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15 juillet 2012

L'historien Jean-Pierre Chrétien chevalier de la Légion d’honneur

Jean-Pierre Chrétien, historien de l’Afrique des Grands Lacs, vient d’être fait chevalier de la Légion d’honneur dans la promotion du 14 juillet 2012 au titre du ministère de la Recherche.

Jean-Pierre Chrétien.jpgNé le 18 septembre 1937 à Lille, Jean-Pierre Chrétien a fait ses Études secondaires au lycée Faidherbe de Lille, puis Hypokhâgne à Lille et Khâgne à Louis-le-Grand, Paris. Titulaire d’une maîtrise d’histoire (1960) portant sur « La presse française devant la prise de pouvoir de Hitler », il est reçu 3ème à l'agrégation d'histoire en 1962.

Sa carrière d’enseignant le mène tour à tour à Rouen (lycée Fontenelle, 1962-1964), à Bujumbura (Écoles normales, 1964-1968) et à Limoges (lycée Gay-Lussac, 1968-1969),avant de retrouver sa ville natale de Lille, où il obtient un poste d’assistant, puis de maître-assistant, à l’université Lille 3 (1969-1972). Dans le cadre du service national en coopération (1964-1965) il a été nommé enseignant Burundi, d’abord à l’École normale de Bujumbura puis à École normale supérieure du Burundi (1965-1968), il y réalise ses premières enquêtes de terrain, accompagné de ses étudiants qu’il forme au recueil des sources. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, alliant son intérêt pour l’histoire contemporaine de l’Allemagne au résultat de ses collectes de sources orales, il rédige ses premiers articles sur l’histoire du Burundi, qui annoncent sa contribution plus large à l’écriture de l’histoire de l’Afrique.

Capture d’écran 2012-07-15 à 18.42.28.pngChercheur depuis 1973, puis directeur de recherche en histoire de l'Afrique au CNRS au Centre de recherches africaines (CRA), il est rattaché en 1982 au  laboratoire « Tiers-monde, Afrique », de l'Université Paris I intitulé qu’il dirige à partir de 1986, jusqu’en 2001, intitulé « Mutations africaines dans la longue durée (Mald), qui s'est ensuite fondu dans le Centre d'études des mondes africains (CEMAf). Il est l'un des fondateurs de la revue Afrique et Histoire. Durant sa carrière scientifique il a publié une vingtaine de livres et plusieurs centaines d'articles scientifiques et de vulgarisation.
 
Parmi ses ouvrages les plus importants, Rwanda, les médias du génocide (dir, avec Jean-François Dupaquier, Marcel Kabanda, Joseph Ngarambe), Ed. Karthala, 1995, revue et augmentée, 2000 ; Le défi de l'ethnisme : Rwanda et Burundi, 1990-1996, Paris, Karthala, 1997, réédition entièrement refondue, 2012 ;  L'Afrique des grands lacs - Deux Mille Ans d'histoire, éd. Aubier, 2000 ; Burundi, la fracture identitaire - Logiques de violence et certitudes "ethniques" (avec Melchior Mukuri), éd. Karthala, 2002 ; Les ethnies ont une histoire (avec Gérard Prunier), éd. Karthala, 2003 ; Burundi 1972. Au bord des génocides, Paris, Karthala, 2007, (avec J.-F. Dupaquier) ; L'Afrique de Sarkozy : un déni d'histoire (avec Jean-François Bayart, Achille Mbembe, Pierre Boilley, Ibrahima Thioub sous la dir. de Jean Pierre Chrétien) éd. Karthala, 2008 ; L’invention de l’Afrique des Grands lacs. Une histoire du XXe siècle, Paris, éd. Karthala, 2010.

Spécialiste de la région des Grands lacs qu'il a abordée initialement par le Burundi, Jean-Pierre Chrétien a été invité à  s’exprimer successivement à Bruxelles devant la Commission d’enquête  sénatoriale belge sur les événements du Rwanda (1997), à Paris face aux membres de la Mission d’information parlementaire sur les opérations militaires françaises et étrangères menées au Rwanda entre 1990 et 1994 (« Mission Quilès », 1998), et à Addis-Abeba devant le Groupe de travail de l’Organisation de l’unité africaine sur le même pays (1999). Il a été également mandaté à partir de 2001 comme témoin-expert auprès du Parquet du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à Arusha dans le « procès des médias ». Retraité, Jean-Pierre Chrétien est chercheur émérite du CNRS.

Photo : Jean-Pierre Chrétien sur le terrain en 1967 au Burundi © DR

16:58 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (2)

13 juillet 2012

RDC : Le M23 s’explique…

Depuis plus de trois mois, la rébellion du M23 tient tête à l’armée congolaise dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Les rebelles progressent actuellement vers la ville de Goma, la capitale régionale du Nord-Kivu. Dans une interview accordée à Afrikarabia, le représentant du M23 en Europe, Jean-Paul Epenge analyse les raisons du conflit et les objectifs de la rébellion. Il revient également sur le rapport de l’ONU accusant le Rwanda de soutenir la rébellion et la possible prise de Goma.

JP Epenge 2.jpgLe Nord-Kivu renoue avec ses anciens démons. Depuis le mois de mai 2012, les rebelles du M23 affrontent l’armée régulière congolaise (FARDC) dans cette province de l’Est de la République démocratique du Congo. Une douzaine de localités tombent rapidement aux mains de la rébellion, qui menace maintenant de prendre Goma, la capitale provinciale. Le M23 est constitué d’anciens combattants de la rébellion tutsie congolaise du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), intégrés dans les FARDC dans le cadre d'un accord de paix avec Kinshasa signé le 23 mars 2009. Le M23 réclame la pleine application de ces accords et a commencé à prendre le maquis en avril. Mais le conflit est plus complexe. L’étincelle qui a mis le feu au poudre a été allumée par Kinshasa, qui a décidé sous la pression de la communauté internationale, d’arrêter Bosco Ntaganda, un ex-CNDP, intégré dans l’armée régulière et nommé général depuis les accords de paix 2009. Parallèlement, le Rwanda est accusé par les Nations unies et Human Rights Watch de soutenir la rébellion dans le Kivu, ce qui sème le trouble entre les deux états voisins, jusque là alliés pour traquer les « forces négatives » dans l’Est du pays.

- Afrikarabia : Le M23 a-t-il été créé pour protéger Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale (CPI) et que Kinshasa souhaite arrêter ?

- Jean-Paul Epenge : Je vais être très direct, Bosco Ntaganda n’a rien à voir avec le M23. Le sort personnel de Bosco Ntaganda ne nous concerne pas. Bosco n’est pas avec nous, le M23. C’est Kinshasa qui utilise ce prétexte pour nous attaquer. Je vais être clair. Je n’ai jamais entendu dire le président Kabila : « je vais arrêter Ntaganda ». Et de toute façon, ce sont des choses qui ne se disent pas. Si on veut arrêter quelqu’un, on fait comme avec Thomas Lubanga, Germain Katanga ou Mathieu Ngudjolo (détenus actuellement à la CPI, ndlr)… on les arrête sans prévenir personne. Si le gouvernement avait réglé le problème de Bosco Ntaganda « normalement », comme il avait réglé les cas de Bemba ou de Lubanga, il n’y aurait pas eu toutes ces histoires. Une chose me paraît étrange : Bosco Ntaganda se trouvait à Goma, au Nord-Kivu. Si Kabila voulait arrêter Ntaganda, pourquoi attaquer Sultani Makenga (le chef du M23, ndlr) qui se trouvait dans le Sud-Kivu ? Makenga n’a rien à voir avec l’affaire Ntaganda. En fait, la création du M23, c’est un sursaut tout simplement. Nous nous sommes dit, pourquoi le gouvernement nous attaque, alors que nous avions signé un accord avec eux en mars 2009 ? Ce sont les autorités congolaises qui ont rompu l’accord. Nous avons donc décidé de réoccuper militairement nos anciennes positions, celles que nous occupions du temps du CNDP, avant l’accord. Notre but est donc simplement de renégocier avec Kinshasa.
Le M23 n’est pas une nouvelle rébellion ou un nouveau mouvement, notre objectif est tout simplement de pousser le gouvernement à appliquer cet accord du 23 mars 2009. On ne demande pas le départ de Kabila, ni un nouvel accord. Nous n’avons pas de nouvelles exigences,  nous demandons juste le respect des textes.

- Afrikarabia : Justement, que trouve-t-on dans cet accord de 2009 (1), quels sont les points qui n’ont pas été respectés ?

- Jean-Paul Epenge : Nous demandons d’abord l’éradication des FDLR et des « forces négatives » (des rebelles hutus rwandais, mais aussi des milices d’auto-défense congolaises qui sèment la terreur dans l’Est du Congo, ndlr). Chaque jour, il y a des morts, on assassine, le Kivu a été décrété « capitale du viol »… Donnez-nous les moyens de combattre les FDLR. Nous avons fait 4 mémorandums au président Kabila pour avoir plus de moyens. Nous savons où sont les FDLR. Nous n’avons jamais eu les moyens financiers, humains et matériels de pouvoir lutter contre les « forces négatives » à l’Est de la RDC. Et pendant 3 longues années, malgré ce manque de moyen, nous sommes restés fidèles aux autorités congolaises… jusqu’à cette histoire de Bosco.

- Afrikarabia : Le M23 n’est donc pas là pour protéger Bosco Ntaganda ?

- Jean-Paul Epenge : Cela n’a jamais été le but de notre mouvement. Mettons nous un instant à la place de Kinshasa. Le gouvernement n’a pas respecté les accords. Il lui faut donc trouver un prétexte. Le prétexte est le suivant : ces gens (les ex-CNDP, ndlr) sont recherchés par la Cour pénale internationale et leur chef s’appelle Bosco Ntaganda. Cette histoire a été inventée pour cacher le non respect des accords de 2009 entre le CNDP et le gouvernement congolais. Autre chose : Kinshasa n’a aucun argument pour expliquer l’échec des accords.

- Afrikarabia : Quels sont les autres points de l’accord que vous revendiquez ?

- Jean-Paul Epenge : Il y avait premièrement, l’éradication des « forces négatives ». Deuxièmement, le retour des réfugiés. Il y a au moins 200.000 réfugiés congolais dans les pays frontaliers, en Tanzanie, en Angola, au Rwanda, au Burundi… Et il n’y a que la « bonne gouvernance » du pays qui pourrait faire revenir nos frères au pays. Troisièmement, la reconnaissance des grades des militaires intégrés dans l’armée congolaise (FARDC). Si certains grades ont été reconnus, tous n’ont pas touché la solde en conséquence. Nos militaires doivent être correctement payés. Quatrièmement, nous demandons l’application de la loi de décentralisation, prévue dans la constitution. La décentralisation prévoit une certaine autonomie aux provinces, avec une compensation financière du pouvoir central. Cela n’a jamais été fait. Kinshasa n’a en fait pas l’air très concerné par tous ces problèmes, ils sont tranquilles dans leurs salons feutrés…

- Afrikarabia : Un récent rapport de l’ONU accuse le Rwanda de soutenir votre rébellion, en hommes, en armes et en logistique. De nombreuses preuves qui jettent le trouble sur le rôle que joue le Rwanda dans ce conflit. Vous niez toujours toute implication des autorités rwandaises ?

- Jean-Paul Epenge : Comment expliquer que ce rapport soit sorti, comme par hasard, quelques jours seulement avant le renouvellement du mandat de la Monusco (la mission des Nations unies en RDC, ndlr) ?

- Afrikarabia : Ce serait un prétexte pour que la Monusco reste en République démocratique du Congo ?

- Jean-Paul Epenge : Entre autre, oui.

- Afrikarabia : Revenons au rapport de l’ONU…

- Jean-Paul Epenge : Il y a beaucoup d’incohérences dans ce rapport. Il y a notamment une note des renseignements congolais de janvier 2012 sur l’aide de l’armée rwandaise à Ntaganda… en janvier 2012 ! Alors que « l’affaire » Ntaganda n’a commencé qu’en avril… étonnant ! Car il faut rappeler que jusqu’en avril 2012, Bosco était encore l’allié et le partenaire de Kinshasa depuis les accords de 2009 !

- Afrikarabia : Vous dites toujours que le Rwanda ne vous soutient pas ?

- Jean-Paul Epenge : Non, le Rwanda ne nous soutient pas. La semaine dernière, nous en avons apporté une preuve. Quand Kinshasa a voulu nous contrer et nous prendre en tenaille pour créer deux fronts : un à Bunagana et l’autre à Rutshuru, notre puissance de feu les a repoussé et ils ont pu voir qu’il n’y avait pas de Rwandais. L’armée congolaise s’est retrouvée en Ouganda, en débandade générale, sans avoir croisé de Rwandais. Kinshasa n’a donc plus d’argument : il n’y a pas de soldats rwandais chez nous. Mais pour Kinshasa, chaque tutsi et chaque rwandophone est Rwandais, alors…

- Afrikarabia : Est-ce que vous ne craignez pas que la création de votre mouvement, la reprise de la guerre à l’Est et le rapport de l’ONU sur l’aide du Rwanda, ne ravivent pas le fort sentiment anti-tutsi en RDC ?

- Jean-Paul Epenge : C’est le but de Kinshasa et c’est ce qu’il fait. En 1998, j’étais à Kinshasa, aux commandes avec Laurent-Désiré Kabila. J’ai vu dans ma propre famille un oncle qui avait, selon les Congolais, une morphologie nilotique (tutsi, ndlr) se faire assassiné. Il n’était même pas du Kivu. Je pense tout simplement que si nous avions des bons dirigeants, rassembleurs, on pourrait tous vivre dans une même république unie. Mais lorsque l’on voit les derniers communiqués de Kinshasa sur les Rwandais qu’il faut « dégager »… je pense que tout cela peut très mal finir.

- Afrikarabia : Militairement, vos soldats occupent la ville frontière de Bunagana. Vous avez fait tomber la ville de Rutshuru, avant de la remettre entre les mains de la police congolaise. Vous êtes désormais à quelques dizaines de kilomètres de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu. La prise de la ville de Goma constitue-t-elle un objectif pour le M23 ?

- Jean-Paul Epenge : Nous avons même la force d’aller jusqu’à Kinshasa ! Cela peut vous paraître étonnant. Mais je peux vous tenir ce discours parce que je sais qu’en face (l’armée congolaise, ndlr)… il n’y a rien, il y a zéro ! Kabila a formé une brigade, une unité d’élite, avec des instructeurs belges, américains, à Lokando, Kindu… Au front, le M23 les a « dégommé », ils se sont retrouvés en Ouganda, réfugiés et désarmés. La porte est donc « ouverte » pour nous. On peut aller jusqu’à Goma, Kisangani, Kinshasa… mais là n’est pas notre but. Le président Kabila doit comprendre qu’il faut signer et appliquer les accords de 2009. Alors, on épargnera beaucoup de vies humaines.

- Afrikarabia : Beaucoup de Congolais craignent une « balkanisation » du Congo et pensent que vous souhaitez faire sécession et créer un Kivu « indépendant » ?

- Jean-Paul Epenge : C’est un mythe. Ce genre de discours démontre l’impuissance de Kinshasa. Quand les médias à Kinshasa parlent de « dépecer » le Congo, de « balkaniser » le Congo… On n’a pas besoin de « balkaniser » le Congo. Ce n’est pas le but, il n’y a pas d’agenda caché, je vous le jure, il n’y en a pas. Notre but c’est l’autonomie, comme la constitution le prévoit.

- Afrikarabia : L’épreuve de force entre le M23 et Kinshasa peut-elle durer encore longtemps ?

- Jean-Paul Epenge : Nous, nous pouvons tenir. Nous sommes préparés à toutes les éventualités. Nous avons voulu la paix en 2006, puis en 2009. Notre chef Laurent Nkunda (le patron du CNDP, ndlr) a été arrêté, mais il nous a demandé de faire confiance aux accords de paix de 2009. Les accords n’ont pas été respectés. Alors cette fois, on ne doit pas nous berner une nouvelle fois.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD

(1) Le document des accords de paix du 23 mars 2009 sont à télécharcher ici.

Photo : Jean-Paul Epenge en région parisienne, juillet 2012 © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com

11 juillet 2012

RDC : Les aveux de la CENI

Entre auto-satisfaction et constat d'échec, le rapport de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) présenté au parlement a suscité l'ire des députés congolais. La CENI reconnait une dérive des coûts, une dette de 75 millions de dollars et la conduite du processus électoral "dans l'urgence". Pas un mot sur les fraudes et les violences. Les députés ont exigé la révision de la loi électorale, la suspension des prochains scrutins et un audit des comptes de la CENI.

Logo CENI.pngLe feuilleton électoral n'est pas prêt de s'achever en République démocratique du Congo (RDC). Après la présentation du rapport annuel de la Commission électorale (CENI) devant les députés, le parlement a adopté une série de recommandations, dont la révision de la loi électorale, l'audit des comptes et le gel du calendrier jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi. Déjà prévues cet hiver, les élections provinciales avaient été décalées en janvier 2013. Autant dire que la suspension du calendrier proposée par les député reporte ces scrutins... aux calendes grecques.

A l'origine de cette levée de bouclier des députés, le rapport de la CENI, présenté à l'Assemblée par son président, Daniel Ngoy Mulunda. Si le document élude consciencieusement les fraudes massives et les violences pendant les élections chaotiques et contestées de novembre 2011, le rapport dresse un bilan assez sévère de la gestion financière du processus électoral. Sur les 447 millions de dollars prévus pour les élections, 258 millions ont été décaissés, 335 ou 334 millions (il y a deux chiffres différents dans le rapport !) ont été dépensés, laissant 75 millions de dette aux différents fournisseurs et prestataires du scrutin. Autant dire que les caisses de la CENI sont aujourd'hui vides. La Commission demande donc que le coût des prochaines élections provinciales soit pris en charge à 100%.

Toujours côté finance, le rapport note le manque de 50,2 millions de dollars (censés provenir du gouvernement), pour expliquer l'absence de sensibilisation (éducation civique), ainsi que de dispositifs pour le contentieux et la sécurisation du scrutin. Remarque étonnante au regard du manque de transparence des élections, comme l'ont noté les observateurs internationaux (Centre carter et Union européenne). La "dérive" des coûts est expliquée par la CENI du fait de l'augmentation du nombre de centres de vote (passant de 12.000 à 15.000).

Concernant la fraude, que l'opposition estime "massive", la CENI avoue tout de même "la falsification de procès verbaux au niveau des postes de dépouillement et le changement des chiffres au poste de compilation". Rien sur les nombreuses violences pré et post-électorales. Toutefois, la CENI reconnait "la conduite du processus dans l’urgence" ainsi que la "modification de la constitution et de la loi électorale sans consensus de la classe politique et sans consultation de la société civile". Satisfaction tout de même : l'organisation des élections "dans les délais constitutionnels" pour éviter "le chaos du vide juridique". Une question tout de même : faut-il à tout prix respecter le calendrier électoral à défaut d'être prêt ?

En conclusion de son rapport, la CENI réaffirme son engagement à organiser les prochaines élections provinciales et locales, mais demande une prise en charge à 100% des coûts des scrutins (169 millions de dollars pour les provinciales, 226,5 millions pour les locales).

Face à ce rapport, les députés sont montés aux créneaux. Il faut dire que l'image de la CENI a été sérieusement écornée tout au long du processus électoral. Accusée de partialité par l'opposition (son président est un proche de Kabila) la CENI a accumulé toutes les erreurs dans le déroulement du scrutin : organisation chaotique, fichier électoral biaisé, absence de la société civile dans ses instances, procès verbaux perdus, accusations de fraudes… Aux yeux de tous, la CENI se trouve dans l'obligation d'évoluer pour gagner en crédibilité et en partialité.

Devant la présentation des chiffres du rapport de la CENI, les députés ont estimé qu'un audit de la Commission était nécessaire, les prochaines élections provinciales n'étant visiblement  pas financées. L'Assemblée nationale demande une révision générale de la loi électorale (nombres de sièges, recensement crédible de la population… ) et un gel du calendrier électoral jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi.

Après les élections contestées de novembre 2011, les recommandations des députés sont les bienvenues dans ce contexte de crise politique et résonnent désormais comme un préalable indispensable à l'organisation de tout nouveau scrutin en RDC. La CENI possède déjà le triste record des élections les plus coûteuses de la planète… un nouveau report des provinciales, risque d'en faire le cycle électoral le plus long de l'histoire. Le temps presse.

Christophe RIGAUD

RDC : Objectif Goma ?

Les rebelles du M23 se sont retirés progressivement des principales villes qu'ils occupaient, comme Rutshuru, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), pour les remettre aux mains de la police. La ville de Goma, plus au Sud,  risque d'être la prochaine cible du M23. L'armée congolaise et l'ONU viennent de dépêcher des renforts pour protéger la capitale provinciale du Nord-Kivu où la panique gagne la population.

carte RDC Afrikarabia MODELE.jpgLa prise de la ville de Goma par les rebelles du M23... voilà le scénario catastrophe que souhaitent éviter les autorités congolaises et les Nations unies. Sur le terrain militaire, les mutins du M23 ont quitté la ville de Rushuru après la prise d'une douzaine de localités aux troupes gouvernementales. La ville est désormais sous contrôle d'unités de la police congolaise, constituées d'anciens membres du CNDP, dont se revendique le M23. Le mouvement rebelle restera toutefois présent dans la ville stratégique de Bunagana, à la frontière de l'Ouganda. Militairement, le M23 n'avait d'ailleurs pas d'autres choix que de se retirer des villes occupées. Avec seulement quelques centaines d'hommes (on parle de 300 à 500 hommes), la rébellion n'avait pas les moyens humains de "tenir" autant de positions.

Après Rutshuru, quel sera le prochain objectif des rebelles du M23 ? Pour de nombreux observateurs, la ville de Goma se trouve désormais en ligne de mire de la rébellion. Le M23 affirme pourtant ne pas vouloir conquérir de territoires. Le mouvement souhaite obliger le gouvernement congolais à négocier afin de respecter l'application des accords de paix de 2009 entre le CNDP et les autorités congolaises. L'accord prévoyait l'intégration politique et militaire des ex-rebelles dans l'armée et les institutions du pays.

Pour faire plier Kinshasa, le M23 a choisi la manière forte : occuper militairement les anciennes positions de l'ex-CNDP, dont ils se réclament, afin de forcer le gouvernement à s'asseoir à la table des négociations. Pour l'instant, le régime de Joseph Kabila reste droit dans ses bottes : pas question de négocier avec des rebelles.

La ville de Goma, comme en 2008 avec la rébellion de Laurent Nkunda, constitue donc un enjeu majeur dans le rapport de force entre le M23 et gouvernement. La prise de la ville par les rebelles serait très mal vécue par les autorités congolaises et les Congolais eux-mêmes. Le président Joseph Kabila y joue également sa crédibilité, fortement écornée depuis les élections contestées de novembre 2011. Mais  devant l'absence de réponse du gouvernement à leur revendication, le M23 est tenté de continuer son avancée militaire vers le sud et la capitale du Nord-Kivu pour accentuer la pression. Les troupes du colonel Makenga se trouverait maintenant à une petite cinquantaine de kilomètres de Goma.

Côté gouvernemental, l'armée congolaise, consciente de l'enjeu de la bataille de Goma, vient de rappeler un bataillon, stationné dans le Nord du pays et formé, selon le journal Le Monde, par des instructeurs américains. Les casques bleus de la Monusco vont également envoyés des troupes supplémentaires dans le secteur. Pour l'ONU, la prise de Goma constituerait un sérieux revers pour sa mission en RDC, il y a plus de 18.000 casques bleus dans le pays (un record pour une opération de maintien de la paix).

Goma se retrouve maintenant sous pression et la panique commence à gagner la population De jeunes Congolais sont descendus dans les rues ce lundi pour demander des armes et ont appeler à combattre le M23. Des rumeurs d'exactions contre la communauté tutsie de la ville ont été relevés et dénoncés par le M23. Le mouvement rebelle parle de "chasse à l'homme" dans les rues de Goma et de "blessés". Il faut dire que les Rwandais de Goma sont accusés de soutenir les mutins. Un rapport des Nations unies a récemment dénoncé l'aide du Rwanda voisin à la rébellion, en homme et en armes. Le M23 a toujours fortement démenti tout soutien rwandais dans ses opérations et appelle même la presse internationale et les ONG à venir vérifier sur le terrain ces "allégations infondées".

Pendant ce temps, l'organigrame du mouvement rebelle s'est doté d'une coordination politique, confiée à Bishop Jean-Marie Runiga. Le colonel Sultani Makenga, qui dirige les opérations du M23 depuis sa création, devient président du Haut Commandement militaire et tiendra une conférence de presse ce mercredi à Bunagana.

Christophe RIGAUD