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29 janvier 2013

RDC : Décentralisation à haut risque au Katanga

Adoptée en 2006 dans la constitution, la décentralisation tarde toujours à se concrétiser en République démocratique du Congo. En visite dans la bouillonnante province du Katanga, le ministre le l'intérieur a affirmé que la décentralisation se fera "au rythme de chaque province". Une formule "à la carte" pour tenter de rassurer les Katangais, partagés entre l'envie d'autonomie et la crainte d'éclatement de leur riche province.

filtre Katanga DSC02227.jpgAu Katanga, Richard Muyej, le ministre de l'intérieur congolais, marche sur des oeufs. Ici, certains Katangais voient d'un très mauvais oeil le redécoupage provinciale proposé par la constitution de 2006… et toujours pas en vigueur. Le texte prévoit le passage de 11 à 26 provinces. Ce nouveau découpage territorial permettrait aux provinces d'acquérir "une autonomie de gestion en conservant 40 % de leurs recettes" afin de gérer une fonction publique provinciale, des programmes miniers et forestiers et des investissements en infrastructures. L’article 2 de la constitution stipule également que les 26 provinces pourraient être "redécoupées et réunifiées, selon la volonté du peuple"... d'où une certaine inquiétude chez certains Katangais.

Le "Katanga utile"

Le sujet de la décentralisation est particulièrement sensible au Katanga, partagé entre zones minières riches au Sud et agricoles pauvres au Nord. L'actuel Katanga pourrait être morcelé en 4 territoires distincts :  le Haut-Katanga, le Haut-Lomami, le Tanganyika et le Lualaba. Les Katangais du Nord craignent d'être les laissés pour compte du Sud, le "Katanga utile". A la tête de l'Assemblée provinciale, le turbulent Gabriel Kyungu, plaide lui pour un fédéralisme "assumé". Avec son parti, l'Unafec, le patron de la province prône un Katanga "fort" et plus "autonome". Ses opposants  l'accusent de vouloir renouveler les velléités sécessionnistes de 1960 et de vouloir "balkaniser" la RDC. Pour seule réponse, Gabriel Kyungu a lancé un pétition en faveur du fédéralisme depuis l'été 2012. Son objectif : 100.000 signatures pour faire bouger le pouvoir central. Il en aurait recueilli pour le moment 53.000.

Indépendantistes en embuscade

Véritable serpent de mer en République démocratique du Congo, la décentralisation constitue pourtant l'une des solutions pour sortir le pays des crises à répétition : Nord et Sud-Kivu, Ituri, Equateur, Bas-Congo et… Katanga. Comme pour marquer le passage du ministre de l'intérieur à Lubumbashi, la capitale katangaise, un groupe de miliciens Maï-Maï nommé "Bakata Katanga" a réclamer mardi 29 janvier "l'indépendance de la province". Cette milice sème la terreur depuis plusieurs semaines parmi l'ethnie luba et s'en prend également aux forces de sécurité congolaises. Dimanche 27 janvier, la chefferie de Kikondja situé dans le territoire de Bukama a été le théâtre de violences provoquées par les "indépendantistes" katangais. Bilan : 4 morts côté Maï-Maï et un policier blessé.

D'autres milices sont également actives depuis plusieurs mois au Katanga. Début 2012, le retour de Kyunga Mutanga, alias Gédéon, a sèmé la peur au Katanga. Ce seigneur de guerre avait été condamné à la peine capitale pour crimes contre l’humanité par la justice congolaise. Emprisonné depuis 2006, Gédéon s'est évadé en septembre 2011 de la prison de Lubumbashi… en plein jour. Depuis, l'enquête est au point mort et un vent de panique souffle au Nord-Katanga... On comprend donc pourquoi Kinshasa tarde à mettre en place son nouveau redécoupage provinciale, de peur qu'une partie de son territoire ne lui échappe. Au Nord-Kivu, la rébellion du M23, le lui rappelle tous les jours.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Lubumbashi © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

26 janvier 2013

RDC : Exit la Monusco ?

La création d'une force internationale neutre signifiera-t-elle la fin de la mission des casques bleus dans l'Est de la République démocratique du Congo ? Les pays de la région, réunis au sein de la SADC et de la CIRGL, viennent de demander le remplacement de la Monusco par une force africaine. Une proposition qui pourrait sonner le glas des casques bleus en RDC.

ONU filtre1.jpgCoup dur pour la Monusco. Critiquée pour son inefficacité, la mission de l'ONU au Congo est depuis quelques semaines la cible des pays africains de la région. Les ministres de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), proposent à l'Union africaine (UA), de remplacer la Monusco par des troupes africaines. La raison avancée :  l'échec de la mission de l'ONU dans l'Est de la RDC, en proie à des conflits chroniques et son incapacité  à protéger les populations civile.

La Monusco sur la sellette

La charge anti-Monusco est signée par le général Aronda Nyakairima, le ministre ougandais de la Défense. "Nous recommandons que l'Afrique prenne le relais de la Monusco", a précisé le général à  une agence de presse chinoise. Selon lui, "les forces africaines peuvent mieux faire que les forces internationales qui viennent de l'extérieur et qui ne ne savent pas ce qu'elles font". Une critique qui tombe après que certains membres de l'ONU se déclarent "contre l'idée de déployer une force internationale neutre pour combattre les forces négatives" en République démocratique du Congo. Ces membres proposaient une "simple" intégration de la force neutre à la Monusco. Proposition inacceptable pour le général ougandais Nyakairima.

1,5 milliards de dollars… pour rien !

Depuis plusieurs mois, pour ne pas dire plusieurs années, les casques bleus sont l'objet de nombreuses critiques. La récente prise de la ville Goma par les rebelles du M23 constitue "la goutte d'eau qui a fait déborder le vase". Pour Godefroid Kä Mana, du pole Institut, sur le site radiozones.com, la mission des Nations unies est coûteuse (1,5 milliard de dollars) pour un résultat inexistant. "Quand le M23 est entré dans la ville de Goma", raconte-t-il, "j'ai beaucoup aimé la justification de l'inertie de la Monusco. Un responsable de l'ONU expliquait qu'ils étaient à Goma pour protéger la population et il n'a pas vu le M23 s'attaquer à la population ! Le deuxième argument était de dire que la Monusco est une force de soutien et d'appui à l'armée congolaise, mais le problème était que l'armée congolaise avait disparu ! ".

Des casques bleus "bunkerisés"

La demande de la SADC et de la CIRGL de remplacer la Monusco par des troupes africaines s'explique par 2 raisons.  La première est strictement militaire. Les pays africains estiment, à juste titre, que les troupes "asiatiques" basées à l'Est, venant du Pakistan, de l'Inde ou du Bangladesh, sont inefficaces… et le seront toujours. "Peu impliqués", "refusant de prendre le moindre risque", ces troupes, bunkerisées dans leurs bases du Kivu, n'interviennent que rarement et sont accusés par la population de laisser commettre des exactions "sous leurs propres yeux" et "sans bouger". Si ce constat n'est pas "politiquement correct", la majorité des observateurs le partage. Godefroid Kä Mana, du pole Institut, explique qu'il comprend ces soldats qui souhaitent avant tout "revenir vivants" de leur mission au Congo. La SADC affirme pouvoir venir dans les Kivus avec des troupes plus "motivées" (parce qu'africaines ?) et donc plus "offensives" face aux groupes armés.

Problème africain : solutions africaines ?

La deuxième raison qui justifierai le remplacement de la Monusco par des troupes africaines est "historique". Depuis une dizaine d'année, on assiste en Afrique, à un désengagement progressif de l'ONU et plus largement des troupes occidentales sur le terrain militaire (le Mali étant l'exception qui confirme la règle). Le "sens de l'histoire" voudrait que, petit à petit, les conflits africains soient réglés par les institutions africaines (Union africaine et institutions régionales, CEDEO, SADC, CIRGL… ). A ce propos, le responsable d'International Crisis Group en Afrique centrale, Thierry Vircoulon, nous l'avait expliqué sur Afrikarabia, en précisant que ce "scénario" avait été mis en place il y a 10 ans, "lorsque l'Organisation de l'union africaine est devenue l'Union africaine (UA)" (voir son interview).

Pas de "zone franche" dans les Kivus

La constitution d'une force neutre dans la région des Kivus n'est cependant pas sans risque. Comme le souligne, l'essayiste Gaspard-Hubert Lonsi Koko, "il ne faudrait surtout pas tomber dans le piège qui consiste à installer, à travers cette force internationale neutre, une « zone franche », laquelle préfigurera à court terme la mise en place d’un futur État autonome". Les Congolais, toujours très inquiets sur le risque de "balkanisation" de l'Est du pays par le M23 et leurs alliés rwandais et ougandais, restent donc plutôt septiques sur la mise en place d'une telle force. Quand aux rebelles du M23, la création, très "hypothétique", de cette force, reste pour le moment "une fiction". Car, si le contours de cette force neutre commence à se dessiner, son financement et sa mise en place sera longue. Un spécialiste militaire de la région, nous confiait : "il faudrait 2 ans pour constituer une force efficace dans la région !".

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : L'ONU en RDC © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

25 janvier 2013

Rwanda-EXCLUSIF : Un autre document implique Paris dans le génocide des Tutsis

Après les révélations du Parisien, Afrikarabia apporte un autre document accablant contre le capitaine de gendarmerie français Paul Barril. Il apparaît plus que jamais comme l’homme de main de Paris dans le génocide contre les Tutsis du Rwanda en 1994.

Document Barril confid déf.jpgLe « Contrat d’assistance » retrouvé dans les archives de l’ancien gouvernement génocidaire à Kigali, capitale du Rwanda, est daté du 28 mai 1994. Il est signé du « Capitaine Barril », élisant domicile à sa société SECRETS, 12, avenue de la Grande Armée, dans le XVe arrondissement de Paris, et porte une seconde signature : « Son Excellence Monsieur le Premier Ministre » Jean Kambanda. Ce dernier n’était pas une oie blanche : il purge aujourd’hui une peine de prison à perpétuité pour son rôle dans le génocide des Tutsis et le massacre des Hutus démocrates en 1994.

Bagatelle pour un massacre.

La date n’est pas insignifiante. Au 28 mai 1994, deux mois après le début du génocide, le Rwanda était un charnier à ciel ouvert. Dans ce pays grand comme la Belgique, plus de 900 000 personnes avaient déjà été assassinées, hommes, femmes, enfants, bébés, vieillards. Les tueurs fanatisés avaient souvent précédé de sévices atroces l’exécution de tous ces civils sans défense, uniquement coupables d’être nés tutsis. Mais l’horreur, ou la simple morale, ne semblaient pas la préoccupation majeure de capitaine en disponibilité Paul Barril. Il « s’engage à fournir une aide sur le plan humain et matériel au Rwanda ». Sur le plan humain, « 20 hommes spécialisés », c’est-à-dire 20 mercenaires. Sur le plan matériel, l’équipement sophistiqué de ces mercenaires, et surtout des cartouches de Kalachnikov et de mitrailleuses, par millions, des obus, des grenades par milliers… A ce niveau, on arrondit la facture : il y en a pour 3 millions de dollars, la moitié payable d’avance. Compte tenu de l’inflation, ça représente en valeur d’aujourd’hui entre 5 et 6 millions d’euros.

Objectif : tuer Paul Kagame

Pour l’occasion, le capitaine de la Gendarmerie française se fait aussi payer le solde d’une précédente facture : 130 000 dollars pour « l’Opération insecticide » engagée par le président rwandais Juvénal Habyarimana un an plus tôt, en 1993. Insecticide est un nom de code que les Rwandais comprennent bien : on qualifie d’insectes (plus précisément de cafards, de blattes), les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), pour la plupart des Tutsis de la diaspora qui veulent forcer le régime à leur retour au pays.
Selon nos informations, « l’Opération insecticide » visait à assassiner Paul Kagame, le leader de la rébellion, dans son QG de Mulindi, une usine à thé abandonnée à l’est du Rwanda.

La question récurrente du rôle de la France dans le génocide

Ce « contrat d’assistance » n’était pas connu de la mission d’information parlementaire française dite « Mission Quilès », du nom de son  président, qui voulait documenter le rôle de la France au Rwanda depuis 1990, date du début de la guerre civile. En 1998, Paul Quilès n’avait même pas osé interroger Paul Barril, considéré comme intouchable et trop dangereux.
Le « Rapport Quilès » n’a, en conséquence, livré qu’une analyse édulcorée de l’implication de l’Elysée et du corps expéditionnaire français dans la guerre civile au Rwanda, qui devait aboutir au génocide.  
Aussi, depuis 1994, l’implication de hauts responsables politiques et militaires français dans la préparation du génocide des Tutsis est une question qui continue à tarauder les médias et l’opinion publique. Non seulement en France, mais aussi au Rwanda, en Europe, en Afrique. Ainsi que les intellectuels du monde entier. Et le rôle du capitaine Paul Barril semble central.

Revenons au signal déclencheur de ce génocide et du massacre des Hutu démocrates : l’attentat du 6 avril 1994 contre le Mystère-Falcon du président Habyarimana, qui a aussi coûté la vie à l’équipage composé de trois Français. C’est le capitaine Paul Barril qui fut l’instigateur de  la plainte de la veuve du copilote français et provoqua ainsi l’enquête confiée en 1998 au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière pour identifier les responsables de l’attentat. Au passage, Barril fournit aux enquêteurs - visiblement sous sa coupe - un ex-espion rwandais avec qui il entretenait des relations d’affaires, Fabien Singaye, qu’il fait promouvoir interprète assermenté. Par le jeu des alliances matrimoniales, Fabien Singaye est lié à la famille Habyarimana, partie civile à l’instruction. Une « curiosité » que les avocats de la famille Habyarimana se sont bien gardés de signaler au juge. Ce ne fut pas la moindre anomalie de la procédure.

Boomerang judiciaire

Reprise et mieux documentée par le juge Marc Trévidic, cette enquête revient en boomerang contre le capitaine de gendarmerie honoraire, qui semble avoir été la cheville ouvrière des autorités française dans le soutien aux forces génocidaires.
Il a fallu beaucoup d’énergie et de temps au juge Marc Trévidic pour progresser. Les documents sont rares, les témoins souvent manipulés. Les archives de l’Elysée furent, selon toute vraisemblance, largement « purgées » avant leur dépôt à la Fondation François Mitterrand, celles de l’ambassade du Rwanda à Paris ont également été « triées » à l’été 1994 avec l’aide de « Services » français. Celles du Quai d’Orsay, de la DGSE et de la DRM restent couvertes par le « Secret Défense ». Bien des hommes qui savaient la vérité sur le rôle de la France et de Barril sont morts. Le lieutenant colonel Ephrem Rwabalinda,  correspondant des Français au sein des anciennes Forces armées rwandaises, a été liquidé par ses compagnons d’armes en juillet 1994 au moment où il s’apprêtait à fuir en Europe pour faire des révélations. Le lieutenant colonel Ntahobari, attaché militaire de l’ambassade du Rwanda à Paris durant le génocide, est par malchance (?) décédé en région parisienne au moment où il promettait au juge Bruguière des éléments nouveaux, etc.,
Il faut donc s’en remettre à des fragments de documentation ayant échappé aux « nettoyeurs » pour se faire une idée encore générale de l’implication de Paris dans un génocide qui a provoqué environ un million de morts en trois mois.

Des morts suspectes juste avant repentance

Paul Barril semble avoir joué le rôle d’interface entre l’Elysée et le groupe d’exterminateurs de Tutsi au Rwanda. L’homme est lui-même décrit comme un individu peu contrôlable devenu, après avoir quitté la Gendarmerie nationale, un tueur à sang froid mû uniquement par l’appât du gain. Né le 13 avril 1946 à Vinay, en Isère, lui-même fils d’un gendarme à la carrière honorable, il atteint la notoriété en devenant co-fondateur puis commandant du prestigieux Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) pendant deux ans avant de participer à la création de la cellule antiterroriste de l'Élysée sous le premier septennat de François Mitterrand. Le GIGN lui a permis de cotôyer les services de renseignement français, notamment comme nageur de combat à la base secrète de la DGSE d’Aspretto, en Corse,  il fréquente aussi les nationalistes du FLNC. Dans le milieu interlope du renseignement, du trafic d’armes et du terrorisme, le gendarme perd vite ses bases éthiques. Le président de la République a une petite manie qu’exploitent ses courtisans : il adore les ragots, surtout ceux d’alcôve. Il se régale des comptes-rendus d’écoutes téléphoniques, d’apprendre qui couche avec qui dans le Tout-Paris. A la cellule de l’Elysée, véritable police politique du régime Mitterrand, Paul Barril fait merveille : écoutes téléphoniques hors normes, notamment de journalistes, filatures, opérations de désinformation…

Les exploits de « l’enfumeur »

Barril est surnommé « l’enfumeur »  par ses collègues gendarmes. Il n’a pas son pareil pour mêler le vrai et le faux, et surtout pour se mettre en scène. Son maître en la matière est François de Groussouvre, conseiller spécial de François Mitterrand pour les affaires de Renseignement… et les affaires de cœur du Président.  De Grossouvre est son rabatteur de jolies femmes, surtout il a la haute main sur les services d’espionnage et contre-espionnage. Il protège particulièrement Mazarine, la fille cachée de François Mitterrand, et sa mère Anne Pingeot. Paul Barril deviendra à la fois homme de confiance, confident, occasionnellement garde du corps aussi bien de François de Grosssouvre que de Mazarine et sa mère.

Patatras, François Miterrand le force à quitter la cellule de l’Elysée à la suite d’un retentissant scandale : une affaire de « terroristes irlandais » montée de toutes pièces par Barril et d’autres gendarmes dévoyés. Mais le flamboyant capitaine reste proche de Groussouvre quil l’a introduit auprès du président du Rwanda Juvénal Habyarimana. Pour commencer, Barril lui vend un portique de sécurité et un écran anti-balles. Ensuite, avec l’aide de Fabien Singaye, il s’introduit dans le système de Renseignement rwandais et obtient de juteux contrats.

De juteux contrats

Notre consoeur du Parisien Elisabeth Fleury vient de révéler l’un d’entre eux. Dans le milieu mercenaire, on ne s’embarrasse pas de papier à en-tête. Comme le « Contrat d’assistance » du 28 mai 1994,  c’est une lettre de quelques lignes, tapée à la machine, signée par Augustin Bizimana, le ministre de la Défense rwandais. S’adressant « au Capitaine Paul Barril ». Augustin Bizimana (aujourd’hui encore recherché par le Tribunal Pénal International) lui écrit : « Monsieur,… la situation dans mon pays devient de plus en plus critique… Vu l’évolution actuelle du conflit, je vous confirme mon accord pour recruter, pour le gouvernement rwandais, 1000 hommes devant combattre aux côtés des Forces Armées Rwandaises. » La missive est datée du 27 avril 1994, un mois avant le « Contrat d’assistance ». Les soldats des FAR sont plus occupés à tuer et à piller qu’à combattre les troupes du FPR, aussi ils reculent sur tous les fronts.

« Paul Barril, à cette époque, c’est la France »

Le Parisien écrit : « Lorsqu’il est sollicité par le ministre de la Défense rwandais, le capitaine Barril n’est pas n’importe qui. « Paul Barril, à cette époque, c’est la France, résume une source judiciaire. Officiellement, Barril est d’abord chargé d’« une mission d’infiltration » au service du gouvernement rwandais, avant d’être sollicité par la veuve Habyarimana pour enquêter sur les auteurs de l’attentat. Officieusement, son rôle est nettement plus discutable ».

Un vieillard agité de tremblements

Capture d’écran 2013-01-25 à 08.31.11.pngInterrogé à trois reprises par l’équipe singulièrement peu performante de la Division nationale antiterroriste, Paul Barril s’était tiré de questions à peine gênants par des pirouettes.
Réinterrogé en juillet dernier par les gendarmes du juge Trévidic, l’homme a perdu de sa superbe. Celui qui se plaisait à faire circuler des photos le représentant un énorme revolver 357 Magnum en mains (une arme dont la balle peut couper un homme en deux), qui se targuait d’être le meilleur tireur d’élite de la Gendarmerie française, apparaît un sexagénaire prématurément vieilli, agité de tremblements, souffrant sans doute de la maladie de Parkinson. Lui qui a si longtemps et si impunément manipulé les journalistes se  plaint des médias qui le présentent « injustement » comme un homme impliqué dans l’attentat du 6 avril 1994.  Il affirme qu’il ne s’est jamais rendu au Rwanda plus de deux ou trois jours de suite. Il confirme qu’il a été présenté à Habyarimana par Grossouvre « avant 1990 » et qu’il était chargé d’infiltrer « les Tutsi du FPR » pour les retourner. Il reconnaît avoir agi d’abord avec Groussouvre puis avec Fabien Singaye. Il prétend à présent qu’il effectuait des missions ponctuelles au Rwanda sans recevoir d’argent, seulement des billets d’avion et le remboursement de ses frais.

Mais parfois le naturel de « l’enfumeur » reprend le dessus. Paul Barril joue les diplomates de haute volée. Il affirme que c’est à son instigation que Paul Kagame « et quatre personnes dont je ne me rappelle plus les noms » sont venus à Paris en septembre 1991 pour négocier « les accords d’Arusha ». Il se présente comme agissant pour François Mitterrand afin d’aider Habyarimana à assurer la paix. Mais à d’autre moments il présente la guerre au Rwanda comme opposant « les Hutu et les Tutsi » et bien sûr il était dans le camp des Hutu.

Un alibi pour le 6 avril ?

Le plus intéressant est qu’il présente un alibi pour le 6 avril 1994. Curieusement, il s’agit d’une sorte d’attestation d’huissier à qui il aurait montré son visa et les tampons d’entrée et de sortie des Etats-Unis, où il aurait passé une quinzaine de jours missionné par la Garantie Mutelle des Fonctionnaires (GMF). Mais il s’avère aujourd’hui qu’il possédait à l’époque deux passeports français à son nom.

Paul Barril aurait été appelé par Agathe Habyarimana qu’il aurait rencontrée « complètement désemparée » par la mort de son mari pour faire une enquête sur l’attentat. On lui demande s’il ne travaille pas plutôt pour Mobutu. Il esquive en disant qu’il est allé voir aussi Mobutu en venant par Goma, et qu’un hélicoptère Gazelle l’a ensuite emmené au nord du Rwanda près de la frontière, puis à Kigali. Il insiste sur le fait qu’il était seul.
On lui présente ses précédentes dépositions et ses contradictions. Paul Barril élude encore, il ne se souvent plus. Notamment pour les lance-missiles qu’il n’aurait pas eu vraiment dans ses mains. On lui rappelle ses déclarations dans « Guerres secrètes à l’Elysée », un livre de souvenirs où il règle ses comptes après le suicide de Grossouvre, intervenu curieusement le 7 avril 1994, 24 heures après l’attentat.

Une citation accablante

Paul Barril y écrit page 176 : « J'ai appris le décès de celui que je considérais comme le général en chef d'une nouvelle armée de l'ombre, apte à rétablir la France [François de Grossouvre], sur une colline perdue au centre de l'Afrique, au moment où les officiers tutsis du Front patriotique rwandais (FPR), formés et conseillés par la C. I. A., préparaient les premiers mouvements de l'offensive qui devait leur assurer le pouvoir à Kigali, capitale du Rwanda, ainsi que le contrôle de toute la région des Grands Lacs. François Durand de Grossouvre est mort le 7 avril 1994, peu avant 20 heures. Exactement 24 heures avant, le 6 avril à la même heure, l'avion du président rwandais Habyarimana a explosé en plein vol, au-dessus du palais présidentiel de Kigali, frappé traîtreusement par deux missiles soviétiques sol air SAM 16. Leurs numéros de série indiquent qu'ils ont appartenu à l'armée irakienne. Peut-être ont-ils été récupérés par les soldats américains après la guerre du Golfe. Dans ce cas devrait-on y voir une manipulation de la C. I. A. ? Mais pourquoi ? Ou plutôt, afin de ménager les intérêts de qui, à Kigali, et au Rwanda en général ? »

Que faisait Paul Barril à Kigali le 6 ou le 7 avril, selon son propre aveu ? Il répond que le livre était en partie un roman, un « roman-enquête » et que tout n’était pas vrai. Il dit que c’était « pour faire bouger les choses ».

« Des témoignages à l’africaine »

On lui rappelle les « 80 enregistrements de témoins ayant assisté à l’attentat » dont il avait fait grand cas en 1994 dans la presse, notamment le quotidien Le Monde. Non, il n’a pas ces enregistrements, il avait simplement pris des notes », et puis c’était des témoignages « à l’africaine » (?) dont il ne se souvient pas clairement.
On lui demande ses liens avec Singaye. Il dit que c’est lui qui l’a présenté aux enquêteurs du juge Bruguière. Il reconnaît savoir que Singaye était un agent des services de renseignement. Il dit qu’il était très bien renseigné et qu’il l’aidait à enquêter sur l’attentat, « pour la défense des familles des trois militaires français de l’équipage ». On lui demande à quel titre il enquêtait. Il bafouille une vague réponse.
Barril explique que l’avion a  été abattu sur ordres de Kagame dont les hommes suivaient l’arrivée par des lunettes infra rouge. Et que les deux tirs sont partis du même endroit du camp militaire des FAR à Kanombe (il avait présenté auparavant une version bien différente, visiblement il a intégré l’expertise balistique communiquée au juge Trévidic en janvier 2012, et qui semble innocenter le FPR).

Des déclarations à géométrie variable

Pressé par ses anciens collègues gendarmes qui « connaissent la musique » , Paul Barril s’énerve progressivement. A la fin, un enquêteur lui indique qu’on va perquisitionner ses différents domiciles (trois résidences en France, dont une en montagne). Il répond qu’il ne peut assister aux perquisitions vu son état de santé. Paul Barril ironise sur l’idée qu’on pourrait demander à perquisitionner sa résidence au Qatar, et que ça n’arrangerait pas les relations entre le Qatar et la France. Humilié et mortifié d’être traité en témoin ordinaire, cet homme qui a fait trembler tant de politiciens français n’est plus que l’ombre de lui-même mais voudrait se donner de l’importance. Il ajoute que puisque c’est comme ça, il ne donnera pas les documents qu’il avait apportés. Et il refuse de signer le procès-verbal d’audition, ce qui est acté.

Récompensé par la République française pour quels services ?

Les perquisitions engagées n’ont pas été sans résultat car si Barril a souvent fait le ménage chez les autres, il avait négligé bureaux et demeures personnels. Les gendarmes ont mis la main sur quelque 800 pages de pièces accablantes, une sorte de « best of » des turpitudes de la Françafrique. L’inusable Barril était de tous les trafics d’armes, de bien des magouilles…On a ainsi découvert la demande de 1000 mercenaires pour aider au génocide contre les Tutsi, et une copie du « contrat d’assistance » passé entre Barril et le gouvernement rwandais daté du 28 mai 1994, dont le premier exemplaire avait été trouvé à Kigali. Selon Le Parisien, le juge Trévidic a réinterrogé le capitaine Barril sur ces documents le 20 décembre dernier. Ce contrat d’assistance « n’a jamais existé », prétend l’intéressé. Les factures? « Cela ne s’est jamais fait. » Il prétend que tout ça tout cela « c’est de la mayonnaise africaine. »
« Une mayonnaise de près d’un million de morts » observe notre consoeur Elisabeth Fleury. En juin 1994, juste après le génocide, Paul Barril a été promu capitaine honoraire de la Gendarmerie française. Pour quels services rendus ?

Jean-François DUPAQUIER

09:05 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (1)

24 janvier 2013

RDC-M23 : "Un compromis est possible" pour Rucogoza

Le chef de la délégation du M23 calme le jeu à Kampala. Dans une interview exclusive accordée à Afrikarabia, François Rucogoza espère signer un accord avec le gouvernement congolais. Malgré les blocages sur les questions politiques, la rébellion souhaite pouvoir aborder toutes ses revendications avec Kinshasa. Le M23 vient de demander au président ougandais Museveni de jouer les arbitres.

Capture d’écran 2013-01-24 à 00.20.00.png- Afrikarabia : Les tensions sont vives à Kampala entre le M23 et le gouvernement congolais. Les désaccords sont nombreux, notamment sur les questions de politique intérieur. Le facilitateur ougandais, Crispus Kiyonga, a refusé que ces négociations remettent en cause la légitimité du président Kabila. Vous souhaitez le récuser ?

- François Rucogoza : Le récuser ? Non, je ne crois pas. Il y a eu une petite contradiction sur un point de l'ordre du jour (les questions politiques, ndlr), mais je ne crois pas qu'on va le récuser. Nous avons demandé à la facilitation d'informer notre médiateur, le président Museveni, pour que l'on puisse faire quelques précisions. Nous avons sollicité une audience au président ougandais.

- Afrikarabia : On sait que ce sont les revendications politiques et constitutionnelles qui bloquent pour le moment.

- François Rucogoza : C'est vraiment très contradictoire, puisque nous avons déjà signé ces points à l'ordre du jour avec le gouvernement et la facilitation. Le premier point était les accords du 23 mars 2009, le deuxième point, les questions de sécurité et le troisième point  concerne les questions politiques. Nous devons donc "vider" les questions politiques, sociales et économiques avec le gouvernement congolais. Personne ne peut donc nous empêcher de dire ce que nous pensons des problèmes du Congo. Nous devons trouver des pistes de solutions à tous les problèmes du Congo.

- Afrikarabia : Lorsqu'un membre de la délégation du M23, Roger Lumbala, déclare sur RFI, qu'il souhaite le départ de Joseph Kabila, vous le suivez sur cette revendication ?

- François Rucogoza : Nous sommes dans des négociations, il y a donc des revendications. Nous devons discuter de cela avec la partie gouvernementale. Mais c'est évident qu'il y a des souhaits et des questions politiques qui se posent. Nous devons examiner le problème des élections contestées de novembre 2011, la "vérité des urnes"…. Si le président doit partir, il partira, si le président doit rester, il restera, mais nous devons examiner la question et trouver un compromis.

- Afrikarabia : Lorsque vous parlez de compromis, est-ce qu'un gouvernement de transition, à l'image de ce qui s'est passé en Centrafrique, est envisageable ?

- François Rucogoza : Oui, toutes les solutions sont possibles. Mais nous devons déjà respecter ce que nous avons signer dans l'ordre du jour. On va ensuite débattre et essayer de trouver un compromis. Mais attention, si nous ne pouvons discuter des questions politiques… cela n'ira pas. Toutes les questions doivent être abordés.

- Afrikarabia : On parle de dissensions au sein du M23 entre les politiques et les militaires, qui sont de plus en plus impatients.

- François Rucogoza : Non pas du tout. Nous sommes un mouvement qui est extrêmement bien organisé et structuré. Si des gens croient à cela... ils se trompent beaucoup.

- Afrikarabia : Si le blocage continue. Si le gouvernement congolais ne veut pas discuter des problèmes de politiques intérieurs avec vous, êtes-vous prêts à reprendre les armes et pourquoi pas la ville de Goma ?

- François Rucogoza : Ce n'est pas notre souhait. Nous avons toujours dit, même avant la prise de Goma, que nous voulions un compromis  pacifique. Nous avons toujours voulu discuter avec le gouvernement. Si le gouvernement refuse les voix pacifiques de la négociation… alors les mêmes causes produiront les mêmes effets. Vous avez bien vu que nous avons décrété un cessez-le-feu unilatéral pour laisser une place au dialogue.

- Afrikarabia : On attend dans la région la mise en place une force internationale neutre de 3.000 hommes à l'Est de la RDC. Vous redoutez son arrivée ?

- François Rucogoza : Pas du tout ! C'est une force neutre par rapport à quoi ? Nous sommes avec nos frères congolais en train de dialoguer. Nous avons privilégié ce processus pacifique. Si d'autres choisissent une voix belliqueuse, nous serons en droit de répondre et de se défendre. Mais je ne vois pas comment une force étrangère peut venir traquer une organisation qui est en train de discuter avec un gouvernement.

- Afrikarabia : Vous savez que beaucoup de Congolais redoutent une "balkanisation" de l'Est de la RDC. L'autonomie des Kivus est-il l'un de vos objectifs ?

- François Rucogoza : La "Balkanisation" par rapport à quoi ? Roger Lumbala, qui est avec nous, vient du Kasaï (une province du centre du pays, ndlr). Notre organisation est Congolaise et notre mouvement est national. Tout cela, c'est de la manipulation politique qui n'a pas de sens.

- Afrikarabia : Vous souhaitez toujours que l'opposition politique congolaise vous rejoignent ?

- François Rucogoza : Ce n'est pas seulement l'opposition, mais c'est aussi la diaspora. Nous devons résoudre les problèmes ensemble. Toutes les forces vives de la RDC doivent se retrouver autour de la table.

- Afrikarabia : Vous avez des contacts avec l'UDPS d'Etienne Tshisekedi ou l'UNC de Vital Kamerhe ?

- François Rucogoza : Pas seulement eux… avec tout le monde ! Les problèmes du Congo doivent être résolus avec tous les Congolais.

- Afrikarabia : Vous pensez pouvoir signer un accord à Kampala avec les autorités congolaises ?

- François Rucogoza : Oui, nous devons signer un accord à Kampala avec le gouvernement congolais. Mais pas uniquement par rapport au seul conflit du Nord-Kivu, par rapport aussi aux problèmes nationaux.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : François Rucogoza à Kampala © DR

23 janvier 2013

FRANCE-RWANDA : Les "infractions d'Innocent Musabyimana

Innocent Musabyimana, un Rwandais de 40 ans recherché pour génocide et crimes contre l'humanité, a été interpellé en Côte d'Or. Il y suivait une formation de chauffeur-livreur à Longvic, près de Dijon.

Logo Afkrb.pngInnocent Musabyimana "a été arrêté sur demande du parquet général", a déclaré le porte-parole du parquet général de Kigali, Alain-Bernard Mukuralinda, dans l'attente que la justice française se prononce sur la demande d'extradition de Kigali. "Il est accusé d'un certain nombre d'infractions”, selon le procureur général de Dijon, Jean-Marie Beney. Jean-François Dupaquier, journaliste et écrivain, spécialiste du Rwanda, nous livre ici son commentaire.

« Viols, génocide, extermination »… les incriminations ne sont pas anodines contre M. Innocent Musabyimana, un Rwandais de 40 ans qui vivait des jours tranquilles à Longvic, près de Dijon. Même si la présomption d’innocence doit d’office lui être reconnue, les habitants de la région sont en droit de se poser bien des questions. A commencer par celle-ci : le procureur général de Dijon, M. Jean-Marie Beney a déclaré que M. Innocent Musabyimana « est accusé d'un certain nombre d'infractions » C’est la première fois qu’un magistrat qualifie d’infractions des crimes tels que génocide, complicité de génocide, meurtres, viols, adhésion et participation dans un groupe criminel. Infraction est un mot banal. Selon un dictionnaire juridique de référence, il signifie : « Action ou comportement interdit par la loi et passible de sanctions pénales prévues par la loi : amende, peine d'emprisonnement, peines complémentaires ». Ces « infractions » sont qualifiées de crimes, via Interpol, sur le un mandat d’arrêt international qui a été émis.

Un commerçant interrogé par Le Bien Public qui trouve une analogie avec l’Argentine me semble bien plus proche de la vérité historique et morale : après la chute du nazisme, des perpétrateurs de la Shoah ont trouvé refuge en Argentine. Ils savaient que le régime fasciste de Peron refuserait de les livrer. Pour juger Adolf Eichmann, l’un des principaux artisans de la « Solution finale » contre les Juifs, Israël a dû l’enlever clandestinement en mai 1960, pratiquement quinze ans jour pour jour après la capitulation nazie. La honte en a été sur le régime Argentin, pas sur celui d’Israël qui avait incontestablement commis une infraction au droit international.

La France abrite depuis 1994 plus de vingt Rwandais « suspects de génocide ». Ce chiffre ne concerne que des suspects nommément identifiés, car en réalité, plusieurs centaines de criminels rwandais « présumés innocents » se cacheraient en France, la plupart sous de faux noms. Malgré les charges accablantes documentées contre la vingtaine de « présumés innocents » connus, la justice française a toujours refusé les mandats d’extradition émis par le Parquet général du Rwanda. De jugement en arrêt, on nous répète que l’accusation est « politique ».

« Accusation politique » : c’était l’argument récurrent des autorités argentines pour refuser de livrer les criminels nazis, évidemment « présumés innocents ». La justice française n’est pas, elle, l’émanation d’un « régime fasciste » comme le Parquet péroniste. C’est simplement une institution démocratique trop humaine, avec ses faiblesses et ses vertus. Faut-il suggérer de sanctionner le « certain nombre d’infractions » reprochées à Innocent Musabyimana d’une contravention pour stationnement irrégulier en France, la fameuse amende à 17 euros ? Le génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994 a causé un million de
 victimes en cent jours. Les tueries furent souvent précédées d’actes d’une cruauté  inouie. Ce troisième génocide du XXe siècle mérite de la considération, et en particulier de bien peser ses mots. Puis agir. Ne pas extrader ou ne pas juger dans un délai raisonnable ces suspects identifiés en France serait une forme de complicité avec le crime des crimes que constitue un génocide.

Jean-François Dupaquier,
Ecrivain, journaliste

15:19 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

20 janvier 2013

RDC : "Deux opposants enlevés" selon la Démocratie Chrétienne

Un parti d'opposition de République démocratique du Congo dénonce l'enlèvement de deux membres de la Démocratie Chrétienne (DC), dans la nuit du 17 au 18 janvier 2013. Verdict Nkoba Mituntia et Stallone Katumba François auraient été embarqués par des hommes en armes et conduits "vers une destination inconnue", selon le mouvement politique. Ces deux opposants  préparaient une manifestation du parti, prévue ce samedi à Kinshasa.

220px-Logo-Démocratie_Chrétienne_2006.GIFUn communiqué de la Démocratie Chrétienne (DC), le parti de l'opposant Diomi Ndongala, a annoncé ce samedi, l'arrestation de deux de ses membres. Selon Marc Mawete, le porte-parole du mouvement, Verdict Nkoba Mituntia et Stallone Katumba François auraient été arrêtés en pleine nuit, à leurs domiciles, par des hommes en armes. Toujours selon le parti d'opposition, Verdict Nkoba Mituntia, responsable de la communication du parti, aurait été enlevé dans la nuit du 17 au 18 janvier 2013 par des hommes de la Police militaire et d'autres hommes en civil, dans sa résidence de l'avenue Buta à Kinshasa.

Le second, Stallone Katumba François, responsable de la jeunesse de la DC et de la Majorité présidentielle populaire (MPP) aurait été enlevé la même nuit. Les deux hommes préparaient pour le lendemain, samedi 19 janvier, une manifestation du parti. La Démocratie Chrétienne rappelle que depuis le 27 juin 2012, les membres ce parti font l'objet "d'arrestations arbitraires de la part des services de sécurité". A cette date, plusieurs militants du mouvement de Diomi Ndongala, "avaient été arrêtés et conduits au camp Lufungula", puis "enfermés pendant une semaine".

Le même jour, c'était au tour du leader du mouvement, Diomi Ndongala, d'être "enlevé et tenu au secret pendant 100 jours" par différents services de sécurité congolais. Les autorités congolaises avait maintenu pendant toute l'affaire que Diomi Ndongala s'était enfui "pour échapper à une accusation de viol sur mineure". Diomi Ndongala avait toujours démenti ces allégations et accusait le régime de Kinshasa de vouloir "se débarrasser d'un opposant politique".

En octobre 2012, trois membres de la Démocratie Chrétienne avaient également été enlevés à proximité du siège du parti, sur la commune de la Gombe, à Kinshasa. Héritier Kazadi, Jean-Paul Mabondo et Jean-Claude Yongo Kasele sont restés "30 jours au secret, dans les cellules de l'ANR", les services de renseignements congolais.

Le parti, qui s'estime la cible d'attaques politiques, dénonce une véritable "chasse aux sorcières" de la part du régime du président Joseph Kabila et la volonté d'éliminer les "tshisekedistes", les partisans d'Etienne Tshisekedi. La DC accuse enfoin le pouvoir de détenir une "liste noire" des opposants à museler. Notamment des personnalités comme José Makila ou Joseph Olenghakoy. Les autorités congolaises ont toujours fermement récusé ces allégations.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

RDC : Menaces sur 2 avocats de l'affaire Chebeya

L'association des droits de l'homme congolaise, la Voix des Sans Voix (VSV), s'inquiète des menaces et des intimidations qui pèsent sur Jean-Marie Kabengela Ilunga et Peter Ngomo Milambo. Ces deux avocats représentent les parties civiles dans le  très "politique" procès de l'assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana.

Capture d’écran 2013-01-19 à 17.42.21.pngLa Voix des Sans Voix lance un appel à l'aide. Selon cette ONG congolaise, deux avocats faisant partie du collectif qui assistent les parties civiles dans le procès sur l’assassinat des défenseurs des droits humains, Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, seraient en danger. Les deux avocats feraient l'objet de menaces, d'intimidations et de harcèlements. La Voix des Sans Voix se dit très préoccupée pour leur sécurité… et leur vie.

Pour l'association congolaise, Me Jean-Marie Kabengela Ilunga a fait l’objet "d’une attaque verbale par le Ministère public représenté par le Colonel Likulia, lors d’une audience du procès sur l’assassinat des défenseurs des droits de l’homme Floribert Chebeya Bahizire et Fidèle Bazana Edadi". La Voix des Sans Voix (VSV) explique que cette "attaque fait suite à la demande adressée par ce dernier à la Haute  Cour Militaire (HCM) de prendre en compte le témoignage du major Paul Milambwe, fugitif et témoin oculaire qui a assisté" au meurtre de Floribert Chebeya. Me Jean Marie Kabengela Ilunga reçoit depuis octobre 2012, sur son téléphone des appels de menaces de mort avec des numéros téléphoniques "difficiles à rappeler, des messages sans texte, des appels sans que l’émetteur parle…".
 
Autre menace, une lettre envoyée par le premier président de la Cour Militaire de Kinshasa-Gombe, le colonel Masungi, le 20 décembre 2012, au bâtonnier de Me Jean Marie Kabengela Ilunga pour "une action disciplinaire contre lui". Le motif est "d’avoir été absent à une audience des affaires des militaires de l’Equateur". Motifs non fondés, selon l'avocat.
 
Pour Me Peter Ngomo Milambo, les menaces sont semblables, d'après la VSV. Cet avocat défend Me Firmin Yangambi, Président de l’ONG « Paix sur Terre » et deux autres co-détenus, accusés depuis 2009, de tentative d’organisation du mouvement insurrectionnel et détention illégale d’armes. Peter Ngomo Milambo a reçu le 9 janvier 2013 un appel téléphonique émis par un numéro masqué d’une personne refusant de s’identifier. L’avocat a été "menacé de mort" et on lui a signifié que son habitation "était bien connue pour mise en exécution de ces menaces". L'ONG explique qu'il est reproché à Me Peter Ngomo "d’avoir accordé une interview sur les antennes de Radio France Internationale (RFI)". Il lui a été demandé "d’arrêter d’exposer le pays sur RFI". Ces deux avocats défendent également d'autres personnes poursuivies pour "motifs politiques", notamment "des opposants et les personnes accusées d’insurrection".

La Voix des Sans Voix s'inquiète de ces menaces répétées et demandent aux autorités congolaises "de garantir la sécurité, l’intégrité physique et la liberté de ces avocats pour leur permettre d’exercer librement leur profession".

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

19 janvier 2013

RDC : M23 et gouvernement d'accords... sur rien

Les désaccords apparaissent au grand jour entre les rebelles du M23 et le gouvernement congolais. La rébellion a avancé mercredi une longue liste de  revendications... immédiatement rejetées par la délégation congolaise. Plusieurs analystes craignent que l'échec prévisible de tout accord ne fasse reparler les armes au Kivu.

2Image 1.pngLes premières phases de négociations ont démarré péniblement mercredi 16 janvier entre le M23 et Kinshasa. Après plus d'un mois de discussions sur l'ordre du jour des pourparlers, les deux parties ont pu exposer enfin  leurs points de vue sur la crise dans l'Est de la RDC. Pour l'instant, les négociations tournent au dialogue de sourds.

Une amnistie des faits de guerre
 
Dans le "cahier des charges" présenté par le M23, les rebelles insistent tout d'abord sur les concessions qu'ils ont accordé aux chefs d'Etat de la région (CIRGL) en stoppant leur avancée, en se retirant de la ville de Goma et en acceptant le "dialogue avec le gouvernement". Le premier point d'achoppement concerne l'accord que 23 mars, signé par l'ancienne rébellion du CNDP avec Kinshasa. Le M23 estime qu'il n'a pas été respecté et demande entre autre : "la reconnaissance des grades" de ses troupes au sein de l'armée régulière, "l'ouverture de la frontière de Bunagana", "l'amnistie générale pour faits de guerre", "la libération des détenus politiques", "la création d'une police de proximité" et "l'organisation d'une commission d'enquête sur les biens mal acquis par les officiers militaires". La rébellion exige enfin, une rémunération "régulière et décente des militaires, policiers et agents de l'Etat".

Un gouvernement de transition

Sur le plan politique, le M23 dénonce "la volonté délibérée du régime de Kinshasa de ne pas organiser les élections aux niveaux local", la "non-effectivité de la décentralisation" et la "xénophobie et la discrimination ethnique". Concernant les élections contestées de novembre 2011, les rebelles accusent le pouvoir en place de "fraudes massives" et d'avoir créé une Commission électorale non-indépendante (CENI), trop proche du parti présidentiel, alors que la Constitution recommandait une "personnalité apolitique". Le M23 souhaite donc "l'annulation des élections", "la dissolution du Sénat" et des "assemblées provinciales" et la mise en place d'un "Conseil National de Transition Congolais (CNTC)". Selon les rebelles, un nouveau gouvernement de transition devra être nommé.

Concernant l'économie, le M23 demande "la création d’une commission mixte pour évaluer tous les contrats (miniers, forestiers et pétroliers) et le cas échéant les revisiter", ainsi que "l’annulation de l’ordonnance-loi interdisant l’exploitation et l’exportation de matières précieuses à l’Est de la RDC".

Pas de Conférence Nationale Souveraine bis

Si les revendications catégorielles des militaires du M23 peuvent trouver "un certain écho" côté gouvernemental, il est clair que le reste des exigences politiques de la rébellion semblent "difficiles à satisfaire" pour Kinshasa. La réponse des autorités congolaises faite aux rebelles souligne le fossé qui s'est désormais creusé entre les deux parties. Le gouvernement rappelle tout d'abord que les preuves de bonne volonté du M23 restent limitées. Les rebelles devaient en effet se retirer "à au moins 20 km au Nord de Goma", "ce qu'il n'a toujours pas fait", souligne le texte. Le gouvernement observe une fin de non recevoir sur les revendications politiques du M23. Pour Kinshasa, "ce dialogue ne peut pas se transformer en une Conférence Nationale Souveraine ou en un Dialogue Inter-congolais bis". Et de préciser :  "il ne peut pas non plus aspirer à devenir un forum pour aborder et résoudre tous les problèmes du pays". Kinshasa ferme également la porte au "Conseil National de Transition" proposé par les rebelles.

Des FDLR au sein du M23 ?

Sur les accords du 23 mars, le gouvernement se demande en quoi ces revendications "sont suffisantes pour justifier une rébellion armée" et accuse "certains membres du CNDP" d'avoir violés les accords. Kinshasa accuse également les rebelles d'avoir maintenus "des administrations parallèles dans le territoire de Masisi et (des) commandements parallèles dans l’armée". Le gouvernement dénonce aussi "la présence dans les rangs du M23 (...) d'éléments FDLR démobilisés" et des combattants de l'aile Mandefu du même groupe. Concernant l'intégration des milices dans l'armée "avec des grades actualisés", les autorités congolaise estime ce procédé "destructurant". Et de conclure : "on ne peut vouloir une chose et son contraire. Le M23 ne peut donc en appeler à une réforme de l’armée et demander en même temps que lui soient appliquées des mesures exceptionnelles à l’efficacité à tous égards douteuses".

Sur les revendications politiques, "la quasi-totalité des missions d’observation avaient noté que ces irrégularités n’étaient pas de nature à compromettre les résultats de l’élection présidentielle" précise le gouvernement. Un argument pas tout à fait juste, puisque le Centre Carter avait déclaré les résultats "non crédibles". Concernant la réforme de la CENI, Kinshasa affirme qu'elle est "en cours de réalisation". Là encore, on peut ajouter un bémol sur cette affirmation : le "ripolinage" de la Commission est encore très "limité".

Irréconciliables

On le voit à la lecture des deux documents, les désaccords sont nombreux entre le M23 et le gouvernement congolais. Certains connaisseurs du dossier congolais n'hésitent pas à qualifier les deux parties "d'irréconciliables". Les revendications des rebelles se sont fortement élargies au cours du conflit, qui a débuté en avril 2012. Les exigences de la rébellion se multipliaient à mesure que le M23 progressait sur le terrain militaire. Il y a donc peu de chance que Kinshasa accepte, ce qui lui semble inacceptable pour l'instant : "partager le pouvoir avec les rebelles". Côté rébellion, on voit mal comment le M23 pourrait se contenter de simples accords "corporatistes" concernant ses troupes. Un connaisseur de la région me confiait qu'il voyait mal Sultani Makenga, le chef militaire du M23, réintégrer "comme si de rien n'était" l'armée régulière après la signature d'hypothétiques accords.

Pas de "2009 réchauffé"

Le temps est aujourd'hui à la méfiance. Le M23 craint que Kinshasa ne cherche qu'à gagner un peu temps, en attendant les "renforts" militaires de la force internationale neutre, qui doit se mettre en place prochainement. Un membre du M23 me confiait son pessimisme concernant la possibilité d'un accord et craignait simplement du "2009 réchauffé". Les rebelles ne se font guère d'illusion et un expert prévoit un inévitable retour au "rapport de force". Entendez : le retour de la guerre au Kivu et une possible reprise de Goma par les rebelles.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Le complexe hôtelier ougandais où se tiennent les négociations à Kampala © DR

15 janvier 2013

Kivu (RDC) : "Pourquoi accuser le seul M23 ?"

Des écrivains, artistes, chercheurs et professeurs des universités interpellent le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki Moon sur la situation dans l'Est du Congo. Dans une lettre ouverte que nous publions, ces intellectuels dénoncent une "lecture partiale" et "réductrice" du conflit qui sévit dans les Kivus. S'ils reconnaissent "la nécessité d'une attitude ferme vis à vis du M23" et du Rwanda, accusé de soutenir les rebelles, ils considèrent que "s'acharner contre une seule rébellion" ne fait qu'occulter le rôle des dizaines d'autres groupes armés.

Capture d’écran 2013-01-15 à 21.03.13.pngMonsieur le Secrétaire général,

Nous, écrivains, artistes, chercheurs et professeurs des universités, qui suivons de près la situation dans l’Est du Congo, avons décidé, par la présente, de nous adresser directement à vous sur une question dont dépendent la sécurité et le mieux-être de millions d’hommes et de femmes mais aussi la stabilité de toute la région des Grands Lacs et, plus largement, du continent africain.

Nous souhaitons avant tout, par notre geste, attirer votre attention sur une lecture que nous jugeons partiale et réductrice de la situation actuelle dans cette partie de l'Afrique. Une telle lecture est aujourd’hui imposée par les rapports de certains experts internationaux adeptes du « single-issue », consistant à faire fi de la complexité d’un phénomène pour en donner une explication unique et forcément simpliste. L’enquêteur principal Steve Hege et son équipe, que vous avez nommés, ont ainsi choisi d’accabler dans leurs conclusions le seul M23, pendant que d’autres mouvements rebelles opérationnels depuis 1994 et extrêmement nuisibles sont soit oubliés, soit passés sous silence pour des raisons qui nous inquiètent et nous interpellent. Cette interprétation orientée, porteuse de tous les dangers, est condamnée à être contre-productive en l’absence d’une vision globale du problème congolais, prenant en compte toutes ses ramifications politiques, économiques et socioculturelles. Nous ne comprenons pas que ces enquêteurs aient choisi d’ignorer l’existence des groupes armés- en particulier, et de manière très significative, des FDLR - responsables d’un chaos sanglant à l’Est du Congo. Nous vous invitons aussi à prendre au sérieux, à la différence de vos prédécesseurs jusqu’en 1994,les signes avant-coureurs d’un embrasement général de la région et, chose tout aussi troublante, les incitations publiques à la haine et au massacre des populations congolaises d’expression kinyarwanda.

Monsieur le Secrétaire général,
Nous apprécions à sa juste valeur le choix de l’ONU de s’investir dans la stabilité du Congo à travers plusieurs missions. Il ne fait aucun doute que ses différentes opérations ont été d’une grande aide pour les populations congolaises sans défense. Nous n’en pensons pas moins qu’il ne sert à rien de traiter les effets d’une politique au lieu de s’attaquer aux causes réelles du mal. Il est temps que ce peuple, victime hier d’une exploitation coloniale féroce et, depuis l’indépendance, de la voracité des compagnies occidentales, chinoises et sud-africaines et de régimes tyranniques et prédateurs, puisse jouir des droits que seul peut lui garantir un Etat digne de ce nom. En effet si le Congo, ce pays aussi étendu que toute l’Europe occidentale et aux ressources naturelles quasi inépuisables, est aujourd’hui sans armée ni Etat, ce n’est pas la faute du Rwanda encore profondément traumatisé par un des pires génocides du vingtième siècle et faisant toujours face à la menace que font peser sur sa sécurité des génocidaires bien décidés à « finir le travail » entamé en avril 1994. Notre conviction est que si le Congo, qui aurait dû être le géant de l’Afrique en est le ventre mou, c’est aussi parce qu’il ne s’est jamais résolu à faire l’inventaire d’expériences coloniale et néocoloniale particulièrement dévastatrices. Il est impérieux pour ce grand peuple de méditer un moment-clé de son histoire, le meurtre de Patrice Lumumba qu’il n’en finit pas d’expier puisqu’il a balisé le chemin du pouvoir à Mobutu Sese Seko. Et chacun sait avec quelle rapacité ce dernier a mis son pays à genoux pendant trente-deux longues années, en complicité avec des puissances étrangères, avant de le laisser complètement exsangue à sa chute.

Monsieur le Secrétaire général,
Nous reconnaissons la nécessité d’une attitude ferme vis-à-vis du M23, et d’une mise en garde responsable de tous les pays frontaliers du Congo, dont le Rwanda, pour qu’ils s’abstiennent de tout appui à cette nouvelle rébellion qui risque d’embraser, une fois de plus, la région et de plonger ses habitants dans d’effroyables souffrances. Nous avons toutefois du mal à accepter la logique sélective de ceux qui s’acharnent contre une rébellion récente pour mieux occulter le rôle dans le conflit de plusieurs groupes criminels, bien plus anciens et actifs, qui ont recours à une violence ouverte et massive. Ce silence témoigne à notre avis d’un choix délibéré d’induire l’opinion internationale en erreur. Voilà pourquoi nous tenons à rappeler que plusieurs rébellions opèrent dans le Sud-Kivu, le Nord-Kivu et le Maniema. Oxfam et 41 ONG congolaises en ont dressé la liste dans un récent rapport. Il s’agit de :
ADF : Alliance des Forces Démocratiques;
APCLS : Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain;
FRPI : Force des Résistances Patriotiques en Ituri;
FDLR : Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda;
LRA : Armée de résistance du Seigneur;
M23 : Mouvement du 23 mars;
Nyatura, rébellion Hutu ;
Sheka, rébellion Nyange ;
Mayi-Mayi Yakutumba, rébellion Bembe contre la communauté Banyamulenge;
Raïa Mutomboki, rébellion Rega et Tembo
UPCP : Union des Patriotes Congolais pour la Paix;
(Source: « 164 OXFAM briefing paper, November 2012. Commodities of war.
Communities speak out on the true cost of conflict in Eastern DRC, p.22»)

En plus des violences commises par les soldats gouvernementaux et les groupes armés cités plus haut contre les populations congolaises, « les preuves récemment recueillies par Oxfam, dans le cadre d’une enquête impliquant plus de 1300 personnes, dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, et dans la province orientale, montrent que les soldats de l’armée nationale et les autorités civiles y compris la police, ainsi que les groupes rebelles, se battent pour le monopole de l’extorsion des biens et de l’argent des communautés locales». Il est fondamental de souligner qu’à l’exception probable du M23, tous les groupes armés opérant dans les trois régions du Kivu sont hostiles au Rwanda et aux Congolais rwandophones. Ils constituent aussi un danger certain pour la stabilité du Congo. En outre, certaines de ces rebellions menacent d’autres pays de la région. C'est le cas notamment du FNL (Front national de Libération), rébellion burundaise active dans la plaine de la Ruzizi et de deux groupes ougandais, la LRA et l’ADF, ciblant particulièrement le régime de Kampala. Aucun de ces faits pourtant lourds de sens n’est mentionné dans ces rapports très contestés et qui ont surtout contribué à jeter de l’huile sur le feu. Ce faisant, ils se sont étrangement éloignés de toute possibilité de solution concertée. Bref, ils ont découragé le dialogue initié par des pays africains de la région des Grands Lacs et alimenté la méfiance entre communautés congolaises de l’Est et entre le Congo et le Rwanda. Cette lecture tronquée, relayée par la presse internationale et locale congolaise ainsi
que par les organisations des droits de l’homme, pourrait elle-même très vite générer de nouvelles violences.

Il est difficile pour un esprit rationnel de se faire à l’idée que le destin de millions d’humains puisse à ce point être tributaire des états d’âme d’un expert qui, aussi talentueux soit-il, n’est pas à l’abri de ses propres passions, voire de ses a priori idéologiques. Il apparaît très clairement que dans ce cas précis on a instrumentalisé l’appareil des Nations-Unies pour régler des comptes avec le gouvernement rwandais. Il est surprenant et inacceptable que l’ONU ait placé à la tête d’un groupe d’enquêteurs un homme qui s’est toujours montré en fin de compte si « compréhensif » à l’égard des Forces démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) Ce mouvement rebelle, constitué des vestiges de l'armée et des milices Interahamwe qui ont commis le génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994, s’est enrichi de nouvelles recrues dans les régions congolaises qu’il occupe depuis plusieurs années. Il continue à y commettre impunément des atrocités inouïes et, pour financer ses opérations militaires, en exploite les minerais en toute illégalité. Il les revend sur le marché international et il serait intéressant de savoir qui sont ses clients.

Monsieur le Secrétaire général,
L’ONU savait-elle au moment de la nomination de Steve Hege qu’il est l’auteur de
« Understanding the FDLR in DR Congo », texte dans lequel il s’employait déjà à réhabiliter cette organisation génocidaire, présentée comme l’émanation d’un groupe de réfugiés aux revendications légitimes ? Agacé et attristé par plusieurs tentatives de rapprochement entre les gouvernements du Congo et du Rwanda, il avouait craindre que ce processus ne marginalise le FDLR qui, écrivait-il, « se sent profondément trahi par les Congolais ».

Il s’exprimait ainsi au moment même où le président Barack Obama, alors sénateur, adressait une lettre de protestation à Condoleezza Rice, la Secrétaire d’Etat de l’époque à propos des violences sexuelles contre les femmes congolaises. Permettez-nous d’en reprendre à votre intention le passage que voici : “ Les criminels – constitués de militaires congolais sans foi ni loi, de milices locales et d’anciens miliciens Hutu ayant trouvé refuge dans les forêts du Congo après avoir participé au génocide rwandais de 1994 – ont réussi à financer et entretenir des conflits armés en exploitant les ressources naturelles du pays et en s’attaquant aux villages où ils commettent d’inqualifiables atrocités.”

Voilà en quels termes le président Obama exprimait son indignation contre les génocidaires repliés au Congo.

Mais ce n’est pas tout.

En 2010, dans un document intitulé « Independent Oversight for Mining In The Eastern Congo : A proposal for a third party Monitoring and Enforcement Mechanism», Steve Hege et son associé Jason Stearns, lui-même curieusement ancien investigateur des Nations-Unies sur la violence au Congo, réclamaient le droit exclusif de s’occuper de la vente des minerais de l’Est du Congo pour le compte de leur organisation non gouvernementale dénommée CIC (« Center on
International Cooperation »), d’un budget annuel évalué entre 3 et 5 millions de dollars.

Ces deux hommes, à travers le projet évoqué ci-dessus ont fait état, publiquement et par écrit, de leur souhait de commercialiser les minerais de l’Est du Congo. Il est dès lors étonnant que l’ONU ait mis l’un d’eux en position d’arbitre sur une crise aux forts relents miniers dans la même région. Le pire c’est que nous ne savons même plus s’il faut s’étonner de conflits d’intérêt aussi manifestes que scandaleux ou au contraire les juger en parfaite cohérence avec une politique de spoliation du Congo qui ne date hélas pas d’aujourd’hui. Pour s’approprier le marché, Hege et Stearns affirment, avec condescendance, que « (les institutions locales congolaises) sont essentiellement faibles et facilement exposées à la manipulation politique, au conflit des intérêts, à la corruption et, plus important, à l’intimidation de la part des gouvernants et des militaires eux mêmes.» Le mépris à l’égard du peuple congolais, que ces deux personnes prétendent pourtant défendre, est aussi patent que leur désir de se substituer aux autorités de ce pays. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conditions n’étaient pas réunies pour l’élaboration d’un rapport objectif. Il nous est dès lors absolument impossible de comprendre le choix fait par le Conseil de Sécurité de reprendre à son compte les conclusions du Groupe d’Experts sans débat ni mise à l’épreuve préalable.

En tant que chercheurs, nous nous interrogeons sur l’impartialité et la rigueur d’une approche qui s’appuie largement et dans les termes les plus vagues sur une des parties, à savoir les officiels congolais et des opposants au régime de Kigali.

Nous notons au demeurant sans surprise que ce rapport-ci, comme les précédents, a fait l’objet d’une « fuite » bien opportune, destinée à distiller dans les medias et dans l’opinion internationale le message suivant : le monstrueux M23 est une création du Rwanda. Sauf votre respect, nous ne voyons pas ce que l’appui, fantasmé ou réel, du Rwanda à un tel mouvement, peut bien changer au fond de l’affaire. L’irruption du M23 sur la scène du drame congolais est postérieure à la présence de la Monusco et des groupes armés au Congo. Cela veut dire que le M23 est moins la cause qu’une simple conséquence d’une crise régionale aux multiples facettes. Certains choisissent d’ignorer cette évidence car il est plus commode pour eux d’instruire le procès de ces mutins que de parler des maux, connus de tous, qui gangrènent la société congolaise et dont le moindre n’est pas une corruption généralisée. Les rapports du Groupe d’experts de l’ONU ainsi que la couverture médiatique dont ils ont bénéficié aident à faire oublier les sociétés minières étrangères qui ont littéralement fait main basse sur le Congo. Oserons-nous vous suggérer de diligenter une enquête sur ce pillage ? C’est ce que le monde, l’Afrique, et en particulier le peuple congolais, attendent du Conseil de sécurité.

Monsieur le Secrétaire général,
Les Nations-Unies ont tort, à notre avis, de penser que la mise hors jeu du M23 et la suspension paradoxale de l’aide au développement du Rwanda - un pays salué pour la gestion rigoureuse, saine et transparente de son budget national - vont suffire pour ramener la paix à l’Est du Congo. L’expérience a également montré les limites de la solution militaire consistant à faire appuyer les forces gouvernementales congolaises par la Monusco. Sur le terrain, une telle option a pour principal résultat d’entretenir la guerre à laquelle on prétend par ailleurs mettre fin. C’est ainsi qu’au cours de la prise de Goma, le M23 a récupéré plus de 4 tonnes d’armes que l’on pourrait retrouver à un moment ou à un autre entre les mains de différents groupes rebelles.

Selon nous, la meilleure façon de contribuer à la paix et à la sécurité dans la région des Grands Lacs consisterait, entre autres,

- à décourager tout appui du Rwanda au M23 afin de permettre aux communautés
congolaises d’initier des discussions de fond sur leurs problèmes nationaux ;

- à décourager toute association du Congo avec le FDLR et tout soutien du
gouvernement congolais aux groupes armés qui sévissent actuellement sur son
territoire ;

- à s’attaquer à tous ces groupes armés et aux logiques qui en alimentent l’esprit
destructeur ;

- à prendre au sérieux les légitimes revendications sécuritaires du Rwanda.

- à oeuvrer sans relâche pour un rapprochement entre les gouvernements du Congo et du Rwanda ;

- à favoriser un échange franc et respectueux entre les forces intellectuelles, éthiques et spirituelles rwandaises et congolaises pour qu’elles initient et promeuvent un « vivre ensemble » fertile entre les communautés ;

- à initier des solutions qui intègrent les différents paramètres de la crise à l’Est du
Congo

- à réexaminer les accords occultes entre le gouvernement congolais et les
compagnies minières opérant sur son sol,

- à exiger une gestion saine des ressources du Congo par l’Etat congolais,

- à diligenter une enquête sur le clientélisme et l’enrichissement illicite de la classe
dirigeante congolaise actuelle, afin d’impulser une dynamique de gouvernance saine en RDC ;

- à privilégier la voie du dialogue initiée par la conférence des Grands Lacs et non
les menées bellicistes qui risquent de provoquer une grande guerre africaine aux
conséquences incalculables ;

- à protéger des communautés marginalisées prêtes à s’enrôler par désespoir dans des rébellions sans lendemain ;

- à défendre l’intangibilité des frontières congolaises, conformément aux voeux du
peuple congolais convaincu de la communauté de destin de toutes ses composantes ethniques ;

- à lier la notion d’intangibilité des frontières aux droits des communautés
propriétaires de leurs terres à vivre tranquillement et en toute sécurité dans leur pays en tant que citoyens congolais de plein droit ;

- à améliorer les méthodes de recrutement des enquêteurs de l’ONU dont les rapports ont une si grande influence sur le cours des évènements. Il est hautement souhaitable de veiller à ce qu’ils ne soient engagés qu’à l’issue de procédures transparentes et contradictoires, de nature à écarter tout risque ou soupçon de partialité de leur part.

Monsieur le Secrétaire général,
L’impératif de l’heure est la défense résolue par les Nations-Unies du principe de l’intangibilité des frontières congolaises. Elle est toutefois vouée à un échec certain si elle fait l’impasse sur les discriminations envers les citoyens congolais d’expression kinyarwanda, propriétaires de plein droit des terres congolaises où ils vivent de génération en génération depuis des siècles.

Pour bien comprendre la vulnérabilité d’une communauté marginalisée et indexée dans l’imaginaire congolais actuel comme la source de tous les maux du pays, il faut remonter aux origines du problème, à l’époque où, dans la dynamique de la Conférence de Berlin, des territoires rwandais sont devenus congolais ou encore lorsque, dans les années 30, des populations rwandophones ont été transplantées au Congo. Il n’y a pas longtemps, plus précisément dans les années 80, ces citoyens de seconde zone, privés de leurs doits civiques, étaient électeurs, mais pas éligibles. Au cours de la même période, durant « l’Opération Herbe », des étudiants Tutsi ont été battus et renvoyés des universités zaïroises. Du reste, afin que les objectifs visés par ces campagnes meurtrières soient bien clairs pour tous, un document a circulé en ce temps-là sous le titre révélateur : « Vive la nation zaïroise et à mort les usurpateurs de notre nationalité ». Ce texte appelait à « frapper ensemble et partout ces serpents (les étudiants Tutsi) qui veulent nous mordre ». Une décennie plus tard, au début des années 90, les Congolais Tutsi étaient tous interdits de participation à la « Conférence nationale souveraine », toujours sous prétexte qu’ils n’étaient pas « Zaïrois ». La chute de Mobutu, qui avait pourtant fait naître l’espoir de lendemains meilleurs grâce aux liens forgés dans la lutte contre la dictature, n’a fait qu’accentuer l’hostilité envers les Congolais rwandophones. De dérive en dérive, on en est arrivé aujourd’hui à ce qu’il faut bien appeler un désir ardent, quoique diffus, d’en finir une fois pour toutes avec ce que d’aucuns se permettent d’appeler « la question tutsi. » Certains milieux, ignorant les leçons de l’histoire, s’imaginent qu’il suffirait de se débarrasser de la communauté d’expression kinyarwanda du Congo pour améliorer les conditions d’existence du reste de la population.

Monsieur le Secrétaire Général,
Nous pensons qu’il est urgent de procéder à une analyse moins tendancieuse et étriquée de la situation du Kivu, préalable nécessaire à toute solution durable. Nous ne saurions trop insister sur le fait que la focalisation exclusive sur le M23 et le Rwanda est suspecte et encourage les discours venimeux chez les extrémistes de plus en plus hardis qui n’hésitent plus à appeler dans les media sociaux à l’extermination des Tutsi. Le gouverneur du Nord Kivu, Julien Paluku, des membres du gouvernement congolais, une certaine presse locale congolaise, des hommes d’Eglise comme Bishop Élisée, un musicien comme Boketsu 1er incitent, ouvertement ou insidieusement, à la haine contre les populations Tutsi du Congo. Il est temps que vous-même preniez, à l’inverse de celui qui occupait vos fonctions en 1994, la mesure des périls qui menacent des populations civiles sans défense et dont le seul tort est d’être ce qu’elles sont. Une grande partie de la population congolaise, chauffée à blanc par son gouvernement et par les accusations de Hege et d’une certaine presse, est aujourd’hui prête pour un meurtrier passage à l’acte. Les alliances entre les militaires de l’armée congolaise et les milices génocidaires sont un autre signe qui ne devrait tromper personne, et surtout pas vous qui avez une responsabilité particulière dans la préservation de la paix mondiale.

Monsieur le Secrétaire Général,
Nous demandons aux Nations-Unies de tout mettre en oeuvre pour qu’à l’absurde guerre de l’Est de la RDC se substitue enfin une paix durable. Cette paix est un rêve et nous avons voulu vous dire, à travers cette lettre, à quelles conditions il peut, selon nous, devenir une réalité. Pour préserver les chances de cette paix à venir, nous, écrivains, professeurs des Universités, chercheurs et artistes d’horizon divers, dénonçons la mutinerie du M23. Nous nous élevons également contre tout appui, d’où qu’il vienne, à ce mouvement armé. Mais nous estimons aussi qu’il est de notre devoir d’appeler la communauté internationale à traiter avec plus de sérieux et de rigueur la question de la présence de génocidaires lourdement armés sur le sol congolais, grave source d’inquiétude pour le Rwanda. Nous condamnons également avec fermeté la tentative de militarisation à outrance du Kivu par le gouvernement congolais.

Monsieur le Secrétaire général,
Nous vous invitons à prendre vos responsabilités face aux menaces sur lesquelles nous avons voulu attirer votre attention. Il n’en va pas seulement du destin des populations et de leur besoin de sécurité dans les pays des Grands Lacs ; il en va aussi de la crédibilité des Nations-Unies et de l’honneur de l’humanité. En souhaitant que 2013 soit l’année du dialogue et de la paix pour tous les peuples de la terre, nous vous prions d’accepter Monsieur le Secrétaire général, les assurances de nos meilleurs sentiments.

Signataires :

Boubacar Boris Diop, Sénégal, romancier, essayiste et enseignant, Université Gaston Berger, Saint-Louis- Senegal.

Godefroid Kä Mana, RDCongo, philosophe, analyste politique et théologien, Professeur, Université évangélique du Cameroun, Institut catholique de Goma-RDCongo.

Jean-Pierre Karegeye, Rwanda, Directeur du Centre d'études pluridisciplinaires sur le génocide, Professeur assistant, Macalester College, Minnesota-USA.

Margee Ensign, USA, Présidente de l’Universite américaine du Nigeria.

Koulsy Lamko, Tchad, Romancier, dramaturge, directeur de la Casa Hankili Africa, Centro Historico in Mexico.

Wandia Njoya, Kenya, Professeure assistante, Daystar University, Nairobi-Kenya.

Aminata Dramane Traoré, Mali, écrivaine, sociologue, ancienne ministre de la Culture.

Susan Allen, USA, Professeure, Emory University, Atlanta.

Jean-Claude Djereke, Côte d'Ivoire, Centre de Recherches Pluridisciplinaires sur les Communautés d'Afrique Noire et des Diasporas, Ottawa, Canada.

Jean-François Dupaquier, France, écrivain , Journaliste

Erik Ehn, USA, Directeur de programme, Writing for Performance, Brown University.

Mireille Fanon Mendes-France, France, Présidente, Fondation Frantz Fanon.

Gerise Herndon, USA, professeure, directrice de Gender Studies, Nebraska Wesleyan University.

Timothy Horner, USA, Professeur associé, Center for Peace and Justice Education, Villanova University.

Jean-Baptiste Kakoma, RDCongo, Médecin, Professeur, ancien doyen de la faculté de médecine, Ancien recteur de l'université de Lubumbashi en RDCongo, Directeur de l'école de Santé publique, Université nationale du Rwanda.

Aloys Mahwa, chercheur , centre d'etudes pluridisciplinaires sur le génocide, Kigali-Rwanda.

Yolande Mukagasana, Rwanda, écrivaine, Survivante du génocide, Lauréate du prix la colombe d'or, lauréate du prix Unesco de l'éducation pour la paix.

Timothée Ngakoutou, Tchad/France, professeur, ancien recteur de l'université du Tchad, ancien haut fonctionnaire de l'UNESCO chargé de mission pour l'éducation.

Moukoko Priso, Cameroun, Professeur, Université évangélique du Cameroon.
François Wokouache, Cameroun, cineaste, Directeur de KEMIT.

Photo : Ch. Rigaud © www.afrikarabia.com

13 janvier 2013

Centrafrique : Accord précipité à Libreville

L'accord qui fâche tout le monde… ou presque. Si l'on en croit certaines voix au sein du Séléka, Michel Djotodia, le chef de la délégation rebelle, aurait signé "un peu vite"  avec François Bozizé et surtout sans l'accord des chefs militaires. Sur le terrain, les commandants de la rébellion jugeraient le texte "inapplicable", donnant la part belle à l'opposition politique.

libreville--1-.jpgAprès un mois de conflit armé et trois jours de difficiles négociations, un accord a finalement été signé entre François Bozizé, la rébellion Séléka et l'opposition politique. Le texte prévoit l'organisation d'élections législatives dans 12 mois et la nomination d'un nouveau Premier ministre "issu de l'opposition politique". Le président centrafricain, François Bozizé sauve donc son fauteuil jusqu'au 2016 et ne pourra pas de représenter, tout comme il lui sera interdit de révoquer son Premier ministre pendant la période de transition. L'accord prévoit également "le retrait de toutes les forces militaires étrangères du pays" (on pense bien sûr aux mercenaires sud-africains), à l'exception des Forces africaines de la FOMAC. Le nouveau Premier ministre devrait être désigné très rapidement, puisque l'opposition politique a déjà désigné l'avocat Nicolas Tiangaye comme son candidat.

Une opposition politique archi-gagnante

Côté rebelle, l'ambiance est nettement moins euphorique. Très rapidement après la signature de l'accord, des voix dissonantes se sont faites entendre. La Séléka est en effet la grande perdante du texte de Libreville. La rébellion espérait au moins la primature, qui revient en fait à l'opposition politique, et une reconnaissance des grades militaires pour les rebelles. Au final : rien de tout cela ne figure dans l'accord de Libreville. Un membre du Séléka, très remonté, se demande quelle mouche a piqué son chef de délégation, Michel Djotodia, de signer aussi rapidement avec François Bozizé un tel texte. Quelque peu déboussolé, il nous affirme que "ces accords n'engagent pas les chefs militaires du mouvement… Ils sont tout simplement inapplicables !". Ce membre du Séléka trouve également que l'opposition politique sort archi-gagnante de Libreville, alors "qu'elle n'a rien fait". "C'est un peu comme si elle avait gagné au Loto !" conclut-il.

Un accord "mort né"

Depuis vendredi, jour de la signature de l'accord, ça tangue sévèrement au sein de la rébellion. Certains craignent même l'implosion du mouvement. Une autre composante du Séléka a ouvertement critiqué l'accord de Libreville ce dimanche sur internet. Il s'agit de l'Alliance pour la renaissance et la refondation (A2R). Cette faction, très nouvelle dans la "galaxie Séléka", est principalement constituée d'officiers des FACA, l'armée régulière centrafricaine, hostiles au régime Bozizé. L'A2R n'a rejoint la coalition Séléka que fin décembre 2012. Dans un communiqué rédigé à Bimbo, le 12 janvier dernier, l'A2R estime que "le rendez-vous de Libreville n’aura été qu’un bal macabre de fossoyeurs car les questions de fonds n’auront pas été abordées et tranchées". Et de conclure : "l’accord politique de Libreville est mort né".

Bozizé seul...mais toujours président

A Bangui, dans l'entourage de François Bozizé, l'accord de Libreville fait grincer quelques dents. On accuse en effet le président centrafricain d'avoir sauvé son poste, au détriment de son gouvernement et d'avoir "tout donné". Seul François Bozizé peut savourer les bénéfices de l'accord de Libreville : une présidence assurée jusqu'en 2016, une rébellion stoppée militairement, désorganisée politiquement et une opposition moribonde qui se querellera sans doute autour des postes gouvernementaux à se partager. Une seule interrogation ? Qu'a gagné Michel Djotodia a signer dans la précipitation cet accord ? On peut supposer avoir la réponse dans quelques jours, une fois le gouvernement de transition composé.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Conférence de Libreville © DR

RDC : L'opposition extra-parlementaire s'allie à la société civile

Une plateforme politique regroupe pour la première fois l'opposition extra-parlementaire et la société civile. L'Action pour une autre voie (AV) rassemble une vingtaine de partis politiques et des associations des droits de l'homme comme l'Asadho, les Toges Noires ou la Ligue des Electeurs. Cette plateforme citoyenne et non partisane prône "la cohésion nationale" et appelle au "dialogue politique".

139682_DK11475u.jpgUne nouvelle plateforme politique est née. L'Action pour une autre voie (AV) se propose de rassembler politiques et société civile autour de "la cohésion nationale et du retour du dialogue politique". En plus d'une vingtaine de partis politiques, l'AV regroupe également des associations de la société civile, comme les Toges Noires, l'Asadho, le Codhod, l'Acaj ou la Ligue des Electeurs.

Le Coordonnateur de la plateforme, Auguste Mampuya, dénonce "le climat politique et sécuritaire qui aboutit à une véritable impasse politique : panne de débat, panne d’initiatives, panne de gouvernance, panne des institutions…". L'objectif affiché : "sortir l’Etat du blocage actuel" dans un esprit citoyen et non partisan. Auguste Mampuya rappelle que "depuis les élections (entachées de nombreuses irrégularités, ndlr), c’est une évidence incontestable que notre pays et l’Etat connaissent une sorte d’impasse politique (…) exacerbée par l’insécurité et la guerre qui nous sont imposées par le Rwanda et l’Ouganda et leurs complices".

L'Action pour une autre voie (AV) propose au président Kabila "la convocation d’un dialogue politique franc et ouvert entre tous : pouvoir, opposition parlementaire, opposition extra-parlementaire, groupes armés, société civile et diaspora…" afin de "s'accorder sur une vision indérogeable de la maison commune Congo". L'appel de cette nouvelle plateforme répond ainsi positivement au "dialogue intercongolais" proposé début janvier par le président Joseph Kabila. Si les principaux partis d'opposition congolais (UDPS, MLC… ) ont tous rejeté la "main tendue" du président congolais, "un rassemblement national" est  "salutaire", argumente Auguste Mampuya.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

RDC : L'UE s'inquiète du sort de Pierre-Jacques Chalupa

L'affaire Chalupa préoccupe la délégation de l'Union européenne (UE) en République démocratique du Congo (RDC). L'opposant politique Pierre-Jacques Chalupa avait été condamné en octobre dernier à 4 ans de prison pour fausse attestation de nationalité congolaise. Selon l'UE, l'état de santé "préoccupant de l'ancien député nécessite une prise en charge médicale urgente".

EU-Flag-French-Moments-02.jpgDans un communiqué, la délégation de l'Union européenne a manifesté "sa profonde  préoccupation sur la situation de Pierre-Jacques Chalupa". Le président de l’ADD avait été condamné en octobre dernier à quatre ans d’emprisonnement pour détention d’une fausse attestation d’acquisition de la nationalité congolaise, d’une fausse carte d’électeur et d’un faux passeport congolais. Mais plusieurs ONG des droits de l'homme y voyaient un "acharnement" du pouvoir en place à Kinshasa pour "déstabiliser les opposants politiques" au président Joseph Kabila.

La délégation de l'Union européenne a rappelé qu'elle suivait "avec beaucoup d'attention le procès en appel le concernant devant la Cour Suprême de Justice". L'Union européenne s'inquiète "en particulier du fait que la Cour n'a toujours pas statué sur la requête de mise en liberté provisoire de M. Chalupa, motivée par sa situation médicale". La santé de l'ancien député congolais est en effet "préoccupante et nécessite une prise en charge médicale urgente qui ne peut être assurée en détention", poursuit le communiqué. Concernant le procès en appel de Pierre-Jacques Chalupa, l'UE souhaite que son cas "soit traité rapidement, de manière indépendante et équitable".

Commerçant né dans l’Est du Congo avant l’indépendance, de parents portugais et grecs, Pierre-Jacques Chalupa avait entamé il y a vingt ans sa naturalisation. Pour cela il avait d'ailleurs renoncé à la nationalité portugaise. L'opposant politique a toujours plaidé non coupable, qualifiant de non fondées les accusations du ministère public.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

12 janvier 2013

RDC : Lumumba en débat à Paris

Patrice Lumumba est toujours d'actualité. 52 ans après son assassinat, cet homme politique congolais continue de susciter un réel intérêt. Une conférence se tiendra à Paris, dimanche 20 janvier 2013 autour du nationaliste panafricain.

_39298996_lumumba300.jpgAlors qu'une énième enquête vient de s'ouvrir en Belgique sur les conditions de l'assassinat de Patrice Lumumba, le leader congolais continue de faire débat. En 2013, 52 ans après sa disparition, de nombreux congolais se revendiquent encore du "lumumbisme". A Paris, une conférence sera organisée à la Maison de l'Afrique, dimanche 20 janvier 2013. Une bonne occasion de se demander ce qui reste aujourd'hui de l'héritage de Patrice Lumumba.

Pour évoquer cette figure marquante du Congo : Anicet MOBE, sociologue et Historien congolais et le Professeur Jean Omasombo Tshonda, Historien, biographe de Patrice Lumumba et ancien membre de la Commission Lumumba à Bruxelles. Ces spécialistes retraceront la vie et le combat du premier Premier Ministre élu de la République du Congo. Un film sera également projeté, avant la conférence : "Assassinat de Lumumba: Une mort de style colonial", un documentaire de Thomas Giefer (2001). Des personnalités viendront également témoigner de "l'appui, réel ou supposé, proposé ou reçu des pays étrangers pour lutter contre l'éclatement du pays".

Dimanche 20 janvier 2013
de 15h00 à 18h00
Maison de l'Afrique
7, rue des carmes 75005 PARIS

10 janvier 2013

RDC : "Les milices ont remplacé l'armée"

Critiquée pour son inefficacité , accusée des pires exactions sur les populations civiles, l'armée congolaise doit se réformer. Dans un ouvrage retraçant l'histoire des armées en République démocratique du Congo, Jean-Jacques Wondo pointe les nombreux dysfonctionnements des forces de sécurité : manque de leadership politique, soldes insuffisantes, carence de formation, intégration ratée des rebelles, règne des milices… Jean-Jacques Wondo analyse pour Afrikarabia l'échec du secteur de la sécurité et ébauche des solutions.

Capture d’écran 2013-01-10 à 22.24.10.png- Afrikarabia : Quelle a été l'évolution des différentes armées congolaises depuis son indépendance en 1960 ?

- Jean-Jacques Wondo : Depuis le départ, ce pays n'a jamais disposé d'une armée comme nous l'entendons, c'est à dire d'une armée censée défendre le territoire national. Cet ouvrage propose une analyse synoptique qui montre que, dès la Force publique, jusqu'aux FARDC, cette armée a toujours été rongée par cette maladie que je qualifie d'intraversion (1), de perversion et de subversion.

- Afrikarabia : Aujourd'hui, l'armée congolaise est critiquée de toutes parts. Quels sont ses principaux travers ?

- Jean-Jacques Wondo : Une armée est avant une question politique. Donc le mal est d'abord politique. Il y a clairement un manque de volonté politique par que cette armée soit républicaine et nationale. De ce fait, on laisse les milices remplacer l'armée et faire n'importe quoi. Cette armée est une armée de milices. Elle n'obéit pas au principe de défense territoriale, mais aux intérêt de leurs chefs.

- Afrikarabia : En comparant l'armée congolaise de la période Mobutu à celle actuelle de Joseph Kabila, on s'aperçoit que l'on est passé d'un régime autoritaire fort à un régime autoritaire faible, avec des rébellions plus fortes que l'armée régulière.

- Jean-Jacques Wondo : Du temps de Mobutu, nous avions un pouvoir autoritaire sous une dictature et aujourd'hui, nous avons ce que je qualifie dans mon livre de "dictocratie". A la différence de Mobutu, nous avons actuellement en RDC un leadership faible. Il n'y a pas de leadership capable de mettre en place une réelle armée. Si vous comparez deux périodes : 1961-64 et la période 1998-2003. A quelques variantes près nous avons dans ces deux époques un Congo morcelé. Mais à l'époque, en 64-65, il y avait un leadership fort de Mobutu pour mettre fin au désordre.

- Afrikarabia : L'une des raisons avancées pour expliquer la faiblesse l'armée congolaise est d'ordre financière. Les soldes des soldats sont extrêmement modiques : 82$ pour un général quatre étoiles et 60$ pour un soldat de seconde classe.

- Jean-Jacques Wondo : Dans mon livre, je compare l'évolution des soldes de 2006 à 2010, complétée par des informations de 2012, où le salaire moyen d'un soldat des FARDC est passée de 10$ à 60$. Il y a donc eu une faible augmentation. Mais avec 60$, on est incapable de motiver une armée. J'ai été en contact avec un jeune officier l'année passée. Il a été témoin d'une mission assignée à un bataillon à l'Est du pays, comprenant environ 1.000 personnes. Ils ont reçu pour ces 1.000 personnes la somme de… 6.000$ ! Avec femmes et enfants ! Ces problèmes ne datent pas d'aujourd'hui, dès 1895, on a connu la première mutinerie au sein de la Force publique à Luluabourg. Mais c'est aussi la conception de l'armée qui est mal assimilée par nos politiciens, où l'on conçoit l'armée comme un danger pour le pouvoir politique. C'est aussi pour cette raison que l'armée régulière est "laissée pour compte" par les régimes.

- Afrikarabia : On parle aussi d'une autre problématique : celle du "brassage", c'est à dire de l'intégration de rebelles dans l'armée régulière après la signature d'accords de paix.

- Jean-Jacques Wondo : Le "brassage" est une des pistes de solution, mais pas la solution miracle. Le "brassage" a réussi en Sierra Leone. Au Libéria, il a plus ou moins bien marché. Chez nous en RDC, le "brassage" a été un échec. Le rapport de l'Union européenne, qui supervisait le "brassage", affirme qu'il y a eu des "ratés"… mais on ne peut pas accuser tout le monde. Le "brassage" a souffert au départ d'un défaut de conceptualisation. Au moment des derniers accords de paix (en 2009, ndlr), il fallait satisfaire tout le monde, rebelles et gouvernement. A un moment, le gouvernement est sorti de la logique du "brassage" pour passer à la "logique de régiments". Le CNDP (les rebelles de l'époque, ndlr) n'a pas voulu être mélangé avec les autres unités.

- Afrikarabia : Quelles sont les pistes à explorer pour reconstruire cette armée congolaise ?

- Jean-Jacques Wondo : La première piste est d'abord politique. L'armée, comme le dit von Clausewitz, "ce n'est que la continuation de la politique par d'autres moyens". Cela signifie que la puissance d'une armée est une option politique que l'Etat doit décider. Deuxième piste : la formation. Depuis 2001,  cela fait environ plus de 10 ans que le Congo n'a pas formé d'officiers sur son territoire ! Il y a eu quelques tentatives pour former des officiers à l'étranger, mais cela n'a pas vraiment marché. On peut déjà, entre des cycles de formation de 18 mois à 6 ans, commencer à former la base d'une armée efficace sur une période de 10 ans… il y a là aussi un problème de volonté politique et pourquoi pas "d'agendas cachés". Qu'est-ce qui nous empêche de créer des centres d'entraînement et de formation pour nos militaires dans la région du Bandundu par exemple, pendant qu'on tente de pacifier et sécuriser l'est du pays ? On parle beaucoup de la responsabilité de la communauté internationale, mais je veux dire aux Congolais que nous devons apprendre à assumer nos propres responsabilités. Il est tant que les Congolais développent ce que j'appelle la "résilience politique". Ce n'est pas le déploiement d'une force neutre à l'Est ou la construction d'un mur entre la RDC et le Rwanda qui vont faire que le Congo ait une Armée forte!

Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia

"Les armées du Congo-Kinshasa, radioscopie de la Force publique aux FARDC" de Jean-Jacques Wondo aux éditions Monde nouveau / Afrique nouvelle

(1) Intraversion : "qui vit centré sur lui-même, se détourne du monde extérieur"

07 janvier 2013

Centrafrique : Bozizé joue la carte sud-africaine

Le renfort de près de 400 soldats sud-africains à Bangui peut-il sauver le régime de François Bozizé ? Le président centrafricain semble le croire et pourrait miser sur un règlement militaire du conflit. Pour preuve : sa possible absence aux négociations prévues mardi à Libreville. Sur le terrain militaire, la rébellion accentue sa pression autour de Damara, dernier verrou avant Bangui.

carte RDC Afrikarabia Centrafrique Damara.jpgJacob Zuma sauvera-t-il François Bozizé ? L'Afrique du sud vient d'autoriser le déploiement providentiel de 400 soldats sur le sol centrafricain avec pour mission de "sécuriser la capitale", autant dire… le régime en place à Bangui. Si à Prétoria, la nouvelle a quelque peu fait tousser l'opposition au parlement sud-africain, à Bangui, le président Bozizé reprend confiance. Après la débandade de l'armée régulière face aux rebelles du Séléka, le président centrafricain ne devait son salut qu'au bon vouloir des troupes tchadiennes de la Fomac, basées à Damara, la porte d'entrée pour Bangui. Avec l'arrivée des sud-africains, François Bozizé change de mains protectrices et passe du Tchad (plutôt versatile c'est dernier temps) à l'Afrique du sud et peut de nouveau croire à un règlement militaire du conflit. Du coup, François Bozizé n'est plus vraiment disposé à se rendre à Libreville pour négocier avec des rebelles, qu'il pense désormais pouvoir dominer sur le terrain militaire. Le nom du président centrafricain, ne figure toujours pas dans la composition de la délégation de Bangui.

Les rebelles remettent la pression

Les rebelles ont rapidement compris le changement de stratégie de François Bozizé. Depuis l'arrivée en catimini, le 31 janvier dernier, de 3 gros porteurs sud-africains (voir Afrikarabia), le Séléka sentait bien que le vent avait tourné et qu'une contre-offensive gouvernementale se préparait, appuyée par les soldats sud-africains. Samedi 5 janvier, la rébellion a donc décidé de remettre la pression sur Bangui en prenant deux nouvelles villes autour de Bambari, Alindao et Kouango. Ce dimanche, de sources gouvernementales, on apprenait que les rebelles se tenaient à seulement 12 km de Damara, la fameuse "ligne rouge" et surtout, dernier verrou avant la capitale centrafricaine.

Bozizé absent à Libreville ?

Côté rebelle, on affirme être sûr que "Bozizé veut maintenant aller à la guerre". On regrette également "le temps perdu" par la CEEAC, l'instance régionale en charge du dossier, "qui nous a fait croire que François Bozizé voulait négocier, ce qui n'était visiblement pas le cas". Les négociations prévues à Libreville ce mardi sont donc bien mal engagées. L'absence possible de François Bozizé risque d'être très remarquée à la table des négociations, alors que les rebelles estiment que son départ du pouvoir "n'est pas négociable". Pour la coalition Séléka, la composition de sa délégation n'est pas encore effective et doit faire consensus entre toutes les composantes de l'alliance. La présence d'Eric Massi, notamment, n'était pas encore acquise.

Enfants-soldats ?

Une polémique est venue s'immiscer dans le conflit centrafricain : la présence d'enfants-soldats dans les rangs de la rébellion, mais aussi des milices pro-gouvernementales. Selon l'UNICEF, environ 2 500 enfants se trouveraient enrôlés dans différents groupes armés en Centrafrique. Des garçons et des filles séparés de leurs familles, qui peuvent être obligés de combattre, de transporter des fournitures ou risquent d'être abusés sexuellement, selon le représentant de l'UNICEF en Centrafrique, Souleymane Diabate. Seule la coalition Séléka a, pour le moment, démentie formellement avoir des enfants-soldats dans ses troupes. Les rebelles affirment même être disposés à recevoir les responsables de l'UNICEF dans les régions qu'ils contrôlent. Le Séléka se déclare également prêt à ouvrir un corridor humanitaire aux ONG pour venir en aide à la population.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

06 janvier 2013

RDC-Centrafrique : Conflits jumeaux ?

La République démocratique du Congo (RDC) et la Centrafrique font face à des rébellions capables de faire tomber les régimes en place. Le M23 s'est emparé pendant quelques jours de la ville de Goma et les rebelles du Séléka se trouvent aujourd'hui à une centaine de kilomètres de Bangui. Thierry Vicoulon, directeur du programme Afrique centrale d'International Crisis Group (ICG) analyse pour Afrikarabia les similitudes, mais aussi les différences entre ces deux conflits.

Thierry Vircoulon filtre 3.jpg- Afrikarabia : Quels sont les points communs entre la crise Centrafricaine et ce qui se passe actuellement en République démocratique du Congo ?

- Thierry Vircoulon : Dans les deux cas, nous avons une rébellion qui est plus forte que l'armée nationale et qui force le gouvernement à négocier, ce qu'il n'a évidemment pas envie de faire. Tout cela se passe sous l'égide d'une organisation régionale africaine, la CEEAC (1) dans le cas centrafricain et la CIRGL (2), pour la République démocratique du Congo. Dans ces deux conflits, nous voyons qu'il y a une demande d'intervention militaire extérieure. La CEEAC avait déjà une mission en Centrafrique qu'elle est en train de transformer en mission d'interposition et qui constitue le dernier rempart entre le pouvoir et les rebelles. En République démocratique du Congo, c'est la SADC (3) qui a été appelée à l'aide et est censée déployer des troupes dans les Kivus. Ces deux pouvoirs, Bangui et Kinshasa, se retrouvent donc dans une sorte de dépendance sécuritaire, faute d'avoir construit une armée suffisamment robuste pour résister à leurs rébellions.

- Afrikarabia : Dans ces deux pays, le point de départ de ces rébellions repose également sur un processus électoral raté et contesté ?

- Thierry Vircoulon : Les deux élections présidentielles, en RDC et en Centrafrique, ont eu lieu en même temps, en 2011 et ont montré aux forces politiques de ces pays que le pouvoir se resserrait. Les gouvernements congolais et centrafricains signifiaient alors qu'ils sortaient des logiques de partage des pouvoirs, négociées après les conflits et qu'ils souhaitaient monopoliser un peu plus le pouvoir pour leur deuxième mandat. Un monopole qui laissait penser aux oppositions congolaises et centrafricaines que ces pouvoirs comptaient effectuer une réforme constitutionnelle pour se représenter une troisième fois, ce qui est impossible dans les deux pays.

- Afrikarabia : Ce sont aussi des régimes qui ne peuvent plus compter sur leurs armées ?

- Thierry Vircoulon : Dans ces deux pays, il n'y a pas eu de réformes de l'armée, malgré les appels répétés de la communauté internationale, mais aussi des voix nationales. Ces appels n'ont pas été écoutés par ces deux régimes et ils se retrouvent aujourd'hui avec des forces armées qui sont, in fine, en situation d'infériorité par rapport aux rébellions.

- Afrikarabia : Est-ce que l'épilogue de ces deux "aventures rebelles" pourrait être le même à Bangui et à Kinshasa ?

- Thierry Vircoulon : La différence fondamentale entre les deux scénarios est d'ordre géographique. On voit que les rebelles centrafricains sont arrivés en 3 semaines aux portes de Bangui, alors que le M23 se trouve à quelques milliers de kilomètres de Kinshasa, sans aucune route. C'est la raison pour laquelle la configuration est différente. Mais la logique est la même. S'il y avait des routes qui traversaient la RDC et si le pays était moins grand, le M23, comme il le disait à une époque, aurait pu arriver aux portes de Kinshasa.

- Afrikarabia : N'est-ce pas dans ces conflits, la faillite de ce que nous appelons la communauté internationale ?

- Thierry Vircoulon : Il y a un désengagement politico-militaire très clair des européens et de Paris en Afrique, qui a comme contre-partie de soutenir des solutions africaines au crises africaines. C'est la CEEAC qui, dans le cadre d'une architecture de paix et de sécurité, doit gérer la crise centrafricaine et c'est la CIRGL qui est censée gérer les problèmes de paix et de sécurité dans les Grands Lacs. Dans la mesure où les européens sont maintenant en retraits, nous sommes là dans un système qui est logique. Ce sont désormais les instances africaines qui doivent gérer les problèmes de sécurité. Les Nations-unies, se retrouvent dans une situation un peu intermédiaire, où, elles sont là, mais n'ont plus une grande capacité d'initiative dans ces conflits et ont l'air de piétiner.

- Afrikarabia : Ce désengagement de la communauté internationale vous semble un phénomène durable ?

- Thierry Vircoulon : C'est le scénario qui a été mis en place il y a 10 ans lorsque l'Organisation de l'union africaine est devenue l'Union africaine (UA). Les crises africaines doivent être gérées par les africains et cette politique ne va pas changer. A moins d'une grande catastrophe, je ne vois pas cette politique changer. Au contraire, on va aller de plus en plus dans ce schéma. On le voit d'ailleurs dans le cas du Mali, où il faut des troupes de la CEDEAO pour intervenir, les occidentaux restants en deuxième ligne.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia

(1) CEEAC : Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale.
(2) CIRGL : Conférence internationale sur la région des Grands Lacs.
(3) SADC : Communauté de développement d'Afrique australe

Photo : Thierry Vircoulon à Paris © Ch; Rigaud www.afrikarabia.com

01 janvier 2013

Centrafrique (RCA) : L'agenda secret de la rébellion

En moins de 20 jours, une rébellion inconnue il y a encore quelques semaines, contrôle 85% de la Centrafrique et menace de renverser le président François Bozizé. Dans un entretien exclusif à Afrikarabia, un responsable du mouvement a accepté de lever le voile sur une partie des dessous de la coalition Séléka : le "réel" président du mouvement, leurs soutiens politiques, leur financement, mais aussi les premières mesures qu'ils prendront une fois au pouvoir.

carte RDC Afrikarabia Centrafrique 10km Bangui copie.jpgDepuis le 10 décembre 2012, une coalition de plusieurs mouvements rebelles (UFDR, CPJP, FDPC, CPSK et A2R) mène une offensive éclair sur la capitale centrafricaine. Objectif : faire tomber le régime du président François Bozizé. Face à une armée régulière qui fuit les combats et une force d'interposition tchadienne passive, la rébellion du Séléka se retrouve en mesure de prendre le pouvoir à Bangui. De ces rebelles, venus de plusieurs formations hétéroclites, on connait peu de chose. Un membre important de la coalition a accepté de nous dévoiler quelques secrets du mouvement. Il n'a pas souhaité divulguer son identité.

- Afrikarabia : A quand remonte l'idée de la coalition du Séléka ?

- La coalition de tous ces mouvements rebelles date de moins de 4 mois. Tout a commencé à partir de fin octobre 2012. Nous étions conscients que pour renverser le président Bozizé, il fallait passer par le Tchad et d'autres pays de la sous-région. Nous avons constaté que les relations s'étaient fortement dégradées entre la Centrafrique (RCA) et le Tchad. Nous avons réussi à convaincre de notre démarche certains proches du président Idriss Déby, que nous avons rencontré à Paris… des officiels de hauts rangs et des membres de son cabinet. Ils nous ont expliqué qu'ils étaient déçus de l'attitude et de l'incompétence du président François Bozizé. Plusieurs accords avaient d'ailleurs été signés entre le Tchad et la RCA et les choses traînaient.

- Afrikarabia : Quel était votre projet ?

- En 2003, c'est nous (certains membres de la rébellion, ndlr), qui avons aidé Bozizé à prendre le pouvoir. Malheureusement, Bozizé est devenu fou avec le pouvoir. Il n'était donc plus un interlocuteur valable pour les intérêts de la Centrafrique mais aussi du Tchad. Nous voulions quelqu'un de responsable pour prendre la tête du pays. Pour réussir notre objectif, nous étions convaincus qu'il fallait une coordination entre tous ces chefs rebelles. Au début cela a été difficile à mettre en place.

- Afrikarabia : Qui dirige ce mouvement ?

- Nous avons une stratégie au niveau de notre président. Pour l'instant, nous ne voulons pas que son nom soit connu. Nous n'avons pas voulu qu'il s'affiche tout de suite comme le porte-parole ou le coordinateur du mouvement. C'est donc pour cela que nous avons choisi, en accord avec le commandement militaire sur place, Eric Massi comme porte-parole de la coalition. Notre président sera connu une fois que le pouvoir sera tombé à Bangui. Je peux juste vous dire qu'il est très réservé et c'est un sage. La discipline, le respect des droits de l'homme et des populations civiles dans les rangs de nos militaires sont, par exemple, une stratégie mise en place par lui. Nous devons éviter toutes les erreurs commises par les autres mouvements rebelles en Afrique.

- Afrikarabia : Avez-vous le soutien d'autres pays ? On parle duTchad évidemment, mais aussi du Congo Brazzaville et du Soudan ?

- Nous avons le soutien politique de proches d'Idriss Déby, mais cela ne veut pas dire qu'on a le soutien personnel du président Déby. Concernant Sassou Nguesso, cela fait longtemps qu'il ne s'entendait plus avec Bozizé. Il a joué un rôle important, notamment pour demander au président Déby de ne pas intervenir militairement contre la rébellion. Quant au Soudan, c'est très clair, il n'y a aucun élément soudanais dans notre mouvement. D'ailleurs vous savez très bien que les relations ne sont pas bonnes entre le Tchad et le Soudan, ce serait donc contradictoire.

- Afrikarabia : Comment êtes-vous financé ?

- Le financement repose uniquement sur des petites cotisations entre nous.
La rébellion vit très difficilement. Les hommes font des sacrifices énormes. C'est le patriotisme qui anime nos soldats. Nous avons des problèmes pour acheter des crédits de télécommunication. On se cotise ici en Europe pour envoyer des crédits téléphoniques sur place par exemple...

- Afrikarabia : …il y a pourtant des uniformes neufs, des armes… cela ne peut pas être financé par de simples cotisations ?

- Croyez-moi, nous avons commencé cette rébellion sans aucun moyen. Le matériel et la logistique viennent uniquement de ce que nous avons récupéré aux forces armées centrafricaines (FACA). Nous n'avons pas un centimes et aucun soutien extérieur. Si nous avions de réels moyens financiers, François Bozizé serait tombé depuis longtemps.

- Afrikarabia : Quelles seront les premières mesures que vous prendrez si vous arrivez au pouvoir ?

- Si le régime de François Bozizé tombe, je peux vous annoncer que allons organiser une période de transition de 2 ans. Et ce délai ne sera pas dépassé. A la suite de cette transition, les responsables de la rébellion devront signer un amendement et s'engager à ne pas se représenter. Avant d'organiser les élections présidentielles, les élections municipales devront être organisées. Sur le plan politique, nous allons suspendre l'actuelle constitution, mais aussi le parlement, dans lequel règne en maître le clan Bozizé. Une Assemblée constituante sera nommée. Elle devra être représentative de toutes les forces vives de la RCA. Puis, nous allons mettre en place une commission des droits de l'homme, une commission de lutte contre la corruption, une commission des biens mal acquis et une commission vérité et réconciliation. François Bozizé a déchiré ce pays. Il est actuellement en train de monter des Centrafricains contre d'autres Centrafricains. Pour terminer, nous souhaitons également garantir la sécurité de tous nos voisins.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia