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08 janvier 2012

RDC : Les rébellions se réactivent à l'Est

Alors que la République démocratique du Congo (RDC) entre dans une période d'incertitude après des élections contestées, de nombreux groupes rebelles multiplient les attaques. Depuis début janvier, au moins 56 personnes sont mortes lors d'affrontements entre miliciens FDLR ou Maï-Maï et militaires de l'armée congolaise (FARDC) au Sud et au Nord-Kivu. Revue d'effectif des principales rébellions.

soldat.jpgDepuis plus de 15 ans, l'Est de la RDC est victime d'une dizaine de groupes rebelles qui terrorisent les populations civiles et affrontent l'armée régulière. Ces groupes armés étaient restés relativement calmes pendant le long processus électoral congolais de la fin 2011. Mais sitôt, les élections terminées (on attend tout de même les résultats des législatives le 13 janvier), les attaques reprennent.

Les FDLR... encore et toujours

Depuis le début de l'année, au moins 45 personnes ont été tuées au cours de deux attaques de rebelles FDLR, une milice hutue rwandaise. Des attaques d'une violence extrême. A Ngolombe, au Sud-Kivu, le chef du village a été décapité, une femme enceinte éventrée et une partie de la population a été emmenée de force dans la forêt par les assaillants. Les autorités sont toujours sans nouvelles de ces civils. Les rebelles FDLR sont, à l'origine, des miliciens accusés d'avoir participé au au génocide de 1994 au Rwanda. Ils se sont réfugiés depuis en RDC, où ils violent, pillent et assassinent les populations civiles. L'armée régulière congolaise (FARDC), sous-payée et indisciplinée reste impuissante et toutes les négociations avec ces rebelles et Kinshasa ont pour l'instant échoué.

Les groupes Maï-Maï se multiplient

Quelques jours plus tard, ce sont des rebelles Maï-Maï, constitués d'anciens membres de l'armée congolaise, qui ont affronté l'armée régulière à la limite du Nord et du Sud -Kivu. Ces combats ont été l'occasion de découvrir une "nouvelle" milice Maï-Maï : les Maï-Maï "Guides", qui nouent le plus souvent des alliances avec les FDLR. Bilan : 10 morts et un déplacement massif des civils du village de Buniakangendo.

D'autres Maï-Maï, les Raïa Mutomboki se sont affrontés avec les Forces armées congolaises à Vitshumbi, dans le parc national des Virunga au Nord-Kivu. Bilan : 1 morts et 4 miliciens capturés.

Gédéon terrorise le Nord-Katanga

Le Katanga, au Sud-Est de la République démocratique du Congo (RDC), n'est pas en reste avec le retour des milices de Kyunga Mutanga, alias Gédéon. Ce seigneur de guerre a été condamné à la peine capitale pour crimes contre l’humanité par la justice congolaise. Emprisonné depuis 2006, Gédéon s'est évadé en septembre dernier de la prison de Lubumbashi… en plein jour. Depuis, l'enquête est au point mort et un vent de panique souffle au Nord-Katanga. "La région est en train de sombrer dans la violence, la psychose et la peur. Il y en a beaucoup qui se cachent en brousse", indique Mgr Fulgence Muteba Mugalu, évêque de Kilwa-Kasenga. Résultat : plus de 12.000 habitants ont fui les combats et vivent "dans le plus grand dénuement à Mitwaba", toujours selon Monseigneur Muteba. Depuis l'évasion de Gédéon, le Haut-Katanga vit aux rythmes des affrontements entre l'armée congolaise et le groupe de Gédéon, allié à des Maï-Maï de la région.

Le CNDP toujours derrière Kabila ?

Un ancien groupe rebelle est également sous haute-surveillance : le CNDP. En 2008, ces rebelles tutsis avaient fait vaciller le pouvoir central de Kinshasa. Depuis l'arrestation de Laurent Nkunda par le Rwanda, en janvier 2009, les rebelles tutsis du CNDP ont fait allégeance à Joseph Kabila. Derrière leur nouveau chef, Bosco Ntaganda, les soldats du CNDP se tiennent pour l'instant à l'écart des principaux affrontements à l'Est du pays. Le CNDP contrôle toujours certains territoires du Nord-Kivu et administre des villages en toute impunité. Après l'annonce de la réélection très contestée de Joseph Kabila, le CNDP s'est retrouvé très divisé entre "pro-Kabila" et "pro-Tshisekedi" (l'opposant arrivé en seconde position à la présidentielle). Au cas où les choses tourneraient mal, le président Kabila a préféré prendre les devants, en rassurant les rebelles tutsis avec quelques nominations de dernières minutes au sein des FARDC et des soldes en conséquence. Dans le contexte actuel, où l'opposition conteste sa réélection, Joseph Kabila n'a pas intérêt à laisser le mécontentement s'installer au sein du CNDP. Pourra-t-il tenir le CNDP encore longtemps ? C'est un des paramètres clés de la sécurité dans les Kivu.

Christophe RIGAUD

Photo : Kinshasa 2006 © Ch. Rigaud - www.afrikarabia.com

Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (4)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le quatrième volet :

 Capture d’écran 2012-01-08 à 12.23.43.png

IV – La trahison de Mobutu Sese Seko
 
Depuis quelques jours, le président Juvénal Habyarimana savait qu’il devait plonger. Il avait tenu écartées les mâchoires des Accords d’Arusha comme un homme, qui, à moitié avalé par un crocodile, trouve une énergie désespérée pour empêcher sa gueule de se refermer. Le week-end de Pâques serait l’occasion de sonder les cœurs et de réfléchir. Il le passerait en famille dans sa belle maison lacustre de Butotori, à côté de Gisenyi. Agathe serait sûrement heureuse de faire ses dévotions dans sa commune d’origine. Les enfants viendraient. Et ce serait l’occasion de consulter des amis ou des obligés.
 
Gisenyi : le dernier week-end en famille
 
Lorsque le juge Bruguière l’a interrogée le 28 septembre 2000, l’une de ses filles Jeanne Habyarimana, alors 18 ans, s’est parfaitement souvenue de ce week end pascal d’avril 1994.
Les samedi 2, dimanche 3 et lundi 4 avril elle se trouvait à la résidence familiale avec son frère Jean-Luc et son mari Alphonse. Ce fut un défilé de visiteurs importants accompagnés de leurs épouses. Le président s’était mis en frais pour Pasteur Musabe, directeur de Banque africaine continentale du Rwanda (BACAR), dernier frère du colonel Théoneste Bagosora et un des financiers de la RTLM.  Juvénal Habyarimana voulait sans doute tester sur cet extrémiste notoire comment réagirait l’inquiétant colonel dans la perspective de mise en place d’un gouvernement de transition.
 
Ensuite, ils sont allés déjeuner dans la luxueuse villa d’un ami, Alphonse Higaniro, ex-ministre, prospère directeur d’une usine d’allumettes. Originaire du village d’Agathe Habyarimana, ce pur OTP avait aussi épousé la fille d’Emmanuel Akingeye, le docteur personnel du président.
Jacques-Roger Booh-Booh envoyé spécial du SG de l’ONU, était invité. Habyarimana comptait sur ce dernier pour impressionner les autres convives : n’était-il pas l’œil de New York ? N’allait-il pas confirmer l’exaspération du Secrétaire général devant les tergiversations ? Mais incapable de comprendre ce qu’on attendait de lui,  Booh-Booh s’était comporté comme un courtisan en flattant Habyarimana. Il lui avait répété qu’il devrait se méfier de missiles que, paraît-il, le Front patriotique stockait non loin de l’aéroport, pour abattre son avion.
 
Jacques-Roger Booh-Booh en rôle de courtisan
 
Jeanne Habyarimana a une excellente mémoire : « Au cours de la conversation, alors que celle-ci portait sur la sécurité qui régnait au Rwanda, j'ai entendu M. Roger Booh-Booh dire à notre père justement à ce sujet qu'il revenait de Mulindi, du quartier général du Front patriotique rwandais où il avait rencontré Paul Kagamé. Celui-ci lui avait alors dit "qu'il ferait tout pour devenir le roi de ce pays". M. Roger Booh-Booh mettait notre père en garde contre les propos tenus par Paul Kagamé, qu'il fallait faire très attention à sa sécurité et il lui avait conseillé de renforcer celle-ci, car en ce moment-là il craignait que quelque chose ne se produise contre notre père ».
 
Autant de ragots dispensés par les durs du régime et colportés par la RTLM. Radio-Machette annonçait même « une petite chose » pour les jours à venir.  Habyarimana était agacé par la répétition de la rumeur des missiles, que les uns et les autres lui serinaient à longueur de journée en croyant se mettre en valeur. Le président n’ignorait pas que tout avait commencé en janvier par un faux communiqué du Front patriotique où les rebelles étaient supposés s’excuser auprès de leurs sympathisants de n’avoir pas encore abattu l’avion. C’était grossier.

Un faux communiqué revendiquant l’attentat… trois mois avant
 
Les ragots éventés de Booh-Booh avaient plutôt gâché le déjeuner.  Et singulièrement desservi Habyarimana auprès du convive dont il attendait le soutien : Joseph Nzirorera, secrétaire général du Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement - le MRND. Après avoir tourné autour du pot  Juvénal fit comprendre à Nzirorera qu’il ne voyait plus comment différer l’application des Accords d’Arusha. L’autre le regarda dans les yeux et articula : « On ne vous laissera pas faire, Monsieur le président ! ». D’après un autre convive, il aurait plutôt dit « on ne se laissera pas faire… ». Qu’importe la nuance, c’était une véritable gifle. Le président ravala son humiliation et parla d’autre chose. Survivre politiquement à l’application de l’accord de paix nécessitait de sauver la face. Par quel biais ?.
 
Lâché par les siens, Juvénal Habyarimana ne pouvait plus compter que sur les amis de l’étranger. Le plus important, François Mitterrand, était désormais hors course, empêtré dans la cohabitation et le cancer. Le nouveau président du Burundi était un admirateur inconditionnel, mais n’avait guère de poids diplomatique. Restait le  n°1 zaïrois.

Le dernier ami : Mobutu
 
Depuis l'ouverture des négociations avec le FPR en octobre 1990, le président Mobutu Sese Seko s'était révélé le meilleur allié du président Habyarimana. Dès la déclaration de Dar ès Salam du 19 février 1991, il avait obtenu un mandat général de facilitateur dans le dialogue avec la rébellion. Ensuite, il avait toujours répondu présent. Juvénal Habyarimana décida d’aller le voir au plus vite. A 1 200 kilomètres, ce n’était pas un problème pour l’équipage français de son Falcon 50. Joint au téléphone, Mobutu donna son accord.
 
Dans une dépositions le 5 octobre 2000, Alphonse Higaniro confirme cet agenda : « Je savais qu'il a quitté Gisenyi le lundi par la route en compagnie de M. Joseph Nzirorera pour Kigali.(...) il avait annoncé clairement le dimanche qu'il se rendrait le lundi à Gbadolite pour y rencontrer le président Mobutu. »
Agathe Kanziga, veuve Habyarimana ne dit pas autre chose : « Nous avions passé le week-end de Pâques à Gisenyi où nous avions une résidence privée. Il m'a simplement dit qu'il partait le 4 avril à Gbadolite. Je me souviens avoir entendu mon mari dire également "de toute façon, même si le Front patriotique rwandais ne vient pas, j'irai vendredi effectuer la prestation de serment pour mettre en place le gouvernement de transition, car cette situation ne peut plus durer". »
 
« Cette situation ne peut plus durer »
 
Françoise Jusserand, veuve du pilote du Falcon 50 Jacky Héraud, confirme que le 4 avril son mari « est parti vers 4 h 30 de la maison pour décoller vers six heures pour conduire le président à Gbadolite où il avait rendez-vous avec le président Mobutu. »
 
Dans ses témoignages, Jacques-Roger Booh Booh décrit un président rwandais isolé, au bout du rouleau. Honoré Ngbanda Nzambo Atumba qui était conseiller spécial du maréchal Mobutu après avoir été responsable des services de sécurité et du renseignement du Zaïre (de 1985 à 1990), puis ministre de la Défense nationale (de 1990 à 1992), assure avoir assisté à la dernière entrevue entre les deux présidents le 4 avril 1994 à Gbadolite. Il décrit Habyarimana « excédé », « scandalisé », « révolté », « en colère » contre les Belges et les Américains qu’ils voyaient derrière « un imminent projet de son assassinat ».
 
Habyarimana est intarissable, presque pathétique. Mobutu le rassure, promet de participer le lendemain à une nouvelle réunion des chefs d’Etat de la région pour réexaminer la situation. Habyarimana repart rasséréné.
 
Habyarimana rasséréné
 
Dans son livre « les derniers jours de Mobutu » (Ed. Gideppe), Honoré Ngbanda explique que Mobutu était plus que circonspect, craignant de voir son propre avion pris pour cible. Il hésite à se rendre à Arusha le lendemain 5 avril, comme demandé. En Tanzanie, les services du protocole ne sont pas prêts à organiser dans l’urgence la venue d’une brochette de chefs d’Etat. Ils arguent que le centre de conférence ne sera pas disponible. Des échanges entre les directeurs de cabinet, ressort un autre agenda : Dar-es-Salaam,  le 6 avril. Mobutu promet à Habyarimana de venir, décidé à ne pas tenir parole.
 
Selon Honoré Ngbanda, « Par notre ambassadeur en poste (…), nous avions appris le 5 avril 1994 que la réunion initialement prévue le 5 avril à Arusha, été reporté le 6 avril à Dar-es-Salaam, sans que la raison n'ait été donnée. De plus lorsque cette décision a été portée à notre connaissance, nous avions déjà décidé de ne pas y aller suite à la visite qu’avait fait le président Habyarimana le 3 avril 1994 au président Mobutu ».
 
Mobutu décidé à ne pas se déplacer
 
Habyarimana ne sait pas encore que le président Mobutu l’a lâché, semble-t-il sur le conseil de « spécialistes en sécurité » qui lui confirment que la menace d’attentat doit être prise très au sérieux. Mais il ne se donne même pas la peine de téléphoner à Habyarimana pour lui dire d’annuler ce trajet à hauts risques. Ni lui annoncer qu’il ne viendra pas…
 
Le 6 avril, ignorant la trahison de celui qu’il considère comme son plus fidèle allié, le président rwandais va boire la coupe jusqu’à la lie.
 
Jean-François DUPAQUIER
(à suivre)
 
Prochain article : le 6 avril heure par heure.
 
Illustration : Mobutu Sese Seko et Juvénal Habyarimana. Photo © Droits réservés - www.afrikarabia.com

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06 janvier 2012

Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (3)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui, voici le troisième volet :


Paul VI.JPG 

III - 6 avril 1994, chronologie d’une journée tragique
 
A l’approche de Kigali, le président de Burundi Cyprien Ntayiramira disait quelque chose à Juvénal Habyarimana. Du genre : « Votre avion est parfait. Je ne vous remercierai jamais d’avoir demandé à l’équipage de me ramener à Bujumbura dès ce soir ». Mais le président du Rwanda écoutait à peine. Habyarimana essayait de trouver des souvenirs qui le distrairaient de la corvée d’Arusha et des problèmes des Burundais. Se souvenir par exemple sa visite au pape Paul VI, à Rome, avec Agathe. Un des meilleurs moments du couple. C’était peu après sa prise du pouvoir de juillet 1973. Ils étaient encore jeunes et les aînés de leurs enfants, des bébés. L’avenir semblait radieux et la visite du Vatican, une merveille. Agathe était pâmée d’admiration devant le pape et son mari se demandait si elle n’allait pas défaillir.
 
6 avril 1994, 20 h 15. Comme souvent, Cyprien Ntayiramira demanda un conseil, ce qui tira Habyarimana de son songe fugace. Il se dit que les soucis de son homologue étaient minuscules à côté des siens. Certaines dispositions de l'accord d'Arusha l’inquiétaient particulièrement. Ainsi le « protocole additionnel relatif à l'État de droit » qui ouvrait la perspective de sa comparution devant une Haute cour de justice s'il perdait le pouvoir. « Personne, y compris les autorités, ne peut se placer au-dessus de la loi », édictait le premier protocole signé le 18 août 1992, repris dans des termes identiques par la suite. L'accord prévoyait notamment l'installation d'une Cour suprême totalement indépendante du pouvoir. Apte, le cas échéant, « à juger au pénal le président de la République ». C’était de très mauvais augure.
 
Comparution devant une Haute cour de justice ?
 
Le dernier article du protocole additionnel stipulait que « de façon urgente et prioritaire, le gouvernement de transition à base élargie écartera de l'administration territoriale les éléments incompétents ainsi que les autorités qui ont trempés dans les troubles sociaux ou pour les actions constituant un obstacle au processus démocratique et à la réconciliation nationale » (article 46).
Une annexe au protocole d'accord prévoyait en son article le 11 que, « en cas de violation de la loi fondamentale par le président de la République, la mise en accusation est décidée par l'assemblée nationale de transition, statuant à la majorité des deux tiers des membres présents et au scrutin secret. »
 
Depuis le 30 octobre 1992, date où cet accord avait été cosigné, Habyarimana était hanté par la perspective de se retrouver un jour traîné en justice pour les crimes de masse qu’il avait laissé commettre. Sans doute l'assemblée de transition ne pouvait-t-elle de faire mettre en accusation qu'à la majorité qualifiée des deux tiers. Mais dans cette assemblée de 70 membres, l’ex-parti unique MRND ne disposerait que de 11 sièges. Et même dans la perspective – hautement probable - d'acheter la voix de quelques indécis, Habyarimana ne nourrissait guère d'espoir d'empêcher un vote à la majorité qualifiée pour l’envoyer devant les juges.
 
L’ex-parti unique MRND à la portion congrue
 
Dans un communiqué commun lourd de menaces publié à Dar-es-Salaam le 7 mars 1993, les représentants du gouvernement rwandais et ceux du Front patriotique en avaient remis une couche concernant « des poursuites judiciaires, des renvois et les suspensions (...) de tous les fonctionnaires de l'État impliqué directement ou indirectement dans les massacres, ou qui ont failli alors de voir d'empêcher que les massacres ou autres actes de violence soient perpétrés dans les communes ».
 
Au moins Juvénal Habyarimana pouvait-il compter sur l’ambassadeur de France. En poste au Rwanda depuis mai 1993, Jean-Michel Marlaud n’avait pas tardé à épouser les vues du président Habyarimana sur les accords de paix d’Arusha. Lui aussi était persuadé qu'une des premières décisions de l'assemblée de transition serait la mise en accusation du chef de l'État. Il plaidait donc auprès de ses collègues la modification de la composition de l'assemblée, en y intégrant des représentants de la Coalition pour la défense de la république (CDR), qui représentait l'aile officieuse et extrémiste de la mouvance présidentielle. Ainsi la perspective d'une majorité qualifiée pour juger le président s'éloignerait-elle.
Marlaud était également un opposant résolu à la recomposition des Forces armées rwandaises où les militaires du Front patriotique seraient massivement incorporés pour atteindre 40 % des effectifs.

 L’appui inconditionnel de l’ambassadeur de France
 
« C’est dans l’épreuve qu’on reconnaît ses véritables amis », avait titré le magazine extrémiste Kangura sous la photographie pleine page du président français. Message reçu : l’ambassadeur de France ne cachait pas sa répugnance profonde pour l’article d’Arusha prévoyant que dans la chaîne de commandement, depuis l'état-major de l'armée jusqu'au niveau du bataillon, le Front patriotique obtiendrait pire encore : 50% des postes de responsabilité conformément à un principe d'alternance. Bernard Debré, ministre français de la Coopération, était également indigné d’une règle de partage du pouvoir qu’il jugeait disproportionnée en faveur des Tutsis. Logique puisque pour lui, FPR égalait Tutsis.
 
Alors que le gouvernement français était supposé patronner le traité de paix qui légitimait à posteriori sa longue intervention armée au Rwanda, son représentant à Kigali en était venu à partager les vues des extrémistes hutu et conseillait au président de freiner l'application de l'Accord. Le paradoxe n’était qu’apparent :  l’ambassadeur de France trouvait encore plus extrémistes à l'Élysée. Le général Christian Quesnot chef d'état-major particulier du président Mitterrand se mettait dans une rage quasi hystérique lorsqu’on évoquait devant lui cet accord d’Arusha et éructait contre les Tutsi.
 
Un extrémiste anti-tutsi à l’Elysée
 
Capture d’écran 2012-01-06 à 22.32.53.png« Le FPR est le parti le plus fasciste que j’aie rencontré en Afrique. Il peut être assimilé à des Khmers noirs », avait dit Quesnot à une jeune femme qui l’interviewait. Incapable de maîtriser la virulence de son expression contre les « Khmers noirs », ce chef d’était major très particulier inquiétait jusqu’au secrétaire général de l'Élysée Hubert Védrine qui partageait ses sentiments mais tenait à conserver une allure policée. Ce dernier avait conseillé au président de la République de maintenir son chef d'état-major militaire soigneusement à l'écart des journalistes français ou étrangers chaque fois qu’il serait question du Rwanda. A l’Elysée et dans les allées du pouvoir - désormais en « cohabitation » -, de François Mitterrand à Bernard Debré, de Christian Quesnot à Michel Aurillac (et à son associé Robert Bourgi du « Club 89 »), de François de Grossouvre à Paul Barril, la haine des Tutsis était la conviction la mieux partagée… et pour au moins l’un d’entre eux, la mieux dédommagée.
 
« Le FPR est le parti le plus fasciste que j’aie rencontré en Afrique »
 
Juvénal Habyarimana savait cependant que ces amis ne lui seraient d’aucun secours pour affronter la tempête politique prévisible ce mardi 6 avril au soir. Maintenant qu’il avait donné des instructions à Enoch Ruhigira son directeur de cabinet de se préparer à la mise en place des institutions de transition le 8 avril, que pourrait-il dire au bouillant colonel Théoneste Bagosora, qui se retrouverait d’office à la retraite ?
 
Pire encore, comment faire accepter au milliardaire Félicien Kabuga, le beau-père de sa fille, et à ses amis jusqu’auboutistes, la fermeture de la coûteuse Radio-Télévision libre des Mille collines (RTLM, surnommée plus tard « Radio-Machette), lancée depuis neuf mois seulement et déjà si populaire ? Et comment justifier de ne pas pouvoir passer outre au refus définitif du FPR de faire entrer des membres de la CDR dans le Parlement de transition ?
Quid de la démobilisation à brève échéance des deux-tiers des militaires et gradés hutus, une mesure qui atteindrait tout particulièrement les natifs de sa région, car les moins  diplômés, ayant été recrutés par pur clientélisme ?
 
La fermeture prévisible de Radio-Machette
 
On aavait même menacé d’enlever deux des enfants du président : Jean-Luc et Marie-Rose. Selon Jean-Luc, « cet enlèvement avait pour but d'effectuer une pression sur notre père pour qu'il démissionne de ses fonctions. Cette idée d'enlèvement avait fait son chemin depuis plusieurs mois déjà ».
Ce genre de menace, qui suscitait chez le président Habyarimana un  profond sentiment de dégoût, ne venait évidemment pas du FPR.
 
Jamais la perspective d’un coup d’Etat des extrémistes hutus n’avait été aussi prévisible, aussi proche. Au point de reléguer au second plan toute autre menace. Habyarimana avait balayé d’un revers de main les protestations de son pilote français, Jacky Héraud, et du co-pilote Jean-Pierre Minaberry, sur le tarmac de Dar-es-Salaam : Oui Messieurs, il faudrait rentrer à la nuit, ça ne se discutait pas.
Les deux Français, ainsi que le mécanicien Jean-Michel Perrine étaient bouleversés par les rumeurs d’un attentat au missile contre le Falcon 50 par le Front patriotique. Un rumeur dont ils n’avaient pas compris qu’elle était colportée depuis janvier par les extrémistes hutus.
 
Les menaces des extrémistes hutus
 
En 2001, le juge Jean-Louis Bruguière a recueilli le témoignage de Mme Brigitte Demenieux, veuve Minaberry : « Le 5 avril 1994 au cours de l'après-midi le couple Héraud ainsi que Jean-Michel Perrine se sont retrouvés à notre domicile. Je crois que c'est lors de cette réunion que Jacky Héraud a annoncé le voyage à Dar-es-Salaam pour le 6 avril 1994. Suite à cette annonce, le couple Héraud a eu une altercation concernant cette mission. Je me souviens que Françoise Héraud a dit à son mari :  "Ils vont finir par vous avoir", ce à quoi il lui a répondu de se taire.
Sachant ce que mon mari m'avait dit au sujet de la présence de missiles à Kigali entre les mains du FPR ainsi que de la recherche d'une procédure d'atterrissage en cas d'urgence, je partageais l'inquiétude de Françoise Héraud. »
 
Malgré l’heure tardive, Juvénal Habyarimana avait refusé la proposition de passer la nuit à Dar-es-Salaam. De toute évidence, il pensait que s’il ne rentrait pas d’urgence à Kigali, il se ferait renverser, voire tuer par les ultras de son camp.
 
Jean-François DUPAQUIER
(A suivre)
 
Prochain article :
La trahison du président Mobutu
 
Illustrations :
 
- Agathe Habyarimana en extase devant le pape Paul VI - Photo (c) Droits réservé - www.afrikarabia.com
 
- Un note manuscrite d’Hubert Védrine au président Mitterrand, pour déconseiller que le général Quesnot soit mis en mesure de rencontrer des journalistes… A télécharger ICI.

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Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (2)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi du Rwanda et au massacre politique des Hutu démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le second volet :

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II. Une batterie de missiles : les Accords d’Arusha
 
Le Falcon présidentiel approchait de l’aéroport de Kigali et le commandant n’allait pas tarder à demander de boucler sa ceinture, tout en sachant que le président de la République, qu’il savait depuis peu sujet à des crises d’anxiété, n’en ferait qu’à sa tête. Ces derniers temps, Habyarimana ne pouvait plus se défaire de sa peur. Son visage gonflé et sa démarche alourdie témoignaient d’une certaine addiction à l’alcool, peut-être aussi à des antidépresseurs prescrits par son médecin personnel, le docteur Akingénéyé.
Depuis longtemps ça n’allait plus, au physique comme au moral. Dans un conseil restreint tenu à l’Elysée le 3 mars 1993, le ministre de la Coopération Marcel Debarge, qui rentrait du Rwanda, observait : « Le président Habyarimana est désorienté et à bout de souffle ». Dans un climat de déliquescence générale, le Falcon présidentiel s’était mué en une sorte de bulle où le chef de l’Etat rwandais s’efforçait d’oublier ses misères publiques et privées.
 
Une certaine addiction à l’alcool
 
La confortable cabine du jet permettait à Habyarimana d’économiser l’effort de cacher à son entourage ses nuits de cauchemars et ses crises d’angoisse : la hantise d’un coup d’Etat, de la perte irrémédiable du pouvoir, ou pire encore, d’un  attentat. Au point de ne plus oser s’absenter du pays depuis des mois.
C’avait été un crève-cœur de devoir renoncer à se rendre en décembre 1993 aux obsèques du président de Côte-d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny (quatre-vingt-dix chefs d’Etat dans la basilique de Yamoussoukro). De ne pouvoir s’y entretenir une nouvelle fois avec son protecteur, François Mitterrand. Et de décliner un rendez-vous difficilement négocié avec le nouveau roi des Belges, Albert II. Il aurait pourtant été utile de briser le climat de méfiance qui s’aggravait chaque jour un peu plus avec Bruxelles et le risque de coup d’Etat. Tout allait mal : au même moment se retiraient les derniers militaires français de « l’Opération Noroît ».

Rendez-vous raté
 
Depuis 1990, le corps expéditionnaire français avaient sauvé le régime, confronté à la rébellion majoritairement tutsie du Front patriotique, et en même temps refroidi les ardeurs des ultras. Mais la paix, même fragile, faite de mensonges de chaque côté, de mémoire blessée, de haine, de faux-semblants et de serments hypocrites était signée. Une paix armée sous contrôle. Dans ce cadre, les Français avaient été remplacés par des Casques bleus de la Mission des Nations unies pour le Rwanda (MINUAR).
Le général Habyarimana ne se trouvait aucune affinité avec leur chef, le méticuleux, incorruptible et ennuyeux général  Roméo Dallaire. « Un empoté », aurait maugréé le président rwandais, un jour d’impatience. Rien à voir avec la chaleureuse empathie des colonels français, leur aversion des Tutsi - l’ennemi intérieur et extérieur - avec qui il fallait dorénavant composer, partager le pouvoir, imaginer l’avenir.
Habyarimana avait pourtant réussi un joli coup : brouiller définitivement le général Dallaire avec son supérieur, l’envoyé spécial extraordinaire du secrétaire général de l’ONU Jacques-Roger Booh-Booh. Habyarimana avait vite repéré l’égo surdimensionné du Camerounais. Trop facile de l’amener à se prendre pour le vice-président du Rwanda.

 Isoler le général Dallaire
 
Booh-Booh en oublierait l’évidence : comme la plupart des membres de son entourage, Habyarimana était convaincu d’une issue relativement facile à la crise politico-militaire. Une méthode qui avait fait ses preuves en 1959, 1961, 1963, etc. : dès que les conditions seraient réunies, exterminer l’opposition. Combien faudrait-il tuer de notables tutsis et de Hutus démocrates pour remettre au pas les Rwandais ? 10 000 ? 15 000 ? Mais cela suffirait-il ? Et Bagosora s’arrêterait-il en chemin ? A trois reprises, Habyarimana, hésitant, avait fait reporter l’opération, la dernière fois le 8 mars 1994. Mais quel idiot avait choisi cette date, qui était celle de l’anniversaire du Président. Quand même !
 
 Soumis à des pressions contradictoires, le président du Rwanda perdait ses certitudes. L’usure du pouvoir s’accélérant, la maladie de l’irrésolution l’avait gagné. D’autant que les diplomates occidentaux, comme le président de l’Organisation de l’unité africaine et le secrétaire général de l’ONU, lui criaient casse-cou : qu’il se décide enfin à l’application  des Accords de paix d’Arusha, ou qu’il crève dans son coin. Tout seul. Boutros Boutros-Ghali, le SG de l’ONU, lui avait téléphoné quatre fois les jours précédents, sans masquer sa colère : « Vous avez continué à faire de la politique politicienne et c’est le peuple rwandais qui souffre. Nous allons nous retirer, cela se passera discrètement. Vous ne méritez pas l’aide qu’on vous a donnée. Vous ne nous avez rien donné en échange ».
 
La colère de Boutros Boutros-Ghali
 
Les Accords d’Arusha… Même dans le Falcon 50, le président Habyarimana gardait auprès de lui une mallette de cuir renfermant cette liasse de documents qui était devenue par la force des choses son livre de chevet . Il les consultait distraitement, soupirait, se lassait vite, les reposait. Ces quelque 700 grammes de pages reliées le fascinaient et le révulsaient à la fois, comme un arrêt de mort dans un  parapheur.
 
Plus tard, beaucoup blablateraient sur ces Accords sans les avoir lus. Pour Habyarimana en 1994, ça se visitait comme un chemin de croix.
Depuis presque quatre ans, les négociateurs de paix avaient navigué d’un pays à l’autre sans désemparer. Exactement depuis le 17 octobre 1990, 16 jours seulement après la première attaque des rebelles. Les rencontres de haut niveau avaient commencé à Mwanza, en République unie de Tanzanie. Puis à Gbadolite, au Zaïre, neuf jours plus tard. Ensuite à Goma, toujours sous l'égide du présidents Mobutu, le 20 novembre 1990. À Zanzibar, en Tanzanie, le 17 février 1991. Les chefs d’Etat d’Afrique centrale ne s’en lassaient pas : encore Dar-es-Salaam, le 19 février 1991. Et toujours à Dar-es-Salaam, les 5, 6 et 7 mars 1993.
 
La paix comme un chemin de croix
 
Le président Habyarimana se remémorait aussi la litanie des accords de cessez-le-feu. Ainsi à N'sele, au Zaïre, le 29 mars 1991. Un papier qu’il avait fallu modifier à Gbadolite, dans la monumentale et fantasque capitale de Mobutu le 16 septembre 1991. Et encore à Arusha, le 12 juillet 1992. Autant de cessez-le-feu, autant de violations. Et inversement.
 
En 1992, un peu moins de deux ans après l’attaque des rebelles, on avait entrevu le bout du tunnel. Le 18 août de cette année-là, un protocole relatif à « l'État de droit » avait été signé à Arusha. Un processus de partage du pouvoir avec un gouvernement de transition à base élargie, qu'on appellerait dorénavant de façon familière le « GTBE ». Les discussions avaient progressé rapidement avec un premier protocole à Arusha le 30 octobre 1992, détaillé dans un  nouveau document le 9 janvier 1993. On arrivait au bout.
 
Un gouvernement de transition à base élargie, dit GTBE
 
Incroyable, l’énergie et l’intelligence dispensées par les négociateurs rwandais ou des pays voisins, secondés par des diplomates de grands pays d’Europe, la Belgique, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni. Les textes soumis à la signature étaient de petits bijoux d’ingénierie diplomatique. Ils auraient fait école, si...
 
Bijou, si les extrémistes hutus avalaient cette couleuvre. Le président Habyarimana crut tempérer l'humeur du colonel Théoneste Bagosora en l’envoyant observer les discussions d'Arusha. En général, les négociateurs rwandais goûtaient le confort des grands hôtels et les « dies » (indemnités journalières, prononcer « diès ») généreusement dispensés par la communauté internationale. Les dies permettaient de revenir avec un pécule.  Mais avec cet obsessionnel anti-tutsi de Bagosora, peine perdue. Seul le grade de général, qu’il réclamait avec insistance, aurait pu le satisfaire. Or Habyarimana n’avait pas envie de mettre le petit doigt dans cet engrenage-là. Car il savait l’ambition de Bagosora démesurée, bien que l’homme, insupportable, n’ait compté qu’une poignée d’amis.
 
L’ambition du colonel Bagosora
 
Le président se souvenait que les discussions de l’automne 1992 à Arusha avaient provoqué un remugle colérique des extrémistes de son camp. Sans se donner la peine de prévenir son ministre ou le président de la République, le bouillant colonel Bagosora avait quitté précipitamment la table des négociations de la cité tanzanienne en décembre 1992. En annonçant : « Je rentre à Kigali préparer l'Apocalypse ».
Apocalypse ! Les Rwandais un peu versés dans le langage religieux avaient aussitôt traduit « holocauste des Tutsi ». La citation s'était répandue comme une traînée de poudre et il avait fallu à la fois calmer Bagosora et les délégations étrangères qui commençaient à s'inquiéter. Quel charivari.
 
Déchaînés, les extrémistes hutus parlaient d'en découdre. Ce n'était pas le moment, alors qu'on attendait une commission d'enquête de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme. Bien renseignée, celle-ci déterra dans les parcelles les plus improbables des ossements de Tutsis sommairement exécutés du côté des OTP (sur la signification de ce sigle, voir article précédent). Et pour une fois, malgré toute sa capacité de persuasion et de dissimulation, le président de la République fut incapable de noyer le poison. Mais les extrémistes hutus avaient besoin d’assouvir leur colère dans un bain de sang. A peine la mission de la FIDH avait-elle repris l'avion pour Bruxelles que des liquidations de Tutsi recommençaient ici ou là.
 
« Je rentre à Kigali préparer l'Apocalypse »
 
Depuis qu'il avait dû concéder le multipartisme et abandonner le poste de Premier ministre à Dismas Nsengiyaremye, la guérilla politicienne  était plus démoralisante que la pression armée. Elle ne permettait plus que des manoeuvres de retardement pour empêcher un accord général sur le dos du président. Il fallait aussi compter avec les ambassadeurs des pays occidentaux qui renflouaient plus de la moitié du budget national et s’en prévalaient.
 
Guérilla politicienne
 
Bercé du faible sifflement du Falcon 50, Habyarimana restait obsédé du film des événements : la signature du protocole d'accord sur le droit au rapatriement des réfugiés tutsis et leur réinstallation au Rwanda, paraphé le 9 juin 1993. Puis le bouquet : un accord général, le 3 août 1993 à Arusha. Il prévoyait l'intégration des militaires de l'Armée patriotique rwandaise (APR) au sein des forces armées rwandaises (FAR). Si on avait voulu symboliser par un animal-totem les extrémistes de l'Akazu, on aurait dit que l’accord de paix d’Arusha était un chiffon rouge agité devant ce taureau furieux. « Un chiffon de papier », avait estimé le président.
 
Pour présider à l'accouchement de l'ultime accord de paix, tous les chefs d'État concerné dans la région s'étaient déplacés : Ali Hassan Mwinyi, président de Tanzanie, Mobutu Sese Seko, président du Zaïre, Abdou Diouf, président du Sénégal, Hosni Moubarak, président d'Égypte, le secrétaire général de l'OUA, Salina Ahmed Salim, et même le secrétaire général des Nations unies, Boutros Boutros-Ghali. Sans oublier le président du Burundi, Melchior Ndadaye, ami et admirateur d’Habyarimana. Avant l’assassinat de Ndadaye en octobre 1993.
 
Tous les chefs d'État concerné au chevet de l’Accord de Paix
 
Le long protocole d'accord contenait des formules incantatoires qui n'avaient pas grande signification. Mais on y trouvait également un agenda impératif : « Les institutions de la transition seront mises en place dans les 37 jours qui suivent la signature de l'accord de paix. » Habyarimana avait mobilisé toute son énergie pour rendre cet article 7 inopérant. Normalement, le Premier ministre du gouvernement de transition, Faustin Twagiramungu, aurait dû être installé au plus tard le 10 septembre 1993. D'embuscade en embuscade, l'attente s'était transformée en interminable parcours d’obstacle. Au prix de la paralysie du pouvoir.
 
Et voilà qu’à Dar-es-Salaam, cet après-midi du 6 avril 1994, sept mois au-delà de la date limite de mise en place du partage du pouvoir, Habyarimana avait tout lâché. Après une interminable guérilla politicienne, une reddition en rase campagne. Il était plus qu’urgent de rentrer à Kigali. Entre le danger de voir son avion abattu et celui de coup d’Etat, Juvénal Habyarimana jugeait le second plus grave. Il aurait dû comprendre que les risques peuvent se cumuler plutôt que se diviser…
 
Jean-François DUPAQUIER
(A suivre)
 
Prochain article :
6 avril 1994, chronologie d’une journée tragique

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03 janvier 2012

Rwanda : Retour sur l’attentat qui fit un million de morts (1)

Le 6 avril 1994, deux missiles abattaient l’avion du président du Rwanda Juvénal Habyarimana alors qu’il s’apprêtait à atterrir sur l’aéroport de Kigali. Cet attentat allait servir de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsis du Rwanda et au massacre politique des Hutus démocrates, causant la mort d’environ un million de personnes en cent jours.

Dans une série d’articles, le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier revient pour Afrikarabia sur le contexte de cet attentat jusqu’aujourd’hui entouré de mystère et sur l’enquête du juge Bruguière, non moins dépourvue de zones d’ombre. Aujourd’hui le premier volet :

Capture d’écran 2012-01-03 à 20.51.04.png
 
I. "A quoi pouvait penser le président Habyarimana vingt-cinq minutes avant son décès ?"
 
 Le 6 avril 1994 vers 20 heures, avant sa mort brutale et quelque peu prématurée, à quoi pouvait bien penser le président de la République du Rwanda Juvénal Habyarimana, 57 ans et 102 kilos ? Lui seul aurait pu le dire mais bien des indices laissent croire qu’il avait jugé la journée exécrable de bout en bout. En se levant aux aurores pour rejoindre le centre de négociations de Dar-es-Salaam, au bord de l’Océan Indien, il devait pester en son fort intérieur contre cette destination trop lointaine - près de 1200 kilomètres - et trop chaude, alors que la veille, le centre d’Arusha, à l’altitude aussi tempérée que Kigali et à 754 kilomètres seulement -, était disponible.

En général, Juvénal Habyarimana aimait rêvasser dans son avion personnel où l’équipage de trois Français lui donnait une rare sensation de sécurité. Lorsqu’il s’avachissait dans le fauteuil de cuir couleur beurre de son triréacteur Falcon 50, il  éprouvait même parfois, selon des proches ayant voyagé avec lui, une sorte d’euphorie et se révélait d’un abord plus facile. C’était peut-être l’irréductible part d’enfant de ce dictateur aguerri : son admiration un tantinet naïve pour les avions, surtout à réaction. Malgré l’usure d’un pouvoir longtemps quasi-absolu qui avait mis à bas bien des illusions, le sifflement et la grâce de cet oiseau de métal restaient pour lui synonymes  de luxe et d’évasion.
 
Admirateur des avions à réaction
 
Ce n’était pas pour rien que le président de la République du Rwanda avait fait construire sa villa dans l’axe de l’unique piste de l’aéroport de Kigali, la capitale du Rwanda. Impossible que la maison ne se révélât aux visiteurs pour ce qu’elle était : vieillotte, cimenteuse, laide. Alentour, quelques paons, un poulailler, une porcherie et une fosse à serpent où végétait un boa obèse. Au moins ce mini zoo permettait à la résidence présidentielle, à défaut de s’envoler, d’atteindre le sommet du mauvais goût. Et l’intérieur ne rachetait d’aucune sorte l’impression extérieure.
 
Le sommet du mauvais goût
 
Capture d’écran 2012-01-03 à 20.43.50.pngLe maître des lieux affectionnait les meubles laqués blanc-ivoire de style nouille/rococo inspirés des pires feuilletons sur le Far-West. Et les robinets plaqués or, qui ne conféraient aux salles de bains qu’un luxe pisseux. Des deux côtés de son lit, immense, bien trop grand pour un homme seul (depuis des années il faisait chambre à part avec son épouse Agathe et répugnait à lui manifester une quelconque affection) trônaient deux tables de chevet faites de pattes naturalisées d’un éléphant. Un trophée abattu, disait-il, par son ami Valéry Giscard d’Estaing. Souvenir de l’époque où ce premier président ami accourait pour assouvir ses deux passions : la chasse au gros et aux petites.
La seule véritable attraction du lieu était un escalier en bois hélicoïdal surmonté d’un gigantesque lustre et qui cachait un dispositif secret : la nuit, d’un  bouton dissimulé dans sa chambre, Juvénal Habyarimana pouvait activer les contacts électriques placés sur chaque marche, reliés à une sonnerie. Un dictateur élu et réélu entre 97 % et 99,9 % n’est jamais trop prudent, en Afrique comme ailleurs.

Escalier en état d’alerte
 
Mais qu’importait la monstrueuse bâtisse, davantage un bunker qu’une maison. A deux kilomètres de la zone d’atterrissage, Juvénal Habyarimana était mieux placé que quiconque pour bénéficier du rugissement des réacteurs qui interrompaient toute conversation. Maître de la terre et des hommes du Rwanda comme les anciens « Mwami » (rois), le président pouvait, en levant les yeux au ciel , rêver que ces avions étaient autant de cerfs-volants dont il tenait les fils invisibles qui le reliaient au monde entier. Et la nuit, les hublots des avions de ligne figuraient des grosses guirlandes lumineuses clignotantes accrochées à son sapin imaginaire. A force de se méfier de tout et de tous, Habyarimana avait dorénavant une légère tendance au délire et prenait le bruit des réacteurs pour le summum de la modernité. N’importe quel psychologue lui aurait révélé que ce fantasme cristallisait son désir de fuite. En ce 6 avril 1994, revenir à la maison était-il encore un plaisir ?
 
Le désir de fuir
 
Le plus agréable dans le job de président c’est que, où que vous alliez, chacun se sent obligé d’afficher un sourire large et ostensiblement confiant. Réciproquement, depuis vingt-et-un ans de mandat, Habyarimana avait appris à se composer un personnage d’homme simple, affable, disponible, dispensateur de sécurité et de bonne humeur. Mais sous les coups de butoir de la rébellion et surtout des trahisons qu’il pressentait dans son propre camp, le vernis s’était craquelé ces derniers mois, creusant toutes sortes de blessures, rouvrant de vieilles plaies. Et c’était encore pire ce funeste 6 avril 1994 après-midi, où il venait d’être obligé de lâcher tout ce à quoi il s’accrochait : l’exercice, en apparence quasi-absolu, du pouvoir.
 
Les coups de butoir de la rébellion
 
Qu’est-ce que le pouvoir ? Existe-t-il vraiment ? Le pouvoir sur qui ? Sur soi-même ? A quel prix ? S’il n’avait pas été acculé à survivre à l’adversité, Juvénal Habyarimana aurait aimé pouvoir philosopher sur ces questions.
Le fossé s’était d’abord creusé avec sa femme Agathe Kanziga dont il voyait bien qu’elle fédérait sournoisement, contre lui et au sein de sa parentèle, un gang de jusqu’au-boutistes hutus. Des hommes âpres au gain, prêts à tout pour défendre leurs rentes et leurs réseaux affairistes, capables de monter des réseaux complexes et très structurés sans laisser la moindre trace sur le papier. Rejeton d’une lignée de roitelets hutus du Nord-Ouest du Rwanda, Agathe avait pris un  ascendant croissant dans la maisonnée présidentielle qu’au Rwanda on appelait par dérision l’Akazu : une allusion à l’enclos royal de l’époque des dynasties tutsies, que la propagande officielle accusait de tous les maux.
 
Sous le joug d’un gang de jusqu’au-boutistes hutus.
 
Sous couvert de la défense du « rubanda nyamwinshi», (le « peuple majoritaire », sous-entendu les Hutus), une nouvelle caste nobiliaire hutue s’était constituée, qui avait insidieusement pris la place de l’ancienne monarchie. Entre initiés, on appelait OTP les nouveaux privilégiés du régime : Originaires du Terroir du Président. Une formulation doublement codée, car chacun savait que Juvénal Habyarimana était le fils d’un obscur employé de mission revenu d’Ouganda, sans lignage digne de ce nom. Le véritable terroir présidentiel se conjuguait au féminin, car c’était celui de Madame. L’Akazu, c’était elle et les siens. Exclusivement. Et donc les OTP, ses « bijoux de famille ».
 
Les OTP de Madame
 
Juvénal Habyarimana perdait son fameux contrôle de lui-même lorsqu’il voyait son épouse le défier ostensiblement. Au point de la frapper, rapportaient les domestiques. Agathe s’était accoutumée aux infidélités de son mari, qui n’étaient que des passades, d’autant qu’aucune Tutsie n’était mentionnée. De ce côté-là, l’honneur était, d’une certaine façon, préservé du Diable. Du moins le croyait-elle. Ce qui n’empêchait pas le président François Mitterrand, grand expert en sexe dit « faible », de juger que l’épouse de son ami Habyarimana était le diable fait femme.
 
Lorsque Juvénal Habyarimana l’avait épousée, Agathe était tout miel, une féminité frémissante déployée. Mais avec l’usure du temps, sous ses airs réservés, ses regards en dessous et ses propos d’une fausse humilité, Madame s’avérait une reine de fiel. Elle n’avait pas son pareil pour humilier ou faire rabaisser son mari sans en avoir l’air. Et comme à l’époque des rois, les serviteurs s’étaient défoulés en colportant les problèmes du couple. Dorénavant, Agathe Habyarimana était affublée du nom d’une ancienne reine tutsie d’une cruauté légendaire : Kanjogera-la-sanguinaire. On racontait que pour son lever, Kanjogera s’appuyait sur une lance dont la pointe transperçait le ventre d’un esclave hutu allongé au sol. Ainsi le réveil de la reine s’accompagnait de l’atroce râle d’un manant.
 
Kanjogera-la-sanguinaire
 
Capture d’écran 2012-01-03 à 20.54.05.pngOn racontait aussi que parfois, au comble de l’exaspération, Habyarimana battait son épouse comme plâtre et qu’elle allait se réfugier plusieurs jours chez  Mgr Vincent Nsengiyumva, l’archevêque de Kigali qui éprouvait pour elle une vibrante amitié. Ces ragots étaient sûrement faux mais réjouissaient le bas peuple qui haïssait Agathe Kanziga à l’instar de Marie-Antoinette, en France, en 1789.
 
Le temps d’atterrir dans une vingtaine de minutes, Juvénal Habyarimana ne tarderait sans doute pas à croiser son épouse dans la maison-bunker dont le portail d’entrée était encadré de deux automitrailleuses Panhard. Sombre perspective. Sans doute allait-elle lui jeter en coin un regard lourd de reproche puisqu’il venait de capituler à Dar-es-Salaam. Puisqu’il s’était résigné à trahir la cause du « peuple majoritaire », une cause à laquelle elle s’était vouée comme on entre en religion.
Les épouses délaissées se réfugient parfois dans le mysticisme, mais est-ce à l’avantage de leur mari ? La présidente ne manquait presque aucune des apparitions de la Vierge à Kibeho, une bourgade perdue au sud du Rwanda, où les transes de l’une ou l’autre « voyante » - aux messages politiques inquiétants - étaient réglées comme du papier à musique. Pour que ses dévotions atteignent leur but, Agathe avait fait aménager sous les combles de la résidence présidentielle deux chapelle : l’une chrétienne, l’autre animiste. Un double tir mystique. On n’est jamais trop prudente.
 
Jean-François DUPAQUIER
(A suivre)

Prochain article :
Une batterie de missiles : les Accords d’Arusha
 
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- Juvénal Habyarimina

- La résidence présidentielle photographiée en 1995. Derrière les lucarnes des combles, en haut à droite, les deux chapelles d’Agathe Habyarimana
 
- Une des « voyantes » de Kibeho promettait au Rwanda « des fleuves de sang » d’où émergerait un pays purifié.

21:01 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (0)

2012 : Où va la RDC ?

En Afrique, les lendemains d'élections sont particulièrement redoutés. La République démocratique du Congo (RDC) n'échappe pas à la règle. L'année 2011 a été marquée par des élections entachées de nombreuses irrégularités, de suspicions de fraudes massives et de violences. L'opposant Etienne Tshisekedi conteste la réélection de Joseph Kabila et s'est auto-proclamé "président élu", plongeant le pays dans une crise politique profonde. L'incertitude plane donc sur l'année 2012. Nous avons demandé à Alphonse Maindo (1), professeur en sciences politiques à l'université de Kisangani, de nous éclairer sur l'année à venir.

Capture d’écran 2012-01-02 à 22.30.39.png- Afrikarabia :  Après des élections de novembre 2011 sous pression, les nombreux observateurs internationaux présents mettent en doute la crédibilité du scrutin et dénoncent le chaos logistique et les forts soupçons de fraude. Comment se présente l'année 2012 ?

- Alphonse Maindo : Cette année sera très difficile. Le président sort affaibli de ce scrutin. On est là aux antipodes de ce que devrait représenter une élection. Dans la conception moderne des élections : il s'agit d'une processus de légitimation des dirigeants politiques. Là, c'est tout le contraire : la personne élue est plus faible après le vote, qu'avant. Gouverner ne va donc pas être facile. Et Joseph Kabila ne pourra pas continuer de gouverner à coup de répression et à coup de matraque… on ne peut plus gouverner comme cela.

- Afrikarabia : Comment Joseph Kabila peut-il se sortir de cette situation ?

- Alphonse Maindo : Si le président Kabila veut acquérir une certaine légitimité et une certaine autorité, il sera obligé de composer avec l'opposition. Il n'a pas d'autre choix. Mais attention, il ne faudra pas faire dans demi-mesure. Il ne suffira pas de débaucher quelques membres de l'opposition comme sous Mobutu. Cela ne donnera pas de résultats. Pour moi, il faudrait que le prochain premier ministre soit issu de l'UDPS pour donner plus de poids et de légitimité au futur gouvernement pour les 5 années à venir.

- Afrikarabia : Comment l'UDPS peut-elle composer avec la majorité présidentielle et comment Tshisekedi pourrait devenir le Premier ministre d'un président dont il conteste l'élection ?

- Alphonse Maindo : Je pense en effet que cela sera très difficile. Mais je crois qu'Etienne Tshisekedi est assez intelligent et patriote pour pouvoir accepter de faire quelques concessions, obtenir la paix sociale et ne pas faire retomber la RDC dans le chaos et l'anarchie. Mais attention, cela dépendra aussi de la volonté de la Majorité présidentielle. Il ne faut pas oublier que dans le camp présidentiel, il y a des personnes radicales, qui ne veulent pas entendre parler de négociations ou de gouvernement d'union nationale. Ils prétendent tous avoir gagner les élections et ne veulent rien négocier.  Mais on n'a pas d'autre choix. Il faut bien voir qu'à l'heure actuelle on ne peut plus savoir qui a vraiment gagné ces élections. Des bulletins de vote et des procès-verbaux ont été perdus, détruits ou falsifiés… le recomptage des voix est aujourd'hui impossible.

- Afrikarabia : Que peut faire l'opposition dans la situation actuelle ?

- Alphonse Maindo : Si l'UDPS veut jouer un rôle important sur la scène politique congolaise, elle doit changer de stratégie. Pour l'instant la stratégie d'Etienne Tshisekedi n'a pas donné de résultats. L'opposition ne doit plus faire dans le discours, mais doit montrer sa capacité à mobiliser la rue. Si Tshisekedi se contente juste de s'auto-proclamer président et de constituer son gouvernement, on sait ce que cela à donner sous Mobutu. Ce qu'il doit faire, avec ses amis, c'est mobiliser la rue congolaise pour rendre le pays difficile à gouverner… la politique c'est un rapport de force ! Il faut donc obliger Kabila à négocier pour faire une gestion partagée et consensuelle du pouvoir jusqu'en 2016. Il me paraît est impossible d'organiser de nouvelles élections crédibles et acceptées par tous d'ici cette date. Il faut donc trouver une solution intermédiaire. Il faut également que l'opposition s'appuie sur la diaspora. La diaspora doit faire pression. Au niveau des capitales occidentales, cette diaspora peut mobiliser et faire bouger les gouvernements occidentaux. 

- Afrikarabia : L'année 2012 verra la tenue d'autres élections, notamment provinciales. Comment voyez-vous ce long électorale qui prendra fin en 2013 ?

- Alphonse Maindo : Si la CENI (la Commission électorale -ndlr-) ne change pas de méthode de travail et ne prend pas le courage de se remettre en cause pour mieux gérer le processus électoral, ces élections locales, provinciales et sénatoriales, risquent d'exacerber les tensions. On sait que la République démocratique du Congo est encore très fragile. Beaucoup d'armes circulent dans ce pays et il y a encore de nombreux groupes armés incontrôlés. Il y a de forts risques pour que l'on replonge dans le chaos et la guerre. Il faut à tout prix que nos dirigeants et nos élites politiques prennent conscience de ce risque. Il faut qu'il y ait un vrai sursaut national, sinon nous irons de crise en crise.

- Afrikarabia :  D'autres risques menacent la RDC en 2012 ?

- Alphonse Maindo : Après la crise politique, la crise sociale et économique menace. Jusqu'à présent, si on regarde les indicateurs macro-économiques, le taux d'inflation reste "gérable", la monnaie ne s'est pas encore beaucoup dépréciée par rapport au dollar (1$ pour environ 900 francs congolais). Mais on est face à une situation très difficile pour le Congo. Ses principaux partenaires : les pays occidentaux, le FMI, la Banque mondiale, l'Union européenne, commencent à exprimer des doutes par rapport à la crédibilité de ces élections et à prendre leur distance. On peut craindre que le futur gouvernement congolais soit privé de moyens financiers. Il ne faut pas oublier que la RDC dépend pour moitié de ses ressources, des aides internationales. Si ces aides sont coupées, le nouveau gouvernement de Joseph Kabila va avoir beaucoup de mal à fonctionner dans les prochains mois.

- Afrikarabia : Et les Congolais dans tout ça ?

- Alphonse Maindo :  Les Congolais sont les plus grands perdants de ces élections. Ils se sont déplacés en masse pour voter et visiblement leurs voix n'ont pas été entendues. Certains s'interrogent même de savoir si cela vaut encore la peine d'aller aux urnes. La démocratie en a pris un sérieux coup avec ces élections... même si je sais que le Congo n'est toujours pas démocratique. L'échec de ces élections va laisser des traces chez les Congolais.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

(1) Alphonse Maindo est l'auteur de "Des conflits locaux à la guerre régionale en Afrique centrale", Paris, L'Harmattan, 2007.

Photo : Alphonse Maindo à Paris en octobre 2011 (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com