31 juillet 2012
RDC : Jean-Marie Vianney Kabukanyi relaxé
Le secrétaire général adjoint de l'UDPS a été relâché lundi 30 juillet après deux jours de détention par la police congolaise. Le secrétaire général adjoint de l'UDPS avait été interpellé samedi 28 juillet pour "détention illégale d'armes". Le parti d'opposition avait dénoncé une "arrestation arbitraire" et un "scénario" monté par le pouvoir en place.
Le secrétaire général adjoint chargé des questions administratives du principal parti d'opposition congolais, l'UDPS a été libéré lundi 30 juillet dans la soirée. Jean-Marie Vianney Kabukanyi avait été arrêté "vers 23h45 à son domicile en compagnie de son jeune frère". La police congolaise l'accusait de détention illégale d'armes et l'avait d'abord emmené dans les bureaux de l'ANR (l'Agence nationale de renseignements) avant de le conduire dans les locaux de la Police d'intervention rapide (PIR).
Le parti d'Etienne Tshisekedi avait dénoncé dimanche "une arrestation arbitraire". Après la libération ce lundi du cadre de l'UDPS, le chargé de communication, Augustin Kabuya, cité par Radio Okapi a qualifié cette arrestation de "scénario" et de montage" et de préciser : "ils nous ont laissé entendre que le secrétaire général détenait des armes de guerre chez lui et quand les policiers ont vérifié ils se sont rendus compte qu’il n’y avait rien". Selon les autorités congolaises, la suite de l'affaire "appartient à l'ANR".
L'arrestation de ce cadre de l'UDPS intervient dans un contexte un peu particulier à Kinshasa. Jean-Marie Vianney Kabukanyi, chargé des questions administratives à l'UDPS avait conduit la délégation de son parti à l'ambassade de France à Kinshasa pour demander la "délocalisation" du XIVème sommet de la Francophonie prévu à Kinshasa en octobre 2012. Une pétition avait été déposée pour la venue en RDC de la ministre française chargée de la Francophonie, Yamina Benguigui. La ministre avait confirmé la tenue du sommet dans la capitale congolaise sans confirmer la présence du chef d’Etat français, François Hollande. L'opposition, qui conteste la réélection du président Joseph Kabila lors des élections de novembre dernier, demande à François Hollande de ne pas venir "légitimer des élections frauduleuses".
Cette interpellation intervient également 1 mois après la "disparition" d'un autre opposant congolais, Eugène Diomi Ndongala, le président de la Démocratie chrétienne (DC). Accusé de viol sur mineures par la police, ses proches affirment qu'il a été enlevé par des hommes armés, alors que les autorités congolaises le considèrent en cavale. Son parti dénonce une "cabale" politique (…) "pour le faire taire définitivement".
Christophe RIGAUD
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29 juillet 2012
RDC : L'UDPS dénonce l'arrestation de son secrétaire général adjoint
Le principal parti d'opposition de République démocratique du Congo (RDC), l'UDPS, accuse la police d'avoir enlevé Jean-Marie Vianney Kabukanyi. Le secrétaire général adjoint du parti d'Etienne Tshisekedi aurait été interpellé samedi 28 juillet 2012 à son domicile et emmené "vers une destination inconnue". Jean-Marie Vianney Kabukanyi avait conduit le 25 juillet la délégation de l'UDPS à l'ambassade de France pour demander la "délocalisation" du XIVème sommet de la Francophonie prévu à Kinshasa à l'automne.
Dans un communiqué, l'UDPS, le parti de l'opposant Etienne Tshisekedi dénonce l'arrestation de son secrétaire général adjoint, Jean-Marie Vianney Kabukanyi samedi 18 juillet par la police congolaise. Le cadre de l'UDPS aurait été arrêté "vers 23h45 à son domicile en compagnie de son jeune frère". Le parti d'opposition affirme que Jean-Marie Vianney Kabukanyi et son frère "ont été emmenés vers une destination inconnue" et dénonce "une arrestation arbitraire".
Jean-Marie Vianney Kabukanyi, chargé des questions administratives à l'UDPS avait conduit la délégation de son parti à l'ambassade de France à Kinshasa pour demander la "délocalisation" du XIVème sommet de la Francophonie prévu à Kinshasa en octobre 2012. Une pétition avait été déposée pour la venue en RDC de la ministre française chargée de la Francophonie, Yamina Benguigui. La ministre avait confirmé la tenue du sommet dans la capitale congolaise sans confirmer la présence du chef d’Etat français, François Hollande. L'opposition, qui conteste la réélection du président Joseph Kabila lors des élections de novembre dernier, demande à François Hollande de ne pas venir "légitimer des élections frauduleuses".
Cette interpellation intervient également 1 mois après la "disparition" d'un autre opposant congolais, Eugène Diomi Ndongala, le président de la Démocratie chrétienne (DC). Accusé de viol sur mineures par la police, ses proches affirment qu'il a été enlevé par des hommes armés, alors que les autorités congolaises le considèrent en cavale. Son parti dénonce une "cabale" politique (…) "pour le faire taire définitivement".
Christophe RIGAUD
22:49 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (2)
28 juillet 2012
RDC : Kinshasa prêt à négocier avec le M23 ?
Plusieurs informations indiquent que les autorités congolaises chercheraient à amorcer un processus de négociation avec les rebelles du M23. Pour l'instant Kinshasa dément toujours vouloir négocier avec les rebelles. Décryptage.
Après plus de 3 mois de violents combats entre la rébellion du M23 et l'armée régulière de République démocratique du Congo (RDC), différents signes annoncent un certain fléchissement des autorités congolaises, jusque là fermées à toutes négociation avec les rebelles.
Premier signe : la dégradation de la situation militaire sur le terrain. Le M23 a repris toutes ses positions qu'il occupait le 9 juillet : Rutshuru, Kalengera, Kiwanja, Rumwangabo et depuis le 28 juillet, les rebelles sont à 1 km de Kibumba. Le M23, qui se trouve désormais à 30 km au Nord de Goma et ne laisse guère planer de doute sur sa volonté de progresser vers la capitale provinciale dans les prochains jours, si Kinshasa ne négocie pas.
Deuxième signe : selon l'AFP à Goma, des responsables du renseignement congolais seraientt dans la capitale du Nord-Kivu aux côtés de Julien Paluku (le gouverneur de la province) pour rencontrer James Kabarebe, le ministre de la défense rwandais. Une rencontre qui interviendrait après le tête à tête Kagame-Kabila d'Addis-Abeba au sujet de la création d'une "force neutre" dans la région.
Troisième signe : Sur Twitter, la correspondante allemande du Tageszeitung, Simone Schlindwein, affirme que Kinshasa chercherait un facilitateur pour négocier avec le M23, mais "rien d'officiel" précise-t-elle. Et dernier signe : Jason Stearn du site Congo Siasa annonce une conférence de presse de Joseph Kabila dimanche 29 juillet au matin. Vu la rareté des apparitions publiques du président congolais, il semblerait donc que les événements s'accélèreraient à Kinshasa au sujet du Nord-Kivu. Pour l'instant, rien de tout cela n'est évidemment confirmé et les autorités congolaises affirment toujours ne pas vouloir négocier avec le M23, qualifié de groupe terroriste.
Christophe RIGAUD
19:25 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (10)
24 juillet 2012
RDC : «Kabila est le seul obstacle à la paix » selon le général Munene
Le retour de la guerre dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) fragilise une fois de plus le régime de Kinshasa. Pour Faustin Munene, entré en dissidence contre Joseph Kabila depuis 2010, le président congolais est le principal responsable du regain de violence au Nord-Kivu. Le président de l'Armée de résistance populaire (ARP) confirme également dans cette interview accordée à Afrikarabia, les alliances qui se nouent actuellement sur le terrain entre les différents groupes armés à l'Est du pays.
- Afrikarabia : Faustin Munene, depuis 3 mois le Nord-Kivu est le théâtre de violents affrontements entre la rébellion du M23 et l’armée congolaise, comment analysez-vous la situation ?
- Faustin Munene : Pourquoi la situation s’est dégradée dans ce secteur ? C’est là qu’a lieu le pillage organisé de nos richesses, c’est là que les populations connaissent le pire de ce qu’a connu l’humanité depuis la seconde guerre mondiale, tout cela cautionné par le gouvernement congolais. C’est dans cette régions que l’on risque de connaître le pire, c’est à dire la balkanisation de notre pays. Et c’est donc dans cette zone que s’organise une forte résistance contre un gouvernement illégal et illégitime. La seule personne qui est responsable de cette explosion à l’Est s’appelle Joseph Kabila. Plusieurs raisons à cela : sa mauvaise gouvernance et la mise en place d’un régime dictatorial sans justice sociale. C’est un régime où toutes les institutions sont prises en otages. Il engage la République dans des accords secrets (avec le Rwanda, ndlr), il prend ses décisions seul, personne ne sait ce qu’il fait. Le conflit à l’Est ne s’explique pas par les « forces négatives » (FDLR, Maï-Maï et maintenant M23, selon Kinshasa, ndlr). Ce terme est un concept erroné qui n’est pas acceptable juridiquement. Dans ce conflit, nous avons d’un côté, un gouvernement illégitime, avec l’armée congolaise, la police nationale, les services de renseignement et des mercenaires engagés à partir des pays des Grands lacs, et de l’autre côté vous avez le peuple qui n’a d’autre moyen que l’auto-défense et la résistance. Lorsque l’on dit « forces négatives », il s’agit donc d’une mascarade pour en faire ce que l’on veut.
- Afrikarabia : Que pensez-vous du projet d’envoi d’une « force internationale neutre » dans la région pour stabiliser la frontière entre la RDC et le Rwanda ? C’est une solution selon vous ?
- Faustin Munene : C’est une violation très grave du droit. Cette décision a été prise seule, en ignorant le peuple d’abord et la Constitution ensuite. Kinshasa est seulement en quête de légitimité internationale (après les élections contestées de novembre 2011, ndlr) et l’Union africaine a été prise en otage. Sur le plan technique, nous avons déjà une force internationale qui s’appelle la Monusco (mission des Nations unies en RDC, ndlr) forte de 18.000 hommes. Pour moi, la « force neutre » est simplement destinée à mettre notre pays sous tutelle. Je voudrais adresser un message à l'Union africain : il faut une solution plus durable et un cadre juridique. Il faudrait aussi y inclure la résistance, nous avons des propositions à faire.
- Afrikarabia : Est-ce que votre mouvement, l’Armée de résistance populaire (ARP), est déjà engagée sur le terrain et mène des actions ?
- Faustin Munene : A l’Est, la population s’est dressée comme un seul homme contre le régime. L’auto-défense est un des principes de la résistance. L’auto-défense est d’ailleurs autorisée par l’article 63 et 64 de la Constitution. Dans notre cas, il s’agit de légitime défense. Nous nous battons contre ce génocide qui a eu lieu à cause de notre hospitalité pour avoir reçu des réfugiés rwandais (après le génocide de 1994, ndlr). Nous payons le prix fort. Et maintenant les Congolais ne veulent plus de Kabila. Joseph Kabila est le seul obstacle à la paix. La résistance est présente sur le terrain, dans toutes ces formes. Il ne faut pas oublier que le M23, c’est l’ancien CNDP, qui compose une partie des FARDC (l’armée régulière congolaise, ndlr). Le CNDP s’est rallié au PPRD, (le parti majoritaire de Joseph Kabila, ndlr). Nkunda, Ntaganda et les autres… ont été promus aux grades d'officiers supérieurs par le président Kabila lui-même. Le CNDP constitue donc pour moi une composante du gouvernement. Les gens du M23 ont compris cela et ont tourné casaque. Ils intègrent donc le camp que nous appelons celui de la résistance. En ce qui nous concerne, la résistance n’a pas de couleur.
- Afrikarabia : Est-ce que cela veut dire que l’ARP est présente sur le terrain à l’Est, à Walikale par exemple et dans d’autres endroits ?
- Faustin Munene : Oui, nous sommes présents depuis longtemps, avant même le M23, juste après ce que l’on appelle le « hold-up électoral » de Joseph Kabila. Nous avons alors pris la décision ferme de défendre notre territoire. Dès le mois de janvier 2012, nous nous sommes positionnés auprès de nos populations pour l’auto-défense. Nous sommes présents dans 4 provinces : Province orientale, Nord-Kivu, Sud-Kivu et Nord-Katanga.
- Afrikarabia : Qui sont les alliés de l'ARP sur le terrain ?
- Faustin Munene : La résistance comme principe de légitime défense engage l'ensemble des résistants, de l'intérieur et de l'extérieur. Il n'y a pas d'alliance, tout le monde qui prend position contre ce régime fait partie de cette résistance. Tous les moyens sont bons pour que Kabila parte. Nous ne faisons aucune discrimination.
- Afrikarabia : Cela veut dire que vous pouvez vous allier au Nord-Kivu au groupe Maï-Maï Raïa Mutomboki par exemple ?
- Faustin Munene : Tout ceux que vous citez font partis de ce que nous appelons les forces de résistances. Je le répète, le terme de « forces négatives » est très méprisant et cache la vérité des choses. L'ARP, sur le terrain, est représentée par tous ces groupes d'auto-défense. Le terme Maï-Maï est très mal utilisé. Pour moi, les Maï-Maï sont tout simplement des résistants qui refusent la terreur, les pillages et tout ce que l'on connaît de mal. Maï-Maï, c'est un état d'esprit, nous n'avons pas de tribu qui s'appelle Maï-Maï.
- Afrikarabia : Quels sont les alliés politiques de l'ARP ?
- Faustin Munene : Nous faisons partis de la grande famille de l'opposition. Nos alliés sont tout ceux combattent le régime de Joseph Kabila. Tous les partis politiques d'opposition sont nos alliés naturels.
- Afrikarabia : Pouvez-vous nous dire où vous êtes actuellement et dans quelles conditions vous vivez ?
- Faustin Munene : J'ai échappé à maintes reprises à des tentatives d'assassinat. J'ai donc traversé chez nos voisins (au Congo-Brazzaville, ndlr). On m'a condamné par contumace en RDC, on a même arrêté des gens qui ont travaillé avec moi il y a plus de 10 ans. Beaucoup de mes collaborateurs ont perdu la vie. Je devais être liquidé avant le chef de l'Etat (Laurent-Désiré Kabila a été assassiné le 16 janvier 2001). J'ai donc trouvé protection auprès du gouvernement du Congo-Brazzaville.
Mais vous savez, j'ai participé au coeur du pouvoir, pendant la guerre contre régime de Mobutu, j'étais aux côtés du président assassiné, Laurent-Désiré Kabila et je connais tellement bien Joseph Kabila... peut-être mieux que tout le monde. Le président Sassou (président du Congo-Brazzaville, ndlr), en grand sage, n'a pas accepté la demande d'extradition de la RDC.
- Afrikarabia : Cela veut dire que vous êtes libre de vos mouvements au Congo-Brazzaville ?
- Faustin Munene : Ici je suis protégé car l'ennemi est partout. L'ennemi me cherche à la loupe. Tous les services de Joseph Kabila cherchent à m'assassiner, je suis donc protégé ici.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD
Photo : Faustin Munene © DR
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23 juillet 2012
RDC : "Force neutre", la fausse bonne idée
Il y a une semaine, le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC) ont signé un accord de principe pour mettre en place une force internationale "neutre" le long de leur frontière pour combattre les attaques rebelles du M23 et des FDLR. L'arrivée d'une nouvelle armée dans la région risquerait de figer le conflit, là où les Nations unies ont déjà échoué depuis 10 ans avec la Monusco… une initiative, qui a tout de la "fausse bonne idée".
La Conférence internationale sur la région des grands lacs (CIRGL) veut mettre sur pied une force internationale le long de la frontière entre le Rwanda et la RDC pour lutter contre les rebelles du M23 et des FDLR. Depuis le mois de mai, la République démocratique du Congo (RDC) est en effet confrontée à une nouvelle rébellion, le M23, dans l'Est du pays où sévissent déjà de nombreux autres groupes armés, comme les FDLR. Le Rwanda est accusé par un rapport de l'ONU de soutenir et de financer la rébellion, ce que dément formellement Kigali.
L'idée d'une "force neutre" afin de contrôler la frontière entre le Congo et le Rwanda, est née à Addis-Abeba, en marge d'un sommet de l'Union africaine (UA), il y a maintenant une semaine. Les contours de cette force militaire sont encore mal définis. Quel Pays ? pour quelle mission et quel commandement ? Des réponses plus précises seront peut-être apportées le 8 août prochain lors d'une prochaine rencontre. Pour être synthétique, il n' y a qu'un seul point positif à cette initiative : forcer un semblant de "dialogue" entre Kinshasa et Kigali dans un cadre multilatérale… et africain. La tension est en effet montée d'un cran entre les deux voisins depuis les révélations du rapport de l'ONU sur l'implication du Rwanda dans l'aide aux rebelles duM 23. Une rencontre au sommet entre présidents et ministres concernés est donc plutôt la bienvenue dans ce contexte. Mais les avantages s'arrêtent là.
Pour le reste, il n'y a que des inconvénients. Tout d'abord, la "force neutre" affaiblirait considérablement la mission de l'ONU sur le terrain (la Monusco compte déjà 17.000 casques bleus). Depuis plus de 10 ans, la Monusco fait déjà office de force internationale "neutre" en RDC… sans succès. Pourquoi en rajouter une, là où la plus importante mission de l'ONU au monde a déjà échoué ? Pourquoi créer une Monusco bis ?
Ensuite, la "force neutre" apparaîtrait comme une armée de plus dans un conflit déjà "sur-militarisé", alors que sur place, l'armée congolaise et la Monusco peinent à stabiliser la zone. De nouveaux militaires dans la région risqueraient au contraire de maintenir l'Etat de guerre quasi permanent qui règne à l'Est de la RDC depuis plus de 15 ans. C'est d'ailleurs ce que cherchent peut-être les deux principaux intéressés, la RDC et le Rwanda. En conservant la zone sous tension militaire, le Rwanda peut continuer à contrôler les richesses minières des Kivus et faire la pluie et le beau temps sur la région. Quant à Kinshasa, la guerre à l'Est, lui permet de brandir l'étendard de la "patrie en danger" et de "l'unité nationale" afin de légitimer son pouvoir, écorné par les fraudes des dernières élections.
En guise de conclusion, c'est un sondage du site internet de Radio Okapi qui résume le mieux ce qu'il faut penser de l'envoi d'une "force internationale neutre" à la frontière entre le Rwanda et la RDC. Pour 51% des internautes, cette force internationale "ne pourra être efficace que si les Etats s’engagent sincèrement à ne pas soutenir les groupes armés" et 43% répond de manière plus pragmatique, "qu'elle ne verra jamais le jour" ! Pendant ce temps, les rebelles du M23 maintiennent la pression militaire autour des villes de Rutshuru et Goma et occupent toujours la ville frontière de Bunagana… sous le regard impuissant des casques bleus.
Christophe RIGAUD
Photo : Casque bleu à Kinshasa © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
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20 juillet 2012
RDC : Risque de nettoyage ethnique à Walikale ?
En marge des combats qui opposent les rebelles du M23 et l'armée régulière à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), des groupes d'auto-défense congolais se livrent à une "chasse aux rwandophones" à Walikale. Cette situation inquiétante, pourrait servir de prétexte à une intervention de l'armée rwandaise en territoire congolais.
La situation sécuritaire se complexifie au Nord-Kivu, à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Un premier front est apparu il y a trois mois, entre la rébellion du M23, soutenue par le Rwanda, et l'armée congolaise (FARDC) à Bunagana et sur l'axe entre les villes de Rutshuru et Goma. Les rebelles contrôlent plusieurs localités et menacent désormais Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu. Au coeur du conflit : la place et la sécurité de la communauté rwandophone dans les Kivus. Le M23 se veut le porte-étendard de la communauté tutsie de la région, en proie aux attaques des FDLR, un groupe armé composé de hutus rwandais.
Depuis quelques jours, un nouveau front occupe l'armée congolaise, 150 km plus à l'Ouest, dans la ville de Walikale. Mardi 17 juillet, un groupe d'auto-défense Maï-Maï, baptisé Raia Mutomboki a pris le contrôle de la ville. Venus du Sud-Kivu, ce mouvement fait actuellement route vers le Nord, pour se battre contre le M23 dans son fief de Bunagana. Dans cette "logique", les Raia Mutomboki se sont livrés à une véritable "chasse aux rwandaphones", tutsis et hutus confondus, dans les rues de Walikale. La BBC et Radio Okapi, qui ont pu joindre des témoins sur place, racontent des scènes de paniques et confirment les exactions des miliciens Maï-Maï. La BBC, explique que l'ONG Médecins Sans Frontières n'est plus capable de venir en aide à la population et envisage de quitter Walikale si la situation se dégradait. Selon Radio Okapi, 48 "hutus rwandais", victimes de Raia Mutomboki, ont été évacués par les casques bleus de la Monusco, vers la ville de Goma dès mercredi. Les témoins décrivent "avoir vu de leurs yeux les miliciens égorger des gens".
L'entrée de ce groupe Maï-Maï dans le conflit inquiète les observateurs internationaux. "La chasse aux rwandophones" dans la région risque de donner le signal de départ à un "nettoyage ethnique" en règle de tout se qui ressemble de près ou de loin à un "rwandais", sachant que depuis des dizaines d'années, les Kivus ont toujours été une zone d'échanges intenses entre le Rwanda et le Congo. Certains spécialistes de la région craignent que ces massacres donnent également "une vraie excuse au Rwandais pour entrer en RDC" et venir défendre les rwandaphones des Kivus.
Christophe RIGAUD
01:49 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (11)
17 juillet 2012
Pourquoi la stabilisation de la RDC est un échec ?
Le retour de la guerre dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) signe un nouveau constat d'échec des multiples programmes de "stabilisation" menés par le gouvernement congolais et la communauté internationale. Dans un rapport détaillé, l'ONG Oxfam analyse les raisons de ces "tentatives infructueuses" pour ramener la paix en RDC. Pour 80% des Congolais interrogés par Oxfam, "leur sécurité n'est pas assurée". Le rapport avance également des solutions.
Depuis trois mois, une nouvelle rébellion, le M23, affronte les forces gouvernementales dans le Nord-Kivu, à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Les rebelles tiennent la ville frontière de Bunagana et se trouvent désormais à une trentaine de kilomètres de la capitale provinciale, Goma, qui craint de tomber aux mains du M23.
Pourtant, depuis 10 ans, la RDC est censée être en paix. La deuxième guerre du Congo s'est achevée en 2002 avec quelques millions de morts au compteur (personne ne dispose d'ailleurs de chiffres fiables) et des accords de paix. Depuis cette date, la paix se fait toujours attendre en RDC et principalement à l'Est du pays, dans les Kivu. En 2008, puis en 2012, des rébellions ont agité la région alors que des groupes armés terrorisent quotidiennement les populations civiles. La dernière rébellion en date est partie d'une mutinerie d'éléments de l'armée, issus de l'ancienne rébellion du CNDP.
Dans le rapport d'Oxfam (téléchargeable ici), l'ONG dresse un bilan peu flatteur des deux programmes de "stabilisation" censés ramener la paix, la sécurité, le rétablissement de l'autorité de l'Etat et le retour des réfugiés. Il s'agit des programmes STAREC (stabilisation et reconstruction des zones sortant des conflits armés) et ISSSS (stratégie internationale de soutien à la sécurité et la stabilisation). L'ONG a mené plusieurs enquêtes en 2011, sur le terrain, dans les zones de conflit (Ituri, Province orientale, Nord-Kivu… ), mais aussi à Kinshasa. Selon Oxfam, "ces programmes ont eu des résultats très limités" et n'ont pas "amélioré de manière significative la sécurité de la population ou rétabli les capacités de l'État à en assurer la sécurité et à fournir d'autres services". Pour 80% des personnes interrogées par l'ONG, "leur sécurité n'est pas assurée".
A l'Est du pays, là où la situation est la plus délicate, les programmes STAREC et ISSSS ne sont "pas parvenus à des améliorations tangibles avec les groupes armés" et "n'ont pas résolu les problèmes de cohésion et de rémunération au sein de l'armée, ni les abus de celle-ci, dont le comportement varie énormément d'une zone à l'autre". L'autorité de l'Etat, quasi absente dans cette partie du territoire, n'a pas été restaurée, selon l'étude d'Oxfam. "La rémunération appropriée des forces de sécurité de l'État reste largement problématique (…) Selon les dernières informations datant du milieu de 2011, 55 % des policiers déployés le long des axes routiers identifiés comme prioritaires par l'ISSSS dans le Nord-Kivu et le Sud Kivu n'étaient pas salariés de l'État", explique l'ONG.
Quelles sont les raisons de ces échecs ? Le rapport pointe "le manque de soutien solide du Gouvernement national de la RDC, qu'il soit financier ou politique" : "les fonds alloués au fonctionnement de STAREC en 2011 représentaient moins d'un quart du montant consacré à l'entretien de la résidence officielle du Premier ministre" (20 millions de dollars, ndlr). Oxfam dénonce également "un soutien international insuffisant" et "l'absence de position internationale forte". La Monusco (la mission de l'ONU en RDC) n'est pas en reste : "la Monusco n'a pas avancé de vision stratégique avec un plan de stabilisation plus large qui
renforcerait la cohérence de ses autres activités en soulignant en quoi elles contribuent à la stabilité".
Selon Oxfam, un "nouveau souffle est nécessaire". L'ONG note un certain "désenchantement" (le terme est diplomatique) des donateurs de la RDC, "tout à fait compréhensible". Mais "baisser les bras au Congo condamnerait des millions de Congolais à une violence et une pauvreté persistantes. Cela laisserait également libre cours à une instabilité dangereuse", explique pourtant Oxfam.
Quelques solutions sont avancées par ce rapport. Elles sont connues, mais il est toujours bon de les rappeler :
- un soutien plus fort de la part du Gouvernement de la RDC,
- un soutien international plus fort et plus coordonné,
- une plus grande implication de la population locale et de la société civile.
D'autres recommandations sont promulguées, plus techniques. Retenons tout de même la nécessité "d'organiser des réunions des comités de pilotage et de suivi du programme STAREC, décrire en quoi la mission des Nations Unies et les activités de la communauté internationale hors ISSSS contribuent à un plan de stabilisation plus large", mais aussi la réalisation des lois de décentralisation (l'autonomie des provinces, qui se trouve être l'une des revendications du M23). Concernant la communauté internationale, Oxfam demande notamment d'accroître et d'adapter les financements, mais aussi de renforcer le contrôle sur l'utilisation des fonds.
Pour l'heure, toutes ces recommandations s'apparentent à des voeux pieux. Depuis les élections de 2006, voir même depuis 2001, un bon nombre de ces avis sont restés lettres mortes… problème de "gouvernance" selon une expression pudique. Le rapport d'Oxfam donne une partie de la réponse à l'échec de la communauté internationale en RDC. Son rapport s'intitule : "Pour moi mais sans moi, c'est contre moi"… c'est exactement ce que pense une majorité de Congolais, gouvernement compris.
Christophe RIGAUD
Photo : Casque bleu de la Monusco à Kinshasa © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
03:06 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (5)
15 juillet 2012
L'historien Jean-Pierre Chrétien chevalier de la Légion d’honneur
Jean-Pierre Chrétien, historien de l’Afrique des Grands Lacs, vient d’être fait chevalier de la Légion d’honneur dans la promotion du 14 juillet 2012 au titre du ministère de la Recherche.
Né le 18 septembre 1937 à Lille, Jean-Pierre Chrétien a fait ses Études secondaires au lycée Faidherbe de Lille, puis Hypokhâgne à Lille et Khâgne à Louis-le-Grand, Paris. Titulaire d’une maîtrise d’histoire (1960) portant sur « La presse française devant la prise de pouvoir de Hitler », il est reçu 3ème à l'agrégation d'histoire en 1962.
Sa carrière d’enseignant le mène tour à tour à Rouen (lycée Fontenelle, 1962-1964), à Bujumbura (Écoles normales, 1964-1968) et à Limoges (lycée Gay-Lussac, 1968-1969),avant de retrouver sa ville natale de Lille, où il obtient un poste d’assistant, puis de maître-assistant, à l’université Lille 3 (1969-1972). Dans le cadre du service national en coopération (1964-1965) il a été nommé enseignant Burundi, d’abord à l’École normale de Bujumbura puis à École normale supérieure du Burundi (1965-1968), il y réalise ses premières enquêtes de terrain, accompagné de ses étudiants qu’il forme au recueil des sources. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, alliant son intérêt pour l’histoire contemporaine de l’Allemagne au résultat de ses collectes de sources orales, il rédige ses premiers articles sur l’histoire du Burundi, qui annoncent sa contribution plus large à l’écriture de l’histoire de l’Afrique.
Chercheur depuis 1973, puis directeur de recherche en histoire de l'Afrique au CNRS au Centre de recherches africaines (CRA), il est rattaché en 1982 au laboratoire « Tiers-monde, Afrique », de l'Université Paris I intitulé qu’il dirige à partir de 1986, jusqu’en 2001, intitulé « Mutations africaines dans la longue durée (Mald), qui s'est ensuite fondu dans le Centre d'études des mondes africains (CEMAf). Il est l'un des fondateurs de la revue Afrique et Histoire. Durant sa carrière scientifique il a publié une vingtaine de livres et plusieurs centaines d'articles scientifiques et de vulgarisation.
Parmi ses ouvrages les plus importants, Rwanda, les médias du génocide (dir, avec Jean-François Dupaquier, Marcel Kabanda, Joseph Ngarambe), Ed. Karthala, 1995, revue et augmentée, 2000 ; Le défi de l'ethnisme : Rwanda et Burundi, 1990-1996, Paris, Karthala, 1997, réédition entièrement refondue, 2012 ; L'Afrique des grands lacs - Deux Mille Ans d'histoire, éd. Aubier, 2000 ; Burundi, la fracture identitaire - Logiques de violence et certitudes "ethniques" (avec Melchior Mukuri), éd. Karthala, 2002 ; Les ethnies ont une histoire (avec Gérard Prunier), éd. Karthala, 2003 ; Burundi 1972. Au bord des génocides, Paris, Karthala, 2007, (avec J.-F. Dupaquier) ; L'Afrique de Sarkozy : un déni d'histoire (avec Jean-François Bayart, Achille Mbembe, Pierre Boilley, Ibrahima Thioub sous la dir. de Jean Pierre Chrétien) éd. Karthala, 2008 ; L’invention de l’Afrique des Grands lacs. Une histoire du XXe siècle, Paris, éd. Karthala, 2010.
Spécialiste de la région des Grands lacs qu'il a abordée initialement par le Burundi, Jean-Pierre Chrétien a été invité à s’exprimer successivement à Bruxelles devant la Commission d’enquête sénatoriale belge sur les événements du Rwanda (1997), à Paris face aux membres de la Mission d’information parlementaire sur les opérations militaires françaises et étrangères menées au Rwanda entre 1990 et 1994 (« Mission Quilès », 1998), et à Addis-Abeba devant le Groupe de travail de l’Organisation de l’unité africaine sur le même pays (1999). Il a été également mandaté à partir de 2001 comme témoin-expert auprès du Parquet du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à Arusha dans le « procès des médias ». Retraité, Jean-Pierre Chrétien est chercheur émérite du CNRS.
Photo : Jean-Pierre Chrétien sur le terrain en 1967 au Burundi © DR
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13 juillet 2012
RDC : Le M23 s’explique…
Depuis plus de trois mois, la rébellion du M23 tient tête à l’armée congolaise dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Les rebelles progressent actuellement vers la ville de Goma, la capitale régionale du Nord-Kivu. Dans une interview accordée à Afrikarabia, le représentant du M23 en Europe, Jean-Paul Epenge analyse les raisons du conflit et les objectifs de la rébellion. Il revient également sur le rapport de l’ONU accusant le Rwanda de soutenir la rébellion et la possible prise de Goma.
Le Nord-Kivu renoue avec ses anciens démons. Depuis le mois de mai 2012, les rebelles du M23 affrontent l’armée régulière congolaise (FARDC) dans cette province de l’Est de la République démocratique du Congo. Une douzaine de localités tombent rapidement aux mains de la rébellion, qui menace maintenant de prendre Goma, la capitale provinciale. Le M23 est constitué d’anciens combattants de la rébellion tutsie congolaise du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), intégrés dans les FARDC dans le cadre d'un accord de paix avec Kinshasa signé le 23 mars 2009. Le M23 réclame la pleine application de ces accords et a commencé à prendre le maquis en avril. Mais le conflit est plus complexe. L’étincelle qui a mis le feu au poudre a été allumée par Kinshasa, qui a décidé sous la pression de la communauté internationale, d’arrêter Bosco Ntaganda, un ex-CNDP, intégré dans l’armée régulière et nommé général depuis les accords de paix 2009. Parallèlement, le Rwanda est accusé par les Nations unies et Human Rights Watch de soutenir la rébellion dans le Kivu, ce qui sème le trouble entre les deux états voisins, jusque là alliés pour traquer les « forces négatives » dans l’Est du pays.
- Afrikarabia : Le M23 a-t-il été créé pour protéger Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale (CPI) et que Kinshasa souhaite arrêter ?
- Jean-Paul Epenge : Je vais être très direct, Bosco Ntaganda n’a rien à voir avec le M23. Le sort personnel de Bosco Ntaganda ne nous concerne pas. Bosco n’est pas avec nous, le M23. C’est Kinshasa qui utilise ce prétexte pour nous attaquer. Je vais être clair. Je n’ai jamais entendu dire le président Kabila : « je vais arrêter Ntaganda ». Et de toute façon, ce sont des choses qui ne se disent pas. Si on veut arrêter quelqu’un, on fait comme avec Thomas Lubanga, Germain Katanga ou Mathieu Ngudjolo (détenus actuellement à la CPI, ndlr)… on les arrête sans prévenir personne. Si le gouvernement avait réglé le problème de Bosco Ntaganda « normalement », comme il avait réglé les cas de Bemba ou de Lubanga, il n’y aurait pas eu toutes ces histoires. Une chose me paraît étrange : Bosco Ntaganda se trouvait à Goma, au Nord-Kivu. Si Kabila voulait arrêter Ntaganda, pourquoi attaquer Sultani Makenga (le chef du M23, ndlr) qui se trouvait dans le Sud-Kivu ? Makenga n’a rien à voir avec l’affaire Ntaganda. En fait, la création du M23, c’est un sursaut tout simplement. Nous nous sommes dit, pourquoi le gouvernement nous attaque, alors que nous avions signé un accord avec eux en mars 2009 ? Ce sont les autorités congolaises qui ont rompu l’accord. Nous avons donc décidé de réoccuper militairement nos anciennes positions, celles que nous occupions du temps du CNDP, avant l’accord. Notre but est donc simplement de renégocier avec Kinshasa.
Le M23 n’est pas une nouvelle rébellion ou un nouveau mouvement, notre objectif est tout simplement de pousser le gouvernement à appliquer cet accord du 23 mars 2009. On ne demande pas le départ de Kabila, ni un nouvel accord. Nous n’avons pas de nouvelles exigences, nous demandons juste le respect des textes.
- Afrikarabia : Justement, que trouve-t-on dans cet accord de 2009 (1), quels sont les points qui n’ont pas été respectés ?
- Jean-Paul Epenge : Nous demandons d’abord l’éradication des FDLR et des « forces négatives » (des rebelles hutus rwandais, mais aussi des milices d’auto-défense congolaises qui sèment la terreur dans l’Est du Congo, ndlr). Chaque jour, il y a des morts, on assassine, le Kivu a été décrété « capitale du viol »… Donnez-nous les moyens de combattre les FDLR. Nous avons fait 4 mémorandums au président Kabila pour avoir plus de moyens. Nous savons où sont les FDLR. Nous n’avons jamais eu les moyens financiers, humains et matériels de pouvoir lutter contre les « forces négatives » à l’Est de la RDC. Et pendant 3 longues années, malgré ce manque de moyen, nous sommes restés fidèles aux autorités congolaises… jusqu’à cette histoire de Bosco.
- Afrikarabia : Le M23 n’est donc pas là pour protéger Bosco Ntaganda ?
- Jean-Paul Epenge : Cela n’a jamais été le but de notre mouvement. Mettons nous un instant à la place de Kinshasa. Le gouvernement n’a pas respecté les accords. Il lui faut donc trouver un prétexte. Le prétexte est le suivant : ces gens (les ex-CNDP, ndlr) sont recherchés par la Cour pénale internationale et leur chef s’appelle Bosco Ntaganda. Cette histoire a été inventée pour cacher le non respect des accords de 2009 entre le CNDP et le gouvernement congolais. Autre chose : Kinshasa n’a aucun argument pour expliquer l’échec des accords.
- Afrikarabia : Quels sont les autres points de l’accord que vous revendiquez ?
- Jean-Paul Epenge : Il y avait premièrement, l’éradication des « forces négatives ». Deuxièmement, le retour des réfugiés. Il y a au moins 200.000 réfugiés congolais dans les pays frontaliers, en Tanzanie, en Angola, au Rwanda, au Burundi… Et il n’y a que la « bonne gouvernance » du pays qui pourrait faire revenir nos frères au pays. Troisièmement, la reconnaissance des grades des militaires intégrés dans l’armée congolaise (FARDC). Si certains grades ont été reconnus, tous n’ont pas touché la solde en conséquence. Nos militaires doivent être correctement payés. Quatrièmement, nous demandons l’application de la loi de décentralisation, prévue dans la constitution. La décentralisation prévoit une certaine autonomie aux provinces, avec une compensation financière du pouvoir central. Cela n’a jamais été fait. Kinshasa n’a en fait pas l’air très concerné par tous ces problèmes, ils sont tranquilles dans leurs salons feutrés…
- Afrikarabia : Un récent rapport de l’ONU accuse le Rwanda de soutenir votre rébellion, en hommes, en armes et en logistique. De nombreuses preuves qui jettent le trouble sur le rôle que joue le Rwanda dans ce conflit. Vous niez toujours toute implication des autorités rwandaises ?
- Jean-Paul Epenge : Comment expliquer que ce rapport soit sorti, comme par hasard, quelques jours seulement avant le renouvellement du mandat de la Monusco (la mission des Nations unies en RDC, ndlr) ?
- Afrikarabia : Ce serait un prétexte pour que la Monusco reste en République démocratique du Congo ?
- Jean-Paul Epenge : Entre autre, oui.
- Afrikarabia : Revenons au rapport de l’ONU…
- Jean-Paul Epenge : Il y a beaucoup d’incohérences dans ce rapport. Il y a notamment une note des renseignements congolais de janvier 2012 sur l’aide de l’armée rwandaise à Ntaganda… en janvier 2012 ! Alors que « l’affaire » Ntaganda n’a commencé qu’en avril… étonnant ! Car il faut rappeler que jusqu’en avril 2012, Bosco était encore l’allié et le partenaire de Kinshasa depuis les accords de 2009 !
- Afrikarabia : Vous dites toujours que le Rwanda ne vous soutient pas ?
- Jean-Paul Epenge : Non, le Rwanda ne nous soutient pas. La semaine dernière, nous en avons apporté une preuve. Quand Kinshasa a voulu nous contrer et nous prendre en tenaille pour créer deux fronts : un à Bunagana et l’autre à Rutshuru, notre puissance de feu les a repoussé et ils ont pu voir qu’il n’y avait pas de Rwandais. L’armée congolaise s’est retrouvée en Ouganda, en débandade générale, sans avoir croisé de Rwandais. Kinshasa n’a donc plus d’argument : il n’y a pas de soldats rwandais chez nous. Mais pour Kinshasa, chaque tutsi et chaque rwandophone est Rwandais, alors…
- Afrikarabia : Est-ce que vous ne craignez pas que la création de votre mouvement, la reprise de la guerre à l’Est et le rapport de l’ONU sur l’aide du Rwanda, ne ravivent pas le fort sentiment anti-tutsi en RDC ?
- Jean-Paul Epenge : C’est le but de Kinshasa et c’est ce qu’il fait. En 1998, j’étais à Kinshasa, aux commandes avec Laurent-Désiré Kabila. J’ai vu dans ma propre famille un oncle qui avait, selon les Congolais, une morphologie nilotique (tutsi, ndlr) se faire assassiné. Il n’était même pas du Kivu. Je pense tout simplement que si nous avions des bons dirigeants, rassembleurs, on pourrait tous vivre dans une même république unie. Mais lorsque l’on voit les derniers communiqués de Kinshasa sur les Rwandais qu’il faut « dégager »… je pense que tout cela peut très mal finir.
- Afrikarabia : Militairement, vos soldats occupent la ville frontière de Bunagana. Vous avez fait tomber la ville de Rutshuru, avant de la remettre entre les mains de la police congolaise. Vous êtes désormais à quelques dizaines de kilomètres de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu. La prise de la ville de Goma constitue-t-elle un objectif pour le M23 ?
- Jean-Paul Epenge : Nous avons même la force d’aller jusqu’à Kinshasa ! Cela peut vous paraître étonnant. Mais je peux vous tenir ce discours parce que je sais qu’en face (l’armée congolaise, ndlr)… il n’y a rien, il y a zéro ! Kabila a formé une brigade, une unité d’élite, avec des instructeurs belges, américains, à Lokando, Kindu… Au front, le M23 les a « dégommé », ils se sont retrouvés en Ouganda, réfugiés et désarmés. La porte est donc « ouverte » pour nous. On peut aller jusqu’à Goma, Kisangani, Kinshasa… mais là n’est pas notre but. Le président Kabila doit comprendre qu’il faut signer et appliquer les accords de 2009. Alors, on épargnera beaucoup de vies humaines.
- Afrikarabia : Beaucoup de Congolais craignent une « balkanisation » du Congo et pensent que vous souhaitez faire sécession et créer un Kivu « indépendant » ?
- Jean-Paul Epenge : C’est un mythe. Ce genre de discours démontre l’impuissance de Kinshasa. Quand les médias à Kinshasa parlent de « dépecer » le Congo, de « balkaniser » le Congo… On n’a pas besoin de « balkaniser » le Congo. Ce n’est pas le but, il n’y a pas d’agenda caché, je vous le jure, il n’y en a pas. Notre but c’est l’autonomie, comme la constitution le prévoit.
- Afrikarabia : L’épreuve de force entre le M23 et Kinshasa peut-elle durer encore longtemps ?
- Jean-Paul Epenge : Nous, nous pouvons tenir. Nous sommes préparés à toutes les éventualités. Nous avons voulu la paix en 2006, puis en 2009. Notre chef Laurent Nkunda (le patron du CNDP, ndlr) a été arrêté, mais il nous a demandé de faire confiance aux accords de paix de 2009. Les accords n’ont pas été respectés. Alors cette fois, on ne doit pas nous berner une nouvelle fois.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD
(1) Le document des accords de paix du 23 mars 2009 sont à télécharcher ici.
Photo : Jean-Paul Epenge en région parisienne, juillet 2012 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
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11 juillet 2012
RDC : Les aveux de la CENI
Entre auto-satisfaction et constat d'échec, le rapport de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) présenté au parlement a suscité l'ire des députés congolais. La CENI reconnait une dérive des coûts, une dette de 75 millions de dollars et la conduite du processus électoral "dans l'urgence". Pas un mot sur les fraudes et les violences. Les députés ont exigé la révision de la loi électorale, la suspension des prochains scrutins et un audit des comptes de la CENI.
Le feuilleton électoral n'est pas prêt de s'achever en République démocratique du Congo (RDC). Après la présentation du rapport annuel de la Commission électorale (CENI) devant les députés, le parlement a adopté une série de recommandations, dont la révision de la loi électorale, l'audit des comptes et le gel du calendrier jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi. Déjà prévues cet hiver, les élections provinciales avaient été décalées en janvier 2013. Autant dire que la suspension du calendrier proposée par les député reporte ces scrutins... aux calendes grecques.
A l'origine de cette levée de bouclier des députés, le rapport de la CENI, présenté à l'Assemblée par son président, Daniel Ngoy Mulunda. Si le document élude consciencieusement les fraudes massives et les violences pendant les élections chaotiques et contestées de novembre 2011, le rapport dresse un bilan assez sévère de la gestion financière du processus électoral. Sur les 447 millions de dollars prévus pour les élections, 258 millions ont été décaissés, 335 ou 334 millions (il y a deux chiffres différents dans le rapport !) ont été dépensés, laissant 75 millions de dette aux différents fournisseurs et prestataires du scrutin. Autant dire que les caisses de la CENI sont aujourd'hui vides. La Commission demande donc que le coût des prochaines élections provinciales soit pris en charge à 100%.
Toujours côté finance, le rapport note le manque de 50,2 millions de dollars (censés provenir du gouvernement), pour expliquer l'absence de sensibilisation (éducation civique), ainsi que de dispositifs pour le contentieux et la sécurisation du scrutin. Remarque étonnante au regard du manque de transparence des élections, comme l'ont noté les observateurs internationaux (Centre carter et Union européenne). La "dérive" des coûts est expliquée par la CENI du fait de l'augmentation du nombre de centres de vote (passant de 12.000 à 15.000).
Concernant la fraude, que l'opposition estime "massive", la CENI avoue tout de même "la falsification de procès verbaux au niveau des postes de dépouillement et le changement des chiffres au poste de compilation". Rien sur les nombreuses violences pré et post-électorales. Toutefois, la CENI reconnait "la conduite du processus dans l’urgence" ainsi que la "modification de la constitution et de la loi électorale sans consensus de la classe politique et sans consultation de la société civile". Satisfaction tout de même : l'organisation des élections "dans les délais constitutionnels" pour éviter "le chaos du vide juridique". Une question tout de même : faut-il à tout prix respecter le calendrier électoral à défaut d'être prêt ?
En conclusion de son rapport, la CENI réaffirme son engagement à organiser les prochaines élections provinciales et locales, mais demande une prise en charge à 100% des coûts des scrutins (169 millions de dollars pour les provinciales, 226,5 millions pour les locales).
Face à ce rapport, les députés sont montés aux créneaux. Il faut dire que l'image de la CENI a été sérieusement écornée tout au long du processus électoral. Accusée de partialité par l'opposition (son président est un proche de Kabila) la CENI a accumulé toutes les erreurs dans le déroulement du scrutin : organisation chaotique, fichier électoral biaisé, absence de la société civile dans ses instances, procès verbaux perdus, accusations de fraudes… Aux yeux de tous, la CENI se trouve dans l'obligation d'évoluer pour gagner en crédibilité et en partialité.
Devant la présentation des chiffres du rapport de la CENI, les députés ont estimé qu'un audit de la Commission était nécessaire, les prochaines élections provinciales n'étant visiblement pas financées. L'Assemblée nationale demande une révision générale de la loi électorale (nombres de sièges, recensement crédible de la population… ) et un gel du calendrier électoral jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi.
Après les élections contestées de novembre 2011, les recommandations des députés sont les bienvenues dans ce contexte de crise politique et résonnent désormais comme un préalable indispensable à l'organisation de tout nouveau scrutin en RDC. La CENI possède déjà le triste record des élections les plus coûteuses de la planète… un nouveau report des provinciales, risque d'en faire le cycle électoral le plus long de l'histoire. Le temps presse.
Christophe RIGAUD
01:45 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (0)
RDC : Objectif Goma ?
Les rebelles du M23 se sont retirés progressivement des principales villes qu'ils occupaient, comme Rutshuru, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), pour les remettre aux mains de la police. La ville de Goma, plus au Sud, risque d'être la prochaine cible du M23. L'armée congolaise et l'ONU viennent de dépêcher des renforts pour protéger la capitale provinciale du Nord-Kivu où la panique gagne la population.
La prise de la ville de Goma par les rebelles du M23... voilà le scénario catastrophe que souhaitent éviter les autorités congolaises et les Nations unies. Sur le terrain militaire, les mutins du M23 ont quitté la ville de Rushuru après la prise d'une douzaine de localités aux troupes gouvernementales. La ville est désormais sous contrôle d'unités de la police congolaise, constituées d'anciens membres du CNDP, dont se revendique le M23. Le mouvement rebelle restera toutefois présent dans la ville stratégique de Bunagana, à la frontière de l'Ouganda. Militairement, le M23 n'avait d'ailleurs pas d'autres choix que de se retirer des villes occupées. Avec seulement quelques centaines d'hommes (on parle de 300 à 500 hommes), la rébellion n'avait pas les moyens humains de "tenir" autant de positions.
Après Rutshuru, quel sera le prochain objectif des rebelles du M23 ? Pour de nombreux observateurs, la ville de Goma se trouve désormais en ligne de mire de la rébellion. Le M23 affirme pourtant ne pas vouloir conquérir de territoires. Le mouvement souhaite obliger le gouvernement congolais à négocier afin de respecter l'application des accords de paix de 2009 entre le CNDP et les autorités congolaises. L'accord prévoyait l'intégration politique et militaire des ex-rebelles dans l'armée et les institutions du pays.
Pour faire plier Kinshasa, le M23 a choisi la manière forte : occuper militairement les anciennes positions de l'ex-CNDP, dont ils se réclament, afin de forcer le gouvernement à s'asseoir à la table des négociations. Pour l'instant, le régime de Joseph Kabila reste droit dans ses bottes : pas question de négocier avec des rebelles.
La ville de Goma, comme en 2008 avec la rébellion de Laurent Nkunda, constitue donc un enjeu majeur dans le rapport de force entre le M23 et gouvernement. La prise de la ville par les rebelles serait très mal vécue par les autorités congolaises et les Congolais eux-mêmes. Le président Joseph Kabila y joue également sa crédibilité, fortement écornée depuis les élections contestées de novembre 2011. Mais devant l'absence de réponse du gouvernement à leur revendication, le M23 est tenté de continuer son avancée militaire vers le sud et la capitale du Nord-Kivu pour accentuer la pression. Les troupes du colonel Makenga se trouverait maintenant à une petite cinquantaine de kilomètres de Goma.
Côté gouvernemental, l'armée congolaise, consciente de l'enjeu de la bataille de Goma, vient de rappeler un bataillon, stationné dans le Nord du pays et formé, selon le journal Le Monde, par des instructeurs américains. Les casques bleus de la Monusco vont également envoyés des troupes supplémentaires dans le secteur. Pour l'ONU, la prise de Goma constituerait un sérieux revers pour sa mission en RDC, il y a plus de 18.000 casques bleus dans le pays (un record pour une opération de maintien de la paix).
Goma se retrouve maintenant sous pression et la panique commence à gagner la population De jeunes Congolais sont descendus dans les rues ce lundi pour demander des armes et ont appeler à combattre le M23. Des rumeurs d'exactions contre la communauté tutsie de la ville ont été relevés et dénoncés par le M23. Le mouvement rebelle parle de "chasse à l'homme" dans les rues de Goma et de "blessés". Il faut dire que les Rwandais de Goma sont accusés de soutenir les mutins. Un rapport des Nations unies a récemment dénoncé l'aide du Rwanda voisin à la rébellion, en homme et en armes. Le M23 a toujours fortement démenti tout soutien rwandais dans ses opérations et appelle même la presse internationale et les ONG à venir vérifier sur le terrain ces "allégations infondées".
Pendant ce temps, l'organigrame du mouvement rebelle s'est doté d'une coordination politique, confiée à Bishop Jean-Marie Runiga. Le colonel Sultani Makenga, qui dirige les opérations du M23 depuis sa création, devient président du Haut Commandement militaire et tiendra une conférence de presse ce mercredi à Bunagana.
Christophe RIGAUD
01:45 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (3)
08 juillet 2012
RDC : Rutshuru aux mains du M23
A l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), la ville de Rutshuru est occupée depuis dimanche 8 juillet 2012 par les rebelles du M23. L'armée congolaise (FARDC) avait quitté la ville dans la matinée, sans combattre.
Après la chute de Bunagana, vendredi, les rebelles du M23 occupent désormais la ville de Rutshuru. La route menant à Goma, la capitale régionale du Nord-Kivu, est coupée. Le M23 a également pris les villes de Ntamugenga et de Rubare. Les casques bleus de la Monusco, présents sur place, se sont retirés sur Kiwanja, située à quelques kilomètres au Nord de Rutshuru. Hier, le M23 précisait pourtant qu'ils n'avaient aucunement l'intention de prendre Rutshuru et Goma.
A Kinshasa, le président Kabila, convoquait une réunion interinstitutionnelle sur la situation sécuritaire au Nord-Kivu. Objectif affiché : "envisager urgemment des mécanismes efficaces et nécessaires en vue de mettre définitivement fin à la situation préoccupante qui prévaut dans cette partie orientale du pays".
Christophe RIGAUD
15:39 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (6)
07 juillet 2012
RDC : Le M23 progresse vers Rutshuru
Jusqu'où iront les rebelles du M23 ? Les événements s'accélèrent à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) : la ville de Bunagana est tombée aux mains des rebelles vendredi et plus de 600 militaires congolais ont fui les combats en Ouganda. Le M23 encercle actuellement Rutshuru, dernier verrou avant Goma la capitale régionale du Nord-Kivu. Un scénario déjà vécu en 2008 avec la rébellion de Laurent Nkunda.
Depuis vendredi 6 juillet 2012, la ville de Bunagana, à la frontière avec l'Ouganda se trouve aux mains des rebelles du M23. Après de violents combats, la population et plus de 600 soldats de l'armée congolaise (FARDC) se sont réfugiés en Ouganda. La rébellion indique avoir récupéré un important stock de matériels et d'armes laissé par les forces gouvernementales.
Après la prise de Bunagana, le M23 occupe maintenant Rangira et Rwanguba et se dirige vers la ville de Rutshuru, le chef lieu du territoire. La ville serait déjà encerclée par la rébellion du colonel Mukenga, à une soixantaine de kilomètres seulement de Goma, la capitale du Nord-Kivu.
Les événements de ces dernières heures à l' Est de la République démocratique du Congo, ne sont pas sans rappeler ceux de 2008. «On a le sentiment désagréable que l’histoire se répète, avec des ex-CNDP (dont est issue le M23, ndlr) qui parviennent à prendre le contrôle de plusieurs axes stratégiques comme ils l’avaient fait en 2008», souligne Paule Rigaud, directrice adjointe d’Amnesty International pour l’Afrique. «Il y a cinq ans, une situation similaire avait donné lieu à des atrocités, dont le massacre de Kiwanja au cours duquel au moins 150 civils avaient été tué par le CNDP.»
Amnesty international s'inquiète «de la montée en puissance du M23, qui s’apprêterait selon certaines informations à prendre des villes importantes, en particulier dans le territoire de Masisi, ancien fief du CNDP.» Lors le la rébellion menée par Laurent Nkunda fin 2008, le CNDP avait fini par contrôler la plupart des territoires du Masisi et de Rutshuru et menaçait de faire tomber Goma. Finalement, les accords de paix, signés en 2009 entre le gouvernement congolais et les rebelles du CNDP, ont stoppé l'avancée rebelle et ont permis l'intégration des ex-miliciens dans l'armée régulière congolaise (FARDC). Mais l'intégration politique du mouvement n'a jamais eu lieu et le CNDP est toujours resté en marge des institutions congolaises.
Le respect des accords du 23 mars 2009 constitue la principale revendication avancée par le M23. Mais les autorités de Kinshasa considèrent qu'il s'agit là d'un prétexte, la vraie raison de la mutinerie étant la possible arrestation de Bosco Ntaganda, ancien numéro 2 du CNDP, recherché par la Cour pénale internationale (CPI).
Pour Thierry Vircoulon, responsable de l'Afrique centrale à l'International Crisis Group, la mutinerie du M23 constitue «une redite de 2008.» «Le but du M23 est de forcer Kinshasa à négocier. Comme en 2008 les rebelles dominent la situation sur le terrain, même si sur le plan diplomatique Kinshasa garde l'avantage» explique ce spécialiste de la région.
Installés aux portes de la ville de Rutshuru, les rebelles du M23 ont réitéré leur appel à la négociation avec Kinshasa et continuent d'affirmer que leur intention «n'est pas de conquérir des espaces», mais d'exiger «le respect des engagements pris par le gouvernement à travers l'accord du 23 mars 2009». Sans réponse positive des autorités congolaises, il est fort à penser que les prises de Rutshuru et Goma constituent les deux prochains objectifs du M23 pour faire plier Kinshasa.
DERNIERES NOUVELLES : Depuis ce dimanche 3 heures du matin, le M23 se trouve désormais aux abords de Rutshuru-centre. L'armée congolaise (FARDC) a battu en retraite vers Kiwanja.
Christophe RIGAUD
23:10 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (6)
06 juillet 2012
Rwanda : Dominique Decherf, "Hutu et Tutsi, ce sont des définitions de Blancs. La “race” est un mythe"
L’ancien ambassadeur de France au Rwanda publie un ouvrage décapant sur son expérience de diplomate en Afrique.
A la lecture du livre de Dominique Decherf, "Couleurs, Mémoires d’un ambassadeur de France en Afrique", (Ed Pascal Galodé), j’ai éprouvé comme journaliste de lourds regrets. Car mon métier consiste entre autres à repérer des acteurs d’exception dans le train-train quotidien, et ensuite à les faire connaître. Mais jusqu’alors, je n’avais pas pris la mesure de l’homme...
J'avais aperçu de loin l'ambassadeur de France au Rwanda à la réception du 14 juillet 2006 à Kigali. A cette occasion, dans le jardin de la résidence décoré de lampions et de drapeaux tricolores, il avait provoqué l’enthousiasme des Rwandais en commençant son discours en kinyarwanda. Mais je dois reconnaître avoir surtout été ébloui par la beauté et l'allure de sa femme, une styliste burkinabé. J’ai ce soir-là raté l’homme d'exception. La photo date du 14 juillet 2006, je l’ai prise alors que l’ambassadeur venait d’évoquer l’affaire Dreyfus et se dirigeait vers ses invités. Personne n’imaginait que quatre mois plus tard, en raison de neuf mandats d’arrêt internationaux délivrés par le juge Bruguière contre des proches du président du Rwanda Paul Kagame, l’ambassadeur Decherf serait expulsé et les relations diplomatiques avec la France rompues pour trois longues années.
Le dernier livre de Dominique Decherf est fascinant d'intelligence, de culture et de courage, ce qui n’est pas si courant d’un diplomate. Ses vérités iconoclastes sont avancées avec une concision et une élégance non moins rares. Il faut aussi remercier Pascal Galodé, éditeur de Saint-Malo, d’une publication remarquable. Dominique Decherf a accepté de répondre à nos questions.
Jean-François DUPAQUIER : - Pourquoi ce livre aujourd’hui ?
Dominique DECHERF : - Je ne pouvais le faire plus tôt : l’ambassadeur est tenu à un devoir de réserve. Aujourd’hui, un an s’était écoulé depuis mon admission à la retraite. En outre, le dernier président de la République sous lequel j’aurai servi, Nicolas Sarkozy, a quitté ses fonctions.
Jean-François DUPAQUIER : - Mais on voit bien que vous en avez commencé la rédaction depuis plusieurs années ?
Dominique DECHERF : - Je ne voulais pas qu’il vienne trop tard. Les leçons de cette expérience ne devaient pas être perdues pour la nouvelle génération. Beaucoup des acteurs que j’ai rencontrés sont morts : l’angolais Neto, le tanzanien Nyerere, le général ivoirien Gueï, mais d’autres sont encore au pouvoir, l’angolais Dos Santos auquel j’avais présenté les condoléances du gouvernement français à la mort de Neto en 1979, le burkinabé Blaise Compaoré auquel je fus présenté dès 1989…Pour ce qui concerne les hommes ce n’est qu’anecdotique. Le vrai danger est que la mémoire du génocide de 1994 ne s’efface progressivement, ne soit relativisée par la seule distance temporelle, ne devienne un événement parmi d’autres, et non comme je le propose dans ce livre, le tournant à partir duquel il est impératif de revisiter toute l’histoire précédente, en bref depuis 1957, le début des indépendances africaines (Ghana), et la pierre de touche qui doit devenir la pierre angulaire pour rebâtir nos relations avec ce continent.
Jean-François DUPAQUIER : - Vous soulignez dans les premières pages les ravages du fantasme de la race, dans la relation de l’Occident avec l’Afrique noire, comme ailleurs. Concernant le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, on a vu que les opinions publiques occidentales restent perméables à la raciologie du XIXe siècle, à l’idée de “haines ataviques”, etc. Peut-on convaincre l’opinion que « les races » sont un mythe ?
Dominique DECHERF : - La « race », ainsi que « l’origine » et la « religion », auxquelles le terme est justement et pertinemment associé dans la constitution française, dont on voudrait l’extirper, appartient à la catégorie des « représentations ». Contrairement aux autres facteurs de discrimination, la couleur en tête, le genre, le handicap, qui sont des phénomènes « observables », ces « représentations » sont des constructions, des « mythes » mais ce mot doit être pris au sens de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, c’est-à-dire des structures de pensée achevées, complètes, intégrales. Conçus comme des hypothèses, ces « mythes » ne sont pas vérifiables scientifiquement, mais il faut les supposer pour rendre compte du « racisme » qui, lui, pour le compte, est réel. Il est d’autant plus réel que, comme on le dit du diable, il fait croire – « on » fait croire – qu’il n’existe pas ou plus. En paraphrasant François Furet sur la révolution française, pour « passer » la « race » il faut d’abord la « penser ».
Sur l’évolution de l’opinion face à ce problème, je dirai ceci : dans la mesure où, comme le disait W. Du Bois, défenseur des esclaves aux Etats-Unis, « le problème noir est un problème de Blancs », le problème est en train de changer radicalement : désormais le Blanc a un problème avec sa propre « blancheur ». Jamais auparavant, un « Blanc » ne se représentait comme tel, une « race » parmi d’autres. Le blanc n’est pas une couleur. Il y avait l’Universel d’un côté, ou La Civilisation, ou l’Humanité, et de l’autre côté les « races » ou les « autres ». Ces grandes catégories n’étaient pas pensées par les « Blancs » au sens large comme « blanches », alors que tous les autres les considèrent comme telles, même si elles sont incarnées par des hommes (ou des femmes) noir(e)s, comme Obama le gouvernement des Etats-Unis ou la procureur Mme Bensouda à la Cour Pénale Internationale et même Kofi Annan les Nations Unies. Pour la première fois, les « Blancs » commencent à devoir se penser comme « Blancs ».
A l’échelle de l’Histoire, sauf à vouloir donner raison à Gobineau, la réaction des « Blancs » ne peut pas être de se laisser disparaître. Le « nativisme » n’a pas d’avenir.
Jean-François DUPAQUIER : - Mais quelles sont les alternatives ? Le métissage ?
Dominique DECHERF : -Je montre que d’abord c’est en effet une réaction de « Blancs » européens (pour être plus nombreux en s’adjoignant les métis, qu’ils soient biologiques ou simplement culturels, ce qui est une révolution mentale pour un Américain – des deux hémisphères – habitué à ce qu’une goutte de sang noir fasse le noir et non l’inverse), ensuite qu’elle est mathématiquement vouée à l’impasse, car les Blancs sont de moins en moins nombreux sur les autres continents, et notamment en Afrique noire. Le problème ne peut donc se gérer qu’au niveau politique des relations internationales, de nation à nation, de nations « noires » ou « autres » à nations « blanches » (même si ces dernières sont, elles, de plus en plus métissées).
Vous avez reconnu, derrière cette problématique, celle qu’a vécue dans sa chair l’Afrique du Sud, les Sud-africains autant blancs que noirs ou « coloured » (métis), ce qui me permet d’affirmer que l’Apartheid s’est aujourd’hui généralisé à l’échelle du globe. Mais c’est aussi pourquoi je dis qu’au moment où le Rwanda nous montrait le fond du gouffre, l’Afrique du Sud nous offrait la solution, la même année, le même mois d’avril 1994. Et le même commencement en 1990 (libération de Mandela, entrée du FPR au Rwanda). Or l’Afrique dans son ensemble qui, hier, disait qu’elle ne serait pas libre tant que les noirs sud-africains seraient dans les chaînes, aujourd’hui refuse, rejette cette nouvelle Afrique du Sud. Encore dernièrement pour la présidence de la Commission de l’Union africaine (Jean Ping préféré à Mme Dlamini-Zuma).
La solution vaut ici pour les Blancs autant que pour les Noirs. Les Blancs étaient prisonniers de l’Apartheid et se sont sentis mentalement libérés par son démantèlement comme les Noirs l’étaient physiquement et juridiquement. Les post-colonialistes, dans la ligne de Frantz Fanon, avaient bien vu que l’impact des relations raciales aussi inégalitaires transformait et pénalisait les Blancs ainsi que les Noirs.
Jean-François DUPAQUIER : - Dans ce livre paradoxalement dédié au président du Rwanda Paul Kagame, vous notez qu’il vous a traité « d’employé » après vous avoir chassé du Rwanda sous 24 heures en novembre 2006, dans la cadre de la rupture des relations diplomatiques avec la France. Comment avez-vous perçu ce qualificatif « d’employé » ? Comme une excuse concernant votre personne ou comme un camouflet supplémentaire ?
Dominique DECHERF : - La phrase exacte de son entretien avec le journaliste américain Stephen Kinzer se lit ainsi : « Nous avons renvoyé l’ambassadeur non pas parce qu’il avait fait quelque chose de mal. C’était un employé (employee). Nous n’avons pas le pouvoir de renvoyer le président français ou son ministre des affaires étrangères ou les chefs militaires ou les services de renseignement. Tout est dans le symbole. » (A Thousand Hills : Rwanda’s rebirth and the man who dreamed it, New York, 2008).
Il n’y a donc rien de personnel entre nous. Nous avons toujours parlé franchement et en confiance. Je dois ajouter que j’ai reçu de nombreux témoignages de sympathie de la part des dirigeants rwandais comme de simples citoyens. Je n’en veux à personne au Rwanda, ni au Quai d’Orsay. Suivez mon regard…
Jean-François DUPAQUIER : - Précisément, un diplomate est l’employé de son pays, chargé de faire passer une politique et de transmettre des informations à son gouvernement. Mais vous notez dans votre livre le résultat d’expériences personnelles : concernant les pays où vous avez travaillé, où vous avez une expertise, le Quai d’Orsay était généralement très mal informé des réalités du terrain, très crispé sur des préjugés. Et ça doit être pareil ailleurs. Comment avez-vous géré cette frustration ?
Dominique DECHERF : - Il y a trois niveaux : l’information, généralement celle du Quai est la meilleure, l’analyse, c’est-à-dire le traitement de l’information, où apparaissent les grilles de lecture subjectives, de plus en plus importantes à mesure que la taille de la note diminue (au ministre, au président), enfin l’action, qui, elle, tire certes, en principe, parti des informations, mais se fonde sur des volontés, des politiques, et peuvent donc – légitimement – aller à l’encontre des faits. Mais, rassurez-vous, la plupart du temps, « on ne fait rien ». Pour qu’il y ait action, il faut des concours de circonstance plutôt exceptionnels, et souvent très à la marge. La frustration serait plutôt dirigée à l’encontre des impuissances que des abus de pouvoir. Pourquoi ? Parce que nous sommes un vieux pays, repu, conservateur de l’ordre établi international dont il est l’un des principaux bénéficiaires, consensuel, respectable, qui parle et pense plus qu’il n’agit, ou qui croit que parler ou écrire c’est agir (« la voix de la France »)…Ce n’est pas tellement une critique qu’un constat, la loi du genre.
Jean-François DUPAQUIER : - Si vous le voulez bien, nous allons revenir sur le Rwanda et le génocide contre les Tutsi, bien que votre livre touche à bien d’autres pays et d’autres débats. Vous laissez entendre que les accusations contre la France ne sont pas forcément pertinentes lorsqu’elles accablent surtout les militaires français, et moins les politiques. Pourquoi ?
Dominique DECHERF : - Le Rwanda constitue en effet un chapitre sur huit mais il détermine tout le livre. Le 14 juillet 2006, dans les jardins de la résidence de France à Kigali, pour le discours traditionnel pour la fête nationale, j’avais fait écho au centenaire de la réhabilitation du capitaine Dreyfus qui venait d’être commémoré en France. C’était un clin d’œil. Le cas rwandais prend dans notre pays les allures d’une seconde affaire Dreyfus. L’opinion, au-delà des simples initiés, se divisait, toutes tendances confondues, en dreyfusards et antidreyfusards.
Biographe de Jacques Bainville, je suis instinctivement sur une ligne qui consiste à croire en l’innocence du capitaine tout en refusant de m’associer aux excès du « parti dreyfusard », c’est-à-dire de l’hostilité à l’institution militaire et à ses représentants. J’ai souvent dit à mes interlocuteurs rwandais : gardez-vous d’attaquer l’armée française en bloc ! L’institution comme telle a été suffisamment ébranlée par le drame.
Jean-François DUPAQUIER : - Ebranlée, mais apparemment soudée dans le déni !
Dominique DECHERF : - Elle n’en est pas sortie intacte. Laissez la faire son processus d’évaluation. Si vous l’attaquez en bloc, elle se refermera comme une huître. D’autre part le drame a servi à reformater les interventions militaires extérieures, la coopération militaire et la coopération tout court qui a disparu corps et biens moins de quatre ans plus tard (suppression du ministère de la Coopération en 1998 !).
En outre, les attaques contre l’armée sont autant d’excuses pour les politiques qui ainsi peuvent échapper à leurs responsabilités. Dans une démocratie comme celle de la France, la responsabilité politique ne se divise pas. Autour de l’armée, droite et gauche feront bloc. Le vrai drame du Rwanda est que la France vivait, au moment du dénouement, en régime de cohabitation où, précisément, les responsabilités étaient diluées. On l’avait vu lors de la première cohabitation Mitterrand/Chirac sur le Tchad. La cohabitation Mitterrand/Balladur lors du génocide fut caricaturale (mais pas plus et sinon moins que dans tous les autres pays ou organisations): on évita le pire, une guerre de reconquête d’un côté, une inaction totale de l’autre. « Turquoise » fut un compromis avec les avantages et les inconvénients du genre. Politiquement ce fut un handicap pour la droite qui dût assumer un héritage qui n’était pas de son fait, et tout bénéfice pour la gauche qui faisait oublier la vraie guerre de la période 90/93. Entre les deux, avec des idées aussi contradictoires, et le plus souvent sans instructions, comment les militaires pouvaient-ils s’y retrouver ? Les meilleurs, ou les moins cyniques, en furent les plus meurtris. J’en ai rencontrés. Et, pour les politiques, personnellement, je peux témoigner de l’innocence d’Alain Juppé.
Jean-François DUPAQUIER : - Vous écrivez que le discours de la Baule de juin 1990 a été en quelque sorte « arraché » à un président français dubitatif, et qu’il a constitué la trame du soutien aveugle au régime Habyarimana, avec les conséquences que l’on sait. Pourquoi ?
Dominique DECHERF : - Mitterrand savait que la démocratie formelle qu’il se voyait contraint d’exiger de certains chefs d’Etat africains était suicidaire, le Rwanda étant sans doute le cas limite. Il se sentait donc moralement obligé de l’aider autant que possible. La Baule qui se voulait un désengagement se traduisait par un réengagement militaire en Afrique ! Comment Mitterrand déjà dubitatif sur la nouvelle Russie, l’unification de l’Allemagne, l’implosion de la Yougoslavie, n’aurait-il pas été encore plus méfiant vis-à-vis des conséquences en Afrique de la chute du mur ? Le problème est qu’il ne sut pas apporter à La Baule la réponse qui pourtant était à portée de main mais encore trop nouvelle, trop imprévue pour faire fond sur elle : l’Afrique du Sud.
Jean-François DUPAQUIER : - Le rôle personnel de François Mitterrand a été montré du doigt dans la catastrophe de 1994 au Rwanda, mais était-il encore vraiment aux commandes de la France ? Un Hubert Védrine n’était-il pas le véritable patron caché de la diplomatie, du « pré carré » et des services spéciaux ?
Dominique DECHERF : - Mitterrand était sans doute à son époque le meilleur connaisseur de la politique africaine qui soit, du fait de son parcours sous la IVe République. La preuve en est que son meilleur guide fut jusqu’au bout du bout Félix Houphouet-Boigny qu’il rallia à son parti de l’époque, l’UDSR, et fut plusieurs fois ministre (contrairement à Senghor).
Pour Houphouet, Mitterrand tint bon sur le franc CFA jusqu’à la mort de celui-ci en décembre 1993, un contre tous, le Trésor, la Banque mondiale etc.
En 1994, Mitterrand n’aura plus en Afrique personne de sa valeur à qui se référer. Il était encore trop tôt pour Mandela qui d’ailleurs occulta le drame rwandais. C’était le grand vide (hélas Boutros-Ghali !)
Il faudra certes bien un jour « dédouaner » Mitterrand pour que le parti socialiste (j’ignore ce qu’il en est du président Hollande) puisse « passer » le drame rwandais. Faire de Védrine, à l’époque « simple » secrétaire général de l’Elysée, même pas ministre, le bouc émissaire n’est pas à la hauteur de l’effort historique requis.
Jean-François DUPAQUIER : - Avant votre prise de fonction en 2004, Bruno Joubert, le « Monsieur Afrique » de l’Elysée vous demande d’essayer de comprendre ce qu’est un Hutu et un Tutsi. Comment analysez-vous ce genre de questionnement dix ans après le génocide ?
Dominique DECHERF : - Le mot est de Michel de Bonnecorse, alors conseiller Afrique de Chirac (et non Bruno Joubert qui ne le deviendra que sous Sarkozy). On peut l’interpréter comme une manière de marquer une distance avec un événement survenu lorsque Chirac n’était pas aux affaires et même le plus loin possible. Dominique de Villepin, qui était responsable de cette volonté de rapprochement pour laquelle on m’avait choisi en 2004, avait voulu se « débarrasser » du problème en renouant les relations franco-rwandaises dès 1995. La bêtise à l’époque avait été, comme je l’ai signalé, de convaincre le ministre des affaires étrangères Alain Juppé, devenu premier ministre, qu’il était « solidairement responsable » de la politique vis-à-vis du Rwanda qu’il ne partageait pas, que ce soit celle de Mitterrand ou celle de Balladur !
L’autre interprétation est que le conseiller Afrique n’avait encore trouvé personne parmi ses collègues pour lui fournir une réponse satisfaisante. Ce qui traduit bien la confusion ambiante dans les milieux dirigeants, hauts fonctionnaires, comme les milieux universitaires, dix ans après et aujourd’hui dix-huit ans après. C’est pourquoi cette question me paraît aussi centrale qu’elle est incongrue.
Jean-François DUPAQUIER : - Hutu et Tutsi, ce sont des définitions de Blancs ?
Dominique DECHERF : - Bien sûr, Hutu et Tutsi, ce sont des définitions de Blancs, car sinon pourquoi poser la question ? Les Rwandais ne se la posent pas, car comme on dit, chacun se connaît. Il y a que nous à se la poser, parce qu’aucune de nos clés de lecture ne fonctionne : ni ethnie, ni classe, ni caste, ni religion, donc race ?…Et pourquoi se la poser sinon pour classifier, comme de savoir qui est juif, pour gérer, et ultimement pour « tuer ». La résurgence de la « race » en effet ne sert qu’à cela : désigner l’ennemi en temps de paix (Michel Foucault). Quand j’étais ambassadeur, j’avais banni ces appellations des télégrammes diplomatiques, forçant mes collaborateurs à aller plus loin dans la description de telle ou telle personnalité : anglophone ou francophone, réfugié d’Ouganda, ou du Burundi, ou du Zaïre, survivant, ou originaire de telle ou telle région, cela ne trompait personne mais obligeait à se déprendre de ces termes connotés.
Jean-François DUPAQUIER : - Vous écrivez que « la reconnaissance par le président Chirac en 1995 de la participation de l’Etat français à la déportation du Vel d’Hiv en 1942 ne serait peut-être pas intervenue sans le génocide rwandais de 1992 ». Pouvez-vous nous expliquer le sens de cette formulation ?
Dominique DECHERF : - Comment en effet imaginer reconnaître le rôle de la France au Rwanda si on n’a pas encore été capable après 53 ans de reconnaître la participation de « l’Etat français » dans la déportation des juifs du Vel d’Hiv ? Et comment y penser soudain en 1995 sans que la récente actualité n’ait fait se ressouvenir de la réalité contemporaine du génocide ? La polémique qui s’en est suivie sur la nature des responsabilités : que voulait dire ici l’expression « Etat français » ? Le régime de Vichy dans son ensemble, l’institution, les hommes, où était « la France » en 1942, était aussi un écho à la nature de la « part de responsabilité morale » dont nous accablait, un ton largement en-dessous, le président Kagame.
Jean-François DUPAQUIER : - Vous laissez aussi entendre que les Tutsi du Rwanda ayant été assimilés à des Blancs, leur extermination était, d’une certaine façon, celle des colonisateurs. Pourquoi ?
Dominique DECHERF : - Le racisme, dis-je, n’était pas originellement entre Hutu et Tutsi mais dans le regard des Blancs sur le génocide noir. Comme je l’ai mentionné à propos de l’Afrique du Sud, le Blanc est lié au Noir dans le rapport de forces qu’il a instauré entre eux. Dans son esprit, ce rapport ne laisse d’autre alternative que le renversement par la force. Personne n’a imaginé que le pouvoir des uns pouvait reposer sur une nouvelle forme de légitimité. C’est en ce sens que les thèses du « pouvoir hutu » seront justifiées au nom de l’idéologie anticolonialiste, totalement anachronique en 1990, est-il besoin de souligner.
Jean-François DUPAQUIER : - Vous évoquez le rêve d’un Hutuland et d’un Tutsiland chez Hubert Vedrine et Bernard Debré. Pourquoi ces deux hommes aux antipodes politiques font-ils le même rêve que Staline d’un « Etat juif » en URSS ou que Hitler de les déporter en bloc à Madagascar – avant d’opter pour l’extermination ?
Dominique DECHERF : - Il ne faut pas oublier que le génocide survient en plein siège de Sarajevo. Bernard-Henri Lévy n’ira pas au Rwanda car il conduit une liste pour Sarajevo aux élections européennes de juin 1994, quelle coïncidence ! La balkanisation sur une base ethnique est dans toutes les têtes. CQFD pour le problème Hutu/Tutsi. Chez Bernard Debré, c’est un surinvestissement d’expertise « africaniste », chez Hubert Védrine, une transposition indifférenciée de l’Est au Sud.
Jean-François DUPAQUIER : - Assimiler Tutsi et Juif est-il pertinent ?
Dominique DECHERF : - Un « dialogue des mémoires » veut faire apparaître les points communs aux victimes de génocide et à la volonté de survie des communautés menacées (cela inclut aussi les Arméniens). Mais il faut faire attention au sens du mot « race » selon qu’il s’applique aux Juifs ou d’une manière générale aux Noirs. Racisme et antisémitisme sont justement associés dans la lutte contre toute discrimination, mais ils ont aussi trop souvent prêté à amalgame comme on l’a vu lors de la conférence des Nations Unies à Durban en 2001 puis à Genève en 2011. Cela risque de ressurgir si l’on prétend supprimer le mot « race » dans la constitution : en 1946, cette disposition visait à protéger les Juifs – on considérait qu’il n’y avait pas de problème de couleur en France, alors qu’aux Amériques (nos Antilles comprises), « race » est toujours employé en référence à l’esclavage des Noirs.
Jean-François DUPAQUIER : - Selon vous, le Quai d’Orsay et les réseaux de la Françafrique ne cherchaient qu’à défendre Mobutu en tentant de contenir la rébellion du FPR dès 1990. Pourtant, Mobutu était d’abord l’instrument des Américains et de la CIA ?
Dominique DECHERF : - Giscard d’Estaing est le premier à avoir engagé la France – et son armée – lourdement aux côtés de Mobutu. Il s’en est défendu lors de la commémoration du saut de la Légion sur Kolwezi (1978). A Calvi en 2008, il a révélé avoir refusé la requête du chef de l’Etat zaïrois que l’armée française demeure d’une manière permanente en protection (les Marocains resteront quelques mois). C’est alors qu’un sommet francophone se tint à Kigali en 1979 où Senghor fit adopter son projet de Commonwealth à la française. Il est remarquable que les plus fidèles soutiens au pouvoir hutu viendront (jusqu’à aujourd’hui) du Sénégal et de l’ex-Afrique équatoriale française (Centrafrique, Congo-Brazzaville, Gabon, Cameroun) dont Giscard était le plus proche (au détriment de Houphouet).
Jean-François DUPAQUIER : - Vous écrivez aussi que l’actuel président du Rwanda Paul Kagame ne peut se défaire de ses ambitions sur la RDC. A votre avis, est-il dans le fantasme du chef de guerre ou dans une logique de pillage des richesses ?
Dominique DECHERF : - Je n’ai pas écrit exactement cela. Je dis par contre que géographiquement l’Est congolais débouche plus naturellement sur l’Océan indien que sur l’Atlantique ; d’autre part le Rwanda, situé en Afrique de l’Est (il faisait partie de l’Afrique orientale allemande avant d’être accidentellement – et comme pays sous mandat - rattaché à la colonie belge du Congo), est un cul-de-sac s’il ne met pas en communication l’Afrique de l’Est et le Congo.
Jean-François DUPAQUIER : - En 2009, Nicolas Sarkozy avait déclaré publiquement qu’il approuvait le partage des richesses du Kivu entre la RDC et le Rwanda. Il a visiblement charmé Kagame par ces propos. S’agit-il à votre avis d’une base politique solide pour la diplomatie française vis-à-vis de la RDC ?
Dominique DECHERF : - C’est la solution qui s’impose sur le papier. J’ai longtemps mis en avant le modèle de la Communauté charbon-acier avant de me rendre compte que pour que le concept de la CECA triomphe, il avait fallu une guerre mondiale où l’un des pays, l’Allemagne, avait été totalement vaincu. Il s’en est fallu de peu pour le Zaïre, mais le peuple congolais, s’il « tolère » la dynastie Kabila (originaire du Nord-Katanga), n’est pas prêt à des accords jugés léonins avec le petit Rwanda. Le président Sarkozy avait en effet désigné un ambassadeur itinérant chargé de pousser l’idée mais n’est pas Robert Schuman ou Jean Monnet qui veut. Le préalable à tout progrès, ce qui se vérifie un peu partout en Afrique, est de rééquilibrer les Etats hypercentralisés d’origine postcoloniale sur des perspectives transfrontalières.
Jean-François DUPAQUIER : - A votre avis, les tentatives de déstabilisation de Kagame, notamment par les Services spéciaux français à travers l’enquête Bruguière, ont-ils encore cours aujourd’hui ?
Dominique DECHERF : - L’opération Bruguière a fait long feu. Je ne vois pas par quoi elle serait remplacée. Il reste un déficit de confiance, l’impossibilité d’accepter Kagame comme « légitime » sans parler de l’admettre au « club ». « On fait avec ». C’est déjà pas mal si l’on considère de là où l’on est parti. La transformation, que je qualifierai de « spectaculaire », des esprits et des cœurs entre 2004 et 2006 à laquelle j’ai assisté est là pour en témoigner.
Jean-François DUPAQUIER : - Quelle doit être la diplomatie française vis-à-vis du Rwanda ? L’endiguement, ou au contraire l’aide au désenclavement ?
Dominique DECHERF : - L’alternative récente me paraît plutôt avoir été entre l’hagiographie – certains diraient l’agenouillement – et le dénigrement systématique. Je regrette ma ligne que je continue de considérer ouverte et compréhensive. Il nous faudrait développer une diplomatie régionale élargie non seulement aux Grands Lacs, mais à l’Afrique de l’Est et à la Corne de l’Afrique, le champ, disons, du Comesa au plan économique, de l’Easbrig au plan militaire. Somalie, Soudan, sud et nord, impliquent aussi un partenariat stratégique avec le Rwanda, devenu spécialiste en conflits terminaux. C’est cette reconnaissance internationale qui nous fera dépasser les huis clos, rwando-français, rwando-congolais ou rwando-rwandais.
Jean-François DUPAQUIER : - Le Rwanda est accusé de soutenir le mouvement mutin du M 23 au Kivu, sans qu’on comprenne clairement le but poursuivi. Comment analysez-vous, dans la durée, cette nouvelle crise entre le Rwanda et la RDC ?
Dominique DECHERF : - A nouveau et toujours une question de politique intérieure congolaise. Les Congolais ont grand tort de vouloir régler leurs problèmes internes sur le dos des Rwandais.
Jean-François DUPAQUIER : - Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault affiche sa volonté de restaurer la francophonie. Que faire au Rwanda où parmi les conséquences du génocide de 1994, il y a eu l’effondrement du français et la fermeture du Centre culturel franco-rwandais, le seul équipement culturel digne de ce nom à Kigali ?
Dominique DECHERF : - La défense de la francophonie était un axe majeur de mon plan d’action comme ambassadeur de 2004 à 2006 : le centre culturel avait été remis au centre de toute la vie culturelle rwandaise; rfi avait été admis à rouvrir ses émissions en FM ; Cyangugu, province frontalière avec le Burundi et la RDC, avait été privilégiée comme zone de développement prioritaire ; les francophones, dont une forte minorité d’ex-réfugiés au Zaïre et au Burundi, qui dominaient le secteur des affaires, avaient repris confiance ; le bilinguisme des élites triomphait au plan panafricain avec l’élection de Kaberuka à la tête de la Banque Africaine de Développement avec notre soutien. Etc etc. Que veut la mariée ? Le Rwanda a toute sa place dans la francophonie sans exclusive.
Jean-François DUPAQUIER : - Certains acteurs français comme Hubert Védrine, Bernard Debré ou Marcel Debarge - lorsqu’il était ministre de la coopération -, ont estimé qu’au Rwanda majorité démocratique signifie majorité ethnique. Qu’en pensez-vous ?
Dominique DECHERF : - On l’a dit : rien n’est plus étranger au modèle arc-en-ciel sud-africain. Mais même si la démocratie africaine traditionnelle est avant tout recherche du consensus, voire de l’unanimité au niveau de la famille élargie ou du village, au niveau des nations modernes, sauf exception, jamais une unique ethnie n’est capable de s’imposer seule. La recherche d’alliances est une condition nécessaire de l’exercice du pouvoir. Exemple : Houphouet-Boigny qui avait fondé la stabilité de la Côte d’ivoire sur l’alliance entre Baoulé du centre et Senoufo du Nord. Son successeur, Bédié, plus Akan que Baoulé, ne saura pas bâtir de nouvelles alliances. L’ivoirité c’est l’endogamie, le contraire de l’alliance. Le Kenya est actuellement –et péniblement - à la recherche de ce type de transactions trans-régionales qui a lamentablement – ce qui était à prévoir - échoué aux dernières élections de décembre 2007.
Par ailleurs, l’objet de toute démocratie est de dégager des « leaders » capables de transcender les clivages. Ce sont ceux-là qui font aujourd’hui le plus défaut à l’Afrique.
Jean-François DUPAQUIER : - Nous savons que certains au Quai d’Orsay, notamment l’ancien ambassadeur Marlaud (à travers le récent rapport d’inspection de l’ambassade de France à Kigali) prêchent pour que le France prenne ses distances avec Kagame et favorise le retour d’un certain « pouvoir hutu », quelles qu’en soient les conséquences intérieures. Quelle doit être la position de la diplomatie française ?
Dominique DECHERF : - La diplomatie française s’est évertuée à décourager, dans l’esprit des dirigeants actuels, l’idée que nous apportions quelque soutien que ce soit aux réfugiés rwandais au Congo, les FDLR (Front de Libération du Rwanda), ni à aucune forme de « divisionnisme » à l’intérieur ou de « révisionnisme » ou « négationnisme » à l’extérieur. Il nous faut sans doute être plus offensifs et faire comprendre définitivement aux militants de quelque pouvoir majoritaire hutu qu’il n’y aura jamais aucun retour en arrière à la situation ante 1993. Certains d’entre eux peuvent penser jusqu’à aujourd’hui que nous les avons abandonnés à leurs démons intérieurs. Autant que les ex-« Tutsi de l’intérieur » survivants, les Hutu peuvent nous dire comme la sœur de Lazare à Jésus : « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ». Mais il faut que chacun sache que nous n’avons pas le pouvoir de ressusciter les morts. Seulement de permettre de faire le deuil.
Jean-François DUPAQUIER : - Depuis le rappel en France par Alain Juppé de l’ambassadeur Contini, et le refus de Kagame d’accréditer Hélène le Gall (devenue depuis conseillère Afrique du président François Hollande), la France n’a plus d’ambassadeur au Rwanda. Accepteriez-vous de reprendre du service si on vous le demandait ?
Dominique DECHERF : - Le refus d’accréditation d’Hélène Le Gal est un parfait malentendu. Sous-directrice d’Afrique de l’Est lorsque j’étais ambassadeur à Kigali, elle a toujours activement soutenu la ligne du rapprochement.
On ne me demandera pas de reprendre du service, car étant en retraite, ma nomination ne serait plus diplomatique mais « politique ». On changerait de registre. Outre qu’il n’est jamais bon de retourner sur le lieu de ses crimes. Nécessairement on compare…Il faut un œil neuf.
Toutefois je continuerai à défendre ce qui a été fait entre 2004 et2006, « socle » de ce qui a été réalisé depuis et le sera par les ambassadeurs à venir. Je suis fier de mon bilan.
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER
Dominique Decherf, "Couleurs, Mémoires d’un ambassadeur de France en Afrique", Ed Pascal Galodé, Saint-Malo, France.
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04 juillet 2012
RDC : Le rapport qui "accable" le Rwanda
Les experts de l'ONU viennent de rendre public leur rapport sur les violations de l'embargo sur les armes. Le document accuse ouvertement Kigali d'appuyer la rébellion du M23 qui se bat contre l'armée congolaise dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). L'annexe de 43 pages du rapport, que nous nous sommes procurés, sonne comme un véritable réquisitoire contre l'ingérence du Rwanda en RDC. Changera-t-elle la donne au Nord-Kivu ? Pas dans l'immédiat.
Le doute n'est plus permis. L'implication rwandaise auprès des rebelles du M23 en RDC était encore, il y a encore quelques mois, un secret de polichinelle. Aujourd'hui les preuves sont couchées noir sur blanc et signées des Nations unies. Le rapport de l'ONU révèle les relations ambiguës entre le Rwanda et la République démocratique du Congo autour de la mutinerie lancée il y a deux mois par le général rebelle Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale (CPI). Au coeur des révélations du groupe d'experts : le soutien matériel, financier et humain aux rebelles du M23 qui affrontent l'armée régulière congolaise (FARDC) au Nord-Kivu depuis mai 2012.
"Assistance directe au M23"
Le rapport, dont vous pouvez consulter l'annexe en français (à télécharger ici), détaille par le menu de nombreuses preuves du soutien du Rwanda au M23. Les experts ont collecté un ensemble impressionnant des documents officiels, d'interceptions de communications radio, des rapports internes de l'armée congolaise, de photos, de cartes, mais également de plus de 80 témoignages directs de déserteurs du M23. Les experts de l'ONU dénoncent :
"- l'assistance directe à la création du M23 en facilitant le transport des armes et des troupes à travers le territoire rwandais,
- le recrutement de jeunes rwandais,
- la fourniture d‟armes et de munitions au M23,
- les interventions directes des Forces rwandaises de défense (FRD) sur le territoire congolais afin de renforcer le M23,
- l'appui à plusieurs autres groupes armés".
Makenga à Gisenyi ?
Le rapport retrace chronologiquement l'assistance rwandaise au M23 : "le 4 mai, Makenga (le chef rebelle du M23) a traversé la frontière de Goma pour Gisenyi, au Rwanda, et a attendu que ses soldats à Goma et à Bukavu le rejoignent (…) Le commandant de la Division de l'ouest des FDR (armée rwandaise), le général Emmanuel Ruvusha, a accueilli Makenga lors de son arrivée à Gisenyi. Les mêmes sources ont indiqué que durant les jours qui ont suivi, Ruvusha a tenu une série de réunions de coordination à Gisenyi et à Ruhengeri, avec des officiers du FDR et avec Makenga (…) Toujours le 4 mai, les colonels Kazarama, Munyakazi, et Masozera, et près de 30 soldats fidèles à Makenga ont quitté Goma et ont traversé la frontière vers le Rwanda à travers les champs proches de la frontière Kanyamuyagha".
Les experts de l'ONU détaillent également les différents points de transit et de recrutement des rebelles du M23. Et c'est au Rwanda qu'ils en trouvent les traces, à Kinigi, situé à 5 petits kilomètres de la frontière congolaise. "Certaines recrues déclarent avoir reçu un repas à l'Hôtel Bishokoro, qui appartient au général Bosco Ntaganda et son frère à Kinigi. Ensuite, les soldats des FRD (armée rwandaise) escortent des groupes importants de nouvelles recrues à la frontière et les envoient en RDC", note le rapport.
Kabarebe et Nkunda à la manoeuvre
Révélations plus embarrassantes pour Kigali, 5 officiers de l'armée rwandaise dont le ministre de la Défense James Kabarebe, le chef d'état-major Charles Kayonga, l'ancien chef des renseignements militaires Jacques Nziza, et Célestin Sendoko (l'assistant personnel de Kabarebe) sont accusés d'être les principaux responsables de l'appui rwandais aux rebelles de l'Est congolais. Le 23 mai 2012, Sendoko, le bras droit de Kabarebe, a "organisé une réunion, avec la participation d‟officiers du FRD (armée rwandaise) et 32 chefs de communauté, principalement des cadres CNDP, à Gisenyi à la résidence du membre du CNDP Gafishi Ngoboka. Senkoko s'est présenté comme un représentant de Kabarebe et a relayé le message que le gouvernement rwandais soutient le M23, dont la nouvelle guerre a pour objectif d'obtenir la sécession des deux Kivus. Après avoir montré le territoire qui devait être libéré sur une carte, il a donné l'instruction aux hommes politiques de convaincre tous les officiers rwandophones dans l'armée et opérant dans les Kivus de rejoindre le M23". Le rapport de l'ONU note que pendant que les combats font rages au Nord-Kivu, "Ntaganda et Makenga ont régulièrement traversé la frontière avec le Rwanda pour participer à des réunions avec chacun des hauts officiers FRD (armée rwandaise) à Kinigi afin de coordonner les opérations et le ravitaillement". Autre découverte pour le moins étonnante des experts de l'ONU, la présence le Laurent Nkunda : "l'ancien président du CNDP, le général Laurent Nkunda, officiellement en résidence surveillée par le gouvernement rwandais depuis janvier 2009, vient souvent de Kigali pour participer à ces réunions".
Les points faibles du rapport
Si les preuves sont accablantes et irréfutables, trois petites zones d'ombres viennent tempérer le rapport de l'ONU : la fragilité des témoignages, tous anonymes (et on comprend pourquoi) ; le manque de traçabilité du trafic d'armes et de preuves des flux financiers pour soutenir le M23. Toutefois, les documents avancés dans ce rapport sont assez nombreux et solides pour démontrer l'ingérence au plus haut niveau de l'Etat du Rwanda en République démocratique du Congo.
Les accusations de l'ONU changeront-elles la donne ?
Sur le plan diplomatique, Kinshasa compte déposer une requête devant le Conseil de sécurité de l'ONU, mais elle a peu de chance d'aboutir, selon un diplomate, interrogé par RFI. Sur le terrain, au Nord-Kivu, le rapport des experts ne changera vraisemblablement rien dans l'immédiat. Les positions des belligérants sont figées, soldats et rebelles sont retranchés dans une guerre de position qui peut durer des mois. Quant à Kinshasa, elle se retrouve dans une position inédite, qu'elle n'avait pas anticipé : son allié rwandais (depuis 2009) est désormais un "Etat ennemi". Le scénario de la rébellion du M23 constitue donc une "surprise" pour Kinshasa. Et Joseph Kabila n'a ni les moyens militaires, ni l'envie d'en découdre avec Kigali. C'est d'ailleurs l'un des principaux reproches qui collent à la peau du chef de l'Etat congolais : sa "proximité" avec le Rwanda. Pour comprendre le "réveil tardif" des autorités congolaises aux ingérences rwandaises à l'Est, il faut lire le communiqué de presse de la Voix des sans voix (VSV), une ONG congolaise des droits de l'homme : "la VSV ne s’explique pas que ce soit la Monusco et Human Rights Watch qui soient les premières à dénoncer l’appui du Rwanda aux mutins alors que notre pays, la RDC, dispose de nombreux services de sécurité civils et militaires auxquels un budget conséquent est toujours alloué chaque année. Elle pense que le manque, par la RDC, de maîtrise du contrôle des questions de sécurité à ses frontière repose avec acuité la problématique de l’échec depuis plusieurs années de la restauration de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire congolais en général et à l’Est de la RDC en particulier"… oui pourquoi avoir attendu si longtemps ?
Christophe RIGAUD
Photos extraites du rapport de l'ONU © DR
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01 juillet 2012
RDC : Quand Julien Paluku joue les intermédiaires avec les FDLR
Kigali accuse le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, de coopérer avec les rebelles FDLR, en vue de reprendre des "attaques terroristes" contre le Rwanda. Dans une lettre que nous publions, Julien Paluku demandait le 19 juin l'aide de la Monusco, pour deux responsables FDLR. Pour Kinshasa, ces accusations sont "un non-sens" et visent à "détourner l'opinion" suite au rapport de l'ONU sur l'implication du Rwanda dans une mutinerie à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC).
La contre-attaque du Rwanda n'a pas tardé. Accusé de soutenir la rébellion du M23 au Nord-Kivu, en guerre contre Kinshasa, Kigali accuse à son tour la RDC de vouloir relancer sa coopération entre son armée et les rebelles hutus FDLR. Pour preuve, cette lettre datée du 19 juin 2012 (voir ci-contre), du gouverneur de la province du Nord-Kivu, Julien Paluku, au chef de bureau de la Monusco à Goma. Le gouverneur "recommande" une liste de plusieurs personnes pour embarquer à bord d'un avion des Nations unies à destination de Mutongo en territoire de Walikale. Sur cette liste, deux responsables FDLR, une milice hutue, qui menace Kigali : Faustin Murego, coordinateur des FDLR à Liège en Belgique et Joseph Nzabonimpa un ex-FAR. Si la demande a été refusée par la Monusco, cette lettre prouve pour Kigali, la connivence entre les autorités congolaises et les FDLR.
Selon Kigali, Julien Paluku aurait été chargé par le président Joseph Kabila, via son conseiller sécurité Pierre Lumbi, "d'identifier des personnalités ayant des contacts avec les FDLR". Toujours selon le Rwanda, les deux membres des FDLR, qui voyagent avec des passeports belges, auraient remis plus de 100.000 dollars à un responsable militaire du groupe à Mudacumura.
Cette lettre tombe à point nommé pour Kigali, très embarrassée par les accusations des experts de l'ONU qui viennent de démontrer l'implication du Rwanda dans les mutineries qui agitent l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Pour Kinshasa, il s'agit d'une pure diversion. Selon Lambert Mende, porte-parole du gouvernement congolais, ces accusations sont un "non-sens", l'armée congolaise menant une "lutte sans merci contre les FDLR" (avec jusqu'à peu, l'aide du Rwanda !). Quant à Julien Paluku, il affirme que "le gouvernement rwandais est aux abois face toute la pression internationale qui pèse sur lui".
Après deux mois d'affrontements à l'Est de la RDC, les deux voisins s'accusent désormais mutuellement de soutenir leur propre rébellion : le Rwanda soutenant le M23, le Congo, les FDLR. Une guerre entre Kinshasa et Kigali qui ne dit pas son nom, par rebelles interposés.
Christophe RIGAUD
23:52 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (0)