13 décembre 2010
RWANDA : Un ancien militaire de l'APR décrypte le "mapping" de l'ONU
Le brigadier général Richard Rutatina, aujourd’hui conseiller à la présidence de la République, était déjà un haut gradé de l’Armée patriotique rwandaise (APR) lors des deux guerres du Congo. C’est donc en acteur de la crise qu’il analyse et commente le rapport de la commission des Nations-Unies sur les allégations de crimes commis par l’APR au Congo. Pour Richard Rutatina : « le rapport de la commission de l’ONU n'a qu'un seul but : dire qu'il y a eu un double génocide, ce qui est une façon d'insinuer que finalement tout le monde est à la fois victime et bourreau, et donc qu’il n'y a pas eu de génocide du tout.» Voici son témoignage pour Afrikarabia.
Général, le pré-rapport de l'ONU est particulièrement sévère sur le comportement a légué de l'armée rwandaise lors des deux guerres du Congo. Vous-même, en tant qu'officier supérieur de cette armée, comment réagissez-vous ?
Richard RUTATINA : - Effectivement, ce rapport décrit l'Armée patriotique rwandaise comme une milice tutsi qui n'aurait eu d'autre objectif que de tuer les Hutu rwandais réfugiés au Zaïre. Il est difficile de comprendre le retentissement international de ce rapport alors que chacun sait qu'au contraire l'APR a toujours combattu les visées génocidaires. Chacun a en mémoire les photographies et les reportages télévisés du retour massif des réfugiés rwandais vers leur pays en 1996 et 1997 notamment, sous la protection et avec l'assistance de l'armée patriotique rwandaise.
Alors, pourquoi ces accusations ?
Richard RUTATINA : - Lorsque que notre armée a été mise sur pied, s'était déjà pour permettre le retour dans leur pays des réfugiés, Hutu comme Tutsi, qui avait dû fuir le Rwanda en raison de massacres à caractère génocidaire qui se sont succédé à partir de 1959. Au début de la guerre d'octobre 1990, lorsque le chef du Front patriotique rwandais Fred Rwigyema a été tué, il a été aussitôt remplacé par un Hutu, Alexis Kanyarengwe, malheureusement aujourd'hui décédé. Une grande partie des dirigeants du Front patriotique, dès l'origine, a été recrutée parmi les Hutu démocrates opposés au régime ethniste, dictatorial et sanguinaire de l'ancien président Juvénal Habyarimana. J'énonce ici des faits connus de tous, parfaitement documentés. Aussi, lire dans le rapport de l'ONU que l'APR se serait comportée au Congo comme une milice tutsi ivre de sang est tout simplement extravagant. Depuis l'origine de l'Armée patriotique, nos militaires connaissent mieux que personne les souffrances des exilés, pour les avoir vécues eux-mêmes. Comment notre armée, qui a mis fin au génocide des Tutsi et à la chasse meurtrière des démocrates hutu au Rwanda en 1994, aurait-elle pu elle-même commettre un génocide ?
Pourtant, c'est ce qui ressort du rapport de la commission de l'ONU.
Richard RUTATINA : - Nous sommes confrontés à ce qu'on appelle "la propagande en miroir" qui consiste à accuser l'adversaire de ce qu'on commet soi-même. Ces accusations de génocide contre l'Armée patriotique ne sont pas nouvelles. Dès le débuts de la guerre d'octobre 1990, le régime Habyarimana accusait le Front patriotique d'attaquer le Rwanda pour exterminer l'ensemble des Hutu. On sait ce qu'il est advenu. Cette propagande a été clairement analysée par toutes sortes de chercheurs, de spécialistes de l'histoire de la région, et même dans les premiers rapports de l'ONU en 1994. Pourquoi cette inversion de la réalité ? Pourquoi cette amnésie et cette porosité à l'idéologie du génocide commis contre les Tutsi en 1994 ? C'est la question que je me pose.
Vous considérez que le rapport de l'ONU ne fait que souscrire aux thèses des génocidaires et des négationnistes ?
Richard RUTATINA : - Il suffit d'observer l'histoire récente de notre pays pour s'en convaincre. Le Front patriotique rwandais a été constamment diabolisé et accusé de tous les maux. Avant même la victoire contre les forces génocidaires, beaucoup prétendaient que notre objectif était d'installer à la tête du Rwanda une autorité monoethnique tutsi. Or nous avons mis en oeuvre les accords de partage du pouvoir négociés à Arusha. En avril 1994 a été mis en place un gouvernement de transition à base élargie (GTBE) qui n'était pas dirigée par un Tutsi. Le président de la République, qui avait lui-même combattu dès les premiers jours dans les rangs du FPR, n'était pas un Tutsi.
L’Armée patriotique rwandaise comporte-t-elle beaucoup de Hutu ?
Richard RUTATINA : - Je rappelle que lorsque le nous avons réussi en 1991 à nous emparer de la prison de Ruhengeri, nous en avons libéré les officiers hutu qui ont aussitôt rejoint nous rangs. Après les guerres du Congo, nous avons également réintégré dans l'armée patriotique des officiers, y compris des officiers supérieurs qui se sont rendus après nous avoir combattu toutes ces années. Ils ont retrouvé des postes de commandement et sont parfois montés en grade au sein de l'APR. Comme ce qui se sont battus pour la justice et la démocratie au Rwanda dès la créations du front patriotique, ils ont participé à la force de maintien de la paix au Darfour. Il en va de même chez les simples soldats. La composition de l'APR reflète la composition de la population rwandaise. Elle n'a rien d'une armée qui serait devenue à son tour "génocidaire", bien au contraire. C'est une armée profondément imprégnée des idéaux du Front patriotique, qui a banni dès les origines toute connotation ethnique, qui a tendu la main à tous ceux qui aspiraient sincèrement à participer nos idéaux.
Pourtant, le rapport de la commission de l'ONU conclut que la mission de l'APR au Congo était d'exterminer les réfugiés hutu ?
Richard RUTATINA : - Il faut vraiment être aveugle pour ne pas voir que ces réfugiés ont été libérés de la peur que faisait régner sur eux l'encadrement génocidaire des camps au Zaïre. Pour ne pas voir que ces réfugiés sont rentrés au Rwanda d eplein gré, par millions, pour retrouver leur place dans la société. Ils ont été protégés, nourris, aidés par les militaires de l'APR jusqu'à leur commune d'origine où ils ont retrouvé leur maison. Affirmer le contraire est extravagant.
Votre témoignage semble confirmé par celui d’un autre général, qui se trouvait, lui, du côté des ex-FAR ?
Richard RUTATINA : - Effectivement, au colloque organisé à Kigali par la commission nationale de lutte contre le génocide, qui s'est tenu les 9 et 10 décembre dernier, on a entendu mon collègue le brigadier général Jérôme Ngendahimana, ce qui était à cette époque un haut gradé des ex-FAR réfugiées au Zaïre et qui nous combattait, raconter ce qui s'est effectivement passé, vu de son côté. Comment les réfugiés sont-ils donc rentrés au Rwanda en aussi bonne santé que possible ? Ils avaient été poussés hors de leur pays par l'armée et les milices du gouvernement génocidaire pour des raisons stratégiques et militaires. Ils avaient servi de boucliers humains. Les forces génocidaires croyaient pouvoir se servir des réfugiés pour se protéger contre toute attaque et pour préparer eux-mêmes la reconquête du Rwanda. La guerre du Congo nous a été imposée pour empêcher la déstabilisation du Rwanda. Elle s'est faite dans des conditions extrêmement difficiles. Ce n'était pas une partie de campagne. Il y a eu des combats extrêmement durs contre ceux qui utilisaient les réfugiés comme boucliers humains, et forcément, on a déploré des victimes collatérales.
Que voulez-vous dire par une guerre qui vous aurait été imposée ?
Richard RUTATINA : - Les forces génocidaires avaient pris en otage des millions de Rwandais qu'elles espéraient utiliser comme un moyen de négociations pour obtenir un partage du pouvoir. Le Rwanda a été soumis à des attaques constantes, à des incursions armées quotidiennes. La communauté internationale se révélait incapable d'assurer la sécurité dans les camps qu’elle finançait, et de libérer les réfugiés de l'emprise des forces génocidaires. Il est d'autant plus choquant qu'aujourd'hui une commission de l'ONU accuse l'armée rwandaise d'avoir commis un génocide au Congo, alors que c'est l'incurie de la communauté internationale qui nous a forcé à une guerre d'autodéfense pour libérer les réfugiés maintenus en otage par des groupes armés.
Ce n’est pas du tout le point de vue des auteurs du rapport…
Richard RUTATINA : - Je le répète, des millions de réfugiés ont été rapatriés pacifiquement. Mais le rapport de la commission de l'ONU ne parle pas de ça. Sur la carte de la zone de guerre, on ne voit que des flèches qui laissent croire que tous les réfugiés se sont massivement enfuis vers la forêt profonde où ils auraient été exterminés. Pas une seule flèche n'indique la direction du Rwanda. "Les gens de l'APR les ont tués jusqu'au dernier", c'est comme le refrain de ce rapport, c'est l'insinuation qui se répète de page en page sur plus de 500 pages. Cette guerre qu'ils appellent Congo 1, ils la présentent comme une promenade militaire destinée à l'extermination des réfugiés. Ils ne veulent pas voir que c'était une véritable guerre avec en face de nous de véritables armées, les ex-FAR, les Forces armées zaïroises (FAZ) qui combattaient à leurs côtés, les milices Maï-Maï, les anciens miliciens interahamwe, etc. Dans le rapport, on ne voit pas que tous ces gens ont combattu avec beaucoup d'énergie pour empêcher le retour des réfugiés au Rwanda. Il y a même eu un groupe de mercenaires serbes à Kisangani pour les aider. Il est vrai que sous leur contrôle, quelques groupes de réfugiés ont réussi à s'enfoncer dans la forêt profonde. Mais tous les groupes que nous avons réussis à rejoindre et à libérer de l'emprise des génocidaires ont été ramenés au Rwanda. Certains ont même été rapatriés en avion, tellement il paraissait impossible de les faire rentrer à pied. Or que dit-on dans le rapport ? « Ils chassaient sans cesse les réfugiés hutu et les tuaient ». Tout le contraire de la vérité !
Auriez-vous pu perdre cette guerre au Congo ?
Richard RUTATINA : - Selon le rapport de la commission, le rapport de la commission, l'APR ne combattait pas mais étaient seulement occupés à chasser et exterminer les Hutu. Nous avons sans doute été victime d'une hallucination collective : les militaires des ex-FAR, des Forces armées zaïroises, les mercenaires européens recrutés pour nous combattre, les miliciens de toutes origines, tous ces groupes puissamment organisés et équipés, que les journalistes ont décrit de long en large à cette période, n'existaient donc pas ? Ils n'ont donc rien fait ? Ils ne se sont donc pas réfugiés dans la forêt profonde en tentant désespérément d'entraîner leurs boucliers humains ? Nous avons rêvé ?
Vous considérez que les auteurs du rapport de l'ONU ont fait l'impasse sur ce qui était une véritable guerre ?
Richard RUTATINA : - Exactement. Ils ont ignoré les autres acteurs du conflit. Ils ont refusé de voir que l'Armée patriotique rwandaise a toujours revêtu un caractère national. Ils ont complètement intégré la propagande génocidaire.
De quelle façon ?
Richard RUTATINA : - En voici un exemple : dans le rapport on prétend que les militaires de l'Armée patriotique appelaient les Hutu "des cochons". C'est une injure vis-à-vis des Hutu que j'ai découverte en lisant le rapport de l'ONU. Jamais je n’avais entendu ça auparavant. C'est au contraire les Tutsi qu'on appelait des "cancrelats". Un militaire de l'Armée patriotique qui aurait ainsi injurié une catégorie de la population rwandaise aurait été sévèrement sanctionné. On cherche ainsi à nous faire endosser la responsabilité d'une propagande raciste qui avait pour seul but le génocide des Tutsi en 1994.
En quelque sorte, vous accuser de ce que fait le camp d’en face ?
Richard RUTATINA : - On lit aussi dans le rapport que nous avons exterminé les réfugiés hutu en utilisant des machettes, des serpes, des houes. Or ce sont bien les instruments qui ont été utilisés en 1994, mais pour amener la population à participer massivement au génocide des Tutsi. Croit-on sérieusement que les militaires de l'Armée patriotique rwandaise s'étaient chargés de toutes sortes d'instruments aratoires pour exterminer les réfugiés ? On voit bien que les auteurs du rapport ne comprennent pas les choses les plus simples, accessibles à n'importe quel militaire. Franchement, les militaires devaient porter une Kalash avec ses chargeurs garnis, et je peux vous dire que ça pèse terriblement lourd lorsqu'on doit marcher jusqu'à Kinshasa sur 2000 kilomètres. Alors, qui peut croire qu'en plus du fusil d'assaut chacun trimbalait une houe pour le seul usage d'exterminer des fuyards ? On voit bien le tout au long du rapport il y a une tentative de transposer la propagande des génocidaires de 1994 qui disaient déjà que le but de l'Armée patriotique était d'exterminer les Hutu jusqu'au dernier.
Vous avez relevé d’autres anomalies dans le rapport ?
Richard RUTATINA : - Il y a d'autres aspects tellement invraisemblables dans le rapport qu'on se demande comment il n'a pas sombré dans le ridicule aussitôt que publié. Je vais vous en citer un seul exemple. Le "Rapport mapping" cite un certain nombre d'endroits où des fosses communes auraient été creusées pour dissimuler des victimes de l'Armée patriotique. Il paraît ainsi qu'une fosse commune contenant environ 500 cadavres se trouverait à Kasese. Or notre armée n'a jamais mis les pieds à Kasese. On prétend également qu'au moment où les forces de Kabila et l'APR s'apprêtaient à prendre Kinshasa, on procédait à des massacres massifs à 2 000 km de distance, dans la vallée de la Ruzizi, à Bukavu et Uvira. C'est du grand n'importe quoi. Qui peut sérieusement croire que l'Armée patriotique avait le moyen de concentrer ses forces pour la prise de Kinshasa où se cramponnaient les derniers éléments des Forces armées zaïroises et de s'occuper au même moment d'extermination massive à la frontière du Rwanda ?
Alors, quel est le sens de ce rapport ?
Richard RUTATINA : - Le rapport de la commission de l’ONU n'a qu'un seul but : dire qu'il y a eu un double génocide, ce qui est une façon d'insinuer que finalement tout le monde est à la fois victime et bourreau, et donc qu’il n'y a pas eu de génocide du tout. Il est particulièrement regrettable que cette propagande répétée d'année en année par ceux qui ont exterminé les Tutsi, se retrouve dans un rapport bénéficiant du label de l'Organisation des Nations unies.
Propos recueillis à Kigali par François MOLYNEUX
21:56 Publié dans République démocratique du Congo | Lien permanent | Commentaires (0)
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