06 janvier 2013
RDC-Centrafrique : Conflits jumeaux ?
La République démocratique du Congo (RDC) et la Centrafrique font face à des rébellions capables de faire tomber les régimes en place. Le M23 s'est emparé pendant quelques jours de la ville de Goma et les rebelles du Séléka se trouvent aujourd'hui à une centaine de kilomètres de Bangui. Thierry Vicoulon, directeur du programme Afrique centrale d'International Crisis Group (ICG) analyse pour Afrikarabia les similitudes, mais aussi les différences entre ces deux conflits.
- Afrikarabia : Quels sont les points communs entre la crise Centrafricaine et ce qui se passe actuellement en République démocratique du Congo ?
- Thierry Vircoulon : Dans les deux cas, nous avons une rébellion qui est plus forte que l'armée nationale et qui force le gouvernement à négocier, ce qu'il n'a évidemment pas envie de faire. Tout cela se passe sous l'égide d'une organisation régionale africaine, la CEEAC (1) dans le cas centrafricain et la CIRGL (2), pour la République démocratique du Congo. Dans ces deux conflits, nous voyons qu'il y a une demande d'intervention militaire extérieure. La CEEAC avait déjà une mission en Centrafrique qu'elle est en train de transformer en mission d'interposition et qui constitue le dernier rempart entre le pouvoir et les rebelles. En République démocratique du Congo, c'est la SADC (3) qui a été appelée à l'aide et est censée déployer des troupes dans les Kivus. Ces deux pouvoirs, Bangui et Kinshasa, se retrouvent donc dans une sorte de dépendance sécuritaire, faute d'avoir construit une armée suffisamment robuste pour résister à leurs rébellions.
- Afrikarabia : Dans ces deux pays, le point de départ de ces rébellions repose également sur un processus électoral raté et contesté ?
- Thierry Vircoulon : Les deux élections présidentielles, en RDC et en Centrafrique, ont eu lieu en même temps, en 2011 et ont montré aux forces politiques de ces pays que le pouvoir se resserrait. Les gouvernements congolais et centrafricains signifiaient alors qu'ils sortaient des logiques de partage des pouvoirs, négociées après les conflits et qu'ils souhaitaient monopoliser un peu plus le pouvoir pour leur deuxième mandat. Un monopole qui laissait penser aux oppositions congolaises et centrafricaines que ces pouvoirs comptaient effectuer une réforme constitutionnelle pour se représenter une troisième fois, ce qui est impossible dans les deux pays.
- Afrikarabia : Ce sont aussi des régimes qui ne peuvent plus compter sur leurs armées ?
- Thierry Vircoulon : Dans ces deux pays, il n'y a pas eu de réformes de l'armée, malgré les appels répétés de la communauté internationale, mais aussi des voix nationales. Ces appels n'ont pas été écoutés par ces deux régimes et ils se retrouvent aujourd'hui avec des forces armées qui sont, in fine, en situation d'infériorité par rapport aux rébellions.
- Afrikarabia : Est-ce que l'épilogue de ces deux "aventures rebelles" pourrait être le même à Bangui et à Kinshasa ?
- Thierry Vircoulon : La différence fondamentale entre les deux scénarios est d'ordre géographique. On voit que les rebelles centrafricains sont arrivés en 3 semaines aux portes de Bangui, alors que le M23 se trouve à quelques milliers de kilomètres de Kinshasa, sans aucune route. C'est la raison pour laquelle la configuration est différente. Mais la logique est la même. S'il y avait des routes qui traversaient la RDC et si le pays était moins grand, le M23, comme il le disait à une époque, aurait pu arriver aux portes de Kinshasa.
- Afrikarabia : N'est-ce pas dans ces conflits, la faillite de ce que nous appelons la communauté internationale ?
- Thierry Vircoulon : Il y a un désengagement politico-militaire très clair des européens et de Paris en Afrique, qui a comme contre-partie de soutenir des solutions africaines au crises africaines. C'est la CEEAC qui, dans le cadre d'une architecture de paix et de sécurité, doit gérer la crise centrafricaine et c'est la CIRGL qui est censée gérer les problèmes de paix et de sécurité dans les Grands Lacs. Dans la mesure où les européens sont maintenant en retraits, nous sommes là dans un système qui est logique. Ce sont désormais les instances africaines qui doivent gérer les problèmes de sécurité. Les Nations-unies, se retrouvent dans une situation un peu intermédiaire, où, elles sont là, mais n'ont plus une grande capacité d'initiative dans ces conflits et ont l'air de piétiner.
- Afrikarabia : Ce désengagement de la communauté internationale vous semble un phénomène durable ?
- Thierry Vircoulon : C'est le scénario qui a été mis en place il y a 10 ans lorsque l'Organisation de l'union africaine est devenue l'Union africaine (UA). Les crises africaines doivent être gérées par les africains et cette politique ne va pas changer. A moins d'une grande catastrophe, je ne vois pas cette politique changer. Au contraire, on va aller de plus en plus dans ce schéma. On le voit d'ailleurs dans le cas du Mali, où il faut des troupes de la CEDEAO pour intervenir, les occidentaux restants en deuxième ligne.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia
(1) CEEAC : Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale.
(2) CIRGL : Conférence internationale sur la région des Grands Lacs.
(3) SADC : Communauté de développement d'Afrique australe
Photo : Thierry Vircoulon à Paris © Ch; Rigaud www.afrikarabia.com
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01 janvier 2013
Centrafrique (RCA) : L'agenda secret de la rébellion
En moins de 20 jours, une rébellion inconnue il y a encore quelques semaines, contrôle 85% de la Centrafrique et menace de renverser le président François Bozizé. Dans un entretien exclusif à Afrikarabia, un responsable du mouvement a accepté de lever le voile sur une partie des dessous de la coalition Séléka : le "réel" président du mouvement, leurs soutiens politiques, leur financement, mais aussi les premières mesures qu'ils prendront une fois au pouvoir.
Depuis le 10 décembre 2012, une coalition de plusieurs mouvements rebelles (UFDR, CPJP, FDPC, CPSK et A2R) mène une offensive éclair sur la capitale centrafricaine. Objectif : faire tomber le régime du président François Bozizé. Face à une armée régulière qui fuit les combats et une force d'interposition tchadienne passive, la rébellion du Séléka se retrouve en mesure de prendre le pouvoir à Bangui. De ces rebelles, venus de plusieurs formations hétéroclites, on connait peu de chose. Un membre important de la coalition a accepté de nous dévoiler quelques secrets du mouvement. Il n'a pas souhaité divulguer son identité.
- Afrikarabia : A quand remonte l'idée de la coalition du Séléka ?
- La coalition de tous ces mouvements rebelles date de moins de 4 mois. Tout a commencé à partir de fin octobre 2012. Nous étions conscients que pour renverser le président Bozizé, il fallait passer par le Tchad et d'autres pays de la sous-région. Nous avons constaté que les relations s'étaient fortement dégradées entre la Centrafrique (RCA) et le Tchad. Nous avons réussi à convaincre de notre démarche certains proches du président Idriss Déby, que nous avons rencontré à Paris… des officiels de hauts rangs et des membres de son cabinet. Ils nous ont expliqué qu'ils étaient déçus de l'attitude et de l'incompétence du président François Bozizé. Plusieurs accords avaient d'ailleurs été signés entre le Tchad et la RCA et les choses traînaient.
- Afrikarabia : Quel était votre projet ?
- En 2003, c'est nous (certains membres de la rébellion, ndlr), qui avons aidé Bozizé à prendre le pouvoir. Malheureusement, Bozizé est devenu fou avec le pouvoir. Il n'était donc plus un interlocuteur valable pour les intérêts de la Centrafrique mais aussi du Tchad. Nous voulions quelqu'un de responsable pour prendre la tête du pays. Pour réussir notre objectif, nous étions convaincus qu'il fallait une coordination entre tous ces chefs rebelles. Au début cela a été difficile à mettre en place.
- Afrikarabia : Qui dirige ce mouvement ?
- Nous avons une stratégie au niveau de notre président. Pour l'instant, nous ne voulons pas que son nom soit connu. Nous n'avons pas voulu qu'il s'affiche tout de suite comme le porte-parole ou le coordinateur du mouvement. C'est donc pour cela que nous avons choisi, en accord avec le commandement militaire sur place, Eric Massi comme porte-parole de la coalition. Notre président sera connu une fois que le pouvoir sera tombé à Bangui. Je peux juste vous dire qu'il est très réservé et c'est un sage. La discipline, le respect des droits de l'homme et des populations civiles dans les rangs de nos militaires sont, par exemple, une stratégie mise en place par lui. Nous devons éviter toutes les erreurs commises par les autres mouvements rebelles en Afrique.
- Afrikarabia : Avez-vous le soutien d'autres pays ? On parle duTchad évidemment, mais aussi du Congo Brazzaville et du Soudan ?
- Nous avons le soutien politique de proches d'Idriss Déby, mais cela ne veut pas dire qu'on a le soutien personnel du président Déby. Concernant Sassou Nguesso, cela fait longtemps qu'il ne s'entendait plus avec Bozizé. Il a joué un rôle important, notamment pour demander au président Déby de ne pas intervenir militairement contre la rébellion. Quant au Soudan, c'est très clair, il n'y a aucun élément soudanais dans notre mouvement. D'ailleurs vous savez très bien que les relations ne sont pas bonnes entre le Tchad et le Soudan, ce serait donc contradictoire.
- Afrikarabia : Comment êtes-vous financé ?
- Le financement repose uniquement sur des petites cotisations entre nous.
La rébellion vit très difficilement. Les hommes font des sacrifices énormes. C'est le patriotisme qui anime nos soldats. Nous avons des problèmes pour acheter des crédits de télécommunication. On se cotise ici en Europe pour envoyer des crédits téléphoniques sur place par exemple...
- Afrikarabia : …il y a pourtant des uniformes neufs, des armes… cela ne peut pas être financé par de simples cotisations ?
- Croyez-moi, nous avons commencé cette rébellion sans aucun moyen. Le matériel et la logistique viennent uniquement de ce que nous avons récupéré aux forces armées centrafricaines (FACA). Nous n'avons pas un centimes et aucun soutien extérieur. Si nous avions de réels moyens financiers, François Bozizé serait tombé depuis longtemps.
- Afrikarabia : Quelles seront les premières mesures que vous prendrez si vous arrivez au pouvoir ?
- Si le régime de François Bozizé tombe, je peux vous annoncer que allons organiser une période de transition de 2 ans. Et ce délai ne sera pas dépassé. A la suite de cette transition, les responsables de la rébellion devront signer un amendement et s'engager à ne pas se représenter. Avant d'organiser les élections présidentielles, les élections municipales devront être organisées. Sur le plan politique, nous allons suspendre l'actuelle constitution, mais aussi le parlement, dans lequel règne en maître le clan Bozizé. Une Assemblée constituante sera nommée. Elle devra être représentative de toutes les forces vives de la RCA. Puis, nous allons mettre en place une commission des droits de l'homme, une commission de lutte contre la corruption, une commission des biens mal acquis et une commission vérité et réconciliation. François Bozizé a déchiré ce pays. Il est actuellement en train de monter des Centrafricains contre d'autres Centrafricains. Pour terminer, nous souhaitons également garantir la sécurité de tous nos voisins.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia
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31 décembre 2012
Centrafrique : Des mercenaires sud-africains à Bangui
Alors que la rébellion progresse vers Damara, le dernier verrou avant la capitale centrafricaine, un porte-parole rebelle indiquait à Afrikarabia que 3 gros porteurs sud-africains s'étaient posés sur l'aéroport de Bangui ce lundi. Selon Jean-Paul Bagaza, il s'agirait "de mercenaires venus défendre le président François Bozizé".
Lundi 31 décembre, la situation était toujours extrêmement tendue en Centrafrique, où les rebelles du Séléka menacent toujours de s'emparer de Bangui. En fin de journée, la rébellion dénonçait l'arrivée de "3 avions gros porteurs en provenance d'Afrique du Sud" sur l'aéroport de Bangui. Selon le Séléka, "un groupe de mercenaires sud-africains ainsi que du matériel ont débarqué vers 17h à la demande du gouvernement centrafricain". Les rebelles croient savoir que le fils du président Bozizé, Francis, par ailleurs ministre de la défense, "s'était rendu dernièrement en Afrique du Sud". Pour l'instant, ni à Bangui, ni à Prétoria, n'ont confirmé cette information.
Selon Jean-Paul Bagaza, un porte-parole de la rébellion, ces mercenaires sud-africains viendraient prêter main-forte à l'armée régulière centrafricaine (FACA) qui a tenté, ce lundi, une contre-offensive sur la ville de Sibut, toujours contrôlée par le Séléka. La rébellion aurait repoussé l'attaque des FACA et ferait désormais route vers Bangui, la capitale.
Sur le plan diplomatique, la situation est toujours au point mort. Dimanche, le béninois Thomas Boni Yayi, président de l'Union Africaine, est parvenu à obtenir de François Bozizé, la proposition d’un gouvernement d’union nationale avec la promesse de ne pas se représenter à la présidentielle de 2016. La rébellion a sèchement rejeté ces propositions estimant qu'il était désormais "trop tard". Pour la coalition, le président Bozizé "n'est plus crédible" et "doit partir". Lundi 31 décembre, le président français François Hollande s’est entretenu au téléphone avec le président centrafricain et il a appelé toutes les parties au dialogue, sans répondre aux demandes d'aide de François Bozizé. Les premiers jours de l'année 2013 risquent d'être décisifs pour l'avenir de la Centrafrique.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
23:49 Publié dans Afrique, Centrafrique | Lien permanent | Commentaires (0)
Viols au Kivu (RDC) : le M23 suscite une guerre de tribu(ne)s en France
Valérie Trierweiler, compagne du président Hollande, a apposé sa signature sur un texte du quotidien Le Monde accusant le M 23 de viols massifs commis en RDC, et l’ONU d’inertie coupable. L’écrivain Jean-François Dupaquier lui a répondu cinq jours plus tard dans les colonnes de Libération (consultable ici). Il s’en explique pour Afrikarabia.
- Afrikarabia : Jean-François Dupaquier, qu’est-ce qui vous a choqué dans la tribune publiée le jour de Noël par Le Monde daté du 26 décembre 2012, tribune intitulée : « Au Kivu, on viole et massacre dans le silence, l'ONU doit remplir son mandat en RDC » ?
- Jean-François Dupaquier : Certainement pas ce titre. Il résume des informations tragiques, d’ailleurs relayées depuis un certain temps par votre site Afrikarabia. Mais la tribune qui suit est bien plus manipulatrice que ce titre le laisse à penser. Il est vraisemblable que de nombreux abonnés de votre site n’ont pas lu cette tribune signée notamment par la Première Dame de France. Je vous suggère de la publier in extenso, pour que chacun puisse la lire et comprendre toute cette histoire.
- Afrikarabia : La tribune du Monde est consultable en cliquant ici.
- Jean-François Dupaquier : Donc chacun voit qu’après des considérations générale sur la beauté des paysages et le pillage des richesses du sous-sol, on revient sur la présence de « bandes de mercenaires et de pillards de toutes sortes qui « martyrisent les populations », notamment par « les viols et les massacres ».
- Afrikarabia : Rien à redire à cela ?
- Jean-François Dupaquier : Bien au contraire. Comme je l’ai écrit dans Libération, au niveau d’abjection atteint en RDC, toute proclamation d’indignation est bienvenue. J’ai moi-même dénoncé l’inertie des forces des Nations-Unies coûteusement déployées en RDC et bien des voix se sont élevées contre cette situation.
- Afrikarabia : Alors, qu’est-ce qui pose problème ?
- Jean-François Dupaquier : Ce qui pose problème, c’est que la dénonciation vienne du pouvoir français sous les signatures, entre autres, de Yamina Benguigui, ministre déléguée à la Francophonie au Quai d’Orsay et Valérie Trierweiler, la compagne du président François Hollande, Première Dame de France. Cette tribune est, en raison des fonctions de ses signataires, un texte politique qui implique Paris. Comment ces deux femmes si haut placées dans l’Etat peuvent-elles dénoncer le fait que « ces dix-sept mille soldats de la Mission de l'ONU pour la stabilisation en RDC (Monusco) attendent une résolution du Conseil de sécurité qui leur permettrait d'agir » et ajouter qu’il s’agit d’un « drame que la communauté internationale pourrait arrêter. A l'instant. Il lui suffirait de donner l'ordre aux dix-sept mille soldats de faire leur métier et de remplir leur mandat. Leur métier de soldat. Et leur mission de garantir la paix et la dignité de l'espèce humaine. » Fin de citation. Les pétitionnaires semblent avoir oublié que la France est l’un des membres permanents du Conseil de sécurité. Nos représentants à New-York ont voté en 1999 le texte du mandat qui n’accordait qu’un mandat purement défensif aux Casques bleus de la MONUC (Mission de l'Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo, devenue MONUSCO - Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo -). Depuis 1999, les chefs d’Etat français et leurs chefs de gouvernement, UMP ou PS, n’ont rien réclamé d’autre à l’ONU.
- Afrikarabia : Selon certains spécialistes du droit international, le mandat des Casques bleus de la MONUSCO est moins défensif qu’on l’interprète sur le terrain…?
- Jean-François Dupaquier : Si l’on aborde la question sous cet angle, la prise de position de mesdames Trierweiler et Benguigui n’est pas davantage pertinente. Elles ne semblent pas savoir que depuis des années le Département des Opérations de Maintien de la Paix de l’ONU est dirigé par un Français. Il s’agit actuellement d’Hervé Ladsous, ex-directeur de cabinet de Michelle Alliot Marie et d'Alain Juppé. C’est lui qui pourrait interpréter le mandat des Casques bleus de l’ONU dans un sens plus offensif. Avez-vous entendu dire que M. Hollande ou M Fabius ait demandé sa tête ?
- Afrikarabia : Et les représentants de la France au Conseil de sécurité, qu’ont-ils fait concernant la tragédie du Kivu ?
- Jean-François Dupaquier : Les signataires de la pétition exigent « de donner l'ordre aux dix-sept mille soldats de faire leur métier et de remplir leur mandat ». Depuis 1999 l’Elysée a accueilli trois présidents, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande. Un seul des trois a-t-il entamé des démarches à l’ONU pour stopper la tragédie de l’impuissance des Casques bleus? Un seul des cinq Premiers ministres, de droite comme de gauche, de la période, Lionel Jospin (1997-2002), Jean-Pierre Raffarin (2002-2005), Dominique de Villepin (2005-2007), François Fillon (2007-2012), et enfin Jean-Marc Ayrault (depuis six mois) est-il intervenu en ce sens ? La réponse est non, là encore. Trouver parmi d’autres signataires le nom de Jacques Chirac donne la mesure du caractère inconséquent de cette tribune.
- Afrikrabia : Les signataires de cette tribune incriminent le mouvement rebelle M 23 de crimes et de viols massifs ?
- Jean-François Dupaquier : C’est effectivement ce qu’on lit dans « Le Monde » : « L'horreur, ces derniers jours, a franchi un nouveau degré. Des escadrons, dont le groupe baptisé M23, font des incursions à Goma et sèment la terreur dans sa périphérie. Ils portent de beaux uniformes et brandissent des armes neuves. D'où viennent-ils ? Ils ravagent et ils tuent. Et ils violent. Ils violent par centaines de milliers les femmes et les enfants pour terroriser la population. Ils violent pour détruire. Ils violent pour arracher à jamais les identités. Et les enfants qu'ils n'ont pas massacrés, ils les enrôlent de force. » Quand on lit ça, on se frotte les yeux. Le seul groupe armé nommément accusé de viols massifs par nos tribuniciens est le « M 23 », un mouvement mené par des Congolais rwandophones toujours frappés par un racisme quasi-officiel et menacés dans leur existence. Le M 23 est apparu au mois de mars dernier alors que les viols massifs ont commencé en 1995-1996. Il n’est pas présent au Sud-Kivu où les viols sont les plus massifs. Cherchez l’erreur ! Il n’entre pas dans mon propos de prétendre que les combattants du M 23 sont des anges. Seulement d’observer que le M 23 est presque le seul parmi quelque 200 groupes armés qui n’ait pas fait du viol une arme de guerre. C’est ce paragraphe de la tribune du Monde signée de mesdames Trierweiler et Benguigui qui leur permettra d’être inscrites au monument de la confusion compassionnelle pour la première, et de l’erreur de casting pour la seconde.
- Afrikrabia : Pourquoi donc avoir stigmatisé le seul M 23 alors que des dizaines d'autres groupes armés terrorisent la population ?
- Jean-François Dupaquier : Bonne question à poser aux signataires de la tribune. L’écrivain Erik Orsenna a livré à ce sujet des détails très intéressants jeudi 27 décembre à 7 h 51 sur France Inter, où il était interrogé par l’excellente journaliste Pascale Clark. Je suggère à vos abonnés de réécouter cette émission ou de la podcaster sur http://www.franceinter.fr/emission-l-invite-de-7h50-erik-... Chacun entendra Erik Orsenna reconnaitre de façon un peu vaniteuse être le rédacteur en chef de ce texte. En même temps il déclare « je ne suis pas à l'origine de cette tribune du Monde, c'est vraiment une sorte d'indignation collective ».
- Afrikrabia : Que veut-il dire par là ?
- Jean-François Dupaquier : C’est clairement Mme Yamina Benguigui qui est à l’origine de toute cette affaire. Lors de la préparation du sommet de la Francophonie à Kinshasa, elle a découvert cette tragédie des viols massifs au Kivu. D’après son entourage, elle s’est aussi prise de sympathie pour le président Joseph Kabila qu’elle veut absolument tirer de ses problèmes actuels. Alors que le choix de Kinshasa posait toutes sortes de défis notamment politique et éthiques, la ministre déléguée à la Francophonie a cherché à faire diversion. La rébellion du M23 venait de s’emparer à mi-octobre de Goma. Devant la ministre, le président Joseph Kabila a joué les victimes et lui a raconté une belle fable sur les viols commis par les hommes du M 23. Yamina Benguigui s’est vue en incarnation d’une grande cause internationale : porte-parole des femmes victimes du Kivu. De retour à Paris, à la sortie du Conseil des ministres, elle a accroché les journalistes en rappelant que 70 000 réfugiés, pour l'essentiel des femmes et des enfants, vivaient à Goma : « C'est une situation catastrophique a-t-elle martelé. Depuis deux jours ce camp a été ouvert, elles se sont enfuies, elles sont tuées, elles sont massacrées, c'est un conflit qui se passe sans aucune image. C'est un conflit tragique, humanitaire, où les femmes sont devenues des butins de guerre, elles sont un champ de bataille, et on les massacre et viole à satiété ».
- Afrikarabia : Elle a surtout fait du buzz pour avoir affrêté un Falcon vers la RDC, au lieu d’emprunter les lignes régulières, comme François Hollande en a donné instruction à ses ministres ?
- Jean-François Dupaquier : Les journalistes ont relevé ce problème sans prendre en compte l’ensemble du scénario. L’objectif était de mettre en scène Yamina Benguigui en chargée d’action humanitaire. Elle avait annoncé apporter pour 2 millions d’euros d’aide aux populations. Une part de la somme a servi à payer son coûteux déplacement dans un luxueux Falcon 2000 appartenant à la République française qui lui permettait de faire ce crochet par Goma, au retour de Kinshasa. Finalement, elle a remis 1 250 000 euros à l’agence régionale du PAM (Programme Alimentaire Mondial) et promis 500 000 euros pour les activités de protection des déplacés menées par le Haut commissariat aux réfugiés (HCR). Ceci constitue une faible part des besoins du PAM, estimés à 514 millions d’euros, mais ce n’était pas la question : Yamina Benguigui s’est surtout fait photographier visitant le camp de déplacés de Kanyarunya qui accueille 57 000 personnes dont beaucoup de femmes et d’enfants, et s’entretenant avec les acteurs humanitaires. De belles images supposées lui donner une expertise des problèmes de la région. Ce qu’Erik Orsenna appelle « vraiment une sorte d'indignation collective » est surtout une opération personnelle de Yamina Benguigui à la recherche d’une gloire facile.
- Afrikarabia : Une gloire facile selon vous ?
- Jean-François Dupaquier : C’est une litote de dire que l’ex-réalisatrice n’a pas réussi à endosser le costume de ministre déléguée à la Francophonie et qu’elle essaye désespérément de retarder son départ du gouvernement. L’appui de Valérie Trierweiler lui serait d’un grand secours. Autour de cette affaire du Kivu, elle a donc monté une petite coterie avec Emmanuel Poilâne, directeur de la Fondation France Libertés de la défunte Danielle Mitterrand, pour « mouiller » la Première Dame.
- Afrikarabia : Qu’est-ce qui vous fait dire que la Fondation France Libertés serait impliquée dans ce que vous qualifiez de « coterie » ?
- Jean-François Dupaquier : D’une part, Erik Orsenna déclare à France Inter que dans le groupe à l’origine de la tribune du Monde, il y a « des représentants d'O.N.G. comme Emmanuel Poilâne qui est le représentant de France Libertés ». D’autre part, la Première Dame signe la tribune ainsi : « Valérie Trierweiler, ambassadrice de la Fondation Danielle Mitterrand » [le nom familier de la Fondation France Libertés]. Il a fallu beaucoup d’inconscience et d’ignorance à ces gens pour faire croire à Valérie Trierweiler que le nom « Mitterrand » pouvait lui apporter une parcelle de crédibilité dans la région des Grands Lacs. François Mitterrand a été le premier responsable de l’intervention militaire française au Rwanda entre 1990 et 1993, intervention qui avait donné à un régime disqualifié le temps de préparer le génocide des Tutsi. Son fils Jean-Christophe Mitterrand, alors chef de la cellule « Afrique » de l’Elysée, a été aussi l’artisan de cette politique (voir le livre de Gérard Prunier, Rwanda, Ed Dagorno). Quand à Danielle Mitterrand, elle s’était gardée de prononcer un mot sur les responsabilités de la France dans le troisième génocide du XXe siècle. Sans doute au nom de l’esprit de famille, plus lourd qu’un million de morts. Emmanuel Poilâne, qui a proféré beaucoup de bêtises sur la région, ferait bien de se documenter et de réfléchir avant de s’exprimer sur cet océan de tombes où plane l’ombre de trois Mitterrand.
- Afrikarabia : J’en reviens à la question de tout à l’heure : pourquoi donc avoir stigmatisé le seul M 23 comme auteur de viols massifs ?
- Jean-François Dupaquier : Je répète: bonne question à poser aux signataires de la tribune ! Qui a développé les viols massifs comme arme de guerre ? Il n’y avait pas de viols massifs au Congo avant le génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994. C’est un produit d’importation des milices et de l’armée « génocidaires » rwandaises qui ont pu se replier au Congo grâce à « l’opération Turquoise » et ensuite organiser à leur profit le pillage du pays sous l’étiquette FDLR. Je le répète : les Forces armées de la RDC (FARDC) sont, de l’avis des observateurs, les premiers auteurs de viols massifs avec leurs alliés issus des anciennes Forces armées rwandaises et des milices interahamwe rebaptisées FDLR. Voici quelques extraits des rapports successifs de l’ONU entre 2009 et 2012 sur les responsabilités des FDLR dans des viols collectifs (à consulter ici). Sur France Inter, l’écrivain Erik Orsenna, rédacteur du texte, absout pourtant « l’Etat très faible et tout à fait corrompu, donc tout à fait impuissant » de Kabila fils. Voici la corruption érigée en circonstance atténuante pour le chef des corrompus… « L'horreur, ces derniers jours, a franchi un nouveau degré », selon Mme Benguigui, sans doute pour justifier sa découverte tardive de la tragédie. C’est regarder son nombril et le prendre pour la Lune. Or ce que craignent surtout les habitants de Goma et des alentours, c’est le retour des FARDC, entourées d’une réputation d’ivrognes, de pillards et de violeurs, et leurs alliés des FDLR, agrégat de milices et d’anciens militaires rwandais qui ne vaut pas mieux. S’agirait-il en définitive de sauver Joseph Kabila, président défaillant d’un Etat devenu maffieux ?
- Afrikarabia : On lit dans la tribune « D'où viennent-ils ? Ils ravagent et ils tuent. Et ils violent. Ils violent par centaines de milliers les femmes et les enfants pour terroriser la population ». On voit bien que le régime de Paul Kagame, au Rwanda, est implicitement désigné comme le prescripteur de crimes horribles ?
- Jean-François Dupaquier : Il y a un passage encore plus significatif dans la tribune du Monde, c’est celui ci : « Des escadrons, dont le groupe baptisé M23, font des incursions à Goma et sèment la terreur dans sa périphérie. Ils portent de beaux uniformes et brandissent des armes neuves ». Cette histoire des uniformes et armes neufs semble avoir une grande importance. Déjà durant la guerre civile au Rwanda les militaires français se plaignaient que l’armée qu’ils soutenaient était dépenaillée, incapable de bien entretenir ses armes, à l’inverse des rebelles du Front patriotique. Eric Orsenna y revient dans l’interview de Pascale Clark sur France Inter : « Le M. 23 a pris possession de la ville principale du Nord Kivu qui s'appelle Goma, et donc ils sont arrivés avec des uniformes très neuf, et des armes qui semblaient sortir de l'usine, et on était quelques-uns à s'intéresser à ces questions depuis longtemps, et on s'est dit que là, ça suffisait ». Pourquoi des rebelles qui seraient bien habillés, bien armés et disciplinés devraient-ils être diabolisés ? Peut-être parce que ça réveille un fond de racisme inconscient, y compris chez nos pétitionnaires parisiens, pontifiant dans le « triangle intello » entre la Closerie des Lilas, le boulevard Saint-Michel et le carrefour de Saint-Germain des Prés. Certains à l’évidence réservent leur capital de sympathie aux Africains dépenaillés, en loques, surtout les militaires. Comme s’ils étaient moins dangereux ! Vous avez sans doute remarqué ces derniers jours que la coalition rebelle du Séléka en Centrafrique est également accusée d’avoir fourni à ses troupes des uniformes et armes neufs. Ce n’est pas normal pour des rebelles africains. Et en plus, comme en RDC, l’armée régulière se décompose à leur approche : méfiance ! ….
- Afrikarabia : Revenons au fond : le Rwanda est accusé plus ou moins insidieusement par M. Orsenna, Mme Benguigui, Mme Trierweiler et d’autres, dans les colonnes du Monde, de soutenir des hordes de violeurs en RDC….
- Jean-François Dupaquier : Franchement, quel culot ! J’ai déjà expliqué sur votre site la genèse de ces viols massifs utilisés comme arme de guerre. Au risque de me répéter : il n’y avait pas de viols massifs au Congo avant le génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994. C’est un produit d’importation des milices et de l’armée « génocidaires » rwandaises qui ont pu se replier au Congo grâce à « l’opération « militaro-humanitaire » française Turquoise, entre juin et août 1994. Ce qui leur a permis ensuite d’organiser à leur profit le pillage du pays sous l’étiquette FDLR. Si nos pétitionnaires veulent voir la réalité en face, pas besoin de s’offrir un Falcon 2000 aux frais des contribuables français. Un ticket de métro suffit : le principal chef des FDLR (« Secrétaire exécutif ») se prélasse en Seine-Saint-Denis, à une des portes de Paris. Il s’appelle Callixte Mbarushimana. La France de Jacques Chirac (Droite, Elysée) et de Lionel Jospin (PS, Matignon) l’a accueilli à bras ouvert en 2002. La France de François Hollande/Valérie Trierweiler le supporte toujours.
- Afrikarabia : Callixte Mbarushimana a été remis à la Cour pénale internationale (CPI) en février 2011. Mais en décembre de la même année, la CPI a finalement décidé de ne pas retenir les charges de crimes contre l’Humanité et crimes de guerre contre lui concernant les atrocités des FDLR au Kivu. Après quoi il est revenu vivre en France.
- Jean-François Dupaquier : Un épisode effectivement intéressant, car la décision de ne pas donner suite au mandat d’arrêt international a sanctionné une enquête bâclée des policiers de l’ONU au Kivu. Mais savez-vous pourquoi l’enquête a été bâclée ? Notamment parce que la France a refusé d’y collaborer. Lorsque les enquêteurs de l’ONU ont voulu, en 2008, documenter les ramifications des FDLR en France, on leur a même été refusé d’identifier les 21 destinataires de communications qui ressortaient des écoutes téléphoniques menées par les services de l’ONU au Kivu. Sans pouvoir en fournir des preuve écrite, la Commission d'enquête citoyenne française et la journaliste belge Colette Braeckman ont eu des informations selon lesquelles la France aurait aussi contribué à l’armement de ce groupe si sympathique.
- Afrikarabia : Concernant les chefs des FDLR réfugiés en Europe comme Mbarushimana, l’ONU parle d'une structure politique "propre" c’est à dire non impliquée dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 »
- Jean-François Dupaquier : Effectivement. Le 12 mars 2008, lorsque le Conseil de sécurité de l'ONU s’est intéressé aux groupes armés hutus rwandais opérant dans l'est de la République démocratique du Congo, c’est la France qui a rédigé la résolution 1804 qui "exige que tous les membres des FDLR, ex-FAR/Interahamwe et autres groupes armés rwandais qui opèrent dans l'est de la RDC déposent immédiatement les armes. » Contre ces propagateurs de violences sexuelles de masse, Paris a ainsi fait preuve d’une duplicité remarquable. Comme l’écrivait le quotidien Le Monde dans son édition du 26 novembre 2009, « un rapport d'experts mandatés par l'ONU a mis en évidence l'important réseau international sur lequel ils [les FDLR] s'appuient. Le texte, examiné à huis clos par le Conseil de sécurité, mercredi 25 novembre, n'a pas été rendu public. Selon une copie dont Le Monde a possession, il montre l'étendue du réseau à l'étranger de la rébellion hutue rwandaise. Celle-ci a été créée autour d'un noyau de miliciens et d'ex-soldats impliqués dans le génocide rwandais de 1994. Avec le temps, ces "génocidaires" ont été rejoints par de nouvelles recrues dans l'est de la RDC, où ils ont longtemps opéré.
Parallèlement, les FDLR se sont dotés à l'étranger d'une structure politique "propre" (non impliquée dans le génocide), de réseaux de soutien et de financement dans une vingtaine de pays décrits par les experts mandatés par les Nations unies. » La France apparaissant au premier rang dans l’échelle de complicité.
- Afrikarabia : C’était en 2008…
- Jean-François Dupaquier : Si en 2008 on parlait de duplicité française, comment qualifier en 2012 la tribune du Monde où les FDLR ne sont même pas mentionnées comme un des principaux groupes pratiquant le viol massif comme arme de guerre ? Puisque les pétitionnaires Orsenna, Benguigui, Trierweiler, Chirac etc., se disent révulsés par les viols massifs commis dans cette région des Grands Lacs, encore une observation : trois mois après le génocide, la France accueillait un prêtre rwandais soupçonné de participation au génocide et d’avoir violé des paroissiennes tutsi, le père Wenceslas Munyeshyaka. C’était encore sous la présidence de François Mitterrand. Un an plus tard, il était mis en examen par un juge d’instruction français. C’était en 1995. Ca dure depuis 17 ans : un record de lenteur. De gauche, de droite, tous les gouvernements français se sont donné le mot : ne rien faire, encourager les juges d’instruction successifs à glisser ce dossier « sous le tas » quand la chancellerie ne leur mettait pas des bâtons dans les roues. On attend soit un non-lieu, soit qu’il soit renvoyé devant la cour d’assises. Peut-être en 2014… Pour les 20 ans du génocide ? Pas besoin là encore du Falcon 2000 de la République pour se rendre sur le théâtre des opérations, car il n’y a pas de piste d’atterrissage à Gisors, dans l’Eure, où le père Munyeshyaka dit tous les jours la messe. Le trajet en train, depuis Paris Saint-Lazare, prend une heure…
- Afrikarabia : quelles leçons tirez-vous de toute cette affaire ?
- Jean-François Dupaquier : Au moins quatre leçons. D’abord, le constat d’un racisme sournois, à mon avis inconscient, qui sous-tend la rédaction de cette tribune du Monde. C’est l’idée reçue que, concernant l’Afrique noire, il n’y a pas besoin de se renseigner vraiment pour savoir et pour faire la leçon. Et comme au temps des premières grandes expéditions coloniales dans la seconde moitié du XIXe siècle, Mme Benguigui croit pouvoir facilement tirer gloire, honneur et surcroît d’influence d’une aventure africaine de quelques heures, vite médiatisée. Seconde leçon, c’est une nouvelle démonstration de la vacuité de nos élites, entraînées à signer cette tribune, peut-être sans l’avoir lue auparavant, sans avoir pris conseil. J’éprouve de la peine d’y lire les noms de personnes éminemment respectables comme Robert Badinter, Abdou Diouf, ancien Président de la République du Sénégal et Secrétaire Général de la Francophonie, Leymah Gbowee, prix Nobel de la paix 2011 ; l’écrivain Jean Christophe Ruffin, et last but not least, Stéphane Hessel, ancien ambassadeur de France. On sait au moins comment ils ont été sollicités grâce aux confidences d’Erik Orsenna sur France Inter : « Le lien c'était Nathalie Mercier qui est la directrice de la communication du Musée du quai Branly. Et alors on m'a demandé de porter la plume comme d'habitude, moi, depuis l'âge de 15 ans, dès qu'il y a un texte à écrire, c'est moi qui l'écris. » Nathalie Mercier, ancienne directrice dans la grande agence de publicité Euro-RSCG, était la conseillère en image de Valérie Trierweiler durant la campagne de la présidentielle. Disons tout simplement une experte en manipulation et désinformation, elle vient d’en faire la preuve.
- Afrikarabia : quelle troisième leçon ?
- Jean-François Dupaquier : Troisième leçon, et elle se rattache aux précédentes : il s’agit d’une intrigue de cour. Eric Orsenna a une fois encore « mangé le morceau » au micro de Pascale Clark, avec une impudeur qui en dit long :
- [Question de Pascale Clark] : « Érik Orsenna, vous projetez, vous venez de le dire, un voyage l'an prochain au Kivu. Valérie Trierweiler travaille à vos côtés ? »
- [Erik Orsenna] : « Je ne sais pas. En tout cas, elle est très impliquée, parce que je vous rappelle qu'elle était avec le président de la République à Kinshasa lors du sommet de la Francophonie. Elle a vu les enfants sorciers qu'ils l'ont tout à fait bouleversée, et donc on verra si elle vient avec nous. » [fin de l’interview]
Monsieur Orsennadevrait comprendre qu’émotion et courtisanerie ne fondent pas une politique ! On comprend que ça grenouille beaucoup autour de la Première Dame et là, malheureusement, les courtisans ont gagné ! Ce n’est pas l’Affaire du collier de la Reine, mais ça fait mauvais effet.
- Afrikarabia : et la dernière leçon de tout ça ?
- Jean-François Dupaquier : quelle place occupe un tel texte dans un régime démocratique ? Est-il imaginable que la Première Dame et un ministre du gouvernement français cosignent une analyse diplomatique sur une zone de conflit majeur mettant en cause l’ONU et un des protagonistes armés sans engager l’autorité de l’Etat ? On voit mal Michelle Obama signer un texte équivalent sans en parler à son époux de Président, et sans qu’il soit validé par le Département d’Etat.
Mais une tribune aussi contestable, pour ne pas dire aussi lourde de non-sens sur un problème pourtant aussi grave, peut-elle avoir obtenu le « feu vert » de François Hollande, de Laurent Fabius, ou encore un avis favorable de la « cellule Afrique » de l’Elysée ? Que la réponse soit positive ou négative, la conclusion est la même : nous ne sommes pas dans le cadre de la « présidence normale » et de la bonne gouvernance qui ont été promises.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Jean-François Dupaquier a publié « L’Agenda du génocide». Ed. Karthala, Paris, 2010 - 29 euros.
12:11 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (4)