20 mai 2012
RDC : "Elections tronquées"… et après ?
6 mois après des élections émaillées de nombreuses irrégularités, la crise politique couve toujours en République démocratique du Congo (RDC), alors que les combats ont repris à l'Est entre milices et l'armée régulière. Pour Afrikarabia, Paul Nsapu, le président de la Ligue des électeurs, revient sur les "élections tronquées" de novembre 2011. Pour ce défenseur des droits de l'homme, "il faut pousser les acteurs politiques au dialogue" et ne pas décevoir les électeurs congolais qui risquent de se détourner des prochains scrutins locaux, fixés début 2013.En mars 2012, la Ligue des électeurs de République démocratique du Congo, avec l'aide de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), dont Paul Nsapu est le secrétaire général, a publié un rapport complet sur les nombreux dysfonctionnements du processus électoral de novembre 2011. Intitulé : "Elections tronquées en RDC", ce rapport dénonce les irrégularités du scrutin, tout comme l'Union européenne ou le Centre Carter.
- Afrikarabia : Six mois après les élections contestées de novembre 2011, on a l'impression que la RDC est entrée dans une période de normalisation. Faut-il tourner définitivement la page de la contestation électorale ?
- Paul Nsapu : La République démocratique du Congo est actuellement dans une situation de "ni guerre, ni paix". Après l'organisation calamiteuse des élections de novembre dernier, les personnes qui sont aux manettes du pouvoir en sortent très diminuées. Le président Kabila sait pertinemment qu'il n'a pas été élu correctement et a donc perdu sa légitimité populaire. Aujourd'hui, il ne faut pas se voiler la face, il y a bel et bien une crise politique au Congo. Avant, pendant et après les élections, la société civile a démontré toutes les irrégularités du scrutin, mais nous n'avons pas été écoutés. Nous avions tiré la sonnette d'alarme dès la révision du fichier électoral qui s'avérait être biaisé. Il n'y avait plus d'espace pour les mécanismes de contre-pouvoir, notamment avec la CENI (la Commission électorale très controversée, ndlr). A chaque étape, nous avons crié haut et fort, mais les acteurs nationaux ne nous ont pas suivi.
- Afrikarabia : Six mois après que comptez-vous faire ?
- Paul Nsapu : Ce qu'il faut faire maintenant, c'est pousser les acteurs politiques à un dialogue pour "décrisper" la situation. La question est celle-ci : jusqu'où va continuer le pouvoir en bâillonnant comme cela les défenseurs des droits de l'homme ? Nous avons donc besoin d'un climat décrispé et d'un dialogue franc pour remettre en confiance la population, avant les prochaines élections à venir, locales et provinciales (prévues fin janvier 2013, ndlr). Aujourd'hui, nous avons des électeurs déçus et qui nous disent ne pas vouloir aller voter aux prochaines élections. On risque donc de les voir boycotter les élections locales et de conforter la population vers d'autres voix moins "démocratiques".
- Afrikarabia : Sur qui pouvez-vous vous appuyer pour appaiser le climat politique ?
- Paul Nsapu : Nous devons nous appuyer sur nos collègues de la société civile pour produire un plaidoyer fort, notamment sur la restructuration de la CENI (la Commission électorale jugée partiale par l'opposition, ndlr). Si nous n'insistons pas, nous risquons d'être vraiment déçus puisque le pouvoir en place fera tout pour avoir une commission organisatrice des élections à sa solde ! Sur cette question, tous les rapports sont là et la société civile reviendra à la charge. Ensuite, il y aura d'autres actions. Nous publierons un prochain rapport sur les violations des droits de l'homme en RDC, avec non seulement le nom des victimes, mais aussi le nom des auteurs des crimes et des violations ! Il faut à tout prix lutter contre l'impunité.
- Afrikarabia : Est-ce que vous comptez encore sur la communauté internationale pour vous aider dans votre combat ?
- Paul Nsapu : Les alliés les plus fidèles dans ce combat, ce sont avant tout nos collègues de la société civile en occident (les ONG internationales, ndlr). Ce sont avec eux que nous pourrons aller plaider notre cause dans les enceintes où siègent les décideurs internationaux. La société civile occidentale constitue un levier important pour nous et nous pouvons battre campagne ensemble contre ces politiques que nous condamnons.
- Afrikarabia : Vous n'attendez plus grand chose de la communauté internationale ?
- Paul Nsapu : Je crois qu'il y a toujours des milieux ou des dirigeants internationaux qui comprennent les problèmes de la RDC. Mais ils aimeraient peut-être qu'on leur apportent aussi des propositions efficaces et des solutions. Par exemple pour assainir le secteur de la sécurité et de l'armée, comme un récent rapport le préconise, mais la même chose est possible dans le secteur des élections avec notre rapport de la Ligue des électeurs. Nous avons des propositions concrètes.
- Afrikarabia : Quelle leçon tirez-vous de ce processus électoral ?
- Paul Nsapu : Un énorme gâchis. Ces élections ont démontré qu'il n'y a pas de volonté politique en RDC pour mettre en place un réel processus de démocratisation... et tout cela avec l'argent du contribuable occidental ! Qui, en plus, n'est pas informé de ce qu'on a fait de sa contribution. Voilà des choses que l'on ne peut plus admettre, puisque déjà en 2006, on nous avait promis d'organiser des élections avec un minimum de crédibilité et de transparence. Or, il n'y en a pas eu... ni en 2006, ni en 2011 !
Propos recueillis par Christophe RIGAUD
Photo : Paul Nsapu à Paris - Avril 2012 (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
23:34 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (2)
16 mai 2012
RDC : Les 12 travaux de Matata Ponyo
Les défis à relever du nouveau premier ministre de République démocratique du Congo (RDC) sont à la mesure des difficultés que traversent le pays : colossaux. Matata Ponyo le reconnaît lui-même, "plusieurs indicateurs sont au rouge" et "beaucoup reste à faire". Infrastructures, santé, éducation, accès à l'eau ou à l'électricité, corruption... ce ne sont plus les 5 chantiers, mais les 12 travaux d'Hercule qui attendent le chef du gouvernement congolais, avec en prime une nouvelle guerre qui se profile à l'Est.5 mois après des élections présidentielle et législatives chaotiques et des résultats contestés, le nouveau gouvernement congolais est enfin au travail. Augustin Matata Ponyo a présenté le programme de son gouvernement le 7 mai dernier à l'Assemblée nationale. Et les dossiers urgents ne manquent pas. Au menu : remettre de l'ordre dans le pays, restaurer la paix et relancer l'économie. Car si Matata Ponyo est reconnu pour avoir tenu le cadre macro-économique de la RDC dans les clous des institutions internationales (Banque mondiale, FMI... ), il n'a pas réussi à améliorer un tant soit peu les conditions de vie des Congolais. L'ancien ministre des finances du précédent gouvernement Muzito, aujourd'hui chef du gouvernement a donc du pain sur la planche.
Pour redynamiser l'économie, Matata Ponyo compte s'appuyer sur les "opportunités de développement du secteur agricole", longtemps oublié à la faveur de la rente minière. Son programme vise un taux de croissance de 7% à 15% par an et souhaite voir "éclore le secteur industriel". Matata Ponyo veut également élever la RDC "au rang de pays à revenu moyen" (entre 976 et 11.906 dollars comme l'Afrique du Sud, le Brésil ou l'Argentine) d'ici la fin 2016 et assainir le milieux des affaires. Sur ce point, le chemin à parcourir est titanesque puisque le récent classement "Doing Business" place la RDC au dernier rang des pays concernant le climat des affaires.
Le programme du nouveau premier ministre congolais ressemble mots pour mots aux voeux pieux déjà formulés en 2003 (lors de la transition), en 2006 (lors du premier mandat Kabila) et enfin en 2012 (lors du second mandat Kabila)... sans résultats concrets depuis 9 ans. En 2012, 71% de la population congolaise vit encore avec moins de 1 000 francs (1 USD) par jour.
Pour être crédible, le programme de Matata Ponyo devra être financé. Or, pas un mot sur les recettes escomptées et encore moins sur le budget pour l'année à venir. Avec un peu plus de 6 milliards de dollars de budget (en 2011), l'Etat congolais n'a pas vraiment les moyens de financer ses ambitions. La corruption gangrène toujours le pays, au point de la rendre "endémique", comme le décrit le dernier rapport de l'ONG Transparency International. Ce que l'on appelle la "bonne gouvernance" jouit toujours d'un sérieux déficit en RDC.
Dernier point noir du programme gouvernemental : l'insécurité à l'Est et le risque d'embrasement du conflit au Nord-Kivu. Depuis presque 10 ans, Joseph Kabila promet la paix, sans réussir à l'imposer. De manière récurrente, l'Est de la RDC s'enflamme et une dizaine de groupes armées sèment toujours la terreur dans la zone. Le conflit s'est récemment tendu et les combats ont repris avec la fuite et la traque de Bosco Ntaganda et l'apparition du M23 du colonel Makenga. Sans sécurité en RDC, aucun programme économique ne pourra avoir un quelconque effet sur les conditions de vie de la population. Matata Ponyo le sait bien et a fait du retour au calme au Nord-Kivu sa priorité. Pourra-t-il faire mieux que ses prédécesseurs ? Pas sûr, la sécurité en RDC ne dépend malheureusement pas du seul gouvernement congolais.
Christophe RIGAUD
Photo : Kinshasa (c) Ch. Rigaud www.afrikarabia.com
18:11 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (4)
RDC : Ntaganda continue d'enrôler des enfants soldats, selon HRW
En fuite depuis 2 semaines et traqué par l'armée congolaise (FARDC), le général Bosco Ntaganda "a enrôlé au moins 149 garçons depuis le 19 avril" dans sa rébellion, dénonce Human Rights Watch (HRW). Bosco Ntaganda est recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre, mais aussi pour avoir recruté et utilisé des enfants soldats. HRW estime qu'il est "urgent d’arrêter le général renégat".Dans un communiqué publié à Goma, à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), l'ONG, Human Rights Watch affirme que « Bosco Ntaganda a recommencé à commettre contre des enfants des crimes identiques à ceux pour lesquels la Cour pénale internationale a déjà émis à son encontre un mandat d’arrêt », selon Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior pour la division Afrique à Human Rights Watch. « Tant que Bosco Ntaganda sera en liberté, les enfants et les civils vivant dans l’est du Congo seront exposés à un risque sérieux pour leur sécurité. »
D’après les conclusions de Human Rights Watch tirées d’entretiens avec des témoins et des victimes, les troupes de Ntaganda – estimées entre 300 et 600 soldats qui l’ont suivi dans sa mutinerie – ont recruté de force au moins 149 garçons et jeunes hommes dans les environs de Kilolirwe, de Kingi, de Kabati et d’autres localités sur la route de Kitchanga, dans le territoire de Masisi, dans la province du Nord-Kivu, entre le 19 avril et le 4 mai. Au moins sept garçons sont morts dans les combats. Les garçons et jeunes hommes enrôlés de force étaient âgés de 12 à 20 ans et appartenaient pour la plupart aux groupes ethniques tutsi et hutu. Au moins 48 d’entre eux avaient moins de 18 ans, et 17 avaient moins de 15 ans. D’après les schémas de recrutement documentés, Human Rights Watch pense que l’activité réelle de recrutement pendant cette période peut avoir été considérablement plus importante.
Selon Human Rights Watch, «le gouvernement congolais doit mettre fin au cycle destructeur de protection des auteurs d’atteintes graves aux droits humains et doit, au lieu de cela, les arrêter ». « Le moment est venu d’arrêter Ntaganda, et les Casques bleus de l’ONU doivent tout faire pour soutenir les efforts du gouvernement congolais en la matière », a conclu Anneke Van Woudenberg.
11:43 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (6)