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30 juillet 2013

RDC : Première mission pour la Brigade de l'ONU

L'ONU vient de lancer la première opération de sa Brigade d'intervention "offensive" (FIB), très attendue par Kinshasa. Les casques bleus se joindront à l'armée congolaise (FARDC) pour établir une "zone de sécurité" au Nord de Goma et de Sake et protéger ainsi les civils des groupes armés. Un ultimatum de 48 heures a également été lancé à "toute personne possédant une arme à feu" pour désarmer et se démobiliser.

Capture d’écran 2013-07-30 à 22.38.12.pngLa Mission des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo ( MONUSCO) a décidé de frapper les esprits. Souvent accusée d'inefficacité sur le terrain militaire et de lenteur dans la mise en place de sa Brigade d'intervention, l'ONU vient d'accélérer le pas lors d'une conférence de presse ce mardi. Annoncée sous forme de teasing sur Twitter ("annonce importante de la Monusco à 16h30"), la conférence de presse donne le coup d'envoi de la première mission de la fameuse Brigade d'intervention de l'ONU (FIB), censée "neutraliser les groupes armés" grâce à un mandat plus "offensif". La participation de la FIB n'est mentionnée qu'en fin de communiqué, mais il s'agit bien là de l'information principale de l'annonce onusienne.

Désarmer les rebelles

L'entrée en scène de la Brigade est habilement présentée par la Monusco. L'ONU annonce tout d'abord la création d'une "zone de sécurité" autour de Goma (on croyait que les casques bleus étaient déjà censés sécuriser la zone !). Cette zone devrait débuter à l'Ouest de la capitale provinciale du Nord-Kivu au niveau de la ville de Sake pour englober tout le Nord de Goma et se terminer à la frontière rwandaise (voir carte ci-dessous). En gros, toute la zone qu'occupe actuellement la rébellion du M23 et que souhaite reprendre l'armée régulière. Deuxième annonce : "toute personne qui ne fait pas partie des forces de sécurité nationales et possède une arme à feu à Goma et dans les localités situées au nord de la ville" sera considérée "comme une menace imminente pour les civils". A compter du 1er août à 16h00, ces personnes seront donc désarmées par la Monusco, "y compris par la force".

Capture d’écran 2013-07-31 à 15.25.35.pngLa Brigade arrive... enfin

Enfin troisième information : l'opération sera constituée pour la première fois des éléments de la Brigade d'intervention, conjointement avec la Brigade de la Monusco du Nord-Kivu (BNK). La nouvelle est de taille tant cette Brigade est attendue par les autorités congolaises. Après la prise de Goma par les rebelles du M23, fin 2012, Kinshasa avait procédé à un fort lobbying diplomatique pour recevoir une aide militaire à l'Est du pays. La réponse de l'ONU s'était concrétisée dans l'envoi de cette Brigade de 3.000 hommes, munie d'un mandat "offensif" et d'une mission claire : "neutraliser les groupes armés". Rappelons que de nombreux analystes de la région doutent de son efficacité sur un terrain aussi difficile que les collines du Nord-Kivu.

Quid des autres groupes armés ?

La mise en place de la "zone de sécurité" à partir du 1er août sonne donc comme l'heure de vérité pour l'ONU en RDC. L'efficacité des 17.000 hommes de la Monusco présents en RDC, a souvent été très critiquée. Et pour Kinshasa, l'arrivée de ces 3.000 "super casques bleus" constitue un peu la solution de la dernière chance pour battre militairement les rebelles du M23. Si une vingtaine de groupes armés sévissent au Nord-Kivu, la cible numéro de l'ONU semble se concentrer sur le seul M23. Mais les autres groupes armés (Maï-Maï ou FDLR... ) pourront sous aucun doute migrer en dehors de la zone (la Brigade ira-t-elle les traquer ?). L'accélération de la mise en place de la Brigade, qui ne devait être opérationnelle que début septembre a sans doute été accélérée par la reprise des combats le 14 juillet dernier entre M23 et FARDC. L'armée régulière comptera sur la présence de la "zone de sécurité" et de la Brigade pour continuer son offensive sur les rebelles, qui, pour le moment sont dans la retenue. Seule question : pour combien de temps ?

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

26 juillet 2013

RDC : Bavure des FARDC à Rumangabo ?

L'armée congolaise (FARDC) a bombardé mercredi 24 juillet un quartier de Rumangabo, près d'une base rebelle du M23. La rébellion et plusieurs témoins font état de 4 morts et 10 blessés et accusent l'armée d'avoir "raté sa cible". Les FARDC reconnaissent avoir attaqué le camp militaire, mais sans faire de victime civile.

Capture d’écran 2013-07-26 à 19.26.21.pngQue s'est-il passé à Rumangabo mercredi dernier ? Dans ce village situé à 45 km au Nord de Goma, les hélicoptères de l'armée régulière congolaise (FARDC) ont lancé une offensive aérienne sur un camp militaire de la rébellion du M23. Les appareils des FARDC, des MI-24, ont bombardé Rumangabo "en haute altitude" dans un raid éclair, selon des témoins. Le bilan est lourd d'après l'agence Reuters, relayé par le Washington Post  : 4 morts dont 3 enfants, une dizaine de blessés (un homme a perdu une jambe) et plusieurs maisons détruites. L'information est d'abord donnée par le président de la rébellion, Bertrand Bisimwa. Le M23 affirme que ce sont des civils qui ont été touchés dans un quartier d'habitation qui se trouve en amont de leur centre de formation militaire. Un bombardement "raté" et  "irresponsable" puisque "tiré de beaucoup trop loin", estime un autre membre du M23.

Des corps atrocement mutilés

corps.pngTrès rapidement, un habitant contacté par l'Agence France Presse, confirme la thèse de la "cible manquée" par l'hélicoptère des FARDC. "Le camp n'a pas été touché, les avions ont bombardé ici", dit-il en désignant des habitations détruites. Le responsable du Parc des Virunga apporte lui aussi son témoignage à l'agence Reuters, car il est aux première loges des combats. "Les hélicoptères ont tiré sur Rumangabo et il semble qu'il y a un certain nombre de victimes" raconte  Emmanuel De Merode. Le directeur du Parc explique qu'une dizaine de blessés ont été admis dans son infirmerie. Pour preuve de la violence des dégâts causés par l'attaque des FARDC, le M23 diffuse plusieurs clichés des victimes, que nous avons pu consulter. La plupart des photos sont impubliables et montrent des corps atrocement mutilés, éventrés ou démembrés. Nous ne sommes bien sûr pas en mesure d'authentifier le lieu et la date des prises de vues.

"Pas de victime civile"

Jeudi 25 juillet, l'armée congolaise sort de son silence et dément avoir tué des civils à Rumangabo. Les FARDC reconnaissent le bombardement du camp militaire de la rébellion mais récuse toute victime civile : "notre cible était les éléments du M23 dans le camp de Rumangabo, le bombardement n'a pas tué de civil", affirme l'armée sans plus d'explications. Difficile en effet pour les autorités congolaises de vérifier sur le terrain les conséquences d'un bombardement dans un territoire sous contrôle rebelle. Le M23 ironise sur l'embarras de l'armée régulière : "depuis cette bavure, les attaques des FARDC ont cessé depuis 2 jours… comme par miracle !". Un peu plus tard le porte-parole de l'armée congolaise intervient pour affirmer que "les cibles ont bien été atteintes à Rumangabo" et accuse désormais le M23 "d'avoir tiré sur des civils qui fuyaient". Une version tardive un peu alambiquée.

"Cible ratée"

Dans la guerre de l'information que se livrent les autorités congolaises et le M23, il est souvent difficile d'y voir clair: les deux camps se rejettant la plupart du temps la responsabilité des combats. Dans la "bavure" de Rumangabo, on pourrait voir un contre-feu allumé par le M23 pour "faire oublier" les accusations de Human Rights Watch qui dénonce  les "exécutions sommaires" de la rébellion (1). Mais les témoignages d'habitants et du directeur du Parc des Virunga semblent plutôt accréditer la thèse de la  "cible ratée" et donc d'une erreur d'appréciation de l'armée congolaise.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

(1) voir notre article sur Afrikarabia

Photos diffusées par le M23 © DR

22 juillet 2013

RDC : HRW accuse le M23 "d'exécutions sommaires"

"Les rebelles du M23 ont exécuté sommairement au moins 44 personnes". C'est ce qu'affirme Human Rights Watch (HRW) qui a recueilli une centaine de témoignages au Nord-Kivu. L'ONG apporte également de nouvelles preuves du soutien du Rwanda au M23, mais dénonce aussi les exactions commises par les FDLR et l'armée congolaise.

filtre DSC02372.jpgAlors que les affrontements ont repris le 14 juillet à l'Est de la République démocratique du Congo, entre les rebelles du M23 et l'armée congolaise, Human Rights Watch dénonce les exécutions sommaires commises par la rébellion. Selon l'ONG, le M23 a exécuté "au moins 44 personnes et violé au moins 61 femmes et filles depuis mars 2013". HRW a également recueilli plusieurs témoignages d'habitants du Nord-Kivu et de rebelles déserteurs attestant que le M23 reçoit toujours de l'aide en provenance du Rwanda. "Parmi ces activités figurent des mouvements réguliers du Rwanda vers la RD Congo d'hommes en uniforme de l'armée rwandaise et l’approvisionnement du M23 en munitions, en vivres et en autres fournitures provenant du Rwanda", note l'ONG dans son communiqué.

Recrutements au Rwanda

Parmi les hommes recrutés au Rwanda par le M23, figurent des militaires rwandais démobilisés, mais aussi d'anciens combattants des FDLR, ainsi que des civils rwandais. "Un jeune Rwandais âgé de 15 ans", explique Human Rights Watch, "raconte que lui et trois autres jeunes hommes et garçons avaient reçu la promesse d'emplois en tant que gardiens de vaches en RD Congo, mais qu'une fois arrivés dans ce pays, ils avaient été forcés de rejoindre le M23. Ils ont suivi en RD Congo une formation militaire dispensée par des officiers rwandais et on les a avertis qu'ils seraient abattus s'ils tentaient de s'enfuir. D'autres déserteurs du M23 ont également affirmé que des officiers rwandais formaient les nouvelles recrues de ce groupe". (voir les témoignages recueillis par HRW)

Les FDLR au banc des accusés

Mais le M23 n'est pas le seul pointé du doigt. En plus des exactions commises par le M23, Human Rights Watch dénonce plusieurs meurtres et viols commis par les miliciens hutus congolais des FDLR. Certains officiers de l'armée congolaise auraient apporté un soutien à des factions des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rwandais à majorité hutue, allié à ces milices congolaises, et dont certains membres ont participé au génocide de 1994 au Rwanda.

L'armée régulière également coupable

L'armée régulière congolaise (FARDC) n'est pas en reste. Selon l'HRW, "certains officiers et responsables gouvernementaux ont fourni un appui aux FDLR ou à des groupes qui leur sont alliés". l'ONG dénonce aussi la manière dégradante dont ont été traités les cadavres de combattants M23 par l'armée congolaise. "Le droit international interdit de commettre des atteintes à la dignité de la personne, y compris contre des morts", rappelle Human Rights Watch. L'ONG appelle les autorités militaires congolaises "à sanctionner de manière appropriée les officiers et les soldats responsables du mauvais traitement de cadavres". On peut noter que l'ONG oublie les nombreuses exactions commises par les FARDC : vols, viols, pillages… notamment à Minova.

Accusations partiales ?

Dans ces nombreux rapports, HRW a souvent été accusé par le M23 et le Rwanda de "partialité". L'ONG pointe souvent la rébellion comme l'unique source d'exactions en RDC, alors qu'une vingtaine d'autres groupes armés pullulent au Nord et Sud-Kivu. Les groupes d'auto-défense Maï-Maï sont peu cités dans les rapports d'Human Rights Watch. Et pour la population congolaise, l'armée nationale est considérée comme la seconde source de violence en RDC. Le M23 a souvent remis en cause les méthodes de l'ONG pour recueillir ses témoignages. Le journal Libération sous-entendait qu'Human Rights Watch paierait ses témoignages contre le M23. Si l'ONG dénonce dans son communiqué "44 exécutions sommaires", la rébellion affirme qu'elle attend toujours les preuves des "massacres de masse" dont on l'accuse. Il n'empêche que l'apparition du M23 en mars 2012 a bien ravivé la vingtaine de groupes rebelles… et les exactions qui vont avec. Le mouvement du 23 mars constitue bien le principal facteur de déstabilisation dans les Kivus, ce qui n'est évidemment pas le cas des groupes Maï-Maï, composés chacun d'une centaine d'hommes, tout au plus. Dans ce présent communiqué, on voit bien que l'ONG met l'accent sur les exactions du M23, mais corrige le tir en accusant (à juste titre) les autres groupes armés. Un ajustement bienvenu.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

21 juillet 2013

RDC : Les Kivus au bord de l'embrasement

L'armée congolaise a lancé une importante offensive contre les rebelles du M23 autour de la ville de Goma à l'Est de la République démocratique du Congo. Après une semaine de combats, le conflit peut-il se généraliser ?

soldat.JPGLa trêve entre M23 et gouvernement congolais aura été de courte durée. Après plusieurs mois d'atermoiements aux négociations de paix de Kampala, les armes ont de nouveau parlé dans les Kivus. Les hostilités ont repris dimanche 14 juillet à l'initiative de l'armée régulière congolaise (FARDC). Objectif : déloger les rebelles de Mutaho, une colline à une dizaine de kilomètres au Nord de Goma. Ce point stratégique situé sur les hauteurs permet à la rébellion de garder un oeil sur la ville et de l'attaquer, comme ce fut le cas en novembre 2012. Pendant une dizaine de jours, le M23 s'était alors emparé de la ville, sans résistance, devant une armée congolaise fantôme, avant de la libérer après avoir obtenu des négociations avec Kinshasa. Mais depuis plusieurs mois les pourparlers de paix de Kampala piétinent. Et la reprise des combats la semaine dernière n'est que le résultat de ce rendez-vous manqué.

Les affrontements entre l'armée congolaise et le M13 tombent à un moment clé du conflit. Le gouvernement de Kinshasa ne sait plus comment sortir des négociations de paix de Kampala, où il est bien décidé à ne faire aucun compris avec la rébellion. Et le M23 s'inquiète de l'arrivée prochaine de la fameuse Brigade d'intervention de l'ONU (FIB), un corps de 3.000 hommes, censé neutraliser les groupes armés dans les Kivus, par la force. Dans ce contexte de tensions, on pourrait donc penser que les deux belligérants ont intérêt à faire parler les armes.

C'est vrai pour le gouvernement congolais. Kinshasa veut faire oublier l'humiliation de la prise de Goma de novembre 2012 et ne veut pas céder devant la rébellion. La guerre contre le M23 est populaire en RDC et Joseph Kabila a la volonté de regagner un peu de légitimité après sa réélection contestée en 2011. Les FARDC se sont renforcés pendant les longs mois du "dialogue de sourds" de Kampala et l'Etat major a concentré ses meilleurs éléments (et également décidé de les payer en temps et en heure !). Le déclenchement des hostilités par Kinshasa avait donc pour but de s'attaquer frontalement au M23 avec de nouvelles troupes et un nouveau matériel plus performant. Mais l'autre objectif de Kinshasa était de précipiter l'ONU et sa Brigade dans le conflit le plus rapidement possible. Car les autorités congolaises comptent beaucoup sur la Brigade pour les sortir du cycle infernal : rébellion/accords de paix/nouvelle rébellion/nouveaux accord de paix… Pour le moment, si militairement les "succès" des FARDC sont limités, l'armée congolaise a réussi mettre la pression sur la rébellion en tentant une stratégie d'encerclement autour des ses positions. L'ONU, elle aussi, se retrouve sous pression, avec le double inconvénient d'être désormais critiquée par le M23 (car soutenant les FARDC) et par l'armée congolaise qui l'accuse de l'empêcher d'affronter les rebelles.

Côté M23, la situation est différente. Coincés par Kampala, dont l'issu demeure plus qu'incertaine, les rebelles redoutent l'arrivée de la Brigade d'intervention de l'ONU. Ce contingent de 3.000 hommes peut fortement déstabiliser le M23, qui ne compte qu'au maximum 2.500 soldats, certains analystes parlant même de seulement 1.500. Attaquer Goma une nouvelle fois aurait pu être une stratégie intéressante pour les rebelles. Jusqu'à fin mai, début juin, la ville était "reprenable" et une nouvelle chute de Goma aurait considérablement changé la donne à Kampala. Mais le M23 n'a pas bougé. Son parrain Rwandais, longuement sermonné par la communauté internationale pour son assistance aux rebelles congolais, se tient désormais en retrait. Kigali siège maintenant au Conseil de sécurité et tous les regards sont fixés sur le Rwanda et la situation au Nord-Kivu. Impossible pour le président Kagame d'apparaître comme le fauteur de trouble. La seule stratégie possible pour le M23 est donc l'attente et la conservation de ses positions autour de Goma en espérant que la Brigade "offensive" de l'ONU soit aussi inefficace que sa cousine la Monusco.

Le conflit peut-il se généraliser ? Ou même se régionaliser comme certains le craignent ? Pour les rebelles du M23, cette hypothèse serait sans doute la seule solution militaire possible pour de nouveau s'imposer sur l'échiquier congolais. Pour cela, il suffirait de plusieurs incidents sérieux avec les pays voisins de la RDC : le Rwanda, l'Ouganda ou le Burundi. Le Rwanda est d'ailleurs rapidement monté au créneau la semaine dernière dénonçant la chute de 2 obus congolais en territoire rwandais.  Alors seulement, ces pays pourraient entrer dans le conflit ou prêter main forte de manière plus visible au M23. Le pari serait risqué. Le risque d'embrasement est donc pour l'instant peu probable.

L'évolution de la situation sécuritaire dans les Kivus se trouve en fait entre les mains de la communauté internationale et de l'ONU tout particulièrement. Si les FARDC se sont montrés plus offensifs ces derniers jours qu'en novembre dernier, il paraît difficile de penser que l'armée congolaise viennent seule à bout du M23. Pour cela, il faudra l'intervention et le soutien actif de la Monusco et de la Brigade d'intervention. Pour l'instant, la Monusco n'est pas intervenu et la Brigade n'est pas prête. Les FARDC sont donc peut-être allés un peu vite en besogne puisque la Brigade ne sera finalement pas complètement opérationnelle avant… début septembre. Un laps de temps ou tout est encore possible.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

RDC : Le cas Ndongala préoccupe le PS français

Dans un communiqué, le Parti socialiste français (PS) dénonce "les actes de harcèlement et les mesures de détention arbitraires" subit par l'opposant congolais Eugène Diomi Ndongala. Emprisonné depuis avril dernier, Diomi Ndongala vient d'être transféré au camp militaire Kokolo dans un état de santé jugé critique par ses proches. Retour sur l'affaire Ndongala.

diomi ndongala5.jpgLe très mauvais feuilleton judiciaire dont est victime le dirigeant de la Démocratie chrétienne (DC), Eugène Diomi Ndongala, commence à inquiéter Paris. Le Parti socialiste français vient en effet de publier un communiqué sans équivoque sur le cas de cet opposant congolais "harcelé" par le régime du président Joseph Kabila, selon les propres termes du communiqué.

Après les élections contestées de novembre 2011, Diomi Ndongala, allié de l'opposant Etienne Tshisekedi, a fortement contesté la réélection du président Kabila. Depuis, les "mésaventures" s'enchaînent pour Ndongala. Alors que le patron de la DC prépare une coalition de partis d'opposition pour contrer Joseph Kabila, Ndongala se voit accuser de viol sur mineures dans un scénario "préfabriqué dont le pouvoir de Kinshasa est coutumier" selon ses proches. Il "disparaît" alors quelques jours plus tard à Kinshasa. La Démocratie chrétienne dénonce "un enlèvement des services de sécurité congolais" (ANR), tandis que les autorités affirment qu'il est "en fuite" pour "échapper à la justice". Ndongala réapparaît comme par miracle, le 22 juin 2012, la veille du Sommet de la Francophonie et de la venue du président français François Hollande.

Mais les déboires d'Eugène Diomi Ndongala ne s'arrêtent pas là. Le député d'opposition se retrouve maintenant accusé de "complot contre l'Etat" et de "tentative d'assassinat du président Kabila". Là encore, les accusations sont "grotesques" selon la DC En juin, son mandat de député est invalidé et le prive de son immunité. Ndongala se retrouve passible de la peine de mort. Enfin le 8 avril 2013, le voici interpellé et conduit à la prison centrale de Makala. Depuis, sa femme Patrizia, lance des appels répétés pour sa libération ou au moins sa mise en résidence surveillée, car son mari serait extrêmement malade. La santé de Diomi Ndongala s'est en effet fortement dégradée depuis son arrivée à Makala où les soins sont réduits au strict minimum.

Dernier épisode en date, Ndongala aurait été transféré le 18 juillet dernier au camp militaire Kokolo, de sinistre réputation. La Démocratie chrétienne dénonce "la militarisation de la prise en charge médicale de son président et condamne la stratégie du régime kabila de vouloir à tout pris éliminer Diomi Ndongala à travers son refus de lui administrer des soins".

Le Parti socialiste (PS) français, par la voix de Jean-Christophe Cambadélis, vient d'apporter son soutien à Diomi Ndongala. Le PS déclare "suivre avec attention les nouvelles vicissitudes judiciaires imposées à l’opposant congolais, soumis à une justice clairement partiale et reste vigilant sur le sort de cet opposant". Le parti socialiste déclare "attendre plutôt du pouvoir congolais que soit organisé enfin un dialogue politique inclusif et sincère afin de remédier aux carences patentes de la démocratie en République démocratique du Congo". On peut difficilement penser que le président français, François Hollande, n'a pas été tenu informé de cette prise de position de son propre parti.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Diomi Ndongala © DR

14 juillet 2013

RDC : Des combats au Nord de Goma ce dimanche

Afrikarabia logo V2.pngLes affrontements ont repris dimanche 14 juillet 2013 entre les rebelles du M23 et l'armée congolaise (FARDC) à seulement 10 km de Goma. Les combats ont débuté en début d'après-midi aux environs de Mutaho. Le M23 affirme avoir été attaqué par l'armée régulière vers 14h, mais aussi par les FDLR et les Maï-Maï Nyatura. Selon des sources locales, l'aviation gouvernementale serait entrée en action. Les FARDC déclarent avoir répondu a une attaque du M23. L'armée gouvernementale s'était déjà lancée dans une offensive de la base rebelle de Mutaho en mai dernier.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

MISE A JOUR à 16h45

RDC : Joseph Kabila condamné à l'ouverture politique

Fragilisé par une réélection contestée, une majorité affaiblie et la reprise de la guerre au Nord-Kivu, le président Joseph Kabila se cherche de nouveaux alliés. Pour élargir sa majorité, Joseph Kabila vient de lancer des "concertations nationales". Avec en ligne de mire : une modification de la Constitution pour sa candidature pour la présidentielle de 2016.

Kabila hôtel Karavia.pngOpération réélection. C'est désormais un secret de polichinelle : le président congolais Joseph Kabila prépare sa prochaine candidature à la présidentielle de 2016. Le hic : la Constitution ne lui permet pas de se présenter à un troisième mandat. Seul moyen de contourner l'obstacle : modifier la Constitution. L'opposition et les organisations des droits de l'homme sont vent debout contre toute révision de l'article 220, limitant à deux mandats les présidents congolais.

Manque de légitimité

A J - 3 ans, Joseph Kabila a encore un peu de temps pour faire passer cette modification "en douceur". Mais les difficultés sont nombreuses. Joseph Kabila devra d'abord tenter de faire oublier les élections calamiteuses de novembre 2011 dont les résultats sont entachés d'irrégularités et de soupçons de fraude massive. Un parfum l'illégitimité plane depuis sur le président Kabila. La communauté internationale a boudé sa cérémonie d'investiture et les bailleurs font grise mine. Pour remonter la pente, Joseph Kabila a fait le ménage au sein de la Commission électorale (CENI) en remplaçant le très contesté Daniel Ngoy Mulunda (un proche) par le plus présentable Apollinaire Malu-Malu. L'opposition, qui ne s'estime "pas dupe", accuse le nouveau président de le CENI de préparer des élections "sur mesure" pour Joseph Kabila.

Recherche alliés désespérément

Pour faire voter une modification de la Constitution et pouvoir se représenter aux élections de 2016, Joseph Kabila devra compter sur sa majorité dans les deux chambres (Assemblée nationale et Sénat). Mais depuis sa réélection de 2011, Joseph Kabila a perdu une grande partie de sa garde rapprochée et de ses fidèles : Vital Kamerhe est passé dans l'opposition en 2010, son plus proche conseiller, Katumba Mwanke, est décédé dans un accident d'avion en 2012, John Numbi a été placé est "au vert" au Katanga après l'affaire Chebeya, Daniel Ngoy Mulunda a été éjecté de la CENI après les tripatouillages électoraux de 2011 et le Palu d'Antoine Gizenga n'est plus un allié de poids. Reste Evariste Boshab et Aubin Minaku, mais certains les considèrent comme "non-fiables", avec des ambitions personnelles qui pourraient faire de l'ombre au président sortant.

Une chance : la guerre à l'Est

Devant ce champ de ruine, le président Kabila se trouve dans l'obligation de trouver de nouveaux partenaires. Cela tombe bien, l'opposition est plus divisée que jamais et certains hommes politiques n'hésitent pas à franchir le rubicon comme l'ex-MLC François Muamba, nommé récemment "coordonnateur du mécanisme national de suivi de l’accord d’Addis-Abeba" par Joseph Kabila lui-même. Car le président congolais a de la chance. Depuis mars 2012, les rebelles (ex-CNDP) du M23 ont repris les armes au Nord-Kivu et se sont emparés de la ville de Goma pendant une dizaine de jours. Le pays est "agressé" et Joseph Kabila se mue en victime. Il demande l'aide de la communauté internationale, bien obligée de voler au secours du président congolais.

Concertations nationales : le piège ?

C'est dans ce contexte de retour à la guerre que Joseph Kabila lance l'idée d'un "dialogue national" devant l'urgence de la situation l'Est. L'idée est de créer un semblant d'unité nationale autour de sa personne et de retrouver ainsi un soupçon de légitimité. L'opération peut se révéler rapidement gagnante et Joseph Kabila convoque des "concertations nationales" (dont la date n'est pas encore fixée). Grâce à ce nouveau dialogue inter-congolais, le président espère réunir autour de la table l'ensemble de l'échiquier politique congolais. Joseph Kabila pourrait ainsi trouver un consensus minimal autour de sa personne et  justifier sa candidature "d'union nationale" pour un nouveau mandat alors que le pays est "en pleine guerre". L'opposition crie à la "supercherie", au "piège" et pense que ces concertations seront uniquement l'occasion des quelques "débauchages" dans ses rangs… pour faire mieux passer la révision de la Constitution. L'opposition rejette pour le moment toute participation aux concertations, même si on commence à voir quelques fissures, puisque certains conditionnent désormais leur présence.

Kabila maître du temps

Pour modifier la constitution, le président Joseph Kabila a bien compris qu'il devait ouvrir sa majorité à de nouveaux alliés, et continuer à diviser l'opposition. En activant des concertations nationales "ouvertes" à l'opposition, à la société civile et à la diaspora, le président congolais espère ainsi donner des gages de bonne volonté à la communauté internationale. Le temps joue en sa faveur. Aucune issue rapide ne se profile dans le conflit au Nord-Kivu : les pourparlers de paix de Kampala sont au point mort et l'arrivée de la Brigade d'intervention de l'ONU, plus offensive que les actuels casques bleus de la MONUSCO, risque plus de figer la situation militaire, que de stopper la guerre. Mais attention, pour que l'opération séduction de Joseph Kabila réussisse, il faudra un minimum de représentants de l'opposition autour de la table des concertations nationales… et pour le moment c'est plutôt mal parti. 

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

08 juillet 2013

RDC : La diaspora intégrera les concertations nationales

La diaspora grande oubliée du dialogue nationale ? Nous posions cette question sur ce site il y a quelques jours. La publication du règlement intérieur des futures concertations répond aujourd'hui à cette question : 18 délégués issus de la diaspora feront finalement partie du dialogue souhaité par le président Joseph Kabila. Des concertations qui sont pourtant loin de faire l'unanimité dans l'opposition.

concertations.pngLe projet de règlement intérieur des prochaines concertations nationales (consultable ici) prévoit 18 sièges pour la diaspora. A Paris, le représentant de la Diaspora congolaise favorable au dialogue (DCFD) se dit satisfait de cette intégration, "qui plus est reconnue comme composante à part entière", souligne Gaspard-Hubert Lonsi Koko, son porte-parole. Dans ces colonnes, nous avions relayé son appel pour la participation de la diaspora au dialogue national (lire Afrikarabia). Le règlement intérieur associera la diaspora à la société civile, au même titre que "les confessions religieuses, les défenseurs des droits de l'homme ou la magistrature (article 5-5)". Gaspard-Hubert Lonsi Koko estime que 8 délégués pourraient représenter l'Europe.

Mais pour le moment, ils sont bien peu nombreux dans les rangs de l'opposition à vouloir s'asseoir à la même table que la Majorité présidentielle. "Un piège" pour la plupart des opposants. L'UNC de Vital Kamerhe a estimé que "la question de la légitimité des dirigeants actuels de la RDC devrait faire partie de ces discussions". L'UDPS et ses alliés dénoncent "la démarche biaisée" de Joseph Kabila et demandent la médiation de personnalités neutres, comme l'envoyé spécial de l'ONU. "Le président Kabila est juge et partie" accuse Jean-Claude Vuamba sur le site de Radio Okapi. "La convocation du dialogue devrait être précédée par la mise en place d’un comité préparatoire, incluant toutes les parties prenantes afin d’en définir le format, l’ordre du jour, les mécanismes de suivi et d’exécution des décisions" estime Vuamba qui déclare ne pas vouloir participer aux concertations si le schéma actuel est maintenu.

En France, la diaspora est plutôt hostile au dialogue souhaité par le Chef de l'Etat, dont le plus grand nombre conteste la réélection de Joseph Kabila et donc sa légitimité. Sur le site Afrikarabia, les réactions des Congolais sont nombreuses à vouloir refuser leur participation à "une mascarade présidentielle". Certains se demandent comment peut-on s'asseoir à la table d'un régime "sans aucune légitimité qui emprisonne les vrais opposants comme Eugène Diomi Ndongala, Jacques Chalupa ou le Pasteur Kutino". D'autres appellent "au soulèvement populaire contre le régime", plutôt que d'aller discuter avec Joseph Kabila. Gaspard-Hubert Lonsi Koko prend les choses avec philosophie. Il ne s'estime "pas dupe" de la volonté du chef de l'Etat d'utiliser l'opposition dans ces concertations pour renforcer sa légitimité, mais le porte-parole du DCFD pense que pour peser, "il vaut mieux être dedans que dehors". Pour l'instant, aucune date n'a été fixée pour le démarrage des concertations nationales.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

07 juillet 2013

Centrafrique : "Il y a risque de somalisation" selon Thierry Vircoulon

La situation est toujours alarmante en Centrafrique, 4 mois après le renversement de François Bozizé par les rebelles de la Séléka. Le pays se retrouve plongé dans une crise sécuritaire, politique et humanitaire. International Crisis Group (ICG) vient de publier un rapport qui demande aux partenaires internationaux de s'engager davantage pour financer la transition. Pour Thierry Vircoulon, responsable pour l'Afrique centrale d'ICG, "l'existence de la Centrafrique en temps qu'Etat en remis en cause", si rien n'est fait.

Thierry Vircoulon filtre 5.jpg- Afrikarabia : Près de 60 000 personnes ont fui la République centrafricaine depuis décembre 2012 et le pays compte actuellement 200 000 déplacés internes. Comment expliquer que la situation sécuritaire et humanitaire ne se soit pas améliorée depuis l'arrivée de la Séléka au pouvoir ?

- Thierry Vircoulon : La situation en Centrafrique ne s'est pas améliorée parce qu'en arrivant au pouvoir, la Séléka n'avait aucun plan. La Séléka reste une coalition extrêmement fragile. La Séléka n'est ni un parti politique, ni une structure de gouvernement. La grande différence entre le coup d'Etat de Bozizé et celui de la Séléka, c'est que Bozizé venait de l'Etat, toute sa carrière venait de là, alors que la Séléka n'est composée que de groupes armés, venant du Nord-Est du pays.

- Afrikarabia : Dans votre rapport (1) vous mettez la priorité sur l'amélioration de la sécurité dans le pays. Comment peut-on faire ?

- Thierry Vircoulon : La Séléka a fait rentrer plusieurs milliers de combattants dans Bangui et elle n'est pas en mesure de les contrôler. Essentiellement parce qu'elle n'a pas d'argent pour payer les soldes de ses soldats. La principale priorité est donc de faire en sorte que ces combattants sortent de Bangui. Deuxièmement, il faudrait lancer un processus de "désarmement, démobilisation et réinsertion" (DDR), suivi d'une "réforme des services de sécurité" (RSS). On voit bien qu'une stabilité à long terme de la Centrafrique dépend d'une réforme de l'armée. Il y a bien eu quelques initiatives, mais elles montrent surtout combien la Séléka a du mal à contrôler ses propres hommes. Les ex-rebelles ont créé une sorte de police de la Séléka. Cette police était censée notamment récupérer les voitures volées par les miliciens, mais elle se heurte au manque d'unité de commandement au sein de la coalition et elle a beaucoup de mal à s'imposer.

- Afrikarabia : La problématique budgétaire est également importante. Les caisses de l'Etat centrafricain sont vides, que préconisez-vous dans votre rapport ?

- Thierry Vircoulon : La situation budgétaire est assez critique, avec des fonctionnaires qui ne sont pas payés. Il faut donc une aide budgétaire d'urgence. Cette aide devrait être octroyée par le consortium de bailleurs : le FMI, l'Union européenne, la Banque mondiale et éventuellement la CEMAC. Mais ces 4 institutions devraient se mettre ensemble autour d'une table et se concerter plutôt que de prendre des initiatives séparées. La CEMAC avait validé une aide, mais elle a été refusée par le FMI. Il doit y avoir concertation.

- Afrikarabia : Certaines personnalités, comme l'archevêque de Bangui, demandent la mise sous tutelle de la Centrafrique. Est-ce une bonne idée ?

- Thierry Vircoulon : Cette prise de position est surtout l'expression de l'extrême désespoir dans lequel se trouvent les Centrafricains qui n'ont plus aucune confiance dans leurs propres capacités à surmonter la crise. Le pays se délite depuis fort longtemps et l'existence même de la Centrafrique comme Etat est en cause. Je ne suis pas d'accord pour qu'il y ait une mise sous tutelle, mais je suis pour une prise en charge internationale forte. Avec, d'une part, un appui sécuritaire important, d'autre part une aide financière à la relance de l'administration centrafricaine et enfin une aide humanitaire pour parer au plus pressé.

- Afrikarabia : Il y urgence selon vous ?

- Thierry Vircoulon : Oui, tout cela met trop de temps à se mettre en place. On a vu les incidents de sécurité se répéter à Bangui entre la population et les miliciens de la Séléka.

- Afrikarabia : Vous prévenez également dans votre rapport que l'échec de la transition ferait de la République centrafricaine une sorte de "ventre mou" de l'Afrique centrale et laisserait le champ libre aux différents groupes armés.

- Thierry Vircoulon : Oui, l'existence de la Centrafrique en temps qu'Etat en remis en cause : il n'y a plus de services de sécurité, il n'y a plus d'administration fonctionnelle… tous les attributs de l'Etat sont en train de disparaître. La Centrafrique risque de n'être plus qu'un territoire et plus un Etat. Et un territoire sera vite occupé par les groupes armés présents sur le terrain. Il y a un risque réel de scénario à la somalienne. Il n'est pas impossible que l'on voit arriver des éléments islamistes radicaux qui profitent de l'absence d'autorités en Centrafrique pour s'y implanter. On pense notamment à Boko Haram.

- Afrikarabia : Peut-on également craindre un retour par la force de François Bozizé que l'on dit réfugié au Sud-Soudan ?

- Thierry Vircoulon : François Bozizé semble effectivement avoir disparu et se cache. Cela est peut-être lié au mandat d'arrêt émis par Bangui. Mais pour relancer une offensive, il lui faudrait, comme en 2003, un parrain. Peut-être est-il en train d'essayer d'en trouver un. Une chose est sûre, ce ne sera plus Tchad.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia

(1) Le rapport complet d'International Crisis Group sur la Centrafrique est téléchargeable ici

Photo : Thierry Vircoulon © Ch. Rigaud

05 juillet 2013

La Centrafrique en débat à Toulouse du 18 au 20 juillet

4 mois après la chute de François Bozizé, la situation sécuritaire est toujours critique en Centrafrique. Le nouvel homme fort de Bangui, Michel Djotodia, peine à s'imposer et le risque d'une crise humanitaire guette. A Toulouse, la Centrafrique sera au coeur des débats pendant 3 jours : rencontres, projections, débats, concerts... pour mieux comprendre ce pays, oublié des médias.

Capture d’écran 2013-07-07 à 14.18.44.pngDu 18 au 20 juillet 2013, Toulouse se penchera au chevet de la Centrafrique au cours de 3 journées de réflexion sur la situation de ce petit pays d'Afrique centrale. Organisée par l’Association PASSES TRAD DANSE, "La Centrafrique au coeur des débats" permettra de réunir une centaine de participants et de faire le point 4 mois après le renversement du régime de François Bozizé. Ces rencontres rassembleront des spécialistes du monde politique, économique et culturel ou des représentants des collectivités territoriales et de la société civile.

Au cours de ces 3 jours, plusieurs aspects de la situation centrafricaine seront abordés : la sécurité nationale et les groupes rebelles, l'aide au développement, la culture, le "sentiment d'unité nationale", la lutte contre la corruption... Ces débats seront rythmés par des projections, des lectures et des concerts. Ces journées se tiendront du 18 au 20 juillet 2013 à l’Espace des diversités et de la laïcité, 38 rue D'Aubuisson à Toulouse. Pour toutes les infos pratiques et le programme complet, cliquez ici.

04 juillet 2013

RDC : L'ARP dément la dissolution de son exécutif

L'Armée de résistance populaire (ARP) du général dissident Faustin Munene dément formellement la dissolution des membres de l'éxecutif de son mouvement, annoncée par plusieurs sites internet. "De fausses informations", selon l'ARP, publiées "dans le seul but de nuire à la réputation du parti et de son commandant en chef".

Capture d’écran 2013-07-04 à 22.55.56.pngL"ARP de Faustin Munene est-elle en crise ? C'est ce que croient savoir deux sites internet qui ont relayé une information annonçant la dissolution du secrétariat général et de tous les membres du comité exécutif par le général Faustin Munene, patron de l'ARP. Le site CongoTribune affirmait tenir son information du directeur de cabinet de Munene, Maitre Michel Kanama. Selon ce proche du général dissident, "cette décision intervient, après de fortes tractations dans le mouvement, suite aux manquements graves constatés dans le comportement de certains membres de l’Exécutif et le manque de transparence dans la gestion des dossiers sensibles qui menaçaient l’unité".

Mais quelques jours plus tard, le 30 juin 2013 , le secrétaire général de l'ARP, Fanfan Longa Foamba publie un démenti formel et se dit "surpris par cette fausse information qui n'engage que son auteur". Selon le secrétaire général de l'ARP, cette annonce avait "pour seul but de nuire à la réputation du mouvement ainsi qu'à son commandant en chef". Fanfan Longa Foamba affirme que le comité exécutif de l'ARP "garde le contrôle du mouvement".

Entré en dissidence en 2010 et accusé de vouloir renverser Joseph Kabila, le général Faustin Munene a été condamné par contumace, avant de se réfugier à Brazzaville. Munene dénonce les pressions incessantes de Kinshasa sur les autorités du Congo-Brazzaville afin de l'extrader et estime que le régime de Joseph Kabila cherche régulièrement à déstabiliser son mouvement politico-militaire.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

RDC : La diaspora oubliée du dialogue national

Joseph Kabila a annoncé la prochaine tenue de "consultations nationales" dans un contexte de crise politique après les élections contestées de 2011 et la reprise de la guerre à l'Est du pays. A Paris, la Diaspora congolaise favorable au dialogue (DCFD) regrette l'absence de la diaspora à cette initiative.

Afrikarabia logo V2.pngAnnoncé en janvier 2013, le dialogue national voulu par Joseph Kabila devrait finalement voir le jour. Le président congolais a signer dernièrement une ordonnance convoquant des "consultations nationales" sous la direction de deux de ses proches : Aubin Minaku, le président de l'Assemblée nationale et Léon Kengo, le président du Sénat. Objectif de ces consultations : "rétablir la cohésion nationale, consolider l'unité du pays et mettre fin aux cycles de violence à l'Est du pays afin de permettre la reconstruction du pays". Un programme ambitieux qui butte sur l'affaiblissement du chef de l'Etat congolais depuis la présidentielle contestée de novembre 2011 et le retour de la guerre au Nord-Kivu. Les "consultations nationales" devraient se dérouler sur 15 à 20 jours à une date encore "indéterminée" par l'ordonnance présidentielle.

Si l'opposition politique, UNC et MLC en tête, ont rejeté en bloc leur participation au dialogue national, certains partis (ils sont peu nombreux) approuvent la démarche du président Kabila. C'est le cas à Paris de la Diaspora congolaise favorable au dialogue (DCFD). Gaspard-Hubert Lonsi Koko, son porte-parole, approuve l'initiative présidentielle. Il souhaite en effet la tenue d'"un véritable dialogue républicain, sans exclusive, entre les Congolais". Selon lui, il y a urgence à consolider "la cohésion nationale, la concorde sociale, les institutions étatiques (…) face aux diverses tentatives de déstabilisation de la partie orientale de la République démocratique du Congo". Si Gaspard-Hubert Lonsi Koko ne cautionne pas la politique de Joseph Kabila (il a toujours revendiqué sa place dans l'opposition), le porte-parole de la DCFD rejette la politique de la chaise vide.

Mais il y a un autre bémol de taille : l'absence de la diaspora congolaise à ces concertations. Pour Gaspard-Hubert Lonsi Koko, "tous les Congolais sont égaux devant la loi" et il ne comprend pas que la diaspora soit écartée du processus. "La diaspora constitue quasiment 1 province entière de la RDC. Nous participons économiquement et  socialement à la vie du pays", explique-t-il. Dans un communiqué publié à Paris, la DCFD espère donc "que ce facteur sera pris en compte avant l’articulation concrète desdites concertations – la reconstruction de la souveraineté de l’État devant être l’œuvre de tous les Congolais, indépendamment de leur lieu de résidence". La diaspora mène depuis de nombreuses années un long combat pour la reconnaissance de ses droits en RDC. Lors du processus électoral de 2011, les Congolais de la diaspora congolaise n'avait pas pu participer au scrutin depuis leurs pays de résidence.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Plus d'infos sur www.afrikarabia.com

03 juillet 2013

RDC : "L'affaire Chebeya" indésirable au Cameroun

Le documentaire "L'affaire Chebeya, un crime d'Etat ?" et son réalisateur, Thierry Michel, ne sont pas les bienvenus au Cameroun. Le cinéaste a été informé par le directeur du festival "Ecrans noirs" qu'il serait immédiatement refoulée dès son arrivée au Cameroun et que son film a été retiré de la programmation. Thierry Michel accuse Kinshasa d'être à la manoeuvre.

Capture d’écran 2013-07-03 à 10.24.02.pngLe documentaire sur l'affaire Chebeya n'en finit pas de déranger les autorités de République démocratique du Congo (RDC). Son réalisateur, Thierry Michel, affirme que son film, "L'affaire Chebeya, un crime d'Etat ?", a été retiré du festival de Yaoundé "Ecrans noirs" sur "demande expresse" du gouvernement congolais. Le cinéaste a également été averti par le directeur du festival qu'il serait refoulé dès son arrivée au Cameroun malgré un visa en bonne et due forme délivré par l'ambassade camerounaise à Bruxelles.

Ce film sur l'assassinat en 2010 d'un militant des droits de l'homme à Kinshasa alors qu'il avait rendez-vous avec le chef de la police congolaise, avait déjà valu plusieurs "tracasseries" à son auteur. Le film avait été interdit de diffusion en République démocratique du Congo et Thierry Michel avait été refoulé à l'aéroport de Kinshasa en juillet 2012. Mis en cause dans le documentaire, le chef de la police congolaise, John Numbi, avait également attaqué le film en justice en Belgique, avant d'être débouté.

Il faut dire que le documentaire de Thierry Michel pointe avec force les "errements" (pour ne pas dire plus) de la justice congolaise dans l'affaire Chebeya. Dans le film, un des policiers met directement en cause l'ancien chef de la police, John Numbi, considéré par les parties civiles comme le commanditaire du meurtre. Toutes les pistes convergent vers ce proche du président Joseph Kabila, pourtant, la justice congolaise a toujours refusé de le mettre en cause. L'épisode camerounais n'est qu'un énième soubresaut des autorités de Kinshasa pour tenter d'"enterrer" le procès Chebeya, dont les principaux accusés (sauf John Numbi) sont rejugés de manière chaotique depuis le 19 juin 2012.

L'interdiction camerounaise pose également plusieurs questions : celle de l'indépendance des autorités de Yaoundé face à des pressions extérieures et surtout le "silence radio" (pour l'instant) des partenaires du festival "Ecrans noirs" : l'Institut Français qui dépend du Ministère de la culture français et Ministère des Affaires étrangères, France 24, RFI ou Canal+… dont on aurait pu attendre un geste.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

MISE A JOUR : Mercredi dans l'après-midi, Thierry Michel a annoncé la levée de l'interdiction du film qui sera bien projeté jeudi 4 juillet dans le cadre du festival "Ecrans noirs". Le cinéaste indique également qu'il "n'est plus convié à venir présenter le documentaire".

Pour en savoir plus sur l'excellent film "L'affaire Chebeya, un crime d'Etat ?" : www.chebeya-lefilm.com

Rwanda : Dieulefit inaugure une stèle en souvenir du génocide des Tutsi

Samedi 29 juin 2013, la maire socialiste de cette  petite commune de la Drôme a inauguré une stèle « à la mémoire du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 » et une plaque en souvenir de Jean Carbonare (1926-2009), qui habitait dans la commune. C’est la seconde stèle posée en France après celle de Cluny (Saône-et-Loire), en avril 2011. D’autres monuments sont prévus dans diverses villes de France.

Capture d’écran 2013-07-03 à 09.29.05.pngLa scène s’est produite le 28 janvier 1993 devant des millions de téléspectateurs. Invité de Bruno Mazure dans le « 20 heures » de France 2, Jean Carbonare, Dieulefitois depuis 1970, tire la sonnette d’alarme. Il rentre d’une mission internationale d’enquête menée au Rwanda par d’importantes ONG, dont la Fédération internationale des associations de défense des Droits de l’Homme (FIDH) et Human Rights Watch (HRW). Ses membres ont constaté des massacres et violations des droits de l’Homme massifs. Ces exactions sont commises en totale impunité par les Forces armées rwandaises (FAR), les milices du régime et des organisations présidentielles secrètes dont un « escadron de la mort » qui liquide nuitamment les « ennemis ». Les cibles : des Hutu démocrates et surtout l’ensemble de la population tutsi, stigmatisée comme « complice » (Ibyitso) de la rébellion du Front Patriotique Rwandais. Ce mouvement armé réclame à la fois le partage du pouvoir et le retour des quelque 500 000 Tutsi chassés du Rwanda à la suite d’une succession de pogroms.
Comme les Juifs en France sous l’Occupation, les Tutsi sont supposés identifiables à leur morphologie différente, à commencer par leur « nez tutsi » (sic), et plus encore par la mention « ethnique » de leur carte d’identité. Le Rwanda est alors le seul pays avec l’Afrique du Sud, où la carte d’identité mentionne la « race » de son porteur : ici, Hutu, Tutsi, Pygmée (« Twa », 1% de la population) et même… « naturalisé », ce qui signifie sans race !
Les enquêteurs des Droits de l’Homme ont notamment découvert qu’au Rwanda des militaires français aux barrages routiers se vantent de reconnaître les Tutsi au premier coup d’œil et les font descendre des autobus pour les livrer aux Forces armées rwandaises (FAR). Certains disparaissent. Femmes et jeunes filles sont généralement violées.  Par ailleurs, des rebelles capturés ont été « interrogés » devant des officiers français, une situation inattendue pour qui connaît les méthodes d’interrogatoire des FAR : les prisonniers sont généralement battus à mort.
Les experts de la FIDH et de HRW ont été révulsés par leurs découvertes. Ils discutent pour savoir s’il faut appliquer le terme de « génocide » aux pogroms anti-tutsi qui n’ont encore fait « que » 2000 à 3000 morts entre 1990 et décembre 1992. L’ambassadeur de France à Kigali Georges Martres minimise et parle de « rumeurs ». Face au journaliste Bruno Mazure, Jean Carbonare prend son courage à deux mains. Il adjure le gouvernement français de peser de tout son poids pour obliger le régime Habyarimana à mettre fin  aux atrocités. Les larmes aux yeux, il parle du risque de « génocide ». A l’Elysée, on ricane. C’était quinze mois avant le génocide des Tutsi.

A Dieulefit aussi, Jean Carbonare a longtemps prêché dans le désert.  Après 1994, dévasté par le souvenir de cette occasion manquée d’épargner un million de vies, il a mis toutes ses compétences au service du nouveau chef de l’Etat rwandais, Pasteur Bizimungu. Lorsque ses problèmes cardiaques l’ont empêché de continuer à résider à Kigali (1 600 mètres d’altitude), il est revenu à Dieulefit avec son épouse Marguerite parler et reparler de sa passion du Rwanda. Il était toujours à contre-courant. Il s’est installé à Dieulefit,  ce pays de toutes les résistances. Après la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685, la population de Dieulefit, protestante, a été victime des « dragonnades » ces blancs-seings donnés aux cavaliers militaires (« Dragons ») pour violer, tuer, terroriser les habitants afin qu’ils abjurent leur « erreur ». Mais comme Jean Carbonare plus tard, Dieulefit est resté intimement protestant, rebelle aux manipulations. Issue d’une ancienne famille protestante de Dieulefit, Marguerite Soubeyran (1894-1980) y créa en 1929 avec Catherine Krafft (1899-1982)  l’École nouvelle de Beauvallon à Dieulefit. Elles y accueillirent et cachèrent des centaines d’enfants juifs jusqu’en 1944. Marguerite Soubeyran et Catherine Krafft furent désignées  « Justes parmi les nations » en 1969.
Dans ce pays « où personne n’est étranger », les villageois ont protégé plus de 1 500 Juifs et autres persécutés durant l’Occupation (Lire Anne Vallaeys, Dieulefit ou le miracle du silence, Ed. Fayard, Paris, 2008). Pas une seule lettre de dénonciation, pas une trahison. Le terreau était donc propice pour comprendre l’indignation et la révolte de Jean Carbonare devant l’épouvante : l’implication de l’Etat français dans un génocide contemporain.
Deux ans avant son décès, Jean Carbonare a fait se rencontrer son médecin, le Dr Anne-Marie Truc, et un ami rwandais, le Dr Ezéchias Rwabuhihi. « Il m’a parlé du Rwanda, de ce que les Tutsi avaient subi, raconte Anne Marie Truc. Tout ce sur quoi je fondais ma vie, mes valeurs, tout ça se fissurait. J’ai éprouvé un terrible besoin de comprendre, j’ai lu quantité de livres sur le Rwanda. Je me suis demandé ce que je pouvais faire ».
De cette rencontre est née une association : Intore za Dieulefit ( l’homme accompli). Un  premier voyage est organisé au Rwanda, sur les collines de Bisesero. Ce n’est pas un choix de hasard. En avril 1994, 50 000 Tutsi se sont regroupés sur ces collines au sud-Ouest du Rwanda pour résister collectivement aux tueurs. Mitraillés, harcelés, machettés, ils ne sont plus qu’environ 2 000 lorsqu’un petit détachement français de l’opération « militaro-humanitaire » Turquoise les découvre le 27 juin 1994. Le colonel rend compte à sa hiérarchie et promet que des renforts vont venir d’ici deux jours. Bizarrement, son compte-rendu se perd (lire « Complices de l’inavouable » de Patrick de Saint-Exupéry, Ed. Les Arènes). Lorsque les rescapés sont « redécouverts » par un autre détachement français et des journalistes le 30 juin, les tueurs ont mis à profit ce délai pour liquider la moitié des Tutsi encore vivants.
Bisesero est donc pour les rescapés un site particulièrement lourd de souffrances et de ressentiment. « Lorsque nous sommes arrivés en février 2009, nous faisions profil bas. Aux survivants et habitants réunis j’ai dit “Nous avons appris ce que vous avez vécu ici et ensuite comment les soldats français vous ont laissé encore 3 jours sans défense face aux miliciens. Nous avons été tellement malheureux  que nous avons voulu venir de France pour vous demander pardon et vous offrir notre amitié et notre soutien. Nous comprendrions que vous refusiez. Acceptez-vous notre amitié ?” », raconte Anne-Marie Truc. Ezéchias Rwabuhihi est présent ainsi que le maire Bernard Kayumba,lui-même rescapé de Bisesero, et qui a été témoin de l’arrivée des soldats Français.  Ils expliquent la démarche des visiteurs. « Il y  a eu un grand silence, puis des applaudissements », raconte encore Anne-Marie. Nous nous étions renseignés sur ce que nous pourrions faire et l’association avait acheté une douzaine de vaches qui attendaient dans le champ voisin. Ces vaches seront données à des veufs et veuves du génocide pour leur procurer une petite aisance financière. La vache est le cadeau par excellence au Rwanda. Elle ne remplace pas les morts, mais sa présence à la maison constitue une consolation appréciable. Les membres de « Intore za Dieulefit » sont dorénavant reçus comme des frères et sœurs à Bisesero.

Depuis le premier voyage en  2008, l’association n’a cessé de recruter dans la petite commune de la Drôme. Ses membres sont revenus au Rwanda, toujours plus nombreux et plus motivés. A ce jour, ils ont distribué près de 250 vaches et financé la construction d’une école primaire. Ils sont soutenus depuis le début par l’association des Amis de Beauvallon, et l’école de Beauvallon qui permet que des séminaires de réflexion  et d’information se tiennent dans ses murs. Tolérance, citoyenneté, esprit de résistance, compassion, ne sont pas des slogans à Dieulefit, mais une pratique quotidienne de voisinage. Bien loin des intrigues et des petits calculs politiques de Paris où on a cyniquement affirmé que l’action  de la France au Rwanda avait été « admirable ».

A Dieulefit, Anne-Marie Truc et ses amis ont réussi à faire venir des conférenciers, à organiser des séminaires, à projeter des films sur le Rwanda. Dans ce pays protestant, on n’a pas hésité à s’interroger sur le rôle des églises pendant le génocide des Tutsi et le massacre politique des Hutu démocrates. Beaucoup de Dieulefitois suivent de près l’application du « pacte d’amitié » signé par la mairie de Dieulefit et le district de Karongi, dont dépend Bisesero. Au point que la maire socialiste de Dieulefit, Christine Priotto,  a décidé de se rendre, elle aussi, au Rwanda et à Bisesero lors de l’inauguration de la nouvelle école primaire en novembre 2011.
Tous les Français meurtris par le génocide de 1994 et l’implication d’une poignée de personnages peu recommandables, installés aussi bien à l’Elysée que dans les hautes sphères de l’armée française, n’espèrent pas à brève échéance une « déclaration de repentance » de l’Etat. Il a fallu un demi-siècle pour qu’un président de la République reconnaisse la responsabilité de la France dans les rafles et la déportation de presque 100 000 Juifs sur le territoire français pendant l’Occupation. Les Tutsi du Rwanda, à 8 000 kilomètres, pèsent encore moins que les Juifs de France…
Par contre, l’érection de lieux de mémoire en France est considérée comme un impératif qui ne saurait plus attendre. Aussi la décision  de la maire de Dieulefit Christine Priotto d’inaugurer une stèle a-t-elle attiré samedi 29 juin dans ce village reculé de la Drôme une cinquantaine de Rwandais venus d’un peu partout de France et de Suisse. La stèle est érigée place Marguerite Soubeyran et Catherine Krafft, en centre-ville, à côté de la Poste.  Elle comporte deux plaques, l’une « à la mémoire du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 », la seconde  en souvenir de Jean Carbonare ainsi libellée : « Jean, Ibuka se souvient de toi, Jean Carbonare, 1926-2009) ».
La cérémonie était placée sous l’égide de la municipalité de Deulefit, de l’association Intore za Dieulefit, de Marcel Kabanda, président de l’association Ibuka-France (« Souviens-toi »).

Invités d’honneur, Jacques Kabale, ambassadeur du Rwanda à Paris, Ezéchias Rwabuhihi, député rwandais et ancien ministre, Bernard Kayumba, maire du district de Karongi (dont dépend Bisesero), Alain David, représentant le président de la LICRA. Autour de leur présidente Anne-Marie Truc, les membres de l’association  Intore Za Dieulefit et une centaine d’habitants de la commune parmi lesquels une petite fille de Catherine Krafft.
Entourée de ses enfants et petits enfants, Marguerite, veuve de Jean Carbonare a levé le voile de la stèle en compagnie de Christine Priotto. Une soirée de témoignages de rescapés a suivi, marquant la fin de la XIXe commémoration du génocide en France.
Les participants espèrent se retrouver autour d’autres stèles jusqu’aujourd’hui en projet. À présent, la perspective de la XXe commémoration mobilise les esprits et les énergies.

Jean-François DUPAQUIER

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