17 octobre 2012
Affaire Chebeya : la piste Kabila
Un policier congolais, témoin de l'assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, a affirmé sur Radio France Internationale (RFI), que le meurtre aurait été commandité par le président congolais Joseph Kabila lui-même. Une accusation qui relance l'affaire Chebeya, à moins d'une semaine de la reprise du procès.Revoilà Paul Mwilambwe. Témoin clé dans l'affaire de l'assassinat du célèbre militant des droits de l'homme, Floribert Chebeya et de son chauffeur, Fidèle Bazana, Mwilambwe précise ses accusations au micro de RFI. Ce Major de la police, ancien agent de renseignement et chargé de la sécurité des locaux où Chebeya, avait déjà témoigné dans le film du cinéaste Thierry Michel, "L'affaire Chebeya, un crime d'Etat ?". Dans ce documentaire, Mwilambwe accusait le chef de la police congolaise, John Numbi, d'avoir ordonné l'élimination de Chebeya. John Numbi fait partie du premier cercle des proches du président Joseph Kabila. Mwilambwe avait également révélé le mobile du meurtre. Selon le policier, Chebeya avait en sa possession des documents accablants pour les autorités congolaises concernant la répression des membres du Bundu Dia Kongo (BDK) en 2007 et 2008. Les policiers du Bataillon Simba seraient à l'origine des massacres dans la province du Bas-Congo. Et toujours d'après Mwilambwe, Chebeya tenait ces documents de l'ancien président de l'Assemblée nationale congolaise, Vital Kamerhe, un ancien bras droit de Kabila passé à l'opposition.
Concernant l'assassinat de Floribert Chebeya, Paul Mwilambwe affirmait que le militant des droits de l'homme avait été étouffé à l'aide d'un sac plastique et de scotch. Il déclarait avoir vu le corps de Fidèle Bazana, le chauffeur de Chebeya, qui n'a jamais été retrouvé. Au cinéaste Thierry Michel, Mwilambwbe avait même donné le lieu exact de son inhumation, dans une ferme d'un officier proche de John Numbi à Kinshasa. Quelques jours plus tard, le policier avait été enlevé par la police, de peur qu'il ne parle. Mwilambwe a réussi à s'évader et se cache actuellement dans un pays d'Afrique.
Dans la nouvelle interview, diffusée ce mercredi sur RFI, Paul Mwilambwe va plus loin et précise ses accusations. Pour le policier, il y a un donneur d'ordre derrière John Numbi et il se nomme : Joseph Kabila. Un des policiers, ayant participé au meurtre de Chebeya et Bazana, le "Major Christian" aurait affirmé à Mwilambwe : "j’ai reçu l’ordre du président de la République (Joseph Kabila, ndrl) par le canal du général Numbi". Avec la mise en accusation de Joseph Kabila, Paul Mwilambwe relance donc l'affaire Chebeya, qui deviendrait donc réellement "un crime d'Etat", si on reprend le titre du film de Thierry Michel.
En 2011, la justice congolaise a condamné à mort le colonel Mukalay, numéro 2 de la police, ainsi que les 3 policiers en fuite, jugés par contumace. Un autre policier a été condamné à la prison à perpétuité et trois autres ont été acquittés. Pour l'instant le général Numbi, suspendu de ses fonctions depuis l'affaire, n'a toujours pas été interrogé par la justice congolaise. Un "scandale" selon les parties civiles, qui le considèrent comme le suspect numéro 1. La Cour devrait rendre son avis sur le "cas Numbi" le 23 octobre lors de la reprise du procès.
Après la diffusion de l'interview de Paul Mwilambwe sur RFI, les autorités congolaises ont dénoncé "un lynchage médiatique" par un témoin qui a "fuit la justice de son pays et qui ne se confie qu'à des médias français". Selon Lambert Mende, le porte-parole du gouvernement, Mwilambwe "aurait vu quelqu’un qui aurait vu le général Numbi, qui aurait dit que le président Kabila aurait donné les ordres. Même devant un petit juge de quartier, cela ne tient pas la route".
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo : Floribert Chebeya © DR
12:40 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (10)
15 octobre 2012
RDC : Un Sommet pour rien ?
Le 14ème Sommet de la Francophonie s'est clôturé dimanche 14 octobre à Kinshasa. Sans surprise, Paris et Kinshasa ont joué leur partition : François Hollande défendant les "valeurs de la Francophonie" et les droits de l'homme et Joseph Kabila, droit dans ses bottes, et "pas du tout complexé par le niveau de démocratie" de son pays. A l'heure des bilans, que doit-on retenir du ce Sommet ?La tension était au rendez-vous samedi à Kinshasa. Poignée de main pas vraiment franche, sourires crispés, François Hollande et Joseph Kabila ont joué à fleuret moucheté par discours interposés. François Hollande avait pris soin de "déminer" le terrain quelques jours avant son arrivée en déclarant que "la situation en RDC était tout à fait inacceptable sur le plan des droits, de la démocratie et de la reconnaissance de l'opposition". A Kinshasa, les propos ont été plus "mesurés", diplomatie oblige. Mais François Hollande a gardé le cap : "tout dire" au président Kabila. En retour, le président français a eu droit à un discours très ironique de Joseph Kabila : "nous pratiquons la démocratie dans ce pays par conviction. Conviction, et non pas par contrainte". Voilà pour les paroles.
Quelles sont les leçons de ce Sommet ?
Pour Thierry Vircoulon, responsable de l'Afrique centrale d'International Crisis Group (ICG), outre la libération "surprise" de Diomi Ndongala, un opposant détenu au secret depuis 4 mois et "mystérieusement" relâché 24 heures avec le Sommet, la visite de François Hollande a été porteuse de 3 bonnes nouvelles. La première est que le président français "a brisé le consensus du silence des Occidentaux sur le régime congolais". Selon ce chercheur, François Hollande a été "clair et sans ambiguïté, contrairement à d'autres diplomaties européennes qui sont en permanence dans l'ambiguïté et soutiennent à la fois l'oppresseur et l'opprimé". Deuxième bon point pour le président français : l'accent mis sur "la nécessité du soutien à la société civile qui est fondamentale pour la démocratisation de la RDC". Et enfin, toujours d'après Thierry Vircoulon, François Hollande "a été moteur pour l'adoption de la recommandation de l'OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) concernant l'adoption de sanctions par l'ONU à l'encontre de tous ceux qui soutiennent des groupes armés dans l'Est de la RDC".
Les paris gagnés et perdus de Joseph Kabila
Le Mali mis à part (la Francophonie a soutenu le principe d'une intervention armée), les sanctions ciblées contre les responsables d’exactions, ainsi que la poursuite en justice des criminels de guerre au Nord-Kivu, ont été l'une des résolutions prises à Kinshasa. Cette décision constitue d'ailleurs la principale "victoire" de Kinshasa au Sommet.
Pour François Muamba, ancien ministre du MLC de Jean-Pierre Bemba et aujourd'hui président de son propre parti, l'ADR (Alliance pour le Développement et la République), la condamnation de l'agression à l'Est est trop timide. Le Sommet était "une opportunité, pour la RDC, d'obtenir un engagement fort de la Communauté francophone à l'aider à dégager de son sol les forces négatives". François Muamba dénonce les "résolutions polies (…) laissant seule la partie congolaise résoudre l'agression extérieure dont elle est victime". "Il est vérifié qu'aucun pays au monde ne peut trouver de salut, s'il est dans l'obligation de sous-traiter sa défense et sa sécurité" estime-t-il. Côté politique, François Muamba est plus positif. Selon lui, force est de constater que le président Kabila a gagné plusieurs paris. Pari sécuritaire et logistique, mais surtout politique Selon François Muamba, qui rappelons-le est toujours dans l'opposition, Joseph Kabila a su montrer aux caméras du monde entier, que "les affres électoraux de l'année dernière appartenaient désormais au passé". François Muamba note que le fait que "François Hollande ait pu défendre les thèses soutenues par l'opposition congolaise à Kinshasa" sans ouvrir de crise diplomatique entre la France et la RDC est "un hommage de démocrate de François Hollande rendu à Joseph Kabila".
Les droits de l'homme au coeur de la Francophonie
Depuis Paris, Gaspard-Hubert Lonsi Koko, responsable d'opposition du RDPC, est avant tout satisfait que "la démocratie et les droits fondamentaux aient occupé une place prépondérante". Favorable à la tenue du Sommet à Kinshasa, contrairement à la majorité de l'opposition qui demandait sa délocalisation, Lonsi Koko a beaucoup apprécié la position du président français sur le risque de balkanisation de la RDC. Pour François Hollande, les "frontières héritées de la colonisation sont intangibles", prenant ainsi le contre-pied de Nicolas Sarkozy qui souhaitait un "partage des richesses congolaises" avec le Rwanda. Depuis plus de 6 mois, l'Est du pays est en effet en proie à une rébellion qui menacent de prendre le contrôle du Nord-Kivu.
Même son de cloche pour Paul Nsapu, défenseur des droits de l'homme. Le secrétaire général de la FIDH (Fédération international des droits de l'homme)s'estime lui aussi satisfait de la visite du président Hollande, "les droits de l'homme ayant été au centre du déplacement présidentiel". Pour autant, Paul Nsapu reste sur sa fin concernant les promesses du gouvernement congolais. Kinshasa n'a pas donné suite à la demande de libération de prisonniers politiques et pendant le Sommet de la Francophonie, "il y a eu des violations des droits de l'homme" (des manifestants de l'UDPS ont été violemment dispersés lors de manifestations). Ce qui est positif pour Paul Nsapu, c'est que maintenant, "la communauté internationale sera plus regardante sur le procès Chebeya en cours". Depuis l'assassinat du défenseur des droits de l'homme, Floribert Chebeya en juin 2010, un proche du président Kabila, John Numbi, soupçonné d'être le principal commanditaire du meurtre, n'est toujours pas sur le banc des accusés. Le 23 octobre prochain la Cour militaire doit statuer sur son sort.
Quelles seront les retombées du Sommet ?
Pour Thierry Vircoulon d'International Crisis Group, "on peut s'attendre à deux changements". Et d'abord un changement "du discours occidental à l'égard de Kinshasa". Selon le chercheur, "le président français a été suivi par le premier ministre canadien qui a insisté sur la bonne gouvernance en RDC et a souhaité que les sommets de l'OIF se tiennent dans des démocraties". Une position commune franco-canadienne qui "tranche avec le silence assourdissant de la Belgique et de la Suisse" note Thierry Vircoulon. "Mais elle est sans doute le prélude à une libération de la parole du côté des chancelleries occidentales qui, jusqu'à présent, se contentaient de dire tout bas ce que les Congolais de la rue disent tout haut", poursuit-il. Enfin, Thierry Vircoulon entrevoit également un changement dans le domaine des aides à la RDC. Selon lui, "les bailleurs occidentaux vont sans doute réévaluer la manière dont ils "aident" la RDC et consacrer plus d'attention à la société civile".
Notons enfin, que les multiples pressions des ONG, des opposants politiques, de certains médias, qui demandaient à François Hollande, de ne pas se rendre à Kinshasa pour ne pas cautionner le régime de Joseph Kabila, ont fini par payer. Le président français a durcit ses positions dans les dernières semaines avant l'ouverture du Sommet. Une demi-victoire, en espérant que la France continue de garder un oeil sur l'avancée des droits de l'homme à Kinshasa.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo : Présidence © DR
23:25 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (9)