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04 novembre 2012

RDC : Les errements d'Etienne Tshisekedi

"Président" autoproclamé de République démocratique du Congo depuis les élections frauduleuses de novembre 2011, l'opposant Etienne Tshisekedi s'est peu à peu enfermé dans ses fonctions fictives. Une étrange stratégie qui cache mal les errances et l'isolement de son leader.

Capture d’écran 2012-11-02 à 14.18.49.pngOù va l'UDPS ? Bien malin celui qui pourrait définir le cap choisi par son président, Etienne Tshisekedi. A 79 ans, "l'opposant historique", comme le nomme la presse congolaise, semble avoir fait le vide autour de lui. Beaucoup accusent le patron de l'UDPS de s'être muré dans son rôle de "président" virtuel, après les élections contestées de novembre 2011 et de nier la réalité de la situation politique. D'autres critiquent son manque de compromis et ses diktats, menant le plus souvent à l'exclusion politique, puis à la scission.

Enième ramaniement

Dernier événement en date : la réorganisation du parti après l'éviction de son secrétaire général, Jacquemain Shabani, accusé d'avoir détourné 300.000 dollars. L'UDPS vient de nommer Bruno Mavungu au poste de numéro 2 du parti. Même si le parquet général a lavé Shabani de tout soupçon, le divorce semble bel et bien consommé entre Tshisekedi et son ancien secrétaire général. Résultat : à Kinshasa, on parle déjà de la naissance d'une "aile Mavungu" et d'une "aile Shabani".

Exclusion et scission, les épisodes se suivent… et se ressemblent à la tête de l'UDPS. Peu avant les élections présidentielles de 2011, François-Xavier Beltchika, un ancien leader de l'aile Righini de l'UDPS, avait claqué la porte pour créer son propre parti. Dans un texte publié par Congo Tribune, Beltchika dénonçait "la léthargie et la paralysie totale du parti", condamné selon lui "au naufrage".

Candidature en solo

Pendant le cycle électoral de 2011, là encore, Tshisekedi ne compose pas. Sûr de son aura et de sa victoire, le "sphinx de Limete" choisi de jouer en solo : aucune alliance ne sera passée avec un autre parti d'opposition. Problème : l'élection présidentielle à un seul tour nécessite une candidature unique de l'opposition pour être en mesure de contrer le président sortant, Joseph Kabila. Tshisekedi, Kamerhe et Kengo (les autres candidats d'opposition) se renvoient la responsabilité de l'échec. Résultat : Tshisekedi arrive en deuxième position... et perd.  La fraude électorale est dénoncée de toutes parts, mais Tshisekedi annonce tout de même "sa" victoire et s'autoproclame "président de la République démocratique du Congo". Seul souci : si Kabila n'apporte pas la preuve de sa victoire (des milliers de Procès verbaux de l'élection ont disparu), Thsisekedi n'est pas plus en mesure de prouver le contraire. La "cérémonie d'investiture" de Tshisekedi se déroulera dans sa résidence privée, entouré seulement de quelques proches… dans l'indifférence générale. Certains proches du mouvement regrettent que Tshisekedi n'ai pas anticipé la fraude électorale (prévisible) et préparé une contre-offensive plus pertinente à la victoire annoncée de Joseph Kabila.

Exclusion de 33 députés

L'isolement de l'UDPS continue après les résultats des élections législatives, elles aussi frauduleuses, puisque se déroulant le même jour que la présidentielle. Considérant (à juste titre) la nouvelle Assemblée nationale "illégitime", Etienne Tshisekedi demande à ses candidats de boycotter l'institution. Mais la majorité des députés UDPS refusent  le "jusqu'au boutisme" de leur patron et estiment que la voix de l'opposition sera plus audible au sein l'Assemblée qu'en dehors (sans oublier les 7.000 $ de traitement !). Résultat : les 33 députés UDPS sont exclus et place en orbite un nouveau "dissident", Samy Badibanga, comme président du groupe UDPS/FAC et candidat au poste de porte-parole de l'opposition à l'Assemblée. Là encore, le duo "exclusion-scission" fonctionne à plein régime.

Vidéo surréaliste

Plus inquiétant enfin, a été le dernier point presse tenu par Etienne Tshisekedi après sa rencontre avec François Hollande, lors du XIVème Sommet de la Francophonie de Kinshasa. Sur le coup, je n'avais lu que les dépêches d'agences relatant l'entrevue entre les deux hommes. Tshisekedi s'y déclarait "satisfait" de sa conversation avec le président français qu'il considérait comme "un frère de l'Internationale socialiste"… rien que de très banal. Je lisais cependant que la rencontre avait quelque peu décontenancé les conseillers de François Hollande… sans savoir pourquoi. Mais dernièrement, on me conseille de visionner l'intégralité de ses déclarations au sortir de l'entrevue. Et là, je comprends soudain l'embarras des diplomates français. On entend en effet Tshisekedi répondre à un journaliste lui parlant de son statut d'opposant : "je ne suis pas opposant, c'est moi qui suis au pouvoir au Congo. Ce sont les autres qui sont opposants !" Ou encore cette déclaration, comme s'il était effectivement au pouvoir : "je lui ai demandé (à François Hollande) de renforcer la coopération entre la République démocratique du Congo et la République française". La discussion devient quasi surréaliste concernant la situation au Kivu, où la rébellion du M23 se bat contre l'armée congolaise, Tshisekedi répond : "Il ne faut pas qu'il s'en fasse (il parle de François Hollande), dès que j'ai l'effectivité du pouvoir, 24 heures après il n'y aura plus de problème au Kivu, c'est la paix la plus totale !" (voir la vidéo tournée par Congo Mikili ci-dessous).


Déclaration d'Etienne Tshisekedi après la... par ChristopheRigaud

Les errements du leader de l'UDPS commencent à inquiéter la base du mouvement, surtout dans la diaspora à l'étranger. Les sorties tonitruantes d'Etienne Tshisekedi déstabilisent un bon nombre de militants et désorientent quelque peu les chancelleries occidentales. Certains affirment que la personnalité de Tshisekedi avait "refroidi" la communauté internationale sur sa capacité à prendre la succession de Joseph Kabila. A l'extérieur du parti, on n'hésite pas à déclarer Tshisekedi "hors jeu". Au sein des autres structures de l'opposition congolaise, l'entêtement du "vieux" à se considérer comme "le président élu" est qualifié de "farce tragi-comédie".

Pourtant, pour beaucoup, Tshisekedi représente encore l'image d'un opposant intègre. Le début de sa campagne électorale et son retour après 3 années "d'exil médical" en Belgique avaient été bien accueillis par les Congolais. Mais très vite, son positionnement s'est crispé autour de la candidature unique à la présidentielle. Tshisekedi a tout de suite fermé la porte aux négociations avec les autres candidats, estimant sa candidature comme "légitime" et donc non-négociable.

Depuis la fin de l'épisode électoral, le leader de l'UDPS a perdu beaucoup de sa crédibilité... Une crise de leadership qui commence à lasser une bonne partie de ses soutiens. Problème : aucune personnalité d'opposition n'a émergé des dernières élections de 2011 et l'opposition n'a pas encore trouvé son homme providentiel.

Christophe RIGAUD - Afrikarabia

Photo : Etienne Tshisekedi en 2011 à Bruxelles © Ch. Rigaud - www.afrikarabia.com

30 octobre 2012

"Sur la piste des tueurs rwandais" : Un livre-enquête de Maria Malagardis

Accusés de génocide au Rwanda, une vingtaine de suspects rwandais coulent des jours paisibles en France, en toute impunité. Dans son livre, Maria Malagardis, raconte le combat pour la justice de Dafroza et Alain Gauthier. Depuis 2001, ce couple franco-rwandais exemplaire se bat pour que ces rwandais soient enfin jugés. Un récit à la fois serein et porté par une indignation maîtrisée, qui laisse apparaître l'incurie judicaire française, ainsi que la responsabilité de la France dans le génocide rwandais.

Capture d’écran 2012-10-30 à 21.19.47.pngAprès le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, ses organisateurs se sont généralement enfuis à l'étranger, hors de portée de la justice de leur pays. En dix-huit années, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), institué par l'organisation des Nations unies dès le mois de novembre 1994, est parvenu laborieusement à mettre la main sur une soixantaine des principaux suspects et à les juger. Mais beaucoup d'autres courent toujours, notamment des personnes que l'on peut classer "de rang moyen", celles qui n'auraient ordonné "que" (!) des massacres de quelques centaines ou quelques milliers de personnes.

Le TPIR n'a ni les ressources ni la vocation de tous les juger. Pour que justice se fasse, ces "suspects de génocide" devraient donc se voir extradés vers le Rwanda, ou bien être jugés dans leur pays d'accueil. Certains Etats européens estiment que les standards judiciaires au Rwanda ne permettaient pas l'extradition, bien que la peine de mort y ait été abolie. En Belgique, en Suisse, en Norvège, au Canada, etc., des fugitifs rwandais contre qui pesaient de très lourdes charges ont été interpellés, jugés et condamnés. Au total, une dizaine de pays occidentaux se sont engagés dans ces processus judiciaires qui permettent de faire comparaître les auteurs présumés du "crime des crimes", au nom des principes universels adoptés par les Etats depuis la Seconde Guerre mondiale. Et le cas échéant de les sanctionner.

Une garantie d’impunité à la française : « Ni juger, ni extrader »

Dans ce concert des nations, la France, généralement empressée à s'autoglorifier "le Pays des droits de l'Homme", fait bande à part. C'est en France que se sont réfugiés la plupart des responsables rwandais soupçonnés d'avoir planifié et dirigé des crimes de masse épouvantables ou d’y avoir participé. Et pourtant l'État français et son ministère de la Justice se sont longtemps gardé de mettre en oeuvre les procédures appropriées, lorsqu’ils ne se sont pas évertués à ralentir sournoisement ces procédures. On pourrait résumer ainsi cette garantie d’impunité à la française : « Ni juger, ni extrader ». L’Argentine ne procédait pas autrement avec les Nazis en fuite.

Le substitut d’« enquêtes préliminaires » que le Parquet « oubliait » d’ordonner.

En 1994, Maria, Malagardis rendait compte dans La Croix du génocide des Tutsi et du massacre politique des Hutu  démocrates (au total entre 800 000 et 1 million de morts en cent jours). Auteur de plusieurs livres sur le génocide[1], dorénavant journaliste à Libération, elle relate dans un ouvrage à la fois serein et porté par une indignation maîtrisée le combat pour la justice d'un couple franco-rwandais exemplaire, Dafroza et Alain Gauthier. Beaucoup de membres de leur famille rwandaise ont été assassinés en 1994. Pour en finir avec l’impunité, Dafroza et Alain réfléchissaient au moyen de pousser la justice française à sortir de sa léthargie. Ils ont fini par créer en 2001 une association, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) qui a engagé les premières investigations sur des suspects repérés en France et justifié des dépôts de plaintes. En quelque sorte le substitut d’« enquêtes préliminaires » que le Parquet « oubliait » d’ordonner.

Le docteur Munyemana a constitué son fan-club, comme le Père Munyeshyaka

Si Alain et Dafroza ont constitué des dossiers sur une vingtaine de suspects rwandais qui semblent couler des jours paisibles en France, Maria Malagardis concentre son récit sur la traque de quelques personnages emblématiques. A titre personnel, nous connaissons bien le cas de l’abbé Wenceslas Munyeshyaka, exfiltré d’un camp de réfugié au Zaïre par deux évêques français. Aujourd’hui prêtre coopérateur et aumônier des scouts à Gisors, dans l’Eure, cet homme accusé notamment d’avoir violé à l’église Sainte-Famille à Kigali des paroissiennes qui voulaient sauver leur vie et persécuté les hommes tutsi n’hésite pas à appeler la gendarmerie locale lorsqu’il voit poindre un journaliste. D’accusé il se fait volontiers accusateur et trouve des âmes simples pour le portraiturer en héros. Il est vrai que son  dossier comporte aussi des témoins de moralité comme s’il en pleuvait.

Autres personnages que l’on dirait pittoresques si le fond du décor n’était creusé de charniers, deux médecins. D’abord le docteur Eugène Rwamucyo, secrétaire de rédaction  du magazine extrémiste Kangura qui au Rwanda de 1990 à 1994 préparait les esprits à la transgression du « tu ne tueras point » et attisant la haine « raciale » contre les Tutsis. « Un génocide ne survient jamais sans prévenir, sans signes annonciateurs. Bien plus, il s’affirme par étapes : on teste les réactions aux violences », observe Maria Malagardis.

Prêtres, religieuses, instituteurs, médecins : le creuset de haine où se concoctait le génocide faisait appel aux intrants socio-professionnels les plus inattendus, et souvent les plus doués, les plus manipulateurs. Résultat de presque dix-huit ans d’inertie judiciaire, le docteur Sosthème Munyemana, médecin gynécologue du côté de Toulouse, qui aurait organisé des tueries, récuse tout. Il a constitué son fan-club, comme le Père Munyeshyaka. Pourtant son dossier serait aujourd’hui le plus étayé, et il n’est pas impossible qu’un rendez-vous lui soit accordé devant une cour d’assises en 2013. Il sera plus difficile de réunir des « preuves », au sens classique du terme, contre Agathe Habyarimana, « la veuve noire », soupçonnée d’avoir orchestré au plus haut niveau la préparation du génocide. Même les enquêteurs du TPIR ont baissé les bras devant l’opacité du réseau de l’Akazu (la maisonnée présidentielle) qu’elle ne régentait qu’oralement. On entend des vérité chuchotées, on comprend aussi l’indiscible à la lecture de « Sur la piste des tueurs rwandais », ce n’est pas le moindre mérite de l’auteur.

Maria Malagardis évoque d’autres personnages sombres et inquiétants. Elle-même domine cette seconde tragédie de l’incurie judiciaire française d’une plume magnifique, frémissante et trempée d’espoir. Si l’Etat français porte une lourde responsabilité dans le génocide des Tutsi, et si les réseaux omniscients de la « Françafrique » ont pris le relais, réussissant durablement à maintenir en échec la vérité, la morale et la justice, le combat d’Alain et Dafroza Gauthier et de quelques autres a fini par porter. Pour comprendre le génocide de 1994 et accepter de porter notre part de croix, il faut lire et faire lire « Sur la piste des tueurs rwandais ».

Jean-François DUPAQUIER

Maria MALAGARDIS, Sur la piste des tueurs rwandais, Ed Flammarion.

[1] Maria MALAGARDIS, Rwanda, le jour d'après, Ed. Somogy, 1995 ; Maria MALAGARDIS, Des héros ordinaires, Ed. Les Arènes, 2009.

22:58 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (1)