25 août 2011
Burundi : la persécution des avocats entre le ridicule et l’odieux
François Nyamoya, avocat au barreau du Burundi, toujours détenu à Bujumbura, à nouveau devant ses juges ce vendredi 26 août.Il y a quelques semaines, trois avocats ont été successivement arrêtés au Burundi, dont le Bâtonnier de l’ordre des Avocats. Ces arrestations répétées ont suscité une émotion considérable dans la profession qui a menacé d’une grève générale.
Le Bâtonnier et une avocate ont été rapidement libérés. Me François Nyamoya est resté détenu.
Vendredi 19 août 2011, le juge en charge de l’examen de la situation de détention provisoire de Me Nyamoya, avait ordonné qu’il soit remis en liberté en assortissant cette mesure de conditions telles la présentation de Me Nyamoya au parquet à intervalles réguliers.
Le parquet a interjeté appel. Le code pénal burundais prévoit que l’ordonnance de mise en liberté est immédiatement exécutoire nonobstant appel. La loi est claire et non-sujette à interprétation. Malgré le texte clair et les démarches du Bâtonnier en vue de respecter le code de procédure pénale, Me Nyamoya n’a pas été libéré.
Ce vendredi, l’avocat burundais sera présenté devant le juge d’appel. Tout le barreau du Burundi compte se mobiliser pour soutenir son confrère. Le bâtonnier a d’ailleurs confirmé la demande de libération immédiate de Me Nyamoya, lors d’une conférence de presse le 24 août à Bujumbura.
La défense rappelle que le dossier qui justifie l’arrestation de Me Nyamoya, est le dossier de l’assassinat le soir du 20 novembre 2001, d’un diplomate de l’OMS, Kassy Manlan.
Tout semble indiquer que l’assassinat du Dr Kassy a été un crime d’Etat. Il a été enlevé par un commando bien organisé après une semaine de filature à Bujumbura. Cet Ivoirien, représentant de l’OMS au Burundi et ayant donc un statut de diplomate, avait enquêté sur d’énormes détournements de fonds au détriment du projet de l’OMS de lutte contre le paludisme.
« A 22 heures, au moment de la sortie de son bureau, il est filé par trois hommes, tous des anciens militaires. Chez lui, neuf hommes l’attendaient. Il a été maîtrisé et conduit à son travail pour détruire un fichier très important et très… intéressant. C’est ce fichier qui est le mobile de son assassinat », avait relaté Gratien Rukindikiza, de l’agence Burundi News.
« Après avoir détruit son fichier qui l’avait pris beaucoup de jours à confectionner et documenter, le commando l’a alors conduit chez lui pour y être tué à minuit. Son cadavre a été acheminé à bord d’une camionnette sur les bords du lac Tanganyika, près du cercle nautique, pour être dévoré par les crocodiles. Cependant, le cadavre a été épargné. » Et donc retrouvé.
Jusqu’à présent, les organes d’Etat du Burundi ont tout fait pour empêcher la condamnation judiciaire des meurtriers et commanditaires et pour créer de fausses pistes : la sœur de Me Nyamoya, Gertrude, elle-même agent de l’O.M.S., avait été fallacieusement accusée de ce meurtre par des enquêteurs qui avaient trafiqué la recherche de la vérité.
Face à une telle manœuvre grossière, l’O.M.S. avait décidé d’organiser la défense de son agent. C’est à Me François Nyamoya et à quelques autres que l’on doit d’avoir découvert une partie de la vérité de cette affaire exemplaire de l’instrumentalisation de la justice. Et c’est dans ce dossier où toute cette famille à tellement souffert qu’aujourd’hui, l’on accuse Me Nyamoya de subornation de témoin.
Le porte-parole du Barreau, Me Sylvestre Banzu Banze, a rappelé avec justesse que les faits concernant cette affaire honteuse qui remonte à 2001, sont d’office prescrits et que le maintien en détention de Me Nyamoya constituerait une bavure judiciaire. Par ailleurs, si le dossier devait être réouvert, il faudrait évidemment s’attaquer prioritairement à l’identification des meurtriers de Kassy Manlan et de leurs commanditaires.
L’un de ses avocats et amis, Me Bernard Maingain, du Barreau de Bruxelles, souligne que « Me Nyamoya est une personnalité rayonnante qui témoigne par sa vie même, de l’idéal de justice. Il est reconnu à Bujumbura pour son éthique rigoureuse et pour son désintéressement. Il n’a jamais hésité à assumer des dossiers difficiles et son cabinet est le lieu où policiers et militaires, fonctionnaires, militaires et magistrats viennent se confier chaque fois que l’Etat de droit est menacé. Son engagement politique au sein du M.S.D., intervient dans le respect de la loi burundaise et s’inscrit dans une volonté claire de lutte pour plus de justice, ce qui n’est pas condamnable en l’état du droit burundais. »
Dans le contexte difficile des relations entre le Barreau et certaines autorités, la défense invite à l’apaisement et au dialogue.
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22 août 2011
Rwanda : Arrestation d’un ancien ministre du « gouvernement génocidaire » rwandais à Créteil
On apprend tardivement l’interpellation à Créteil le 9 août dernier sur mandat d’arrêt international de Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki, ministre des Travaux publics du gouvernement intérimaire dit aussi « gouvernement génocidaire » qui avait été mis en place le 9 avril 1994 à Kigali, après l’attentat qui avait coûté la vie au président Juvénal Habyarimana. Un attentat qui avait servi de prétexte au déclenchement du génocide contre les Tutsi.
Visé par un mandat Interpol émis par le procureur général du Rwanda Martin Ngoga, Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki vivait semble-t-il le plus tranquillement du monde dans le Val-de-Marne où au moins un membre de sa famille apparaît dans l’annuaire téléphonique. Cet homme né en 1955 à Rubavu (Gisenyi) au Rwanda était un des dirigeants du Parti Social Démocrate (PSD) dont il avait pris la tête de la tendance extrémiste et ethniste (dite « Power ») en 1993, quelques mois avant le génocide contre les Tutsi.
C’est à ce titre qu’il fut appelé par les extrémistes de la « solution finale » contre les Tutsi à faire partie du gouvernement intérimaire mis en place le 9 avril 1994, trois jours après l’attentat qui avait coûté la vie au président Juvénal Habyarimana et deux jours après l’assassinat du Premier ministre Agathe Uwilinyimana par la Garde présidentielle. Chargé des Travaux Publics, Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki était aussi récompensé de son autorité sur les milices Interahamwe et Impuzamugambi de Gisenyi.
Surnommé John Muhindo ou Cyewusi (« le foncé »), l’homme se serait distingué dans les implacables massacres commis dans sa commune d’origine, Gisenyi-Ruvabu. Un témoin protégé du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, « DCH », chef interahamwe qui le secondait, a ainsi décrit (en minimisant son propre rôle) l’un de ces massacres que Rafiki aurait personnellement ordonné en juin 1994 lors d’un meeting à Gisenyi :
« Seul Hyacinthe Rafiki a pris la parole. Et après cela, les autres, dont le conseiller Fazili, ont rassemblé des gens et ils se sont mobilisés, ils sont allés dans la mosquée de Gisenyi et dans d’autres bâtiments pour fouiller ; et ils faisaient sortir les gens et les tuaient. Et il y avait des véhicules qui transportaient les cadavres et les amenaient à un autre endroit ; on voyait ces véhicules passer. […] Mes yeux fonctionnent très bien, j’ai vu ces attaques. Et j’ai vu des gens sur lesquels on a tiré, j’ai vu des gens qui ont été tués à coups de machette ou de massue, et j’ai vu des cadavres qu’on transportait à bord des véhicules.[…] Je voyais les gens courir partout, j’entendais des gens crier, j’entendais des coups de sifflet. […] À Gisenyi, notamment à Majengo, et à la mosquée, et chez Butsitsi, qui était un ancien adjudant-chef ; on a fait sortir des personnes de la maison de cet homme. […] Je
voyais ces gens courir et on les pourchassait. […] J’ai circulé partout.
Je suis allé au bar Rubavu, et je suis allé prendre un verre chez l’adjudant-chef Butsitsi et après, je suis descendu dans le quartier commercial, et après, j’ai pris la route qui monte vers la Gendarmerie, et après je suis allé à un endroit où il y avait une buvette des Interahamwe dans un bâtiment appartenant à […] Léonidas Baganahe. » (Contre-interrogatoire témoin « DCH », TPIR, affaire n° ICTR-98-41-TLE, chambre III C, Bagosora, 28 juin 2004).
Le TPIR disposerait d’autres témoignages le mettant en cause dans des tueries
Inculpé au Rwanda de génocide, entente en vue de commettre le génocide, extermination, participation à un groupe armé, etc., Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki fait partie d’une liste de « génocidaires de premier niveau » établie depuis 1996 par le Parquet de Kigali. Ayant fui au Zaïre après le génocide, il a participé à la rébellion des FDLR en RDC, mais il a été exclu de ce mouvement officiellement pour « trahison » le 16 août 2005, comme en atteste un communiqué signé d’Anastase Munyandekwe, porte-parole des FDLR - elle-même une organisation terroriste. Mais il est possible que cette « exclusion » n’ait visé qu’à le dédouaner au moment ou des enquêteurs de l’ONU s’intéressaient aux terribles exactions des FDLR en RDC.
Après son arrestation à Créteil, Hyacinthe Nsengiyumva Rafiki aurait été remis en liberté sous contrôle judiciaire dans l’attente du dossier d’extradition annoncé par le procureur général du Rwanda.
Jean-François DUPAQUIER
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