNDP toujours derrière Kabila ?

Un ancien groupe rebelle est également sous haute-surveillance : le CNDP. En 2008, ces rebelles tutsis avaient fait vaciller le pouvoir central de Kinshasa. Depuis l'arrestation de Laurent Nkunda par le Rwanda, en janvier 2009, les rebelles tutsis du CNDP ont fait allégeance à Joseph Kabila. Derrière leur nouveau chef, Bosco Ntaganda, les soldats du CNDP se tiennent pour l'instant à l'écart des principaux affrontements à l'Est du pays. Le CNDP contrôle toujours certains territoires du Nord-Kivu et administre des villages en toute impunité. Après l'annonce de la réélection très contestée de Joseph Kabila, le CNDP s'est retrouvé très divisé entre "pro-Kabila" et "pro-Tshisekedi" (l'opposant arrivé en seconde position à la présidentielle). Au cas où les choses tourneraient mal, le président Kabila a préféré prendre les devants, en rassurant les rebelles tutsis avec quelques nominations de dernières minutes au sein des FARDC et des soldes en conséquence. Dans le contexte actuel, où l'opposition conteste sa réélection, Joseph Kabila n'a pas intérêt à laisser le mécontentement s'installer au sein du CNDP. Pourra-t-il tenir le CNDP encore longtemps ? C'est un des paramètres clés de la sécurité dans les Kivu.

Christophe RIGAUD

Photo : Kinshasa 2006 © Ch. Rigaud - www.afrikarabia.com

Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (4)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le quatrième volet :

 Capture d’écran 2012-01-08 à 12.23.43.png

IV – La trahison de Mobutu Sese Seko
 
Depuis quelques jours, le président Juvénal Habyarimana savait qu’il devait plonger. Il avait tenu écartées les mâchoires des Accords d’Arusha comme un homme, qui, à moitié avalé par un crocodile, trouve une énergie désespérée pour empêcher sa gueule de se refermer. Le week-end de Pâques serait l’occasion de sonder les cœurs et de réfléchir. Il le passerait en famille dans sa belle maison lacustre de Butotori, à côté de Gisenyi. Agathe serait sûrement heureuse de faire ses dévotions dans sa commune d’origine. Les enfants viendraient. Et ce serait l’occasion de consulter des amis ou des obligés.
 
Gisenyi : le dernier week-end en famille
 
Lorsque le juge Bruguière l’a interrogée le 28 septembre 2000, l’une de ses filles Jeanne Habyarimana, alors 18 ans, s’est parfaitement souvenue de ce week end pascal d’avril 1994.
Les samedi 2, dimanche 3 et lundi 4 avril elle se trouvait à la résidence familiale avec son frère Jean-Luc et son mari Alphonse. Ce fut un défilé de visiteurs importants accompagnés de leurs épouses. Le président s’était mis en frais pour Pasteur Musabe, directeur de Banque africaine continentale du Rwanda (BACAR), dernier frère du colonel Théoneste Bagosora et un des financiers de la RTLM.  Juvénal Habyarimana voulait sans doute tester sur cet extrémiste notoire comment réagirait l’inquiétant colonel dans la perspective de mise en place d’un gouvernement de transition.
 
Ensuite, ils sont allés déjeuner dans la luxueuse villa d’un ami, Alphonse Higaniro, ex-ministre, prospère directeur d’une usine d’allumettes. Originaire du village d’Agathe Habyarimana, ce pur OTP avait aussi épousé la fille d’Emmanuel Akingeye, le docteur personnel du président.
Jacques-Roger Booh-Booh envoyé spécial du SG de l’ONU, était invité. Habyarimana comptait sur ce dernier pour impressionner les autres convives : n’était-il pas l’œil de New York ? N’allait-il pas confirmer l’exaspération du Secrétaire général devant les tergiversations ? Mais incapable de comprendre ce qu’on attendait de lui,  Booh-Booh s’était comporté comme un courtisan en flattant Habyarimana. Il lui avait répété qu’il devrait se méfier de missiles que, paraît-il, le Front patriotique stockait non loin de l’aéroport, pour abattre son avion.
 
Jacques-Roger Booh-Booh en rôle de courtisan
 
Jeanne Habyarimana a une excellente mémoire : « Au cours de la conversation, alors que celle-ci portait sur la sécurité qui régnait au Rwanda, j'ai entendu M. Roger Booh-Booh dire à notre père justement à ce sujet qu'il revenait de Mulindi, du quartier général du Front patriotique rwandais où il avait rencontré Paul Kagamé. Celui-ci lui avait alors dit "qu'il ferait tout pour devenir le roi de ce pays". M. Roger Booh-Booh mettait notre père en garde contre les propos tenus par Paul Kagamé, qu'il fallait faire très attention à sa sécurité et il lui avait conseillé de renforcer celle-ci, car en ce moment-là il craignait que quelque chose ne se produise contre notre père ».
 
Autant de ragots dispensés par les durs du régime et colportés par la RTLM. Radio-Machette annonçait même « une petite chose » pour les jours à venir.  Habyarimana était agacé par la répétition de la rumeur des missiles, que les uns et les autres lui serinaient à longueur de journée en croyant se mettre en valeur. Le président n’ignorait pas que tout avait commencé en janvier par un faux communiqué du Front patriotique où les rebelles étaient supposés s’excuser auprès de leurs sympathisants de n’avoir pas encore abattu l’avion. C’était grossier.

Un faux communiqué revendiquant l’attentat… trois mois avant
 
Les ragots éventés de Booh-Booh avaient plutôt gâché le déjeuner.  Et singulièrement desservi Habyarimana auprès du convive dont il attendait le soutien : Joseph Nzirorera, secrétaire général du Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement - le MRND. Après avoir tourné autour du pot  Juvénal fit comprendre à Nzirorera qu’il ne voyait plus comment différer l’application des Accords d’Arusha. L’autre le regarda dans les yeux et articula : « On ne vous laissera pas faire, Monsieur le président ! ». D’après un autre convive, il aurait plutôt dit « on ne se laissera pas faire… ». Qu’importe la nuance, c’était une véritable gifle. Le président ravala son humiliation et parla d’autre chose. Survivre politiquement à l’application de l’accord de paix nécessitait de sauver la face. Par quel biais ?.
 
Lâché par les siens, Juvénal Habyarimana ne pouvait plus compter que sur les amis de l’étranger. Le plus important, François Mitterrand, était désormais hors course, empêtré dans la cohabitation et le cancer. Le nouveau président du Burundi était un admirateur inconditionnel, mais n’avait guère de poids diplomatique. Restait le  n°1 zaïrois.

Le dernier ami : Mobutu
 
Depuis l'ouverture des négociations avec le FPR en octobre 1990, le président Mobutu Sese Seko s'était révélé le meilleur allié du président Habyarimana. Dès la déclaration de Dar ès Salam du 19 février 1991, il avait obtenu un mandat général de facilitateur dans le dialogue avec la rébellion. Ensuite, il avait toujours répondu présent. Juvénal Habyarimana décida d’aller le voir au plus vite. A 1 200 kilomètres, ce n’était pas un problème pour l’équipage français de son Falcon 50. Joint au téléphone, Mobutu donna son accord.
 
Dans une dépositions le 5 octobre 2000, Alphonse Higaniro confirme cet agenda : « Je savais qu'il a quitté Gisenyi le lundi par la route en compagnie de M. Joseph Nzirorera pour Kigali.(...) il avait annoncé clairement le dimanche qu'il se rendrait le lundi à Gbadolite pour y rencontrer le président Mobutu. »
Agathe Kanziga, veuve Habyarimana ne dit pas autre chose : « Nous avions passé le week-end de Pâques à Gisenyi où nous avions une résidence privée. Il m'a simplement dit qu'il partait le 4 avril à Gbadolite. Je me souviens avoir entendu mon mari dire également "de toute façon, même si le Front patriotique rwandais ne vient pas, j'irai vendredi effectuer la prestation de serment pour mettre en place le gouvernement de transition, car cette situation ne peut plus durer". »
 
« Cette situation ne peut plus durer »
 
Françoise Jusserand, veuve du pilote du Falcon 50 Jacky Héraud, confirme que le 4 avril son mari « est parti vers 4 h 30 de la maison pour décoller vers six heures pour conduire le président à Gbadolite où il avait rendez-vous avec le président Mobutu. »
 
Dans ses témoignages, Jacques-Roger Booh Booh décrit un président rwandais isolé, au bout du rouleau. Honoré Ngbanda Nzambo Atumba qui était conseiller spécial du maréchal Mobutu après avoir été responsable des services de sécurité et du renseignement du Zaïre (de 1985 à 1990), puis ministre de la Défense nationale (de 1990 à 1992), assure avoir assisté à la dernière entrevue entre les deux présidents le 4 avril 1994 à Gbadolite. Il décrit Habyarimana « excédé », « scandalisé », « révolté », « en colère » contre les Belges et les Américains qu’ils voyaient derrière « un imminent projet de son assassinat ».
 
Habyarimana est intarissable, presque pathétique. Mobutu le rassure, promet de participer le lendemain à une nouvelle réunion des chefs d’Etat de la région pour réexaminer la situation. Habyarimana repart rasséréné.
 
Habyarimana rasséréné
 
Dans son livre « les derniers jours de Mobutu » (Ed. Gideppe), Honoré Ngbanda explique que Mobutu était plus que circonspect, craignant de voir son propre avion pris pour cible. Il hésite à se rendre à Arusha le lendemain 5 avril, comme demandé. En Tanzanie, les services du protocole ne sont pas prêts à organiser dans l’urgence la venue d’une brochette de chefs d’Etat. Ils arguent que le centre de conférence ne sera pas disponible. Des échanges entre les directeurs de cabinet, ressort un autre agenda : Dar-es-Salaam,  le 6 avril. Mobutu promet à Habyarimana de venir, décidé à ne pas tenir parole.
 
Selon Honoré Ngbanda, « Par notre ambassadeur en poste (…), nous avions appris le 5 avril 1994 que la réunion initialement prévue le 5 avril à Arusha, été reporté le 6 avril à Dar-es-Salaam, sans que la raison n'ait été donnée. De plus lorsque cette décision a été portée à notre connaissance, nous avions déjà décidé de ne pas y aller suite à la visite qu’avait fait le président Habyarimana le 3 avril 1994 au président Mobutu ».
 
Mobutu décidé à ne pas se déplacer
 
Habyarimana ne sait pas encore que le président Mobutu l’a lâché, semble-t-il sur le conseil de « spécialistes en sécurité » qui lui confirment que la menace d’attentat doit être prise très au sérieux. Mais il ne se donne même pas la peine de téléphoner à Habyarimana pour lui dire d’annuler ce trajet à hauts risques. Ni lui annoncer qu’il ne viendra pas…
 
Le 6 avril, ignorant la trahison de celui qu’il considère comme son plus fidèle allié, le président rwandais va boire la coupe jusqu’à la lie.
 
Jean-François DUPAQUIER
(à suivre)
 
Prochain article : le 6 avril heure par heure.
 
Illustration : Mobutu Sese Seko et Juvénal Habyarimana. Photo © Droits réservés - www.afrikarabia.com

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06 janvier 2012

Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (3)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui, voici le troisième volet :


Paul VI.JPG 

III - 6 avril 1994, chronologie d’une journée tragique
 
A l’approche de Kigali, le président de Burundi Cyprien Ntayiramira disait quelque chose à Juvénal Habyarimana. Du genre : « Votre avion est parfait. Je ne vous remercierai jamais d’avoir demandé à l’équipage de me ramener à Bujumbura dès ce soir ». Mais le président du Rwanda écoutait à peine. Habyarimana essayait de trouver des souvenirs qui le distrairaient de la corvée d’Arusha et des problèmes des Burundais. Se souvenir par exemple sa visite au pape Paul VI, à Rome, avec Agathe. Un des meilleurs moments du couple. C’était peu après sa prise du pouvoir de juillet 1973. Ils étaient encore jeunes et les aînés de leurs enfants, des bébés. L’avenir semblait radieux et la visite du Vatican, une merveille. Agathe était pâmée d’admiration devant le pape et son mari se demandait si elle n’allait pas défaillir.
 
6 avril 1994, 20 h 15. Comme souvent, Cyprien Ntayiramira demanda un conseil, ce qui tira Habyarimana de son songe fugace. Il se dit que les soucis de son homologue étaient minuscules à côté des siens. Certaines dispositions de l'accord d'Arusha l’inquiétaient particulièrement. Ainsi le « protocole additionnel relatif à l'État de droit » qui ouvrait la perspective de sa comparution devant une Haute cour de justice s'il perdait le pouvoir. « Personne, y compris les autorités, ne peut se placer au-dessus de la loi », édictait le premier protocole signé le 18 août 1992, repris dans des termes identiques par la suite. L'accord prévoyait notamment l'installation d'une Cour suprême totalement indépendante du pouvoir. Apte, le cas échéant, « à juger au pénal le président de la République ». C’était de très mauvais augure.
 
Comparution devant une Haute cour de justice ?
 
Le dernier article du protocole additionnel stipulait que « de façon urgente et prioritaire, le gouvernement de transition à base élargie écartera de l'administration territoriale les éléments incompétents ainsi que les autorités qui ont trempés dans les troubles sociaux ou pour les actions constituant un obstacle au processus démocratique et à la réconciliation nationale » (article 46).
Une annexe au protocole d'accord prévoyait en son article le 11 que, « en cas de violation de la loi fondamentale par le président de la République, la mise en accusation est décidée par l'assemblée nationale de transition, statuant à la majorité des deux tiers des membres présents et au scrutin secret. »
 
Depuis le 30 octobre 1992, date où cet accord avait été cosigné, Habyarimana était hanté par la perspective de se retrouver un jour traîné en justice pour les crimes de masse qu’il avait laissé commettre. Sans doute l'assemblée de transition ne pouvait-t-elle de faire mettre en accusation qu'à la majorité qualifiée des deux tiers. Mais dans cette assemblée de 70 membres, l’ex-parti unique MRND ne disposerait que de 11 sièges. Et même dans la perspective – hautement probable - d'acheter la voix de quelques indécis, Habyarimana ne nourrissait guère d'espoir d'empêcher un vote à la majorité qualifiée pour l’envoyer devant les juges.
 
L’ex-parti unique MRND à la portion congrue
 
Dans un communiqué commun lourd de menaces publié à Dar-es-Salaam le 7 mars 1993, les représentants du gouvernement rwandais et ceux du Front patriotique en avaient remis une couche concernant « des poursuites judiciaires, des renvois et les suspensions (...) de tous les fonctionnaires de l'État impliqué directement ou indirectement dans les massacres, ou qui ont failli alors de voir d'empêcher que les massacres ou autres actes de violence soient perpétrés dans les communes ».
 
Au moins Juvénal Habyarimana pouvait-il compter sur l’ambassadeur de France. En poste au Rwanda depuis mai 1993, Jean-Michel Marlaud n’avait pas tardé à épouser les vues du président Habyarimana sur les accords de paix d’Arusha. Lui aussi était persuadé qu'une des premières décisions de l'assemblée de transition serait la mise en accusation du chef de l'État. Il plaidait donc auprès de ses collègues la modification de la composition de l'assemblée, en y intégrant des représentants de la Coalition pour la défense de la république (CDR), qui représentait l'aile officieuse et extrémiste de la mouvance présidentielle. Ainsi la perspective d'une majorité qualifiée pour juger le président s'éloignerait-elle.
Marlaud était également un opposant résolu à la recomposition des Forces armées rwandaises où les militaires du Front patriotique seraient massivement incorporés pour atteindre 40 % des effectifs.

 L’appui inconditionnel de l’ambassadeur de France
 
« C’est dans l’épreuve qu’on reconnaît ses véritables amis », avait titré le magazine extrémiste Kangura sous la photographie pleine page du président français. Message reçu : l’ambassadeur de France ne cachait pas sa répugnance profonde pour l’article d’Arusha prévoyant que dans la chaîne de commandement, depuis l'état-major de l'armée jusqu'au niveau du bataillon, le Front patriotique obtiendrait pire encore : 50% des postes de responsabilité conformément à un principe d'alternance. Bernard Debré, ministre français de la Coopération, était également indigné d’une règle de partage du pouvoir qu’il jugeait disproportionnée en faveur des Tutsis. Logique puisque pour lui, FPR égalait Tutsis.
 
Alors que le gouvernement français était supposé patronner le traité de paix qui légitimait à posteriori sa longue intervention armée au Rwanda, son représentant à Kigali en était venu à partager les vues des extrémistes hutu et conseillait au président de freiner l'application de l'Accord. Le paradoxe n’était qu’apparent :  l’ambassadeur de France trouvait encore plus extrémistes à l'Élysée. Le général Christian Quesnot chef d'état-major particulier du président Mitterrand se mettait dans une rage quasi hystérique lorsqu’on évoquait devant lui cet accord d’Arusha et éructait contre les Tutsi.
 
Un extrémiste anti-tutsi à l’Elysée
 
Capture d’écran 2012-01-06 à 22.32.53.png« Le FPR est le parti le plus fasciste que j’aie rencontré en Afrique. Il peut être assimilé à des Khmers noirs », avait dit Quesnot à une jeune femme qui l’interviewait. Incapable de maîtriser la virulence de son expression contre les « Khmers noirs », ce chef d’était major très particulier inquiétait jusqu’au secrétaire général de l'Élysée Hubert Védrine qui partageait ses sentiments mais tenait à conserver une allure policée. Ce dernier avait conseillé au président de la République de maintenir son chef d'état-major militaire soigneusement à l'écart des journalistes français ou étrangers chaque fois qu’il serait question du Rwanda. A l’Elysée et dans les allées du pouvoir - désormais en « cohabitation » -, de François Mitterrand à Bernard Debré, de Christian Quesnot à Michel Aurillac (et à son associé Robert Bourgi du « Club 89 »), de François de Grossouvre à Paul Barril, la haine des Tutsis était la conviction la mieux partagée… et pour au moins l’un d’entre eux, la mieux dédommagée.
 
« Le FPR est le parti le plus fasciste que j’aie rencontré en Afrique »
 
Juvénal Habyarimana savait cependant que ces amis ne lui seraient d’aucun secours pour affronter la tempête politique prévisible ce mardi 6 avril au soir. Maintenant qu’il avait donné des instructions à Enoch Ruhigira son directeur de cabinet de se préparer à la mise en place des institutions de transition le 8 avril, que pourrait-il dire au bouillant colonel Théoneste Bagosora, qui se retrouverait d’office à la retraite ?
 
Pire encore, comment faire accepter au milliardaire Félicien Kabuga, le beau-père de sa fille, et à ses amis jusqu’auboutistes, la fermeture de la coûteuse Radio-Télévision libre des Mille collines (RTLM, surnommée plus tard « Radio-Machette), lancée depuis neuf mois seulement et déjà si populaire ? Et comment justifier de ne pas pouvoir passer outre au refus définitif du FPR de faire entrer des membres de la CDR dans le Parlement de transition ?
Quid de la démobilisation à brève échéance des deux-tiers des militaires et gradés hutus, une mesure qui atteindrait tout particulièrement les natifs de sa région, car les moins  diplômés, ayant été recrutés par pur clientélisme ?
 
La fermeture prévisible de Radio-Machette
 
On aavait même menacé d’enlever deux des enfants du président : Jean-Luc et Marie-Rose. Selon Jean-Luc, « cet enlèvement avait pour but d'effectuer une pression sur notre père pour qu'il démissionne de ses fonctions. Cette idée d'enlèvement avait fait son chemin depuis plusieurs mois déjà ».
Ce genre de menace, qui suscitait chez le président Habyarimana un  profond sentiment de dégoût, ne venait évidemment pas du FPR.
 
Jamais la perspective d’un coup d’Etat des extrémistes hutus n’avait été aussi prévisible, aussi proche. Au point de reléguer au second plan toute autre menace. Habyarimana avait balayé d’un revers de main les protestations de son pilote français, Jacky Héraud, et du co-pilote Jean-Pierre Minaberry, sur le tarmac de Dar-es-Salaam : Oui Messieurs, il faudrait rentrer à la nuit, ça ne se discutait pas.
Les deux Français, ainsi que le mécanicien Jean-Michel Perrine étaient bouleversés par les rumeurs d’un attentat au missile contre le Falcon 50 par le Front patriotique. Un rumeur dont ils n’avaient pas compris qu’elle était colportée depuis janvier par les extrémistes hutus.
 
Les menaces des extrémistes hutus
 
En 2001, le juge Jean-Louis Bruguière a recueilli le témoignage de Mme Brigitte Demenieux, veuve Minaberry : « Le 5 avril 1994 au cours de l'après-midi le couple Héraud ainsi que Jean-Michel Perrine se sont retrouvés à notre domicile. Je crois que c'est lors de cette réunion que Jacky Héraud a annoncé le voyage à Dar-es-Salaam pour le 6 avril 1994. Suite à cette annonce, le couple Héraud a eu une altercation concernant cette mission. Je me souviens que Françoise Héraud a dit à son mari :  "Ils vont finir par vous avoir", ce à quoi il lui a répondu de se taire.
Sachant ce que mon mari m'avait dit au sujet de la présence de missiles à Kigali entre les mains du FPR ainsi que de la recherche d'une procédure d'atterrissage en cas d'urgence, je partageais l'inquiétude de Françoise Héraud. »
 
Malgré l’heure tardive, Juvénal Habyarimana avait refusé la proposition de passer la nuit à Dar-es-Salaam. De toute évidence, il pensait que s’il ne rentrait pas d’urgence à Kigali, il se ferait renverser, voire tuer par les ultras de son camp.
 
Jean-François DUPAQUIER
(A suivre)
 
Prochain article :
La trahison du président Mobutu
 
Illustrations :
 
- Agathe Habyarimana en extase devant le pape Paul VI - Photo (c) Droits réservé - www.afrikarabia.com
 
- Un note manuscrite d’Hubert Védrine au président Mitterrand, pour déconseiller que le général Quesnot soit mis en mesure de rencontrer des journalistes… A télécharger ICI.

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Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (2)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le second volet :

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II. Une batterie de missiles : les Accords d’Arusha
 
Le Falcon présidentiel approchait de l’aéroport de Kigali et le commandant n’allait pas tarder à demander de boucler sa ceinture, tout en sachant que le président de la République, qu’il savait depuis peu sujet à des crises d’anxiété, n’en ferait qu’à sa tête. Ces derniers temps, Habyarimana ne pouvait plus se défaire de sa peur. Son visage gonflé et sa démarche alourdie témoignaient d’une certaine addiction à l’alcool, peut-être aussi à des antidépresseurs prescrits par son médecin personnel, le docteur Akingénéyé.
Depuis longtemps ça n’allait plus, au physique comme au moral. Dans un conseil restreint tenu à l’Elysée le 3 mars 1993, le ministre de la Coopération Marcel Debarge, qui rentrait du Rwanda, observait : « Le président Habyarimana est désorienté et à bout de souffle ». Dans un climat de déliquescence générale, le Falcon présidentiel s’était mué en une sorte de bulle où le chef de l’Etat rwandais s’efforçait d’oublier ses misères publiques et privées.
 
Une certaine addiction à l’alcool
 
La confortable cabine du jet permettait à Habyarimana d’économiser l’effort de cacher à son entourage ses nuits de cauchemars et ses crises d’angoisse : la hantise d’un coup d’Etat, de la perte irrémédiable du pouvoir, ou pire encore, d’un  attentat. Au point de ne plus oser s’absenter du pays depuis des mois.
C’avait été un crève-cœur de devoir renoncer à se rendre en décembre 1993 aux obsèques du président de Côte-d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny (quatre-vingt-dix chefs d’Etat dans la basilique de Yamoussoukro). De ne pouvoir s’y entretenir une nouvelle fois avec son protecteur, François Mitterrand. Et de décliner un rendez-vous difficilement négocié avec le nouveau roi des Belges, Albert II. Il aurait pourtant été utile de briser le climat de méfiance qui s’aggravait chaque jour un peu plus avec Bruxelles et le risque de coup d’Etat. Tout allait mal : au même moment se retiraient les derniers militaires français de « l’Opération Noroît ».

Rendez-vous raté
 
Depuis 1990, le corps expéditionnaire français avaient sauvé le régime, confronté à la rébellion majoritairement tutsie du Front patriotique, et en même temps refroidi les ardeurs des ultras. Mais la paix, même fragile, faite de mensonges de chaque côté, de mémoire blessée, de haine, de faux-semblants et de serments hypocrites était signée. Une paix armée sous contrôle. Dans ce cadre, les Français avaient été remplacés par des Casques bleus de la Mission des Nations unies pour le Rwanda (MINUAR).
Le général Habyarimana ne se trouvait aucune affinité avec leur chef, le méticuleux, incorruptible et ennuyeux général  Roméo Dallaire. « Un empoté », aurait maugréé le président rwandais, un jour d’impatience. Rien à voir avec la chaleureuse empathie des colonels français, leur aversion des Tutsi - l’ennemi intérieur et extérieur - avec qui il fallait dorénavant composer, partager le pouvoir, imaginer l’avenir.
Habyarimana avait pourtant réussi un joli coup : brouiller définitivement le général Dallaire avec son supérieur, l’envoyé spécial extraordinaire du secrétaire général de l’ONU Jacques-Roger Booh-Booh. Habyarimana avait vite repéré l’égo surdimensionné du Camerounais. Trop facile de l’amener à se prendre pour le vice-président du Rwanda.

 Isoler le général Dallaire
 
Booh-Booh en oublierait l’évidence : comme la plupart des membres de son entourage, Habyarimana était convaincu d’une issue relativement facile à la crise politico-militaire. Une méthode qui avait fait ses preuves en 1959, 1961, 1963, etc. : dès que les conditions seraient réunies, exterminer l’opposition. Combien faudrait-il tuer de notables tutsis et de Hutus démocrates pour remettre au pas les Rwandais ? 10 000 ? 15 000 ? Mais cela suffirait-il ? Et Bagosora s’arrêterait-il en chemin ? A trois reprises, Habyarimana, hésitant, avait fait reporter l’opération, la dernière fois le 8 mars 1994. Mais quel idiot avait choisi cette date, qui était celle de l’anniversaire du Président. Quand même !
 
 Soumis à des pressions contradictoires, le président du Rwanda perdait ses certitudes. L’usure du pouvoir s’accélérant, la maladie de l’irrésolution l’avait gagné. D’autant que les diplomates occidentaux, comme le président de l’Organisation de l’unité africaine et le secrétaire général de l’ONU, lui criaient casse-cou : qu’il se décide enfin à l’application  des Accords de paix d’Arusha, ou qu’il crève dans son coin. Tout seul. Boutros Boutros-Ghali, le SG de l’ONU, lui avait téléphoné quatre fois les jours précédents, sans masquer sa colère : « Vous avez continué à faire de la politique politicienne et c’est le peuple rwandais qui souffre. Nous allons nous retirer, cela se passera discrètement. Vous ne méritez pas l’aide qu’on vous a donnée. Vous ne nous avez rien donné en échange ».
 
La colère de Boutros Boutros-Ghali
 
Les Accords d’Arusha… Même dans le Falcon 50, le président Habyarimana gardait auprès de lui une mallette de cuir renfermant cette liasse de documents qui était devenue par la force des choses son livre de chevet . Il les consultait distraitement, soupirait, se lassait vite, les reposait. Ces quelque 700 grammes de pages reliées le fascinaient et le révulsaient à la fois, comme un arrêt de mort dans un  parapheur.
 
Plus tard, beaucoup blablateraient sur ces Accords sans les avoir lus. Pour Habyarimana en 1994, ça se visitait comme un chemin de croix.
Depuis presque quatre ans, les négociateurs de paix avaient navigué d’un pays à l’autre sans désemparer. Exactement depuis le 17 octobre 1990, 16 jours seulement après la première attaque des rebelles. Les rencontres de haut niveau avaient commencé à Mwanza, en République unie de Tanzanie. Puis à Gbadolite, au Zaïre, neuf jours plus tard. Ensuite à Goma, toujours sous l'égide du présidents Mobutu, le 20 novembre 1990. À Zanzibar, en Tanzanie, le 17 février 1991. Les chefs d’Etat d’Afrique centrale ne s’en lassaient pas : encore Dar-es-Salaam, le 19 février 1991. Et toujours à Dar-es-Salaam, les 5, 6 et 7 mars 1993.
 
La paix comme un chemin de croix
 
Le président Habyarimana se remémorait aussi la litanie des accords de cessez-le-feu. Ainsi à N'sele, au Zaïre, le 29 mars 1991. Un papier qu’il avait fallu modifier à Gbadolite, dans la monumentale et fantasque capitale de Mobutu le 16 septembre 1991. Et encore à Arusha, le 12 juillet 1992. Autant de cessez-le-feu, autant de violations. Et inversement.
 
En 1992, un peu moins de deux ans après l’attaque des rebelles, on avait entrevu le bout du tunnel. Le 18 août de cette année-là, un protocole relatif à « l'État de droit » avait été signé à Arusha. Un processus de partage du pouvoir avec un gouvernement de transition à base élargie, qu'on appellerait dorénavant de façon familière le « GTBE ». Les discussions avaient progressé rapidement avec un premier protocole à Arusha le 30 octobre 1992, détaillé dans un  nouveau document le 9 janvier 1993. On arrivait au bout.
 
Un gouvernement de transition à base élargie, dit GTBE
 
Incroyable, l’énergie et l’intelligence dispensées par les négociateurs rwandais ou des pays voisins, secondés par des diplomates de grands pays d’Europe, la Belgique, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni. Les textes soumis à la signature étaient de petits bijoux d’ingénierie diplomatique. Ils auraient fait école, si...
 
Bijou, si les extrémistes hutus avalaient cette couleuvre. Le président Habyarimana crut tempérer l'humeur du colonel Théoneste Bagosora en l’envoyant observer les discussions d'Arusha. En général, les négociateurs rwandais goûtaient le confort des grands hôtels et les « dies » (indemnités journalières, prononcer « diès ») généreusement dispensés par la communauté internationale. Les dies permettaient de revenir avec un pécule.  Mais avec cet obsessionnel anti-tutsi de Bagosora, peine perdue. Seul le grade de général, qu’il réclamait avec insistance, aurait pu le satisfaire. Or Habyarimana n’avait pas envie de mettre le petit doigt dans cet engrenage-là. Car il savait l’ambition de Bagosora démesurée, bien que l’homme, insupportable, n’ait compté qu’une poignée d’amis.
 
L’ambition du colonel Bagosora
 
Le président se souvenait que les discussions de l’automne 1992 à Arusha avaient provoqué un remugle colérique des extrémistes de son camp. Sans se donner la peine de prévenir son ministre ou le président de la République, le bouillant colonel Bagosora avait quitté précipitamment la table des négociations de la cité tanzanienne en décembre 1992. En annonçant : « Je rentre à Kigali préparer l'Apocalypse ».
Apocalypse ! Les Rwandais un peu versés dans le langage religieux avaient aussitôt traduit « holocauste des Tutsi ». La citation s'était répandue comme une traînée de poudre et il avait fallu à la fois calmer Bagosora et les délégations étrangères qui commençaient à s'inquiéter. Quel charivari.
 
Déchaînés, les extrémistes hutus parlaient d'en découdre. Ce n'était pas le moment, alors qu'on attendait une commission d'enquête de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme. Bien renseignée, celle-ci déterra dans les parcelles les plus improbables des ossements de Tutsis sommairement exécutés du côté des OTP (sur la signification de ce sigle, voir article précédent). Et pour une fois, malgré toute sa capacité de persuasion et de dissimulation, le président de la République fut incapable de noyer le poison. Mais les extrémistes hutus avaient besoin d’assouvir leur colère dans un bain de sang. A peine la mission de la FIDH avait-elle repris l'avion pour Bruxelles que des liquidations de Tutsi recommençaient ici ou là.
 
« Je rentre à Kigali préparer l'Apocalypse »
 
Depuis qu'il avait dû concéder le multipartisme et abandonner le poste de Premier ministre à Dismas Nsengiyaremye, la guérilla politicienne  était plus démoralisante que la pression armée. Elle ne permettait plus que des manoeuvres de retardement pour empêcher un accord général sur le dos du président. Il fallait aussi compter avec les ambassadeurs des pays occidentaux qui renflouaient plus de la moitié du budget national et s’en prévalaient.
 
Guérilla politicienne
 
Bercé du faible sifflement du Falcon 50, Habyarimana restait obsédé du film des événements : la signature du protocole d'accord sur le droit au rapatriement des réfugiés tutsis et leur réinstallation au Rwanda, paraphé le 9 juin 1993. Puis le bouquet : un accord général, le 3 août 1993 à Arusha. Il prévoyait l'intégration des militaires de l'Armée patriotique rwandaise (APR) au sein des forces armées rwandaises (FAR). Si on avait voulu symboliser par un animal-totem les extrémistes de l'Akazu, on aurait dit que l’accord de paix d’Arusha était un chiffon rouge agité devant ce taureau furieux. « Un chiffon de papier », avait estimé le président.
 
Pour présider à l'accouchement de l'ultime accord de paix, tous les chefs d'État concerné dans la région s'étaient déplacés : Ali Hassan Mwinyi, président de Tanzanie, Mobutu Sese Seko, président du Zaïre, Abdou Diouf, président du Sénégal, Hosni Moubarak, président d'Égypte, le secrétaire général de l'OUA, Salina Ahmed Salim, et même le secrétaire général des Nations unies, Boutros Boutros-Ghali. Sans oublier le président du Burundi, Melchior Ndadaye, ami et admirateur d’Habyarimana. Avant l’assassinat de Ndadaye en octobre 1993.
 
Tous les chefs d'État concerné au chevet de l’Accord de Paix
 
Le long protocole d'accord contenait des formules incantatoires qui n'avaient pas grande signification. Mais on y trouvait également un agenda impératif : « Les institutions de la transition seront mises en place dans les 37 jours qui suivent la signature de l'accord de paix. » Habyarimana avait mobilisé toute son énergie pour rendre cet article 7 inopérant. Normalement, le Premier ministre du gouvernement de transition, Faustin Twagiramungu, aurait dû être installé au plus tard le 10 septembre 1993. D'embuscade en embuscade, l'attente s'était transformée en interminable parcours d’obstacle. Au prix de la paralysie du pouvoir.
 
Et voilà qu’à Dar-es-Salaam, cet après-midi du 6 avril 1994, sept mois au-delà de la date limite de mise en place du partage du pouvoir, Habyarimana avait tout lâché. Après une interminable guérilla politicienne, une reddition en rase campagne. Il était plus qu’urgent de rentrer à Kigali. Entre le danger de voir son avion abattu et celui de coup d’Etat, Juvénal Habyarimana jugeait le second plus grave. Il aurait dû comprendre que les risques peuvent se cumuler plutôt que se diviser…
 
Jean-François DUPAQUIER
(A suivre)
 
Prochain article :
6 avril 1994, chronologie d’une journée tragique

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03 janvier 2012

Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (1)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsis du Rwanda et au massacre politique des Hutus démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le premier volet :

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I. "A quoi pouvait penser le président Habyarimana vingt-cinq minutes avant son décès ?"
 
 Le 6 avril 1994 vers 20 heures, avant sa mort brutale et quelque peu prématurée, à quoi pouvait bien penser le président de la République du Rwanda Juvénal Habyarimana, 57 ans et 102 kilos ? Lui seul aurait pu le dire mais bien des indices laissent croire qu’il avait jugé la journée exécrable de bout en bout. En se levant aux aurores pour rejoindre le centre de négociations de Dar-es-Salaam, au bord de l’Océan Indien, il devait pester en son fort intérieur contre cette destination trop lointaine - près de 1200 kilomètres - et trop chaude, alors que la veille, le centre d’Arusha, à l’altitude aussi tempérée que Kigali et à 754 kilomètres seulement -, était disponible.

En général, Juvénal Habyarimana aimait rêvasser dans son avion personnel où l’équipage de trois Français lui donnait une rare sensation de sécurité. Lorsqu’il s’avachissait dans le fauteuil de cuir couleur beurre de son triréacteur Falcon 50, il  éprouvait même parfois, selon des proches ayant voyagé avec lui, une sorte d’euphorie et se révélait d’un abord plus facile. C’était peut-être l’irréductible part d’enfant de ce dictateur aguerri : son admiration un tantinet naïve pour les avions, surtout à réaction. Malgré l’usure d’un pouvoir longtemps quasi-absolu qui avait mis à bas bien des illusions, le sifflement et la grâce de cet oiseau de métal restaient pour lui synonymes  de luxe et d’évasion.
 
Admirateur des avions à réaction
 
Ce n’était pas pour rien que le président de la République du Rwanda avait fait construire sa villa dans l’axe de l’unique piste de l’aéroport de Kigali, la capitale du Rwanda. Impossible que la maison ne se révélât aux visiteurs pour ce qu’elle était : vieillotte, cimenteuse, laide. Alentour, quelques paons, un poulailler, une porcherie et une fosse à serpent où végétait un boa obèse. Au moins ce mini zoo permettait à la résidence présidentielle, à défaut de s’envoler, d’atteindre le sommet du mauvais goût. Et l’intérieur ne rachetait d’aucune sorte l’impression extérieure.
 
Le sommet du mauvais goût
 
Capture d’écran 2012-01-03 à 20.43.50.pngLe maître des lieux affectionnait les meubles laqués blanc-ivoire de style nouille/rococo inspirés des pires feuilletons sur le Far-West. Et les robinets plaqués or, qui ne conféraient aux salles de bains qu’un luxe pisseux. Des deux côtés de son lit, immense, bien trop grand pour un homme seul (depuis des années il faisait chambre à part avec son épouse Agathe et répugnait à lui manifester une quelconque affection) trônaient deux tables de chevet faites de pattes naturalisées d’un éléphant. Un trophée abattu, disait-il, par son ami Valéry Giscard d’Estaing. Souvenir de l’époque où ce premier président ami accourait pour assouvir ses deux passions : la chasse au gros et aux petites.
La seule véritable attraction du lieu était un escalier en bois hélicoïdal surmonté d’un gigantesque lustre et qui cachait un dispositif secret : la nuit, d’un  bouton dissimulé dans sa chambre, Juvénal Habyarimana pouvait activer les contacts électriques placés sur chaque marche, reliés à une sonnerie. Un dictateur élu et réélu entre 97 % et 99,9 % n’est jamais trop prudent, en Afrique comme ailleurs.

Escalier en état d’alerte
 
Mais qu’importait la monstrueuse bâtisse, davantage un bunker qu’une maison. A deux kilomètres de la zone d’atterrissage, Juvénal Habyarimana était mieux placé que quiconque pour bénéficier du rugissement des réacteurs qui interrompaient toute conversation. Maître de la terre et des hommes du Rwanda comme les anciens « Mwami » (rois), le président pouvait, en levant les yeux au ciel , rêver que ces avions étaient autant de cerfs-volants dont il tenait les fils invisibles qui le reliaient au monde entier. Et la nuit, les hublots des avions de ligne figuraient des grosses guirlandes lumineuses clignotantes accrochées à son sapin imaginaire. A force de se méfier de tout et de tous, Habyarimana avait dorénavant une légère tendance au délire et prenait le bruit des réacteurs pour le summum de la modernité. N’importe quel psychologue lui aurait révélé que ce fantasme cristallisait son désir de fuite. En ce 6 avril 1994, revenir à la maison était-il encore un plaisir ?
 
Le désir de fuir
 
Le plus agréable dans le job de président c’est que, où que vous alliez, chacun se sent obligé d’afficher un sourire large et ostensiblement confiant. Réciproquement, depuis vingt-et-un ans de mandat, Habyarimana avait appris à se composer un personnage d’homme simple, affable, disponible, dispensateur de sécurité et de bonne humeur. Mais sous les coups de butoir de la rébellion et surtout des trahisons qu’il pressentait dans son propre camp, le vernis s’était craquelé ces derniers mois, creusant toutes sortes de blessures, rouvrant de vieilles plaies. Et c’était encore pire ce funeste 6 avril 1994 après-midi, où il venait d’être obligé de lâcher tout ce à quoi il s’accrochait : l’exercice, en apparence quasi-absolu, du pouvoir.
 
Les coups de butoir de la rébellion
 
Qu’est-ce que le pouvoir ? Existe-t-il vraiment ? Le pouvoir sur qui ? Sur soi-même ? A quel prix ? S’il n’avait pas été acculé à survivre à l’adversité, Juvénal Habyarimana aurait aimé pouvoir philosopher sur ces questions.
Le fossé s’était d’abord creusé avec sa femme Agathe Kanziga dont il voyait bien qu’elle fédérait sournoisement, contre lui et au sein de sa parentèle, un gang de jusqu’au-boutistes hutus. Des hommes âpres au gain, prêts à tout pour défendre leurs rentes et leurs réseaux affairistes, capables de monter des réseaux complexes et très structurés sans laisser la moindre trace sur le papier. Rejeton d’une lignée de roitelets hutus du Nord-Ouest du Rwanda, Agathe avait pris un  ascendant croissant dans la maisonnée présidentielle qu’au Rwanda on appelait par dérision l’Akazu : une allusion à l’enclos royal de l’époque des dynasties tutsies, que la propagande officielle accusait de tous les maux.
 
Sous le joug d’un gang de jusqu’au-boutistes hutus.
 
Sous couvert de la défense du « rubanda nyamwinshi», (le « peuple majoritaire », sous-entendu les Hutus), une nouvelle caste nobiliaire hutue s’était constituée, qui avait insidieusement pris la place de l’ancienne monarchie. Entre initiés, on appelait OTP les nouveaux privilégiés du régime : Originaires du Terroir du Président. Une formulation doublement codée, car chacun savait que Juvénal Habyarimana était le fils d’un obscur employé de mission revenu d’Ouganda, sans lignage digne de ce nom. Le véritable terroir présidentiel se conjuguait au féminin, car c’était celui de Madame. L’Akazu, c’était elle et les siens. Exclusivement. Et donc les OTP, ses « bijoux de famille ».
 
Les OTP de Madame
 
Juvénal Habyarimana perdait son fameux contrôle de lui-même lorsqu’il voyait son épouse le défier ostensiblement. Au point de la frapper, rapportaient les domestiques. Agathe s’était accoutumée aux infidélités de son mari, qui n’étaient que des passades, d’autant qu’aucune Tutsie n’était mentionnée. De ce côté-là, l’honneur était, d’une certaine façon, préservé du Diable. Du moins le croyait-elle. Ce qui n’empêchait pas le président François Mitterrand, grand expert en sexe dit « faible », de juger que l’épouse de son ami Habyarimana était le diable fait femme.
 
Lorsque Juvénal Habyarimana l’avait épousée, Agathe était tout miel, une féminité frémissante déployée. Mais avec l’usure du temps, sous ses airs réservés, ses regards en dessous et ses propos d’une fausse humilité, Madame s’avérait une reine de fiel. Elle n’avait pas son pareil pour humilier ou faire rabaisser son mari sans en avoir l’air. Et comme à l’époque des rois, les serviteurs s’étaient défoulés en colportant les problèmes du couple. Dorénavant, Agathe Habyarimana était affublée du nom d’une ancienne reine tutsie d’une cruauté légendaire : Kanjogera-la-sanguinaire. On racontait que pour son lever, Kanjogera s’appuyait sur une lance dont la pointe transperçait le ventre d’un esclave hutu allongé au sol. Ainsi le réveil de la reine s’accompagnait de l’atroce râle d’un manant.
 
Kanjogera-la-sanguinaire
 
Capture d’écran 2012-01-03 à 20.54.05.pngOn racontait aussi que parfois, au comble de l’exaspération, Habyarimana battait son épouse comme plâtre et qu’elle allait se réfugier plusieurs jours chez  Mgr Vincent Nsengiyumva, l’archevêque de Kigali qui éprouvait pour elle une vibrante amitié. Ces ragots étaient sûrement faux mais réjouissaient le bas peuple qui haïssait Agathe Kanziga à l’instar de Marie-Antoinette, en France, en 1789.
 
Le temps d’atterrir dans une vingtaine de minutes, Juvénal Habyarimana ne tarderait sans doute pas à croiser son épouse dans la maison-bunker dont le portail d’entrée était encadré de deux automitrailleuses Panhard. Sombre perspective. Sans doute allait-elle lui jeter en coin un regard lourd de reproche puisqu’il venait de capituler à Dar-es-Salaam. Puisqu’il s’était résigné à trahir la cause du « peuple majoritaire », une cause à laquelle elle s’était vouée comme on entre en religion.
Les épouses délaissées se réfugient parfois dans le mysticisme, mais est-ce à l’avantage de leur mari ? La présidente ne manquait presque aucune des apparitions de la Vierge à Kibeho, une bourgade perdue au sud du Rwanda, où les transes de l’une ou l’autre « voyante » - aux messages politiques inquiétants - étaient réglées comme du papier à musique. Pour que ses dévotions atteignent leur but, Agathe avait fait aménager sous les combles de la résidence présidentielle deux chapelle : l’une chrétienne, l’autre animiste. Un double tir mystique. On n’est jamais trop prudente.
 
Jean-François DUPAQUIER
(A suivre)

Prochain article :
Une batterie de missiles : les Accords d’Arusha
 
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- Juvénal Habyarimina

- La résidence présidentielle photographiée en 1995. Derrière les lucarnes des combles, en haut à droite, les deux chapelles d’Agathe Habyarimana
 
- Une des « voyantes » de Kibeho promettait au Rwanda « des fleuves de sang » d’où émergerait un pays purifié.

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2012 : Où va la RDC ?

En Afrique, les lendemains d'élections sont particulièrement redoutés. La République démocratique du Congo (RDC) n'échappe pas à la règle. L'année 2011 a été marquée par des élections entachées de nombreuses irrégularités, de suspicions de fraudes massives et de violences. L'opposant Etienne Tshisekedi conteste la réélection de Joseph Kabila et s'est auto-proclamé "président élu", plongeant le pays dans une crise politique profonde. L'incertitude plane donc sur l'année 2012. Nous avons demandé à Alphonse Maindo (1), professeur en sciences politiques à l'université de Kisangani, de nous éclairer sur l'année à venir.

Capture d’écran 2012-01-02 à 22.30.39.png- Afrikarabia :  Après des élections de novembre 2011 sous pression, les nombreux observateurs internationaux présents mettent en doute la crédibilité du scrutin et dénoncent le chaos logistique et les forts soupçons de fraude. Comment se présente l'année 2012 ?

- Alphonse Maindo : Cette année sera très difficile. Le président sort affaibli de ce scrutin. On est là aux antipodes de ce que devrait représenter une élection. Dans la conception moderne des élections : il s'agit d'une processus de légitimation des dirigeants politiques. Là, c'est tout le contraire : la personne élue est plus faible après le vote, qu'avant. Gouverner ne va donc pas être facile. Et Joseph Kabila ne pourra pas continuer de gouverner à coup de répression et à coup de matraque… on ne peut plus gouverner comme cela.

- Afrikarabia : Comment Joseph Kabila peut-il se sortir de cette situation ?

- Alphonse Maindo : Si le président Kabila veut acquérir une certaine légitimité et une certaine autorité, il sera obligé de composer avec l'opposition. Il n'a pas d'autre choix. Mais attention, il ne faudra pas faire dans demi-mesure. Il ne suffira pas de débaucher quelques membres de l'opposition comme sous Mobutu. Cela ne donnera pas de résultats. Pour moi, il faudrait que le prochain premier ministre soit issu de l'UDPS pour donner plus de poids et de légitimité au futur gouvernement pour les 5 années à venir.

- Afrikarabia : Comment l'UDPS peut-elle composer avec la majorité présidentielle et comment Tshisekedi pourrait devenir le Premier ministre d'un président dont il conteste l'élection ?

- Alphonse Maindo : Je pense en effet que cela sera très difficile. Mais je crois qu'Etienne Tshisekedi est assez intelligent et patriote pour pouvoir accepter de faire quelques concessions, obtenir la paix sociale et ne pas faire retomber la RDC dans le chaos et l'anarchie. Mais attention, cela dépendra aussi de la volonté de la Majorité présidentielle. Il ne faut pas oublier que dans le camp présidentiel, il y a des personnes radicales, qui ne veulent pas entendre parler de négociations ou de gouvernement d'union nationale. Ils prétendent tous avoir gagner les élections et ne veulent rien négocier.  Mais on n'a pas d'autre choix. Il faut bien voir qu'à l'heure actuelle on ne peut plus savoir qui a vraiment gagné ces élections. Des bulletins de vote et des procès-verbaux ont été perdus, détruits ou falsifiés… le recomptage des voix est aujourd'hui impossible.

- Afrikarabia : Que peut faire l'opposition dans la situation actuelle ?

- Alphonse Maindo : Si l'UDPS veut jouer un rôle important sur la scène politique congolaise, elle doit changer de stratégie. Pour l'instant la stratégie d'Etienne Tshisekedi n'a pas donné de résultats. L'opposition ne doit plus faire dans le discours, mais doit montrer sa capacité à mobiliser la rue. Si Tshisekedi se contente juste de s'auto-proclamer président et de constituer son gouvernement, on sait ce que cela à donner sous Mobutu. Ce qu'il doit faire, avec ses amis, c'est mobiliser la rue congolaise pour rendre le pays difficile à gouverner… la politique c'est un rapport de force ! Il faut donc obliger Kabila à négocier pour faire une gestion partagée et consensuelle du pouvoir jusqu'en 2016. Il me paraît est impossible d'organiser de nouvelles élections crédibles et acceptées par tous d'ici cette date. Il faut donc trouver une solution intermédiaire. Il faut également que l'opposition s'appuie sur la diaspora. La diaspora doit faire pression. Au niveau des capitales occidentales, cette diaspora peut mobiliser et faire bouger les gouvernements occidentaux. 

- Afrikarabia : L'année 2012 verra la tenue d'autres élections, notamment provinciales. Comment voyez-vous ce long électorale qui prendra fin en 2013 ?

- Alphonse Maindo : Si la CENI (la Commission électorale -ndlr-) ne change pas de méthode de travail et ne prend pas le courage de se remettre en cause pour mieux gérer le processus électoral, ces élections locales, provinciales et sénatoriales, risquent d'exacerber les tensions. On sait que la République démocratique du Congo est encore très fragile. Beaucoup d'armes circulent dans ce pays et il y a encore de nombreux groupes armés incontrôlés. Il y a de forts risques pour que l'on replonge dans le chaos et la guerre. Il faut à tout prix que nos dirigeants et nos élites politiques prennent conscience de ce risque. Il faut qu'il y ait un vrai sursaut national, sinon nous irons de crise en crise.

- Afrikarabia :  D'autres risques menacent la RDC en 2012 ?

- Alphonse Maindo : Après la crise politique, la crise sociale et économique menace. Jusqu'à présent, si on regarde les indicateurs macro-économiques, le taux d'inflation reste "gérable", la monnaie ne s'est pas encore beaucoup dépréciée par rapport au dollar (1$ pour environ 900 francs congolais). Mais on est face à une situation très difficile pour le Congo. Ses principaux partenaires : les pays occidentaux, le FMI, la Banque mondiale, l'Union européenne, commencent à exprimer des doutes par rapport à la crédibilité de ces élections et à prendre leur distance. On peut craindre que le futur gouvernement congolais soit privé de moyens financiers. Il ne faut pas oublier que la RDC dépend pour moitié de ses ressources, des aides internationales. Si ces aides sont coupées, le nouveau gouvernement de Joseph Kabila va avoir beaucoup de mal à fonctionner dans les prochains mois.

- Afrikarabia : Et les Congolais dans tout ça ?

- Alphonse Maindo :  Les Congolais sont les plus grands perdants de ces élections. Ils se sont déplacés en masse pour voter et visiblement leurs voix n'ont pas été entendues. Certains s'interrogent même de savoir si cela vaut encore la peine d'aller aux urnes. La démocratie en a pris un sérieux coup avec ces élections... même si je sais que le Congo n'est toujours pas démocratique. L'échec de ces élections va laisser des traces chez les Congolais.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

(1) Alphonse Maindo est l'auteur de "Des conflits locaux à la guerre régionale en Afrique centrale", Paris, L'Harmattan, 2007.

Photo : Alphonse Maindo à Paris en octobre 2011 (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

01 janvier 2012

AFRIKARABIA vous souhaite une bonne année 2012

Nous profitons de cette occasion pour vous souhaiter une excellente année et vous remercier de votre fidélité. 2011 a été une année riche en événements en République démocratique du Congo (RDC) et l'intérêt pour les élections de novembre ont fortement accru notre audience. Le site afrikarabia.com, présent également sur la plateforme du magazine Courrier International a enregistré un peu plus de 2 millions de pages vues pendant l'année 2011. Une fréquentation qui nous encourage à faire plus et mieux pour vous informer. Encore merci d'être aussi nombreux à nous lire chaque jour. Espérant que cette nouvelle année puisse voir s'améliorer le quotidien des Congolais… ils le méritent tous.

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RDC : RFI punie par Kinshasa

Les mauvaises habitudes ont la vie dure en République démocratique du Congo (RDC). Les autorités congolaises ont décidé de couper le signal de Radio France Internationale (RFI) en RDC jusqu'au mardi 3 janvier 2012. En cause, le traitement des dernières élections très contestées et un article présentant les "deux discours de nouvel an" des "deux leaders" congolais. Pour le pouvoir en place à Kinshasa, il y a visiblement un leader de trop dans l'article. Rappelons qu'en 2009, RFI avait déjà été forcée de couper ses émetteurs pendant 9 mois, accusée de "démoraliser les forces armées congolaises".

Capture d’écran 2012-01-01 à 23.00.38.pngUn mois seulement après des élections contestées, le gouvernement de République démocratique du Congo (RDC) décide de couper le signal de RFI sur l'ensemble du territoire. Les autorités souhaitent ainsi "protester contre une couverture jugée partiale de la situation post-électorale en RDC par RFI". Pour le ministre congolais de l'information, "il y a comme une volonté délibérée de créer une situation confuse qui peut nous entraîner dans des affrontements entre Congolais, et ça nous n’apprécions pas". En lisant entre les lignes… et en allant sur le site de la radio mondiale, un article est peut-être à l'origine du coup de sang de Kinshasa. L'article s'intitule "deux discours de nouvel an, deux leaders". Le journaliste relate la présentation des voeux du président officiellement élu, Joseph Kabila, puis ceux de l'opposant Etienne Tshisekedi, auto-proclamé "président élu" devant l'ampleur des irrégularités du scrutin. Et de conclure l'article ainsi : "deux discours, deux leaders : le bras de fer politique est loin d’être réglé en RDC". Pour Kinshasa, il y a apparemment un leader de trop dans le papier de notre confrère… et on devine lequel. Résultat : plus de son sur les fréquences de RFI au Congo.

Les autorités congolaises sont coutumières du fait dans ce pays. En juillet 2009, la diffusion de "la radio mondiale" avait déjà été interrompue. Les autorités congolaises accusaient RFI de développer une campagne systématique de "démoralisation des forces armées de la RDC (FARDC)". Il a fallu attendre 9 mois… et l'expulsion de la correspondante de la radio, Ghislaine Dupont, avant la reprise des émissions. Espérons que cette fois-ci le signal sera bien rétabli mardi prochain… la RDC et les Congolais ont tous besoin des informations de RFI dans cette période très incertaine.

Christophe RIGAUD

RDC : Kengo victime des "combattants" à Paris

Il ne fait pas bon transiter par la gare du nord pour les hauts dignitaires de la République démocratique du Congo (RDC). Dernière victime en date, le président du sénat, Léon Kengo wa Dondo, agressé samedi 31 décembre à sa sortie du train en provenance de Bruxelles. Les agresseurs portent un nom : "les patriotes-résistants-combattants", opposés au président Joseph Kabila. Depuis bientôt deux ans, ces Congolais mènent la vie dure aux personnalités proches du régime. Parmi leurs derniers faits d'armes : l'agression du général Didier Etumba gare du nord, l'interdiction des concerts de Werrasson et Papa Wemba ou encore l'incendie et l'occupation de l'ambassade de RDC à Paris.

Capture d’écran 2012-01-01 à 22.55.56.pngLa nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre sur la toile. Des sites congolais très engagés dans l'opposition, comme Réveil-FM, Afrique rédaction ou Congomikili, ont tout de suite relayé l'information : le président du sénat, Léon Kengo, deuxième personnage de l'Etat, a été agressé samedi 31 décembre à la gare du nord de Paris. En provenance de Bruxelles, le candidat à la présidentielle de novembre (4,45% des voix) a été pris à partie par un groupe de "patriotes-résistants-combattants"  alors qu’il tentait de monter dans sa voiture. L'agression a été particulièrement violent puisque, selon les autorités congolaises, le président du sénat "aurait eu des dents arrachées et a été piétiné et roulé à terre". Léon Kengo, 76 ans, a été conduit à l'hôpital Lariboisière.

Léon Kengo n'est pas la première victime des "combattants" congolais, très actifs à Paris, mais aussi Londres ou Bruxelles. Ces groupes, profondément anti-Kabila, ont été à l'origine de plusieurs manifestations "Kabila dégage" dans la capitale française. Ils ont ensuite empêché plusieurs artistes congolais de se produire en concert à Paris, comme la star Werrasson ou Papa Wemba. Les "combattants" reprochent à ces chanteurs de "rouler" pour Kabila et de faire de la propagande pour le candidat-président (à l'époque en campagne pour sa réélection). Gare du nord, les "combattants" ont ensuite perturbé l'arrivée en Thalys d'Olive Lembe Kabila, la femme du chef de l'Etat. En juin 2010, toujours gare du nord, les "combattants" ont agressé violemment le général Didier Etumba, à l'époque chef d'Etat-major de l'armée congolaise, en visite à Paris pour assister au concert "la nuit africaine". Derniers faits d'armes : l'incendie de l'ambassade de RDC à Paris en septembre 2011 et l'occupation de la même ambassade en décembre dernier.

La dernière cible, Léon Kengo, n'est pas le fruit du hasard. Après la réélection contestée de Joseph Kabila, la crise politique couve à Kinshasa. L'opposant Etienne Tshisekedi (en général très soutenu par les "combattants" de la diaspora) s'est auto-proclamé président du pays, s'estimant victime d'une fraude massive lors du vote. Léon Kengo, candidat à la présidentielle, s'affichait pourtant dans le camp de l'opposition (avec également Vital Kamerhe). Mais pour les "combattants", cet "opposant de la 25ième heure" ralliera Joseph Kabila au dernier moment. De nombreuses rumeurs donnent en effet le nom de Léon Kengo comme prochain Premier ministre de Joseph Kabila. Une manière pour le président réélu de faire "un geste" à moindre frais envers  l'opposition.

Les autorités congolaises ont bien sûr vivement réagi à l'agression de Léon Kengo. Kinshasa accuse même les partisans d'Etienne Tshisekedi d'être les auteurs de cette "attaque inacceptable". Le ministre des Affaires étrangères de RDC, Alexis Tambwe Mwamba a convoqué l'ambassadeur de France ce dimanche à Kinshasa. Paris affirme ne pas avoir été informée de la visite (privée) de Léon Kengo en France.

Christophe RIGAUD

Photo : manifestation à Paris, février 2011 (c) Ch. Rigaud www.afrikararabia.com