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29 avril 2013

RDC : La brigade d'intervention sera-t-elle efficace ?

3.000 casques bleus doivent arriver prochainement dans l'Est de la République démocratique du Congo pour "neutraliser les groupes armés". Une brigade d'intervention spéciale de l'ONU dont Kinshasa attend beaucoup et dont les experts doutent de sa réelle efficacité.

Bemba soldats filtre DSC03976.jpgLa mise en place de la brigade spéciale d'intervention dans l'Est de la République démocratique du Congo serait "imminente", selon l'ONU. Sur les 3.000 hommes attendus dans les Kivus, environ 800 seraient déjà sur place et son commandant, le tanzanien James Mwakibolwa se trouve dans la ville de Goma depuis le 23 avril dernier. L'ONU annonce l'arrivée des autres contingents, venant du Malawi et de Tanzanie, "d'ici le mois de juillet". Tout est donc prêt pour accueillir une brigade de casques bleus dotée d'un mandat "offensif" et devant "neutraliser les groupes armés opérant dans l'Est de la RDC".

Impatience à Kinshasa

Sur l'efficacité de la brigade d'intervention de l'ONU, les Congolais en attendent beaucoup. Peut-être même, un peu trop. Présenté, en toute modestie par Kinshasa, comme une "victoire diplomatique", le déploiement de ces "super casques bleus" doit tout simplement "mettre un terme à la guerre dans l'Est du pays", selon le porte-parole du gouvernement. Après avoir échoué militairement face aux rebelles du M23, Kinshasa n'a pas réussi à imposer une sortie de crise aux négociations de paix de Kampala. Faute de mieux, les autorités congolaises ont donc remis leur destin entre les mains des Nations unies. Le président Joseph Kabila, affaibli par une réélection contestée et un conflit qui lui échappe, attend donc avec une certaine impatience la mise en place de la brigade. Selon son ministre des Affaires étrangères, "le seul avenir du M23 c'est de cesser d'exister comme mouvement politico-militaire, sinon, la brigade d'intervention s'occupera de mettre fin à son existence".

Solution "à court terme"

Dans l'opposition, si on accueille avec soulagement l'arrivée de la brigade spéciale, sur son efficacité, il y a par contre quelques bémols. "C'est une solution, certes, mais à court terme", estime Juvénal Munubo Mubi, député de l'UNC. Si la brigade de l'ONU doit "inspirer la peur aux groupes armés", "la solution à long terme passe par une réforme profonde du secteur de la sécurité, c'est à dire la reconstruction de l'armée nationale", affirme ce député du mouvement de Vital Kamerhe. Et la tâche est titanesque. Mal payées, complètement désorganisées, transformées en armée fantôme, les FARDC ne sont plus que l'ombre d'elles-mêmes. Quant au chantier de la réforme de l'armée congolaise, il est toujours au point mort. On comprend donc les espoirs… et les doutes de Juvénal Munubo Mubi.

Un mandat "trop large"

Du côté des experts internationaux, le scepticisme est plus affirmé. Pour Thierry Vircoulon, le directeur pour l'Afrique centrale d'International Crisis Group (ICG), le mandat de cette brigade est "beaucoup trop large". "Le mandat de l'ONU prévoit que cette brigade s'occupe de tous les groupes armés", explique le chercheur, "ce qui ne sera pas possible vu leur grand nombre". "De plus, dans les résolutions de l'ONU, on fait des différents groupes armés, un seul groupe homogène, ce qui n'est pas le cas", note Thierry Vircoulon. Selon lui, l'ONU va devoir "séquencer ses actions". Et de poser cette question : "quelle sera la première cible de la brigade ?". Le chercheur croit savoir que la brigade spéciale pourrait d'abord cibler les rebelles rwandais des FDLR, avant de s'en prendre au M23, "peut-être pour contenter le Rwanda", souligne-t-il. Mais on peut bien évidemment penser que le gouvernement congolais exercera de fortes pressions pour que la brigade s'attaque en premier au M23. Quant aux groupes Maï-Maï, on peut supposer qu'ils seront moins ciblés par la brigade spéciale.

Dommages collatéraux : les civils

Thierry Vircoulon doute également de l'efficacité sur le terrain d'une telle brigade d'intervention. "Autant cette brigade de 3.000 homme pourrait montrer son efficacité face à une autre armée constituée", souligne-t-il, "autant on imagine mal cette brigade efficace en situation de guérilla face à des groupes peu structurés, comme les Maï-Maï". Dans les résolutions de l'ONU, Thierry Vircoulon fait remarquer "qu'on fait des différents groupes armés, un seul groupe homogène, ce qui n'est malheureusement pas le cas sur le terrain". Autre risque pointé par le chercheur : le scénario trop connu de la "vrai-fausse réintégration des rebelles dans l'armée régulière". "En mettant la pression sur les groupes armés, certains risquent fort d'être tentés de  déposer les armes en demandant à être réintégrés dans l'armée, ce qui relance les éternelles questions : à quels grades ? etc…". Et de redouter que l'on entre dans un scénario que la République démocratique du Congo a déjà connu avec l'intégration ratée des rebelles du CNDP en 2009. Dernier risque soulevé par le responsable d'International Crisis Group : "les dommages collatéraux sur les populations civiles". Un ancien expert militaire, connaisseur de la situation en RDC, confirme le risque pour les Kivus de passer d'une guerre "froide" de "basse intensité" à une guerre plus "chaude" et donc plus meurtrière que le conflit actuel. "Les civils seraient les première victimes de la reprise des combats, qui seraient plus violents", conclut selon cet expert.

Vers une guerre régionale ?

Le M23 a bien jaugé la situation et présente l'arrivée de la brigade d'intervention comme "une déclaration de guerre de l'ONU". Sur le site du M23, congodrcnews.com, on parle de "choix du sang" des nations unies pour condamner l'envoi de la brigade dans les Kivus. Les rebelles se sont alors lancés dans une vaste opération de lobbying à destination de la Tanzanie et de la l'Afrique du Sud, grands pourvoyeurs de troupes de la fameuse brigade. "Les militaires de l’armée de la République Sud-Africaine vont-ils ainsi se faire tuer, et tuer, dans les forêts et les collines volcaniques du Kivu ?" demande le M23. A la Tanzanie, les rebelles demandent de "se retirer de la résolution de la Communauté de développement de l’Afrique Australe (SADC)". Objectif : faire culpabiliser ses "frères africains". Et le M23 de prévenir : "nous sommes convaincus que la confrontation militaire risque de provoquer une guerre régionale" et d'entraîner "dans une guerre inutile, l'Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie". Voilà pour l'opération de "déstabilisation diplomatique". Sur le terrain militaire, le M23 affirme ne pas craindre la brigade de l'ONU. Les rebelles connaissent parfaitement la région et si la brigade peut  empêcher le M23 de reprendre Goma, elle aura bien du mal à les "anéantir", comme le pense Kinshasa.

Dernier élément. Si l'attention se focalise sur les seuls M23, une vingtaine d'autres groupes armés sévissent à l'Est de la RDC. Ils fonctionnent par petits groupes très mobiles et il sera très difficile d'en venir à bout avec les seuls 3.000 hommes de la brigade. La solution est donc politique et se trouve en partie à Kinshasa, qui doit changer de mode de gouvernance pour enfin asseoir son autorité, et à Kigali, qui est accusé de soutenir les rebelles du M23 et qui est encore en mesure de siffler la fin du match dans les Kivus.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Groupe armé en RDC © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

26 avril 2013

RDC : La "jungle minière" de Walikale

"Le pillage des ressources minières bat son plein" dans le territoire de Walikale, dénonce le BEDEWA. Selon cette ONG congolaise, les trafics de minerais alimentent non seulement la guerre à l'Est du Congo, mais "pourrissent" également l'Etat central. BEDEWA demande aux autorités congolaises de "cesser de distribuer les concessions minières avec complaisance".

Image 1.pngLa "malédiction des matières premières" continue de frapper à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Riche en minerais divers (or, coltan, cassitérite, lithium), le territoire de Walikale est en train de devenir une véritable "jungle minière" selon une ONG congolaise. Le Bureau d’Etudes, d’observation et de coordination pour le Développement du territoire de Walikale (BEDEWA) tire la sonnette d'alarme sur l'exploitation illicite et sans limite des ressources minières de la région. D'après Prince Kihangi Kyamwami, secrétaire général de l'ONG, "les corrupteurs, les corrompus et les fraudeurs tirent d’énormes bénéfices, sans aucune contrepartie pour les communautés locales affectées". Il dénonce également "des taxes légales et illégales perçues" dont la destination des recettes "reste inconnue".

Corruption

Au rang des accusés, BEDEWA place les autorités de Kinshasa qui attribuent "abusivement les titres miniers". L'ONG explique qu'aujourd'hui, "les trois quarts du territoire sont actuellement couverts de titres miniers". Conséquence : la possible "délocalisation des populations pour le besoin de l’exploitation". Les recettes de ces trafics alimentent surtout les nombreux groupes armés qui pullulent dans la région : FDLR, Maï-Maï, mais aussi officiers de l 'armée régulière (FARDC). En 2011, un député britannique avait estimé le manque à gagner du commerce illégal de minerais pour l'Etat congolais à... 4,2 milliards d'euros ! C'est donc un vaste système de corruption qui s'est mis en place progressivement dans les zones minières... au profit des militaires, groupes armés, mais aussi des multinationales, des hommes politiques et des pays frontaliers comme le Rwanda ou l'Ouganda.

Certification

BEDEWA dénonce également le "trafic de certification" entre les différents sites d'exploitation en RDC. Prince Kihangi Kyamwami explique que "les minerais sont extraits dans les sites non encore validés du territoire de Walikale pour être présentés sur le marché comme ayant l’origine des sites validés des territoires voisins". Un tour de passe-passe qui explique, toujours selon l'ONG, le manque d'empressement des autorités à valider certains sites. Et de préciser que tout cela profite aux sites qui sont déjà validés, sauf bien sûr... à Walikale.

Frustrations

Dans le territoire de Walikale, les frustrations s'accumulent. Prince Kihangi Kyamwami note "qu'il pourrait arriver un temps où, si les choses ne changent pas, les communautés locales de Walikale exigeront la fin de l’exploitation minière et empêcheront à tout détenteur d’un quelconque titre minier d’entreprendre des activités quelles qu’elles soient". En d'autres termes : le BEDEWA prévient que des conflits pourraient éclater entre les populations locales, "spoliées" par l'exploitation illicite des minerais, et les différents acteurs du trafic. L'ONG préconise plusieurs recommandations aux autorités congolaises pour "assainir" le commerce des minerais à Walikale. BEDEWA demande de "cesser de distribuer les concessions minières avec complaisance", "de suspendre les activités irrégulières d’exploitation du diamant et de l’or sur la rivière Osso", "d'interdire la présence de militaires sur les sites miniers" et de "soutenir les instruments de traçabilité et de transparence des minerais".

En 2010, la loi américaine Dodd Franck avait déjà permis d'améliorer la transparence de la chaîne d'approvisionnement des minerais dans le monde. BEDEWA estime qu'en assainissant l'exploitation minière à Walikale, cela permettrait aux différents sites de la région d'être "qualifiés et validés". Une certification qui autoriserait enfin les populations locales à profiter des richesses de leur sous-sol. Une question reste pourtant sans réponse : les autorités congolaises en ont-elles les moyens et surtout... la volonté ? Pour l'instant l'état de délabrement de l'armée régulière et de la police ne permet pas au gouvernement congolais de garantir son autorité sur l'intégralité du territoire. La zone de Walikale n'échappe pas à la règle. La région est en instabilité permanente et en proie aux groupes armés depuis bientôt... 20 ans.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : groupe armé à l'Est de la RDC © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

21 avril 2013

Katanga (RDC) : Quand l'Etat perd le contrôle

L’attaque de Lubumbashi par les rebelles sécessionnistes Bakata Katanga en mars dernier, souligne l’incapacité de l’Etat congolais à assurer son autorité dans certaines provinces. Selon Marc-André Lagrange, d’International Crisis Group (ICG), cet incident pointe non seulement la faillite de l’Etat, mais aussi les différentes réformes manquées par le président Kabila depuis 2006, et notamment celle de la décentralisation.

filtre Katanga DSC02227.jpgLa guerre du Nord-Kivu qui oppose depuis le mois d'avril 2012, les rebelles du M23 au gouvernement congolais a éclipsé de nombreuses autres zones d'instabilités en République démocratique du Congo. Parmi elles, la riche province minière du Katanga. Le 23 mars dernier, la capitale provinciale, Lubumbashi, est investie par 400 rebelles Maï-Maï "Bakata Katanga", un groupe armé revendiquant l'indépendance du Katanga. Les autorités congolaises paraissent rapidement débordées par les événements et laissent entrer sans résistance les rebelles dans Lubumbashi. Après plusieurs heures de panique, les Nations unies réussissent finalement à négocier la reddition du groupe, qui est rapidement transféré vers Kinshasa. Bilan des affrontements : 35 morts et 53 blessés.  Un général et un chef de la police ont été suspendus pour "manquement graves dans l'exercice de ses fonctions". Fin de l'épisode.

"Un déficit abyssal de sécurité"

Dans une analyse publiée par l'International Crisis Group (ICG), Marc-André Lagrange, revient sur les événements de Lubumbashi, qui sont révélateurs "de l’effondrement de la capacité du régime congolais à gouverner". Pour ce spécialiste de la région, l'autorité de l'Etat congolais "se réduit comme peau de chagrin". De nombreux groupes armés défient désormais Kinshasa dans différentes provinces. Au Nord-Kivu, ce sont les rebelles du M23 qui font la loi. Ils ont même occupé la ville de Goma pendant plusieurs jours, fin 2012. En Province orientale, ce sont les Maï-Maï Morgan qui sévissent, alors qu'au Sud-Kivu, le Front de résistance patriotique en Ituri (FRPI) et les Maï-Maï Yakutumba ont repris du service. D'autres groupes, comme les Raïa Mutomboki au Nord et Sud Kivu et les Maï-Maï de Gédéon au Katanga, règnent désormais en maître dans certains territoires. Le chercheur pointe évidemment le "déficit abyssal de sécurité" de la RDC, mais pour Marc-André Lagrange, "s’il n’est pas surprenant que le gouvernement néglige la sécurité de ses populations, il est plus surprenant qu’il ne sécurise pas le poumon économique du pays". La province du Katanga est effectivement la plus riche du pays, notamment grâce au cuivre dont regorge son sous-sol.

Les "gagnants" et les "perdants" de la décentralisation

Pour justifier les revendications sécessionnistes des Maï-Maï Bakata Katanga, Marc-André Lagrange, avance une autre explication que la simple "tradition" indépendantiste de la province . Il s'agit d'une "réforme clé" du mandat du président Joseph Kabila, qu'il n'a jamais fait aboutir : la décentralisation. La réforme prévoit la division du pays en 24 provinces (contre 11 actuellement) et un partage des revenus fiscaux entre l’Etat (60%) et les provinces (40%). Le Katanga est choisi comme "province test", début 2013, pour lancer la réforme de la décentralisation. Le Katanga serait alors découpé en quatre "sous-provinces". Selon le chercheur d'ICG, il y aurait les "perdants" de la réforme (le Nord de la province) et les "gagnants" (le Sud où est concentrée l'activité minière). Pour Marc-André Lagrange, "l’attaque de Lubumbashi par des Maï-Maï favorables à l’indépendance du Katanga n’est certainement pas une coïncidence". Selon lui,  "ces combattants ne sont souvent que le bras armé des politiciens locaux pour faire pression sur le gouvernement central".

Après les Kivus, Kabila lâché par les Katangais

L'autre victime collatérale de l'attaque de Lubumbashi, s'appelle Joseph Kabila. International Crisis Group rappelle "qu'après avoir perdu ses soutiens dans les Kivus en 2011 suite à l’intégration du Conseil national pour la défense du peuple (CNDP) dans l’armée", le président congolais "s’est aliéné une partie de l’élite politique" katangaise en annonçant la décentralisation dans la province. ICG explique que "le clan des Katangais", proche du président Kabila "s'entredéchire" désormais. Après la mort de son principal conseiller et mentor, le katangais Katumba Mwanke, en février 2012, Joseph Kabila serait désormais lâché par "les fédéralistes", comme Jean-Claude Mayembo, le président de la Solidarité congolaise pour la démocratie (SCODE) ou Gabriel Kyungu wa Kumwanza, le turbulent président de l’Union nationale des fédéralistes du Congo (UNAFEC). Toujours selon ICG, même Daniel Ngoy Mulunda, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui, "d’après certains, aurait joué un rôle clé dans la victoire de Kabila, aurait publiquement accusé" Joseph Kabila "d’ingratitude devant l’assemblée provinciale du Katanga".

"Un pouvoir dépendant de soutiens extérieurs"

Que reste-t-il au président Joseph Kabila pour asseoir son autorité en RDC ? Visiblement plus grand chose à en croire l'analyste Marc-André Lagrange. L'Etat central n'existe plus et les provinces, de plus en plus "indépendantes", gèrent les problèmes sécuritaires avec des partenaires extérieurs. Dans l'affaire des Maï-Maï Bakata Katanga de Lubumbashi, c'est en effet le gouverneur du Katanga et la mission des Nations unies au Congo (Monusco) qui ont obtenu leur reddition. "Une fois de plus, les Nations unies et le pouvoir local ont dû se substituer à un gouvernement absent", souligne Marc-André Lagrange. Dans l'autre dossier "chaud" congolais, celui du Nord-Kivu et des rebelles du M23, là encore, le président Kabila s'en remet à "des acteurs extérieurs" pour gérer la crise. Les autorités congolaises attendent en effet leur salut de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et de l'arrivée de la brigade spéciale d'intervention de l'ONU, pour lutter contre les groupes rebelles. Après "sept ans de régime kabiliste", ICG note que "les capacités de gouvernance institutionnelle sont toujours très faibles" et que le pouvoir est "complètement dépendant de soutiens extérieurs" et d'un système de gouvernance par substitution".

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Lubumbashi - Katanga © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

14 avril 2013

RDC : "Complots" à répétition contre Joseph Kabila

Depuis février dernier, trois complots  visant à tuer le président congolais Joseph Kabila auraient été déjoués à Kinshasa et en Afrique du Sud. Mais pour l’opposition congolaise, ces « complots »  seraient fabriqués de toute pièce par les autorités congolaises, afin de « discréditer l’opposition politique ». Vrais complots ou fausses menaces ? 

DSCN2667.JPGLes complots contre Joseph Kabila se multiplient en République démocratique du Congo. C’est en tout cas le message que souhaite faire passer Kinshasa depuis quelques mois en divulguant différents projets de complot contre le chef de l’Etat. Pourtant, La dernière tentative « d’attentat » déjouée par la police congolaise jette le trouble sur la réalité de ces complots à répétition. Selon l’opposition, ces projets d’élimination de Joseph Kabila seraient « fabriqués » et « instrumentalisés » par Kinshasa dans le but « d’anéantir l’opposition politique » et de « traquer les opposants ». Il faut dire que la dernière arrestation de « comploteurs », jeudi 11 avril, a de quoi étonner.

Treize personnes suspectées de vouloir éliminer  Joseph Kabila et son Premier ministre Matata Ponyo ont été arrêtées et présentées au ministre de l’Intérieur. Le groupe, qui se nommerait « Imperium » comptait, selon la police, attaquer le convoi présidentiel. Les preuves exposées par la police devant la presse sont assez minces : une machette, des bouteilles vides et de boissons gazeuses, quelques téléphones portables et « dans une cachette », un plan d’attaque du convoi et un autre… de la ville de Kinshasa.

La police révèle également que parmi les suspects se trouvait le journaliste Verdict Mituntwa, attaché de presse de l’opposant Diomi Ndongala. Selon les dires du journaliste, le groupe « Imperium » serait organisé et financé par l’ex-député, déjà incarcéré par la police, il y a quelques jours pour une affaire de mœurs. Ce qui fait dire à ses proches, que cette histoire de complot ne servirait qu’à « masquer » son interpellation « douteuse » du 8 avril dernier. Les membres du parti de Ndongala dénoncent en effet un « acharnement judiciaire » et une arrestation « sans mandat » visant à éliminer un opposant politique proche d’Etienne Tshisekedi. La théorie du complot avancée par les autorités congolaises ressemble donc, pour ces opposants au régime Kabila, à un règlement de compte politique.

Pourtant deux autres complots anti-Kabila ont récemment été brandis par Kinshasa. Début février 2012, c’est en Afrique du Sud, qu’était arrêtés vingt Congolais pour « tentative de coup d’Etat ». Les « putschistes »  ont été interpelés alors qu’ils maniaient des armes « sous couvert d’une formation de gardes spécialisés dans la lutte contre le braconnage », précisait la presse sud-africaine. Le Congolais à la tête du groupe n’est pas un inconnu : il se nomme Etienne Kabila et prétend être l’un des fils de Laurent Désiré Kabila, le père de l’actuel président, Joseph Kabila. Là encore, certains opposants  soupçonnent Kinshasa d’avoir « monté » cette affaire avec la complicité de l’Afrique du Sud, dont le soutien au régime du président Kabila est très appuyé. L’Afrique du Sud devrait en effet fournir le gros des troupes de la brigade d’intervention rapide dans l’Est de la RDC pour venir en aide à l’armée congolaise, en proie aux rebelles du M23.

Le 22 mars dernier, un nouveau complot déjoué est annoncé par les autorités congolaises. Deux personnes sont arrêtées dans la capitale et des armes sont saisies dans un hôtel. Le  ministre de l’intérieur affirme que l’un des prévenus (un belge originaire du Congo) avait tenu plusieurs réunions en Europe afin de « renverser les institutions de la République en procédant à l'élimination physique du chef de l'Etat". Les deux suspects ont été déférés devant la justice pour « espionnage, complot contre la vie du chef de l'Etat, participation à un mouvement insurrectionnel et détention d'armes de guerre ».

Autant de complots en aussi peu de temps posent un certain nombre de questions. Joseph Kabila est-il en danger ? Sont-elles crédibles ? Et surtout : pourquoi médiatiser autant des opérations qui se règlent, le plus souvent, en tout discrétion, hors du champ des caméras et des micros ? Car ce qui trouble le plus, c’est la mise en scène orchestrée par Kinshasa, pour rendre public ces affaires.

Dans un pays en proie aux guerres à répétition depuis plus de 20 ans et aux assassinats politiques en tout genre… les complots contre le chef de l’Etat sont plus que plausibles. Le Congo grouille d’une centaine de groupes armés et les armes circulent très facilement. Il n’est donc pas étonnant que qu’un certain nombre « d’aventuriers » croient possible de pouvoir renverser le président Joseph Kabila, avec, tout au plus, une vingtaine d’hommes. Mais depuis quelques mois, la multiplication des « complots » anti-Kabila rappelle à certains le « bon temps » du maréchal-dictateur Mobutu, toujours sous la menace d’un coup d’Etat. Le plus souvent, ces « complots » étaient pré-fabriqués par les services de renseignements. Avec deux objectifs : maintenir une pression sécuritaire maximale sur ses opposants politiques, mais surtout indiquer à ses proches qu’il serait « mal venu » de tenter un coup d’Etat de palais. Car pour les spécialistes du dossier congolais, le plus grand risque pour Joseph Kabila, n’est pas que les rebelles du M23 « marchent » jusqu’à Kinshasa, ce qui paraît peu probable vu la distance et les circonstances internationales, mais c’est qu’un putsch renverse « de l’intérieur » le régime congolais. A la question : vrais complots ou fausses menaces ? Nous serions donc tentés de répondre : faux complots… mais vrais menaces. Les personnes capables de renverser le président Kabila ne se nomment pas Diomi Ndongala, ni Etienne Kabila, mais sont certainement présentes dans l’entourage proche du président congolais… Les vrai-faux complots déjoués par Kinshasa sont donc un message qui leur est directement adressé.

Christophe RIGAUD – Afrikarabia

Photo : les « preuves du complot » du groupe « Imperium » présentées à la presse le 11 avril 2012 (c) DR

09 avril 2013

RDC : Diomi Ndongala de nouveau "enlevé" ?

Arrêté ou enlevé ? Les proches de l'opposant politique congolais affirment que Diomi Ndongala aurait été "enlevé" dans la soirée du 8 avril par une vingtaine de policiers sans mandat d'arrêt. Diomi Ndongala aurait été auditionné par le parquet de la République. C'est la deuxième fois que ce député proche d'Etienne Tshisekedi est arrêté en moins d'un an. En juin 2012, il avait déjà été détenu "au secret" pendant 4 mois avant d'être libéré à la veille du Sommet de la Francophonie de Kinshasa.

Capture d’écran 2013-04-09 à 09.39.52.pngSelon le site de la Démocratie Chrétienne (DC), le parti politique dirigé par Diomi Ndongala, l'opposant congolais aurait été "enlevé" pour la seconde fois par les services de renseignements. Les proches du député affirment que Diomi Ndongala aurait été arrêté le 8 avril au Centre Cana de Kinshasa à 22h19. Une vingtaine de policiers l'aurait amené "vers une destination inconnue", avec un agent de sécurité de la salle, sans mandat d'arrêt. Plus tard dans la nuit, l'agent de sécurité a été libéré et a affirmé que "Diomi Ndongala avait été blessé au bras" pendant son interpellation et serait détenu par les "services spéciaux". Toujours selon les proches du député, "ni son avocat, ni la Monusco (la mission de l'ONU au Congo) n'ont pu le rencontrer". Les membres de la Démocratie Chrétienne "craignent pour son intégrité physique" et accusent "le colonel Kanyama", d'être le principal responsable de cette seconde arrestation.

Ce n'est pas la première mésaventure de Diomi Ndongala avec les services de renseignements de Kinshasa. En juin 2012, il avait déjà été "enlevé", puis relâché 4 mois plus tard, à la veille de l'ouverture du Sommet de la Francophonie de Kinshasa, en octobre. Accusé de viol sur mineures, l'opposant politique avait toujours nié les faits et dénonçait une "traque politique".

Après sa "disparition" en juin 2012, ses proches affirmaient qu'il était détenu au secret, alors que les autorités congolaises l'accusaient d'être en fuite pour se soustraire à la justice. 6 mois après son premier "enlèvement", il y a donc maintenant une seconde affaire Ndongala après son arrestation d'hier. Ce mardi, dans la journée, on apprennait que Diomi Ndongala avait été auditionné par le parquet de la République concernant l'affaire de viol sur mineures.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

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05 avril 2013

RDC : Scepticisme autour de la Brigade d'intervention de l'ONU

Entre espoirs et craintes, la nouvelle force de combat des Nations unies qui doit se déployer avant le 30 avril, reçoit un accueil partagé à Kinshasa. Si les autorités congolaises attendent avec impatience l'arrivée des 3000 hommes de la brigade spéciale à l'Est du pays, certains observateurs doutent de son efficacité.

ONU filtre1.jpgC'est une première pour les Nations unies. 3000 hommes d'une Brigade d'intervention spéciale pourront bientôt mener des "opérations offensives ciblées" pour mettre fin aux groupes armés à l'Est de la République démocratique du Congo. C'est donc la première fois que des casques bleus pourront "passer à l'attaque", seuls ou en appui de l'armée régulière, pour lutter contre les différentes rébellions qui sévissent dans les Kivus. La brigade sera composée de 3 bataillons d'infanterie, d'un bataillon d'artillerie, d'une "force spéciale" et d'une compagnie de reconnaissance. Elle sera placée sous l'autorité directe du commandant de la Monusco, la mission de l'ONU en RDC.

L'ONU muscle sa mission

Jusqu’à maintenant, la principale mission de la Monusco se cantonnait à la protection des civils. Les Casques bleus n’avaient pas le droit d’ouvrir le feu, à moins d’être attaqués. Cette brigade d'un nouveau genre pourra donc utiliser la force pour "neutraliser les groupes armés". Après une décennie d'échecs à répétition en RDC, l'ONU n'avait pas d'autres choix que de "muscler" sa mission. Dernier "ratage" en date pour la Monusco : son incapacité à protéger la ville de Goma, attaquée par les rebelles du M23 en novembre dernier.

Un grand "ouf" pour Kinshasa

L'arrivée de la brigade d'intervention spéciale a donc été "vivement saluée" par le gouvernement congolais. "Il s'agit ni plus ni moins d'une grande victoire pour notre pays. (...) Nous verrons la fin de ce cycle de violences et de conflit. (...) La roue est en train de tourner, c'est irréversible",  s'enthousiasme Raymond Tshibanda, le ministre des Affaires étrangères de RDC. La joie gouvernementale n'est pas feinte. Il faut dire que depuis avril 2012 et la création de la rébellion du M23, la RDC peine à trouver la solution dans le conflit du Nord-Kivu. Avec une armée en débandade, sous-payée, sous-armée et complètement démotivée, Kinshasa s'est vu infliger de cuisantes défaites militaires par le M23. Les rebelles se sont même emparés de Goma, la capitale provinciale, pendant une dizaine de jours. Pour Kinshasa, l'annonce de la création d'une brigade d'intervention sonne donc comme un "ouf" de soulagement.

"La guerre a trop duré"

La société civile, qui représente la population, se réjouit aussi de l'arrivée de ces "supers casques bleus". "Cette guerre a trop duré et devient de plus en plus insupportable", explique Omar Kavota sur Radio Okapi. "Des milliers de déplacés doivent rentrer dans leurs milieux  d’origine et la population doit être libérée de l’administration criminelle des groupes armés", explique-t-il sur la site de la radio onusienne. Même l'opposant Vital Kamerhe (UNC) se félicite de l’envoi de cette brigade, avant de se plaindre "du retard de la réaction musclée" des Nations unies face à la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC. Mais une question est pourtant sur toutes les lèvres au Congo : la brigade d'intervention sera-t-elle efficace ? et suffira-t-elle à ramener la paix dans les Kivus ? A cette question, les réponses sont moins enthousiastes.

Militarisation des Kivus

Sur le site de Voice of America, Fidel Bafilemba d'Enough Project à Goma, est plus prudent. "Nous attendons de voir cette force, qu’elle arrive et qu’elle puisse rencontrer les attentes de la population", explique-t-il. Le chercheur redoute en fait "une militarisation accrue de l’Est du Congo". Selon lui, l'arrivée d'une brigade "offensive" de l'ONU risque d'avoir "des impacts négatifs sur la vie des gens". En fait, résume  Fidel Bafilemba, "nous sommes en train de nous poser des questions si elle saura s’y prendre". Selon certains observateurs du dossier congolais, l'arrivée de 3000 nouveaux soldats dans la région ne régleront pas "d'un coup de baguette magique" deux décennies de guerres à répétition. Des experts militaires soulignent que, certes 3000 hommes supplémentaires, pourront "protéger" Goma et ses environs des attaques du M23, mais ne pourront "éradiquer" l'ensemble des groupes armés de la région. Un vingtaine de rébellion, plus ou moins organisées, se partagent l'Est de la RDC sur une immense superficie difficilement accessible. La brigade de l'ONU risque simplement de jouer "l'effet plumeau" : disperser les groupes armés vers d'autres territoires, plus reculés et moins exposés aux attaques de l'ONU et de l'armée régulière.

L'Afrique du Sud "échaudée"

D'autres incertitudes planent sur le calendrier et la composition de la cette force. La date (très optimiste) du 30 avril a en effet été avancée par l'ONU pour l'arrivée de la brigade dans la région. Il semble peu probable que les 3000 hommes soient opérationnels aussi rapidement. Car au coeur du dispositif onusien, il y a l'Afrique du Sud, qui, avec la Tanzanie et le Malawi doivent composer l'architecture de la future brigade. Après avoir longtemps traîner des pieds pour accepter de se placer sous commandement onusien, l'Afrique du Sud fait face à une forte polémique sur sa dernière intervention en Centrafrique. L'armée sud africaine a en effet enregistré sa plus lourde perte militaire depuis 1994, avec 13 de ses soldats tués à Bangui pour sauver le président François Bozizé. L'opinion publique sud africaine a été profondément choqué par cette opération de sauvetage d'un régime contestable et les soldats sud africains, de retour de Centrafrique, sont tous traumatisés par cette guerre, dans laquelle ils ont dû tuer "des enfants soldats". La participation de l'Afrique du sud dans cette brigade, n'est donc plus une "évidence" pour Prétoria.

"Rajouter de la guerre à la guerre"

Dernier point : la position des rebelles du M23. On pouvait s'en douter, la rébellion "désapprouve le déploiement de la brigade d’intervention". Pour le M23, les Nations unis viennent de "lever l'option de la guerre" dans la région. Les rebelles ont en effet beau jeu de dénoncer le choix de l'ONU, alors que des négociations de paix étaient en cours à Kampala entre le gouvernement congolais et le M23. Kinshasa a d'ailleurs rapidement fait comprendre aux rebelles, qu'avec l'arrivée de cette brigade au Nord-Kivu, les pourparlers n'iraient pas plus loin. Dans ce contexte, on peut en effet douter de l'efficacité de cette brigade "offensive" dans l'Est de la RDC. Un responsable d'ONG nous confiait que l'arrivée de 3000 soldats sur la zone, allait avant tout "rajouter de la guerre à la guerre", "jeter de nouveau sur les routes des milliers de réfugiés", sans résoudre le problème des Kivus, qui lui, est politique.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Casque bleu à Kinshasa © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

04 avril 2013

Rwanda : L’enquête Bruguière, une imposture française

Journaliste belge, Philippe Brewaeys démonte l’une des plus extraordinaires machinations judiciaires de l’histoire de France : l’enquête biaisée menée par le juge Jean-Louis Bruguière sur l’attentat du 6 avril 1994 au Rwanda, attentat qui fut l’élément déclencheur du génocide des Tutsi.

Capture d’écran 2013-04-04 à 08.56.41.pngLe 6 avril 1994 à 20 h 23, deux missiles sont tirés contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana. L’appareil en phase d’atterrissage explose, ses occupants sont tués sur le coup. Parmi eux, les trois Français qui composent l’équipage et le président de la République du Burundi, Cyprien Ntaryamira.  Presque aussitôt, les extrémistes hutu accusent les Casques bleus belges de la Mission des Nations unies pour le Rwanda (MINUAR). Au même moment, ils dressent partout des barrages, tuent les Tutsi qui passent, assassinent les personnalités modérées du gouvernement. Dix militaires belges de la MINUAR sont abattus. Le génocide commence. En cent jours, environ un million de personnes seront exterminées : les trois-quarts des Tutsi du Rwanda et aussi des Hutu démocrates ou qui ont le malheur de présenter “la morphologie tutsi”.

Aussi longtemps qu’ils contrôleront l’épave de l’avion présidentiel, les extrémistes hutu interdiront son accès. Et après le génocide, tous les protagonistes de la tragédie auront d’autres priorités que d’enquêter sur l’attentat. Tous ? Corrigeons : le mercenaire français Paul Barril, capitaine de gendarmerie en disponibilité, a été missionné par Agathe Habyarimana - la veuve du président rwandais -  pour incriminer le Front patriotique rwandais dans l’attentat. Dès le mois de juillet 1994, Barril tente de déposer une première plainte en son nom et se répand dans les médias. Le quotidien Le Monde publie ses élucubrations. La plainte n’est pas considérée comme recevable.

Quatre ans plus tard, Barril est à la peine. Dans Le Figaro, le journaliste Patrick de Saint-Exupéry a produit une série de révélations sur l’implication de l’Etat français dans le génocide. Les parlementaires s’apprêtent à créer une mission d’information qui, inévitablement, convoquera le mercenaire. Astucieusement, Barril pousse Sylvie Minaberry, la fille du copilote du Falcon du président Habyarimana à porter plainte. Cette fois, un juge d’instruction est nommé : Jean-Louis Bruguière. Les parlementaires français n’ont pas le droit d’interférer dans le cours d’une procédure judiciaire : ils n’oseront pas interroger Paul Barril et se garderont de conclure sur l’identité des auteurs de l’attentat du 6 avril 1994.

Le responsable de cet attentat ? Le juge Jean-Louis Bruguière en est vite convaincu par Paul Baril et ses amis :  c’est le Front patriotique rwandais et son chef militaire, Paul Kagame. En 2006, le juge français lance une série de mandats d’arrêt. Peu importe si l’une des personnes visées n’existe pas… Le Rwanda rompt ses relations diplomatiques avec la France.

Dans « Rwanda 1994. Noirs et Blancs menteurs » , le journaliste d’investigation Philippe Brewaeys démêle les fils de cette instruction biaisée, manipulée, qui visait à accuser Paul Kagame d’avoir délibérément voulu le génocide pour reprendre la guerre au Rwanda... et la gagner contre une armée mieux équipée et deux fois plus nombreuse. La vraisemblance et la mesure n’embarrassaient pas le juge Bruguière qui instruit ici “à la hussarde” avec des policiers orientés, des témoins manipulés, des journalistes et des universitaires stipendiés par certains services de renseignement, un “interprète assermenté” lui-même ancien espion d’Habyarimana et qui a des liens familiaux avec sa veuve, Agathe. Autant de « Noirs et blancs menteurs », un clin d’œil à l’ouvrage polémique de Pierre Péan qui faisait l’éloge de l’enquête Bruguière, « Noires fureurs, blancs menteurs ».

Philippe Brewaeys a eu accès à des milliers de documents judiciaires, à des dizaines d’interviews et des centaines de coupures de presse. Ce journaliste méticuleux et pragmatique démonte une enquête délirante. Ne dévoilons pas cet ouvrage qu’il faut lire par le menu : achetez-le. Sans aller au delà de ce que témoins et documents expliquent, Philippe Brewaeys permet de deviner que l’implication de l’Etat français dans le génocide des Tutsi a pour significatif reflet la manipulation de l’enquête Bruguière, pour continuer à dissimuler l’inavouable. On devine ainsi l’agitation dans l’ombre de personnages qui tirent les ficelles de Barril et qu’au XVIIIe siècle on appelait des “roués”. Des admirateurs de Talleyrand qui mériteraient le jugement que Napoléon Bonaparte portait sur ce dernier : “De la merde dans un bas de soie”.

Bien des vices rédhibitoires de l’instruction Bruguière ont été relevés ces dernières années. L’expertise balistique de l’attentat, décidée par les successeurs de Bruguière, les juges Nathalie Poux et Marc Trévidic, a démontré  que les tireurs des missiles se trouvaient dans le camp militaire Kanombe, tenu par les extrémistes hutu, ou à sa proximité immédiate. La thèse négationniste accusant Paul Kagame et transformant les victimes en bourreaux a volé en éclats. Mais Philippe Brewaeys apporte beaucoup plus. Ayant eu accès aux archives judiciaires belges et à des témoins que le juge Bruguière s’était bien gardé d’interroger, il démontre mieux que personne à quel point le juge français a failli, sans qu’on sache la part de bêtise ou d’arrogance à l’origine de ce naufrage.

Autre grande qualité de son livre à la démonstration impeccable : il est court (160 pages), clair, très accessible. Inutile d’être un « spécialiste du Rwanda » pour comprendre toute l’affaire. Il faut aussi préciser que l’enquête de Philippe Brewaeys a été menée conjointement avec sa consoeur Catherine Lorsignol, de la télévision francophone belge (RTBF) qui diffusera un documentaire sur le même sujet, “Rwanda. Une intoxication française” sur Canal+ le 8 avril à 22 h 40 dans Spécial investigation, diffusé ensuite sur la RTBF le 10 avril à 20 h 15 dans Devoir d’enquête.

Jean-François DUPAQUIER

Philippe Brewaeys, Rwanda 1994. Noirs et Blancs menteurs (avec RTBF), Ed. Racine, Bruxelles. 19,95 €.

Voir aussi le dossier que le magazine Jeune Afrique consacre à cette affaire, édition internationale n° 2725 du 31 mars au 6 avril 2013. 3,50 €.

09:01 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)

02 avril 2013

Rwanda : Un agent de la DGSE raconte sa mission durant le génocide

Officier des Services secrets français, Thierry Jouan avait infiltré l’ONG Médecins du Monde pour informer jour après jour sa hiérarchie de la perpétration du génocide des Tutsi. Il initia l’opération d’exfiltration menée dans la grande ville de Butare par les militaires français de Turquoise.

Capture d’écran 2013-04-02 à 21.11.53.pngC’est le témoignage qu’on n’espérait pas : la confession de la “sonnette” de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) - l’équivalent français de la CIA - pendant le génocide des Tutsi entre avril et juillet 1994 au Rwanda. Thierry Jouan - qui a quitté l’armée en 2006 avec le grade de colonel - a été durant treize ans un des agents du mystérieux “Service action” de la DGSE. Cet officier pesait lourd au sein des services secrets et avait son franc-parler. S’il finit par quitter la caserne du boulevard Mortier à Paris (siège de la DGSE familièrement appelée “La Piscine”), ce fut surtout parce qu’on lui refusait le commandement du camp de Cercottes, dans le Loiret, où sont formés les agents “Action” et les commandos du 11e Choc. Une promotion qu’il estimait méritée. Au vu des états de service de cet officier parachutiste bardé de médailles et citations, on peut comprendre son point de vue. Au moins l’inconséquence ou l’ingratitude de sa hiérarchie nous vaut-elle cette confession d’une plongée dans le génocide des Tutsi et le massacre des Hutu démocrates en 1994 au Rwanda.

Avant de se lancer, Thierry Jouan a attentivement lu les livres de témoignages précédant le sien, et compris qu’il pouvait beaucoup dire. Mais avec une prudence qui confine à la naïveté, il croit éviter d’énerver son ancienne hiérarchie en changeant les noms de pays, de villes, de “races”, d’intelocuteurs. Ainsi le Rwanda devient la “Zuwanie”, le Burundi le “Boulanga”, la Tanzanie est transformée en  “Manzabie”. Il appelle Kigali “Matobo”, la catégorie hutu les “piwa”, celle des Tutsi les “ara”, etc. De ce fait, les pages 178 à 238 de son livre sont un peu une “prise de tête” pour qui veut comprendre le fil de sa mission. Heureusement, de temps en temps l’auteur s’oublie et, par exemple, la ville de Gisenyi devient... Gisenyi. Finalement,  un décryptage à la portée de toute personne qui connaît tant soit peu l’histoire et la géographie du Rwanda.

Thierry Jouan est envoyé au Rwanda par le Service action fin avril ou début mai 1994. On croit comprendre qu’à cette date un des responsables nationaux de MDM  est un “honorable correspondant” de la DGSE qui impose son recrutement  au  responsable de la base logistique de médecins du Monde à Nairobi (Kenya). Facile de faire passer l’espion pour un logisticien de son ONG (un scénario très fréquent). L’espion français a une double mission : vérifier les rapports de situation d’un précédent agent qui a quitté le Rwanda, et s’assurer que la machine à crypter les messages diplomatiques de l’ambassade de France de Kigali a bien été sabotée lors de sa fermeture. Un souci qui en dit long sur le degré de confiance de la DGSE envers les militaires français de l’opération Amaryllis (d’exfiltration des diplomates et expatriés au début du génocide) dirigée par le colonel Poncet.

Thierry Jouan ne dit rien des informations de la précédente “sonnette” qu’il était si important de vérifier. Mais on sait que la DGSE a toujours soutenu que l’avion du président Habyarimana avait été abattu par les extrémistes hutu, à la différence de la Direction du renseignement militaire (DRM), dont l’un des agents était l’époustouflant capitaine Paul Barril. Il n’est donc pas impossible que la mission au Rwanda de Thierry Jouan fut également motivée par les différences d’analyse entre la DGSE et la DRM. divergences sur lesquelles, croit-on savoir, la DGSE avait été sommée de s’expliquer par l’Elysée.

On est impressionné par l’aptitude du lieutenant Thierry Jouan à  comprendre la situation alors qu’il ne connaissait rien du Rwanda. Le génocide, il a le nez dessus avec sa “couverture” d’humanitaire. Il voit les Tutsi se faire tuer “grâce aux cartes d’identité instaurées à l’époque coloniale mentionnant l’appartenance ethnique”. La “colère populaire spontanée”, thème récurrent des négationnistes, il n’y  croit pas, bien au contraire : “La simultanéité, la violence et l’ampleur des massacres attestent de leur planification de longue date” (page 187). Il discerne la structure criminelle : “Généralement les autorités locales, parfois sous la pression de hiérarchies parallèles,  prétextent la mise en sécurité des Aras [Tutsi] pour les regrouper dans des lieux publics comme les stades, les bâtiments communaux, les écoles et les églises. Ensuite, des groupes de miliciens achèvent les personnes, parfois précédés par les F.A.Z [FAR] qui commencent le “travail” avec des armements adaptés, des grenades, notamment” (page 188).

A la lecture de cette autobiographie où le génocide n’occupe qu’une place presque modeste, on comprend vite que Thierry Jouan est un écorché vif, et que la descente en enfer au Rwanda de 1994 n’améliora pas son équilibre psychologique. Alors qu’il campe depuis près d’un mois et demi à côté de l’Ecole française de Kigali , sa “couverture” d’humanitaire commence à l’obnubiler. Sa mission d’espion  qui devrait le carapaçonner d’indifférence aux malheurs du temps et des hommes craque de toutes parts. Le voici à Butare, installé dans la Maison du Loiret, aux prises avec Soeur Bernadette, une religieuse têtue qui veut à tout prix exfiltrer ses cinq cents orphelins. C’est le temps de l’Opération Turquoise et l’une des scènes les plus insolites du livre : Thierry Jouan accompagne la soeur vers Cyangugu à la rencontre des militaires français. Les voilà enfin devant le colonel Didier Tauzin, alias Thibault, qui commande le détachement du 1er RPIMa. Thierry Jouan, dont le grade est à peine inférieur, lui fait sous couvert du logisticien de Médecins du Monde un point de situation militaire. Le colonel de la « Coloniale » ne se doute et ne doute de rien. Avec son arrogance habituelle, Tauzin le “renvoie aux pelotes” : “Laissez tomber tout ça, jeune homme. J’ai déjà tous ces renseignements, bien sûr, et de toute façon, j’ai des ordres”.

Pas découragé, l’espion de la DGSE alerte sa hiérarchie, qui l’appuie à Paris. L’Etat-major finit par ordonner à Tauzin d’aller exfiltrer les orphelins de Butare et d’autres personnes. Vu sous ce nouvel angle, le récit de cet épisode livré par Didier Tauzin dans son livre “Je demande justice pour la France et ses soldats” (Ed. Jacob-Duvernet), ne manque pas d’effets comiques involontaires.

“Une vie dans l’ombre” est le livre touchant et vrai d’un homme déchiré par le caractère absurde de ses missions, qui espère trouver ici une forme de rédemption. Qu’il en soit remercié et encouragé.

Jean-François DUPAQUIER

Colonel Thierry Jouan, Une vie dans l'ombre, éditions du Rocher, 317 pages, 18,90€.

DROIT DE REPONSE. A la suite de la publication de cet article, Thierry Jouan nous a adressé cette mise au point que nous reproduisons dans son intégralité :

« Votre article paru sur le blog AFRIKARABIA le 2 avril 2013 intitulé « Rwanda : un agent de la DGSE raconte sa mission durant le génocide », contient de très nombreuses inexactitudes s’agissant de mon expérience militaire et de mon ouvrage « Une vie dans l’Ombre » :

Tout d’abord, il est indiqué à plusieurs reprises que j’aurai infiltré l’ONG MEDECINS DU MONDE, notamment via un de ses responsables à qui aurait été imposé mon recrutement, ce qui est absolument faux.

L’auteur de l’article insinue par ailleurs que mon témoignage serait le fruit d’une rancœur issue de l’ « inconséquence ou de l’ingratitude de [ma] hiérarchie », laquelle m’aurait refusé une promotion. Ici encore, il ne s’agit que d’une interprétation personnelle, erronée, et qui ne saurait être déduite de mon récit.

De la même manière, est présenté comme acquis le fait que j’aurai modifié les noms de pays, villes, personnes et autres groupes de population aux fins d’« éviter d’énerver [mon] ancienne hiérarchie », alors qu’il ne s’agit que de l’opinion de l’auteur de l’article, de surcroit fausse puisque mon intention était de respecter un degré suffisant de confidentialité et de protéger mes proches.

En outre, l’insertion selon laquelle ma première mission aurait consisté à vérifier les rapports de situation d’un précédent agent est encore inexacte.

Enfin, je m’inscris catégoriquement en faux de la conclusion dudit article me présentant comme « un homme déchiré par le caractère absurde de ses missions ». Si j’ai effectivement été atteint, c’est par le caractère « absurde » de la guerre, et non de mes missions, et c’est de l’horreur telle que j’ai pu la constater dont j’ai souhaité témoigner dans ce livre ».

21:25 Publié dans Afrique, Rwanda | Lien permanent | Commentaires (0)