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27 février 2010

Nicolas Sarkozy au Rwanda espère reprendre pied en Afrique centrale

La visite de Nicolas Sarkozy au Rwanda vient mettre un terme à une brouille diplomatique qui empoisonnait les relations entre Paris et Kigali depuis le génocide de 1994. Le président français a reconnu des "erreurs" mais sans excuse. Des efforts qui s’inscrivent dans le cadre de la stratégie de la France pour assurer sa présence dans la région des Grands Lacs. Le journaliste et écrivain Jean-François Dupaquier était à Kigali dans les pas de Nicolas Sarkozy... décryptage.

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« Ce qu'il s'est passé au Rwanda dans les années 1990 est une défaite pour l'humanité tout entière. Je l’ai constaté encore au Mémorial où tout est raconté de façon pudique et digne. Ce qu'il s'est passé ici a laissé une trace indélébile. (...) Ce qu'il s'est passé ici oblige la communauté internationale, dont la France, à réfléchir à ses erreurs qui l'ont empêchée de prévenir et d'arrêter ce crime épouvantable", a déclaré Nicolas Sarkozy, jeudi 25 février, lors d'une conférence de presse commune avec le président du Rwanda, Paul Kagamé, à Kigali.
« Nous savons que pour le président Paul Kagame cette rencontre est un geste fort et qu’au Rwanda, ça pose question. Pour nous, venir ici est un geste fort qui fait débat aussi dans notre pays. Mais le devoir des chefs d’Etat, c’est de voir plus loin, pour organiser l’avenir », a poursuivi Nicolas Sarkozy devant quelque soixante-dix journalistes et techniciens des médias, dont une bonne moitié de Rwandais.`

Auparavant, Nicolas Sarkozy s’était rendu au Mémorial du génocide à Kigali, à la fois un cimetière où sont déposés les restes de 240 000 victimes du génocide, et un musée  qui retrace l’histoire du Rwanda. Ce lieu très didactique expose la dérive du Rwanda sous mandat belge avec la mise en place de cartes d’identité ethniques dans les années 1930, qui allait aboutir à faire des deux communautés des entités politiques dressées à la méfiance et à l’incompréhension. Le rôle de la France de François Mitterrand et de son soutien militaire aveugle au régime de l’ancien président Juvénal Habyarimana, est souligné. Lorsque le guide du musée a évoqué "la responsabilité des Français", Nicolas Sarkozy est resté muet. Il s’est contenté de signer sur le livre d’or une formule compassionnelle plutôt convenue : « Au nom du peuple français, je m'incline devant les victimes du génocide des Tutsis en 1994 ».

Les Rwandais et leurs autorités attendent toujours un geste de repentance de la France officielle, à l’image des excuses présentées par la Belgique, par l’ONU et les Etats-Unis pour leur manque de réaction durant la tragédie de 1994 où quelque 800 000 Tutsi allaient être exterminés en cent jours. A une question posée par un journaliste sur ce geste, Nicolas Sarkozy a répondu « on en a parlé très franchement avec le président Kagame » qui « essaye d’amener toute la société rwandaise vers l’avenir, vers la réconciliation », mais que tout s’effectue « étape par étape, car chaque pays a son histoire ». Il n’a pas davantage commenté sa répugnance bien connue à toute « repentance historique ».

Le président américain Bill Clinton avait pour sa part déclaré en 1998 : "Nous n'avons pas agi assez vite après le début des massacres. Nous n'aurions pas du permettre que les camps de réfugiés deviennent des sanctuaires pour les tueurs. Nous n'avons pas immédiatement appelé ces crimes par leur nom correct : un génocide".


« Je ne suis pas ici pour faire un exercice de vocabulaire, mais pour réconcilier des nations, pour tourner une page », a ajouté le chef de l’Etat français. Il a annoncé que le Centre culturel français de Kigali, fermé depuis la rupture des relations diplomatiques en novembre 2006 rouvrirait ses portes au premier semestre de cette année, que l’école française Saint-Exupéry rouvrirait pour la rentrée scolaire 2010 et que l’antenne de RFI « reprendra ses émissions cette année après trois années d’interruption ». Il a ajouté : « C’est symbolique mais ça ne se limite pas à ça »

Interrogé sur l’enquête de l’ancien juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière qui avait émis en novembre 2006 neuf mandats d’arrêt internationaux contre de hauts dignitaires du régime rwandais soupçonnés d’avoir joué un rôle dans l’attentat  contre l’avions du président Habyarimana le 6 avril 1994 (attentat qui devait servir de prétexte au déclenchement du génocide), Nicolas Sarkozy s’est borné à répondre que « comme l’a bien compris le président Kagame, en France la justice est indépendante. Même si j’ai mon avis sur la question, je respecte l’indépendance des juges et je n’en dirai pas plus » (Selon certaines indiscrétions, il aurait déclaré en aparté au président rwandais qu’il était en désaccord avec cette instruction).

Le président français a cependant ajouté qu’il voulait que les responsables du génocide soient retrouvés et punis où qu’ils se trouvent dans le monde. Concernant les suspects résidant en France, « c’est à la justice de dire leur responsabilité ». Il a ajouté que les autorités françaises venaient de refuser l’asile politique à « une des personnes concernées » (il s’agit vraisemblablement d’ Agathe Habyarimana, veuve de l’ancien président, donc le conseil d’Etat a confirmé récemment le refus d’asile politique, et qui est soupçonnée d’avoir joué un rôle important dans le génocide et aussi dans l’attentat qui a coûté la vie à son mari).

Enfin le président français a souhaité que, sur le génocide, les historiens fassent leur travail car lui même « n’est pas historien ».

Selon Colette Braeckman, l’une des meilleurs spécialistes du Rwanda, « Les blessures du génocide n’ont pas été cicatrisées par cette visite éclair, mais tel n’était pas le but de l’opération. Ce qui a prévalu, c’est le réalisme de la raison d’Etat, le fait que les deux pays aient décidé au plus haut niveau, que le temps de la guérilla, judiciaire, diplomatique, médiatique, était révolu et qu’il fallait désormais céder le pas à la justice, à l’aide au développement, aux échanges culturels…Même si elle n’est pas suffisante, cette étape est nécessaire à la guérison des esprits, car le négationnisme, dont la France fut souvent la chambre d’écho, ne cessait d’aviver les rancoeurs et les souffrances des uns, les espoirs de revanche des autres. Une page est tournée, un peu vite certes, mais elle représente un désaveu pour le clan des menteurs et un gage de paix pour toute la région des Grands Lacs… »

Une importante question était pendante entre les deux chefs d’Etat depuis que le Rwanda a été rattaché à sa demande au Commonwealth. Paul Kagame était invité à Nice pour le sommet entre l’Afrique et la France. Dans un geste de bonne volonté, le président rwandais venait d’annoncer à Nicolas Sarkozy qu’il  viendrait à Nice en juin prochain. « Ca n’efface pas toutes les douleurs, les erreurs, les difficultés, mais nous permet d’envisager l’avenir », a commenté le président français.

Interrogé enfin sur le développement, de l’anglais au Rwanda, Nicolas Sarkozy a expliqué que c’était bien normal pour un  pays au carrefour des mondes anglophone et francophone. Il a ironisé sur ceux qui voudraient que Paris s’oppose à Londres  en Afrique alors que les deux pays coopèrent quotidiennement dans l’Union européenne (une allusion transparente au « complexe de Fachoda » qui hantait François Mitterrand et avait conduit à l’intervention militaire française au Rwanda). Il a ajouté : « Regardez l’Afrique aujourd’hui : il n’y a plus de pré carré français et c’est très bien ainsi ».

Mais pratiquement rien n’a transpiré des propos échangés au cours du long déjeuner qui a précédé la conférence de presse en compagnie de Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, et de son amie et homologue rwandaise Louise Mushikiwabo. On sait que Kigali est profondément agacé de l’impunité dont bénéficient en France les responsables des FDLR qui ont mis en coupe réglée le Nord Kivu, et que de son côté Paris compte sur Kigali pour reprendre pied dans cette partie du Congo aux immenses richesses minières.  Nicolas Sarkozy a seulement indiqué qu’il se félicitait des bonnes relations qui prévalent aujourd’hui entre le président Kabila à Kinshasa et le président Paul Kagame au Rwanda, « puisqu’ils se sont encore téléphoné la veille ».

A l’évidence, la diplomatie française s’affaire pour contribuer à améliorer les relations entre la République démocratique du Congo et la République du Rwanda, et entend en tirer des dividendes politiques, économiques et culturels.

A Kigali,

Jean-François DUPAQUIER

Commentaires

C'est ce qui s'appelle un compte-rendu complet. Je retiens cette citation de l’article de Colette Braeckmann: “Une page est tournée, un peu vite certes, mais elle représente un désaveu pour le clan des menteurs et un gage de paix pour toute la région des Grands Lacs”...

Pour qui sait déchiffrer les paroles des hommes politiques à ce niveau, quand Sarkozy dit que la justice française est indépendante mais qu'il a son propre avis sur les mandats du juge Bruguière, il faut comprendre que ces mandats - censés accréditer en fin de compte que Kagame et les siens auraient actionné sciemment le détonateur du génocide en abattant l'avion de l'ex-président Habyarimana - font simplement partie de la guérilla juridico-médiatique évoquée par ailleurs dans l'article de C. Braeckmann. N'importe qui s'en serait douté au vu des irrégularités incalculables du dossier d’accusation Bruguière, sans parler de la rétractation des témoins sur lesquels tenait l’essentiel de son enquête bizarre.

Il reste le fait étonnant mais non sans précédent en France, de voir une institution comme la justice, se faire instrumentaliser jusqu'à la forfaiture, pour couvrir la compromission de l'Etat français aux côtés de l'ancien régime rwandais génocidaire. Un régime qui, en dépit de la mobilisation du soutien militaire, diplomatique et même médiatique de la France, a eu l'immense tort de perdre la guerre en plus, réduisant en pure perte le crédit moral de la France.

Pour moins que ça, souvenons-nous, les services secrets français, autre institution étatique, n’avaient pas hésité à se lancer dans une opération terroriste avec mort d’homme, à savoir le dynamitage d’un bateau appartenant à l’organisation écologiste “Greenpeace”, alors à la pointe du combat pour l’arrêt des essais nucléaires français sur l’atoll de Mururoa, où la France avait installé une base d’expérimentation atomique, mettant l'environnement de la Nouvelle-Zélande et de tout le Pacifique-Sud en grand danger. Greenpeace avait affrété un bateau, le “Rainbow Warrior”, afin de mobiliser l’attention du monde sur ces essais nucléaires menés dans l’irrespect absolu de la sécurité des autres. Une enquête de la police néo-zélandaise avait rapidement abouti à l’arrestation des agents français responsables de l’attentant contre “le Rainbow Warrior”, obligeant Laurent Fabius, premier ministre de l’époque, à reconnaître la responsabilité de son gouvernement dans l’attentat, et à présenter des excuses officielles à la Nouvelle-Zélande, cette fois-là en temps réel.

C'est dire jusqu'à quelles extrémités l'état en France peut aller dans ce qu'ils appellent "la défense de ses intérêts légitimes". C'est aussi dire si, pour laver l'implication de ses agents aux côtés de l'ancien régime génocidaire rwandais, la France des services parallèles aurait hésité une seconde à accuser les victimes de ce génocide d'en être les premiers responsables. Une accusation visant à affaiblir Kagame en le criminalisant à coup de mandats d'arrêt factices, comme pour dire "OK" nous nous sommes plantés en soutenant un régime génocidaire, mais regardez le "monstre" qu'il y avait en face”. En réalité, la grande capacité d'encaisse du président rwandais est à créditer du virage actuel des autorités françaises vis-à-vis de son pays. Son innocence dans l’attentat contre l’avion de son prédécesseur ne fait évidemment plus de doute. Et la France s’épargne la répétition des aveux de Laurent Fabius dans l’affaire “Rainbow Warrior” par la même occasion. Pour qui sait déchiffrer les paroles des hommes politiques à ce niveau, je le répète.

Écrit par : seruvumba | 02 mars 2010

Merci pour ce billet. D'habitude je ne commente jamais les blogs, même si leur contenu est excellent, mais là le vôtre méritait vraiment mes éloges !

Écrit par : Detranspirant | 04 avril 2010

Très bon travail, je vous remercie pour votre aide, et je "plussoie" complètement ce point de vue ! J'insiste, oui votre site est réellement très bon, je bookmarke votre blog ! NB : Vivement la suite !

Écrit par : hotel a nice | 19 avril 2010

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