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20 décembre 2010

Rwandais accusés d’avoir abattu Habyarimana : les stupéfiantes révélations de leurs avocats

Dans le cadre de l’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Rwandais Juvénal Habyarimana, Les juges français Nathalie Poux et Marc Trévidic se sont rendus à Bujumbura du 5 au 15 décembre 2010. A cette occasion, ils ont entendu six des « suspects », James Kabarebe, Sam Kanyamera, Charles Kayonga, Jackson Nziza, Frank Nziza et Jacob Tumwine, visés par des mandats d’arrêt internationaux délivrés par le juge Bruguière en 2006. Vu l’état de la procédure, ils ont notifié aux intéressés la lecture de leurs droits dans le cadre de leur mise en examen. Au terme de ces auditions et après avoir entendu leurs explications, tous les mandats d'arrêt  ont été levés et aucun mandat de dépôt n’a été délivré. Présents pour les assister, Maîtres Lev Forster et Bernard Maingain répondent ici en exclusivité aux questions d’AFRIKARABIA.


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Photo : les avocats Lev Forster et Bernard Maingain

AFRIKARABIA : - Maîtres Lev Forster et Bernard Maingain, vous êtes les avocats de plusieurs hauts gradés rwandais visés par ce qu’on appelle « l’enquête Bruguière » sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Juvénal Habyarimana. Le juge français avait délivré des mandats d'arrêt internationaux concernant neuf Rwandais. C hacun sait que celui de Rose Kabuye a été levé voici deux ans. Or on parle aujourd’hui de la levée de six mandats d'arrêt internationaux. Total, sept. Il en manque donc encore deux ?

Bernard MAINGAIN : - Effectivement, sur les neuf mandats d'arrêt internationaux, celui de Rose Kabuye, a été levé voici deux ans. Nos autres clients, avec Me Jean-Marie Mbarushimana, sont MM. James Kabarebe, Sam Kanyamera, Charles Kayonga, Jackson Nziza, Frank Nziza et Jacob Tumwine. Tous ces hauts gradés rwandais sont à présent libres de leurs mouvements. Après avoir été entendus par les deux juges d’instruction Nathalie Poux et Marc Trévidic qui ont repris le « dossier Bruguière », ils ont fourni les explications nécessaires et se retrouvent simplement « mis en examen », avec accès au dossier.

AFRIKARABIA : - Et les deux autres ?

Lev FORSTER : - Il s’agit du supposé « capitaine Eric Hakizimana » - également orthographié « Hakizamana » dans l’ordonnance, et du général Kayumba Nyamwasa. Le second a fui le Rwanda et semble résider en Afrique du Sud. Il n’a pu être entendu par les juges d’instruction, sa situation reste donc inchangée.

Bernard MAINGAIN : - Le problème d'Éric Hakizimana semble particulièrement intéressant car il est considéré dans l’ordonnance du juge Bruguière comme l'un des hommes qui ont abattu l'avion le 6 avril 1994. Nos clients ont recherché cet homme partout au Rwanda et ailleurs, mais ils n'en n'ont trouvé aucune trace. Selon nos clients, il n'existe tout simplement pas ! Nous avons signalé au juge Trévidic cette étrange  « disparition ». C'est alors que notre confrère Me Meillac, avocat de la veuve du président Habyarimana - qui s'est constituée partie civile dans ce dossier -, a annoncé qu'Éric Hakizimana serait mort depuis longtemps. Nous sommes étonnés que cette information capitale soit communiquée tardivement au magistrat instructeur et comme par hasard, au moment où nous attirons l’attention du juge sur Hakizimana. Me Meilhac dit qu'il est mort ? Nous rétorquons : aucune trace de cela ... Qu’il amène donc  les preuves de son existence et de son décès. Nous enquêterons alors sur les éléments que notre confrère voudra bien apporter.

AFRIKARABIA : - Comment est-il possible qu'une des parties civiles n'ait pas communiqué en temps utile au juge d’instruction cette information en sa possession ?

Lev FORSTER : - Cette apparente négligence s'inscrit dans la réalité de ce dossier d'instruction que nous avons pu consulter à partir du moment où Rose Kabuye, chef du protocole du président de la République du Rwanda, a été interpellée et entendue par le juge. Nous sommes allés de surprise en surprise. Il est alors apparu que l'instruction du juge Bruguière ne l'avait pas été "à charge et à décharge" comme il se devrait, mais uniquement à charge.

AFRIKARABIA : - Pour quelle raison ?

Bernard MAINGAIN : - Nous soupçonnions une lourde implication du politique dans ce dossier. Les récentes révélations de Wikileaks l’ont confirmé. Nous savons aujourd'hui que le juge Bruguière a négocié ou discuté la délivrance des mandats d'arrêt internationaux avec les autorités politiques françaises. Il s'agit d'une sérieuse violation des règles de l'instruction. Nous savons également que le juge Bruguière a discuté avec des diplomates américains du contenu de ce dossier. Tout ceci constitue un ensemble de très graves anomalies.

AFRIKARABIA : - Y a-t-il eu à votre connaissance d’autres interférences dans le dossier ?

Lev FORSTER : - Ce qui caractérise ce dossier, c'est que des personnes ayant une réelle compétence ont laissé l'instruction dériver. On sait aujourd'hui le rôle du capitaine Paul Barril dans l'ouverture de l'instruction judiciaire. Il est patent que le capitaine Barril a ensuite participé à ce qu'on appelle une "opération d'enfumage". Il semble avoir joué un rôle de premier plan dans la récupération et la disparition de pièces à conviction. Il a joué un rôle en introduisant dans l'équipe du juge Bruguière au moins une personne avec qui il entretenait des liens professionnels ou qui lui servait d'intermédiaire avec le président Habyarimana.

AFRIKARABIA : -  Vous voulez parler de l’espion Fabien Singaye ?

Bernard MAINGAIN : - Effectivement, cet homme était un espion professionnel au service du président Habyarimana et de sa maisonnée. À ce titre, Il était en relations d'affaires avec le capitaine Barril. Il se présente actuellement comme conseiller spécial du Président Bozizé. Comment un tel personnage au gros carnet d’adresses - il travaille aujourd’hui pour AREVA - a-t-il pu se retrouver comme interprète assermenté et comme expert au service du juge Jean-Louis Bruguière ? C'est un problème qu’il faudra élucider pour comprendre les dérives de l'instruction judiciaire. Il faudra également expliquer l'extraordinaire mansuétude dont a bénéficié le capitaine Barril à l'issue de ses auditions confuses et contradictoires. Mais il n’est pas la seule personne interrogée par le juge Bruguière à avoir fourni des explications manifestement insuffisantes.

AFRIKARABIA : -  Vous pensez à quelles personnes ?

Lev FORSTER : -Nous pensons en particulier au général Jean-Pierre Huchon et au colonel Grégoire de Saint-Quentin. Le général Huchon s'est bien gardé d'expliquer par le détail sa rencontre avec une délégation rwandaise de haut niveau, conduite par le chef d’Etat-major adjoint des FAR en mai 1994, en plein génocide. Quant au colonel Grégoire de Saint-Quentin, qui s'est trouvé très rapidement sur les lieux de l'attentat, ses déclarations sont manifestement insuffisantes et donnent l’impression qu'il est loin de dire tout ce qu'il sait.

AFRIKARABIA : -  Que pouvez-vous nous relater sur  le déroulement des auditions menées par les juges français au Burundi ?


Bernard MAINGAIN : - Nous devons d'abord dire qu'il s'agissait de la part des juges d'un geste d'apaisement et de respect qui honorera le fonctionnement de la justice française car il permet de progresser réellement dans la voie de la vérité, et malheureusement nous ne croyons pas que le juge Bruguière aurait pris ce genre de décision.

Lev FORSTER : - Permettez-moi d’ajouter que depuis que la Défense a accès au dossier, nous avons pu comprendre comment il a dérivé, et nous devons dire que notre intervention a bouleversé le cours de l'instruction. Quant au choix du Burundi,  il s’est trouvé être un  pays acceptable par les magistrats instructeurs comme par nos clients. Ces derniers bénéficient de la présomption d'innocence, est-il nécessaire de le rappeler ?

AFRIKARABIA : - Il y a donc eu une négociation avec les juges pour choisir d'entendre vos clients au Burundi ?

Bernard MAINGAIN : - Les magistrats ont compris que c'était la solution la plus pertinente pour entendre nos clients en évitant l'épée de Damoclès d'un risque d'arrestation. Les auditions ont eu lieu dans une maison isolée de la capitale du Burundi, très bien gardée. Selon les règles du droit, les magistrats instructeurs ont entendu nos clients en présence du procureur général du Burundi ou de son adjoint. Une équipe des deux traducteurs a été désignée par l'ambassade de France. Il s'agit de traducteurs qui ont déjà travaillé dans des conférences de l'Union africaine. La qualité de leur travail, leur honnêteté, ont été constatées par toutes les personnes présentes.

AFRIKARABIA : - Les auditions ont duré longtemps ?

Bernard MAINGAIN : - Les juges français sont arrivés à Bujumbura le 5 décembre et ont commencé leur travail le 6 en fin de matinée. Les auditions se sont poursuivies sans désemparer jusqu'au 14 décembre à 20 heures. Chaque audition a pris au moins une journée et la plus longue, une journée et demie. Les juges avaient des questions très précises et très détaillées. Nos clients y ont répondu également de façon très documentée.

AFRIKARABIA : - Lequel de vos clients a été le plus longuement interrogé ?

Bernard MAINGAIN : - Il s'agit de l'actuel ministre de la Défense du Rwanda, James Kabarebe.

AFRIKARABIA : -  Qu'a-t-il dit ?

Lev FORSTER : - Nous n'avons pas le droit de révéler des déclarations qui sont couvertes par le secret de l'instruction. Mais nos clients nous ont autorisés à rendre publique une série de faits qui, eux, ne sont pas couverts par ce secret de l'instruction.

AFRIKARABIA : - Quels clients ?

Bernard MAINGAIN : - D'abord M. Jackson Nziza. Il a été très surpris d'être visé par un mandat d'arrêt du juge Bruguière. Dans la période 1992-1994 il n'était qu'un "junior officer" qui n'avait aucun lien avec le "Chairman" Paul Kagame, ni avec l'état-major de l'Armée patriotique rwandaise (APR), basée à Mulindi. Il était déployé à l’époque du côté des montagnes des Virunga ainsi que dans la commune de Rushaka. Il était dans l'impossibilité absolue d'avoir le moindre rôle dans une action menée à Kigali le 6 avril 1994, comme le prétendent des accusateurs qui, il est vrai, se sont rétractés depuis lors. 

AFRIKARABIA : - Pourquoi donc s’est-il retrouvé incriminé par le juge Bruguière ?

Bernard MAINGAIN : - Monsieur Nziza a eu après la victoire de l'Armée patriotique un rôle très important dans le dispositif militaire comme J2 puis J5 dans "l'Intelligence service" de l'armée rwandaise. Nous pensons que les juges français ont parfaitement compris les éléments de sa biographie et les raisons pour lesquelles, en tant que le patron du Renseignement militaire de l'armée, il a suscité la haine de certains, qui ont tout fait pour l'impliquer dans la procédure Bruguière.

AFRIKARABIA : - Pouvez-vous en dire plus à ce sujet ?


Bernard MAINGAIN : - Après la victoire du Front patriotique en juillet 1994, le nouveau gouvernement rwandais a eu beaucoup de difficultés à reprendre le contrôle de certaines ambassades. Ce fut le cas tout particulièrement de l'ambassade du Rwanda à Nairobi dont le bâtiment était contrôlé par les génocidaires bénéficiant du soutien du président de la république kenyane M. Arap Moï. Missionné pour prendre possession du bâtiment, Jackson Nziza est parvenu habilement à y pénétrer et à le rendre à son gouvernement légitime. Par la suite, il a réussi à introduire un journaliste de CNN dans une tractation de ventes d'armes entre des négociants égyptiens et des représentants des ex-FAR, l'armée du génocide réfugiée au Zaïre. Les révélations du journaliste ont fait échouer l'opération. Ces deux brillantes opérations ont valu à M. Jackson Nziza une promotion  à la tête des services de renseignement de l’Armée patriotique. Mais depuis cette date, du côté des anciens génocidaires, notamment des FDLR qui ont succédé aux ex-FAR, on voue une haine mortelle à M. Nziza. C'est dans ces conditions qu'il a été dénoncé au juge Bruguière.

Lev FORSTER : - La mise en cause de  Jackson Nziza dans l’attentat est un non-sens absolu, mais bien la preuve par A + B de la manipulation de l’instruction. Au fil des années, cette instruction est devenue un fourre-tout où un groupe de gens mal intentionnés tentait de jeter ceux qu’ils détestaient.

AFRIKARABIA : - Avez-vous des informations sur la situation réelle de son quasi-homonyme, Frank Nziza, au sein de l'Armée patriotique rwandaise ?


Bernard MAINGAIN : - Frank Nziza, le supposé second tireur, n’a jamais appartenu au prétendu network commando. Il fut occupé dans un peloton de la garde de Paul Kagame, dans le groupe en charge de la sécurité extérieure. Il n’était pas à Kigali au moment de l’attentat et il a fourni la liste de nombreux témoins pouvant attester de sa présence réelle. Il est venu à Kigali après la guerre et n’a jamais participé à des combats. C’est encore un non-sens absolu.

AFRIKARABIA : - Ce sont des informations fournies par James Kabarebe aux juges ?

Bernard MAINGAIN : Ne nous demandez pas de parler de cela.

Lev FORSTER : - Par contre, nous sommes autorisés à vous révéler que deux des supposés « témoins importants » du juge Bruguière, Evariste Musoni et Innocent Marara  qui auraient également fourni des informations  de première main sur l’attentat n’ont rejoint les rangs de l’Armée patriotique qu’en mai 1994. Le temps de leur instruction au métier des armes, ils n’ont pratiquement contribué à aucune action. Prétendre avoir participé à la protection de Paul Kagame à l’Etat-major de Mulindi en 1993 et 1994 est tout simplement ridicule.

AFRIKARABIA : - Vos clients apportent des preuves de quelle nature ?

Bernard MAINGAIN : - Il existait un dispositif précis de protection de Paul Kagame en 1994. C’était une procédure très particulière. Il y avait d’abord une unité de protection qui se tenait à une certaine distance de l’état-major et ne pouvait s’en approcher. Il y avait ensuite un groupe d’hommes triés sur le volet pour une protection à faible distance. Et enfin un groupe de cinq personnes assurant la protection rapprochée, dont les identités sont connues. Parmi ces cinq hommes, le « Chairman » en avait choisi un seul chargé de porter des messages. Le « roman » de MM. Evariste Musoni et Innocent Marara ne correspond à rien de réel.

AFRIKARABIA : - James Kabarebe est aussi un témoin intéressant des événements des 6 au 8 avril 1994…


Lev FORSTER : - Effectivement. Il détient le récit complet des événements qui ont eu lieu du côté de l’Armée patriotique à partir de la chute de l’avion : comment l’information a été connue, ce que chacun a dit et fait, les instructions aux divers bataillons jusqu’aux jours qui ont suivi…

Bernard MAINGAIN : - … et ce « film des événements » n’a rien à voir avec la fable qui a été servie au juge Bruguière et relayée par certains sur des troupes de l’APR qui auraient fait mouvement avant même l’attentat. Nous rappelons que pour la mise en oeuvre de accords de paix d’Arusha, un bataillon du Front patriotique était stationné dans l'immeuble du Parlement à Kigali, qu'on appelle le CND. L’attentat les a pris de court et ils ont été aussitôt la cible des tirs des FAR. L’attentat a également surpris l’état-major du FPR qui a voulu voler au secours du bataillon de Kigali en mauvaise posture. Les troupes du FPR ne se sont pas mises en mouvement aussitôt, comme le prétendent de faux témoins. Il y eut réunion de l’Etat major et rencontre avec le représentant de la Minuar. Des messages précis ont été transmis en vue de demander l’arrêt des massacres et des hostilités. Ces messages n’ont pas été suivis d’effet.   Les troupes  se sont mises en marche sur instruction du chairman, très exactement le 8 avril à 20 heures, de nuit, et elles ont réussi une percée jusqu’au bataillon du CND, la jonction n’étant réalisée que le 11 avril dans la journée. C’est alors seulement que le bataillon de Charles Kayonga au CND a été sauvé de l’anéantissement.

AFRIKARABIA : - Ce n’est pas la thèse d’un attentat soigneusement préparé par le FPR contre l’avion, attentat qui aurait été précédé de mouvements de troupes ?

Bernard MAINGAIN : - Encore une fable qui s’effondre : les seules initiatives militaires consécutives à la chute de l’avion, ce sont celles des unités des FAR qui se répandent dans Kigali pour commencer les tueries de Tutsi et de Hutu démocrates Le batailon du CND subit des tirs d’artillerie dès le 6 au soir. Le même soir, Charles Kayonga est informé des premiers massacres par les visiteurs du C.N.D. qui rentraient en ville ce jour-là.

Lev FORSTER : - Seules des personnes qui ne se sont jamais rendues au Rwanda pouvaient croire un autre récit. Aujourd’hui encore, la façade de l’immeuble du CND porte les traces des obus qui l’ont frappé. C’est une des premières choses qu’on voit en arrivant au Rwanda, car le CND se trouve entre l’aéroport et le centre-ville. La chronologie des événements au CND est dorénavant connue et documentée. Le 6 avril au soir, le bataillon s’est terré dans son cantonnement. Mais le  mercredi 7 avril 1994, les services de renseignement de l’APR lui ont fait savoir qu’entre 14 et 16 heures,  les FAR et la garde présidentielle faisaient mouvement et engageaient un dispositif de prise en tenailles très dangereux pour la survie du bataillon des 600 soldats de l’APR. Il a donc été demandé au bataillon de sortir de son cantonnement pour prendre des dispositions avancées empêchant la réussite du siège.  Il y a aussi une émission de la RTLM  qui a alerté le service de Renseignement.

AFRIKARABIA : - De quelle façon ?

Bernard MAINGAIN : - La Radio télévision libre des Mille Collines (RTLM) a annoncé que des Tutsi s’étaient réfugiés en masse dans le stade Amahoro et qu’il fallait aller « s’en occuper ». Le journaliste de la RTLM a précisé que les éléments de la MINUAR (les Casques bleus) présents sur place ne seraient pas en mesure de les protéger. En principe ce stade était sous la protection de la MINUAR, les Casques bleus encore présents au Rwanda, mais au FPR, tout le monde a compris que cette protection serait illusoire. Il a donc été décidé que le bataillon du CND inclurait le stade Amahoro dans son déploiement, car il n’était distant que d’un kilomètre environ. Encore une fois, tous ces événements sont prouvés, parfaitement documentés. Dommage pour la théorie de ceux qui prétendent que Paul Kagame s’était cyniquement désintéressé du sort des Tutsi.

AFRIKARABIA : - Pourquoi  vos clients apportent-ils ces preuves seulement aujourd’hui, alors que « l’enquête Bruguière » a commencé en 1998 et que les « fables » dont vous parlez ont commencé à « fuiter » peu après ?

Lev FORSTER : - Depuis le début de l’enquête menée en France, les autorités rwandaises ont dit et répété que les thèses du juge Bruguière, qui faisaient l’objet de « fuites » continues, n’avaient rien à voir avec la réalité. Elles ont dit et répété que c’était un montage grossier, et réclamé que le juge vienne au Rwanda constater l’ineptie de la chronologie des évènements et des témoignages qu’il avançait. Ce n’est pas la faute des autorités rwandaises ni de nos clients si le juge Bruguière s’est obstinément refusé à venir au Rwanda pour vérifier si ce que certains lui disaient était vrai.

AFRIKARABIA : - Ca paraît extravagant de la part d’un juge ?

Lev FORSTER : - Les stratégies de désinformation ont joué un rôle considérable dans ce dossier. Si considérable qu’on les voit aujourd’hui encore à l’oeuvre. Nous sommes stupéfaits lorsque nous lisons certains commentaires sur ce qui s’est passé à Bujumbura ces derniers jours. On met en relief ici ou là que nos clients « ont été mis en examen » comme si les investigations des juges Marc Trévidic et Nathalie Poux les accablaient. On oublie de préciser que ces mises en examen montrent le recul des incriminations, entraînant au contraire la levée des mandats d’arrêt internationaux. On oublie d’expliquer que l’accusation est à présent décapitée ! La situation est à l’inverse de ce qu’avancent certains journaux.

AFRIKARABIA : - Vous pensez au journal Le Monde qui parle de « curieux détour par Bujumbura »  et qui ajoute concernant vos clients « qu'il existe des indices graves et concordants rendant vraisemblable leur culpabilité. » ?


Bernard MAINGAIN : - Nous ne souhaitons pas citer les titres de journaux qui nous ont surpris. Lev et moi ne l’avons jamais fait de toute notre carrière ; au contraire nous avons pris la défense de journalistes persécutés. Nous respectons la liberté de la presse, chacun peut écrire ce qu’il veut, en son âme et conscience. Nous constatons simplement que la façon dont l’évolution judiciaire de l’instruction est relayée ne correspond souvent pas à la réalité, aujourd’hui comme hier. Nous voudrions que le public comprenne que la mise en examen de nos clients démontre plutôt que le dossier se dégonfle les concernant. Qu’il s’agit d’une évolution normale compte-tenu des accusations sans fondement, des manipulations dont ils ont été l’objet. Ils n’auraient pu être valablement entendus sans mise en examen. La levée des mandats n’était pas automatique. C’est pourtant ce que les juges ont décidé. Et suite logique, il n’y eut ni mandat de dépôt ni contrôle judiciaire. Une immense victoire pour la défense.

Lev FORSTER : - Faut-il rappeler le b.a.-ba du droit ? La mise en examen a remplacé l’inculpation pour préserver la présomption d’innocence et respecter les droits de la personne en cause. Vu l’état de la procédure, les juges ont lu à nos clients leurs droits dans le cadre de leur mise en examen. Au terme de ces auditions et après avoir entendu leurs explications, tous les mandats d’arrêts  ont été levés et aucun mandat de dépôt n’a été délivré.

AFRIKARABIA : - Pouvons-nous revenir sur cette phrase lue dans un journal du soir « qu'il existe des indices graves et concordants rendant vraisemblable leur culpabilité. » ?

Lev FORSTER : -  Il n’y a rien de tout cela. Les explications fournies par nos clients ont donné un tout autre éclairage à ce dossier et des éléments de fait précis ont été portés à la connaissance des juges en vue de démontrer que la première partie de la procédure était plus le produit d’une manipulation qu’une instruction à charge et à décharge. Malgré ce qui a été écrit ici ou là, chacun comprend que la mainlevée des mandats constitue une étape très significative de la procédure et un moment important pour les relations entre la France et le Rwanda. Insinuer que la mise en examen de nos clients les accable serait de la mauvaise foi. Bien au contraire, la Défense se réjouit de cette issue. Si la culpabilité de nos clients était si évidente, le juge n’aurait pas levé les mandats d’arrêt et il aurait au contraire délivré des mandats de dépôt.

AFRIKARABIA : - Il n’y a pas que des journalistes à participer aux manipulations autour de la procédure Bruguière, mais aussi des écrivains, comme Pierre Péan…

Lev FORSTER : - Nous ne voulons pas non plus entrer en polémique avec le groupe des vrais-faux experts qui circule en Europe. Mais il nous semble que le livre de Pierre Péan « Noires fureurs, blancs menteurs » porte bien son nom. Que reste-t-il aujourd’hui des thèses avancées par Monsieur Péan ? Et de tous ceux qui ont avancé le pseudo récit du « lieutenant » Abdul Ruzibiza, le premier des faux témoins du juge Bruguière… ?

AFRIKARABIA : - Précisément, Abdul Ruzibiza a porté des accusations précises et publié un livre qui semble avoir été écrit ou réécrit par deux universitaires français aujourd’hui bien discrets… ?

Bernard MAINGAIN : - Avant son décès, Abdul Ruzibiza a présenté trois versions successives de ses accusations. Dans le livre qu’il signe, il se présente comme un des acteurs de l’attentat. Ensuite, il ne tarde pas à affirmer qu’il a tout inventé. Dans sa troisième version, il dit qu’il n’était pas sur les lieux de l’attentat. Ce qui n’aurait pas été difficile à vérifier par le juge Bruguière : travaillant comme infirmier, Ruzibiza se trouvait bien loin de Kigali, loin du front. Le dossier pouvait être très vite démonté si le juge avait contrôlé les informations sur le terrain.  Récemment, Ruzibiza disait aussi en substance : « J’ai reçu la confession de M. A. et j’ai assumé son témoignage en le mettant à la première personne ». Il dit aussi qu’il a pris sur lui ce témoignage, car les « Services » français lui ont dit que c’était plus crédible comme ça. Il dit aussi que l’autre témoin M. Ruzigana n’était pas concerné. Lorsqu’ils sont rentrés en France, Ruzigana et Ruzibiza  ont commencé par nouer des contacts avec les FDLR, la rébellion des ex-génocidaires qui sévit aujourd’hui encore au Nord-Kivu. C’est un fait avéré, reconnu.

Lev FORSTER : - Voici ce qui reste du témoignage du supposé « homme-clef » de l’accusation et de ses acolytes. Est-il besoin d’ajouter que ces gens-là ont perdu tout crédit ?

Bernard MAINGAIN : - En ce qui concerne un autre témoin clef de l’accusation, Richard Mugenzi, supposé avoir capté des messages « en clair »  où le FPR revendiquait l’attentat, il est à présent avéré qu’il s’agissait d’une manipulation du colonel Nsengiyumva, quelques heures seulement après l’attentat. Ce n’est pas à vous que nous allons l’apprendre, puisque c’est la matière de votre dernier livre(1).

Lev FORSTER : - On voit bien que le dossier Bruguière se vide de tout contenu.

AFRIKARABIA : - Vous avez évoqué au début de cette interview les pressions politiques sur le dossier. Pourquoi n’avoir pas réclamé l’annulation de toute la procédure ? Les interventions politiques auprès du juge Bruguière sont aujourd’hui documentées !

Lev FORSTER : - Nous avons en effet la preuve des interférences politiques dans un dossier où les politiques n’ont cessé d’alléguer « l’indépendance sacrée de la Justice et des juges ». Le juge Jean-Louis Bruguière était lui-même un militant au sein d’un parti politique qui l’a investi comme candidat à une élection législative. Le juge Bruguière aurait même parlé de son dossier au président de la République d’alors.

Bernard MAINGAIN : - Wikileaks a démontré que le juge Bruguière a violé le secret de l’instruction, ce qui est d’une gravité extrême.  Il existe une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à ce sujet, et notamment un arrêt célèbre. En Belgique, dans l’affaire du rapprochement entre la BNP et le groupe Fortis, il a été prouvé que des membres du cabinet du Premier ministre belge ont communiqué avec des magistrats. Le Premier ministre Yves Leterme a été contraint de proposer la démission de son gouvernement. Des poursuites judiciaires ont été engagées contre les magistrats en cause.

AFRIKARABIA : - Pourrait-on imaginer une telle issue en France ?

Bernard MAINGAIN : - Pour notre part, nous avons préféré aller au fond du dossier pour en extraire la vérité : une gigantesque manipulation montée contre nos clients, avec des opérations de désinformation énormes.

Lev FORSTER : - Nous pensons qu’il s’agit d’un des pires scandales judiciaires intervenus en France au XXe siècle.  Cette manipulation a pris en otage l’opinion publique française. Elle a tenté d’opposer deux peuples, le peuple français et le peuple rwandais. Il faudra que les auteurs de cette manipulation en rendent compte un jour. Heureusement aujourd’hui, le dossier est instruit par des magistrats vraiment indépendants, soucieux d’aboutir à la seule vérité.

AFRIKARABIA : - Vous espérez un non-lieu en faveur de vos clients ?

Bernard MAINGAIN : - Nous pensons que le juge Trévidic a bien saisi la véritable nature du dossier et nous espérons qu’effectivement, lorsque les expertises balistiques lui seront remises dans quelques semaines, il aura tous les éléments en main pour conclure à l’innocence de nos clients.  Il y a de très bons experts en balistiques venus d’Ecosse. Nous avons également communiqué au juge de nombreux témoignages recueillis par la « Commission Mutzinzi » qui a fait un très gros travail sur l’attentat.

AFRIKARABIA : - Si vos clients sont reconnus innocents, ça ne suffira pas à la manifestation de la vérité. Il faudra bien trouver qui a réellement commis l’attentat du 6 avril 1994, lequel a servi de déclencheur au génocide des Tutsi ?


Lev FORSTER : - Chaque chose en son temps. Le travail de la Défense est de démontrer l’innocence de nos clients.  Mais lorsque cette innocence aura été reconnue, nous sommes certains que les juges exploreront les autres pistes.

Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER


Lire également sur Afrikarabia : "RWANDA : l’enquête du juge Bruguière explose en plein vol"

(1) Jean-François Dupaquier, L’Agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi, ex-espion rwandais. Editions Karthala, Paris, septembre 2010. 29 euros.

11:08 Publié dans Afrique | Lien permanent | Commentaires (0)

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