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21 septembre 2013

RDC : Vers un partage du pouvoir à l'issu des concertations ?

La "Coalition pour le vrai dialogue en RD Congo" (CVD), une plateforme pilotée par l'UNC de Vital Kamerhe, affirme qu'un projet de partage du pouvoir serait proposé aux concertations nationales. Selon la CVD, une formule "1+2" pourrait voir le jour : 1 président et 2 vices présidents. Un "partage" qui instaurerait "une présidence à vie" pour Joseph Kabila.

Palais du peuple 2.jpgDans un communiqué, la Coalition pour le vrai dialogue en RD Congo (CVD), une plateforme dans laquelle on retrouve l'UNC de Vital Kamerhe, le RCD-KML, l'UPC ou l'UDEMO, dénonce des manoeuvres à l'étude lors des concertations nationales. Selon cette coalition d'opposition, "une réunion se serait tenue loin de Kinshasa" au cours de laquelle "un schéma de partage du pouvoir" aurait été mis en place en vue de le soumettre aux délégués des concertations nationales. Il s'agirait d'une formule "1+2" : 1 président et 2 vices présidents. La CVD s'inquiète des conséquences qu'auraient une telle décision : "violations de la Constitution du 18 février 2006, dissolution de l' Assemblée nationale et du Sénat" et la possibilité pour le président Joseph Kabila, "au pouvoir depuis 12 ans d'instaurer une présidence à vie".

Pour le moment, aucune autre source ne nous indique qu'un tel projet est à l'étude à Kinshasa. Peu d'éléments filtrent des concertations nationales ouvertes depuis le 7 septembre dernier. Les principaux partis d'opposition, sauf le MLC, ont décidé de boycotter ces assises censées "favoriser l'émergence d'une cohésion nationale". La participation des groupes armés à longtemps été débattue avant d'être rejetée par le gouvernement. Seule "avancée" pour le moment, les délégués du groupe thématique «décentralisation» ont recommandé au président Joseph Kabila de "rapatrier la dépouille mortelle du feu président Joseph Désiré Mobutu et celle de feu Moïse Tshombe"… une demande dont on ne voit pas très bien le rapport avec la crise politique que traverse le pays.

La Coalition pour le vrai dialogue en RD Congo demande dans son communiqué "la suspension sans délai" des concertations et la "clôture immédiate des pourparlers de Kampala" entre la rébellion du M23 et le gouvernement congolais. Les organisateurs ont annoncé samedi la prolongation des concertations jusqu'au 28 septembre.

Christophe RIGAUD - AFRIKARABIA

Photo : Palais du peuple de Kinshasa © www.afrikarabia.com

18 septembre 2013

Rwanda : Racisme et génocide, l’idéologie hamitique

Les historiens Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, spécialistes de la région des Grands Lacs, décryptent dans un livre le processus de l’idéologie raciste qui a abouti en 1994 au génocide des Tutsi du Rwanda.
 
004860.jpgDans l’Europe de la fin du XIXe siècle, le racisme légitimait l’expansion coloniale, cette guerre ouverte, ou sournoise menées par les grandes puissances contre l’Afrique noire. On prétendait “sauver” de la sauvagerie des “peuples inférieurs”. En France, Paul Broca (1824-1880), fondateur de la  Société d’Anthropologie de Paris, affirmait que jamais un peuple « à la peau noire, aux cheveux laineux et au visage prognathe n’a pu s’élever spontanément jusqu’à la civilisation[1] ». En 1872, également obsédé par les classements humains, Louis Figuier publia « Les Races humaines », un gros volume plusieurs fois réédité qui véhiculait à son tour les archétypes racialistes : « L’infériorité intellectuelle du Nègre se lit sur sa physionomie sans expression ni mobilité. Le Nègre est un enfant. Les peuples de race nègre qui existent à l’état de liberté, à l’intérieur de l’Afrique, ne peuvent guère dépasser le niveau de vie de tribu. D’un autre côté, on a tant de peine, dans beaucoup de colonies, à tirer un bon parti des nègres, la tutelle des Européens leur est tellement indispensable, pour maintenir chez eux les bienfaits de la civilisation, que l’infériorité de leur intelligence, comparée à celle du reste des hommes, et un fait incontestable ».

Ces « penseurs » en chambre furent relayés sur le terrain par des « Blancs sauveurs », aventuriers et missionnaires. Il est difficile d’imaginer l’épaisseur des préjugés qu’ils véhiculaient. Dans nos sociétés européennes laïcisées, on moque aujourd’hui les rétrogrades « créationnistes » américains qui luttent pour faire interdire l’enseignement de l’évolutionnisme. Mais dans l’Europe de Paul Broca, Louis Figuier (pour ne citer que des Français) et bien d’autres, l’opinion publique façonnée par le christianisme était « naturellement » créationniste. On pensait que toute l’histoire de l’Humanité se trouvait contenue dans l’Ancien Testament. En Afrique centrale, les « découvreurs » s’avançaient la Bible en poche. Au fil de leur découverte des Grands lacs africains entre 1857 et 1863, les Britanniques Richard Francis Burton (1821-1890) et John Haning Speke (1827-1864) s’efforçaient de retrouver dans l’Ancien Testament l’origine des peuples et des royaumes qu’ils traversaient. Les récits de Livingstone, Stanley, Burton, Garnier, Brazza, Shackleton, Scott, Amundsen et bien d’autres circulaient dans des revues populaires comme « Le Tour du monde », diffusées à des centaines de milliers d’exemplaires. Ces récits étaient lus et commentés avec passion. Ils imprégneront durablement l’inconscient collectif occidental.

Selon l’idéologie du temps, tous les peuplements humains et toutes les catégories animales étaient issus de l’Arche de Noé, sauvés du Déluge. Dans un mouvement de colère, le patriarche Noé aurait ensuite maudit son fils Cham (ou Ham), qui prit la fuite avec femme et enfants vers on ne sait trop où. Cet asile mystérieux ne serait-il pas le « Pays des monts de la Lune », où le grand géographe de l’Antiquité Ptolémée situait la source du Nil, fleuve mythique ?  C’était la conviction de Richard Burton et de John Speke, et aussi leur intérêt « médiatique ». Inspirés des racialistes de l’époque, eux aussi se persuadèrent que les « Nègres ordinaires » n’étaient pas vraiment des hommes, qu’ils n’étaient sont pas sortis de l’Arche de Noé et constituaient une composante inférieure, quelque part entre le primate et l’homme. Mais confrontés à d’autres « Nègres » à la morphologie différente, plus grands, aux traits fins, et qui dirigeaient des empires sophistiqués dans la région des Grands Lacs, Burton et Speke - surtout ce denier - clamèrent à leur retour que non seulement ils avaient trouvé La source du Nil blanc, mais également la tribu perdue d’Israël (après le Déluge, la malédiction de Noé leur aurait foncé la peau). Sinon, comment ces "Nègres" seraient-ils parvenus à  « s’élever spontanément jusqu’à la civilisation » ? Ces peuples « supérieurs » étaient, selon John Speke, des « Hamites », ou « Chamites », selon la façon dont on orthographiait le nom du fils maudit. Les « Hamites » (la terminologie retenue par la postérité) étaient dispersés au milieu des autres Nègres, ils s’appelaient eux-mêmes Hima, Tutsi, etc. Dans le récit de John Speke de sa découverte des sources du Nil[2], on trouve un pittoresque passage où l’explorateur s’efforce de convaincre un roi d’Ankole de son ascendance juive/hamite.

Ces délires « ethnographiques » auraient pu rester surannés et ridicules, sans l’instrumentalisation de l’idéologie hamitique comme corpus de domination ou de conquête du pouvoir par des colons, des missionnaires, puis des élites de la « décolonisation ». Nous ne dévoilerons pas ici la lumineuse démonstration des historiens Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda sur les ravages politiques de cette idéologie jusqu’au génocide des Tutsi du Rwanda et au massacre des Hutu démocrates - qui dénonçaient cette idéologie -, en 1994. La raciologie européenne a produit le nazisme. L’histoire  du Rwanda pouvait être autre que le réceptacle d’un « nazisme tropical ». Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, qui sont aussi des humanistes, le rappellent fort à propos au terme d’une impeccable démonstration.
 
Jean-François DUPAQUIER
 
Jean-Pierre Chrétien, Marcel Kabanda, Rwanda, Racisme et génocide, l’idéologie hamitique, Ed. Belin, Paris, septembre 2013, 380 pages, 22 €.
 
[1] Paul Broca, « Anthropologie. Dictionnaire anthropologique des sciences », Paris, 1866. Cf. Gérald Gaillard, Dictionnaire des ethnologues et des anthropologues, Armand Colin, 1997.
 
[2] Journal of the Discovery of the Source of the Nile (1863). Nombreuses éditions et rééditions en français depuis 1865 sous les titres “La découverte des sources du Nil”, “Aux sources du Nil”, Le Mystère des sources du Nil”, etc. Parmi les dernières éditions disponibles, “Aux sources du Nil , La découverte des grands lacs africains 1857-1863”, traduction Chantal Edel et Jean-Pierre Sicre Ed. Phoebus, Paris, 1991.

21:38 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

16 septembre 2013

RDC : Les "lignes rouges" infranchissables de Kampala

Après plusieurs semaines de combats au Nord-Kivu, le gouvernement congolais et les rebelles du M23 sont revenus à la table des négociations à Kampala. Mais la route est encore longue avant un possible accord. Les conditions posées par la rébellion et Kinshasa sont difficilement conciliables et font craindre une reprise des hostilités.

Capture d’écran 2013-09-16 à 21.46.04.jpgA chacun ses conditions. Le M23 et les autorités congolaises, de retour la semaine dernière aux pourparlers de paix de Kampala, ont fixé leurs exigences à la possible signature d'un accord. Le M23 conditionne son désarmement à la "neutralisation des Forces démocratiques de libération du Rwanda(FDLR) et le rapatriement des réfugiés congolais". Le gouvernement congolais fixe, lui, deux lignes rouges : pas d'amnistie pour les rebelles et surtout pas de réintégration dans l'armée nationale. Une semaine après la reprise des pourparlers, le 9 septembre, "aucune avancée n'a été enregistrée" à Kampala a fait remarquer François Muamba, négociateur du gouvernement congolais et coordonnateur du Mécanisme national de suivi de l’Accord d’Addis-Abeba sur Radio Okapi. 

Les FDLR sur la table des négociations

Principal blocage de ce énième round de négociations : les "lignes rouges" fixées par les deux belligérants. Côté rébellion, le M23 fait désormais tourner la problématique autour des FDLR, un groupe armé composé d'anciens génocidaires hutus rwandais, en lutte contre le régime de Kigali. Le président du M23, Bertrand Bisimwa explique que la rébellion veut bien "déposer les armes",  mais pose ses conditions : "neutraliser les FDLR et rapatrier les réfugiés congolais tutsis". La présence des rebelles rwandais en RDC représente en effet l'un des principaux facteurs de violence à l'Est du pays et ce, depuis… 1996 ! Le M23 s'est toujours affiché en défenseur de la communauté tutsie et leur revendication est bien évidemment légitime. Une question se pose pourtant : pourquoi faire cette revendication maintenant ? Depuis la création du M23 en mai 2012, la neutralisation des FDLR n'a jamais fait partie des exigences de la rébellion. Dans un premier temps, les revendications du M23 tournaient autour des accords du 23 mars, de leur réintégration dans l'armée et de la reconnaissance des grades militaires. Des revendications "catégorielles", bien éloignées de la présence des rebelles FDLR à l'Est du Congo. Dans un deuxième temps, les succès militaires s'enchaînant, le M23 a élargi ses revendications en réclamant la remise en cause des élections contestées de novembre 2011 et le départ du président Joseph Kabila. Aujourd'hui, les revendications changent de nature : plus de réintégration dans l'armée, plus  de départ de Joseph Kabila... l'objectif du M23 se concentre désormais sur les FDLR. Voici quelques explications.

FDLR : Menace ou prétexte ?

Les FDLR sont-ils toujours une menace en RDC ? Oui ! répond Jean-Paul Epenge, un cadre du M23. "Les FDLR constituent le principal facteur d'insécurité au Nord et au Sud-Kivu",  estime-t-il. "Ce sont les FDLR qui ont apporté la violence chez nous après le génocide de 1994. Il faut les désarmer, les cantonner et alors les réfugiés congolais pourront revenir vivre tranquillement à l'Est". Pourtant, selon Christoph Vogel, un chercheur (1) spécialiste de la région, "les effectifs des FDLR ont considérablement diminué" au Nord et Sud-Kivu. De 10.000 hommes, il y a une dizaine d'année, "les FDLR ne seraient plus que 2.500 dans la région" précise-t-il. Mais pour Christoph Vogel, "si la rébellion rwandaise ne constitue pas un danger sérieux pour le régime de Kigali, ce sont avant surtout les populations congolaises qui souffrent de ses exactions". Alors pourquoi le M23 conditionne-t-il son désarmement à la neutralisations des FDLR ? Selon Christoph Vogel, cette demande est logique, les FDLR étant "l'ennemi naturel du M23". Mais le chercheur pointe une autre raison à cette condition posée par le M23. Depuis le milieu de l'été, le M23 a subi une forte pression militaire de Kinshasa au Nord de Goma. L'armée congolaise, souvent décrite comme une "armée fantôme", n'a pas combattu seule le M23. Les FARDC ont reçu l'aide providentielle (et décisive) de la Brigade d'intervention de l'ONU (FIB), venue "désarmer les groupes rebelles à l'Est de la RDC". Après les attaques répétées des FARDC et de la Brigade, le M23 a dû se replier à 30 km de la capitale provinciale du Nord-Kivu... un revers diplomatique pour la rébellion, qui a dû reprendre le chemin des négociations en position de faiblesse. En demandant la "neutralisation" des FDLR, le M23 demande à la Brigade de s'attaquer maintenant aux rebelles rwandais et implicitement d'arrêter de se focaliser uniquement sur leur propre groupe. La technique est habile, puisque l'ONU avait clairement indiqué qu'elle était là pour s'attaquer à tous les groupes armés et pas seulement au M23.

En demandant à l'ONU et à Kinshasa de désarmer les FDLR, le M23 n'opère pas qu'une tentative de diversion, il repousse également tout  règlement rapide du conflit. Neutraliser les FDLR ne se fera pas en quelques semaines ou quelques mois, mais cela prendra sans doute plusieurs années. De nombreuses opérations militaires conjointes avait d'ailleurs été montées, notamment avec le Rwanda et la RDC, du temps où les deux pays collaboraient, rappelle le chercheur Christoph Vogel. Mais les opérations Kimia II ou Umoja Wetu n'ont pas permis d'aboutir "à la l'éradication de la milice". Pour ce spécialiste, seul un règlement politique entre les deux Etats, RDC et Rwanda, permettrait de mettre fin au problème de la milice hutue.

Négociations en trompe l'oeil

A lire ces lignes, on pourrait croire que seul le M23 fait blocage à Kampala. Mais côté gouvernemental, les "lignes de rouges" posées par Kinshasa mènent également dans l'impasse. Les autorités congolaises ont déclaré vouloir refuser toute amnistie aux membres de la rébellion et toute réintégration dans l'armée nationale. Autant dire que Kinshasa ne propose d'autre porte de sortie au M23 que sa propre disparition… difficilement acceptable pour des rebelles qui continuent de tenir et d'administrer une partie du Nord-Kivu. Mais Kinshasa n'a pas envie de négocier et cherche le K.O. Les dernières offensives militaires de la fin de l'été, présentées comme des victoires par le gouvernement, ne sont en fait que des succès de la Brigade de l'ONU. La communauté internationale a ainsi pu forcer Kinshasa à revenir à la table des négociations. Sommées de retourner à Kampala, les autorités congolaises auraient bien continué l'offensive sur le M23, pour mettre à genou la rébellion et stopper ainsi des négociations humiliantes pour Joseph Kabila. Mais comme l'armée congolaise est toujours aussi faible et a besoin de l'appui militaire de l'ONU, Kinshasa n'a pu que s'en remettre au bon vouloir de la communauté internationale, qui "ne souhaitait pas faire la guerre à la place des Congolais", comme nous l'a expliqué un expert militaire. Sans aide de la Brigade de l'ONU, les FARDC ont donc été obligés d'arrêter l'offensive. La situation militaire se retrouve alors gelée : le M23 campe au Nord de Goma, de Kibumba à Rutshuru, alors que les FARDC et l'ONU protège Goma de toute offensive rebelle.

Mécontent d'être à Kampala, le gouvernement congolais, qui a par ailleurs lancé des concertations politiques avec une partie de son opposition et de la société civile, se retrouve coincé. Conséquence : à la table des négociations, les autorités congolaises ferment toutes les portes de sortie à la rébellion. Devant un tel blocage, on peut se demander ce que l'on peut attendre de Kampala. "Pas grand chose", note un expert militaire, qui pense qu'à part une rencontre au sommet entre les 3 chefs d'Etats de la région (RDC, Rwanda, Ouganda) pour trouver une solution, seule une reprise des hostilités est à attendre au Nord-Kivu. Seule interrogation : la Brigade de l'ONU continuera-t-elle à appuyer l'armée congolaise dans une guerre totale contre le M23 ? Pas si sûr.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

(1) le blog de Christoph Vogel, "Mercator follow" et chercheur, est à consulter ici.

Photo : Munyonyo Resort à Kampala, lieu des négociations © DR

08 septembre 2013

RDC : Kamerhe 100% opposant

Vital Kamerhe boycotte les concertations nationales qui se sont ouvertes ce week-end à Kinshasa. Une façon de se positionner en opposant intégral au président Kabila dont il fut un proche collaborateur. Dans un entretien accordé à Afrikarabia Vital Kamerhe s'explique sur les concertations nationales, décline ses solutions pour le Congo et sa stratégie pour gagner la prochaine présidentielle de 2016.

Vital Kamerhe filtre 2.jpgJeune loup du kabilisme, dont il a été la cheville ouvrière, en tant que directeur de campagne de Joseph Kabila en 2006, cofondateur du parti présidentiel (PRRD) et président de l'Assemblée nationale, Vital Kamerhe a endossé les habits de l'opposant depuis 2009, date de sa rupture avec le camp présidentiel.
Candidat d'opposition aux élections générales de 2011, Vital Kamerhe termine en troisième position (7,74%) devant Joseph Kabila, accusé de fraude électoral, et l'opposant vieillissant Etienne Tshisekedi. Un score honorable pour son jeune parti politique, l'Union pour la nation congolaise (UNC), créé seulement onze mois avant le scrutin et qui compte désormais 18 députés au parlement.

Après les élections contestées de 2011 et la reprise de la guerre à l'Est du pays, Joseph Kabila, poussé par la communauté internationale, a décidé d'organiser des concertations nationales en vue de régler la crise politique en RDC. Les principaux partis d'opposition, sauf le MLC de Jean-Pierre Bemba, ont senti le piège et décliné l'offre. En fin politique, Vital Kamerhe a choisi le camp du boycott et affiche une opposition totale aux concertations. Une manière de bien réaffirmer son encrage dans l'opposition dont certains doutent encore. Le président de l'UNC propose d'ailleurs une alternative aux concertations de Joseph Kabila et lance le 5 septembre 2013 la "Coalition pour la préparation d'un vrai dialogue" (CVD).

Pour la présidentielle de 2016, l'horizon politique semble assez dégagé pour Vital Kamerhe. Joseph Kabila, sauf modification de Constitution de dernière minute, ne peut pas se représenter. L'opposant historique, Etienne Tshisekedi affiche plus de 80 ans au compteur et Jean-Pierre Bemba, candidat malheureux en 2006, est toujours en prison à La Haye. Dans une interview que Vital Kamerhe nous a accordé à Paris, le 6 septembre dernier, le président de l'UNC revient sur son refus de participer aux concertations, son analyse du conflit à l'Est et sur sa stratégie d'alliances pour remporter la prochaine présidentielle.

- Afrikarabia : Pour quelles raisons ne participez-vous pas aux concertations nationales ?

- Vital Kamerhe : Dans ces concertations, la représentation devait être paritaire : opposition politique, société civile et majorité au pouvoir. Si on fait un simple calcul, Joseph Kabila et sa famille politique représentent 77% des participants aux concertations ! Ces concertations ne sont pas des élections où l'on doit cherché une majorité, ce n'est pas le but. Ces assises ressemblent surtout à un congrès de la majorité présidentielle avec quelques invités. Je suis d'ailleurs presque convaincu que la simple élaboration du règlement intérieur va poser de sérieux problèmes. Ceux qui n'ont pas compris à temps, comme nous, qu'il faut un vrai dialogue vont nous rejoindre parce qu'ils vont claquer la porte.

- Afrikarabia : Qu'aurait-il fallu faire ?

- Vital Kamerhe : Plusieurs choses doivent être supprimées. Première chose : pas de partage du pouvoir, nous ne sommes pas là pour cela. Deuxièmement pas de "per diem", cette indemnité journalière que doivent toucher les participants aux concertations. On n'est pas obligé d'être payé pour parler de son pays ! Il faut supprimer ces mauvaises pratiques. C'est de la corruption voilée. Enfin il ne faut pas que ces concertations soient le prétexte à une révision de la Constitution. C'est pourquoi nous disons "touche pas à ma Constitution".

- Afrikarabia : Les concertations ont pourtant débuté ce samedi. Qu'allez-vous faire ?

- Vital Kamerhe : Nous venons de créer au niveau d'une large coalition de l'opposition : "la Coalition pour la préparation d'un vrai dialogue" (CVD). Nous allons élaborer ensemble, avec nos partenaires de l'opposition, les termes de référence d'un vrai dialogue. Nous allons dire clairement quelles sont nos propositions. Nous ne fermons pas la porte, mais nous n'allons pas participer à une messe noire contre le peuple congolais.

- Afrikarabia : Dans la crise qui secoue l'Est de la République démocratique du Congo, où se trouve la solution ? Que faut-il attendre des négociations de Kampala entre le gouvernement congolais et la rébellion du M23 ?

- Vital Kamerhe : C'est au niveau régional qu'il faut regarder. Le M23 n'est que la partie visible de l'iceberg. C'est un secret de polichinelle. Nous devons crever l'abcès une bonne foi pour toute. Que veut le président Kagame ? Que veut le président Museveni ? Que veut le président Kabila ? Les trois doivent nous dire ce qu'ils veulent pour l'avenir de cette région. Et je crois que si la communauté internationale doit faire des pressions, c'est au niveau de ces trois présidents. Si ces trois chefs d'Etat le veulent, ils peuvent ramener la paix dans la région des Grands Lacs. Ils doivent faire la paix des braves autour d'un projet régional. Mais nous ne pouvons entrer dans un processus de coopération régional lorsqu'il y a des troupes étrangères en RDC ou lorsque nos voisins entretiennent une rébellion sur notre sol. Mais nous devons absolument créer des passerelles de collaboration pour sortir cette région des Grands Lacs de ce cycle de la violence.

- Afrikarabia : Beaucoup critique le mutisme du chef de l'Etat dans cette crise. Pourquoi Joseph Kabila ne donne-t-il pas plus de voix pour s'imposer ?

- Vital Kamerhe : Il y a une sorte d'affairisme qui a été instauré dans notre pays. Cela fini par distraire beaucoup de nos dirigeants.

- Afrikarabia : Que faire des nombreux groupes armés ?

- Vital Kamerhe : Lorsque j'étais commissaire général du gouvernement chargé du suivi du processus de paix, nous avions élaboré à l'époque avec les rwandais et les ougandais, sous l'égide de la Monusco, le mécanisme DDRRR (désarmement, démobilisation, rapatriement, réinsertion, réinstallation). Donnons d'abord un ultimatum à ces groupes armés. Ensuite il faut que la RDC, le Rwanda et l'Ouganda collaborent, pour que ceux qui veulent rentrer au Rwanda puissent le faire. Pour ceux qui ont peur pour leur sécurité, conformément au droit international, on les cantonne dans des camps protégés par les Nations-unies en attendant de trouver des pays d'accueil. Pour les différents groupes armés, nous proposons de ne pas commettre les mêmes erreurs que par le passé. Il ne faut pas les réintégrer dans l'armée nationale. Il faut créer des centres de formation professionnelle. Trouver une petit bourse pendant leur période de formation (de 20-25$) pour qu'ils puissent manger. Pendant cette formation, ils doivent apprendre un métier. Une fois la formation terminée, on créer des brigade de reconstruction, d'agriculture, d'élevage… avec un salaire minimum de 100$. Au regard du revenu moyen  congolais, je ne vois pas quel milicien voudrait encore rester dans son groupe armé. Pour ceux qui seront réfractaires à ce processus de désarmement volontaire, ils feront l'objet de frappes militaires de la Brigade d'intervention. C'est ce qui s'est passé à l'époque d'Artémis en 2003 avec un certain succès.

- Afrikarabia : Vous avez été candidat à la présidentielle de 2011. Votre prochaine objectif c'est 2016 ?

- Vital Kamerhe : Oui c'est clairement l'objectif ultime. Mais avant 2016, nous avons les élections provinciales, municipales et locales. Ces élections montreront ce que chaque parti est capable de représenter dans chacun des territoires congolais. Ce sera aussi un premier test pour la Commission électorale (CENI). Mais concernant l'élection présidentielle, j'y travaille, je peaufine mon programme pour un Congo fort, prospère et stable au coeur de l'Afrique.

- Afrikarabia : Pour arriver à cet objectif, il va falloir créer des alliances. Qui sont aujourd'hui les alliés de Vital Kamerhe ? Et qui seront ceux de demain ?

- Vital Kamerhe : Actuellement nous sommes alliés avec le parti de Pierre Pay-Pay wa Syakasighe (UDECF), le RCD-KML de Mbusa Nyamwisi, Congo pax, le parti de Ne Muanda N'semi, le Parti congolais pour la bonne gouvernance (PCBG), le Parti travailliste (PT) de Steve Mbikayi, l'Union des patriotes congolais (UPC) de John Tinanzabo et l'UDEMO a également accepté de faire partie d'une large coalition avec nous. Ensuite, l'idée d'une alliance avec le MLC de Jean-Pierre Bemba a toujours été discutée, mais cela n'est pas encore concrétisée. Nous discutons avec son équipe. Pour le moment, le MLC a accepté de participer aux concertations, donc nous n'allons pas les jeter en pâture, mais nous disons attention : là où ils vont, le chemin est parsemé de beaucoup d'embûches et de pièges. Concernant l'UDPS d'Etienne Tshisekedi, nous considérons qu'avec l'UNC, il s'agit des deux derniers remparts du peuple congolais. Je le dis clairement, j'ai encore besoin de me rapprocher de monsieur Tshisekedi et de son parti.

- Afrikarabia : Vous avez été très proche de Joseph Kabila et depuis votre brusque passage dans l'opposition, certains vous accusent de vouloir jouer double-jeu ?

- Vital Kamerhe : Beaucoup ont pensé que j'étais venu dans l'opposition par simple opportunisme et que Joseph Kabila allait me nommer Premier ministre dans les mois suivants. Cela fait maintenant 4 ans et rien ne s'est passé. Nous défendons aujourd'hui avec l'UNC des valeurs et une vision du pays : défendre la dignité de notre peuple.

- Afrikarabia : Il n'y a pas de retour en arrière possible vers Joseph Kabila ? Vous êtes définitivement passé dans le camp de l'opposition ?

- Vital Kamerhe : Absolument !

- Afrikarabia : Vous comprenez que l'on vous pose encore cette question, que certains congolais peuvent avoir des doutes ?

- Vital Kamerhe : Je comprend tout à fait que l'on me pose cette question. Je réponds la chose suivante. Pour moi les individus importent peu. Ce sont les instituions et le peuple congolais qui comptent le plus pour moi. Même lorsque j'étais très proche collaborateur de Joseph Kabila, j'ai dirigé l'Assemblée nationale avec un espace libre d'expression pour l'opposition et pour la majorité… l'église au centre du village. Je peux rappeler les débats très vifs à l'Assemblée au moment des affrontements entre les troupes de Jean-Pierre Bemba et la Garde présidentielle. Nous avons également eu un débat ouvert… et houleux, contre ma propre famille politique, en interpellant le ministre des Mines sur la revisitation des contrats miniers qui se faisait à la tête du client ou sur les massacres du Bas-Congo et du Bundu dia Kongo.

- Afrikarabia : Pour la future élection présidentielle de 2016, on sait que vous venez de l'Est du pays, une région en conflit depuis plus de 20 ans. N'est-ce pas un handicap lorsque l'on veut rassembler une majorité de Congolais ?

- Vital Kamerhe : Pour moi, c'est un avantage certain. Sur le plan des chiffres, l'Est du pays représente 44% de l'électorat national. En ce qui me concerne, je suis partout chez moi au Congo. Je parle aux gens du Centre en tshiluba, aux gens de l'Est en swahili, à l'Ouest en lingala et en kikongo. J'ai d'ailleurs pu mesurer cette popularité quand j'ai fait ma propre campagne avec un tout jeune parti. Aujourd'hui nous avons 18 députés nationaux. Il faut casser cette histoire de blocs Est, Ouest, Centre, Sud.

- Afrikarabia : L'horizon paraît assez dégagé pour vous en 2016. La seule mauvaise nouvelle pour vous serait que Jean-Pierre Bemba soit libre et donc candidat ?

- Vital Kamerhe : Non, ce ne serait pas une mauvaise nouvelle et cela ne me fait pas peur du tout. Nous sommes dans le cadre d'un jeu démocratique et j'ai toujours dis du bien de sa libération. J'ai été le seul à me rendre à La Haye pour lui rendre visite. Je pense qu'il n'a pas oublié tout cela. Si Jean-Pierre Bemba est libéré de sa cellule de la Cour pénale internationale, ce qui est notre souhait, nous aurons une alliance et nous discuterons. Nous sommes deux responsables politiques qui voulons éviter les erreurs du passé. Nous avons la même ambition de sortir le Congo de la honte et de la misère.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Vital Kamerhe à Paris le 6 septembre 2013 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

04 septembre 2013

RDC : "Le repli du M23 n'est pas une preuve de faiblesse" pour Bertrand Bisimwa

Dans un long entretien accordé à Afrikarabia, Bertrand Bisimwa, le président du M23 revient sur les raisons du retrait de la rébellion du Nord de Goma. Bertrand Bisimwa accuse l'armée congolaise d'avoir tiré sur Goma et le Rwanda et demande "une enquête indépendante". Le président du M23 dénonce le rôle ambiguë de certaines ONG et fustige la France qui "abuse de sa présence à l'ONU pour reprendre pied dans une région qui échappe à son influence". Sur les intentions du M23, Bertrand Bisimwa explique que "le moment venu", le mouvement rebelle proposera à la population "de prendre en charge son destin".

Bertrand Bisimwa filtre.jpg- AFRIKARABIA : Le M23 a opéré ces derniers jours ce que vous appelez un repli militaire. Pour quelles raisons et comment évaluez-vous la situation sur le terrain ?
 
- Bertrand BISIMWA : Notre mouvement s'est conformé aux décisions de la conférence des chefs d'État des Grands Lacs (CIRGL) qui avaient ordonné le gel des positions militaires dans la ville de Goma le 24 novembre 2012. Or depuis trois mois nous sommes l'objet d'attaques de l'armée gouvernementale sur les nouvelles positions assignées par cette déclaration à environ 15 km au nord de Goma. Pourtant, selon les chefs d'états de la CIRGL, le gouvernement devait démilitariser la ville de Goma et déployer à l'aéroport de la ville un bataillon constitué d'une compagnie de l'armée régulière, une seconde issue du M23 et une troisième constituée de la force neutre, mais ces exigences sont restées lettre morte. Nous étions à Kampala à la table des négociations. Malheureusement, le gouvernement congolais a fait le choix de la guerre contre celui de négociations. En mars 2013, il nous a laissé à Kampala pour aller obtenir la Brigade d'Intervention en vue de faire la guerre au M23. Fort de la résolution 2098, ils ont retiré non seulement tous leurs négociateurs mais aussi leur personnel technique. Ils ont vu un avantage à reprendre la guerre pour chauffer leur opinion publique. Depuis le mois de mai, nous ne faisons que nous défendre. Les attaques de l'armée gouvernementale ont toutes échoué. Depuis le 23 août, les attaques ont repris avec beaucoup plus de moyens, des hélicoptères, des chars de combat, un flot d’armes et de munitions. L'armée gouvernementale s'est adjoint des combattants FDLR. Nous sentons de leur part une forte détermination. À l'évidence, comme nous ne nous contentions que de la défense de nos positions, ils ont considéré notre stratégie comme une preuve de faiblesse. Et, je crois qu'ils se trompent parce que pour nous il s'agit du respect des exigences des chefs d'Etat de la CIRGL mais nous ne saurons pas longtemps subir ce mépris.
 
- AFRIKARABIA : Vous comptez passer à la contre-offensive ? Réoccuper Goma ?
 
- Bertrand BISIMWA :  Après tout ce qui s'est passé, nous avons le droit de protéger notre population des bombes qui tombent sur des maisons de civils en allant faire taire ces armes aux endroits d'où elles viennent. Mais nous voyons bien les simagrées du régime de Kinshasa. Ils cherchent à nous faire sortir de nos positions défensives pour nous accuser d'avoir repris la guerre. Visiblement, la communauté internationale est dupée par  leur stratégie. Il s'agit pour Kinshasa de se faire passer pour des victimes du M23. C'est pourquoi nous appelons à la constitution d'une commission d'enquête pour que les responsabilités soient clairement établies.
La communauté internationale ne fait que répéter ce que lui dit le gouvernement congolais, sans vraiment vérifier leurs assertions. Leurs mensonges se répètent de semaine en semaine et de mois en mois. Nous voulons faire en sorte que des enquêtes sérieuses se traduisent par des rapports sérieux.

- AFRIKARABIA : Un obus est tombé vendredi matin 29 août en plein marché de la ville de Gisenyi au Rwanda, et il a tué une mère de famille et grièvement blessé son bébé. D’autres obus sont tombés au Rwanda sans faire de victimes. Certains incriminent le M23. Quelle est votre réaction ?
 
- Bertrand BISIMWA : Ces tirs d'artillerie contre des populations civiles sont inacceptables. Le M23 n'en est pas responsable, par contre il en est victime. Dans quel sens ? me demanderiez-vous. A qui profit le crime? Après les nombreux échecs de ses offensives militaires contre nos positions à Kanyarucinya le 23 mai, le 6, le 9 et le 14 juillet 2013, après la résistance de la MONUSCO à la pression des manifestants manipulés par le gouvernement de Kinshasa pour exiger l'intervention de la FIB (Brigade d'intervention de l'ONU, ndlr) contre nos forces, la folie du Gouvernement congolais le poussera à ne pas lésiner sur les moyens. Il ira jusqu'à sacrifier ses propres citoyens pour obtenir le résultat attendu: larguer des obus sur la ville pour obtenir l'intervention de la MONUSCO. S'agissant des obus tombés au Rwanda, ceux qui tentent de nous faire porter la responsabilité ont toujours clamé qu'en combattant le M23 en réalité ils combattent contre les RDF et que le M23 n'est que le visage congolais de l'invasion rwandaise. Et pourtant, ils affirment que nous avons largué des bombes au Rwanda pour inviter le Rwanda dans les hostilités. C'est une contradiction flagrante, le gouvernement doit nous expliquer comment le M23 peut vouloir inciter les RDF (forces armées rwandaises, ndlr) à intervenir au Congo. Lorsque vous lisez les déclarations de la société civile du Nord-Kivu sur les prétendues incursions des RDF sur le territoire congolais dans l'espace M23, vous serez porté à croire qu'il n'y aurait plus d'armée au Rwanda parce qu'elle se serait toute infiltrée au Congo. Notez que ceux qui accusent le M23 sont les mêmes qui prétendent que notre mouvement serait parrainé par le Rwanda. Çela devrait amener la communauté internationale à réfléchir sur l'identité de certains acteurs politico-militaires prêts à toutes les manipulations.
 
- AFRIKARABIA : Vous pensez à qui en particulier ?
 
- Bertrand BISIMWA : En réalité, il y a une coalition dynamique qui s'est installée en RDC et qui nourrit l'ambition d'en découdre avec le Rwanda sur le territoire congolais. La coalition FARDC-FDLR fondée sur la promesse d'installer les FDLR au pouvoir au Rwanda partage son objectif avec les intentions du Président Tanzanien Jakaya Kikwete, dont les forces armées bénéficient de la couverture du mandat des Nations-Unies pour en découdre militairement avec le Rwanda sur le sol congolais. La mise en scène de ce théâtre est assurée par la France qui abuse de sa présence à la tête du DPKO (direction des opérations de maintien de la paix de l'ONU, ndlr) pour non seulement reprendre pied dans une région qui échappe à son influence depuis qu'elle en avait été chassée en 1994 à la suite du génocide qu'elle avait soutenu, mais elle a besoin de prendre sa revanche à travers ses anciens poulains, les FDLR. Cette coalition a besoin de régler les comptes au Rwanda et la  meilleure façon de le faire c'est d'inviter leur adversaire sur le sol congolais. Le M23 n'a pas intérêt que ses revendications soient obstruées par celles des Etats de la région. Pour ce faire, nous avons écrit au Président du Conseil de Sécurité et au Secrétaire Général des Nations-Unies pour solliciter une mission d'enquête indépendante susceptible d'apporter toute la lumière sur ces faits. C'est la raison fondamentale du retrait de nos forces de la ligne de front de Kanyarucinya à une dizaine de kilomètres au nord de la ville de Goma.
Normalement si la Joint Verification Mecanism (JVM) était encore opérationnelle, elle permettrait de faire toute la lumière sur ces bombardements contre les civils mais le général ougandais Geoffrey Muheesi qui en était le Président investi par la Conférence internationale des pays de la région des Grands Lacs (CIRGL) a été déclaré persona non grata par le Gouvernement congolais. C'est assez curieux.

- AFRIKARABIA : Vous considérez que la communauté internationale, et notamment l'ONU, ne sont pas neutres sur la crise au Nord-Kivu?
 
- Bertrand BISIMWA : La communauté internationale doit se mettre à la bonne place, c'est-à-dire non pas au service de quelqu’un, mais "au milieu du village", en toute indépendance du gouvernement congolais. Il est clair que les obus tirés sur la ville de Goma et sur le Rwanda l'ont été par les éléments des FARDC. La responsabilité en incombe à la brigade des forces gouvernementales stationnée à Goma et à ses abords.
 
- AFRIKARABIA : Les Nations unies semblent hésiter à se prononcer sur la responsabilité des tirs d'obus contre la population de ces derniers jours ?
 
- Bertrand BISIMWA : Voilà justement le problème. Les hommes des Nations unies supposés protéger les populations civiles ne le font pas mais nous ne voulons pas non plus qu'ils se prononcent dans la précipitation pour faire plaisir à un camp. Nous sommes conscients qu'ils sont sous pression des extrémistes du camp gouvernemental qui les menacent et le M23 peut en être le bouc-émissaire. Ils pourraient aussi être tentés de se ranger dans une option qui assure avant tout leur pérennité. Les effectifs de la MONUSCO, en comptant la brigade d'intervention, sont d'environ 20.000 personnes. Elles ont toutes un bon salaire et ne voudraient pas que leur mandat  interrompu. C'est pourquoi une enquête sérieuse et indépendante doit précéder toute annonce sur les responsabilités des tirs.
 
- AFRIKARABIA : Vous avez l'impression de servir d'épouvantail ?
 
- Bertrand BISIMWA : Les dirigeants de Kinshasa sont incapables d'assurer une bonne gouvernance du Congo, mais il y a un domaine où ils sont excellents : la désinformation à travers les médias, y compris des médias internationaux et la rue. Ils ont une stratégie très efficace pour alimenter une campagne négative contre toute personne ou organisation qu'ils ont intérêt à faire passer pour la cause du malheur des congolais. Incapables de donner une réponse attendue aux problèmes de société, ils préfèrent créer un ennemi commun aux congolais pour couvrir leur échec. Regardez, il y a de cela une année, Kabila était illégitime aux yeux des congolais mais depuis que le M23 est né, sa légitimité s'est même renforcée parce qu'il a réussi à nous présenter comme l'ennemi commun des congolais.  Ça lui permet donc de faire de notre mouvement le bouc émissaire de l'incurie dans la gestion de l'État. Le peuple congolais est malheureux. Alors qu'on lui offre en pâture un ennemi. Ça permet de mobiliser l'opinion publique à peu de frais.
Pour consolider cette manipulation, le gouvernement congolais tente par tous les moyens d'empêcher de vraies enquêtes sur les accusations portées contre nous. Human Rights Watch se prête au jeu en rédigeant des rapports contre le M23 à partir de Kinshasa. Ses témoignages sont recueillis par téléphone sans aucune vérification. HRW ne veut tout simplement pas vérifier sur le terrain les allégations. Tous les rapports de HRW depuis un an "ciblent" le M23. Comme si nous étions responsables non seulement de toutes les violations des droits de l'homme au Kivu, mais dans l'ensemble du pays. Prenons le cas du massacre de la population dans la localité de Kitchanga en mars dernier où 203 personnes ont été tuées et plusieurs maisons inciendiées . Ici, chacun sait qu'ils ont été perpétrés par l'armée gouvernementale et ses alliés dès FDLR, de Pareco, APCLS, etc... Les responsables de HRW dont les rapports sont lus comme l’Evangile ne se sont jamais rendus sur le terrain vérifier les faits, ils ont préféré tout simplement se taire. Nous ne sommes rien d'autre que leur cible. Qu'un enquêteur du HRW soit injurié par un militaire du M23, et aussitôt vous voyez sortir un rapport. Qu’on nous explique comment on peut, depuis New York ou Londres, documenter toutes ces accusations. Lorsqu'ils ont fait un rapport sur les événements de Rutshuru, ils ne sont pas venus, sous prétexte qu'ils seraient menacés. Pourtant, il y a des journalistes sur le terrain. Les enquêteurs pourraient se faire accompagner par les militaires de la MONUSCO parce que celle-ci dispose des bases militaires dans notre espace et y bénéficie de la liberté de circulation. Ça a été la même chose avec la légende sur le général Bosco Ntaganda. Quand il était dans le parc, avant qu'il se rende à la CPI, toutes ces organisations épousaient le discours du Gouvernement congolais qui prétendait que le M23 n’avait été créé que pour prendre sa défense. Lorsque nous avons tout fait pour le neutraliser, personne ne nous a remercié d'avoir résolu un problème dont le monde entier se plaignait sans y apporter la solution. Par contre, il fallait trouver un autre prétexte pour recaler le M23 et HRW a été, encore une fois, mis à contribution. Il a, à partir de ses bureaux à Kinshasa et à Londres, publié un grand rapport qui prétend qu' "on ne peut pas discuter avec le M23". Or nous avions tout mis sur la table. HRW n'analyse pas vraiment le vide de gouvernance de la RDC. La communauté internationale fait confiance à HRW pour analyser la situation. En réalité, ses rapports ne font que consolider la gouvernance négative du régime du président Kabila. Ainsi, la communauté internationale est induite en erreur.
 
- AFRIKARABIA : Pourquoi le M23 est-il accusé de commettre des viols massifs, y compris au Sud Kivu ? Même le docteur Mukwege, depuis Bukavu, accuse le 23 de violer massivement des femmes.
 
- Bertrand BISIMWA : Ces accusations sont imaginaires. C'est de la propagande. Je connais particulièrement le Dr. Denis Mukwege, c'est un médecin très courageux et très compétent. Je sais qu'il est soucieux des victimes de violences sexuelles et ce n'est pas facile pour lui de voir défiler devant table d'opération les horreurs de toutes ces femmes dont les orifices sont méchamment détruits. Certainement que ces déclarations ils le tiennent des victimes parce que je ne le vois pas aller enquêter sur le terrain pour tirer les responsabilités. Peut-être son erreur est de ne pas faire attention à la notion de logique dans ces témoignages. Car, dans la réalité des faits, comment le M23 pourrait-il commettre des viols au Sud-Kivu, dans la région de Bukavu ? Nous n’y sommes pas ! Vous trouverez que le lieu de la commission des forfaits se trouve à plus de 350 Km de l'espace où le M23 est établi. Je vous invite à tirer la conclusion par vous-mêmes. Les informations du très respectueux Dr. Denis Mukwege à ce sujet ne sont pas à l'abri de manipulations. On nous accuse de tous les malheurs du peuple congolais. Tout observateur un peu sérieux peut démonter ces affabulations.
 
- AFRIKARABIA : D’autres ONG portent les mêmes accusations…
 
- Bertrand BISIMWA : Certaines ONG ont fait des accusations de viol une sorte de "marchandise", parce qu'elles ont découvert que c'était très "vendable" vis-à-vis de la communauté internationale. Cela procure des financements. Vous avez aujourd'hui un nombre incalculable d'ONG "spécialistes des viols" qui se sont improvisées dans la région. Comment tous ces gens ne voient-ils pas que beaucoup de ces viols sont commis par l'armée gouvernementale, par les FDLR, etc ? Que ce sont les FDLR qui ont importé les viols massifs comme arme de guerre dans la région ? Mais dire cela, c'est risquer des problèmes avec Kinshasa et perdre la faculté d'exploiter ce filon. C'est pourquoi cette fable des viols commis par le M23 prospère. Tous ceux qui se donnent la peine d'aller sur le terrain, comme le secrétaire général des Nations unies ou encore Mme Mary Robinson son envoyée spéciale dans la Région des Grands-Lacs connaissent la vérité et c'est pourquoi ils n'hésitent pas à proposer le débats sur les causes profondes de la crise dans l'Est de la RDC à travers les pourparlers de Kampala.
 
- AFRIKARABIA : Dans une guerre, il y a le volet de belligérance armée, mais aussi la guerre diplomatique et enfin la guerre médiatique. N'avez-vous pas le sentiment d'avoir perdu cette troisième partie de la guerre ?
 
- Bertrand BISIMWA : Je n'ai pas ce sentiment-là. Mais il est vrai que nous n'avons pas été entendus, c'est dommage. C'est une faiblesse pour nous d'avoir laissé s’amplifier une propagande aussi déloyale, alors que nous condamnons et sanctionnons les viols dans notre mouvement. On a écrit une légende sur notre compte. Mais, il faut dire que l'adversaire et même malheureusement les Nations-Unies recourent à des moyens déloyaux pour nous interdire de nous exprimer. Ils nous ont tous interdit de passer sur les antennes des médias congolais y compris la radio Okapi en menaçant des sanctions les médias qui diffusent notre point de vue et c'est très grave. Une émission de débat de la Radio Maendeleo de Bukavu a été frappée d'interdiction parce qu'elle avait fait allusion à un communiqué officiel émanant du M23. Un journaliste à Walikale a été arrêté et menacé de mort par les services de sécurité du régime en place parce qu'il nous avait accordé une interview. A Beni, Radio Liberté a été fermée pour le même motif. La diffusion de la radio des Nations-Unies, Radio Okapi, à Kinshasa avait été paralysée pendant 24 heures pour avoir accordé la parole au M23. Curieusement ni les Nations-Unies, ni les corporations professionnelles des journalistes ne se sont jamais plaintes ne fut-ce qu'au nom de la liberté d'expression, ou d'opinion. C'est inquiétant.
Bref, de fois nous avons l'impression au M23 d'être "un groupe des vivants qui font du tapage au cimetière".   
 
- AFRIKARABIA : Mais cette image de groupe violent n'est pas seulement propagée par les médias congolais. C'est le cas de beaucoup de médias internationaux… ?
 
- Bertrand BISIMWA : Oui, sur le terrain, les médias congolais ne sont pas seuls en cause. Prenez le cas de la radio des Nations unies. Elle devrait être impartiale et rendre compte exactement du respect des droits de l'Homme et des libertés publiques. Or cette radio s'interdit de nous accorder la parole lorsqu'elle diffuse des allégations sans aucune vérification contre le M23. Par exemple on nous a accusé d'avoir pillé une radio à Rutshuru. Le directeur de cette radio a appelé Radio Okapi pour démentir cette information, il a été enregistré mais la radio des Nations unies a refusé de diffuser ce démenti parce qu'il disculpait le M23. Prenons un autre cas : le M23 a installé une administration à Kiwanja. Un chef d'un des quartiers a été tué par les FDLR/Nyatura et son adjoint enlevé. Radio Okapi a prétendu qu'ils ont été tués par le M23. Lorsque la personne enlevée a été relâchée, elle a pris contact avec Radio Okapi mais celle-ci a refusé de requérir son témoignage de crainte de contredire l'information qu'elle venait de diffuser la veille. Troisième exemple, le Samedi 31 Aout, le M23 diffuse un communiqué pour dénoncer les attaques des FARDC-FDLR sur ses positions de Kibati. Pour corroborer la version contraire donnée par les FARDC un journaliste de la Radio Okapi Bernardin Nyangi fait un papier à ce sujet et se permet de modifier le contenu de notre communiqué en affirmant que le M23 accuse les FARDC d'avoir attaqué ses positions à Kibumba et Buhumba. Interpellé au téléphone par le porte-parole de notre Mouvement pour que l'erreur soit corrigée par son auteur, le journaliste affirme avec fermeté que cela est impossible. Il est facile de vérifier ces faits en téléchargeant le Journal de midi et du soir de la Radio Okapi du 31 Aout 2013 et le confronter au communiqué N°055/M23/2013 du 31 Aout 2013. On nous a refusé la parole.
Le travail à la MONUSCO est bien payé, personne n'a envie de perdre son boulot, alors ils relaient les légendes contre le M23. Nous sommes obligés de passer par les médias en Ouganda qui nous donnent la parole loyalement.
 
- AFRIKARABIA : Vous considérez que vous êtes diabolisés ?
 
- Bertrand BISIMWA : C'est exactement cela. Le gouvernement congolais mène cette guerre. Ça permet de ne pas aborder les questions de fond, de ne pas négocier avec nous. À Kampala, nous avons proposé un schéma acceptable pour sortir de cette crise. Nos adversaires ont rendu notre programme inaudible. Nous avons même installé une radio à Kibumba pour arroser la ville de Goma afin de diffuser des messages de sensibilisation et d'éducation de notre population à la paix, il s'agissait de la décourager de soutenir la guerre mais le gouvernement a brouillé notre fréquence par un émetteur puis qui diffusait des éléments sonores des films pornographiques. Vous vous imaginez un Gouvernement qui préfère du porno aux messages de paix. 
 
- AFRIKARABIA :  Aujourd'hui la RDC est menacée de balkanisation. Vous êtes montré du doigt comme un acteur majeur de ce processus de balkanisation...
 
- Bertrand BISIMWA : Cette balkanisation est un processus dont Kinshasa porte la responsabilité. Ce n'est pas un problème récent, mais il a pris une acuité particulière ces dernières années. Depuis plus de 50 ans des gens sont tués dans notre région. Depuis plus de 50 ans les villages sont pillés, les femmes sont violées, les familles dépouillées de tout ce qu'elles possèdent. Aujourd'hui, il y a un exode rural terrible parce que vivre à la campagne présente encore plus de danger que de grossir les taudis en ville. Qui est responsable de cette situation, de la mauvaise gouvernance quasiment institutionnelle ? Au M23, nous revendiquons le droit de vivre dans notre région sans risquer à tout moment de se faire tuer, violer, dépouiller. Nous refusons d'être contraints à l'exil. Nous voulons vivre normalement, comme presque partout dans le monde….
 
- AFRIKARABIA : Que reprochez-vous exactement au président Joseph Kabila ?
 
- Bertrand BISIMWA : Nous n'avons rien contre lui personnellement. C'est le système politique qui est devenu insupportable. Il abandonne la rue aux forces négatives. Ces forces négatives prennent la place qui devrait revenir au pouvoir. La situation aurait pu évoluer autrement…
 
- AFRIKARABIA : Vous n'êtes pas le seul groupe armé en RDC. Pourquoi Kinshasa ne parle que de vous ?
 
- Bertrand BISIMWA : On compte au moins 50 groupes armés en RDC et à peu près une trentaine dans la région du Nord-Kivu. Mais parlons franchement : la plupart de ces groupes armés ont été créés par le gouvernement congolais lui-même. En 2008, lorsqu'on a organisé une conférence sur la paix et la sécurité dans le Kivu, Kinshasa a suscité la formation de plus d'une centaine de groupes armés dont la plupart étaient basés dans la ville de Goma et n'avaient strictement aucune activité. Un nombre invraisemblable de groupes Maï-Maï sont apparus qui portaient chacun le nom de leur leader. Ils étaient tous entretenus par Kinshasa. Il n'y avait pas d'affrontements entre ces groupes armés et l'armée gouvernementale, pas d'affrontements au Nord Kivu car ils étaient tous assujettis à Kinshasa. C'était seulement une façon de créer la confusion pour éviter une remise en cause de la mauvaise gouvernance généralisée.
 
- AFRIKARABIA : Seul le M23 est accusé par Kinshasa de créer un risque de balkanisation ?
 
- Bertrand BISIMWA : Je viens de vous expliquer pourquoi. Nous entendons sans arrêt cette accusation : balkanisation, balkanisation, balkanisation. À force de scander ce mot, il ne nous fait plus peur. À un certain moment, nous serons en mesure de constater que le gouvernement congolais a définitivement échoué à avancer des solutions pour garantir la sécurité publique, les services publics qui sont espérés par tous, l’éducation, la santé, les moyens d'une certaine prospérité régionale. Nous en tirerons des conséquences.
 
- AFRIKARABIA : Des conséquences à quelle échéance ?
 
- Bertrand BISIMWA : - Le moment venu, nous proposerons à la population de prendre en charge ensemble notre destin. Cette échéance se rapproche car ici la population est fatiguée que les autorités de Kinshasa n’offrent aucune espérance. Kinshasa fait des habitants de ce pays des clochards, les femmes risquent à tout moment d’être violées par des militaires du gouvernement et par toute une série de groupes armés de sa création. Nous en avons assez. Nous prendrons nos responsabilités si cette dégradation n'est pas enrayée rapidement. Grand est notre étonnement de constater que ceux qui clament tout haut la balkanisation du Katanga (les Kata Katanga), n'attirent aucune attention.
 
- AFRIKARABIA : Comment pourriez-vous proposer à la population une telle option alors que le M23 semble si impopulaire ?
 
- Bertrand BISIMWA : Impopulaire par rapport à qui et à quoi ? Kinshasa a donné le pouvoir aux voyous de la rue et à des agitateurs manipulés. Croyez-vous que la société civile du Nord Kivu demande la guerre ? Croyez-vous que les gens ne soient pas intéressés à la sécurité dans le Kivu ? A la liberté dans le Kivu ? Aux Droits de l’Homme dans le Kivu ? A la prospérité dans le Kivu ? Avez-vous vraiment entendu s'exprimer l'opinion publique du Kivu ? Non. On n’entend que des voyous des rues et des petits leaders, des agitateurs inféodés à Kinshasa. Il y a un jour où la majorité silencieuse du Kivu s'exprimera et à ce moment il sera trop tard pour le pouvoir de Kinshasa de se racheter. 
 
- AFRIKARABIA : Récemment, des habitants de Goma ont attaqué un camp de la MONUSCO en reprochant aux militaires onusiens de ne rien faire pour leur sécurité, de ne pas agir contre le M23 ?
 
- Bertrand BISIMWA : C’est la version officielle, celle de Kinshasa. Certains médias ont raconté l'histoire de cette façon. Mais ça n'a rien à voir avec la réalité. Voilà ce qui se passe vraiment : le gouvernement congolais a choisi l'option de la guerre. Ces dernières années cette option avait échoué parce que nous avions infligé tellement de pertes à l’armée gouvernementale. Mais Kinshasa n'a pas changé d'option. A présent, le gouvernement veut se servir de la MONUSCO à cet effet. Ils ont donc fait des pressions très importantes sur les militaire des Nations unies pour valider cette option belliciste. Ceux qui ont attaqué le camp de la MONUSCO sont des garçons de la rue, des gens manipulés qui ont été payés pour cette attaque. Croyez-vous que les citoyens de Goma soient stupides au point d'en appeler à une guerre dont ils seront les premières victimes? C'est la politique de Kinshasa de verser de l'argent à des soi-disant manifestants spontanés. Au Kivu, c'est la misère, la plupart des familles survivent avec moins de un dollar par jour. Si vous proposez cinq dollars à quelqu'un pour participer à une manifestation, vous trouvez du monde. La preuve est à trouver dans la campagne électorale de 2011, c'étaient toujours les mêmes personnes qui allaient accueillir tous les candidats, qu'ils soient de la majorité présidentielle ou de l'opposition. On a affamé le peuple pour bien le manipuler et Kinshasa a de l’argent pour ça, pas pour améliorer le bien-être des Congolais
 
- AFRIKARABIA : Ceux qui ont attaqué la MONUSCO auraient été payés ?
 
- Bertrand BISIMWA : Eux et d'autres. La population ayant été clochardisée, tout s'achète. Prenons le cas de HRW. Lorsqu'ils appellent une femme qui prétend avoir été violée par le M23 et lui proposent 20 $ comme frais de transport pour se rendre à leur bureau au centre-ville, puis 20 $ pour retourner chez elle, toute la ville est prête à témoigner. C'est devenu un bizness. En fait, il y a une telle misère que les gens n'ont pas le choix. Ils ne veulent pas la guerre, mais ils sont payés pour faire semblant de la vouloir ou pour forcer d'autres à la faire. Ecrivez-le, les habitants du Kivu sont fatigués de la guerre. Nous voulons résoudre les problèmes à la table des négociations. Encore faudrait-il que Kinshasa ne se refuse à négocier.
 
- AFRIKARABIA : Comment négocier dans ces conditions ?
 
- Bertrand BISIMWA : Au M23, nous souhaitons un dialogue réellement inclusif. Pour cela, il faudrait engager une négociation dans un cadre non-gouvernemental. La mauvaise solution, ce serait un forum pour se partager les responsabilités et les avantages sur le dos des Congolais. Nous voyons bien que c'est la solution que voudrait promouvoir Kinshasa. Le mandat du président Kabila va s'achever en 2016. Lui et son équipe voudraient organiser un forum qui leur permette de trouver une certaine légitimité prolongée au delà de 2016. Il leur suffit de proposer des postes à des gens facilement manipulables afin que Kabila et son incurie perdure. Ils voudraient prolonger ce système qui permet à une poignée de s’enrichir au prix de la misère générale.
 
- AFRIKARABIA : Vous-même, vous sentez-vous congolais ou Kivutien ?
 
- Bertrand BISIMWA : Lorsqu'on me pose la question, j'ai l'habitude de répondre que je suis né dans une région qui s'appelle le Kivu, et que je suis Congolais. Je voudrais rester Congolais si on nous donne les moyens d'en être fier. Je ne serai que Kivutien si seul le Kivu nous garantit une protection.
 
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER - Afrikarabia

Photo : Bertrand Bisimwa © Droits réservés

01 septembre 2013

RDC : Des "concertations" sans opposition

Les principaux partis d'opposition congolais, sauf le MLC, ont annoncé qu'ils ne participeraient pas aux concertations nationales qui doivent débuter à Kinshasa le 7 septembre prochain. Un coup dur pour la majorité présidentielle qui espérait réaliser "l'union sacrée" autour de Joseph Kabila, affaibli politiquement depuis les élections contestées de novembre 2001.

Kabila Katanga.jpgJoseph Kabila sera privé d'opposition lors des concertations nationales qui s'ouvriront le 7 septembre 2013. L'UDPS d'Etienne Tshisekedi et l'UNC de Vital Kamerhe boycotteront les assises nationales organisées par Joseph Kabila. Seule surprise : le MLC de Jean-Pierre Bemba sera autour de la table. Le président congolais avait pourtant tout fait pour réussir son opération séduction à destination de la communauté internationale : réunir autour d'une même table majorité et opposition pour un "dialogue" censé "consolider la cohésion nationale et renforcer l'autorité de l'Etat". Objectif moins avouable pour Joseph Kabila : retrouver un peu de sa légitimité perdue après les élections contestées de 2011, élargir sa majorité avec de nouveaux alliés et préparer sa possible candidature pour 2016.

Le piège

L'opposition a donc décidé de ne pas entrer dans le subtil jeu politique du chef de l'Etat, "un piège" pour certains, censé "cautionné un président illégitime". Après de longs atermoiements et la promesse (alléchante) de la création d'un gouvernement d'union nationale à l'issu des concertations, les principaux opposants ont donc décidé de pratiquer la politique de la chaise vide. Selon l'opposition, ces concertations ne respectent pas les préalables indispensables d'un dialogue équitable. Les opposants congolais demandaient de pouvoir revenir sur le contentieux électoral de 2011 et donc sur la légitimité même du président Kabila, "mal élu" après une fraude massive constatée par les principaux observateurs internationaux. L'opposition exigeait également "la libération des prisonniers politiques comme Diomi Ndongala". "Hélas, tout de cela n’a pas été pris en compte" dans le règlement intérieur des concertations, a regretté Bernard Biando de l’Union des démocrates mobutistes (Udemo) sur Radio Okapi.

Un dialogue pour rien ?

Dans ce contexte, l'absence de l'opposition donne-t-elle encore un sens à ces concertations ? Plus vraiment. Seule la société civile et quelques "micros partis" peu représentatifs se retrouveront autour de la table, avec en face, une majorité présidentielle sûre de son hégémonie politique. Comme le soulignait un membre de l'opposition, les concertations se transformerons alors en "congrès de la majorité", sans aucune légitimité. L'image de "rassembleur" que voulait donner le président Kabila à cette occasion s'en trouve sérieusement écornée. Le boycott de l'opposition constitue donc un échec pour le chef de l'Etat. Un revers qui tombe au plus mauvais moment. Alors que les forces gouvernementales reprennent l'avantage militaire face aux rebelles du M23 dans l'Est du pays, les concertations nationales pouvaient apparaître comme un geste de réconciliation nationale fort du président Kabila à l'égard de l'opposition. Il n'en sera rien. De l'idée même de ces assises, ne restera que la volonté de "partage du pouvoir" du président Kabila, pressé de reconfigurer sa majorité en pratiquant de subtils débauchages en vue de briguer un nouveau mandat… bien loin de la recherche d'un hypothétique cohésion nationale.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Une affiche de campagne du président Joseph Kabila à Lubumbashi © Ch. Rigaud www.afrikarabia