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30 octobre 2013

RDC : Joseph Kabila reprend la main

Après sa victoire militaire sur les rebelles du M23 et l'annonce de la création d'un gouvernement d'union nationale, le président Joseph Kabila a réussi à se replacer au centre du jeu politique congolais. De quoi prolonger sa survie politique.

Image 4.pngQui l'eût cru ? Il y a encore quelques mois, le président congolais pataugeait sur deux fronts : politique et militaire. Affaibli politiquement par les élections contestées de novembre 2011, Joseph Kabila était englué dans l'organisation chaotique des Concertations nationales boycottées par les grands partis d'opposition. Militairement, le président congolais s'enlisait également au Nord-Kivu face aux rebelles du M23 que rien ne semblait arrêter. Deux fronts problématiques qui remettaient fortement en cause sa légitimité politique. Mais en quelques jours, la donne semble avoir changé à Kinshasa. 

Incontournable

Le 23 octobre dernier, devant les deux assemblées, le président Kabila a annoncé une série de mesures censées renforcer la cohésion nationale. Un catalogue de bonnes intentions, qui allait du rapatriement des dépouilles de Tshombe et Mobutu, à la mise en place de la décentralisation, en passant par la libération de prisonniers, la nomination d'un monsieur "anti-corruption" ou la création d'un quota de 30% de femmes en politique. De belles promesses dont on attendra avec impatience la mise en application. Mais l'annonce phare du discours du Chef de l'Etat tenait dans la nomination "imminente" d'un nouveau gouvernement d'union nationale. Un gouvernement de "demie-ouverture" avec l'opposition et la société civile, mais vraisemblablement avec le même Premier ministre et sans les grands partis d'opposition. Avec cette ouverture politique en trompe l'oeil et très contrôlée (voir notre article), Joseph Kabila a réussi à se replacer au centre de l'échiquier politique congolais en jouant de  nouveau son rôle de grand "redistributeur de cartes"... et de portefeuilles ministériels. Les multiples annonces du président permettent enfin à Joseph Kabila d'en étaler leur mise oeuvre (si tant est quelles voient toutes le jour) et ainsi de rallonger, sans concéder une once de pouvoir, sa survie politique. L'opposition craint en effet que le président ne prolonge son mandat au-delà de 2016.

Nouvelle légitimité ?

Sur le plan militaire, les victoires des forces armées congolaises (FARDC) sonnent comme une divine surprise pour Kinshasa. Longtemps taxée "d'armée fantôme" pour son peu d'efficacité sur le terrain, les FARDC ont enchaîné les succès depuis la première offensive du vendredi 25 octobre. Devant l'avancée des troupes gouvernementales, les rebelles se sont retirés de toutes leurs bases arrières : Kibumba, Rumangabo, Rutshuru, Kiwanja et Bunagana à la frontière ougandaise. C'est la première fois que l'armée congolaise, avec l'aide non négligeable de la Brigade de l'ONU, fait plier la rébellion aussi rapidement. Cette victoire militaire est sans nul doute l'un des succès politiques les plus marquants de Joseph Kabila depuis son arrivée au pouvoir en 2001. La déroute du M23 rebat les cartes des négociations de Kampala entre le gouvernement congolais et les rebelles. Peu enclin à céder à la rébellion, Kinshasa a cherché à jouer le "KO militaire", qui lui permet d'échapper ainsi à d'humiliantes concessions à la table des négociations. Sur ce point, Kinshasa revient en position de force à Kampala, ou seule la reddition du M23 peut être signée.

Assurance-vie

Mais attention, victoire militaire ne rime pas toujours avec victoire politique. Si le M23 a quitté les zones qu'il contrôlait au Nord-Kivu, on parle de 700 km2, le mouvement n'est pas "annéanti" comme le clame Kinshasa. Réfugiées en Ouganda ou au Rwanda, les troupes rebelles ont subit peu de perte durant les assauts FARDC. La présence du M23 aux frontières du Congo continuerait donc de faire peser une sérieuse menace sur les Kivus, sans parler d'une possible (mais pu probable) contre-offensive rebelle sur l'armée. Pour transformer son succès militaire, en victoire politique, Joseph Kabila devra s'atteler à régler le problème avec ses voisins rwandais et ougandais. Une explication et une négociation politique entre chefs d'Etat seront donc  indispensables pour établir une paix durable à l'Est de la RDC. Pour le moment, Joseph Kabila peut goûter aux bénéfices immédiats de sa victoire sur le M23 : une "légitimité" presque retrouvée auprès de la population et un soutien sans faille de la communauté internationale... bref, une assurance pour sa survie politique. Mais les braises sont encore chaudes autour des bastions rebelles reconquis par l'armée régulière. Et le plus dur reste à venir : maintenir la paix.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Joseph Kabila © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

27 octobre 2013

RDC : Le M23 lâché par Kigali ?

Après trois jours de combats, l'armée congolaise a repris ce dimanche deux bastions rebelles : Kiwanja et Rutshuru. Les rebelles du M23 ont annoncé un retrait "sans combattre". Le Rwanda a-t-il décidé de ne plus soutenir le M23 ?

carte combat 2.jpgCoup dur pour le M23. En moins de trois jours, la rébellion a opéré un net recule sur le front du Nord-Kivu. Un premier front a été ouvert vendredi 25 octobre autour de la ville de Kibumba, à 25 km au Nord de Goma. L'armée régulière (FARDC) avait annoncé la chute de la ville samedi, mais les rebelles ont démenti. L'ONU, présente dans le secteur affirme que les combats se poursuivent sur zone, le M23 résistant toujours dimanche soir. Le gouverneur provincial, Julien Paluku, présent aux côtés des FARDC à Kibumba a annoncé «l’existence de deux fosses communes» dans le secteur. Il a réclamé une «enquête internationale pour aller établir les responsabilités et le contenu avec des spécialistes». 

Le deuxième front s'est ouvert plus au Nord, samedi, autour de Kiwanja, à 80 km au Nord de Goma. Dans un communiqué, le M23 a annoncé son retrait de Kiwanja «sans combat» et a demandé un «cessez le feu immédiat» en menaçant de quitter les négociations de paix de Kampala. Un casque bleu tanzanien a été tué pendant les combats à Kiwanja. Dimanche en fin d'après-midi, alors que les combats continuaient à Kiwanja, Radio Okapi, la radio onusienne a annoncé la prise de Rutshuru, une importante place forte rebelle. Dimanche soir, Rutshuru et Kiwanja étaient aux mains des FARDC.

Comment expliquer les récentes victoires militaires des FARDC, connues jusque-là pour leur inefficacité ? Première raison : le soutien actif de la Brigade d'intervention de l'ONU (FIB), qui, avec un mandat offensif a joué un rôle décisif dans les succès militaires congolais. Deuxième raison : l'attitude du Rwanda, parrain de la rébellion du M23. Les nombreux rapports successifs de l'ONU sur les guerres du Kivu, ont toujours pointé le soutien, l'aide logistique, en armes, en hommes, en argent, de Kigali aux différentes rébellions (RDC, CNDP ou M23). Le Rwanda a toujours démenti. Mais à Kinshasa, il se dit qu'il n'y a "pas de victoire militaire rebelle sans la main de Kigali". Le Rwanda a-t-il lâché les rebelles ce week-end ? Peut-être pas complètement, mais le Rwanda a désormais un agenda diplomatique peu compatible avec le soutien ouvert à une rébellion. Le Rwanda siège depuis peu au Conseil de sécurité de l'ONU et reste donc sous pression et sous le regard de la communauté internationale. Kigali se retrouve  sous le feu des critiques et certains pays rechignent à honorer l'aide financière au pays des mille collines. Kigali fait donc profil bas, ce qui agace sérieusement les militaires du M23, qui souhaiteraient en découdre avec les FARDC. La rébellion a d'ailleurs annoncé hier qu'elle désirait voir revenir l'ex-général CNDP Laurent Nkunda au Nord-Kivu, alors qu'il est actuellement détenu par le Rwanda. Un appel du pied à peine déguisé à Kigali pour solliciter si ce n'est leur soutien… du moins leur feu vert pour une contre-offensive rebelle. Pour l'heure, le M23 encaisse les coups… jusqu'à quand ?

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

RDC : "Kabila pourrait aller au-delà de 2016" selon Oscar Rashidi

Dans son discours devant le Congrès, le Joseph Kabila a déclaré vouloir respecter "l’esprit et la lettre de la Constitution" qui l'empêche de se représenter en 2016. Mais pour Oscar Rashidi, président de la Ligue contre la Corruption et la Fraude (LICOF), le Chef de l'Etat pourrait prolonger son mandat après 2016.

Oscar Rashidi.jpgEn conclusion des Concertations nationales qui se sont déroulées en République démocratique du Congo, le président Joseph Kabila a fait de nombreuses annonces dans un long discours face aux deux assemblées le 23 octobre dernier. Le Chef de l'Etat a promis la nomination rapide d'un gouvernement d'union nationale avec l'opposition, le rapatriement des dépouilles de Moïse Tshombe et Mobutu ou encore l'arrivée d'un conseiller spécial pour lutter contre la corruption. Mais pas un mot sur ce qu'il compte faire à la fin de son mandat en 2016. Normalement, la Constitution interdit à Joseph Kabila de briguer un troisième mandat, mais l'opposition craint que le président ne fasse modifier la Constitution. Dans son discours au Palais du peuple, Joseph Kabila a pourtant réaffirmé sa volonté de respecter la règle fixée par la Constitution : "Je suis pour le respect, par tous, de l’esprit et de la lettre de la Constitution" a-t-il déclaré . Pour certains, Joseph Kabila pourrait en fait prolonger son mandat après 2016 sans modifier la Constitution. Nous avons interrogé Oscar Rashidi, président de la Ligue contre la Corruption et la Fraude (LICOF) qui réagit également sur les autres annonces du Chef de l'Etat.

- Afrikarabia : La Constitution actuelle interdit au Président Kabila se briguer un troisième mandat en 2016. Mais l'opposition craint que Joseph Kabila  ne cherche à se maintenir au pouvoir après 2016. Par quel autre moyen sans modifier la Constitution ?

- Oscar Rashidi : La prolongation du mandat de Joseph Kabila est possible si un consensus se dégage dans la classe politique. Le Président Kabila pourrait alors se maintenir au pouvoir par cette voie pacifique. Dans cette hypothèse, deux éléments sont à noter : le recensement de la population ainsi que l'organisation des élections locales qui semblent tarder. Le recensement pour réussir des élections réellement libres et transparentes à tous les échelons pourrait hypothéquer la stabilité institutionnelle. Car par deux fois déjà ces mêmes élections ont été organisées par la volonté du Chef de l’Etat.. autant dire que ce préalable (le recensement) n’a pas empêché le processus électoral. En voulant organiser les élections locales (municipales, provinciales, sénatoriales) devant aboutir au choix des nouveaux gouverneurs de provinces, on sait pertinemment que ceux qui sont en place ont déjà "débordé" de leurs mandats respectifs de deux ans. Le temps restant à courir laisse entrevoir déjà une prolongation de fait car les conditions matérielles de la tenue des élections ne sont réunies. A cela s’ajoutent de sempiternels écueils : l'état piteux des routes, la grandeur du territoire national et surtout l’insuffisance des moyens financiers pour prétendre procéder convenablement au recensement. Respecter ce calendrier me paraît une réelle gageure pour que des élections se tiennent en 2016. D'où la probabilité d'aller au-delà de 2016.

- Afrikarabia : Dans son discours face au Congrès, Joseph Kabila a également annoncé la désignation d'un conseiller spécial anti-corruption. Le programme "tolérance zéro" initié par le chef de l'Etat a-il montré son efficacité ?

- Oscar Rashidi : Non, le slogan "tolérance zéro" n'était pas efficace et ne le sera jamais tant qu'il n’y aura pas de sérieux dans le comportement des acteurs publics et dans le choix des personnes devant animer ces institutions. Cela est resté au niveau du discours et classé par la suite. Aucun dossier n'a été traité efficacement et pas une seule personne n'a été arrêtée  dans le cadre de l'opération dite "tolérance zéro". Par contre, cette opération a seulement enrichi les personnes chargées d’exécuter cette mission. Le cas de l'ancien ministre de la Justice Luzolo Bambi Lesa qui se plaisait d'arrêter les jeunes gens appelés "Kuluna" pour les envoyer à l'intérieur du pays soit disant en prison. Ces opérations ont coûté trop cher au Trésor de l'Etat congolais. A chaque fois, les factures des avions affrétés étaient "gonflées" au profit des autorités ayant la charge d'exécuter ces opérations. D'où la corruption, le vol et le détournement des deniers publics. Inefficace sans doute, l'opération "tolérance zéro" a dû être arrêtée.  Pour beaucoup,  c’étaient des discours pour amuser la galerie. Il y a d’ailleurs beaucoup d’autres exemples des promesses non tenues : "plus rien ne sera comme avant", "les portes des prisons seront ouvertes", "fini la récréation", "tolérance zéro", etc... L'application de tous ces slogans dans la réalité pose un sérieux problème au Congo du Président Kabila. Créer un poste de conseiller chargé de l'anti-corruption c'est bien, mais pour quel travail ? Or, il a déjà existé dans ce même pays d'autres structures semblables. On a entendu parler de conseiller chargé de "bonne gouvernance" et de "lutte contre la corruption", de "commission d'Ethique et lutte contre la Corruption  (CELC)", de "Task force", "d’Observatoire du Code d'Ethique Professionnelle (OCEP)", etc... Une autre commission anti-corruption créée et attachée au ministère de la Justice et du Garde de seaux est restée sans bureau jusqu'à ce jour et certains de ses agents ont été révoqués sans qu'ils aient eu le temps de travailler ! Comme pour leur dire : "on ne veut pas de vous". Bref, nous espérons qu'avec l'installation du conseiller "anti-corruption", l’Etat va renforcer le programme "tolérance zéro" restée lettre morte.

- Afrikarabia : Le président Kabila souhaite que l'affairisme soit "banni de l'armée et de la police". Comment faire reculer efficacement la corruption en RDC ?

- Oscar Rashidi : Pour faire reculer la corruption, il faut sanctionner absolument les coupables.  C'est l'impunité qui est à la base de la dérive actuelle.

- Afrikarabia : Joseph Kabila a annoncé la création d'un gouvernement d'union nationale avec des membres de la majorité, de l'opposition et de la société civile sans préciser si l'actuel Premier ministre, Matata Ponyo, restait en place. Que peut-on attendre d'un nouveau gouvernement ?

- Oscar Rashidi : Nous attendons plusieurs choses. Tout d'abord, la mise en application des recommandations issues des concertations nationales. Ensuite, calmer les tensions palpables au niveau de la classe politique nationale congolaise caractérisée depuis toujours par une médiocrité notoire consistant à gagner seulement le pouvoir pour le pouvoir. A l'Est du pays, un important défi sécuritaire est à relever. Les populations vivent des violations massives des droits humains et il faut améliorer un tant soi peu leur condition de vie. Deux autres défis enfin : améliorer la qualité de l'éducation nationale, de la santé publique et la consolider les efforts de reconstruction du pays. Le plus important est de former un gouvernement efficace capable de trouver des réponses à toutes ces préoccupations vitales. Le problème de la désignation ou pas d’un autre Premier Ministre n’est pas prioritaire. Monsieur Matata Ponyo pourrait bien rester poursuivre la mission lui assignée par le Chef de l’Etat.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Oscar Rashidi © DR

26 octobre 2013

RDC : Et revoilà Laurent Nkunda !

Alors que les armes ont recommencé à parler au Nord-Kivu entre le M23 et l'armée congolaise, la rébellion demande le cantonnement de ses troupes dans les zones de retour des réfugiés avec l'ex-général rebelle Laurent Nkunda. Une exigence qui remet en selle le leader du CNDP dont le M23 n'est que la continuité.

Nkunda2 dessin.jpgDans une lettre publiée par Kivu One et destinée au président ougandais Yoweri Museveni, le leader politique du M23, Bertrand Bisimwa fait le point sur les exigences de la rébellion, dont les négociations avec le gouvernement congolais sont suspendues. Le président du M23 explique que la rébellion "n'est pas demandeur de l'intégration au sein des forces armées de la RDC". Bertrand Bisimwa précise ensuite que, concernant le cantonnement et "pour une meilleure sécurité des réfugiés retournés dans les zones actuellement sous contrôle de notre Mouvement",  il exige que ses troupes "soient cantonnés dans les mêmes sites avec les retournés ainsi que le Général Laurent Nkunda Mihigo, retenu au Rwanda depuis le 22 janvier 2009, et qui devra être ramené au pays pour y vivre comme citoyen ordinaire".

Retour sans surprise

C'est la première fois que le nom de Laurent Nkunda, ex-leader du CNDP, est évoqué officiellement dans les tractations entre les autorités congolaises et la rébellion du M23. Mais ce n'est pas une surprise. Le M23, créé en avril 2012, n'est que le "copié-collé" d'un autre rébellion, le CNDP, qui a explosé en plein vol en janvier 2009 avec l'arrestation de son patron, Laurent Nkunda. L'actuel chef militaire du M23, Sultani Makenga, était le bras droit de Nkunda au CNDP et la plupart des responsables actuels de la rébellion sont des "nkundistes historiques". Pas étonnant donc de le voir revenir sur le devant de la scène. Pourtant, depuis son arrestation surprise par son allié rwandais, Nkunda était resté plutôt discret depuis sa "résidence surveillée". Pourquoi revient-il ?

Arrestation surprise

Retour en arrière. Pendant 4 ans, entre 2006 et 2009, ce général tutsi congolais, ouvertement soutenu par Kigali, avait fait trembler le régime de Joseph Kabila. Mais après avoir mis en déroute l'armée congolaise dans l'Est de la RDC, Laurent Nkunda a été arrêté en janvier 2009, en territoire rwandais, à la suite d'un renversement d'alliance surprise. En effet, son allié rwandais d'hier s'est brutalement rapproché du congolais Joseph Kabila. Ironie du sort, c'est le général rwandais Kabarebe, patron de la puissante armée de Kigali, qui l'a arrêté. Nkunda a d'abord été détenu en secret à la frontière entre la RDC et le Rwanda, puis il a été transféré au Rwanda fin mai 2009 de peur d'un coup de force de ses derniers fidèles, très puissants au Kivu. Depuis, la RDC demande son extradition pour qu'il puisse répondre de ses crimes devant un tribunal congolais. Mais Kigali refuse tant que la peine de mort est en cours dans le pays. Laurent Nkunda est alors devenu un personnage bien encombrant pour les deux pays : au Rwanda, où il possède de nombreux amis dans l'armée et en RDC, où bon nombre de ses compagnons d'armes occupent des places importantes dans les services de sécurité et dans l'armée et où il continue de faire peur.

M23 : Nkunda à la manoeuvre

En 2011, de nombreuses rumeurs circulent à Goma, sur Laurent Nkunda,. Selon le blog Congo Siasa, "ces dernières semaines, Laurent Nkunda aurait été vu, voyager librement à l'intérieur du Rwanda, venant même à des funérailles à Gisenyi". On parle même d'un possible retour en République démocratique du Congo (RDC). Après le déclenchement de la mutinerie du M23 en avril 2012, ce sont les experts de l'ONU qui retrouvent la trace de Nkunda à la manoeuvre avec la rébellion congolaise depuis le Rwanda. Selon le rapport de l'ONU : "l'ancien président du CNDP, le général Laurent Nkunda, officiellement en résidence surveillée par le gouvernement rwandais depuis janvier 2009, vient souvent de Kigali pour participer à ces réunions (entre l'armées rwandaise et le M23)".

Retour du chef militaire ?

Le retour de Laurent Nkunda en première ligne dans le conflit du Kivu n'est donc pas une surprise. Pourquoi cette demande aujourd'hui ? Difficile de répondre. Les négociations de Kampala sont bloquées et tout le monde craint le retour de la guerre. Depuis 48 heures, le M23 et les FARDC s'affrontent déjà autour de Kibumba et sur l'axe Mabenga-Kahunga, au Nord de Goma. Avec la reprise des combats et un possible embrasement général, le M23 est vraisemblablement en train de préparer l'opinion au retour du fils prodigue, Laurent Nkunda, sur le terrain militaire. Nkunda a toujours une bonne image au sein de la rébellion et ses qualités de chef militaire pourrait être très utile dans les semaines qui viennent. Une condition sera nécessaire à ce come-back : l'assentiment de Kigali.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

23 octobre 2013

RDC : Ouverture politique en trompe l'oeil

Dans un discours devant les deux assemblées, le président Joseph Kabila a annoncé la création "imminente d'un gouvernement d'union nationale". Une ouverture politique à minima : l'actuel chef de gouvernement, Matata Ponyo, pourrait reste à son poste et Joseph Kabila... après 2016.

Place palais du peuple drapeaux 2.jpgL'ouverture oui, mais pas trop. Le discours de Joseph Kabila devant les deux chambres était très attendu et devait répondre aux recommandations des Concertations nationales. L'annonce phare du président Kabila : la nomination "imminente" d'un gouvernement d'union nationale. Une nouvelle équipe qui comprendra "aussi bien des représentants de la majorité, que de l'opposition et de la société civile". Pourtant, aucun nom n'a été avancé par le président pour le poste de Premier ministre . L'actuel chef du gouvernement, Matata Ponyo, un temps donné partant, pourrait bien rempiler à la Primature. L'ouverture s'effectuera donc "à petit pas", seulement avec l'arrivée de quelques figures politiques d'opposition ou le retour de "poids lourds" de l'échiquier congolais. Mais le maintien de Matata Ponyo, qui n'a toutefois pas démérité à la Primature, est difficilement compréhensible dans un contexte d'ouverture et de changement politique. Une ouverture limitée enfin, par l'absence des deux partis d'opposition, UDPS et UNC, qui ont boycotté l'ensemble du processus de concertations.

Bonnes intentions

Le reste des annonces est également en demie-teinte et sans grande surprise : libérations de prisonniers civils et militaires (sans en préciser les noms et le nombre), le retour des dépouilles de Moïse Tshombe et de Mobutu (dont on se demande en quoi cela va résoudre les problèmes de la RDC) ou encore la création de nouvelles provinces dont on attend la mise en place... depuis 2006 (déjà sous Joseph Kabila). Dans le catalogue des bonnes intentions annoncées par le président, la nomination d'un conseiller "anti-corruption", qui peine à faire oublier le succès mitigé du programme "tolérance zéro" ou encore cette incantation sur "l'affairisme" qui "doit être banni de l'armée et de la police". Bonnes intentions également dans le souhait de voir organiser "avec diligence les élections municipales, provinciales et sénatoriales", restées en souffrance depuis 7 ans. Des annonces qui cachent mal le manque de résultats des deux présidences Kabila.

Voeu pieux

Méthode Coué ensuite, dans le traitement du conflit du Kivu en demandant que les groupes armés "déposent les armes" et "se rendent". Un voeu pieux, lorsque l'on connait la faiblesse militaire de l'armée congolaise qui ne doit ses dernières avancée qu'au soutien des casques bleus de l'ONU.  Grand écart enfin, lorsque le président congolais a souhaité le suivi de dossier des Congolais détenus à la Cour pénale internationale (CPI). Une allusion à peine voilée sur le sort de son opposant le plus farouche, Jean-Pierre Bemba, en prison depuis 5 ans à La Haye. Un appel du pied au chairman du MLC, dont le parti d'opposition été le seul à participer aux Concertations nationales souhaitées par Joseph Kabila.

Un compromis pour durer

Le discours du président Kabila face au Congrès, n'a donc rien du grand chambardement annoncé. Pas de partage du pouvoir, pas de 1+4 ou de 1+2, pas de révolution, mais une ouverture prudente qui devrait prendre son temps. La mise en place des annonces va donc s'étaler sur plusieurs mois et Joseph Kabila va vraisemblablement jouer du chronomètre. Un risque, selon l'opposition, qui parie sur un "rallongement" du mandat présidentiel au delà de 2016, ce qui éviterait à Joseph Kabila d'avoir à changer la Constitution pour rester au pouvoir. Si tel était le plan du président congolais, alors ces Concertations sont une réussite pour le régime de Joseph Kabila. Des Concertations qui réussissent un délicat compromis : ouvrir politiquement, sans rien concéder du pouvoir.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Palais du peuple Kinshasa © www.afrikarabia.com

15 octobre 2013

RDC : John Numbi bientôt "réhabilité" ?

De nombreuses sources à Kinshasa font état d'une possible "réhabilitation" de John Numbi par le président Joseph Kabila, suite aux Concertations nationales. "Un affront" pour les veuves de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, assassinés en 2010, qui exigent le jugement du général John Numbi.

manif numbi.jpgLes Concertations nationales dont le président Joseph Kabila doit prochainement annoncer les conclusions devant le Congrès pourraient déboucher sur la "réhabilitation" du général John Numbi. Plusieurs sources à Kinshasa accréditent ce qui n'est pour le moment qu'une rumeur. Ce proche du président congolais est suspecté d'être le commanditaire du meurtre de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana en juin 2010. L'assassinat de Chebeya, un célèbre défenseur des droits de l'homme avait ému tout le pays ainsi que la communauté internationale. Numbi, chef de la police au moment des faits, avait été démis de ses fonctions et s'était retiré dans sa province du Katanga.

Beaucoup pensent à Kinshasa que Numbi n'était pas resté inactif et aurait jouer un rôle de "soutien logistique" aux rebelles indépendantistes Bakata Katanga, qui avaient attaqué Lubumbashi en mars 2013. Un "coup de pouce" de John Numbi aux miliciens qui pouvait apparaître comme un moyen de faire pression sur les autorités congolaises et se rappeler au bon souvenir de Kinshasa. En  démontrant sa capacité de nuisance au Katanga, province stratégique,  John Numbi peut-il être réhabilité ? De nombreuses sources valident cette thèse en expliquant que le président Kabila ne peut pas se passer d'un "poids lourd" comme Numbi dans le contexte politique actuel de crise.

Devant les rumeurs de "réhabilitation", les veuves de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana demandent aux autorités congolaises la traduction du général John Numbi "devant une juridiction impartiale et indépendante". Après trois ans d'une plainte sans suite, la possible "réhabilitation" de Numbi par Joseph Kabila serait "un véritable affront fait aux familles des victimes". L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), appellent la justice congolaise "à faire toute la lumière sur ce double assassinat afin d'établir la responsabilité de chacun". Mais la Cour et la Haute cour militaire de Kinshasa s'étaient déclarées incompétentes pour instruire la responsabilité du général John Numbi "sous prétexte de son grade trop élevé". Dans ce cadre, les deux veuves Chebeya et Bazana demandent la nomination de magistrats militaires de haut rang pour juger Numbi. Selon  Karim Lahidji, président de la FIDH, "il appartient au pouvoir exécutif de corriger une telle aberration".

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : manifestation à Paris en juin 2012 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

10 octobre 2013

RDC : Joseph Kabila dans le piège des Concertations nationales

Le président congolais peine à conclure les Concertations nationales, ouvertes le 7 septembre dernier. Joseph Kabila devait annoncer ce jeudi devant le Congrès "d'importantes décisions". La réunion a été reportée au 15 octobre prochain faute de solutions politiques.

Affiche Kabila 1.jpgLancées début septembre par le président Joseph Kabila, les Concertations nationales devaient déboucher sur une solution à la crise congolaise et créer la cohésion nationale autour du chef de l'Etat. Après 1 mois de forum, et en l'absence des grands partis d'opposition, les résultats sont maigres. Joseph Kabila avait promis lors de la clôture des Concertations, "des mesures importantes pour le pays" dans les plus brefs délais. Le Congrès (Assemblée nationale et Sénat) devait se réunir ce jeudi pour écouter les propositions du président congolais, mais la réunion a été reportée au 15 octobre.

Le président Kabila peine donc à trouver la porte de sortie qui lui permettrait d'engranger les bénéfices politiques de ces Concertations, taillées sur mesure pour "re-légitimer" son autorité et recomposer sa majorité présidentielle. Car l'objectif affiché de ce forum, la cohésion nationale, cache mal la volonté cachée du Chef de l'Etat de se représenter aux élections de 2016 en modifiant la Constitution avec l'aide d'une majorité élargie.

Mais les Concertations n'ont pas apporté les effets escomptés. Rien de neuf n'a été proposé dans ce "catalogue de bonnes intentions" qui ne fait que révéler la propre impuissance de Joseph Kabila à mener à bien ses réformes en RDC. En vrac, les propositions des forums thématiques se sont résumés dans la nécessité d'appliquer (enfin) la décentralisation, dans la possibilité de créer un gouvernement d'union nationale et dans le rapatriement de la dépouille de Mobutu, dont on se demande bien comment il pourrait aider la RDC à sortir de la crise politique et sécuritaire. 

La "réussite" des concertations va donc se focaliser autour de la création d'un gouvernement d'union national et d'un nouveau partage du pouvoir. Le président du Sénat, Kengo wa Dondo avait cru bon s'avancer en proposant l'idée et en s'imaginant déjà à la primature. Mais l'équation semble plus complexe et Joseph Kabila n'a pas encore décidé. Quel nouveau Premier ministre lui permettrait d'obtenir les plus belles prises dans l'opposition ? Si le remplacement de l'actuel Premier ministre Matata Ponyo semble pour l'instant acquis, le nom du remplaçant ne s'impose pas. Kengo a trop précipité sa candidature, Boshab ne représenterait pas l'ouverture promise... reste l'ancien gouverneur de la Banque centrale du Congo, Jean-Claude Masangu, qui pourrait se fondre dans le costume de l'économiste-techno que Matata Ponyo avait avantageusement endossé.

Pris au piège de concertations sans consensus politique, Joseph Kabila paie avant tout ses multiples hésitations politiques et stratégiques. Le président a trop souvent joué la carte des rébellions, puis du Rwanda, avant se retourner contre eux. Les fragiles alliances à géométrie variable de la majorité présidentielle n'inspire plus confiance. Résultat : le président Kabila se retrouve coincé avec un spectre politique trop étroit.

Condamné à ouvrir sa majorité, Joseph Kabila cherche toujours la solution. Tentatives de la dernière chance : la visite d'un conseiller du président Kabila à "l'irréductible" opposant Etienne Tshisekedi, dont on doute de l'efficacité et le rapprochement avec le MLC, l'ennemi d'hier, qui cherche désespérément à préparer le retour de son chairman, Jean-Pierre Bemba, toujours en prison à La Haye. L'équation est délicate et visiblement, Joseph Kabila a encore besoin d'un peu de temps.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Campagne d'affichage à Lubumbashi © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

04 octobre 2013

RDC : Le Kivu doit être déclaré "zone sinistrée" selon René Abandi

Chef de la délégation du M23 aux négociations de Kampala, René Abandi fait le point sur les contacts avec Kinshasa.
 
René Abandi.jpgAFRIKARABIA : - René Abandi, alors que les négociations reprennent ce week-end à Kampala, votre passage à Paris est pour nous une surprise. Vous aviez rendez-vous avec des représentants du gouvernement français ?
 
René ABANDI : - Je suis à Paris parce que nous avons de bons contacts avec le peuple français, pas nécessairement avec le pouvoir. Une rencontre avec un représentant du gouvernement français serait bienvenue, mais ce n’est pas encore programmé.
 
AFRIKARABIA : - Vous le regrettez ?
 
René ABANDI : - La France est un pays important. Nous, Congolais, parlons français, le Congo est le premier pays francophone du monde après la France. La France peut contribuer à des solutions pacifiques au Kivu et à faire l’économie de vies humaines et de bien des souffrances.
 
AFRIKARABIA : - Vous êtes conscient de la mauvaise réputation du M23 ?
 
René ABANDI : - Pas auprès du peuple de France, mais auprès de personnes qui influencent l’opinion dans le sens des hostilités, oui.
 
AFRIKARABIA : - Le gouvernement des Etats-Unis vient d’annoncer qu’il supprime son assistance militaire au Rwanda parce qu’il soutient le M23, lequel enrôle des enfants-soldats… ?
 
René ABANDI : - Il s’agit d’une extraordinaire désinformation. A ma connaissance, le gouvernement rwandais a interdit le recrutement d’enfants soldats depuis de très nombreuse années, et le M23 ne pratique pas davantage ce genre d’enrôlement. Nos avons demandé une enquête internationale pour vérifier que nos n’avons pas d’enfants soldats. Nos sommes prêts à accueillir tous les journalistes qui voudront enquêter également. Mais pas de réponse en ce sens. Nos sommes confrontés à une machination, à des informations fabriquées.
 
AFRIKARABIA : - On reproche au Rwanda de vous soutenir ?
 
René ABANDI : - Demandez aux autorités rwandaises de répondre sur ce point. Mais je peux vous dire pour le M23 que le Rwanda ne nous soutient pas. Il est neutre.
 
AFRIKARABIA : - Pourquoi alors ces accusations, répétées de mois en mois ?
 
René ABANDI : - C’est ridicule. On a proclamé que 600 militaires rwandais combattaient dans nos rangs. Lorsque ces hommes de Bosco Ntaganda se sont réfugiés au Rwanda, tout la monde a vu que c’étaient des Congolais comme nous. Personne n’a pu établir la présence d’un seul Rwandais parmi ces réfugiés. C’étaient encore des accusations forgées à partir de rien.
 
AFRIKARABIA : - Pourtant ces accusations ne cessent pas… ?
 
René ABANDI : - Récemment, les FARDC (l’armée gouvernementale congolaise) a tiré des obus sur le Rwanda pour inciter l’armée rwandaise à entrer dans le conflit. Les gens qui ont ordonné ces tirs veulent provoquer le Rwanda, l’inciter à entrer en RDC.
 
AFRIKARABIA : - Votre mouvement, le M23, est la cible de toutes les critiques depuis que vous avez occupé la ville de Goma. Vous regrettez aujourd’hui cet épisode ?
 
René ABANDI : - Occuper Goma, c’était nous assurer un gage territorial pour nous permettre d’ouvrir un dialogue avec Kinshasa, afin de traiter les causes du conflit et les solutions à apporter.
 
AFRIKARABIA : - Ca n’a abouti qu’à vous marginaliser !
 
René ABANDI : - La négociation que nous voulions engager a été sabotée à New York. Avez-vous entendu cette déclaration selon laquelle "le M23 lèche ses plaies ?"  Comme si nous étions assimilés à des chiens. Cette façon émotionnelle de nous diaboliser, de nous animaliser, est complètement contre-productive. Nous attendons mieux d’un pays comme la France : l’encouragement au dialogue. Si nous nous sommes révoltés, il y avait des raisons. Je ne connais pas une mission de l’ONU qui coûte aussi cher que la MONUSCO, en soutien au régime le plus corrompu du globe.  Nous avons droit à un gouvernement plus responsable, l’ONU devait le comprendre.
 
AFRIKARABIA : - Est-ce vraiment votre base de négociations ? Vous voulez que Kabila se jette par la fenêtre du 10e étage ?
 
René ABANDI : - Nous ne demandons pas l’impossible. Notre tort, c’est d’avoir une faible voix. Les Etats membres de l’ONU ont les moyens d’imposer la voie de la paix à un régime corrompu et corrupteur. Face à cet appareil étatique gravement défaillant, personne n’accepte que nous élevions la voix. Nous sommes jugés sans débat.
 
AFRIKARABIA : - Concernant la justice, revendiquez-vous l’impunité pour tous ceux qui pourraient constituer des cibles de la justice internationale ?
 
René ABANDI : - Croyez-vous que les plus coupables soient chez nous ? Nous voulons une justice juste, pas une justice idéologique. Les criminels sont dans le camp du gouvernement.
 
AFRIKARABIA : - Et Bosco Ntaganda ?
 
René ABANDI : - Nous l’avons isolé. C’était déjà beaucoup. Mais après cette mesure, ils se sont dit « le M 23 et maintenant fragile, profitons-en pour les attaquer ».
 
AFRIKARABIA : - Vous réfutez avoir commis des atteintes graves aux droits de l’Homme ?
 
René ABANDI : - Le concept de droits de l’Homme est devenu un instrument de manipulation. On voit que ce droit est appliqué au cas par cas, en fonction d’intérêts diplomatiques ou autres de grandes puissances. Les milices gouvernementales et les armées étrangères comme les FDLR sont un problème sérieux de justice.
 
AFRIKARABIA : - Vous n’incluez pas dans la négociation un droit d’amnistie ou d’oubli  en faveur du M23?
 
René ABANDI : - Non.
 
AFRIKARABIA : - Et vous ne revendiquez plus l’intégration du M23 dans les FARDC ?
 
René ABANDI : - Nous ne négocions que pour résoudre les causes profondes du conflit : la discrimination érigée en politique, la non-administration de notre peuple, pris en otage par un pouvoir corrompu qui refuse d’appliquer la décentralisation. Nos voulons aussi qu’on parle de la citoyenneté, du retour des réfugiés, de la reconstitution des villages au profit de tous ceux qui ont été obligés de les fuir. C’est ce que nous appelons promouvoir des « pôles d’attraction citoyenne ». Pour cela, il faut désarmer les milices et les armées étrangères.
 
AFRIKARABIA : - Ne craignez-vous pas de placer la barre trop haut, à la veille de la reprise des négociations ?
 
René ABANDI : - Il y a déjà des avancées de contexte. La délégation de Kinshasa s’est engagée à revenir à la table des négociations, de façon permanente et non plus à l’occasion… Conserver Kampala comme lieu de négociation semble acquis. S’il faut nous réunir à Goma, pourquoi pas ? Nous voulons sincèrement avancer.  Les questions les plus sensibles ne seront pas abordées en public, elles vont se discuter en aparté. Il y a des questions pratiques à aborder comme la transformation du M23 en parti politique, la libération des prisonniers des uns et des autres.
 
AFRIKARABIA : - L’agenda des négociations comporte d’autres chapitres ?
 
René ABANDI : - Effectivement. Par exemple, nous souhaitons que le Kivu soit déclaré zone sinistrée, pour attirer l’attention de la communauté internationale et mobiliser les moyens d’un redressement économique et social, d’une reconstruction.
 
AFRIKARABIA : - On peut s’attendre à de bonnes nouvelles ?
 
René ABANDI : - Il y a eu un petit progrès depuis le communiqué du 23 septembre. Dans l’esprit de ce communiqué, la négociation peut s’accélérer. Il faut aussi éviter les manœuvres de certains. Le ministre des Affaires étrangères d’Ouganda a dénoncé le fait que, chaque fois que la négociation avance, la France et la Belgique nous tirent vers la boue. Mais nous avons confiance.
 
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER - Afrikarabia

Photo : René Abandi à Paris le 4 octobre 2013 © JF. Dupaquier

03 octobre 2013

RDC : Visite sous pression du Conseil de sécurité de l'ONU

Une délégation du Conseil de sécurité de l'ONU se rendra en République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda les 4, 5 et 6 octobre prochain. L'ONG Human Rights Watch (HRW) demande aux membres du Conseil de sécurité de profiter de leur visite "pour presser les gouvernements de la région de cesser d'apporter le moindre soutien aux groupes armés".

Casque bleu 1.pngLe temps presse pour Human Rights Watch. "Les civils vivant dans l'est de la RD Congo subissent des atrocités qui ne prennent pas fin, mais il est très rare que les individus responsables soient traduits en justice", explique Daniel Bekele, directeur de la division Afrique de l'ONG. Les 4, 5 et 6 octobre, une délégation du Conseil de sécurité sera à Kinshasa, Goma, la capitale du Nord-Kivu, en proie à l'instabilité chronique, avant continuer sa visite vers Kigali. Un déplacement sous pression, alors que le gouvernement congolais et le M23 ont entamé depuis en décembre 2012 de laborieuses négociations de paix à Kampala.

M23 et Rwanda

Human Rights Watch profite de cette visite annuelle du Conseil de sécurité pour tirer la sonnette d'alarme. L'ONG estime que "les membres du Conseil de sécurité devraient profiter de leur visite pour presser les gouvernements de la région de cesser d'apporter le moindre soutien aux groupes armés qui commettent des exactions, et d’arrêter les individus soupçonnés de crimes de guerre". Selon l'organisation, "le Conseil de sécurité devrait adopter une résolution exigeant que le Rwanda cesse tout soutien au M23, un groupe armé responsable de multiples atrocités dans l'est de la RD Congo, et imposant des sanctions aux dirigeants rwandais de haut rang qui ont orchestré ce soutien".

Milices Maï-Maï et FARDC

Dans la ligne de mire de l'organisation des droits de l'homme : les rebelles du M23, mais aussi les nombreux groupes armés qui pullulent à l'Est de la RDC. Selon HRW, l'ONU devrait porter une attention particulière à la milice Maï-Maï de Ntabo Ntaberi Sheka, dont les membres ont tué, violé et mutilé des dizaines de civils depuis mai 2013. "Le 27 septembre, ils ont attaqué plusieurs villages dans le territoire de Masisi, tuant plusieurs enfants, violant des femmes et incendiant des habitations", dénonce l'ONG. Human Rights Watch pointe également l'armée régulière, les FARDC. L'armée congolaise commet aussi de nombreuses exactions "y compris les viols d'au moins 76 femmes et filles dans et aux alentours de la ville de Minova, dans la province du Sud-Kivu, en novembre 2012", souligne HRW. Si les crimes des groupes armés ne doivent pas restés impunis, les exactions de l'armée nationale non plus. L'ONG demande au Conseil de sécurité de "pousser le gouvernement congolais à soumettre à des enquêtes, arrêter et, s'il y a lieu, poursuivre en justice les membres des forces de sécurité qui se sont rendus responsables de crimes de guerre et d'autres graves violations des droits humains".

Kampala

Cette "piqûre de rappel" d'Human Rights Watch intervient alors que les pourparlers de Kampala butent sur l'amnistie que pourraient accorder les autorités congolaises aux rebelles du M23, en échange de l'arrêt des hostilités et de son désarmement. HRW explique que "les accords conclus dans le passé entre le gouvernement congolais et d'autres groupes armés ont permis à des commandants rebelles responsables de graves violations des droits humains d'être récompensés en étant intégrés dans l'armée congolaise". "Par la suite, beaucoup d'entre eux ont commis de nouvelles atrocités contre la population civile en tant qu'officiers de l'armée congolaise, avant de faire défection et de créer de nouveaux mouvements rebelles", conclut Human Rights Watch. L'ONG appelle donc la communauté internationale à rester vigilante.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Casque bleu à Kinshasa © Ch. Rigaud www.afrikarabia

02 octobre 2013

RDC : L'audit désastreux de l'aide européenne au Congo

Un rapport de la Cour des comptes épingle l'Union européenne (UE) pour la mauvaise gestion de son aide à la République démocratique du Congo. Sur les 1,9 milliards d'euros versés en 8 ans, l'audit dénonce une "évaporation des fonds" et des résultats "limités" sur le terrain.

Kinshasa.jpgCe qui pourrait paraître une évidence ne l'est visiblement pas. L'évidence : le contrôle et la traçabilité des sommes versées par l'Union européenne (UE) à la République démocratique du Congo (RDC). Selon un rapport d'audit de la Cour des comptes européenne, l'Union européenne n'est pas très regardante sur le suivi des fonds d'aide à la RDC. Les conclusions sont cinglantes : "évaporation des aides financières" et "des progrès lents, variables et globalement limités". La Cour des comptes demande donc à l'UE de se montrer "plus exigeante envers la République démocratique du Congo" (l'audit est téléchargeable ici)

No control ?

Pendant 3 semaines les "auditeurs" de la Cour des comptes se sont rendus sur place, à Kinshasa, dans le Bas-Congo et à l'Est du pays. L'objectif était de vérifier sur le terrain les effets de l'aide européenne dans un pays "fragile", en guerre permanente depuis bientôt 20 ans. Une enquête un peu tardive lorsque l'on sait qu'entre 2003 et 2011, l'UE a versé 1,9 milliard d'euros... visiblement sans réel contrôle de la bonne utilisation des fonds. Si le rapport note la réussite de certains programmes, comme par exemple le premier recensement national de la police congolaise, il dénonce en revanche les résultats mitigés des autres aides à la RDC.

Des policiers évaporés !
 
La Cour des comptes s'est penchée sur l'aide financière aux deux processus électoraux de 2006 et 2011 : organisation de la présidentielle et des législatives, réforme de la police, de la justice, décentralisation... Sur ces soutiens financiers débloqués par l'Union européenne, l'audit est sans appel : "moins de la moitié des programmes examinés ont produit, ou sont susceptibles de produire la plupart des résultats escomptés". Plus inquiétant encore : "dans la plupart des cas, il est illusoire de penser que la durabilité sera assurée", remarque l'audit. En clair : l'aide ne s'inscrit pas dans la durée, ce qui rend inefficaces les sommes déjà dépensées… des aides à perte donc ! A titre d'exemple, l'audit pointe un programme de formation de 1.000 policiers, avant l'élection présidentielle de 2006. Après le scrutin, l'UE ne trouve "plus aucune trace" des policiers formés ! Pour les "auditeurs" de la Cour des comptes européennes, les causes sont multiples : mauvaise évaluation des risques, objectifs trop ambitieux, manque de coordination et surtout de "conditionnalité de l'aide" que l'Europe a attribué à la RDC.

Elections non crédibles

Ce qui étonne le plus dans l'audit de la Cour des comptes, c'est le manque de suivi des fonds engagés. Apparemment, entre 2003 et 2011, aucun  mécanisme de contrôle n'a tiré la sonnette d'alarme pour rectifier le tir. L'UE peut donc financer 1,9 milliard d'euros d'aide pendant 8 ans sans en mesurer l'efficacité ? Rappelons que l'UE a également soutenu financièrement les élections chaotiques de 2011, jugées "non crédibles" et "entachées d'irrégularités" par une mission de l'Union européenne elle-même ! Etrange pour une institution aussi sérieuse. Pourquoi ne pas avoir conditionner son aide ?

Mieux vaut un peu, que pas du tout

Pour en comprendre les raisons, il faut lire les déclarations du commissaire à l'aide au développement, Andris Piebalgs, que le rapport égratigne. Pour lui, les "obstacles étaient sérieux" en RDC et "la mise en place d'une gouvernance dans ce pays était largement partie de zéro". Il y avait donc, selon le commissaire européen, des circonstance atténuantes. Quant au "conditionnement" du soutien financier conseillé par la Cour des comptes, Andris Piebalgs est plus clair : "la conditionnalité systématique pourrait être inefficace, voire contre-productive". On a donc compris que l'UE devait "composer" avec les autorités congolaises, dont le mode de gouvernance laisse encore à désirer. Une position singulière pour l'Europe qui défend la démocratie et les droits de l'homme, dans un pays qui peine à respecter l'une et l'autre. Le commissaire européen prône donc une politique des "petits pas" où il vaut mieux des élections "à moitié démocratique" que pas d'élections du tout. Alors, lorsque la Cour des comptes demande à l'UE "d'améliorer sa stratégie de coopération avec la RDC et de renforcer le recours à la conditionnalité et au dialogue politique"… on peut penser qu'il y a peu de chance que ses recommandations soient suivies. L'audit de la Cour des comptes européenne n'aura alors servi à rien.
 
Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Kinshasa 2013 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com