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03 mars 2013

RDC : Nouvelle donne au Kivu

L'éclatement du M23 redessine le conflit qui oppose depuis plusieurs mois la rébellion et le gouvernement congolais à l'Est de la République démocratique du Congo. L'affaiblissement du mouvement rebelle remet en selle le président Kabila qui pourrait se sortir momentanément du conflit en signant la fin des hostilités avec le camp de Sultani Makenga.

Sultani Makenga filtre.jpgAprès la scission de la rébellion du M23, la guerre au Nord-Kivu entre dans une nouvelle phase. Le mouvement rebelle est désormais divisé en deux clans bien distincts: les pro-Makenga, le commandant militaire du M23 et les pro-Ntaganda, ralliés par l'ancien responsable politique de la rébellion, Jean-Marie Runiga. Makenga a destitué Runiga de son poste de président et les deux camps rivaux se sont affrontés la semaine dernière à Rutshuru, une localité sous contrôle rebelles. Les partisans de Makenga ont poursuivi Runiga et Ntaganda jusqu'aux portes du parc des Virunga et se sont fixés à Tchanzu.

Une mosaïque de groupes armés

Plusieurs leçons sont à retirer de la guerre interne qui fait rage au M23. Sur le terrain militaire tout d'abord. En se retirant de Rutshuru pour se battre, les rebelles ont laissé "libre" cette localité qu'ils contrôlaient depuis plus de 8 mois. Et surprise, ce ne sont pas les FARDC (l'armée régulière congolaise) qui viennent reprendre la ville, mais les FDLR, une milice rwandaise composée de rebelles hutus et des groupes armés Maï-Maï. L'armée congolaise prendra ensuite le relais, mais tardivement, réactivant les nombreuses rumeurs de "collaboration" entre les milices FDLR et les troupes de Kinshasa. Un "partenariat" de bien mauvaise augure pour la future force d'intervention rapide de l'ONU, chargée de venir à bout du M23, mais aussi des FDLR et des groupes Maï-Maï, utilisés régulièrement par les autorités congolaises comme milices supplétives. Un mélange des genres qui sera bien difficile à démêler pour les soldats de la paix.

Risque de "somalisation" du conflit

Deuxième leçon : l'éclatement du M23 a ouvert les vannes de la violence pour tous les autres groupes armés du Nord-Kivu, et ils sont… une petite vingtaine ! L'APCLS (Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain) s'est férocement battu à Kitchanga contre l'armée régulière. Les groupes Maï-Maï Nyatura et Shetani se sont également disputés la vile de Kiwanja. En désertant certaines villes qu'elle contrôlait, la rébellion du M23 a donc laissé la place aux autres groupes armés de la région. Certains analystes craignent un "morcellement" du conflit par des dizaines de milices. Une "somalisation" du Kivu qui serait extrêmement difficile d'enrayer, comme le soulignait Kris Berwouts au micro de Sonia Rolley, sur RFI ce week-end.

Makenga se rapproche de Kinsahsa

Troisième leçon : la stratégie du M23 a considérablement évolué. Car, si le conflit entre Sultani Makenga et Bosco Ntaganda remonte à 2009, avec l'arrestation du leader de la rébellion de l'époque, Laurent Nkunda, les divergences ont maintenant éclaté au grand jour. Sultani Makenga pense en effet qu'il est possible de renégocier les accords du 23 mars avec le gouvernement congolais au profit du M23. Il le pense et il le souhaite. Makenga estime que la stratégie du M23 pour "déstabiliser" le régime de Joseph Kabila ne peut s'opérer d'un seul coup. Il faut progresser "par étape", : accords après accords, batailles après batailles. Pour le courant Makenga, il faut signer un accord "a minima" avec Kabila, tout de suite, quitte à revenir à la charge dans quelques mois sur le terrain militaire. Bosco Ntaganda pense tout le contraire. Recherché par la Cour pénal internationale (CPI), Ntangada sait bien que Kinshasa veut l'arrêter, et que seule une victoire militaire sur Joseph Kabila peut le sauver d'une probable interpellation. "Jusqu'au boutiste", Bosco Ntaganda souhaitait donc de nouveau attaquer Goma pour faire plier le régime de Kinshasa et par la même occasion… sauver sa peau. Ni Makenga, ni Ntaganda ne veulent en effet se retrouver dans la peau de Laurent Nkunda, en janvier 2009, lorsque le Rwanda, après un brusque renversement d'alliance, décide de l'arrêter, pour le placer en résidence surveillée. Makenga comme Ntaganda ne font désormais plus confiance à leur allié rwandais, placé sous la surveillance de la communauté internationale.

Quand Kinshasa remet Rutshuru au M23

Pour ne pas devenir un futur Laurent Nkunda, Sultani Makenga semble vouloir jouer la carte de Kinshasa et de la communauté internationale. Selon l'analyste Kris Berwouts, Makenga serait prêt à signer un accord avec le gouvernement congolais. Les rumeurs vont également bon train autour de la volonté supposée du camp Makenga d'arrêter lui-même Bosco Ntaganda. Makenga pourrait ainsi s'attirer les bonnes grâces de Joseph Kabila, qui avait promis à la communauté internationale de l'arrêter. L'arrestation de Ntaganda par Makenga constituerait un deal "gagnant-gagnant" pour le leader rebelle, mais aussi pour le chef de l'Etat congolais en mal de reconnaissance internationale après sa réélection contestée de 2011. Une dernière information prouverait la relative "bonne entente" qui planerait entre Kinshasa et l'aile Makenga : le retour du M23… à Rutshuru. Car après avoir abandonné la ville pour se lancer à la poursuite de Runiga et Ntaganda, Rutshuru était tombé aux mains des FDLR pour finir par revenir à l'armée congolaise. Et aussi étrange que cela puisse paraître, Kinshasa (qui se bat depuis 8 mois pour chasser le M23 du Nord-Kivu) demande à son armée de remettre finalement la ville… aux rebelles du M23. La raison évoquée par le porte-parole de l 'armée congolaise est étonnante : "respecter l'entente conclue l’automne dernier entre les rebelles et le gouvernement". "Inadmissible" selon la société civile du Nord-Kivu qui croyait qu'en revenant à Rutshuru, l'armée régulière était venue restaurer l'autorité de l'Etat. Mais c'était sans compter le jeu de poker menteur qui se trame depuis plus de 15 ans dans les Kivus avec une même tactique : diviser les rébellions, signer la paix, intégrer un des groupes rivaux dans l'armée régulière… jusqu'à la prochaine guerre. Une visée à court terme qui dure depuis trop longtemps.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

MISE A JOUR : A Kampala, où le M23 négocie toujours avec le gouvernement congolais, la délégation rebelle modifie sa composition depuis la scission du mouvement. René Abandi devient le nouveau chef de la délégation du M23 et remplace François Rucogoza, resté fidèle à Bosco Ntagada. C.R

Photo : Sultani Makenga, commandant militaire du M23 - 2012 © DR

28 février 2013

RDC : M23, les raisons du clash

Le divorce est désormais consommé entre les partisans du chef militaire du M23, Sultani Makenga et le président de la rébellion, Jean-Marie Runiga. Le responsable politique du M23 a en effet été destitué aujourd'hui et aurait rejoint Bosco Ntaganda dans le parc des Virunga. Selon un porte-parole du M23, "les vrais CNDP reprennent la main sur le mouvement". Explications.

Image 1.pngEn début de semaine, de violents affrontements ont opposé deux factions de la rébellion M23 à Rutshuru, à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC). Selon le gouvernement congolais, les combats aurait fait 17 morts. En cause les dissensions entre les proches de Sultani Makenga, commandant militaire du M23 et Jean-Marie Runiga, son représentant  politique. Ce matin, la rébellion a destitué Jean-Marie Runiga de son poste de président du M23 (voir le communiqué en français). Les événements de Rutshuru ne constituent que le point d'orgue de divergences plus anciennes entre les deux courants de la rébellion congolaise : pro-Makenga et pro-Ntaganda.

L'ombre de Laurent Nkunda

Depuis la création du M23 en avril 2012, deux courants se sont toujours fait face. On trouve d'abord, les CNDP "historiques", fidèles à Laurent Nkunda, aujourd'hui détenu en résidence surveillée au Rwanda depuis janvier 2009. Ce courant, qui est à l'origine du M23, est tenu par le chef militaire de la rébellion, le général Sultani Makenga. Dans son sillage : le gros de la troupe des ex-CNDP. Des militaires, comme Yusuf Mboneza, Claude Micho ou Bahati Mulomba, mais aussi des politiques, comme le député congolais Roger Lumbala, qui a rejoint récemment la rébellion.

Le "problème" Ntaganda

L'autre courant est composé de Bosco Ntaganda, l'ancien bras droit de Laurent Nkunda, qui a repris en main le CNDP après l'arrestation de son leader par Kigali. Pour les pro-Nkunda, Ntaganda a trahi "la cause" et son chef Nkunda, pour rejoindre "l'ennemi" : le camp du président Joseph Kabila. Bosco Ntaganda a ensuite été intégré à l'armée régulière congolaise au poste de général, avec une partie de ses hommes. Pour les pro-Nkunda, qui se retrouvent aujourd'hui autour de Sultani Makenga, Ntaganda n'a jamais fait partie du M23, même si la situation est plus complexe sur le terrain. La création du M23 en avril a notamment permis de "protéger" Bosco d'une possible arrestation par Kinshasa. Dans le sillage de Ntaganda, gravitent des militaires comme Baudouin Ngaruye, Innocent Zimurinda, Séraphin Mirindi ou Innocent Kabundi. Jean-Marie Runiga, le chef politique du M23 fait désormais partie du clan Ntaganda, depuis sa destitution aujourd'hui. Runiga aurait quitté Bunagana pour rejoindre les hommes de Ntangada dans le parc des Virunga.

"Runiga travaillait avec Bosco"

Selon Jean-Paul Epenge, le réprésentant du M23 en Europe, cette scission n'est pas une surprise. "Jean-Marie Runiga été placé à la tête de l'aile politique par consensus". "A la création de la rébellion en avril, nous avons essayé de représenter toutes les sensibilités au sein de notre  mouvement", nous explique ce membre du M23, "avec un seul commandement militaire, en la personne de Sultani Makenga". Selon Jean-Paul Epenge, "petit à petit, les proches de Makenga se sont rendus compte que Jean-Marie Runiga travaillait de plus en plus avec Bosco Ntangada. Au lieu d'unir notre mouvement, il a creusé un fossé entre nous." Le point de désaccord entre les deux courants se situerait au niveau des objectifs de la rébellion. Pour le responsable du M23 en Europe, "Runiga voulait renverser Joseph Kabila, alors que nous souhaitions simplement renégocier les accords du 23 mars 2009". Sur ce point, on peut noter que ces explications semblent "de circonstance" : le but étant de décrédibiliser au maximum Jean-Marie Runiga et Bosco Ntaganda aux yeux de la communauté internationale. Le message délivré par Jean-Paul Epenge étant clair : les pro-Makenga ne voudraient qu'une simple "redynamisation des accords du 23 mars", alors que les pro-Ntaganda ne souhaiteraient que la chute du régime de Kinshasa. La réalité est bien évidemment moins "binaire".

Runiga chez Ntaganda

Concernant les cause de la destitution de Jean-Marie Runiga et les combats entre factions à Rutshuru, Jean-Paul Epenge explique des différents sur la gestion financière du M23, mais aussi la "chasse aux sorcières" menée par Runiga pour placer des hommes proches de Ntaganda. Ce membre du M23 évoque également "des détournements de fonds destinés à Bosco". A la suite de ces "dysfonctionnements" (9 points auraient été reprochés à Jean-Marie Runiga), le M23 souhaitait qu'il démissionne de la présidence du mouvement. Mais Runiga refuse et la situation s'envenime. "Baudouin Ngaruye est venu le chercher à Bunagana et ils sont partis" explique Jean-Paul Epenge. "Mais ils sont relativement coincés, nous contrôlons tous les axes" précise t-il, "Runiga et Baudouin ne peuvent pas descendre vers Goma, il y a les FARDC, nous contrôlons la situation vers la frontière rwandaise et à Bunagana. Ce matin à 4h30, on m'a prévenu qu'ils sont dans le parc des Virunga et que certains militaires commençaient à les lâcher et à revenir".

Il y a bien clairement une crise de leadership au sein du M23, à la suite de la destitution de Jean-Marie Runiga. Un nouveau président politique du mouvement sera nommé très prochainement, vraisemblablement samedi lors d'une réunion du congrès du M23. En attendant, Sultani Makenga fait office de président par intérim de la rébellion. Selon Jean-Paul Epenge, "les vrais CNDP ont repris la main" sur le M23.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

25 février 2013

RDC : Guerre des chefs au M23 ?

De violents affrontements ont opposé dimanche soir deux courants de la rébellion du M23 à Rutshuru. Des rivalités sont apparus entre le général Sultani Makenga et son chef politique Jean-Marie Runiga, allié au général Bosco Ntaganda. En cause : des divergences sur la reprise d'une possible offensive militaire à Goma.

Capture d’écran 2013-02-25 à 23.27.44.pngQue s'est-il vraiment passé à Rutshuru dans la nuit du dimanche 24 au lundi 25 février 2013 dans le Nord-Kivu ? En début de soirée dimanche, les habitants de la ville entendent des détonations et des tirs d'armes légères. A l'hôpital de Rutshuru, lundi matin, on dénombre 10 morts et 2 blessés. Très rapidement, plusieurs sources parlent de combats entre deux factions du M23. La rébellion contrôle la ville depuis maintenant plusieurs mois. Ces affrontements auraient opposé les partisans du chef militaire du mouvement, le général Sultani Makenga à ceux de Jean-Marie Runiga, le représentant politique de la rébellion, proche du général Bosco Ntaganda. Derrière ces dissensions se joue le leadership du mouvement rebelle entre pro-Makenga et pro-Ntaganda.

Combats entre M23 ou attaque FDLR ?

Certains affirment que le malaise était déjà présent depuis quelque temps à Bunagana, une autre ville contrôlée par le M23, où Jean-Marie Runiga se serait vu privé de ses gardes du corps et de sa jeep de transport. Le malaise au sein de la rébellion porterait en fait sur la stratégie à adopter sur le terrain militaire. Alors que les négociations sont au point mort à Kampala entre la rébellion et le gouvernement congolais, les avis divergent sur la suite des événements. Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénal internationale et par Kinshasa, serait prêt à reprendre les armes, suivi par Jean-Marie Runiga, le chef politique. Makenga, le patron du M23 sur le terrain militaire, voudrait au contraire jouer l'apaisement (ou en tous les cas la montre) pour ne pas être accusé d'avoir relancé les hostilités avec Kinshasa. Le sujet aurait été discuté à Kigali la semaine dernière et Jean-Marie Runiga aurait alors été placé… en "résidence surveillée". Bonne ambiance à Bunagana ! Mais ce lundi, comme pour démentir toute tension au sein du M23, la rébellion a fait prendre un bain de foule à Jean-Marie Runiga en plein coeur de Bunagana. Concernant les affrontements de Rutshuru, le M23 dément aussi les combats entre factions rebelles. Les incidents armés de dimanche seraient en fait une attaque des FDLR, les rebelles hutus rwandais. La rébellion l'assure : tout va bien au M23. Info ou intox ?

Pro-Ntaganda contre pro-Makenga

Si tout n'est pas encore clair sur les événements de Rutshuru, les divergences au sein du mouvement rebelle ne sont pas nouvelles. Pour comprendre les rivalités au coeur du M23, il faut revenir un peu en arrière. En 2009, le leader rebelle s'appelle Laurent Nkunda. Il dirige alors le CNDP, dont le M23 n'est qu'un copié-collé. Sultani Makenga est un proche de Nkunda, mais Bosco Ntaganda aussi, il est alors son bras droit militaire. En janvier, un renversement d'alliance fait tomber Nkunda, arrêté son ancien allié rwandais. Ntaganda prend en main le CNDP et s'allie avec Kinshasa, l'ennemi d'hier. Makenga, qui n'appréciait pas Ntaganda, fini par le détester le qualifiant de "traître". Le M23 apparaît en avril 2012 avec déjà deux têtes : Makenga, chef militaire, et toujours Ntaganda, qui se revendique aussi du mouvement pour échappé à l'arrestation promise par Kinshasa et la Cour pénale internationale (CPI). Les deux frères ennemis se retrouvent désormais liés dans la même aventure, même si Makenga toujours nié que Ntaganda fasse partie du M23. Il y a donc maintenant une ligne : Ntaganda-Runiga et une autre ligne : Makenga-Nkunda, qui même "détenu" au Rwanda, n'attend qu'une chose, c'est de pouvoir revenir dans le jeu congolais.

Cette rivalité exposée au grand jour avec les combats fratricides de Rutshuru ajoute une incertitude supplémentaire quant à l'avenir du Nord-Kivu, avec au bout… la quasi certaine reprise du conflit.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Jean-Marie Runiga à Bunagana le 25 février 2013 © DR