05 février 2013
RDC : Les vérités sur le M23 de Joseph Kitenge Mulongoy
Dans une tribune publiée par Afrikarabia le 15 janvier 2013, intitulée "Pourquoi accuser le seul M23 ?", des intellectuels dénoncaient la "lecture partiale" et "réductrice" du conflit qui sévit actuellement dans l'Est de la République démocratique du Congo. Les signataires de la tribune considéraient que "s'acharner contre une seule rébellion" (le M23) ne fait qu'occulter le rôle des dizaines d'autres groupes armés. Le député congolais Joseph Kitenge Mulongoy a souhaité répondre à ce texte "erronné", selon lui, et "rétablir la vérité". Voici ses explications.
Je viens de lire, via le blog Afrikarabia, la correspondance que vous avez adressée à Son Excellence Monsieur le Secrétaire Général de l’ONU en rapport avec la situation qui prévaut à l’Est de la RDC, correspondance dans laquelle vous fustigez la mise en accusation de la seule rébellion du M23 par le rapport des experts de l’ONU (le texte de la tribune est accessible ici). Selon vous, il y a « acharnement contre une seule rébellion » alors qu’il y en a plusieurs (que vous énumérez) qui sont même plus anciennes que le M23. Vous mettez ainsi en cause l’impartialité des experts.
Dans le souci de rétablir la vérité, permettez-moi de vous dire que votre lecture de la situation est erronée dans une bonne mesure. Lorsque vous dites, je cite : « L’irruption du M23 sur la scène du drame congolais est postérieure à la présence de la Monusco et des groupes armés au Congo. Cela veut dire que le M23 est moins la cause qu’une simple conséquence d’une crise régionale aux multiples facettes » vous êtes tout à fait à coté de la plaque. La vérité, en effet, c’est que le M23 est une rébellion vieille de 14 ans révolus qui a commencé depuis 1998 ! En 1998 on l’appelait RCD, ensuite elle est devenue CNDP et aujourd’hui M23. Il vous suffit d’ailleurs de reconsidérer son appellation « M23 » qui se réfère aux accords du 23 mars 2009 entre le Gouvernement et la rébellion du CNDP pour comprendre sans équivoque que le M23 c’est bien le CNDP. Rien que par là il est erroné de parler aujourd’hui d’une « irruption » comme si le M23 venait de nulle part, alors qu’il est le CNDP rebaptisé.
Cela étant clarifié, il ne reste qu’à vous démontrer que le CNDP est lui-même le relais du RCD (rébellion née en 1998) et ensuite que le RCD est une création du Rwanda, pour vous amener à comprendre par déduction logique que le M23 c’est bien le RCD et que, de ce fait, il est une création du Rwanda. Vous comprendrez alors la pertinence du rapport des experts de l’ONU qui n’a pas mis les groupes armés que vous citez dans le même sac que le M23. Ces autres groupes armés, à l’exception du FDLR, LRA et ADF, ne sont que des mouvements de résistance nés en réponse aux exactions de ces rébellions pro rwandaises contre des civiles sans défense. Que le M23 soit considéré comme une organisation criminelle, cela est juste au regard des dégâts humains que cette rébellion engendre depuis 1998.
Pour mieux appréhender cette situation qui, avouons-le, est très complexe, il faut remonter à 1996 lorsque, deux ans après le génocide rwandais de 1994, l’armée rwandaise escorte Monsieur Laurent Désiré Kabila au pouvoir à Kinshasa. A cette occasion, l’armée rwandaise s’est livrée à la chasse aux génocidaires dont la présence parmi les réfugiés rwandais dans les Kivus constituait une menace. Il s’est fait que dans leur traque des génocidaires hutus les soldats rwandais (presqu’exclusivement tutsis) ont commis des graves erreurs en tuant aussi des hutus congolais (morphologiquement semblables aux génocidaires). Puisque les soldats rwandais étaient seuls maîtres sur le terrain en sorte que personne ne pouvait venir en aide aux populations civiles des Kivus, celles-ci se sont constituées en groupes de résistances sous l’appellation commune de « Mayi-mayi ». Ce ne fut qu’à partir de ce moment que ce mot « Mayi-mayi » commença à être entendu et ce fut aussi le début du désordre dans les Kivus.
Ensuite, lorsqu’en 1998 le Président Laurent Désiré Kabila divorce brutalement d’avec l’armée rwandaise en l’accusant de (je cite) « vouloir dominer tout le monde », celle-ci se replie à Goma et commence une rébellion sous l’appellation de « RCD ». Profitant du fait qu’il existe en RDC des tutsis autochtones du Nord-Kivu, ces soldats rwandais devinrent tout simplement des rebelles congolais pour le compte du RCD. Cela radicalisa encore les Mayi-mayi si bien que, pour asseoir sa domination, la rébellion du RCD fut obligée de commettre des graves exactions contre la population civile que vous êtes sensés ne pas ignorer (le massacre de Kiwanja, le massacre de Makobola où plusieurs femmes furent enterrées vivantes, etc.).
A la faveur des accords inter congolais de Lusaka, puis ceux de Sun City, le RCD devint un parti politique et son chef politique devint un des 4 vice-présidents de la République. Il fut convenu que toutes les rebellions (RCD ainsi que le MLC qui opérait à l’Ouest du pays) déversent leurs armées au sein de l’armée nationale et, chose significative, que le commandement de l’armée de terre soit confié au RCD. Il y eut un semblant de paix qui nous a permis d’organiser un référendum constitutionnel et de mettre en place des institutions démocratiques à l’issue des élections générales de 2006. Nous étions alors engagés dans un grand chantier de reconstruction nationale, y compris celle de l’armée. Mais premier bémol : les soldats rwandophones (donc issus du RCD) refusent d’être brassés pour aller servir sous le drapeau dans d’autres provinces de la RDC ! Puisque les rebelles devaient intégrer l’armée et la police nationales avec leurs grades respectifs, la chaîne de commandement dans les Kivus se retrouva presqu’exclusivement sous contrôle des officiers issus du RCD. Dès cet instant, parler de l’armée et de la police nationales dans les Kivus c’est designer les « ex-rebelles » du RCD et donc, c’est designer en réalité l’armée rwandaise. Ce sont donc une FARDC et une PNC qui étaient loin de rassurer les populations civiles qui ne comprenaient pas comment les mêmes soldats étrangers qui les ont massacrées hier peuvent devenir des nationaux protecteurs du jour au lendemain. De l’autre coté « l’armée » et « la police » (hier RCD) demeurent sur le qui-vive face à une population dont ils sont certains qu’elle ne les porte pas, redoutant une attaque dans tout ce qui bouge. Dans ce climat de méfiance proche de la paranoïa de deux cotés, des soldats (ex-RCD) commettront encore beaucoup d’exactions. Ils se mutineront par la suite pour créer une deuxième rébellion baptisée CNDP toujours sous le parrainage du Rwanda. En conséquence, les groupes Mayi-mayi reprendront aussi de plus belle, considérant les rebelles comme des « occupants ».
Si donc vous appelez ces groupes Mayi-mayi comme étant des rebellions c’est parce que vous êtes piégés par la stratégie de leurs adversaires. En effet, jusqu’aux accords de Sun City les Mayi-mayi combattaient l’occupant et oppresseur rwandais déguisé en « RCD ». Après Sun City ils combattent le même RCD mais qui devient l’Armée et la Police Nationales, et du coup ce sont eux qui passent pour des rebelles ! Lorsque plusieurs fois on a dit : « les Mayi-mayi ont attaqué les positions des FARDC » il faut bien comprendre que les Mayi-mayi ne voyaient pas les FARDC quoique arborant l’insigne du drapeau national ; ils voyaient plutôt (et à juste titre) les occupants RCD (ou CNDP). Car ceux que l’on voit aujourd’hui sous le label « FARDC » ce sont les mêmes qu’on voyait hier sous le label « RCD » ou « CNDP ».
L’autre astuce de Kigali qui piège vos éminences c’est que, depuis la première mutinerie des soldats pro rwandais (CNDP) un bon nombre d’entre eux restent systématiquement dans le camp du Gouvernement (FARDC). C’est encore le cas aujourd’hui avec le M23 où seule une partie de l’ex-CNDP s’est mutinée. Cela fait que lorsque le Gouvernement veut mener une offensive c’est avec les officiers et soldats de la « rébellion » qu’il concocte des plans pour combattre la rébellion. Vous comprenez à présent pourquoi le Gouvernement ne gagne pas de bataille contre les rebellions de l’Est et pourquoi, pour les groupes de résistance à l’Est, entre les rebelles (CNDP ou M23) d’une part et l’armée gouvernementale de l’autre, c’est comme « bonnet blanc » et « blanc bonnet ».
Il suffit que le Rwanda arrête de militariser l’Est de la RDC et que par conséquent le cycle des rébellions s’arrête, que les soldats congolais d’expression rwandophone acceptent de servir sous le drapeau sur l’ensemble de la RDC (2.345.000 km²), et le résultat sera la restauration de l’autorité de l’Etat. Aujourd’hui, du fait de ces yoyos des Kivus et de la tactique d’infiltration du corps de l’armée et de la police par des éléments à la vocation contraire au bienêtre des congolais, cette autorité de l’Etat est très érodée. Pour un pays doté d’aussi importantes ressources minières que la RDC, l’absence de cette autorité laisse un champ libre à la manifestation des convoitises affairistes dans un climat de chao et au mépris des lois.
S’il est légitime pour le Rwanda de se protéger contre les menaces des FDLR, les dirigeants rwandais devraient savoir que c’est avec une RDC stable et militairement efficace qu’ils pourront y parvenir ; pas seuls. En déstabilisant l’Est de la RDC tel que c’est le cas actuellement, le Rwanda ne fait que pérenniser et rendre plus insaisissable le FDLR. La communauté internationale doit s’y impliquer très rapidement de peur que cette partie de notre pays ne devienne un espace vitale pour les terroristes que personne ne saura plus contrôler, même pas le Rwanda lui-même.
Chers Messieurs et Dames,
Après cette mise au point j’espère que vous adopterez dorénavant une attitude idoine. Personne ne menace les congolais d’expression rwandophone, contrairement à ce que vous prétextez dans votre correspondance. Dans l’histoire de notre pays certains de ces compatriotes ont occupé des très hautes fonctions comme celles du Directeur de Cabinet du Président de la République, d’autres des Sénateurs ou mandataires publics, sans que cela dérange qui que ce soit. Ce n’est pas parce qu’il y a eu génocide des tutsis au Rwanda que les tutsis de la RDC devraient revêtir un statut spécial. Ils sont citoyens au même titre que ceux des autres ethnies, et tous nous devons par conséquent être protégés par les mêmes lois et au même pied d’égalité.
Lorsque vous dites dans votre correspondance qu’une partie des terres rwandaises s’était retrouvée annexée au Congo à la faveur de la conférence de Berlin en 1885, nous comprenons que vous faites une introduction au plaidoyer du Rwanda qui a besoin de récupérer « son morceau ». Nous ne sommes pas dupes ; nous avons commencé à le comprendre dès l’instant où leurs marionnettes du CNDP avaient fait inscrire le découpage de la province du Nord Kivu en deux morceaux parmi leurs revendications du 23 mars 2009. C’est là la stratégie du Rwanda qui consiste à semer la terreur pour décourager nos esprits, à occuper le morceau convoité et à y infiltrer massivement les citoyens rwandais. En martelant sur les soi-disant messages de haine du Gouverneur du Nord-Kivu (sans faire aucunement allusion aux atrocités infligées aux civiles), nous vous voyons préparer l’opinion internationale à légitimer la demande du référendum d’autodétermination qui est la prochaine étape à venir.
Nous exigeons du respect de la part du Rwanda. Les lois internationales doivent être respectées aussi. Il n’y a pas qu’au Rwanda et en RDC où, à l’issue de la Conférence de Berlin de 1885, des ethnies se sont retrouvées à cheval sur deux frontières. Du reste, rien n’indique dans notre cas que c’est un morceau du Rwanda annexé au Congo et pas un morceau du Congo annexé au Rwanda. Tant qu’il y aura des tueries barbares à l’encontre de populations bantoues de l’Est, tant que leurs femmes et leurs filles seront impunément violées, c’est très injuste de leur dénier le droit de se défendre et de dénoncer leurs bourreaux. Il faut donc que les soldats rwandais retournent au Rwanda et que les soldats et policiers tutsis de la RDC acceptent de quitter l’Est pour aller servir le pays ailleurs (s’ils sont réellement congolais) afin de permettre que d’autres viennent assurer la sécurité des biens et des personnes, y compris des tutsis civiles comme ce fut le cas depuis toujours jusqu’en 1996.
Tout en vous remerciant de votre attention, je vous adresse mes salutations distinguées.
Pasteur KITENGE MULONGOY Joseph,
Député National de la RDC
21:12 Publié dans Afrique, République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (6)