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31 mai 2012

RDC : Manifestation à Paris contre le sommet de la Francophonie

L'opposition congolaise manifestera samedi 2 juin à Paris contre la tenue du prochain sommet de la Francophonie organisé en République démocratique du Congo (RDC). L'Apareco et le mouvement des Patriotes Résistants Combattants demandent à l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) de "renoncer au maintien du sommet à Kinshasa dans le contexte actuel". L'opposition dénonce "les fraudes massives", "les violences et les assassinats" durant les dernières élections de novembre 2011.

Capture d’écran 2012-05-31 à 21.14.10.pngLa diaspora congolaise, opposée au régime de Kinshasa, manifestera ce samedi devant le siège de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) à Paris. Les organisateurs de ce sit-in, l'Apareco (d'Honoré Ngbanda) et la mouvance Patriotes Résistants Combattants, souhaitent protester contre "le projet indécent et scandaleux de la tenue du prochain Sommet de la Francophonie" en République démocratique du Congo du 12 au 14 octobre 2012 à Kinshasa.

L'opposition dénonce le climat politique délétère qui règne à Kinshasa, après un scrutin électoral "chaotique" et "peu crédible suite à des fraudes massives, des cas de violences et d'assassinats". L'Apareco estime "ne pas comprendre que les mêmes chefs d’États et de gouvernement qui avaient tous boycotter la cérémonie d’investiture de Joseph Kabila le 20 décembre 2011", participent à ce sommet. Les manifestants demanderont donc à l'OIF à "renoncer au maintien de ce sommet (…)et appelle le chef de l’État français, François Hollande, à faire preuve de fermeté en ne cédant pas au gouvernement d’occupation présidé par Joseph Kabila".

Pour l'heure, Kinshasa continue activement les préparations du sommet en collaboration avec l'Organisation Internationale de la Francophonie. Du côté de l'Elysée, rien n'a encore filtré sur la présence ou non de François Hollande dans la capitale congolaise. L'ambassadeur de France en RDC, Luc Hallade, estime sur RFI "qu'il n'y a pas de mise en cause à ce stade, de quelque participation que ce soit". L'ambassadeur a consulté le cabinet du président français qui lui a répondu que "la ligne était la même que celle que je défends, c'est-à-dire de soutenir effectivement une participation au plus haut niveau, de notre Etat, comme des autres Etats".

Avec ou sans François Hollande, une chose est sûre, le sommet de Kinshasa sera sans doute la dernière "fenêtre de visibilité médiatique" de l'opposition congolaise pour faire pression sur le président Kabila.

Christophe RIGAUD

28 mai 2012

RDC : Kamerhe à la conquête de l'opposition

C'est un secret de polichinelle. Vital Kamerhe se verrait bien endosser les habits de nouveau patron de l'opposition en République démocratique du Congo (RDC). Arrivé troisième à l'élection présidentielle contestée de novembre, juste derrière "l'opposant naturel" Etienne Tshisekedi, Vital Kamerhe affiche désormais son ambition de leadership sur l'opposition congolaise, avec nombreux atouts… mais aussi de sérieux handicaps.

Capture d’écran 2012-05-26 à 21.52.57.pngDans une conférence donnée à Kinshasa les 23 et 24 mai dernier, Vital Kamerhe a défendu l'idée d'une opposition "solide" et "unie" après les défaites successives des dernières élections présidentielle et législatives de 2011. Le patron de l'UNC se pose en potentiel recours d'une opposition, qui n'a pas su s'unir avant le scrutin pour faire barrage au président Kabila et qui n'a pas su tirer profit des nombreuses irrégularités du vote pour imposer sa victoire ou faire une pression suffisante sur la communauté internationale.

Après ces élections "calamiteuses" selon l'opposition, Vital Kamerhe, est sans doute le seul candidat à sortir renforcer de ce long processus électoral. Le président Kabila, même réélu, a vu sa légitimité écornée, son pouvoir affaibli et sa réputation ternie par les nombreuses irrégularités du scrutin. L'opposant Etienne Tshisekedi, avec son très bon score (malgré les forts soupçons de fraudes massives) s'est enfermé dans une contestation stérile des résultats, sans aucune porte de sortie. L'opposant historique s'est isolé dans un irrédentisme politique basé uniquement sur la non-reconnaissance de la réélection de Joseph Kabila et sur l'exclusion des quelques voix dissonantes de son propre parti (notamment les députés UDPS qui ont accepté de siéger à l'Assemblée en dépit du boycott imposé par le parti).

Vital Kamerhe a donc gagné son pari : réussir sa mue politique et s'imposer comme l'un des 3 leaders de l'opposition, avec Etienne Tshisekedi et dans une moindre mesure, Léon Kengo. Le challenge était de taille : passer de la majorité "pro-Kabila" à l'opposition en moins de 2 ans et créer son propre parti politique. Car, avant d'être un opposant reconnu sur l'échiquier politique congolaise, Vital Kamerhe a passé la majorité de sa carrière politique dans le clan présidentiel, auprès de Joseph Kabila lui-même. Directeur de campagne du président en 2006, co-fondateur du parti majoritaire (PPRD) et président de l'Assemblée nationale jusqu'en 2009, Vital Kamerhe faisait partie du premier cercle des proches de Kabila, avant de démissionner brutalement. La cause du divorce : l'opération militaire conjointe avec le Rwanda dont il n'avait pas été informé. Depuis cette date, il s'est construit patiemment l'image d'un opposant modèle. Certains l'accusent de faire le "grand écart" et d'être passé un peu trop vite dans l'opposition. D'autres lui reprochent son ancienne proximité avec Joseph Kabila, avec qui, il n'aurait pas coupé complètement les ponts (ce qui reste à prouver).

Côté positif, Vital Kamerhe a démontré un dynamisme politique hors pair. En moins de 6 mois, il a en effet réussi le tour de force : de créer son propre parti (UNC), de se présenter à la présidentielle et d'arriver en troisième position (7,74%) et de faire élire 18 députés à ses couleurs à l'Assemblée (lors d'un scrutin plus que douteux). Kamerhe a donc gagné en légitimité et a surtout obtenu son "passeport d'opposant" aux yeux des Congolais. Avec la mise hors-jeu (provisoire ?) d'Etienne Tshisekedi, sa jeunesse, son charisme et son intelligence politique, Vital Kamerhe a également séduit les nombreux déçus de l'UDPS, venus gonfler les troupes de l'UNC.

Mais attention, le leader de l'UNC n'a pas que des atouts. Son passé "pro-Kabila" reste encore son principal handicap. Les nombreuses années passées aux côtés de l'actuel président lui collent à la peau et seul le temps pourra les atténuer. Pendant les élections, il a longtemps été accusé d'être "une taupe de Kabila" pour faire perdre Tshisekedi. Beaucoup n'ont pas vraiment compris son revirement à 180° de mars 2009 et sa démission du perchoir de l'Assemblée nationale. Officiellement Kamerhe n'avait pas apprécié, "l'affairisme" de la majorité, les contrats Chinois de 2007 et l'opération conjointe avec le Rwanda de 2009. De façon plus prosaïque, son ambition personnelle l'aurait emporté sur sa fidélité politique à Joseph Kabila. A 52 ans, Vital Kamerhe estimait sans doute que le seul moyen d'arriver à la magistrature suprême (une ambition clairement affichée) était de basculer dans le camp de l'opposition (encore embryonnaire à l'époque). Pour cela, il fallait rapidement franchir le rubicon et se positionner sur la ligne de départ de la présidentielle de novembre 2011. Avec pour objectif de gagner… peut-être en 2016.

Autre handicap, sa région d'origine. Né dans l'Est de la RDC, le kivutien cultive son encrage local depuis de nombreuses années. Il a d'ailleurs beaucoup contribué à la première élection de Joseph Kabila en 2006, qui a réalisé d'excellents scores dans les Kivu. En 2011, Kamerhe devra sa troisième place aux bons résultats obtenus à l'Est. Revers de la médaille, Vital Kamerhe peine à mobiliser dans les autres régions congolaises et notamment à l'Ouest. Il lui faudra donc trouver la "bonne équation régionale" dans son équipe pour pouvoir s'imposer en dehors de ses terres. En clair, il devra nouer de nombreuses alliances locales, comme il l'a fait avec Ne Muanda Nsemi (ex-Bundu Dia Kongo) dans la province du Bas-Congo. Ce qui nous amène à la dernière faiblesse de Vital Kamerhe : la structure très hétéroclite de son mouvement, composée, comme le disent certains observateurs, d'opportunistes et d'aventuriers politiques sans idéologies claires… dont le pouvoir constitue la seule ambition.

Reste que Vital Kamerhe possède actuellement une opportune fenêtre de tir pour s'imposer. La reprise du conflit à l'Est, ankylose quelque peu le pouvoir en place et l'UDPS peine à trouver la bonne stratégie, suspendue au mutisme de son leader.

Christophe RIGAUD

Photo : Affiche de propagande du candidat Vital Kamerhe lors de la présidentielle de novembre 2011.

26 mai 2012

France-Rwanda : Le parquet de Paris pour la première fois favorable à l’extradition d’un suspect de génocide

Réfugié en France, Vénuste Nyombayire est accusé par Kigali d’avoir fait assassiner une vingtaine d’orphelins tutsi pendant le génocide de 1994

Afrikarabia logo.pngDroit dans ses bottes, l’accusé a un air bonhomme. Il se présente en honnête citoyen récemment naturalisé français. Mais sa réponse, bafouillée, incompréhensible, ressemble à un borborygme lorsqu'un conseiller lui demande « Mais enfin, pourquoi avoir quitté votre pays, le Rwanda ? » Son avocat, Me Bidanda, vole à son secours : « De toute façon, mon client réfute toutes les accusations portées contre lui ». 

Le dossier déposé par Kigali pour réclamer à la France son extradition est, il est vrai, du genre lourd. En 1994, Vénuste Nyombayire était directeur-adjoint  de « SOS-Maison », une sorte d’orphelinat aménagé à Gikongoro, dans le centre du Rwanda. Il le reconnaît. Ce qu’il réfute, c’est la suite : lorsque le génocide a débuté, dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, il aurait commencé par tenté de faire disparaître le directeur, qui a pris la fuite. Un mois plus tard, son ONG a cru pouvoir lui confier une vingtaine d’enfants tutsi qui avaient été protégés à Kigali. Les miliciens interahamwe sont arrivés peu après.

« Ils ont tué les enfants aussitôt à coups de gourdin, résume Me Gilles Paruelle, avocat de la République du  Rwanda. Vous savez comment ça se passe, Madame la présidente ? Un gourdin est un gros bâton hérissé de clous. Dans le groupe une fillette plus âgée, a cru sauver sa vie en suivant sans résistance un milicien qui l’a violée. Ca ne lui a servi à rien, car aussitôt après elle a été tuée, elle aussi. Et c’est M. Vénuste Nyombayire, le sous-directeur de l’orphelinat, qui aurait appelé les miliciens pour exterminer tous ces enfants. »

Un ange passe dans la salle d’audience pratiquement vide, celle de la 5e chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris, présidée par Mme Edith Boizette. Me Paruelle raconte sa découverte du Rwanda juste après le génocide des Tutsi, des églises transformées en charniers comme à Nyamata, à Ntarama… L’horreur des crimes, l’indiscible souffrance des rescapés. Il rappelle que les suspects de génocide ont obtenu en France avec une trop grande facilité  le statut de réfugiés, et pour certains d’entre eux, dans la foulée, la naturalisation. Au terme d’un itinéraire peu clair qui l’a conduit d’abord au Zaïre, puis au Kenya, Vénuste Nyombayire est arrivé en Europe. Puis en France. « Seuls se retrouvent face à leur responsabilité, ceux qui n'ont pu fuir le Rwanda et qui n'en étaient pas les organisateurs; ceux-là sont à l'étranger coulant des jours tranquilles, accuse Me Paruelle. Ils vivent en parfaite impunité ! Notamment en France , certains depuis près de dix sept ans…»

 La présidente Edith Boizette : - Quand même, il y a des procédure judiciaires en France…

Me Paruelle : - Quelles procédures ? L’un des dossiers dont je suis en charge pour une victime a été ouvert en 1995, voici bien dix-sept ans. Depuis, rien ! ou presque rien.

Maître Paruelle insiste pour que les véritables responsables puissent être jugés, d'autant plus qu'au Rwanda , ils ne le seront pas devant les juridictions populaires gacaca comme on a trop l'habitude de le soutenir mais devant la Haute Cour de Justice.

Sur interrogation de la Présidente Maître Paruelle ajoute : « Tout le monde sait que les gacaca sont terminées. Il y a d’ailleurs une cérémonie de clôture prévue le 16 juin prochain à Kigali. Outre que les gacaca n’ont pas été les procédures arbitraires que certains prétendent, il ne faudrait pas qu’un excès de formalisme soit opposé à toutes les demandes d’extradition. Ce n’est pas facile d’obtenir des pièces par la voie diplomatique. Et à Paris aussi, on égare parfois des dossiers (une allusion à la perte du dossier de Yacinthe Nsengiyumva Rafiki par le greffe de Paris, dans une affaire similaire).

 La présidente sourit.

 Me Paruelle invoque la jurisprudence du Tribunal pénal international qui a renvoyé un accusé au Rwanda, les extraditions accordées par d’autres pays européens, celle toute récente du Canada concernant le théoricien du génocide des tutsi, Léon Mugesera, la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’Homme.

 Il sait sa tâche difficile : jusqu’ici, la 5e Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris présidée par Edith Boizette a toujours refusé les demandes d’extradition.

 Mais cette fois, il a trouvé un allié de taille : l’avocat général, M. Lecompte, a requis l’extradition.

Il rappelle les progrès effectués par le Rwanda dans le cadre de sa législation pour faire en sorte que les garanties du procès équitable soient respectés, il rappelle les décisions rendues par les instances internationales , il rappelle la charte européenne des droits fondamentaux.

C’est la première fois que le Parquet soutient clairement une demande d’extradition vers le Rwanda.

Le revirement du Parquet dans l’affaire Vénuste Nyombayire semble la première manifestation de la nouvelle politique du gouvernement français vis-à-vis du Rwanda. Le jugement a été mis en délibéré au 27 juin prochain..

 Jean-François DUPAQUIER

PLus d'infos sur www.afrikarabia.com

14:04 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (0)

20 mai 2012

RDC : "Elections tronquées"… et après ?

6 mois après des élections émaillées de nombreuses irrégularités, la crise politique couve toujours en République démocratique du Congo (RDC), alors que les combats ont repris à l'Est entre milices et l'armée régulière. Pour Afrikarabia, Paul Nsapu, le président de la Ligue des électeurs, revient sur les "élections tronquées" de novembre 2011. Pour ce défenseur des droits de l'homme, "il faut pousser les acteurs politiques au dialogue" et ne pas décevoir les électeurs congolais qui risquent de se détourner des prochains scrutins locaux, fixés début 2013.

Paul Nsapu filtre 1 copie.jpgEn mars 2012, la Ligue des électeurs de République démocratique du Congo, avec l'aide de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), dont Paul Nsapu est le secrétaire général, a publié un rapport complet sur les nombreux dysfonctionnements du processus électoral de novembre 2011. Intitulé : "Elections tronquées en RDC", ce rapport dénonce les irrégularités du scrutin, tout comme l'Union européenne ou le Centre Carter.

- Afrikarabia : Six mois après les élections contestées de novembre 2011, on a l'impression que la RDC est entrée dans une période de normalisation. Faut-il tourner définitivement la page de la contestation électorale ?

- Paul Nsapu : La République démocratique du Congo est actuellement dans une situation de "ni guerre, ni paix". Après l'organisation calamiteuse des élections de novembre dernier, les personnes qui sont aux manettes du pouvoir en sortent très diminuées. Le président Kabila sait pertinemment qu'il n'a pas été élu correctement et a donc perdu sa légitimité populaire. Aujourd'hui, il ne faut pas se voiler la face, il y a bel et bien une crise politique au Congo. Avant, pendant et après les élections, la société civile a démontré toutes les irrégularités du scrutin, mais nous n'avons pas été écoutés. Nous avions tiré la sonnette d'alarme dès la révision du fichier électoral qui s'avérait être biaisé. Il n'y avait plus d'espace pour les mécanismes de contre-pouvoir, notamment avec la CENI (la Commission électorale très controversée, ndlr). A chaque étape, nous avons crié haut et fort, mais les acteurs nationaux ne nous ont pas suivi.

- Afrikarabia : Six mois après que comptez-vous faire ?

- Paul Nsapu : Ce qu'il faut faire maintenant, c'est pousser les acteurs politiques à un dialogue pour "décrisper" la situation. La question est celle-ci : jusqu'où va continuer le pouvoir en bâillonnant comme cela les défenseurs des droits de l'homme ? Nous avons donc besoin d'un climat décrispé et d'un dialogue franc pour remettre en confiance la population, avant les prochaines élections à venir, locales et provinciales (prévues fin janvier 2013, ndlr). Aujourd'hui, nous avons des électeurs déçus et qui nous disent ne pas vouloir aller voter aux prochaines élections. On risque donc de les voir boycotter les élections locales et de conforter la population vers d'autres voix moins "démocratiques".

- Afrikarabia : Sur qui pouvez-vous vous appuyer pour appaiser le climat politique ?

- Paul Nsapu : Nous devons nous appuyer sur nos collègues de la société civile pour produire un plaidoyer fort, notamment sur la restructuration de la CENI (la Commission électorale jugée partiale par l'opposition, ndlr). Si nous n'insistons pas, nous risquons d'être vraiment déçus puisque le pouvoir en place fera tout pour avoir une commission organisatrice des élections à sa solde ! Sur cette question, tous les rapports sont là et la société civile reviendra à la charge. Ensuite, il y aura d'autres actions. Nous publierons un prochain rapport sur les violations des droits de l'homme en RDC, avec non seulement le nom des victimes, mais aussi le nom des auteurs des crimes et des violations ! Il faut à tout prix lutter contre l'impunité.

- Afrikarabia : Est-ce que vous comptez encore sur la communauté internationale pour vous aider dans votre combat ? 

- Paul Nsapu : Les alliés les plus fidèles dans ce combat, ce sont avant tout nos collègues de la société civile en occident (les ONG internationales, ndlr). Ce sont avec eux que nous pourrons aller plaider notre cause dans les enceintes où siègent les décideurs internationaux. La société civile occidentale constitue un levier important pour nous et nous pouvons battre campagne ensemble contre ces politiques que nous condamnons.

- Afrikarabia : Vous n'attendez plus grand chose de la communauté internationale ?

- Paul Nsapu : Je crois qu'il y a toujours des milieux ou des dirigeants internationaux qui comprennent les problèmes de la RDC. Mais ils aimeraient peut-être qu'on leur apportent aussi des propositions efficaces et des solutions. Par exemple pour assainir le secteur de la sécurité et de l'armée, comme un récent rapport le préconise, mais la même chose est possible dans le secteur des élections avec notre rapport de la Ligue des électeurs. Nous avons des propositions concrètes.

- Afrikarabia : Quelle leçon tirez-vous de ce processus électoral ?

- Paul Nsapu : Un énorme gâchis. Ces élections ont démontré qu'il n'y a pas de volonté politique en RDC pour mettre en place un réel processus de démocratisation... et tout cela avec l'argent du contribuable occidental ! Qui, en plus, n'est pas informé de ce qu'on a fait de sa contribution. Voilà des choses que l'on ne peut plus admettre, puisque déjà en 2006, on nous avait promis d'organiser des élections avec un minimum de crédibilité et de transparence. Or, il n'y en a pas eu... ni en 2006, ni en 2011 !

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

Photo : Paul Nsapu à Paris - Avril 2012 (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

16 mai 2012

RDC : Les 12 travaux de Matata Ponyo

Les défis à relever du nouveau premier ministre de République démocratique du Congo (RDC) sont à la mesure des difficultés que traversent le pays : colossaux. Matata Ponyo le reconnaît lui-même, "plusieurs indicateurs sont au rouge" et  "beaucoup reste à faire". Infrastructures, santé, éducation, accès à l'eau ou à l'électricité, corruption... ce ne sont plus les 5 chantiers, mais les 12 travaux d'Hercule qui attendent le chef du gouvernement congolais, avec en prime une nouvelle guerre qui se profile à l'Est.

Image 4.png5 mois après des élections présidentielle et législatives chaotiques et des résultats contestés, le nouveau gouvernement congolais est enfin au travail. Augustin Matata Ponyo a présenté le programme de son gouvernement le 7 mai dernier à l'Assemblée nationale. Et les dossiers urgents ne manquent pas. Au menu : remettre de l'ordre dans le pays, restaurer la paix et relancer l'économie. Car si Matata Ponyo est reconnu pour avoir tenu le cadre macro-économique de la RDC dans les clous des institutions internationales (Banque mondiale, FMI... ), il n'a pas réussi à améliorer un tant soit peu les conditions de vie des Congolais. L'ancien ministre des finances du précédent gouvernement Muzito, aujourd'hui chef du gouvernement a donc du pain sur la planche.

Pour redynamiser l'économie, Matata Ponyo compte s'appuyer sur les "opportunités de développement du secteur agricole", longtemps oublié à la faveur de la rente minière. Son programme vise un taux de croissance de 7% à 15% par an et souhaite voir "éclore le secteur industriel". Matata Ponyo veut également élever la RDC "au rang de pays à revenu moyen" (entre 976 et 11.906 dollars comme l'Afrique du Sud, le Brésil ou l'Argentine) d'ici la fin 2016 et assainir le milieux des affaires. Sur ce point, le chemin à parcourir est titanesque puisque le récent classement "Doing Business" place la RDC au dernier rang des pays concernant le climat des affaires.

Le programme du nouveau premier ministre congolais ressemble mots pour mots aux voeux pieux déjà formulés en 2003 (lors de la transition), en 2006 (lors du premier mandat Kabila) et enfin en 2012 (lors du second mandat Kabila)... sans résultats concrets depuis 9 ans. En 2012, 71% de la population congolaise vit encore avec moins de 1 000 francs (1 USD) par jour.

Pour être crédible, le programme de Matata Ponyo devra être financé. Or, pas un mot sur les recettes escomptées et encore moins sur le budget pour l'année à venir. Avec un peu plus de 6 milliards de dollars de budget (en 2011), l'Etat congolais n'a pas vraiment les moyens de financer ses ambitions. La corruption gangrène toujours le pays, au point de la rendre "endémique", comme le décrit le dernier rapport de l'ONG Transparency International. Ce que l'on appelle la "bonne gouvernance" jouit toujours d'un sérieux déficit en RDC.

Dernier point noir du programme gouvernemental : l'insécurité à l'Est et le risque d'embrasement du conflit au Nord-Kivu. Depuis presque 10 ans, Joseph Kabila promet la paix, sans réussir à l'imposer. De manière récurrente, l'Est de la RDC s'enflamme et une dizaine de groupes armées sèment toujours la terreur dans la zone. Le conflit s'est récemment tendu et les combats ont repris avec la fuite et la traque de Bosco Ntaganda et l'apparition du M23 du colonel Makenga. Sans sécurité en RDC, aucun programme économique ne pourra avoir un quelconque effet sur les conditions de vie de la population. Matata Ponyo le sait bien et a fait du retour au calme au Nord-Kivu sa priorité. Pourra-t-il faire mieux que ses prédécesseurs ? Pas sûr, la sécurité en RDC ne dépend malheureusement pas du seul gouvernement congolais.

Christophe RIGAUD

Photo : Kinshasa (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

RDC : Ntaganda continue d'enrôler des enfants soldats, selon HRW

En fuite depuis 2 semaines et traqué par l'armée congolaise (FARDC), le général Bosco Ntaganda "a enrôlé au moins 149 garçons depuis le 19 avril" dans sa rébellion, dénonce Human Rights Watch (HRW). Bosco Ntaganda est  recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre, mais aussi pour avoir recruté et utilisé des enfants soldats. HRW estime qu'il est "urgent d’arrêter le général renégat".

Image 2.pngDans un communiqué publié à Goma, à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), l'ONG, Human Rights Watch affirme que « Bosco Ntaganda a recommencé à commettre contre des enfants des crimes identiques à ceux pour lesquels la Cour pénale internationale a déjà émis à son encontre un mandat d’arrêt », selon Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior pour la division Afrique à Human Rights Watch. « Tant que Bosco Ntaganda sera en liberté, les enfants et les civils vivant dans l’est du Congo seront exposés à un risque sérieux pour leur sécurité. »

D’après les conclusions de Human Rights Watch tirées d’entretiens avec des témoins et des victimes, les troupes de Ntaganda – estimées entre 300 et 600 soldats qui l’ont suivi dans sa mutinerie – ont recruté de force au moins 149 garçons et jeunes hommes dans les environs de Kilolirwe, de Kingi, de Kabati et d’autres localités sur la route de Kitchanga, dans le territoire de Masisi, dans la province du Nord-Kivu, entre le 19 avril et le 4 mai. Au moins sept garçons sont morts dans les combats. Les garçons et jeunes hommes enrôlés de force étaient âgés de 12 à 20 ans et appartenaient pour la plupart aux groupes ethniques tutsi et hutu. Au moins 48 d’entre eux avaient moins de 18 ans, et 17 avaient moins de 15 ans. D’après les schémas de recrutement documentés, Human Rights Watch pense que l’activité réelle de recrutement pendant cette période peut avoir été considérablement plus importante.

Selon Human Rights Watch, «le gouvernement congolais doit mettre fin au cycle destructeur de protection des auteurs d’atteintes graves aux droits humains et doit, au lieu de cela, les arrêter ». « Le moment est venu d’arrêter Ntaganda, et les Casques bleus de l’ONU doivent tout faire pour soutenir les efforts du gouvernement congolais en la matière », a conclu Anneke Van Woudenberg.

13 mai 2012

RDC : Le M23 revendique le leadership de l'ex-CNDP

Depuis deux semaines, le Nord-Kivu est en proie à d'intenses combats entre des mouvements rebelles et l'armée congolaise. Deux groupes, maintenant distincts, affrontent les soldats de Joseph Kabila : le M23 du colonel Sultani Makenga et les éléments fidèles au général en fuite Bosco Ntaganda, que Kinshasa veut capturer. Au-delà de la guerre entre forces loyalistes et rebelles, une autre bataille a commencé, celle de la lutte d'influence au sein de l'ex-CNDP.

carte RDC Afrikarabia Virunga.jpgDepuis le 29 avril, deux rébellions défient l'armée congolaise (FARDC) dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Il y a tout d'abord les éléments armés fidèles au général Bosco Ntaganda, un ex-rebelle du CNDP, intégré dans l'armé régulière depuis les accords de paix de 2009 et désormais recherché par Kinshasa et par la Cour pénale internationale (CPI). En fuite, dans son fief du Masisi, Bosco Ntaganda a gagné la zone frontalière entre le Rwanda et l'Ouganda, puis le parc des Virunga. Selon Kinshasa, Ntaganda se serait aujourd'hui réfugié dans la région de Mikeno et Karisimbi.

Il y a une semaine, un nouveau courant au sein du CNDP a opportunément vu le jour. Il s'agit du M23 (Mouvement du 23 mars), qui revendique l'application des accords de 2009 entre la rébellion du CNDP et les autorités congolaises. Cet accord prévoyait, entre autre, la transformation du CNDP en formation politique. Dans un premier temps, cette "nouvelle rébellion", a été présentée par les médias internationaux comme étant proche de Bosco Ntaganda. Certains sites internet affirmaient même que le M23 protégeaient Ntaganda dans sa fuite. En fait, ce "courant" a été créé par des membres du CNDP "historique", encore fidèles à son fondateur Laurent Nkunda. Le M23 est donc tout, sauf "proche" de Bosco Ntaganda, qu'il considère comme un traitre. En effet, en 2009 un renversement d'alliance surprise faisait imploser le CNDP. Bosco Ntaganda rejoignait camp de Kinshasa et Laurent Nkunda était arrêté par l'ancien allié rwandais. Pour les membres du M23, il s'agissait d'une trahison pure et simple.

Ala tête du M23, on retrouve aujourd'hui le colonel Sultani Makenga, qui a déserté l'armée avec plusieurs dizaines d'hommes pour se réfugier avec sa troupe d'insurgés dans le territoire de Rutshuru, à la frontière du Rwanda et de l'Ouganda, puis dans la région de Runyoni. Samedi, l'armée congolaise a lancé ses hélicoptères de combats contre le colonel Makenga, sans succès.

Ces deux rébellions font désormais face à l'armée régulière congolaise avec deux objectifs distincts : les pro-Ntaganda veulent sauver leur chef d'une probable arrestation et le M23, plus politique, souhaite recréer un rapport de force avec Kinshasa, pour défendre les intérêts de la communauté tutsi du Nord-Kivu et notamment dans les institutions politiques locales et nationales.

Selon Jean-Paul Epenge, le numéro 2 du mouvement M23, cette confusion entre ex-CNDP, M23 et pro-Ntaganda "a été volontairement entretenue par Kinshasa pour nous diaboliser", nous a-t-il déclaré. "Il n'y a pas de création d'un autre CNDP ou d'un autre mouvement rebelle", explique-t-il. "Bosco Ntaganda n'a jamais été fondateur ou président du CNDP. Il a profité de son alliance avec Kinshasa pour imposer son faux CNDP, par traîtrise. Le M23 réactive l'aile militaire pour corriger les erreurs des uns et des autres afin de redémarrer les négociations sur des bonnes bases entre le CNDP et le gouvernement congolais, c'est à dire celles de Nairobi."

Au Nord-Kivu, deux fronts se sont donc ouverts face aux soldats de Kinshasa. Pour l'instant, les forces armées congolaises (FARDC) semblent contrôler la situation. Mais 3 jours après leur ultimatum, les soldats du président Kabila n'ont toujours pas réussi à mettre la main sur Ntaganda ou à stopper les insurgés du M23. Si pour l'heure, les rebelles ne sont pas en mesure de menacer l'autorité de Kinshasa au Nord-Kivu, ce climat d'insécurité ne peut s'éterniser, au risque de provoquer l'intervention des armées voisines, rwandaises ou ougandaises.

Christophe RIGAUD

10 mai 2012

RDC : "Au Kivu, la solution est politique" selon Thierry Vircoulon (ICG)

Au Nord-Kivu, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), les combats déclenchés par la traque du général Bosco Ntaganda, que Kinshasa cherche à capturer ont provoqué un regain de violence. Pour Thierry Vircoulon, responsable de l'Afrique centrale d'International Crisis Group (ICG), la crise qui secoue les Kivu n'est pas uniquement militaire, elle est aussi politique et la tentative d'arrestation de Ntaganda retarde son règlement.

Vircoulon filtre 1.jpgDepuis le 29 avril, de violents combats ont opposé, dans la province du Masisi, l'armée régulière de République démocratique du Congo (FARDC) aux hommes de Bosco Ntangada. Ce général Congolais, ex-rebelle du CNDP (groupe militaire défendant les intérêts des Tutsi de la région) est recherché par la Cour Pénale Internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Longtemps protégé par le régime de Joseph Kabila, qui l'avait intégré au sein de l'armée, Ntaganda est devenu en quelques semaines persona non grata en RDC pour la communauté internationale. Sous pression de ses principaux bailleurs, Joseph Kabila décide de l'arrêter en lançant une vaste opération militaire dans l'Est du pays pour le dénicher. Ntaganda se réfugie avec ses hommes dans ses terres du Masisi, puis dans le parc des Virunga, à la frontière du Rwanda.

En moins de deux semaines, les combats ont provoqué l'exode de plusieurs milliers de personnes dans le Masisi. Cette traque constitue un nouveau cour dur pour la population civile du Nord-Kivu, cruellement touchée par une guerre larvée qui secoue la région depuis plus de 15 ans.

- Afrikarabia : L'arrestation probable de Bosco Ntaganda peut-elle résoudre l'insécurité qui règne à l'Est de la RDC ?

- Thierry Vircoulon : Tout d'abord, le CNDP, ce mouvement politico-militaire dont Bosco Ntganda est le leader, survivra à l'arrestation éventuelle de son chef. Deuxième problématique : cette tentative d'arrestation a télescopé le résultat des élections ratées de novembre 2011, puisqu'au Nord-Kivu, les élections législatives ont été annulées dans le Masisi, qui s'avère être le fief de la communauté tutsi, là où est actuellement réfugié Bosco Ntaganda. Ce qui est en jeu pour les Tutsi congolais, avec ces élections, c'est bien sûr le contrôle des institutions politiques du Nord-Kivu. Et en observant cette intervention militaire contre Ntaganda, un certain nombre de Tutsi se sont dit qu'il y avait une volonté de Kinshasa de désarmer la communauté tutsi et de réduire son poids politique au Nord-Kivu. D'autant que les élections provinciales sont repoussées… en 2013 ! On se retrouve donc dans une situation d'incertitude politique complète sur l'avenir de la province.

- Afrikarabia : Alors que Kinshasa semble vouloir régler la question militairement, vous pensez que la situation ne peut se régler que politiquement ?

- Thierry Vircoulon : Il est clair qu'il y a un fond de vérité dans la revendication du CNDP sur la mise en place de l'accord politique de 2009 (qui prévoyait l'intégration du CNDP dans la vie politique congolaise, ndlr). Le CNDP était rentré dans l'armée régulière, au point de contrôler une bonne partie de l'armée dans l'Est de la RDC, mais n'avait pas encore fait sa mue politique. Cette mue devait se faire à travers les élections de novembre 2011, aussi bien sur le plan national que provincial, or cela n'est pas encore fait. Donc le CNDP reste plus un mouvement armé, qu'un parti politique : sa transformation reste à faire. On peut d'ailleurs comparer le CNDP avec l'UPC, un autre mouvement rebelle d'Ituri, qui lui, a désormais des représentants politiques depuis 2006 et en aura encore dans les prochaines assemblées. Le problème réside dans la mue politique du CNDP. Il faut que les conditions soient réunies pour qu'elles se fassent, cela apaisera certainement les tensions.
Autre phénomène inquiétant, ce sont les autres groupes rebelles comme les Maï-Maï ou les FDLR qui ont senti qu'il y avait une fenêtre d'opportunité avec la mutinerie de Bosco Ntaganda pour se positionner et rebattre un peu les cartes avec les élections. Cette situation actuelle dans les Kivu est vraiment le reflet de tout ce qui n'a pas été achevé et réalisé lors du dernier mandat de Joseph Kabila, à savoir la fin des groupes armés dans l'Est du pays.

- Afrikarabia : Pourquoi l'accord de paix de 2009 n'a pas été respecté ? Pourquoi le CNDP n'a pas eu accès aux institutions politiques congolaises ?

- Thierry Vircoulon : Essentiellement à cause de l'opposition des nombreuses communautés du Nord-Kivu, comme les Nande, les Hunde... qui ne veulent pas que les Tutsi du Nord-Kivu occupent une place trop grande. La composante militaire de l'accord 2009 a été mise en place (l'intégration des rebelles du CNDP dans l'armée régulière, ndlr). Cette composante militaire a alors provoqué de nombreuses controverses  et de nombreuses oppositions au Nord-Kivu et j'ai le sentiment que le gouvernement de Kinshasa n'a pas voulu aller trop loin dans l'application du volet politique de l'accord. Il y avait une sorte de modus vivendi avec le CNDP : le mouvement continuait de contrôler 90% de l'armée dans le Nord-Kivu et la question politique devait être réglée avec ces élections. Ils ont pu vivre comme cela pendant 2 ans, mais aujourd'hui, on est arrivé à terme.

- Afrikarabia : Quelle est la position du Rwanda voisin sur le "cas Ntaganda" et a-t-elle évolué ?

- Thierry Vircoulon : Je crois que Kigali n'avait pas l'intention d'apparaître comme soutenant quelqu'un qui était recherché par la Cour pénale internationale (CPI). C'était très mauvais en terme d'image. Par contre, Kigali est toujours très sensible à l'argument de la sécurité des Tutsi congolais et souhaite toujours garder la main sur la situation militaire au Nord-Kivu. Par conséquent, certaines voix se sont élevées à Kigali pour dire que, finalement, cette tentative d'arrestation était un peu "téméraire" et que Bosco Ntaganda jouait un rôle important dans l'équation de paix au Nord-Kivu et qu'il fallait faire très attention à un possible retour des FDLR (milice commandée par d'anciens génocidaires hutu, ndlr). On voit de nouveau l'argument sécuritaire agité par Kigali qui ne verrait pas d'un très bon oeil le désarmement des Tutsi au Nord-Kivu.

- Afrikarabia : L'arrestation de Bosco Ntaganda, aussi légitime soit-elle, ne résoudrait donc aucun des problèmes qui secouent l'Est de la RDC ?

- Thierry Vircoulon : L'arrestation de Ntaganda ne résout aucun des problèmes parce qu'il s'agit  essentiellement de problèmes structurels et non pas de problèmes individuels qui dépendent d'une ou deux personnes. Ce sont des problèmes de relations intercommunautaires, de représentativités politiques… et ce n'est pas en fraudant les élections qu'on les règle. La tentative d'arrestation de Bosco Ntaganda a ainsi réouvert la compétition pour le pouvoir au Nord-Kivu.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

Photo : Th. Vircoulon à Paris en mai 2012 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

08 mai 2012

RDC : Le CNDP se recompose

Le bras de fer entre l'armée congolaise et l'ex-rebelle du CNDP, Bosco Ntaganda provoque la création d'un nouveau mouvement baptisé : Armée Nationale Congolaise/CNDP (ANC/CNDP). Cette "clarification" au sein de la rébellion intervient à quelques jours d'un ultimatum fixé par les autorités congolaises demandant aux mutins de se rendre. Le Colonel Sultani Makenga prend la tête de ce mouvement.

Capture d’écran 2012-05-08 à 12.39.12.pngDans un récent communiqué, des membres du CNDP "historique", proches de l'ancien général rebelle Laurent Nkunda prennent leur distance avec les mutineries dans l'armée congolaises provoquées par la volonté de Kinshasa d'arrêter leur chef, Bosco Ntaganda. Depuis plus d'une semaine l'armée congolaise traque le général ex-CNDP Bosco Ntaganda dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). L'bbjectif annoncé par Kinshasa est clair : l'arrestation de Ntaganda demandée par la communauté internationale et la Cour pénale internationale (CPI). Le général Ntaganda s'est d'abord réfugié dans le Masisi avec se retrancher dans le Rutshuru, à la frontière du Rwanda et de l'Ouganda. Le gouvernement congolais a donné jusqu'au jeudi 10 mai aux mutins pour se rendre.

Ce nouveau mouvement affirme vouloir faire respecter l'accord de paix de 2009 qui devait transformer le CNDP en formation politique. L'ANC/CNDP se trouve désormais sous le commandement du Colonel Sultani Makenga. Ce militaire venu du Sud-Kivu avait récemment fait défection et pris le maquis avec 80 de ses hommes. L'épreuve de force se trouve donc relancée entre Kinshasa et la rébellion tutsi. Ce nouveau mouvement arrive à point nommé et prépare sans doute "l'après Ntaganda", lorsque Kinshasa cherchera un nouvel interlocuteur au sein des tutsi du Kivu.

Christophe RIGAUD

06 mai 2012

RDC : Le degré zéro de la politique ?

Candidat aux dernières élections législatives, Gaspard-Hubert Lonsi Koko analyse dans son dernier ouvrage le processus électoral chaotique de novembre 2011 et l'incurie de la classe politique congolaise. Dans "Congo-Kinshasa : le degré zéro de la politique" (*) Lonsi Koko appelle à une recomposition de l'opposition et trace les contours d'une nouvelle classe politique congolaise qui a "urgemment besoin d'inventeurs d'avenir". Afrikarabia l'a rencontré à Paris.

GH Lonsi Koko filtre 3.jpg- Afrikarabia : Vous êtes retourné en République démocratique du Congo pour vous présenter aux élections législatives de novembre 2011 à Madimba, dans le Bas-Congo. Dans votre ouvrage vous écrivez avoir reçu "un choc" en retournant à Madimba ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Ce qui m'a choqué c'est la condition sociale et le niveau de vie de la population. Madimba est la terre d'origine de mes parents et j'y passais toute mes vacances. J'ai des souvenirs de Madimba hier, meilleurs qu'aujourd'hui. Tout ce que j'ai connu enfant s'est dégradé : les routes, la déforestation, il faut aller puiser l'eau potable un peu plus loin, il faut maintenant aller chercher sa nourriture à Kinshasa alors que par le passé c'était Madimba qui pourvoyait Kinshasa en nourriture… Si on souffre comme cela dans les campagnes, c'est qu'il y a un vrai problème politique en RDC, un pays immensément riche. Voilà la principale motivation de ma candidature aux législatives.

- Afrikarabia : Dans votre livre vous racontez le déroulement chaotique des élections de novembre. Comment voyez-vous la pratique de l'exercice politique au Congo-Kinshasa ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Un élément m'a surpris positivement, c'est l'envie des Congolais d'aller aux élections. Cela montre que, malgré les imperfections du scrutin, on ne peut plus aspirer à un mandat politique sans passer par des élections. Il y a désormais cette volonté d'aller systématiquement aux élections et j'ai trouvé cela intéressant. Au-delà de ce phénomène, beaucoup de choses m'ont déçu, d'où le titre du livre "Congo-Kinshasa, le degré zéro de la politique". Comment peut-on se présenter à une élection présidentielle sans avoir un programme et un projet de société digne de ce pays ? J'ai vu pendant les débats télévisés, certains candidats et non des moindres, qui ne se sont même pas déplacés pour dire pourquoi ils sollicitaient les suffrages du peuple congolais ! Ils n'ont envoyé que des émissaires ! Il n'y a eu que messieurs Kamerhe et Kashala qui ont essayé de parler d'un projet de société, qui pour moi étaient d'ailleurs très légers. Je n'ai pas vu le projet du candidat Kabila, ni le projet du candidat Tshisekedi. Ces deux personnes ne sont même pas venus à la télévision pour s'adresser aux Congolais. D'un autre côté, la population est encore immature politiquement… on dit d'ailleurs que l'on a les responsables politiques que l'on mérite. Faire de la politique en RDC ne constitue pas un engagement idéologique. C'est une activité professionnelle qui permet de se "remplir le ventre". La campagne ne se conçoit pas sur un projet politique mais uniquement sur des promesses électorales, moyennant des tee-shirts, des bouteilles de bière et quelques promesses d'embauche.

- Afrikarabia : On craignait une vague de contestation importante et des manifestations violentes après les irrégularités et les soupçons de fraudes massives pendant le scrutin. Il n'en a rien été ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Les Congolais ont élu Etienne Tshisekedi. Mais là où je peux faire des reproches à la population, c'est d'être restée les bras croisés pendant qu'on lui a volé sa victoire ! Les Congolais doivent avoir à l'esprit qu'ils sont souverains. Il fallait que la population descende dans la rue. Peu importe la violence, aucune révolution ne s'est faite sans effusion de sang.

- Afrikarabia : Quel rôle a joué la diaspora ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Malgré des imperfections, les Congolais vivants à l'étranger ont joué un rôle déterminant dans ce qui s'est passé au Congo. Aussi bien en terme de pression qu'en terme de conscientisation de la population restée au pays. Mais elle n'a pas eu droit de s'exprimer (la diaspora n'a pas le droit de vote, ndlr) et son plus grand tort est de ne pas avoir défendu, dès le départ, son droit à être candidat et électeur. Il faut que la diaspora puisse demain obtenir ses droits civiques.

- Afrikarabia : Vous dites qu'il n' y a pas d'idée, que les partis politique sont vidés de leur substance, que les "militants" ne sont souvent que des "figurants" payés pour participer aux meetings…

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : … pour 90% des politiciens congolais, ce sont des professionnels…

- Afrikarabia : … en France ou en Belgique aussi…

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : … même en étant professionnels, les hommes politiques travaillent ici en priorité pour l'intérêt général, plus que pour leurs intérêts personnels. Au Congo, c'est le contraire. Il n'y a pas véritablement d'hommes et de femmes d'Etat en RDC.

- Afrikarabia : Comment pensez-vous faire évoluer cette classe politique ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Il faut que le peuple congolais pousse sa classe politique à tendre vers l'excellence. Les Congolais doivent avoir la culture de la sanction. Il faut également que l'opposition ne soit pas uniquement destructrice. L'opposition doit être intelligente et doit être en mesure de proposer une alternative. Pour cela, les Congolais de l'extérieur doivent commencer à retourner au pays pour notamment faire de la politique autrement.

- Afrikarabia : Vous êtes proche de l'opposition, comment voyez-vous sa recomposition après ces élections ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Ces élections ont constitué un moment déterminant pour l'avenir et le devenir de la République démocratique du Congo. Il faut maintenant qu'une relève mette en place une nouvelle opposition, une opposition plus cohérente capable de se concerter pour l'intérêt général. Notre objectif est clair : il doit y avoir un changement de régime à Kinshasa. J'appelle tous les démocrates congolais, toute la jeunesse congolaise qui souhaite le changement à se rassembler et à se concerter. Il ne faut pas non plus cracher sur les anciens, si nous existons aujourd'hui c'est parce qu'il y a eu des personnalités comme Etienne Tshisekedi et d'autres qui ont mené de nombreux combats. C'est à  nous de prendre la relève avec la vision et les méthodes d'aujourd'hui.

- Afrikarabia : Vous dites à la fin de votre ouvrage, après votre défaite aux élections législatives, que "ce n'est pas un échec" et que "ce n'est que partie remise" ?

- Gaspard-Hubert Lonsi Koko :  Il y a des défaites qui préparent des victoires. C'est sûrement le meilleur moment de ma vie politique.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

(*) "Congo-Kinshasa : le degré zéro de la politique" de Gaspard-Hubert Lonsi Koko
Editions L'Harmattan - avril 2012 • 152 pages - 15,50 euros

Photo : GH Lonsi Koko à Paris - Avril 2012 (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

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05 mai 2012

Afrique : "Le mirage démocratique" de Vincent Hugeux

Dans un court essai, le journaliste Vincent Hugeux, dresse un portrait sans concession du continent africain et de ses pseudos "progrès démocratiques". Pour ce spécialiste de l'Afrique, il s'agit d'une "mascarade" :  "les caïmans du marigot ont appris à manier le lexique du pluralisme, de la transparence et de la "bonne gouvernance"… pour mieux s'affranchir de ses effets". L'analyse est imparable, notamment au regard des dernières élections en République démocratique du Congo (RDC). Un essai revigorant.

6557-1409-Couverture.jpgAfro-optimiste s'abstenir. Le court essai de Vincent Hugeux, "Afrique : le mirage démocratique", risque de vous ébranler dans vos dernières certitudes. Non, la démocratie ne progresse pas en Afrique subsaharienne. Dans ce livre d'une soixantaine de pages, le journaliste de l'Express et auteur des excellents "Sorciers blancs" et "L'Afrique en face" estime que "les simulacres électoraux auxquels on assiste suffisent à relativiser la démocratisation réelle du continent africain". Et de citer la Côte d'Ivoire, le Zimbabwe, le Gabon ou la RDC. L'auteur y dénonce les tripatouillages électoraux et les "bricolages constitutionnels permettant à des chefs d’État d’être réélus indéfiniment".

Nous apporterons une mention particulière pour les passages concernant la République démocratique du Congo qui occupent spécialement Afrikarabia. Vincent Hugeux est particulièrement pertinent sur la question. L'auteur dénonce le "tour de passe-passe" que constitue les modifications constitutionnelles avant les scrutins. Des modifications qui "ont l'apparence de la légalité, mais constituent autant de forfaitures sur le plan éthique et politique" (on pense bien sûr aux élections de novembre 2011 en RDC). "Dans leur panoplie" continue Vincent Hugeux, "figure aussi la pince-monseigneur du monte-en-l'air électoral : le scrutin unique. Rien de tel pour valoriser la prime au sortant (…). L'Oscar revient cette fois à Joseph Kabila commanditaire d'une révision (…) un trimestre avant la remise en jeu de son titre". Et de continuer : "la présidentielle congolaise (…) offre un éloquent condensé des travers énoncés ici. Rien n'aura manqué à ce funeste festival. Ni le fichier électoral fantaisiste, ni la Commission électorale prétendument "indépendante" mais gravement vassalisée, ni le recours massif, par le sortant, à l'appareil étatique et à ses instruments, ni le harcèlement policier des opposants, ni la fraude, souvent grossière, ni la violence, parfois meurtrière. Ni bien sûr, les verdicts alambiqués de "missions d'observations" frileuses qui se bornent pour la plupart à observer un silence gêné et complice". Tout est dit. Fermez le banc. "Afrique : le mirage démocratique" (*) de Vincent Hugeux est à lire de toute urgence.

Christophe RIGAUD

(*) "Afrique : le mirage démocratique" - Vincent Hugeux
CNRS Editions, Paris, 2012, 64 pages, 4 euros.

23:59 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (3)

03 mai 2012

RDC : Pourquoi le Nord-Kivu s'enflamme de nouveau

Depuis plusieurs semaines, l'armée congolaise affronte les mutins proches de Bosco Ntaganda, un ex-rebelle recherché par la Cour pénale internationale (CPI). Après avoir longtemps protégé Ntaganda, Joseph Kabila semble maintenant décidé à l'arrêter, au risque de relancer la guerre dans les Kivu. Pierre Jacquemot, chercheur associé à l'IRIS, nous explique pourquoi la violence persiste dans la région et pourquoi Joseph Kabila et Paul Kagame ont décidé de "lâcher" Bosco Ntaganda.

carte RDC Afrikarabia Nord Kivu.jpg- Afrikarabia : Etes-vous étonné de la reprise de la violence ces dernières semaines à l'Est de la République démocratique du Congo ?

- Pierre Jacquemot : La violence est endémique dans cette zone depuis une quinzaine d'années, même si elle se déplace d'une ville à l'autre entre le Nord et le Sud Kivu, Cette violence est liée à plusieurs facteurs qui s'amplifient à certaines périodes. Tout d'abord la présence d'une communauté d'origine rwandaise qui s'est installée après le génocide de 1994 dans des camps de réfugiés, puis plus durablement et qui a ensuite mené des actions armées contre gouvernement rwandais de Paul Kagame. Ce premier groupe se retrouve autour des FDLR (rébellion d'origine hutu, ndlr) et constitue un facteur permanent d'insécurité. D'autant que les FDLR sont également attaqués par des groupes d'origine tutsi - les rebelles du CNDP - qui ont abandonné la rébellion en 2009 après l'arrestation de leur chef Laurent Nkunda et l'allégeance de leur responsable militaire, Bosco Ntaganda, au gouvernement de Joseph Kabila. Vous pouvez ajouter à cela l'existence de groupes armés locaux, que l'on appelle les Maï-Maï, qui passent régulièrement des alliances de circonstance avec telle ou telle rébellion. Il y a également un facteur économique, un besoin important de terres dans la région et les terres des deux Kivu sont particulièrement riches et convoitées. On peut enfin ajouter à cela, la présence de minerais, comme la cassitérite, le coltan ou l'or et vous obtenez tous les ingrédients d'une économie de guerre, depuis que les cours de ces minerais se sont envolés. Certaines mines font l'objet de combats très réguliers entre l'armée congolaise, les FDLR ou le CNDP. Voila le contexte qui permet de comprendre pourquoi il y a en permanence une situation de conflit dans l'Est de la RDC.

- Afrikarabia : La situation échappe complètement à l'armée ?

- Pierre Jacquemot : L'armée est impuissante à remettre de l'ordre car elle est traversée par ses propres contradictions, notamment avec le problème de l'intégration des troupes rebelles en son sein. La Monusco ensuite, bien que forte de 20.000 hommes, le plus fort contingent de casques bleus au monde, est incapable de garantir durablement la sécurité des populations.

- Afrikarabia : Ces dernières semaines, la violence est montée d'un cran dans  les Kivu, avec  l'annonce de la possible arrestation de Bosco Ntaganda ?

- Pierre Jacquemot : Il y a aujourd'hui un enjeu nouveau qui est l'arrestation de Bosco Ntaganda. C'est un individu d'une violence rare que l'on appelait à une époque "Terminator", qui n'a pas hésité à enrôler des enfants soldats et à commettre des délits extrêmement graves. Ntaganda a eu longtemps le soutien du Rwanda, qui maintenant prend ses distances. C'est du moins ce qu'a déclaré Paul Kagame la semaine dernière. Bosco Ntaganda avait lâché son chef, Laurent Nkunda, en 2009, pour rejoindre l'armée régulière congolaise avec 3.000 de ses hommes. En contre-partie, on lui a donné un titre de général et des prérogatives sur une partie du Nord-Kivu. En fait, cette ex-milice du CNDP ne s'est jamais vraiment intégrée dans l'armée. Elle a toujours constitué "une armée dans l'armée" et continuait les trafics de minerais, notamment de Cassitérite et les trafics d'armes. Bosco Ntaganda devrait être déféré auprès de la Cour pénale internationale de La Haye (CPI), mais on tourne autour du pot depuis au moins 18 mois. Il y a d'un côté Human Rights Watch (HRW) qui demande son arrestation en mettant en avant le volet juridique de l'affaire et d'un autre côté, il y a ceux qui pensent qu'il faut prendre un certain nombre de précautions pour éviter les "répercussions négatives" des soldats du CNDP qui défendent encore Ntaganda et qui risqueraient de s'en prendre à la population civile. Et c'est un peu ce qui se passe depuis que la pression s'est accentuée autour de son arrestation. On assiste à des désertions d'officiers du CNDP qui rejoignent des groupes Maï-Maï et c'est bien sûr une source importante d'inquiétude.

- Afrikarabia : Après avoir longtemps protégé son allié Bosco Ntaganda, Joseph Kabila se retrouve face à un dilemme : satisfaire la communauté internationale en arrêtant Ntaganda et prendre le risque de rallumer la guerre à l'Est ou continuer de la protéger et s'isoler sur la scène internationale ?

- Pierre Jacquemot : Il semble que Joseph Kabila a tranché. Visiblement il a évolué dans son attitude puisqu'au départ il était très réticent à l'arrestation de Ntaganda. Je lui ai directement posé la question plusieurs fois. Il était assez évasif, mais il était convaincu que l'individu commettait des exactions et était complètement incontrôlable au sein de l'armée. Kabila a changé de position puisque dernièrement, 14 militaires ex-CNDP ont été transférés à Bukavu pour y être jugés. Il faut également rappeler que Joseph Kabila souhaite retrouver un peu de crédibilité et un peu de "virginité" après des élections qui se sont mal passées en novembre dernier.

- Afrikarabia : Joseph Kabila a-t-il les moyens d'arrêter Ntaganda ?

- Pierre Jacquemot : C'est une opération pas facile à mener. Il faut d'abord l'attraper. Ntaganda est actuellement retranché dans son fief du Nord-Kivu (dans le Masisi, ndlr) qui constitue une sorte de "sanctuaire" dont il sera difficile de le sortir. Je pense qu'il faudra des moyens supplémentaires et je pense aux hélicoptères de la Monusco qui devront l'emmener immédiatement sur Kinshasa et ensuite vers La Haye. Tout doit se passer très vite. A noter qu'il faudra également trouver un autre "chef" à mettre à la tête du CNDP, qui soit loyal à Kinshasa, intègre… et ces conditions ne sont pas faciles à trouver. Sinon nous aurons des ex-miliciens qui vont se retrouver dans la nature sans chef et c'est extrêmement dangereux.

- Afrikarabia : Ntaganda est-il toujours soutenu par le Rwanda ?

- Pierre Jacquemot : Le Rwanda a compris que Ntaganda est une carte qu'il ne peut plus jouer. Le Rwanda n'a plus vraiment besoin de s'occuper des deux Kivu. Les réseaux mafieux sont parfaitement huilés et ils n'ont plus besoin de ces miliciens.

- Afrikarabia : Selon vous, le Rwanda peut-il lâcher Ntaganda ?

- Pierre Jacquemot : Oui je le pense. Soutenir Ntaganda coûte trop cher en terme d'image au Rwanda. En plus, Ntaganda n'est plus vraiment utile en terme économique. Pour gérer les réseaux mafieux à leur bénéfice, ils n'ont pas besoin de Bosco. Il faut également savoir que le coltan et la cassitérite ne rapportent plus autant d'argent qu'il y a encore 2 ans.

- Afrikarabia : Pour quelles raisons ?

- Pierre Jacquemot : Essentiellement à cause de la loi Dodd Franck qui contraint les entreprises américaines à prouver l'origine de la cassitérite et du coltan qu'elles utilisent. Les marchés se sont donc déplacés vers l'Australie et l'Amérique latine. Il y a donc moins d'intérêt économique pour le Rwanda. En plus, ces groupes CNDP sont devenus, avec le temps, des électrons libres et je ne crois pas que Kagame y trouve beaucoup d'intérêts. On peut donc penser que Kabila est assurer d'une certaine neutralité du Rwanda s'il souhaite procéder à l'arrestation de Ntaganda.

- Afrikarabia : Joseph Kabila peut-il être tenté de juger Ntaganda à Kinshasa et de ne pas l'envoyer devant la Cour pénale internationale ?

- Pierre Jacquemot : Je n'ai pas vraiment la réponse. Joseph Kabila peut en effet être tenté de jouer la carte de la fierté nationale, comme les ivoiriens aurait pu refaire avec Laurent Gbagbo. Kabila pourrait effectivement dire : "on est assez grand pour le juger à Kinshasa". C'est un procès qui aurait une grande valeur symbolique et qui, s'il était mené dans de bonnes conditions, pourrait corriger l'impact négatif du procès de l'affaire Chebeya. Ce n'est pas exclu.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD