03 août 2013
RDC : La zone de sécurité fait polémique
A peine mise en place, la nouvelle zone de sécurité de l'ONU ne fait pas l'unanimité dans le Nord-Kivu. La population s'étonne que la zone ne couvre pas les régions sous contrôle des groupes armés, alors que certains accusent la Monusco de vouloir "désarmer le peuple face aux rebelles du M23".
Une journée après la fin de l'ultimatum qui prévoit l'instauration d'une zone de sécurité autour de Goma et le désarmement de "toute personne possédant une arme à feu", le bilan est contrasté. Si le gouvernement congolais estime que cette mesure "va dans le sens de mettre fin au calvaire que subissent les populations", les mécontents font aussi entendre leur voix… et ils sont nombreux.
La Monusco "tape à côté"
A Goma, la population a bruyamment manifesté sa colère contre la zone de sécurité qui "n'englobe même pas les régions sous contrôle des rebelles du M23". "Un comble" selon un Congolais contacté. Un convoi de la Monusco a été "caillassé" vendredi matin à Goma en signe de protestation. Car si l'idée paraît bonne sur le papier pour la plupart des habitants du Nord-Kivu, son efficacité paraît "très incertaine". Les Congolais ont en effet l'impression que la Monusco "tape à côté". Alors q'une vingtaine de groupes armés sévissent dans le Nord et le Sud-Kivu, la zone de sécurité se contente de "sanctuariser" Goma, sa proche banlieue et la ville de Sake, sans s'occuper des régions où sont actifs les rébellions et notamment celle du M23.
Le M23 attend Kampala
Les rebelles du mouvement du 23 mars, dont aucune position n'est concernée par la zone de sécurité, donne dans l'ironie. René Abandi, un responsable du M23, souligne sur le site de "l'agence d'information" que "cette zone est occupée essentiellement par les soldats de l'armée régulière (FARDC) et leurs miliciens alliés des FDLR". Le M23 joue profil bas et déclare rester sur ses positions militaires défensives en attendant des avancées du côté des pourparlers de paix de Kampala, toujours au point mort depuis l'offensive de l'armée gouvernementale du 14 juillet dernier.
"Etendre la zone au-delà de Kibati"
Pour la population du Nord-Kivu, ballotée depuis deux décennies par des guerres à répétition, l'ultimatum de l'ONU et sa zone de sécurité ne va pas assez loin, ni assez vite. L'organisation non-gouvernementale congolaise, Lutte pour le changement (LUCHA), exige que la Monusco étende immédiatement sa zone de sécurité "au-delà de la ligne de Kibati" (région encore tenue par le M23). LUCHA demande également aux casques bleus et à la Brigade de "progresser le plus rapidement possible, sans quoi l'impatience de la population risque de prendre une tournure imprévisible dont les Nations unies partageront la responsabilité".
La Monusco "désarme le peuple"
Si certains veulent que la Monusco aille plus vite, d'autres trouvent que la création d'une zone de sécurité et le désarmement qui va avec, est une vraie "duperie". Selon Jérôme Kengawe Ziambi, un criminologue, "tout citoyen congolais, habitant cette contrée, a le droit inaliénable de protéger sa vie et celle des siens" et donc d'être armé. En faisant la chasse aux armes à feu dans la zone de sécurité, ce Congolais craint ainsi que l'on désarme "le peuple congolais" qui se défend contre "les agressions étrangères" et le M23.
Attention à "l'escalade de la violence"
Du côté des ONG, on reste aussi très sceptique sur l'efficacité de la zone de sécurité. Oxfam demande aux Nations unies de procéder "avec la plus grande prudence" dans l'opération de désarmement. L'ONG craint une escalade de la violence avec l'entrée en action de la Brigade et demande que les populations civiles soient protégée par l'ONU. "Une priorité absolue" pour Oxfam. Bertrand Perrochet, chef de mission de Médecins Sans Frontières (MSF) en RDC avait dénoncé il y a quelques semaines (avant la création de la zone de sécurité) la confusion des genres entretenue par les Nations unies entre militaires et humanitaires. Avec un mandat "offensif", les casques bleus ne seront plus "neutres" dans le conflit et imposent ainsi aux ONG de ne plus l'être. Un changement radical dans l'histoire de l'ONU, qui inquiète ce médecin qui affirme "ne pas être un soldat en blouse blanche".
La Monusco "ne fait pas la guerre"
Devant un tel concert d'incompréhension, la Monusco s'est voulue rassurante et pédagogique. "Nous ne faisons pas la guerre aux groupes armés, nous voulons les désarmer et ramener la paix" a martelé la Monusco. L'opération de désarmement sera "progressive" et "le périmètre de la zone de sécurité pourra être étendu". A la question de savoir pourquoi, la Brigade ne s'attaque pas directement aux groupes armés, la Monusco a répondu en conférence de presse qu'elle ne pouvait pas "s'occuper de tous les groupes armés en même temps" et qu'elle commençait donc par sécuriser Goma. Au risque, selon certains analystes, de "sanctuariser" Goma, devenue une forteresse imprenable, au détriment du reste du Nord et du Sud Kivu, en prise direct avec les multiples groupes armés… et leurs exactions.
Offensif ?
Dernière inconnue : le niveau d'engagement de la nouvelle Brigade d'intervention de l'ONU sur le terrain. A la question de savoir si la Monusco utilisera la force pour désarmer dans la zone de sécurité, Félix Basse, le porte-parole de la Monusco a répondu sans hésiter "oui". Mais plus tard, il déclarera que la Brigade n'était pas "offensive" et qu'elle était seulement là "pour protéger les civils"… une mission qu'effectue avec plus ou moins de réussite la Monsuco depuis 13 ans ! Un flou qui n'a pas vraiment rassuré à Goma.
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
Photo : Casque bleu en RDC © Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
00:38 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (6)
30 juillet 2013
RDC : Première mission pour la Brigade de l'ONU
L'ONU vient de lancer la première opération de sa Brigade d'intervention "offensive" (FIB), très attendue par Kinshasa. Les casques bleus se joindront à l'armée congolaise (FARDC) pour établir une "zone de sécurité" au Nord de Goma et de Sake et protéger ainsi les civils des groupes armés. Un ultimatum de 48 heures a également été lancé à "toute personne possédant une arme à feu" pour désarmer et se démobiliser.
La Mission des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo ( MONUSCO) a décidé de frapper les esprits. Souvent accusée d'inefficacité sur le terrain militaire et de lenteur dans la mise en place de sa Brigade d'intervention, l'ONU vient d'accélérer le pas lors d'une conférence de presse ce mardi. Annoncée sous forme de teasing sur Twitter ("annonce importante de la Monusco à 16h30"), la conférence de presse donne le coup d'envoi de la première mission de la fameuse Brigade d'intervention de l'ONU (FIB), censée "neutraliser les groupes armés" grâce à un mandat plus "offensif". La participation de la FIB n'est mentionnée qu'en fin de communiqué, mais il s'agit bien là de l'information principale de l'annonce onusienne.
Désarmer les rebelles
L'entrée en scène de la Brigade est habilement présentée par la Monusco. L'ONU annonce tout d'abord la création d'une "zone de sécurité" autour de Goma (on croyait que les casques bleus étaient déjà censés sécuriser la zone !). Cette zone devrait débuter à l'Ouest de la capitale provinciale du Nord-Kivu au niveau de la ville de Sake pour englober tout le Nord de Goma et se terminer à la frontière rwandaise (voir carte ci-dessous). En gros, toute la zone qu'occupe actuellement la rébellion du M23 et que souhaite reprendre l'armée régulière. Deuxième annonce : "toute personne qui ne fait pas partie des forces de sécurité nationales et possède une arme à feu à Goma et dans les localités situées au nord de la ville" sera considérée "comme une menace imminente pour les civils". A compter du 1er août à 16h00, ces personnes seront donc désarmées par la Monusco, "y compris par la force".
La Brigade arrive... enfin
Enfin troisième information : l'opération sera constituée pour la première fois des éléments de la Brigade d'intervention, conjointement avec la Brigade de la Monusco du Nord-Kivu (BNK). La nouvelle est de taille tant cette Brigade est attendue par les autorités congolaises. Après la prise de Goma par les rebelles du M23, fin 2012, Kinshasa avait procédé à un fort lobbying diplomatique pour recevoir une aide militaire à l'Est du pays. La réponse de l'ONU s'était concrétisée dans l'envoi de cette Brigade de 3.000 hommes, munie d'un mandat "offensif" et d'une mission claire : "neutraliser les groupes armés". Rappelons que de nombreux analystes de la région doutent de son efficacité sur un terrain aussi difficile que les collines du Nord-Kivu.
Quid des autres groupes armés ?
La mise en place de la "zone de sécurité" à partir du 1er août sonne donc comme l'heure de vérité pour l'ONU en RDC. L'efficacité des 17.000 hommes de la Monusco présents en RDC, a souvent été très critiquée. Et pour Kinshasa, l'arrivée de ces 3.000 "super casques bleus" constitue un peu la solution de la dernière chance pour battre militairement les rebelles du M23. Si une vingtaine de groupes armés sévissent au Nord-Kivu, la cible numéro de l'ONU semble se concentrer sur le seul M23. Mais les autres groupes armés (Maï-Maï ou FDLR... ) pourront sous aucun doute migrer en dehors de la zone (la Brigade ira-t-elle les traquer ?). L'accélération de la mise en place de la Brigade, qui ne devait être opérationnelle que début septembre a sans doute été accélérée par la reprise des combats le 14 juillet dernier entre M23 et FARDC. L'armée régulière comptera sur la présence de la "zone de sécurité" et de la Brigade pour continuer son offensive sur les rebelles, qui, pour le moment sont dans la retenue. Seule question : pour combien de temps ?
Christophe RIGAUD - Afrikarabia
22:49 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (23)